La folle randonnée d’Hercule Perruchon - Tome 2 - Jean-Pierre Yvorra - E-Book

La folle randonnée d’Hercule Perruchon - Tome 2 E-Book

Jean Pierre Yvorra

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Beschreibung

Après avoir reçu une lettre de Monsieur le curé lui annonçant la grave maladie dont son père est atteint, Hercule Perruchon décide, sur un coup de tête, de partir à pied de Saint-Jürgen, au nord-est de Berlin, vers sa région natale. Il a déjà parcouru six cents kilomètres et arrive en trente jours dans la banlieue de Pont-à-Mousson. Malgré les difficultés physiques qui le desservent, les doutes qui le traversent et ses problèmes familiaux, il progresse et marche sans relâche vers le sud-est de la France. La radio et les journaux s’emparent alors de son « projet fou », contribuant à révéler une notoriété qu’il rejette. Deux événements dramatiques surviennent dans sa vie…


À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Pierre Yvorra consacre l’essentiel de son activité à l’écriture, particulièrement à celle de la fiction policière. Par ailleurs, il est auteur de plusieurs livres dont "La Maltaise", "Sable rouge" et "La traque finale".

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Jean-Pierre Yvorra

La folle randonnée d’Hercule Perruchon

Tome II

Le dénouement

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean-Pierre Yvorra

ISBN : 979-10-422-0350-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Catherine et à Eva,

Avec toute mon affection

Du même auteur

- La Maltaise, roman polar, 2018, Éditions Edilivre ;
- Sable rouge, roman polar, 2019, Éditions Edilivre ;
- Mystérieuse Typaza, roman polar, 2020, Éditions Le Lys Bleu ;
- La traque Finale, roman polar 2021, Éditions Le Lys Bleu ;
- La folle randonnée d’Hercule Perruchon, Tome 1, Roman d’aventures 2022, Éditions Le Lys Bleu.

J’ai appris, dit le Petit Prince, que le monde est le miroir de mon âme… Quand elle est enjouée, le monde lui semble gai. Quand elle est accablée, le monde lui semble triste.

Le monde, lui, n’est ni triste ni gai. Il est là c’est tout. Ce n’était pas le monde qui me troublait, mais l’idée que je m’en faisais… J’ai appris à accepter sans le juger, totalement, inconditionnellement…

Extrait du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry

Prologue

L’Allemagne nazie impose au gouvernement de Vichy la mise en place du S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) pour compenser le manque de main-d’œuvre dû à l’envoi de soldats allemands sur le front de l’est. C’est ainsi qu’un nombre important de travailleurs français furent acheminés vers l’Allemagne entre juin 1942 et juillet 1944.

C’est dans un contexte de durcissement, en mai 1943, que Laval contraint une classe d’âge à rejoindre les usines allemandes. Certains travailleurs sont obligés de faire fonctionner les exploitations agricoles de l’autre côté du Rhin.

C’est à partir de ces situations que j’ai imaginé le départ d’un ouvrier agricole d’une grande ferme du nord-est de Berlin en 1950 vers sa région natale du sud-est de la France.

Une folle randonnée qui le mènera à pied sur les chemins, les sentiers d’une Allemagne en reconstruction. Les lignes suivantes sont une œuvre de fiction, les noms, les personnages et certains événements sont le fruit de mon imagination et utilisés fictivement. Certains lieux ont été volontairement modifiés. Toute ressemblance avec des personnages réels, vivants ou morts, serait pure coïncidence.

