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En expert et passionné, l'auteur déroule devant nous le grand panorama historique de la naissance de Versailles, depuis la ferme fortifiée des Loménie, près du hameau de Versalias, jusqu'à l'immense demeure de Louis XIV, en perpétuel chantier. La ville elle-même est une création du roi, à son service pour loger les courtisans et les différentes annexes de la gigantesque machine de pouvoir qu'est devenu le Château. Architectes, artisans, artistes, paysagistes, tous les talents sont convoqués ; les constructions, destructions, reconstructions s'enchaînent, au gré du bon vouloir du souverain. Une geste flamboyante. (Édition annotée.)
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Seitenzahl: 474
Veröffentlichungsjahr: 2020
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La création de Versailles
Pierre de Nolhac
Édition annotée
Fait par Mon Autre Librairie
À partir de l’édition Louis Conard, Paris, 1925.
Les notes entre crochets ont été ajoutées pour la présente édition.
https://monautrelibrairie.com
__________
© 2020, Mon Autre Librairie
ISBN : 978-2-491445-70-6
Versailles et la Cour de France
par
Pierre de Nolhac
La création de Versailles
Versailles résidence de Louis XIV
Versailles au xviiie siècle
Trianon
Louis XV et Marie Leczinska
Louis XV et Madame de Pompadour
Marie-Antoinette dauphine
La reine Marie-Antoinette
Madame de Pompadour et la politique
L’art à Versailles
Table des matières
Préface
Introduction
I. – Versailles sous Louis XIII
II. – Les premiers travaux de Louis XIV
III. – Versailles séjour de fêtes
IV. – Les premières descriptions de Versailles
V. – Le château de Le Vau
VI. – L’œuvre de Le Nôtre
VII. – Le Grand Canal
Préface
L’auteur a essayé, pour la première fois, de constituer l’histoire du Château de Versailles d’après les véritables sources. C’est pour les avoir ignorées ou méconnues qu’on a mis en circulation tant d’erreurs et jeté la confusion des lieux, des noms et des dates dans les souvenirs de l’ancien Versailles.
Lorsqu’on lit les mémoires des dix-septième et dix-huitième siècles, tout remplis d’allusions à la topographie de la principale de nos « maisons royales », on aimerait pouvoir replacer dans leur cadre véritable les grandes figures d’autrefois ; on voudrait trouver fixés, par une chronologie sûre et des documents précis, la construction et les remaniements des diverses parties du Château et du Parc ; on a besoin de connaître la destination tant de fois changée des principales salles et la disposition des bosquets les plus célèbres, afin de suivre la vie publique et privée des souverains et de se représenter avec exactitude les scènes du passé. L’historien de Versailles doit fournir ces renseignements et d’autres du même genre, sans accepter les indications vagues ou les suppositions mal établies. Mais ce n’est là qu’une partie de sa tâche, car l’histoire de l’Art lui impose d’autres obligations.
Deux siècles d’art particulièrement féconds, sous les règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, ont embelli sans cesse Versailles et ses dépendances ; les merveilles les plus diverses s’y sont amassées, et le grand nombre qui en subsiste encore est de plus en plus admiré, étudié et reproduit. Sans parler des Jardins, où tant de chefs-d’œuvre sont restés en place, on trouve dans le Château, exécutés pour les maîtres les plus exigeants et par les artistes les plus habiles, les modèles achevés de ces Styles français qui, par une rare et méritée fortune, se sont successivement imposés au goût de l’Europe. Il faut chercher à mettre un nom ou une date authentique sur chacune de ces belles œuvres du marbre, du bois et du bronze, et si l’on y parvient, on aidera à présenter, par des spécimens de premier ordre méthodiquement classés, un musée complet de la décoration en France à l’époque la plus florissante.
Depuis vingt ans bientôt que lui fut confié le gouvernement de cette illustre maison, l’Auteur n’a cessé de réunir les matériaux de son histoire artistique, pendant qu’il évoquait en d’autres livres l’âme de ceux qui l’ont habitée. Tout en s’appliquant à fixer la topographie de Versailles à ses divers moments, au moins sur les points qui importent à la chronique de la Cour de France, il tentait d’établir la part des artistes qui ont travaillé au grand décor et de faire rendre justice à des maîtres oubliés. Mais, si dans cet ouvrage il a plus d’une fois reconstitué l’état ancien des lieux, il s’est attaché de préférence à l’étude des parties bien conservées ; il a même tenu à détacher, au milieu du récit, la monographie de chacune de ces parties, qui sont les plus intéressantes pour le visiteur et naturellement les plus instructives.
La nouveauté principale de ces recherches vient de l’usage qui a été fait des documents officiels de cette grande administration des Bâtiments du Roi, une des mieux réglées de l’ancien régime et qui rendit à l’art national tant de services. Nos sources, dont la plupart n’étaient point explorées, se présentent chronologiquement dans l’ordre suivant : les rapports inédits adressés à Colbert sur les premiers travaux de Louis XIV, faisant partie de la correspondance générale du ministre à la Bibliothèque nationale, les Comptes des Bâtiments, dont la suite régulière commence avec l’année 1664 et se poursuit sans interruption jusqu’aux approches de la Révolution, le choix des lettres et instructions de Colbert, édité par P. Clément et comprenant les rapports à Louis XIV conservés aux Archives du château de Dampierre, les minutes de Louvois, classées dans les Archives historiques du Ministère de la Guerre, le registre des ordres du Roi tenu par Mansart comme Surintendant et encore inédit aux Archives Nationales, enfin les plans, devis, mémoires et correspondances des Bâtiments du Roi.
Ces dernières séries de documents, qui occupent des centaines de cartons aux archives Nationales, ne sont malheureusement très complètes et un peu ordonnées que pour le règne de Louis XV et l’administration de Tournehem et de Marigny ; mais la belle publication, due à M. Jules Guiffrey, de l’ensemble des Comptes des Bâtiments sous le règne de Louis XIV, permet de suivre dans les moindres détails les travaux de construction et d’art pour cette période. L’exactitude et la conscience du savant éditeur ont servi si utilement à l’œuvre présente qu’on lui doit, à tous égards, une mention particulière de reconnaissance.
Les dessins anciens sont des documents de premier ordre en de telles études. Ceux qui regardent Versailles se trouvaient, on peut le dire, tout à fait ignorés, et l’importante série que l’Auteur a pu étudier a aidé à renouveler plusieurs points notables de son sujet. Nous n’avons plus les projets rassemblés par Charles Perrault, qu’à détruits l’incendie de la Bibliothèque du Louvre. Mais il nous reste, outre beaucoup de pièces éparses dans les dossiers des Archives et dans quelques collections particulières, la vaste série de plans et de dessins réunis au Cabinet des Estampes, parmi les papiers de Robert de Cotte, qui sont en grande partie les papiers de Mansart lui-même. Dans les dessins des Musées Nationaux provenant de Charles Le Brun et de son Atelier, on peut aisément reconnaître une foule d’esquisses et de projets relatifs à Versailles ; enfin, le Louvre possède quelques-unes des compositions originales d’Israël Silvestre et des croquis de Pérelle, qui n’ont jamais été gravés.
Les estampes anciennes, officielles ou populaires, françaises ou étrangères, sont connues et en tout cas assez accessibles pour qu’on puisse renoncer à les reproduire dans un livre tel que celui-ci. Au reste, les graveurs du dix-septième siècle, si l’on excepte Silvestre et Le Pautre, ne sont pas toujours des témoins parfaitement fidèles et il leur arrive fort souvent de présenter comme réalisés de simples projets. Les peintres, au point de vue documentaire, sont beaucoup plus sûrs.
