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Jérôme et Justine, trentenaires et parents heureux, sont en vacances avec leur fils Léo âgé de quatre ans. Au cours de ce séjour, Jérôme se laisse séduire par le jeune Sylvain et, contre toute attente, cède dès sa première tentative. S’ensuit une semaine chaotique entre eux, puis une relation toxique de sept mois, à mille kilomètres l’un de l’autre. Entre soubresauts et coups de théâtre, commence alors une période tourmentée, qui exige des décisions urgentes. Sauront-ils faire les choix qui s’imposent ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après une vie entièrement consacrée à l’enseignement et aux livres, c’est tout naturellement que
Pierre Deroissy est passé, au fil du temps, du statut de lecteur fervent à celui d’auteur. Sur plusieurs décennies, il a écrit des poèmes et des textes divers. Ensuite, il s’est lancé le défi de publier des romans, animé par son désir de partager avec les lecteurs.
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Pierre Deroissy
Les Hors Races
Tome I
L’Escalade des Feux Croisés
Roman
© Lys Bleu Éditions – Pierre Deroissy
ISBN : 979-10-422-1024-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Judith Agnat, la femme qui aimait le mimosa, Le Lys Bleu Éditions, 2023
À ceux qui me sont chers
Le mystère de l’art, c’est que tout sonne juste, quand tout est faux.
Yves Navarre, Niagarak (1976)
Jérôme
En position de sentinelle, face à la mer, je fais scrupuleusement la chasse à la moindre parcelle de sable, susceptible de m’accueillir, chose quasiment impossible en plein mois d’août. Je suis à cent lieues de me douter que je ferai alors, la rencontre qui allait me bouleverser et bouleverser ma vie, à tout jamais.
Ma serviette de bain autour du cou, un pied appuyé sur le garde-fou qui surplombe la plage, j’examine les moindres coins et recoins de cet amoncellement de corps qui s’étale à mes pieds. Un coup d’œil à ma montre : il est treize heures trente. Plus d’un quart d’heure déjà que je poireaute sous un soleil de plomb, une éternité sous cette fournaise. J’allume une cigarette et je continue mon travail de recherche. Je braque avec application mon regard vers tous ceux qui ont assiégé une portion de ce territoire sablonneux.
Aujourd’hui, ils semblent encore plus nombreux que d’habitude. Ils forment un conglomérat tout de monticules, de buttes, de collines, violemment bariolés. Une débauche de barbaque inerte et lubrifiée qui suinte de tous ses pores. Tous consentent de gaieté de corps et de cœur, à ce sacrifice rituel. Personne ne semble vouloir y échapper, bien au contraire ! Et si les dieux ne se liguent pas contre moi, je m’apprête à mon tour, à rejoindre la cohorte de ces adeptes, afin de profiter de la dernière semaine de vacances qu’il me reste. J’épie, j’observe, je surveille, en vain. Aucun départ ne semble s’annoncer parmi cet étalage carné.
Je dois me rendre à l’évidence : il n’y a rien pour moi. Il est temps que je réintègre l’appartement de location que j’occupe avec ma femme et mon fils, pour les vacances. Rien qu’à l’idée de la fraîcheur qui m’y attend, un frisson parcourt mon corps et me donne la chair de poule. Et c’est juste au moment où je renonce à livrer bataille et que je m’apprête à tirer ma révérence, que j’entends une voix masculine me dire :
— Qui va à la chasse perd sa place. Et au mois d’août, il ne faut pas espérer en retrouver une autre avant seize, dix-sept heures, voire plus tard encore.
Depuis quelques minutes déjà, je sentais une présence à mes côtés. Mais en pleine saison estivale, les flâneurs sont légion sur la promenade qui longe la plage. Je n’y avais pas prêté attention, trop occupé par mes recherches. Et les va-et-vient des badauds, ce n’est pas ce qui manque. Je hausse légèrement les épaules en signe d’approbation et je concède à mon interlocuteur :
— En effet.
