La vie amoureuse de Pierre de Ronsard - Pierre de Nolhac - E-Book

La vie amoureuse de Pierre de Ronsard E-Book

Pierre de Nolhac

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Beschreibung

Les Amours de Cassandre est un recueil de poèmes de Pierre de Ronsard paru en 1552 et traitant de son éphémère liaison avec une jeunesse inspiratrice de quatorze ans ans, lointaine parente de la famille de Médicis. Succéderont à ce recueil Les Amours de Marie (1555), ainsi que Sonnets pour Hélène (1578). Pierre de Nolhac, en choisissant de s'arrêter sur les figures féminines qui parsèment l'oeuvre et la vie de Ronsard, choisit d'éclairer la production poétique de Ronsard d'un jour nouveau. Elles se nomment Cassandre Salviati; Marie l'Angevine; Dame Genèvre; ou encore Hélène de Surgères. Elle furent la source d'inspiration poétique et les muses de Ronsard. L'ouvrage se conclut sur un Sonnet pour Hélène.

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Seitenzahl: 117

Veröffentlichungsjahr: 2020

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Table des matières

Introduction

 – Cassandre Salviati

 – Marie l’Angevine

 – Dame Genèvre

 – À la cour des Valois

 – Hélène de Surgères

Épilogue

Sonnet pour Hélène

Introduction

Pierre de Ronsard compte dans la littérature universelle parmi les grands poètes de l’amour. Cette gloire assurément ne l’eût point contenté et il en mérite, en effet, une plus large. N’est-il pas le rénovateur de la poésie française et de presque tout le lyrisme européen ? Dans sa vie même, l’amour n’a pris place qu’après l’amitié et après l’amour de son art, qui chez lui, comme chez les grands créateurs, emporte tout.

On peut cependant isoler l’amoureux dans l’écrivain et le raconter avec vraisemblance. La difficulté vient de ce que l'information tout entière se tire d’une oeuvre lyrique. Quand un poète transpose ses confidences en oeuvre d’art, il n’est pas tenu d’être sincère. Son métier justifie, ou même exige des altérations. Il impose alors à l’historien une tâche décevante. Au moins faut-il que l’interprétation psychologique se vérifie sans cesse par la critique du témoignage, l’étude des premières éditions, la connaissance exacte des milieux.

Ai-je besoin de dire que, si j’ai interrogé surtout Ronsard lui-même, je n’ai rien voulu ignorer de ce qu’ont écrit ses biographes ? Je ne pouvais citer leurs livres, non plus que les miens, dans un petit ouvrage déjà surchargé des textes du poète. Les « ronsardisants » avertis reconnaîtront aisément pour chaque page les sources qui l’autorisent.

Et, si parfois manque à ces récits la précision qu’on peut atteindre pour des temps moins éloignés de nous, ce défaut sera compensé par la qualité des documents, où passent çà et là quelques-uns des plus beaux vers de notre langue.

I. – Cassandre Salviati

C’est un beau printemps des bords de Loire.

Pour récréer la duchesse d’Étampes et Madame la dauphine Catherine, le Roi François Ier mène la cour en ses plus belles maisons. Il a quitté Romorantin pour Blois et, dès le jour de l’arrivée, la noblesse de la ville et des environs est conviée au château. Le Valois vieillissant aime la musique, la jeunesse, les danses. Dans la grand-salle aux poutrelles peintes, violes et luths sont accordés ; la cour s’est assise en cercle et « cent demoiselles », des meilleures maisons, nouent et dénouent dans le rond les figures d’un ballet. Debout derrière les dames, les pages les contemplent de tous leurs yeux.

Fête d’usage, qui ressemble à tant d’autres, réunion de vanité et de galanterie, où peut commencer l’anecdote tragique à la Brantôme aussi bien que la banale aventure ; fête merveilleuse ce soir-là, et digne d’être rêvée, car un grand amour de poète y naît d’un regard.