Le premier peintre de Versailles, dans l’ordre chronologique, est le flamand Van der Meulen. Il existe de grands crayons de l’artiste, études faites en vue des tableaux où le pinceau a introduit l’animation des scènes. Ces toiles, et celle non moins intéressante qu’on peut attribuer à Pierre Patel, ouvrent la série considérable des vues peintes de l’époque de Louis XIV, qui ont été commandées par le Roi et que le Musée de Versailles possède presque au complet. Elles vont des mythologiques paysages de Cotelle aux compositions exactes et pittoresques des deux Allegrain et des deux Martin. On a tiré parti de cet ensemble si instructif en essayant d’en marquer la chronologie. Il y a des cas, dans un sujet comme le nôtre, où une date bien établie pour un dessin ou une peinture équivaut à tout un commentaire et peut épargner au lecteur de nombreuses pages.
Divers documents inédits, qui ne rentrent pas dans les séries précédentes et dont quelques-uns sont demeurés à Versailles même, se trouvent cités au cours de l’ouvrage, ainsi que les livres imprimés du dix-septième et du dix-huitième siècle qui ont une valeur de témoignages contemporains. Les descriptions anciennes, en effet, les gazettes, les relations, les récits de promenades, la consciencieuse monographie d’architecture de J.-Fr. Blondel, voilà autant de sources déjà en partie utilisées, qui apportent sur la vie et le décor de Versailles des indications que nos inédits ne donnent point. Les mémoires de cour, surtout Dangeau et Luynes, assez incomplètement dépouillés jusqu’à présent, sont pleins de mentions précieuses, et Saint-Simon ne fournit pas seulement l’occasion de réfuter ses dires. Mais l’historien aurait tort, dans bien des cas, de se fier trop exclusivement aux anciennes descriptions. Une erreur imprimée et réimprimée par les contemporains n’en reste pas moins une erreur ; les livrets de Piganiol, par exemple, rédigés à l’usage des voyageurs visitant Versailles, sont loin d’être toujours exacts. Il faut, toutes les fois qu’on le peut, compléter et contrôler les témoignages de ce genre par les renseignements d’archives.
Dans ce livre, ainsi que dans les travaux qui le précèdent et le préparent,1 l’Auteur a dû tenir peu de compte des ouvrages antérieurs qui auraient pu lui servir de premier appui. À part Eudore Soulié, son docte et respecté prédécesseur, qui sut esquisser, dans l’ancien catalogue du Musée national, une brève histoire du Château, les écrivains qui se sont occupés de Versailles avaient plus compliqué que débrouillé les questions difficiles. Des livres de Vatout ou d’Alexandre de Laborde à celui de Dussieux, le progrès de l’information, sauf sur les points touchés par Soulié, était plus apparent que réel ; si le nombre des renseignements offerts au public avait augmenté depuis les historiographes officiels de Louis-Philippe, le nombre des erreurs s’était accru dans une proportion au moins égale. Elles s’éliminent peu à peu de la tradition versaillaise, depuis les recherches dont on coordonne ici les résultats et qu’ont enrichies, sur plus d’un point, des érudits qu’on aura le plaisir de citer. Le lecteur dispose même aujourd’hui, dans les ouvrages fort divers de MM. André Pératé,2 Gaston Brière3 et Édouard Cazes,4 de guides sérieux et commodes qui lui avaient jusqu’à présent manqué. Ces observations étaient nécessaires pour expliquer au lecteur pourquoi l’histoire qu’il a pu lire autrefois ressemble si peu à celle qu’il va trouver ici.
Cette histoire sera-t-elle récrite un jour et de façon plus complète, en ne laissant dans l’ombre aucun détail, en produisant toutes les pièces qui ont été utilisées et d’autres documents qu’on pourra découvrir encore ? L’Auteur le souhaite plus que personne ; il sait que ce vaste sujet de Versailles est inépuisable et rappellera sans cesse les érudits comme les artistes. Il n’ignore point qu’on y travaillera longtemps après lui ; mais il ose espérer que ses continuateurs reconnaîtront quelque mérite aux efforts qu’il a faits vers la vérité.
Château de Versailles, janvier 1911.
Introduction
Il faut arriver à Versailles par un jour d’automne encore lumineux, alors que les arbres ont gardé leurs feuilles et que les routes commencent à prendre de la solitude. Les larges avenues, les percées de l’ancien grand parc conservées au milieu des bois, tout annonce l’approche d’une royale résidence. Mais si l’on veut avoir l’impression complète, ce n’est pas du côté de la ville qu’on abordera le Château ; on la doit contourner, au contraire, et pénétrer dans les Jardins par les grilles du Grand Canal. Des chemins y aboutissent directement de Saint-Cyr et de Marly. Aucun bâtiment neuf, aucun aspect de la civilisation actuelle ne s’y présente ; on peut se figurer qu’on entre dans un des domaines intacts du passé.
Au delà du bassin aux reflets profonds, où le Char d’Apollon sort des eaux, s’ouvre la perspective de l’Allée Royale. Le tapis vert monte entre deux rangées de marbres et conduit les regards, d’étage en étage, jusqu’à une étroite façade, qui semble resserrée entre les feuillages. On distingue assez bien d’ici les fenêtres de la Galerie des Glaces, que le couchant enflamme chaque soir de fantastiques lueurs. Le promeneur gagne lentement, à travers les parterres ou sous les hautes voûtes de verdure, la terrasse derrière laquelle la construction, révélée un instant, diminue peu à peu et se cache.
Soudain, le degré de Latone franchi, elle apparaît dans toute sa longueur et sous un aspect inattendu. Le corps du Château, où sont les appartements royaux, s’avance en masse imposante et carrée, qu’allègent les colonnades et les sculptures ; de chaque côté s’étend une aile immense répétant, cent pas en arrière, la disposition de cette noble ordonnance, où le comble élancé de la Chapelle rompt seul la monotonie des lignes. À droite, la façade se termine en saillie sur un horizon lointain ; elle rejoint, à gauche, les hautes cimes des bosquets, qui semblent en prolonger l’architecture majestueuse. C’est ici qu’on a sous les yeux, dans sa gloire presque entière et sa parfaite unité, la demeure la plus illustre de la Monarchie, dont Louis XIV avait voulu faire l’image de son règne et le monument de sa grandeur.
Cette première leçon prise de l’histoire et cette première joie reçue de la beauté, l’esprit pourra s’attacher aux détails et mettre des mois et des années à les épuiser. Pour peu qu’il ait le sens de l’architecture, la construction du Château du côté des cours lui suggérera mille questions. L’intérieur, ravagé par des transformations incessantes et plein cependant de vestiges intacts des plus belles époques, lui ouvrira les jouissances de l’art et le champ infini des souvenirs. Mieux il saura fixer son attention et renouveler ses promenades, plus il découvrira d’œuvres intéressantes et de sujets d’étude compliqués. Les documents du passé, s’il les interroge avec méthode, résoudront pour lui d’attachants problèmes ; il y aura recours sans cesse, afin de pénétrer par eux le secret de tant de choses mortes, et il gardera le sentiment que nulle part l’histoire ne peut être évoquée plus vivante que dans le décor de Versailles.