Synopsis tome II

Après avoir reçu une lettre de monsieur le curé lui annonçant la grave maladie dont son père est atteint, Hercule Perruchon décide, sur un coup de tête, de partir à pied de Saint-Jürgen au nord-est de Berlin, vers sa région natale. Il a déjà parcouru six cents kilomètres et arrive en trente jours dans la banlieue de Pont-à-Mousson. Malgré les difficultés physiques qui le handicapent, les doutes qui le traversent, il progresse et marche sans relâche vers le sud-est de la France. Les conflits récurrents avec sa mère ressurgissent d’un passé obsédant. Alors, il marche, toujours et encore, tourmenté par l’indifférence de son jeune frère dépressif… Il songe à la comptable de chez Dario, se souvient du jour où il s’était penché délicatement vers elle et il savait que, depuis ce jour-là, un sentiment venait de naître. Dans sa randonnée, il rencontrera d’autres pèlerins exotiques, mystiques en quête d’absolu, rêveurs ésotériques, qu’il entraîne dans son sillage. La radio, les journaux s’emparent de son « projet fou » contribuant à révéler une notoriété qu’il rejette. Deux événements dramatiques surviendront dans la vie d’Hercule. Malgré ces périodes tragiques et le terrible secret qu’il garde enfoui, il vaincra les démons qui le hantent depuis son enfance.

Les personnages principaux

Edouard Perruchon : Le père

Marinette Perruchon : La mère

Hercule : Le fils aîné

Maurice : Le fils cadet

Magda Uhring : La fermière allemande

Emma Tournebride : La comptable du garage

Dario Deldon : Le patron du garage

Roger Lagrelle : Le voisin de Coursegoules

Angélique Rebon : La colocataire d’Emma à Nice

Chapitre 1

L’union de Marinette et d’Edouard

Les premiers rayons du soleil commençaient à éclairer les façades des maisons, les jardins exhalaient une odeur d’herbe humide, Hercule leva la tête vers le ciel, inspira une grande bouffée d’air et poursuivit sa marche. À la sortie de Pont-à-Mousson sur la droite, il prit la direction de Toul.

Il se promit d’envoyer un courrier à Andréa, la Polonaise qui l’avait si généreusement accueilli. Plus tard, il réalisa qu’il ne possédait pas son adresse.

En ce début du mois d’août, pendant la nuit, des orages avaient copieusement arrosé la terre desséchée par plusieurs jours de privations. Aussi, ce matin-là, les arbres et fleurs paraissaient déborder de vitalité. Une légère brise faisait frissonner les feuilles argentées des peupliers, des pétales de coquelicots flottaient dans l’air, tels des confettis rouge vif. En contrebas de la route, les tournesols exposaient leurs corolles vers la lumière. Hercule décida de faire une halte à l’ombre d’un érable. Pendant sept jours, il marcha, sans interruption, avec seulement quelques pauses pour se restaurer. C’est ainsi qu’il traversa Toul, Neuf-le-Château, Damblain. Il arriva à Fayl-Billot dans la soirée. Il avait réussi à marcher pendant sept jours et avait parcouru environ vingt kilomètres par jour. Sur les recommandations d’Andréa, il avait pris avec lui la petite boussole en fer blanc, des rouleaux de bandelettes, des petits carrés de tissu blanc, de la pommade, de l’huile solaire qui sentait la morue, des carrés de chocolat, des biscuits durcis qui cassaient les dents, cinq pommes acides chapardées dans un verger. Bref, un régal pour les papilles.

Malgré son crâne, garni d’une crête en guise de cheveux et ses montures de lunettes rafistolées, il fut surpris de découvrir dans le miroir de la boutique, la silhouette d’un homme conquérant et déterminé, à tel point qu’il eût des difficultés à croire que c’était sa propre image qui lui était renvoyée. Avant de sortir du magasin-bazar, il acheta un kit de rasage, un savon et un peigne, qu’il plaça consciencieusement dans le sac à dos offert par Andréa. L’aiguille de la boussole en fer blanc lui indiqua le nord, en principe, se dit-il, le sud, est à l’opposé !... Hercule était convaincu que sa randonnée avait vraiment commencé, à l’instant où il avait pris la décision de retrouver son père à Vallauris. Mais il comprenait, aujourd’hui, qu’il avait été candide de partir avec un équipement aussi restreint et que quitter Saint-Jürgen ne pouvait se réaliser qu’une seule fois et prendre des aspects différents. Il s’était opposé à ses carences, mais les avait dominées et son parcours débutait véritablement.