— Vous savez, quand on a la chance d’en avoir trouvé une, dès le matin, il vaut mieux ne pas tenter le diable en l’abandonnant à l’heure du déjeuner. Parce que du coup, ça devient galère pour en dénicher une autre, ajoute-t-il, d’une voix enjouée, sur le ton du fin connaisseur des us et coutumes de la gent touristique.
Je me retourne alors vers lui. Il me sourit. Je le regarde et je lui rends son sourire. L’inconnu qui se tient à quelques pas de moi doit avoir tout au plus une vingtaine d’années. Encore que je n’ai jamais été très doué pour donner un âge à quelqu’un, tout comme il m’est difficile de reconnaître si un nourrisson ressemble à sa mère plutôt qu’à son père, sauf évidence frappante. Quoi qu’il en soit, il me dépasse en tout cas d’une bonne tête. De ses yeux, abrités derrière des lunettes à verre très foncé, je ne vois rien. Son sourire, sur des lèvres délicatement ourlées, laisse apparaître deux rangées de dents parfaites, immaculées, étincelantes et carnassières comme sculptées dans de l’albâtre, et qui tranchent avec le hâle de son visage.
Il est juché sur des sabots suédois noirs et sa silhouette, élancée, longiligne et bien dessinée est celle d’un félin prêt à bondir. Il ne manque pas d’allure. Moulé dans un jean délavé, mon voisin porte un débardeur blanc très échancré et à vue d’œil, d’une taille inférieure à celle qui doit être certainement la sienne. J’ignore s’il se sent à l’aise dans ses vêtements, mais en tout état de cause, ils ont le mérite de ne rien cacher de sa plastique. C’est un beau garçon. C’est même un très beau garçon. Un condensé de séduction, de grâce et d’impertinence à la fois.
— À ce que je vois, vous êtes un expert en la matière, j’ajoute alors, ne sachant pas trop quoi dire.
— Je suis un enfant du pays, c’est normal n’est-ce pas ?
Je conviens que ma remarque n’est ni fine ni pertinente. Mais j’avoue que ce genre de balivernes, bonnes à meubler un silence, ne m’inspire pas et je suis à court d’imagination pour entretenir une conversation. Très honnêtement, je ne vois pas l’intérêt d’engager un quelconque tête-à-tête, avec qui que ce soit. Je décide de garder le silence. Mon inconnu m’a tout l’air de l’avoir compris, car il en fait de même de son côté. Je me dis que c’est très bien comme ça. Chacun de nous se replonge dans ses pensées. Les miennes, la chaleur de plus en plus caniculaire aidant, ont entre-temps changé de direction. Je commence déjà à savourer à distance la douceur de ma couche confortable sur laquelle je ne vais plus tarder à aller me vautrer pour faire une petite sieste méritée, à l’ombre, à défaut d’être parvenu à en faire une au soleil. Quelques minutes s’écoulent ainsi. Mon regard s’attarde un moment sur un couple de mouettes qui fait route vers le port et qui s’égosille comme des cochons qu’on égorge. Ça m’a tout l’air d’être une parade amoureuse, prélude à un accouplement. Mon voisin, témoin de la même scène, me sourit d’un air entendu. Je lui rends son sourire. Je remarque à ce moment-là qu’il tient à la main un magazine enroulé comme un drapeau autour de sa hampe. Il le coince alors entre ses deux genoux, fouille dans les poches arrière de son jean moulant et en extirpe, non sans difficultés, un paquet de cigarettes et un briquet.
— Puis-je vous offrir une cigarette ? me propose-t-il, en me tendant le paquet d’une main et le briquet de l’autre.
J’hésite un court instant : ma dernière remonte à quelques minutes à peine. Mais comment refuser son offre, qui est un geste si sympathique ? Je me dis qu’après tout, je n’en suis plus à une près. Je cède et j’accepte. À ce stade de nos échanges, pour le moins lapidaires, j’estime que devant tant de gentillesse et de sollicitude, je devrais me montrer plus affable, moins distant. Le petit square de front de mer, de l’autre côté de la chaussée, me semble plus approprié pour ne pas cuire sur place. Il a en effet le mérite d’être agrémenté d’arbres et de coins ombragés. Je lui propose alors de nous y rendre.