Le double attrait de l’art et de l’histoire donne à ce château un prestige rare, et qu’on pourrait dire unique, si le palais du Vatican n’existait pas. Aucune demeure princière en Europe ne réunit autant de souvenirs glorieux dans un cadre aussi grandiose. La France, qui a dédaigné longtemps ce trésor, comme elle en a gaspillé bien d’autres, se montre heureuse aujourd’hui de le posséder et s’efforce de réparer son long oubli. C’est l’œuvre synthétique de la monarchie absolue que présente avec le plus de fierté aux étrangers notre nation démocratique. Il n’en est point que ceux-ci cherchent avec une curiosité plus vive ; il semble qu’ils la considèrent, à certains égards, comme la plus significative de notre génie.
La pensée d’orgueil royal qui a fait élever Versailles n’altère plus notre jugement devant l’œuvre forte et complète que nous lui devons. On ne peut même refuser à Louis XIV le mérite de l’avoir conçue et d’en avoir voulu toute la beauté. Si la meilleure gloire du Grand Roi lui vient de la perfection de son siècle littéraire, elle n’est pas moins assurée par le puissant mouvement artistique dont il fut le maître et l’inspirateur. La création de Versailles a contribué pour une grande part à ce prodigieux développement de l’art français, qui prit la place prépondérante jusqu’alors départie à l’art italien.
Tant d’artistes divers, et les plus habiles, attachés à la même œuvre et dirigés d’abord par cette lumineuse intelligence de Colbert, tant de merveilles accumulées au même lieu pour la gloire d’un roi et d’une nation, tant de génie mis en commun et un tel effort d’argent et d’hommes ont exercé sur l’Europe plus de prestige que les victoires et les traités. L’influence obtenue par les armes s’en est trouvée plus durable et plus féconde. Les palais construits à l’imitation de Versailles, dans les pays mêmes où Louis XIV fut le plus haï, témoignent de l’admiration qui resta acquise à ce chef-d’œuvre de l’art monarchique et attestent la domination qu’elle imposa aux esprits.
Après des années d’un mépris et d’un dénigrement sans mesure, Versailles s’est relevé magnifiquement dans l’imagination nationale. La plus vaste conception du grand règne, respectée dans ses lignes principales par les règnes suivants et par notre siècle lui-même, est de nos jours exactement comprise. Il est naturel qu’elle ait traversé des périodes moins favorables. Dès la fin de l’ancien régime, et Louis XV régnant encore, un de ces revirements du goût français, qui chez nous détruisent si vite l’admiration, avait atteint une œuvre destinée précisément, par son importance et par sa conception même, à demeurer au-dessus des caprices de la mode. Le Petit Trianon fut bien vite opposé à Versailles par les écrivains et les gens d’esprit, et aida à le discréditer. Plus tard l’époque romantique, dont l’esthétique fut si passionnée et si étroite, dédaigna également l’un et l’autre. Des morceaux considérables, comme la Grande Galerie de Mansart et de Le Brun, excitaient moins la curiosité que l’étonnement. L’art Louis XIV semblait mort avec les institutions qui l’avaient produit, et plus d’indifférence encore enveloppait l’art charmant de grâce et de vie qui était venu, au dix-huitième siècle, rajeunir et parer de ses boiseries et de ses ciselures la majesté des intérieurs royaux.
Ce n’est pas un mérite de notre esprit, c’est un bénéfice de notre éducation éclectique de pouvoir admirer aujourd’hui, avec une intelligence égale de leurs principes, des beautés très différentes et des formes de création qui semblent contradictoires. Qui refuserait son hommage, en architecture, au Parthénon d’Athènes, à Sainte-Sophie, aux grandes cathédrales françaises ? Ce sont là assurément des œuvres d’une qualité supérieure à Versailles, et déjà par leur destination même, puisqu’elles honorent la divinité et la révèlent. Le palais de Louis XIV ne parle que de la puissance d’un souverain et d’un régime politique. Mais il l’exprime assez clairement, et dans une lange d’art assez éclatante, pour qu’il puisse plaire même à ceux qui ont salué et compris des ouvrages plus élevés du génie humain. Ainsi, peu à peu, comme d’autres lieux fameux du monde, Versailles est devenu un pèlerinage d’art pour beaucoup de nos contemporains. Les meilleurs esprits y trouvent un réconfort moral ; les artistes y viennent chercher des méthodes et des modèles, et les poètes, ce qui est significatif, ont recommencé à s’en inspirer.
De ce retour du goût public, dont tant de marques se multiplient, il y a sans doute deux causes principales, dont l’une reste tout entière de sentiment, et l’autre d’ordre intellectuel.
Une des gloires de Versailles les moins contestées tient au silence de ses grands espaces et à l’aspect déjà vénérable de ses constructions. Plus y est sensible l’abandon de la vie moderne, plus y plaît et y est facile l’évocation des anciennes splendeurs. Cette évocation est à la portée des plus humbles foules et leur offre une émotion qui, pour être inconsciente, n’en a pas moins sa réalité et sa noblesse. Chez les artistes et les hommes instruits, ce plaisir atteint le degré extrême, que seuls connaissent ceux-là qui ont accordé à Versailles, non les journées pressées du touriste, mais le loisir des longs séjours.
Peu de villes donnent plus vivement la sensation des grandes révolutions de l’histoire. Il semble que la destruction qui y a sévi depuis plus d’un siècle, par l’incurie des uns et la maladresse des autres, ait ajouté du prix à ce qui n’a point subi d’atteinte. On reconstitue aisément, en présence des débris qui subsistent, la grandeur de ce qui a disparu. Autant il est difficile, et même impossible, de relever le passé de sa ruine inévitable, et d’en restaurer exactement la moindre partie, autant il est aisé à l’imagination de trouver partout des motifs d’évoquer et de s’émouvoir. Un Roi est présent dans l’apothéose de la Grande Galerie, bien que rien ne reste du merveilleux mobilier d’argent et de vermeil qui la décora. De même, le souvenir d’une Reine emplit Trianon, et il ne disparaîtra, du milieu des maisonnettes de son fragile hameau, que le jour où viendra l’obligation ou la fantaisie de les reconstruire. On peut suivre heure par heure la vie de trois règnes, à la condition de se défier des légendes, dans tout ce noble Versailles, que complètent si bien le Grand Trianon de Louis XIV et le Petit Trianon de Marie-Antoinette. Les parties essentielles du décor sont encore en place, et les graves mémoires du grand siècle, les récits plus piquants et plus vifs du dix-huitième y ramènent les personnages.
L’autre raison qui a remis Versailles en honneur n’existe que pour les esprits tout à fait cultivés, mais ne semble plus exposée à s’amoindrir. On se fait aujourd’hui seulement une idée juste de la place qu’occupe dans l’histoire cet ensemble d’une unité si nette et d’une étendue si imposante qu’on peut appeler « l’Art de Versailles ». Longtemps on a pu lui reprocher sa symétrie, son manque d’imprévu et sa pompeuse froideur. Mais ce qu’on prenait pour d’insupportables défauts a changé de nom, en même temps que se déplaçait le point de vue. On y reconnaît à présent, dans l’œuvre architecturale aussi bien que dans les détails qui l’embellissent, toutes les qualités de l’équilibre, de la mesure et de la noblesse. Il est permis évidemment de leur en préférer d’autres ; mais il se trouve qu’elles correspondent aux caractères essentiels de l’art français.