Tous les matins, le cercle rouge apparaissait à l’horizon, se modifiait dans une gamme de jaune allant du jaune citron au jaune moutarde, faisait son périple dans le ciel, puis se couchait « Et c’est comme ça depuis des siècles ! » pensa-t-il. Allongé dans l’herbe, il observait le mouvement des nuages, suivait la progression des ombres projetées sur les champs. La cime des arbres s’éclairait de mille nuances rougeâtres, dans le lointain, les vitres des maisons projetaient des éclats aveuglants.

Il lui arrivait de marcher la nuit, à l’instant où le cœur des forêts s’assombrissait dans un silence inquiétant et il marchait, marchait encore, jusque dans le brouillard humide du matin, s’amusait d’un écureuil qui sautait de branche en branche. Il marchait, marchait toujours dans les plaines qui s’étiraient jusqu’à l’infini, là où la terre et le ciel semblaient se rejoindre. En fredonnant la chanson que chantait son père, il contourna les étendues marécageuses, enjambant les ruisseaux qui couraient entre les herbes hautes :

« Mes frères m’ont oublié, je suis tombé, je suis malade.

Si vous n’me cueillez point quelle balade.

Je me ferai plus tendre et soumis, je vous le jure.

Monsieur, je vous en prie, délivrez-moi de ma torture. »

Les cheminées de Pesnes se profilèrent enfin au-delà des coteaux de Gray. Peu à peu, l’hématome de ses jambes régressa du violet au jaune, les élancements disparurent et Hercule retrouva son assurance. Sa marche entre Toul et Neuf Le Château avait été transformée en un combat contre lui-même qui l’avait usé, son corps lui avait imposé des douleurs et des souffrances au-delà de ce qu’il pouvait supporter… Aussi, tous les matins, il pratiquait maintenant des étirements, faisait une halte toutes les deux heures, buvait l’eau fraîche des fontaines. À l’aide de son guide touristique, il se familiarisait avec les plantes, les baies comestibles, les asperges sauvages, les décoctions médicinales. Il réalisa que toutes ces richesses naturelles poussaient à ses pieds.

Pour indiquer sa position géographique, il envoyait régulièrement des cartes postales à Marinette, à Edouard et aussi à la comptable du garage de Dario.

À Lons-le-Saunier, il inclina la tête et fit une génuflexion devant une sculpture, pensant saluer un saint, mais il réalisa ensuite que c’était la statue en bronze de Rouget de L’Isle, enfant du pays et compositeur de la Marseillaise. Il acheta pour Edouard un buste de chèvre… ou de bouc… taillé dans du bois de buis et pour Marinette, un petit bracelet de perles colorées.

À la croisée de deux chemins, il arriva devant un calvaire de pierre surmonté d’une croix rouillée. Il pensa aux centaines de pèlerins, bergers et promeneurs, se signant devant le crucifix, aux confessions de brigands aux pensées malsaines, aux remerciements pour miracles, ou à la simple prière d’un chrétien comme lui. Il s’agenouilla dans l’herbe qui entourait l’édicule et demanda à voix basse un soutien pour la poursuite de sa marche « Que Saint Christophe me donne le courage d’aller jusqu’au bout et me pardonne de ne pas m’être opposé à la détermination de mon frère. »

Puis il dépassa un groupe d’ouvriers, des dames patronnesses avec leur chien, des étudiants, une femme enceinte, des marcheurs comme lui, des amoureux. Il rencontra un prêtre hindou, directeur d’école en sandales de cordes, un orphelin qui cherchait une marraine, un ancien spahi arabe cavalier de l’épopée Africaine, un moine défroqué buveur de bières, un sportif marathonien, un Suisse éleveur de colombes. Il sacrifia une matinée avec une clocharde de Poncin vivant sous un pont, renseigna deux cyclistes qui avaient perdu leur chemin, ainsi qu’une veuve de cinq enfants qui, elle, avait perdu son mari. Hercule sut qu’elle avait aussi tout perdu en jouant au casino. Il fit un bout de route avec ces étrangers. Tout en étant attentif à leurs propos, il les écoutait et se gardait bien de porter un jugement sur chacun. Au fil des jours, les lieux et les genres commençaient à se mélanger, il avait des difficultés à se souvenir… si le moine était éleveur de colombes…, si le Suisse était chaussé de sandales de cordes… ou s’il recherchait sa marraine… si le spahi était éleveur de chameaux… Tous ces détails n’avaient plus d’importance, c’étaient ces particularités qui le touchaient et aussi l’isolement que cela provoquait. La terre était peuplée de gens qui avançaient en posant un pied devant l’autre, leurs vies semblaient banales, simplement parce que leurs existences étaient ainsi depuis des années. Dorénavant, Hercule ne pouvait plus croiser un anonyme sans admettre que tous étaient identiques, mais que chacun était singulier, c’était cela les contradictions de l’humanité.