Dans le groupe des écuyers, tous gaillards et dispos gentilshommes, un cadet de vingt ans a vu se lever, du milieu des jeunes filles, une enfant brune et rieuse. Elle chante, le luth sous les doigts, un branle de Bourgogne. C’est une de ces vieilles chansons qui expriment dans nos provinces les sentiments délicats du peuple de France ; la fraîche voix « découpe doucement » la mélodie, tantôt par un sourire, tantôt par une plainte légère. Ce doux timbre, ces gestes menus, ces beaux yeux sombres sous les longs cils, ce visage encadré de boucles aux reflets d’or, « front de rose, gorge de lait, teint de neige », tout s’accorde à la candeur d’une jeunesse divine… Ainsi fut pris, pour la première fois, le coeur de Pierre de Ronsard.

Elle avait quinze ans, et se nommait Cassandre Salviati. Le jeune homme sut bientôt d’où venait cette beauté inattendue, qui la distinguait de ses compagnes de Blésois et de Touraine. Elle n’était française qu’à demi. Le père appartenait à une illustre famille florentine, alliée aux Médicis, qui avait donné au Lys rouge douze gonfaloniers, et trois cardinaux à l’Église romaine. Sous le feu Roi, Bernardo Salviati était venu en France pour faire, comme tant d’autres de ses compatriotes, le commerce de l’argent. Il y avait pris femme, élevé deux fils et deux filles, et sa fortune avait prospéré puisqu’il fut des premiers banquiers qui aidèrent le Roi François à son retour de captivité.

En son château seigneurial de Talcy, qui existe encore proche de Blois, avait grandi la jolie Cassandre. La jeune fille, mêlant dans ses veines le sang de deux races, laissait l’imagination d’un poète vendômois errer vers cette Florence d’où vint Pétrarque, et chanter en lui le parler toscan, que ses lèvres d’enfant avaient balbutié en même temps que le latin de Virgile.

La rencontre de Blois est du 21 avril 1545. Ronsard approcha-t-il Cassandre dès ce premier jour ? Sut-il user d’une alliance de famille, qui la faisait, par leurs mères, sa parente à un degré lointain ? Fut-il introduit à Talcy par son cousin germain Jacques de Cintré, dont le château avoisinait celui des Salviati ? Les faits sont livrés ici à la conjecture, et les sentiments eux-mêmes doivent être devinés.

Les deux jeunes gens, du moins, vinrent à parler ; le poète l’a dit assez clairement, des années plus tard, dans les vers qui rappelèrent à la maturité d’une belle Cassandre « la grâce enfantine » qui fut son sortilège :

Toujours me souvenait de cette heure première,

Où jeune je perdis mes yeux en ta lumière,

Et des propos qu’un soir nous eûmes devisant…

Des paroles gracieuses et diverses s’échangèrent entre le jeune homme et l’adolescente. Est-il difficile de les supposer ? Tel qu’on connaît le futur poète, que sa vie de page voyageur n’a point détaché des tableaux de son enfance, on est sûr qu’il a entretenu la jeune fille de son pays natal tant chéri. Il en a décrit la forêt immense, Gastine « aux ombrages verts », qui a si souvent absorbé sa rêverie lorsqu’il guettait dans les taillis l’apparition des sylvains et des nymphes amoureuses ; il a dit, sans doute, les grottes des bords du Loir, et la fontaine Bellerie, dont il adorait la naïade, et le chant des bergers écoutés au long du jour, en ces grasses prairies où les « fantastiques fées » venaient danser pour lui seul sous les voiles du soir.