Versailles l’a représenté presque aussi fidèlement que le firent en leur temps nos meilleures cathédrales du Moyen-âge. Le dix-septième siècle français, qui a orné Paris et les provinces de monuments si fiers et aujourd’hui si honorés, semble résumé dans la résidence de Louis XIV. Tous les grands artistes qui ont vécu de son temps ont collaboré à cet ouvrage, qui devait être la glorification de la monarchie nationale. À côté de Charles Le Brun, ou sous ses ordres, travaillèrent des architectes, sculpteurs, peintres, fondeurs, ciseleurs, décorateurs de tout genre, dont quelques-uns eurent du génie, mais à qui, sous une telle impulsion, il aurait pu suffire d’avoir du métier. Le Château et ses jardins sont remplis de leurs chefs-d’œuvre, auxquels l’âge suivant a encore su ajouter sa part. On peut regretter que l’école académique y ait laissé quelques traces trop évidentes de l’influence italienne ; il est plus équitable de se demander ce qui manquerait aux témoignages que notre race rend d’elle-même et au trésor d’art de la France si Versailles avait disparu.
Sous cette unité d’aspect qu’embrasse le premier regard, on voit très vite apparaître les variations de style du dix-septième siècle. L’enquête historique que nous menons en ce livre permet d’établir les dates précises ; et des époques très différentes se distinguent dans les travaux de ce long règne, qu’on est trop habitué à juger d’ensemble.
Le château primitif ne fut qu’une maison de chasse de Louis XIII, dont il reste beaucoup moins qu’on ne l’a dit ; il a déterminé cependant le caractère des plus anciennes constructions de Louis XIV, qui se rattachent par là étroitement aux traditions de la Renaissance française. La résidence favorite du jeune Roi, celle où il vient donner la comédie à Mlle de la Vallière et que La Fontaine décrit si bien dans les Amours de Psyché, n’est autre chose qu’un des plus jolis châteaux de la Renaissance. Ce Versailles des fêtes célèbres, tel qu’il existait en 1668, après les premiers ouvrages de Louis Le Vau, et dont la partie centrale était encore la construction même de Louis XIII, montre un art qui n’est point dégagé des formules anciennes. De même, le règne n’a pas reçu l’ampleur et la force que le traité d’Aix-la-Chapelle et les années qui suivent vont lui apporter.
C’est un palais de féerie qui se dresse alors sur la butte encore étroite, avec son architecture toute de couleur joyeuse, ses façades de brique rouge, ses balcons de fer ouvragé, ses hautes cheminées blanches, les pinacles et les plombs dorés de ses combles aigus. Il n’y a d’abord, il est vrai, autour de la nouvelle maison royale, ni larges degrés, ni fontaines abondantes, ni figures de marbre, et l’espace où s’étendra la noble perspective du Grand Canal n’est longtemps qu’une plaine marécageuse. Mais le Roi a eu la fortune de trouver un jardinier qui a le sens de la grandeur : André Le Nôtre trace du premier coup les lignes générales des jardins à venir. La plupart des bosquets sont découpés dans les taillis de l’ancien parc de chasse ; de vastes bassins creusés dans les parties basses voient peu à peu arriver les eaux jaillissantes ; leurs groupes de plomb doré font bientôt contraste avec les vieux termes5 de pierre rangés le long des buis taillés ; un « parterre de broderies » d’un dessin nouveau s’étend devant l’habitation, et une petite orangerie vient compléter, du côté du midi, l’aspect pittoresque du Château, par la brique mêlée de pierre de ses arcades.
Un troisième Versailles succède à cette création, célébrée déjà comme une merveille, et c’est au même architecte qu’en revient l’honneur. Le Vau enveloppe, sans le détruire, le petit château par les trois hautes façades sur les jardins et conçoit, de ce côté, l’ordonnance générale d’une architecture qui n’y aura plus qu’à développer après lui. Les Grands Appartements, l’Escalier des Ambassadeurs sont commencés à cette époque. Déjà est aussi établi, par les premiers artistes, tout ce symbolisme de la décoration de Versailles, qui va multiplier dans les peintures et les sculptures des intérieurs, comme dans les motifs des principales fontaines, la flatterie perpétuelle de l’allusion au Roi-Soleil. Louis est le vainqueur de l’Espagne et de l’Empire, le conquérant de la Franche-Comté, et son Château favori grandit avec ses triomphes.
Un Versailles différent, qui se trouve déjà le quatrième, est l’œuvre de Mansart.6 Mansart doit céder à Le Vau la première place dans nos souvenirs, puisque sa direction ne commence qu’en 1678 ; mais il va attacher son nom à la ville nouvelle par la masse énorme de constructions qu’il y élèvera en peu d’années. Il dresse d’abord la Grande Galerie et ajoute, au midi du Château, la première des deux longues ailes nécessaires aux logements de la Cour. Maintenant, en effet, les destins de la dernière-née des maisons royales l’appellent à un rôle que ce petit château de plaisirs n’attendait point. Le Roi, qui a pris le Soleil pour emblème, en fait le lieu privilégié où l’Europe viendra s’éblouir des rayons de l’astre dans tout son éclat. L’installation de la Cour et du Gouvernement, en 1682, donne la principale date de l’histoire de Versailles. Le plan de Mansart est alors adopté dans ses lignes essentielles, bien qu’il ne doive point se réaliser d’un seul coup. Après la Grande et la Petite Écurie se bâtissent le Grand Commun, l’aile du Nord et la nouvelle Orangerie, qui amène le remaniement de toute une partie des jardins. La reconstruction de Trianon appartient encore à Mansart, ainsi que la Chapelle définitive. Cette Chapelle est l’ouvrage dernier du règne déclinant, qui semble vouloir clore par un hommage à Dieu une série inouïe de travaux consacrés à l’apothéose d’un homme.
Ce majestueux décor du grand règne n’a donc pas été fait en une fois, tel que nous l’admirons à présent dans sa solitude mélancolique. Les Versailles divers, que nous révèlent les estampes et les vieux tableaux oubliés, sont comme les ébauches et les essais de l’œuvre définitive, qui correspondent aux progrès de la grandeur royale. Les diverses parties du Château et des jardins ont été plusieurs fois détruites, mais pour se relever plus belles, suivant le rêve toujours plus ambitieux du maître.
C’est la restitution de ces anciens états disparus qui fait la véritable histoire du Versailles royal. Cette histoire est semblable à celle d’un organisme vivant, qui croît et se développe suivant des besoins grandissants, en se modifiant continuellement, afin de s’adapter aux circonstances nouvelles. Rien n’est plus aisé, pour s’en rendre compte, que de comparer entre eux les plans successifs du Château et de ses abords pendant le règne de Louis XIV. On voit les espaces s’élargir, les constructions se multiplier et les proportions de tout ce qui disparaît tripler et quadrupler lorsqu’on le remplace. Chaque période politique laisse sa trace évidente dans un important changement d’ensemble. Si, après le Grand Roi, les lignes extérieures semblent fixées, la vie n’en persiste pas moins à faire son œuvre, et la royauté du dix-huitième siècle accommode à ses habitudes et au déclin de son prestige un palais trop grand pour sa mesure.