Il avançait à un rythme soutenu, comme s’il avait marché toute sa vie… avec un troupeau de chèvres…

Au téléphone, Marinette lui annonça qu’elle avait quitté la chambre d’amis, pour « migrer » dans la plus grande, celle des parents. Il savait que son père Edouard avait passé plusieurs années à dormir seul. Il fut surpris et content que sa mère réintègre cette pièce, car c’était la plus lumineuse et la plus agréable, avec une large vue sur la vallée en contrebas. Cela voulait dire qu’elle avait aussi déménagé les vêtements d’Edouard. Hercule pensait à toutes les fois, où il avait entendu la nuit les pas de son père sur le parquet, les grincements de la poignée de la porte qui restait fermée. Il savait que sa mère avait posé un fossé infranchissable entre elle et son père. Souvent, il avait surpris Edouard caressant la porte comme s’il s’agissait de la peau de Marinette.

La voix de sa mère rompit le silence :

— Tu sais Hercule, j’ai souvent pensé à la rencontre avec ton père.

— Ah !

— C’était dans un bal à Vence, il avait écarté une boucle de mes cheveux et m’avait murmuré quelques mots… nous avions ri.

Il fronça les sourcils et se demanda pourquoi elle lui racontait ça ! Il se souvint de sa mère quelques années auparavant, si belle, si éclatante, tous les hommes du village la regardaient. Il avait du mal à imaginer son père en danseur-séducteur, faisant rire sa mère au point de la charmer. Il se demanda même si elle ne le confondait pas avec un autre homme !

— Bon, je vais te laisser, tu dois être fatigué, tu dois avoir froid, tu manges à ta faim ?

Elle avait adopté la voix avec laquelle elle avait parlé au jeune médecin, une petite voix mielleuse, pour ne pas l’importuner, puis elle rajouta :

— Je regrette que tu ne m’écrives pas plus souvent…

Puis elle raccrocha.

Durant une partie de la journée, Marinette eut l’esprit occupé par Edouard et la manière dont cela s’était passé au début de leur mariage, à leur sortie du dimanche et au cinéma itinérant, où elle avait vu pour la première fois « Barrabas », un film muet en noir et blanc. Ce jour-là, « À la Marine » dans un café-restaurant sur le port de Golfe-Juan, Edouard n’avait jamais vu quelqu’un mâcher avec autant de délicatesse. Marinette tranchait les morceaux de poulpe en petites portions avant de les porter à sa bouche. Pendant cette période, il avait doublé, triplé les emplois, afin d’épargner quelques francs pour leur avenir. Dans la journée, il gardait les chèvres, trois fois par semaine il était veilleur de nuit dans un asile de fous et le samedi, il découpait des carcasses chez un boucher de Vence. Il était si fatigué, que parfois, Marinette le trouvait endormi dans la grange entre deux bottes de paille. Aux beaux jours, ils prenaient ensemble l’autobus de Coursegoules et ils restaient jusqu’au terminus de Nice. Edouard choisissait les places assises et veillait qu’elles soient dans le sens de la marche. Il n’avait d’yeux que pour elle. Sa petite robe à fleurs, un peu décolletée, dévoilait sur sa poitrine quelques taches de rousseur sur une peau légèrement hâlée. Elle venait à la boucherie le samedi, demandait au patron quelques conseils sur la cuisson des abats. Quand elle sortait du commerce, il regardait du coin de l’œil les hanches ondulantes de sa femme. Ce matin-là, troublé sous l’effet du désir, ou perturbé par son déficit de sommeil, Edouard laissa un bout de doigt sur la planche à découper.