— Avec plaisir, accepte-t-il.
— Et de préférence à l’ombre, lui dis-je en montrant du doigt le jardin, tout en piochant dans le paquet de cigarettes qui m’est tendu.
— C’est justement ce que j’allais vous proposer aussi, m’accorde-t-il, comme si cela coulait de source ! À cette heure, on se laisserait facilement surprendre par une insolation.
Sur ce, il allume ma cigarette, ensuite la sienne et nous nous dirigeons vers le square. Nous avons davantage de difficultés à nous frayer un chemin parmi la circulation, toujours très dense à cette heure, sans risquer de nous faire faucher au passage par un fou furieux motorisé, qu’à nous dénicher un banc à l’ombre.
À ce moment de la journée, déjeuner oblige, le jardin en question est quasiment vide. Les usagers habituels l’ont déserté. Habituellement, c’est dans ce périmètre à l’écart des voitures que les mamans du quartier se donnent rendez-vous pour bavarder entre elles, tout en surveillant leurs enfants qui peuvent jouer en toute sécurité. Justine et moi, y emmenons de temps en temps, notre fils Léo qui peut ainsi s’y dépenser à loisir et lier connaissance avec des enfants de son âge. Autre clientèle attitrée des lieux : la fidèle escouade des personnes âgées qui, lorsque le soleil commence à décliner, viennent papoter, gavant de pain rassis la tribu de pigeons qui y a élu domicile, ou bien tout simplement somnoler.
Jérôme
Assis côte à côte, chacun de nous fume sa cigarette dans un recueillement quasi religieux, en la savourant comme un condamné, sa dernière. Plus un mot. Silence total. Manifestement, nous n’avons pas grand-chose à nous dire. Pas assez d’imagination, ou aucune envie de discuter, ne serait-ce que pour donner le change et justifier au moins le fait de partager le même banc ?
Autour de nous plane un calme alanguissant. Hormis le bruissement à peine perceptible des majestueux palmiers sous lesquels nous nous sommes abrités, aucune agitation. Même les piafs, d’ordinaire si volubiles, semblent avoir déserté les lieux. J’avoue que j’apprécie les bienfaits de ces instants de sérénité, au point qu’une lourdeur, contre laquelle je lutte avec difficulté, s’empare de mes paupières. Étais-je en train de sombrer, sans le savoir, dans cette sieste derrière laquelle je cours depuis un bon moment ?
Mon jeune voisin, le nez plongé dans son magazine, absorbé dans sa lecture, m’ignore comme il ignore tout ce qui nous entoure depuis que nous avons pris possession de notre siège commun. Il est temps que je m’éclipse et que je prenne congé de lui. Je vais compter jusqu’à cinq et je lui ferai définitivement mes adieux. Mais j’ai à peine le temps d’arriver jusqu’à trois, que je l’entends bredouiller :
Ses borborygmes, s’ils me sont destinés, restent pour moi hermétiques.
— Excusez-moi, mais je n’ai pas compris ce que vous m’avez dit.
— Je me disais, en regardant cette photo, que ce gars est extra ! Tout à fait le genre de garçons qui me plaît, me répond-il, d’un ton naturel et comme allant de soi, qu’un jeune homme dévoile à l’inconnu que je suis pour lui, son attirance pour un autre garçon.
Sur ce, il me tend son journal pour que je puisse en juger par moi-même. Sur une demi-page, le gars extra en question est l’acteur, un jeune adolescent, qui pendant des années a interprété le rôle du jeune héros dans le feuilleton télévisé Belle et Sébastien. Celui-là même, qui a scotché la France entière devant son téléviseur, toutes générations confondues. Qui n’a pas, au fil des épisodes, succombé au charme du jeune Sébastien ? Qui n’a pas pleuré sur ses malheurs ? Quelle mère n’a pas rêvé de le serrer dans ses bras ? Quel père n’a pas souhaité le protéger ? Quels jeunes gens n’ont pas désiré l’avoir comme frère ou ami ?