Peut-on dire que le dix-huitième siècle a créé un cinquième Versailles : on en aurait presque le droit, si l’on songe aux énormes renouvellements qui se sont produits dans le Château. Louis XV a fait construire le Salon d’Hercule, qui appelle ici le nom d’un excellent architecte, Robert De Cotte7 ; à la fin du règne s’est élevée la grande salle de l’Opéra, un des meilleurs travaux du plus célèbre des Gabriel.8 En revanche, le Roi a détruit la Petite Galerie et l’Escalier des Ambassadeurs ; il a changé et compliqué, pour ses commodités personnelles, l’ancien appartement privé de Louis XIV, et modifié ceux de la Famille royale et de la Cour. Cette transformation si radicale de Versailles n’a pas été l’œuvre de quelques années ; elle s’est faite peu à peu, durant le long règne de Louis XV, et continuait encore sous Louis XVI. En somme, le Château intérieur, tel que nous le voyons aujourd’hui, n’est point exactement celui du Grand Roi : si les pièces de représentation datent pour la plupart du dix-septième siècle, tout le reste est seulement du dix-huitième.
Il n’a pas tenu à Louis XV que la construction même de Louis XIV ne fût détruite dans toute la partie centrale du côté des cours. Les architectes souffraient depuis longtemps de ne point trouver d’équilibre entre le petit château de briques trop élégant, trop peu royal, et les grandioses façades du parc. Mansart n’avait-il pas déjà proposé de masquer au moins l’entrée par des colonnades ? On adopta au dix-huitième siècle un projet de reconstruction générale, qui fut nécessairement dans le style gréco-romain, alors à la mode. Le commencement d’exécution de ce projet a produit la fâcheuse aile Gabriel. Le grand artiste, dont le nom y demeure joint, venait d’être mieux inspiré en élevant pour son maître l’exquise maison du Petit Trianon. À Versailles même, on ne peut juger équitablement son œuvre que par ses dessins d’ensemble, car la laideur de l’unique morceau exécuté tient surtout à ce qu’il est sans cohérence avec le reste des bâtiments.
Dans le parc, replanté tout entier au commencement du règne de Louis XVI, d’autres transformations étaient projetées, et plus d’un vieux bosquet fut menacé. Comme pour le Château, les fonds manquèrent ; bientôt, la Révolution transporta le gouvernement à Paris ; nous lui devons peut-être la conservation des jardins de Louis XIV, aussi bien que celle des plus anciennes constructions.
À partir de la disparition de la Monarchie, qui en faisait un centre de production d’art, Versailles n’offre plus le même attrait. Il ne serait pas, cependant, sans intérêt de voir de quelle façon Napoléon, qui habita quelquefois Trianon, s’est plu à envisager le domaine le plus fameux du régime ancien, l’usage qu’il rêva d’en faire et les travaux d’entretien qu’il y ordonna. Il ne serait pas inutile de noter les restaurations tentées sous Louis XVIII, qui avait pensé un instant, en 1814, à rentrer dans la demeure où le comte de Provence avait vécu sa jeunesse. Il faudrait se rendre compte de l’état des lieux au moment où le roi Louis-Philippe conçut l’idée d’utiliser le palais définitivement abandonné en le consacrant, sous forme de musée, « à toutes les gloires de la France ». Ce n’était plus cet éphémère musée de peinture de l’École française qu’y avait installé le Directoire, mais une collection historique, amassée aux frais du Roi et destinée à présenter aux générations à venir l’image des grands faits et des grands hommes de la nation.
Les erreurs inévitables commises dans la réalisation d’un aussi vaste plan de musée ont relativement peu d’importance puisque, dès la fin du siècle, on a entrepris de les rectifier, en donnant sa valeur complète à cette intéressante pensée. Il n’en va pas de même des destructions qui accompagnèrent l’œuvre du roi Louis-Philippe. Que de profanations furent commises ! Que de vandalismes inutiles s’accomplirent, que de sacrifices inintelligents de l’art ancien à des appropriations parfois malheureuses ! D’admirables ensembles décoratifs provenant des appartements supprimés furent dispersés sans scrupule, comme l’avait été, quarante ans plus tôt, par la vente aux enchères, l’incomparable trésor que formait le mobilier du Château. Les commissaires de la Convention avaient eu pour but, à cette époque, de faire disparaître des vestiges jugés inutiles ou odieux, tandis que Louis-Philippe s’inspirait d’une idée réparatrice et de l’honneur du nom français. Ses bonnes intentions n’en aboutirent pas moins à une dévastation nouvelle.
L’irréparable perte faite alors est chaque jour sentie avec plus de force, à mesure que grandissent le respect et l’amour des arts du passé. On est porté à être sévère pour le roi qui l’a décidée, et c’est à peine une excuse pour lui d’avoir partagé le goût à peu près général de son temps. Il n’a fait que mettre en pratique le dédain que le plus grand nombre professait alors pour cet art du dix-huitième siècle, dont les intérieurs de Versailles étaient l’expression. Mais disons aussi que ce grand château inhabité, où la royauté du droit nouveau ne pouvait songer à paraître, allait être voué, dans un siècle utilitaire, à des usages peut-être destructeurs. Si Louis-Philippe a fait à Versailles un mal à jamais déplorable, il l’a sauvé sûrement de malheurs pires ; il l’a sans doute même conservé au pays, de la seule façon qui fût digne de ses souvenirs, en lui assurant l’immuable destination de Musée national.
Une époque plus voisine de nous a donné à certaines parties du Château, que le Musée n’occupe point, une destination bien inattendue pour le palais de Louis XIV. Versailles est redevenu le siège du gouvernement de la France à la suite d’événements tragiques. Aujourd’hui encore, d’après la Constitution républicaine de 1875, le Château est réputé palais du Parlement. Ce rôle moderne, qui n’est plus rappelé maintenant que par l’élection présidentielle, a exigé des transformations considérables. Le beau théâtre de l’Opéra, après avoir été aménagé pour les séances de l’Assemblée nationale de 1871, s’est trouvé réservé au Sénat, qui n’y a plus reparu depuis 1879 ; une vaste salle neuve, construite pour la Chambre des députés dans une des cours du midi, sert aujourd’hui aux réunions du « Congrès ». Plus tard ont commencé les importantes restaurations d’ensemble, que le délabrement des façades et des bassins rendait indispensables et qui se sont étendues aux deux Trianons. Enfin, le Musée de l’histoire de France s’est réorganisé, les collections ont été remaniées, présentées d’après une méthode différente, et des salles ont été aménagées en grand nombre sur un plan nouveau, achevant à l’intérieur de Versailles l’œuvre du dix-neuvième siècle et commençant aussi celle du vingtième.
Il est permis de penser que le Château ne subira plus de longtemps de changement notable. Il se prête encore, dans une certaine mesure, à des fêtes, qui n’ont pas manqué au cours du siècle dernier, sans rappeler, il est vrai, l’éclat de celles de l’ancien régime. Mais l’intérêt de Versailles est plus élevé et l’on en doit attendre d’autres services. Sans parler des collections historiques, où se groupent tant de richesses, le Château, ses Jardins et les Trianons forment un Musée d’art décoratif unique au monde. Voilà ce qu’il faut, avant tout, mettre en lumière. On y arriverait plus aisément si l’on pouvait rendre à ces belles pièces abandonnées une partie du mobilier qui s’y trouvait jadis ; l’essai vient d’être fait pour des tapisseries et quelques meubles de nos trois grands styles, et nulle part assurément ils ne se trouvent mieux présentés.