Devant l’enfant émerveillée d’un discours si rare, sa pensée à lui envisage la vie qu’il aimerait mener dans ce Vendômois heureux. Comme il quitterait volontiers, pour y habiter, les puissants maîtres qu’il a servis, les cours qu’il a dû suivre en Dauphiné, en Écosse, en Flandre, et tous ces palais « aux soliveaux dorés », qui n’abritent point le bonheur ! Il voudrait vieillir chez les siens, auprès d’une femme qui aurait ses goûts simples et un pareil amour de la vie champêtre. Et précisément Cassandre, à qui est promise cette existence, rêve du même « ermitage », aime à cueillir les mêmes fleurs des champs, s’intéresse comme lui aux bons paysans de son village, souhaite comme lui « gagner les coeurs de la troupe rustique. »

Devis innocents où se jouent la déclaration voilée de l’amoureux timide et la réponse malicieuse qui l’invite à croire qu’il est compris. Plus tard, dans cette causerie d’enfants, il voudra se rappeler une sorte d’engagement que Cassandre n’aurait pas tenu :

N’avais-tu pas promis qu’alors que les saisons

Feraient nos fronts ridés et nos cheveux grisons,

Qu’éloignés du vulgaire irions par les vallées,

Par les monts, par les bois, par les eaux reculées,

Herbes, plantes et fleurs et racines cueillir ?...

Ces « propos d’un soir » n’empêchèrent point la fille de Salviati de se marier l’année suivante. Ils eurent pour elle l’attrait d’une heure, alors qu’ils allaient être pour Pierre le rêve de toute la vie.

C’est un bon viatique pour un écolier que la mémoire d’une telle rencontre. L’écuyer de la cour rentrait à Paris, sollicité par les devoirs intellectuels qu’il s’était imposés, et par une passion assez forte pour atténuer toutes les autres, celles des Muses. Mais il emportait en lui une image délicieuse, rayonnante et toute pure, qui apparaissait à sa volonté dans le secret de son coeur, pour le sauver des entraînements du vice et du mépris de l’amour, en même temps qu’elle donnait tout leur sens à la lecture des poètes et à ses propres inspirations. Chacun de ses amis sans doute croyait posséder, également belle et parfaite, la dame de ses pensées ; seule pourtant son aventure fut incomparable, parce qu’il était d’eux tous le plus grand.

L’Université de Paris, la montagne Sainte-Geneviève, la maison studieuse où Jean Dorat enseigne les humanités au fils de l’ambassadeur Baïf, le collège de Coqueret, où ce maître sans rival enflamme pour le grec d’autres disciples, ces lieux sacrés de l’étude et du travail dédiés aux Muses helléniques, Ronsard les a célébrés dans un enthousiasme si fervent qu’on y doit chercher les plus fortes impressions de sa vie. Cinq années de recueillement et d’acharné labeur sont acceptées par lui avec allégresse pour son noviciat de poète. Aucune profonde joie intellectuelle ne s’acquiert sans un dur effort ; en recueillant les fruits du sien, c’est nous aussi qu’il récompense.

Pour la première fois, l’Antiquité complètement révélée vivifie les intelligences françaises ; et cette révélation illumine l’âme d’un poète de génie, qui rêve d’en tirer la rénovation de la poésie. C’est, pendant toute une carrière, l’ouvrage où s’absorbe sa pensée et qu’il a la gloire de réussir.

L’ambition des jeunes lettrés qui d’abord le suivent, est de créer pour la France des oeuvres égales en beauté à celles des Anciens, qu’il s’agit de comprendre, d’imiter, de transposer en notre langue « encore dans l’enfance », en luttant sans relâche contre « l’ignorance du vulgaire ». Le public est toujours lent à se détacher des vieilles habitudes d’un art périmé : il faut, pour l’y forcer, la foi de la jeunesse et son goût de la bataille. Ces vaillants combats à coups de beaux livres, ces généreuses amitiés de la « Brigade », sont toute l’histoire de ce printemps de notre lyrisme, dont la floraison fut si féconde que nous en goûtons encore, après quatre siècles, les fruits savoureux.