Tout en me faisant ces remarques, je prends conscience que le beau jeune homme, qui figure sur la photo que je regarde, n’a plus rien à voir avec l’enfant du feuilleton. L’objectif du photographe a immortalisé un bel éphèbe d’une vingtaine d’années, pas très grand, mais bien découplé, un jeune dieu grec, au corps finement ciselé, torse nu, imberbe, nonchalamment adossé contre un arbre, la même moue boudeuse qu’il avait gamin. Je dois reconnaître que la chrysalide a donné naissance à un papillon racé, à un jeune homme ravissant et fort séduisant. Qu’il fasse tourner la tête à ses admirateurs, filles et garçons confondus, se comprend aisément.
Je ne puis m’empêcher de penser à un autre personnage de cinéma, qui, quelques années plus tard, héros mi-ange mi-démon, tint le haut de l’affiche dans Théorème, film de l’écrivain cinéaste Pier Paolo Pasolini, et fit scandale pour avoir séduit, corrompu puis détruit toute une famille de la bonne bourgeoisie milanaise. Mais nous n’en étions pas là.
Ne voulant pas prendre le risque de froisser le jeune homme au cas où, j’aurais donné à tort, à sa remarque un sens qu’elle n’avait pas, je hasarde pour ne pas faire d’impair, un laconique :
— C’est clair, ce garçon si jeune a crevé l’écran. Remarquable comédien. Ses admirateurs ont, à juste titre, loué son talent et applaudi ses performances.
Pour éviter d’emprunter un terrain glissant, je contourne une nouvelle fois sa question et lui réplique, un brin agacé :
— Comment voulez-vous que je le sache ? Je n’ai pas mené d’enquête à ce sujet. En revanche, c’est vous qui m’avez l’air d’en savoir long dans ce domaine !
— Au risque de vous choquer ?
— Dites toujours, on verra bien.
— Il me plaît, comme jamais aucun autre garçon ne m’a jamais plu. J’en pince follement pour lui avec tout ce que cela implique, me confie-t-il, aussi expéditif qu’on puisse l’être et d’une seule traite, comme pour s’obliger à aller jusqu’au bout de sa confidence.
Autour de nous, le silence se fait pesant. Silence de courte durée, qu’il rompt en me lançant :
— De toute façon, ça reste du domaine du fantasme. Lui et moi, on ne fait pas partie du même monde, mais on peut toujours rêver, n’est-ce pas ?
Je ne relève pas sa dernière remarque et devant mon mutisme, il poursuit :
— Vous ne dites rien, mais vous n’en pensez pas moins. Je me doute bien de ce que vous pensez de ceux qui sont comme moi : un garçon qui aime un autre garçon ne peut être qu’un vicieux, un pervers, un malade, et tous ceux qui me ressemblent, des fous dangereux qu’il faudrait éliminer et exterminer. C’est ça, pas vrai ?
Après l’effronterie de son racolage, j’eus la subite impression d’être agressé. L’audace de sa confidence et sa réaction m’étonnent. Le jeunot commence à me chauffer les oreilles très désagréablement.
— Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai rien dit de semblable, vous parlez à ma place et vous me prêtez des propos que je n’ai pas tenus. Je crois qu’il est grand temps que je rentre. Et me levant, je m’apprête à prendre congé du jeune homme :
— Adieu.
— Excusez-moi, vous avez raison, je ne sais plus ce que je dis. Restez encore un moment, s’il vous plaît.
Le félin prêt à bondir se transforme alors en chaton bienveillant. Ses yeux interrogateurs attendent ma réponse. J’hésite un court instant puis je m’entends consentir :
Intrigué par ce jeune phénomène et curieux de voir jusqu’où il peut jeter le bouchon, je cède et je reprends ma place à ses côtés. Il s’empresse de m’offrir une autre cigarette que je refuse et il renonce à en fumer une autre, lui aussi.
« Voilà un jeune homme qui ne lâche pas facilement le morceau », me dis-je. Craint-il, après sa révélation franche et impertinente, mon verdict ? Est-ce seulement de la curiosité ? Après tout, je ne suis qu’un inconnu pour lui, en quoi mon avis sur le problème, pourrait-il avoir de l’importance en ce qui le concerne ? Je me la joue neutre et large d’esprit.