Même nu et démeublé, même mutilé comme il nous est parvenu, Versailles reste un magnifique livre d’histoire, toujours ouvert sous les yeux de la nation et compréhensible à tous. Mais, quoi qu’on fasse, c’est une grande ruine et un grand tombeau. Ce qui l’animait n’est plus et ne saurait ressusciter sous une autre forme ; la splendeur de deux siècles est par endroits méconnaissable. Les efforts qu’on tenterait pour la reproduire sont d’avance condamnés à échouer. Qui prétendrait reconstituer, autrement que par l’imagination, cette somptuosité disparue ? L’espoir chimérique de restaurer le passé conduit presque toujours à en achever la destruction. Jouissons plutôt de ce qui a survécu ; conservons à tout prix ce que les touches du temps ont contribué à embellir ; respectons l’harmonieux ensemble qu’il a créé, et devinons, par les débris qui en demeurent, ce que fut l’œuvre de Louis XIV dans son intégrité glorieuse.
Une idée historique, qui s’impose à tout visiteur averti, doit servir à diriger les travaux qui restent à faire. C’est que Versailles a cessé d’exister, en tant qu’œuvre d’art vivante, à partir de 1789. Rien n’aurait pu être plus intéressant pour nous que de l’avoir exactement conservé tel que l’a trouvé la Révolution. Tout ce qui est antérieur à cette date sans avoir subi l’outrage des restaurations, garde un charme particulier et demande un respect que les parties modernes ne méritent point. Celles-ci peuvent être reprises et rectifiées sans scrupule ; il faut hésiter longtemps avant de toucher à celles qu’un autre temps a conçues et qu’ont exécutées des mains expertes ; leur secret nous manque et presque toujours leurs habitudes techniques sont perdues.
Les artistes d’autrefois se détruisaient les uns les autres par un droit que leur don de création leur conférait. Les boiseries de Du Goulon, jetées au grenier sous Louis XV pour faire place à celles de Verberckt, rappellent le sort des fresques de Piero dei Franceschi, dans les Chambres Vaticanes où Raphaël, commandé par Jules II, les a recouvertes sans pitié. Les ordres du maître qu’on servait alors étaient naturellement inspirés par le renouvellement continu du goût, et c’était grâce à des sacrifices, souvent bien cruels, que l’art cheminait sans se fixer en formules. Non seulement nous avons perdu ce droit de remplacer une œuvre par une autre, mais nous ne devons même plus songer à refaire celles qui n’existent plus. Pouvons-nous, en effet, en présenter aux yeux exercés autre chose qu’une ressemblance imparfaite, dénuée de toute puissance d’évocation ? Les restaurations qui se sont succédé au cours du dernier siècle dans les édifices historiques ont, sur bien des points, altéré le style des ouvrages anciens, parce que la véritable règle y a manqué.
Versailles fut si riche en tous les genres que l’art s’y rencontre souvent dans sa fleur première et son originelle beauté. De tant de merveilles, un grand nombre a disparu entièrement ; d’autres, indiscrètement retouchées, n’ont plus qu’une valeur d’image et de souvenir ; mais beaucoup, par bonheur, demeurent intactes, sans que rien laisse penser qu’elles soient exposées à se détruire. Le Parterre d’eau, par exemple, que glorifient les bronzes des Keller,9 fait un ensemble qui paraît impérissable. De tels morceaux, restés où la volonté des créateurs les a posés, ne sont point rares à Versailles. On les reconnaît promptement et on les salue entre les autres, comme des témoins fidèles et vénérables. Ils honoreront la France de deux grands siècles, tant qu’il y aura des artistes pour les visiter et que les hommes aimeront les lieux où les attendent les figures ressuscitées de l’histoire.
I. – Versailles sous Louis XIII
Versailles ne fut, pendant plusieurs siècles, qu’un humble village de l’Île-de-France, sur les confins du diocèse de Chartres, perdu au milieu des bois et des étangs. Quelques anecdotes le mentionnent au temps des Valois, mais les rois de France ne s’y intéressent point encore. Au mois de juillet 1589, Henri de Bourbon, roi de Navarre, marchant sur Paris révolté, pour l’assiéger d’accord avec Henri III, couche deux nuits dans l’habitation féodale de Versailles, chez le maréchal de Retz, Albert de Gondi. Il se rend de là à Saint-Germain-en-Laye et, quelques jours après, à Saint-Cloud, où l’assassinat de son cousin fait de lui Henri IV, roi de France. Plus tard, grand chasseur comme le seront ses descendants, il vient assez souvent courre le cerf du côté de Versailles ; il y est même traité à dîner, le 13 janvier 1609, par Henri de Gondi, évêque de Paris. Telles sont les premières circonstances qui mettent le nom de Versailles dans l’histoire des Bourbons, où il doit briller de tant d’éclat.
Les destinées du Versailles moderne commencent seulement avec Louis XIII. C’est le fils du Béarnais qui construit, sur l’étroite éminence que Louis XIV agrandira, la première maison royale, de laquelle nous savons, en réalité, bien peu de chose et moins encore qu’on ne l’a cru. Le récit de ces origines est l’introduction naturelle à notre sujet. Il était resté jusqu’à nos jours encombré de légendes, parfois absurdes, qui provenaient d’imaginations aventureuses ou de documents mal interprétés. Comme on les entend répéter encore par une tradition docile, il faut les faire oublier en reconstituant cette époque incertaine sur les seuls témoignages contemporains et en réduisant au strict nécessaire l’induction permise.10
Depuis le milieu du quinzième siècle, alors que s’était éteinte l’ancienne famille qui avait porté quatre cents ans le nom de Versailles,11 cette terre passa par achats successifs en diverses mains. À l’époque de la Saint-Barthélemy, elle appartenait à l’ancien secrétaire des finances de Charles IX, Martial de Loménie.12 « En ce temps, raconte un chroniqueur, la bonne dame Catherine, en faveur de son mignon de Retz, qui voulait avoir la terre de Versailles, fit étrangler aux prisons Loménie, auquel ladite terre appartenait. » Albert de Gondi, comte de Retz,13 maréchal de France, en traita commodément avec les tuteur et curateur des enfants mineurs de Martial de Loménie ; la terre avait quelque étendue, car le défunt venait de l’agrandir par des acquisitions nombreuses, notamment celle de la Grange-Lessart, au plateau de Satory, et le favori de Catherine de Médicis dut, pour l’obtenir, débourser une somme de trente-cinq mille livres. La seigneurie entra ainsi, en 1575, dans la puissante maison de Gondi, qui en arrondit les terres et en doubla presque l’importance. Elle appartenait au petit-fils de l’acquéreur, au premier des archevêques de Paris, Jean-François de Gondi,14 qui fut l’oncle du cardinal de Retz, quand Louis XIII la fit acheter pour le domaine royal.15
L’hôtel seigneurial se dressait alors, avec son portail flanqué de tourelles, sur une butte dominant un pays de bonnes cultures, malgré ses étangs et ses bois, qui n’a pas entièrement perdu son ancien caractère. Au pied de cette demeure, qu’on n’habitait plus, s’élevait un village d’une certaine importance puisqu’il y résidait un bailli, c’est-à-dire un magistrat chargé de rendre la justice au nom du seigneur. Ce village, qui comptait quatre ou cinq cents habitants, était dénommé « Versailles-au-Val-de-Galie », du nom du principal des rus ou ruisseaux qui couraient dans les parties basses de la contrée. On y trouvait un prieuré, qui remontait sans doute au onzième siècle, une église du douzième, dédiée à Saint-Julien de Brioude, et plusieurs hôtelleries. Les droits de haute et basse justice attachés à la seigneurie exigeaient une prison et des fourches patibulaires. Un moulin à vent tournait sur la butte, qui faisait face à une autre hauteur nommée Montbauron. Elles sont marquées, avec une importance égale, dans la plus ancienne carte des environs de Paris où soit en évidence le nom de Versailles, celle de l’enlumineur royal Jean Boisseau, qui peut dater de la dernière année du règne de Louis XIII et qui indique les nombreux étangs de la région. Le territoire de Versailles et des environs était bien cultivé et fort habité. Autour du lieu auquel les prédilections de Louis XIII allaient s’attacher, bien d’autres villages et châteaux peuplaient le Val-de-Galie : d’un côté Montreuil, bourg considérable et siège d’une prévôté, les hameaux de Chaville et de Viroflay, et le château de Porchefontaine, qui avait été jadis la clef du vallon et que possédaient les Célestins de Paris ; du côté opposé, les villages de Trianon-la-Ville, Fontenay-le-Fleury, Choisy-aux-Bœufs, paroisse importante avec un prieuré relevant de l’abbaye Sainte-Geneviève, plus loin le bourg de Villepreux où passait le chemin de Paris à Dreux, et, sur la lisière de la forêt de Marly, les châteaux de Noisy, de Bailly, de Rocquencourt ; puis, à moindre distance, les hameaux de Saint-Antoine-du-Buisson, du Chesnay, de Glatigny et la tour de Clagny, auprès du large étang que longeait le chemin de Saint-Germain. Les coteaux du midi étaient dominés par les « hostels » de Satory et de Lessart. Ne se trouvant point sur une des grandes routes du royaume, Versailles n’était guère qu’un rendez-vous pour les chasseurs qui fréquentaient le Val-de-Galie, ou une halte pour les rouliers, qui conduisaient à la capitale les bœufs de Normandie par un ancien chemin dit Chemin-aux-Bœufs. Rien ne préparait ce lieu ignoré à fixer la résidence d’un petit-fils de Henri IV et à devenir le siège du gouvernement de la France.