Leur mariage avait été simple et sans éclat, avec quelques participants qu’Edouard ne connaissait pas, il avait invité son père qui n’était pas venu. Pendant la nuit de noce, il s’était retrouvé en tête-à-tête avec sa jeune épouse, dans la grande chambre, il avait posé son regard sur elle et l’avait regardé se dévêtir. Méthodiquement, lentement, elle avait dégrafé son boléro de satin, dénoué la ceinture de sa jupe. Tout en desserrant sa cravate et en ôtant sa chemise aux manches trop longues, offerte par un apprenti boucher, il avait eu un désir irrésistible de la caresser, de l’étreindre et en même temps, il appréhendait l’instant où il allait avec elle se glisser sous les draps. Il porta à nouveau son regard vers Marinette assise au bord du lit, vêtue d’une simple culotte, les aréoles de ses seins formaient deux petites fleurs sur sa poitrine. Elle était si jolie, si désirable qu’il avait filé dans le cabinet de toilette.

— Edouard ! Je ne te plais pas ? avait-elle murmuré derrière la porte, au bout de dix minutes.

— Non ! Non ! J’ai juste eu une fuite !

Cela lui faisait de la peine de penser à ce genre de situation, alors qu’il était désormais sur son lit de souffrance. Marinette ferma plusieurs fois les yeux pour repousser ces instants, mais ils revenaient sans cesse.

Pendant qu’Hercule traversait les hameaux, les villages, marchait le long des routes et des sentiers qui le conduisaient vers son père, Marinette prenait conscience des bouleversements de sa vie et revoyait les séquences de ces périodes, telle une spectatrice distante des événements. Elle réalisait ses méprises, ses absurdités, ses mauvaises décisions, mais elle était cependant incapable d’y apporter un remède. Elle se revoyait en train de décrocher le combiné du téléphone et d’apprendre le décès de son père à Edouard, trois mois après celui de sa mère. Elle avait pris son mari dans les bras et ils avaient sangloté ensemble.

— Nous ne sommes plus que nous deux, lui avait-elle murmuré à l’oreille.

Il avait délicatement caressé le ventre arrondi de sa femme.

— Je prendrai soin de toi toute ma vie, affirma Edouard.

Il ne souhaitait rien d’autre que de rendre Marinette heureuse. À cette période, elle le croyait vraiment, elle pensait qu’Edouard était tout ce à quoi elle aspirait, elle était incapable de deviner à l’époque… Mais maintenant, elle venait de comprendre que l’enfant qu’elle attendait avait été la véritable épreuve et l’origine de ses malheurs. Ce jour-là, elle se demanda si elle allait passer le reste de sa vie seule, dans un lit froid, dans la plus grande chambre, celle qui donnait sur la vallée.

Plus il avançait vers le sud, plus ses pas étaient assurés, il n’avait pas à penser à ses pieds, ils touchaient le sol, l’un après l’autre. Aller de l’avant était le prolongement de ses convictions, de pouvoir maintenir Edouard en vie, son endurance contribuerait au succès de son projet. Il avait la capacité d’attaquer les raidillons des chemins sans effort, ce qui confirmait sa bonne condition physique. Certains jours, il était plus attentif à son environnement et il tentait de trouver les mots justes pour retracer chaque renouvellement. Il lui arrivait parfois que son parcours s’entremêle un peu dans sa mémoire, comme les personnages qu’il avait rencontrés. Il y avait aussi des jours où il avait des pertes de lucidité et il ne percevait plus sa propre existence. Il ne songeait plus à rien, il y avait comme un vide dans son cerveau, un vide en rapport avec l’expression verbale. Il vivait naïvement, modestement…

Il percevait la brûlure du soleil sur ses épaules tandis qu’il suivait les circonvolutions maîtrisées d’un rapace, pendant que ses talons écrasaient l’herbe du chemin à un rythme régulier, droite gauche, droite gauche, ainsi de suite… Dès que la lumière déclinait, que les contours des forêts, des routes se diluaient dans une brune naissante, Hercule s’efforçait de trouver un hébergement modeste, mais son monde intérieur paraissait exiger une frontière entre lui et son désir. Il ressentait la nécessité profonde d’abandonner une partie de son esprit à l’extérieur.