— Vous savez, dans ce domaine comme dans d’autres, je respecte les goûts de tout un chacun, pas plus que je ne porte de jugement sur personne. S’il plaît à d’autres garçons, pourquoi pas à vous aussi ?
Et sur sa lancée, j’enchaîne :
— Exactement, et vive l’égalité !
Ce n’est pas tant ma fibre patriotique qui me fait m’écrier ainsi, simulant l’enthousiasme, que le besoin de banaliser ce dont nous parlons et la volonté de repousser toute éventuelle discussion philo-métaphysico-morale, sur la question. Non pas parce que je ne la considère pas d’importance, mais ce n’est ni le jour, ni le moment pour ce genre de débats sur un sujet aussi sérieux et en vacances, je fais tout pour vivre le plus futilement et bronzer bête. Apparemment, ça marche : mon jeune voisin n’a pas l’intention de se lancer dans le type de tête-à-tête que je redoutais, car c’est ensemble que nous éclatons de rire. Cela a au moins le mérite de détendre l’atmosphère et d’éloigner le moment de crispation précédent.
Malgré la vacuité des lieux, je ne puis m’empêcher d’embrasser d’un regard circonspect les environs. Sait-on jamais ? Nos propos pourraient en offusquer quelques-uns et être pris pour de la provocation. Mais pas plus d’agitation qu’à notre arrivée, tout est toujours aussi paisible. Je ne trouve plus rien à dire et j’attends la suite. Il me sourit, referme le magazine et cette fois, plutôt à voix basse, il laisse tomber :
À mon tour de m’esclaffer :
— Jamais personne, ne m’a dit une telle énormité, mais bon, je prends ça comme un compliment, merci.
Il me fixe droit dans les yeux, et il précise :
— Ce n’est pas uniquement, un compliment. Non seulement vous lui ressemblez, mais je vous trouve même plus beau que lui. Vous incarnez mon idéal de beauté masculine, blond aux yeux bleus, un corps imberbe, le rêve quoi ! Regardez-moi, moi, avec tous les poils que j’ai, on dirait un singe, mais je les éradiquerai quand j’aurai assez de fric pour ça.
Et baissant le ton, dans un souffle, il murmure :
Sa dernière remarque me fait rougir comme un jouvenceau. On ne peut être ni plus clair ni plus direct. Bravo !
À ce jour, jamais personne, et encore moins un garçon, ne s’était adressé à moi de cette manière, ni ne m’avait déclaré rien de tel. Loin de moi l’idée d’essayer de paraître plus pudique que je ne le suis en réalité, mais je dois admettre que je suis singulièrement surpris. Flatté bien sûr, mais surtout surpris. Et quelque peu troublé, je l’avoue. Surpris par l’aplomb du jeune homme. Troublé par ce même jeune homme. Je me trouve en terrain inconnu, tel un voyageur fraîchement débarqué, qui vient juste de poser pied en terra incognita et qui attend.
Devant mon mutisme, sans paraître nullement gêné, il me convie à le suivre :
— Si vous avez un moment et si vous êtes partant, je sais où se trouve un endroit encore plus tranquille que celui-ci. Nous pourrions y faire plus ample connaissance.
Jérôme
Aussitôt dit, aussitôt fait. Comme un seul homme, nous voilà partis. J’ignore où nous allons, mais nous nous y rendons d’un pied ferme et décidé. Pour ma part, c’est la première fois que je m’embarque avec je ne sais qui, vers je ne sais où, pour faire je ne sais quoi. La première fois qu’un inconnu me fait une telle proposition en termes si peu voilés. La première fois, je le pressens, que quelque chose d’inhabituel est en train de se produire. Le simple fait d’accepter de le suivre, sans hésitation, sans y avoir réfléchi une seule minute m’étonne, mais je comprends intuitivement que ce n’est pas pour philosopher sur la condition humaine, que nous allons dans ce fameux endroit tellement tranquille et qu’il semble si bien connaître.