Le duc de Saint-Simon, dans un passage célèbre où il met comme toujours quelque exagération et son goût pour l’antithèse, parle du château de Louis XIII en des termes dont il faut cependant retenir le peu d’importance de l’habitation. Il dit qu’on voit, de son temps, « une ville entière où il n’y avait qu’un très misérable cabaret, un moulin à vent, et ce petit château de cartes que Louis XIII y avait fait pour n’y plus coucher sur la paille, qui n’était que la contenance étroite et basse autour de la cour de Marbre, qui en faisait la cour, et dont le bâtiment du fond n’avait que deux courtes et petites ailes ; mon père l’a vu et y a couché maintes fois.16 » Saint-Simon, dont le père avait servi Louis XIII et que tous les actes de ce prince intéressaient passionnément, est ici tout à fait exact : ce premier château n’avait que vingt-quatre mètres de long sur six mètres de profondeur, avec deux courtes ailes en retour. C’est à cette construction que semble penser Sourches quand il mentionne Versailles en ses mémoires comme « un petit château de gentilhomme ».17 Le témoignage tout à fait contemporain de Bassompierre n’est pas différent. Au cours d’une harangue prononcée devant l’Assemblée des notables de 1627, après avoir constaté l’interruption des bâtiments royaux qui demeurent presque tous inachevés, le maréchal remarque que l’inclination de son maître « n’est point portée à bâtir et que les finances de la France ne seront pas épuisées par ses somptueux édifices, si ce n’est que l’on lui veuille reprocher le chétif château de Versailles, de la construction duquel un simple gentilhomme ne voudrait pas prendre vanité18 ». N’est-ce pas là l’équivalent rigoureux du « petit château de cartes » de Saint-Simon ?
Louis XIII avait pris goût, pour des raisons de chasseur, aux environs boisés de Versailles. Il les atteignait assez souvent de Saint-Germain, alors le séjour le plus ordinaire des rois hors de Paris. C’est du côté de Versailles qu’il avait fait sa première chasse, à l’âge de six ans, ce qui était un des plus agréables souvenirs de son enfance. Ce souvenir remonte à 1607 ; dix-sept ans plus tard, dans l’hiver de 1623 à 1624, le Roi imagine d’avoir à Versailles un rendez-vous de chasse commode, où il lui soit possible de passer la nuit. Il charge un des secrétaires de son cabinet d’acheter ou d’occuper provisoirement quelques terrains, qu’on paiera plus tard, et d’y faire bâtir sans délai sur les fonds de ses « menus plaisirs ». Pour ce bâtiment, bientôt accompagné de dépendances et qui devient une fantaisie personnelle du Roi, on ne dépensera pas moins de 213.600 livres.19 Il va, dès le mois de mars, voir les travaux tout en chassant, jusqu’à trois fois dans la même semaine ; il couche même à Versailles, le 9, dans une maison du village, après avoir envoyé chercher son lit à Paris. À la fin de juin, le château est habitable. Le 28, revenant de Compiègne, après avoir passé par Paris pour poser la première pierre du nouveau Louvre, il arrive à Versailles à cinq heures, chasse, soupe et se couche. Il y passe toute une semaine, allant à la messe au prieuré, courant le cerf, le lièvre et le renard, donnant la curée à ses chiens et faisant faire l’exercice à ses mousquetaires. Le 2 juillet, il voit tracer le plan de sa basse-cour. Il revient coucher le 2 août, s’amusant à voir des ameublements que le premier gentilhomme de la Chambre a fait acheter, et jusqu’à la batterie de cuisine. Mais comme il est venu pour son plaisir favori, il dort tout vêtu dans son lit et, dès trois heures du matin, se jette dans les bois avec son limier pour détourner le cerf, qu’il va courre ensuite dans la forêt de Marly. Le journal de son médecin Héroard est plein d’indications du même genre, qui marquent la place de plus en plus grande que prend Versailles dans la vie du jeune roi. En novembre 1626, on nous y montre la Cour pour la première fois, laissant ainsi supposer que la maison est bien finie : « Le Roi fit un excellent festin aux reines et princesses, où il porta le premier plat, puis s’assit auprès de la Reine. Il fit garder un ordre merveilleux, puis leur donna le plaisir de la chasse. » Désormais Versailles appartient à l’histoire de la Cour et, quand le journal du médecin cesse, c’est la gazette de Renaudot, la future Gazette de France, qui nous renseigne sur les séjours de Louis XIII et les petites fêtes qu’il se plaît à y donner.