Les dessus-de-lit assortis aux cousins, les tentures, les tapis, les cadres dorés, les serviettes parfumées, tout ce décor était devenu inutile, dépourvu d’intérêt. Il s’empressait d’aérer la chambre en ouvrant la fenêtre afin de respirer, de humer les senteurs de la campagne, de contempler le ciel, les nuages, les étoiles. Souvent, il restait éveillé une partie de la nuit, perturbé par les cris de sa mère. Dans les instants d’endormissement, il rêvait que son corps se transportait au-dessus du lit, puis retombait. À l’aube, accoudé à la fenêtre, alors que l’astre lumineux terminait son périple, il imaginait la silhouette de son frère, pris au piège dans le croissant de lune. Au petit matin, quand l’auberge dormait encore, il laissait quelques Francs dans une assiette près du comptoir et partait.

Il marchait, marchait dans les premières lueurs, fasciné par les premiers rayons rougissants. Puis le ciel, peu à peu, se modifiait dans une clarté limpide, comme si c’était un acte différent, un changement de décor d’une pièce de théâtre. Il aurait aimé raconter ces instants à Emma.

La date, les conditions dans lesquelles il arriverait à Vallauris n’étaient pas une obsession, il savait qu’Edouard l’attendait, c’était aussi évident que le rythme des saisons. Une bouffée de bien-être l’envahit à l’idée de retrouver son père, assis sur une chaise près d’une fenêtre. Il avait des tas de choses à lui raconter, des choses de son enfance, le jour où ils avaient été ensemble se baigner dans les cascades du « Saut du Loup » le froid de l’eau lui avait bleui les lèvres et rougi le nez. Son père lui avait dit :

— Mon fils, tu es maquillé comme un clown. Et ils avaient ri ensemble.

Cela avait été des instants inoubliables, ils avaient scellé ce jour-là, un vrai rapprochement dans la manière de communiquer entre eux. Edouard lui avait appris à confectionner un cerf-volant avec des roseaux et du papier journal, à poser des collets pour attraper des lièvres, à fabriquer un lance-pierres avec une branche d’olivier. Il lui parlait avec simplicité des souvenirs de son passé, de la vie des aïeuls. Un matin, alors qu’ils étaient assis sur un muret bordant le sentier, Edouard l’esprit farceur lui lança :

— Pourquoi les gorilles ont de grosses narines ?

Hercule tourna la tête vers son père, à la fois surpris et dubitatif.

— Aucune idée !

— Parce qu’ils ont de gros doigts !

Hercule plaqua une main sur sa bouche, ses joues gonflées venaient de virer au rouge vermillon.

— Mon grand-père adorait cette devinette, sans queue, ni tête ! ajouta Edouard fier de sa boutade.

Puis ils avaient été pris tous deux d’un tel fou rire, qu’ils avaient failli basculer dans le champ en contrebas du sentier. Ce soir-là, devant une soupe au pistou, il avait raconté la blague à Marinette. Maurice, son jeune frère, les avait fixés du regard, impassible, paraissant étranger à ce type d’humour.

Marinette parlait souvent de Maurice, s’interrogeant sur son drôle de comportement. Comme elle n’avait ni frère, ni sœur, ni neveu, ni nièce, elle suivait avec encore plus d’intérêt l’évolution de son fils cadet à la faculté de Nice. Comment trouvait-il la ville ? Avait-il beaucoup d’amis ? Profitait-il des bains de mer ? Edouard rétorquait que leur fils traversait une période formidable, même si, en réalité, Maurice répondait rarement aux lettres et aux sollicitudes de sa mère. Il n’évoquait jamais non plus ses rencontres amicales et encore moins d’éventuelles baignades. Hercule cacha à Marinette les bouteilles de farigoule, de liqueur de génépi, de Pastis, qu’il avait découvert après les vacances de Noël, dans un coin de la bergerie, ainsi qu’une enveloppe contenant du papier à rouler et des herbes séchées dont il ignorait l’origine. Il n’en avait jamais parlé à personne, même pas à Edouard. Il avait discrètement placé l’ensemble de sa trouvaille dans un sac et avait balancé le tout dans une poubelle du garage de Dario. Un jour, qu’il se trouvait seul avec son frère, il lui révéla sa découverte.