Dès le recueil Odes de 1550, qui fit Ronsard chef d’école, et bientôt de la seule école, les poètes voient apparaître et saluent comme un symbole le nom singulier de Cassandre. Chacun d’eux est muni de sa maîtresse littéraire : Du Bellay célèbre son Olive, Baïf sa Francine, Olivier de Magny sa Castianire, Tahureau son Admirée, et le bon Pontus de Tyard, qui est d’église, chante aussi sa platonicienne Pasithée. Ce sont les noms de fantaisie, choisis par des pédants pleins de gentillesse, pour de froides amours de tête ou pour de chaudes gaillardises. On les adopte surtout par commodité poétique ou pour raisons de rime et de sonorité. Pierre n’agit pas autrement que ses amis, mais le très noble vocable, qu’il a l’air d’emprunter à l’antiquité et de tenir d’Homère lui-même, cache un secret qui n’est qu’à lui seul.

Il l’oublie à ses heures de débauche, quand il « cauponise » avec les amis aux tavernes « inclytes » de l’Université. Comment mener le cher visage aux beuveries de la Pomme-de-Pin ? Comment évoquer les atours de la petite châtelaine entre la jupe sale de Cathau la rousse et les cottes rouges de Margot ? Mais aux parties de campagne de la Brigade, aux repas « folastrissimes » sur le gazon d’Arcueil, parmi les bouteilles vidées en l’honneur des dames, quand chaque rimeur jette au vent le nom poétique de son « aimée », le chef fait acclamer par la compagnie celui de tous qui sonne le mieux :

Neuf fois, au nom de Cassandre,

Je vais prendre

Neuf fois du vin du flacon,

Afin de neuf fois le boire

En mémoire

Des neuf lettres de son nom !

Cependant, en ces premiers essais de sa verve lyrique, comme la confidence est confuse ! Des odelettes souvent fort libres, adressées à une Cassandre fictive, chantant le goût de ses baisers et l’attente de ses caresses, ne sont que des imitations d’Horace et de Catulle, ou de l’aimable Jean Second, qui les fit revivre tous deux en ces temps nouveaux. Elles attestent la virtuosité d’un humaniste qui se souvient d’avoir écrit en latin ses premiers vers et n’a pas la moindre intention d’essayer cette poésie que nous appelons « personnelle ». Quelque gracieuse chanson, composée pour les musiciens, met déjà sur les lèvres des femmes le nom de Cassandre : ce nom ne peut rien révéler à personne. Qui s’aviserait de songer à une jeune beauté du pays de Blois, connue du poète ? Lui-même se permettrait-il tant d’indiscrétions érotiques si ce rapprochement était possible ? Il lui suffit de bercer son imagination avec les prestiges d’un souvenir.

Tout change avec le second recueil, celui des Amours. Ne nous y trompons pas cependant : c’est encore et avant tout de la littérature, parce que Ronsard, dès ses débuts, est avant tout un grand homme de lettres. Laissons s’en offenser peut-être de tendres coeurs féminins ; nous, ses fils et ses disciples, devons l’en honorer davantage. Sachons admirer dans les Amours comment un tel initiateur discipline ses sentiments et subordonne à son art les émotions, pourtant sincères, d’une vie profonde.

Le jeune maître s’étant assigné la mission de rénover la poésie tout entière, le moment est venu pour lui de servir la Muse amoureuse. Il s’agit maintenant de s’inspirer de Pétrarque, de Bembo et des autres glorieux modèles d’Italie, afin de transporter chez nous le plus beau de leurs sonnets et de leurs canzones. Mais n’ont-ils pas (au moins le plus grand d’entre eux) interprété des sentiments vrais, interrogé des âmes vivantes, narré leurs peines et leurs joies, utilisé de réels épisodes pour construire ces nobles récits lyriques, où les amoureux de tous pays retrouvent à jamais leur propre aventure ? Ronsard, à son tour, possède un trésor dans lequel il pourra comme eux librement puiser.

La Cassandre fictive va céder la place à celle que la destinée à mise jadis sur son chemin d’écolier. Ses sonnets seront l’hommage d’une dévotion fidèle. Sous des allégories convenues, parmi les réminiscences mythologiques dont un esprit enivré d’érudition ne peut se déprendre, c’est un coeur d’homme qui va palpiter, c’est une énigme de réalité qui s’offrira au déchiffrement du lecteur, et ce sera l’histoire magnifique d’un grand amour.