Dès l’origine, il y a eu autour du château un petit domaine constitué par un très grand nombre de morceaux de terre, que le mauvais état des finances n’a pas permis de payer. Les années 1631 et 1632 sont occupées à la liquidation de ces comptes, comprenant les indemnités dues pour la non-jouissance depuis sept ans. On voit que le terroir de Versailles est partagé entre beaucoup de petits propriétaires, puisque les gens du roi ne passent pas moins de vingt-six contrats de vente ou d’échange, dont quelques-uns pour un arpent ou un demi-arpent.20 Ces premières dépenses représentent, en principal d’indemnités, une somme de 9.856 livres. Mais les acquisitions importantes vont venir. Aux 117 arpents du domaine primitif s’adjoignent, dès 1632, les 167 arpents de prés et pâtures, acquis des héritiers d’un auditeur de la Cour des Comptes nommé Lebrun et qui seront payés 16.000 livres. Enfin, le Roi achète l’ancienne terre seigneuriale de Versailles, que lui cède, le 8 avril 1632, l’illustrissime et révérendissime Jean-François de Gondi, archevêque de Paris, au prix de 66.000 livres. L’habitation féodale, qui est située au sud-est de la maison nouvelle de Sa Majesté, est désignée dans l’acte de vente comme « un viel chasteau en ruines ». Avec ses deux tourelles sur le portail, son colombier, sa bergerie, sa grange et ses étables, c’est plutôt une ferme qu’un château, et ses dépendances comportent plus de quatre cents arpents de terres labourables, vignes, prés, bois, taillis, etc., comprise la grande ferme de la Grange-Lessart.21
Le Roi devenant seigneur de Versailles, le village y gagne en importance. Le 25 mai 1632, en présence du curé et de plusieurs habitants, on arrache le poteau « où sont les armes du sieur archevêque de Paris, ci-devant seigneur dudit Versailles », et à l’orme22 du principal carrefour on affiche les armes de Sa Majesté. En conséquence, le simple bailli seigneurial devient « bailli, juge royal civil et criminel au bailliage royal de Versailles-au-Val-de-Galie pour le Roi notre sire », le Roi ayant résolu, sur le fait de ses nouvelles acquisitions, « d’y maintenir et conserver les officiers de la justice pour être désormais royaux. » C’est le premier de ces agrandissements de Versailles dont ce livre explique la succession.
Versailles venait alors d’entrer dans l’histoire par un événement d’importance, connu sous le nom de « Journée des dupes ». On sait comment la Reine mère, Marie de Médicis, appuyée sur un parti nombreux ayant pour chef le garde des sceaux Michel de Marillac, avait compté satisfaire sa haine contre Richelieu en obtenant de Louis XIII le renvoi de son ministre. Elle avait déclaré à son fils qu’elle ne paraîtrait plus dans ses conseils tant que le cardinal n’aurait point abandonné la Cour ; et personne à Paris ne doutait de sa victoire quand le Roi, qui avait quitté, pour l’aller voir au Luxembourg, « son plaisir de Versailles », y revint dans la soirée du 11 novembre 1630. « Il n’avait encore mené en ce lieu pas un conseil, ayant fait bâtir cette petite maison pour se distraire entièrement des affaires. » Voici, d’après les Mémoires de Richelieu, ce qui se passa à Versailles : « Le garde des sceaux, qui, sur le bruit du grand éclat qu’avait fait la Reine et la créance qu’il avait que le cardinal eût obtenu son congé et s’en allait coucher à Pontoise, pensait avoir gagné la partie, s’en alla dès le jour même à Glatigny, proche de Versailles. Le soir, à son coucher, il reçut la désagréable nouvelle que le cardinal était auprès du Roi, qui non seulement lui avait fait bonne chère, mais l’avait logé en une chambre au-dessous de la sienne ; et le matin, à son réveil, en reçut une qui lui fut d’autant plus fâcheuse qu’elle était plus éloignée de son espérance, qui fut que Sa Majesté lui envoya faire commandement de lui renvoyer les sceaux et lui donna des gardes pour s’assurer de sa personne... » Le soir même, M. de Châteauneuf était mandé à Versailles, pour recevoir les sceaux et prêter serment entre les mains du Roi. La Reine mère était vaincue, son palais du Luxembourg déserté des courtisans, et Richelieu régnait sans contrôle. C’était M. de Saint-Simon, disait-on, qui avait arrangé le rendez-vous royal de Versailles et d’abord introduit le cardinal par un escalier dérobé.23 De toute façon, l’affermissement définitif du ministre fut facilité par ce séjour et par la commodité qui lui fut donnée, grâce aux communications secrètes du château, de tout préparer librement avec son maître.
Ces souvenirs devaient attacher Louis XIII à son petit château, et il est à remarquer que l’agrandissement du domaine royal et l’achat de la seigneurie des Gondi ont suivi de fort près la « Journée des Dupes ». L’année même de l’acquisition, au mois de février 1632, Louis XIII, revenant de Metz à grandes journées, est allé directement à Versailles, où il a passé deux jours. Il y séjourne en mars et en avril ; le 20 novembre, il retourne à Toulouse, après l’exécution de Montmorency, et se rend tout droit « en son agréable maison de Versailles », où il arrive avec ses quatre cents dragons, la pique à la main. « Le lendemain, le maréchal de Créqui vint saluer le Roi, qui vint coucher à Saint-Germain le 23, pour ce que le lieu de Versailles ne suffisait pas à recevoir le grand nombre de personnes de toutes conditions se venant prosterner aux pieds de Sa Majesté et se conjouir de ses victoires. » Quelques jours après, Louis XIII est encore à Versailles, « y entretient sa santé par le travail de la chasse et les autres exercices des princes », et y reçoit, le 14 décembre, la Reine Anne d’Autriche, qui l’a accompagné dans le Languedoc et en revient par une plus longue route.
Le château est alors reconstruit presque entièrement, de 1631 à 1634, et prend des commodités nouvelles. Dans l’hiver de 1632, la façade sur le parterre est démolie et la nouvelle se trouve avancée, allongée et terminée aux deux bouts par des pavillons décrochés. On bâtit à neuf sur la cour le corps et les ailes, que terminent deux pavillons symétriques à ceux du parterre. Le Roi va sans cesse à Versailles, pour une ou plusieurs journées, et il y passe les jours gras. Désormais, ce domaine figure à chaque instant parmi les déplacements que les gazettes font connaître au public. Souvent en s’y rendant Louis XIII s’arrête à Rueil pour voir Richelieu, qui va le trouver à son tour aussi commodément à Versailles qu’à Saint-Germain. En avril 1634, le Roi passe en revue à Versailles les cent soldats de la garde du cardinal-duc ; en octobre, après sa réconciliation avec son frère Gaston, il reçoit la visite du ministre, et la journée royale se partage entre le conseil et l’exercice des mousquetaires. Un grand nombre des lettres de Louis XIII sont datées de Versailles ou annoncent qu’il va s’y rendre. C’est toujours la chasse qui motive les séjours, répétés souvent une dizaine de fois l’an : « La Reine vint hier ici, écrit-on de Versailles à la Gazette le 13 avril 1635, accompagnée de la duchesse de Montbazon et de ses filles. Monsieur y est aussi arrivé de Paris en même temps. Sa Majesté est allée au-devant de la Reine et, après lui avoir fait voir sa maison, lui a fait une très belle collation et aux dames de sa suite, près desquelles il y avait des gentilshommes ordonnés de sa part pour les servir. Après cette collation, la Reine et toutes les dames sont allées à cheval dans le parc voir chasser le renard aux chiens du Roi, qui ont fort bien chassé, et comme ce divertissement n’était que pour la Reine et les dames, il n’y avait aussi qu’elles à cheval ; le Roi, Monsieur et tous les seigneurs étaient à pied près d’elles. Cette chasse finie, Leurs Majestés ont pris la route de Saint-Germain et, ayant eu le plaisir de voir prendre cinq ou six lièvres aux lévriers, un sanglier heureusement rencontré et pris sur le chemin contribua à leur divertissement. Puis le Roi, ayant accompagné la Reine jusqu’à Marly, village à une lieue de Saint-Germain, s’est retiré en ce lieu, d’où Sa Majesté part aujourd’hui pour s’en retourner coucher à Saint-Germain. »