Maurice lui avait répondu sèchement :

— Tu m’emmerdes ! Surtout, n’en parle jamais à personne. C’est ce qui me permet de survivre.

Chapitre 2

Une sale affaire

Hercule se remémorait les moments passés avec la comptable du garage de Dario. Ni l’un ni l’autre ne se mêlaient aux mécanos. Emma se souvenait-elle de la femme de ménage italienne qui prétendait être enceinte de monsieur Dario ? Celle-ci avait subitement disparu. D’après les bruits qui avaient couru, le patron avait organisé son avortement, mais il avait eu de gros problèmes. Un autre jour, un jeune apprenti avait tellement bu, qu’on l’avait retrouvé un matin, en slip, attaché aux grilles du garage. Dario l’avait menacé de lâcher deux énormes molosses sur lui et nous l’entendîmes rire aux éclats, en disant :

— C’est une blague !

Le garçon avait jeté un cri, un liquide jaune, sorti de son caleçon, avait coulé sur sa cuisse. En y songeant, Hercule éprouvait un sentiment de dégoût et d’indignation devant une telle abjection. Maurice avait vu juste à propos de Dario, c’était Emma qui avait fait preuve de sang-froid. Hercule la revoyait sourire, comme elle le faisait souvent, même si, les instants les plus enchantés s’étaient assombris.

Ils percevaient d’autres paroles du patron :

— Il s’est produit un incident au garage ! C’était pendant la nuit !

Hercule vit Emma chanceler, ou c’était peut-être lui ? Il avait failli s’écrouler et il s’était retrouvé avec la main d’Emma agrippée à la manche de son blouson. Elle ne l’avait plus touché, depuis la gênante histoire du dépôt. Ses yeux éteints sur son visage blême traduisaient une terrible douleur.

— Tu entends Hercule ! Parce que c’est grave, le patron ne fera pas de cadeaux !

C’est la dernière fois qu’il vit Emma au garage. Il savait qu’elle avait deviné la vérité et il s’interrogeait sur la raison de cette injustice. Pourquoi avait-elle été accusée à sa place ? Et comprenait-elle vraiment qu’il regrettait ce qu’il avait provoqué ? Et une nouvelle fois, il s’interrogea sur la raison pour laquelle, durant toutes ces années, Emma n’était pas passée à la ferme pour donner de ses nouvelles.

Sous l’effet de ce bouillonnement de pensées, il secoua la tête de bas en haut et poursuivit sa marche…

Emma avait été licenciée sans délai, les injures de Dario avaient été perçues d’un bout à l’autre du garage. Un témoin avait rapporté qu’il avait lancé un presse-papier à la tête d’Emma ! Ou un cendrier ? Et même qu’il avait loupé sa cible ! Plus tard, le chef d’atelier avait répété que monsieur Dario n’avait jamais apprécié cette femme. Il affirma aussi qu’Emma avait résisté aux harcèlements du patron. Il n’avait pas vraiment entendu les paroles, car la porte du bureau était fermée, mais d’après les vociférations on discernait le sens des phrases, du genre :

— Que d’histoire ! Je voulais juste lui faire plaisir ! Si cette femelle avait été un mâle, je lui aurais envoyé mon poing dans la figure !

Un des ouvriers confia même que Dario avait des relations avec la pègre niçoise et qu’ils organisaient un trafic de femmes avec l’Afrique du Nord.

Ce matin-là, Hercule était au bistrot, il eut un haut-le-cœur et prit un café sans sucre qu’il avala d’une seule gorgée. À cette évocation, il se courba légèrement, il s’était comporté avec une absence totale de loyauté, de dignité, mais maintenant il tentait de réparer sa lâcheté.

La ville de Le Pont-de-Beauvaisin, avec sa tour-clocher en coupole, se profilait à l’horizon. Accrochées au bord de la rivière, les petites maisons aux façades de pierres blanches rougeoyaient dans les premières lueurs de l’aube.

Il faisait déjà chaud, ce matin-là.

— Hercule ! Hercule ! Sauve-moi, viens à mon secours !

Étonné, il regarda derrière lui, convaincu qu’une personne l’appelait. Il lui sembla reconnaître la voix de son frère Maurice, mais mis à part une charrette qui passait dans un grincement d’essieux, la route était déserte.

Chapitre 3

Hercule et l’écrivain star

Hercule ne souhaitait pas flâner à Pont-de-Beauvaisin, son passage à Poncin lui avait appris que les villes émoussaient sa volonté de poursuivre son objectif. Toutefois, il devenait indispensable de faire réparer l’un de ses godillots. Il ne trouva qu’un bourrelier à défaut d’un cordonnier, malheureusement l’atelier était « Fermé momentanément pour cause de famille ». En espérant une ouverture de la boutique avant midi, il décida d’offrir un autre cadeau à Marinette et à son père.

À la porte du monastère, le soleil était si fort qu’il se confectionna un chapeau napoléonien avec un vieux journal.

— Pouvez-vous respecter l’alignement de la file s’il vous plaît !

Regardant derrière lui, il venait de s’apercevoir qu’il se trouvait parmi une classe d’adolescents agités et bruyants, accoutrés de sacs à dos et de casquettes de toile. Leur professeur, une jeune femme, à peine âgée de vingt-cinq ans, avait un visage rond piqué de taches de rousseur. Elle s’exprimait d’une voix doucereuse. Hercule était sur le point de lui expliquer qu’il était là par hasard et qu’il n’avait pas l’intention de visiter l’édifice religieux, quand elle lui révéla que c’était sa première sortie en qualité d’éducatrice.

— Pas l’un d’entre eux n’écoute vraiment mes explications, murmura-t-elle…

Sa manière de parler était si ressemblante à la voix d’Emma, qu’Hercule fut stupéfait. Visiblement, elle semblait émue, troublée par la responsabilité du groupe d’élèves qu’elle avait du mal à maîtriser. Hercule tenta de se placer près de la sortie, puis se faufila dans une autre classe qui finissait la visite. Mais à chaque initiative qu’il prenait pour s’éloigner, il se rappelait la comptable du garage de Dario dans son tailleur gris souris ou souris grise, suivant la couleur du ciel. Il n’arrivait pas à perdre des yeux la jeune femme… Aussi une heure plus tard, avec le professeur et le groupe d’élèves, ils terminèrent la visite en achetant des cartes postales. Hercule avait aimé les commentaires sur les fonctions du cloître et s’était extasié devant la galerie ouverte donnant sur un jardin intérieur. Après lui avoir dit « que les moines étaient des gens réellement astucieux », la guide se pinça légèrement le nez comme si elle avait perçu une mauvaise odeur, puis évoqua un lavoir médiéval à proximité de bains publics. Quelques instants plus tard, chagriné, contrarié, Hercule entra dans l’établissement qui sentait le chlore. Pourtant il avait pris soin de rester propre, mais les manches et le col de sa chemise étaient usés, et ses cheveux gras collaient sur son crâne. C’est après avoir acheté un ticket d’entrée qu’il réalisa qu’il n’avait pas de slip de rechange. La guichetière lui indiqua une boutique proche où il pourrait trouver ce genre d’article pour homme. Le temps qu’Hercule sorte du magasin, un slip neuf sous le bras, une foule compacte s’était amassée sur le trottoir et il se retrouva aplati contre la stèle du monument aux morts.

Proche de lui, le visage écarlate, transpirante, une femme lui commenta les raisons de cet attroupement :

— On attend un écrivain célèbre ! Puis elle poursuivit :

— Il dédicace son dernier roman, s’il me regarde, je sens que je vais défaillir !