Mais je chasse de mon esprit, toute pensée qui pourrait me faire rebrousser chemin. Disons que j’agis par curiosité et que je sache, la curiosité n’est pas le pire des défauts. Après tout, je suis assez grand pour me défendre. Je suis intrigué par l’intrépide bellâtre et désireux de savoir ce qu’il cache derrière autant d’assurance et d’impertinence.
Je me concentre sur mon nouveau copain et tout en cheminant je le détaille du coin de l’œil.
Je le trouve extrêmement sexy, parfaitement envoûtant, terriblement séduisant. Beau brun, conscient de son charme et de son pouvoir de séduction, si j’en juge par les œillades qu’il ne manque pas de me lancer de temps en temps, sans se départir de son sourire enjôleur. Bref, la perle rare et inespérée. Vu sous cet angle, c’est une belle proie, à laquelle, toute personne partageant ses tendances, ne résisterait pas et qui serait fière d’inscrire à son palmarès. Je m’étonne de moi-même et je m’interroge sur les termes perle rare, belle proie, qui me viennent à l’esprit. Qui est la proie ? Qui est le prédateur ? Autant de questions qui se bousculent en accéléré dans ma tête. Est-ce que cela signifie que dans mon subconscient se terrent des penchants inavoués, et depuis quand ? Vu l’empressement avec lequel j’ai accepté d’accompagner le jeune homme, encore un parfait inconnu, il y a moins d’une heure, je ne peux que me poser ces questions. À défaut d’y répondre, je les élude. J’arrête de cogiter et je remets à plus tard mes interrogations. Chaque chose en son temps. Les dés sont jetés. Il s’agit à présent de ne pas se laisser déstabiliser et d’aller jusqu’au bout. Mais au bout de quoi, ne puis-je m’empêcher de me demander, parce qu’il ne fait aucun doute, que cette entreprise aura un aboutissement. Et c’est encore d’un revers de manche que je repousse cette nouvelle question et je continue d’avancer aux côtés de mon coéquipier.
La canicule et l’allure énergique de notre marche me brouillent la vue. En plein jour, des étoiles clignotent devant mes yeux. J’ai du mal à respirer. Il ne manquerait plus que je tourne de l’œil et que je m’étale en pleine rue. Tiens, je ne me savais pas si fragile ! Mais je comprends aussitôt que ma soudaine fragilité n’y est pas pour grand-chose. Je prends sur moi pour ne pas céder à la panique, car il s’agit bien de panique, la même que celle de l’enfant qui sait que s’il approche son doigt trop près de la flamme de la bougie, il risque de se brûler et pourtant il ne peut s’empêcher de le faire. De même que l’aimant qui nous aspire irrémédiablement en zone interdite. J’inspire profondément plusieurs fois pour recouvrer mon calme et comme un coureur de fond, j’adapte ma respiration à mes pas et peu à peu, je me ressaisis.
Chemin faisant, toujours aussi muets l’un que l’autre, je me contente de tourner la tête et de le regarder. Lui, imperturbable, me sourit toujours. Il se sait observé et à ses sourires, il ajoute des pincements de lèvres. Je prends ça pour un simulacre de baisers,ou bien pour me dire : « T’inquiète, ça va aller ». Décidément, rien ne l’arrête. En retour, je lui réponds par un clin d’œil et un sourire mi-figue mi-raisin. Je m’efforce de ne plus penser à rien, en focalisant toute mon attention sur les pavés qui recouvrent la chaussée.
Nous ne marchons que depuis quelques minutes et je trouve déjà le trajet trop long. Je n’ose lui demander si c’est encore loin : mon empressement pourrait être mal interprété. Nous gardons le silence. Mais les regards qu’il continue à me lancer, n’en disent pas moins.
C’est après avoir gravi une côte à vous couper le souffle, sur environ huit cents mètres, et escaladé une bonne cinquantaine de marches, que nous atteignons enfin une terrasse. Une plate-forme de belles dimensions dont le promontoire, à l’une de ses extrémités, domine en contrebas, un des plus beaux panoramas du port et de la baie de la ville. Mes jambes vacillent. Est-ce la fatigue ? Est-ce l’émotion ? Est-ce l’appréhension ? Est-ce l’excitation ? Je renvoie à plus tard l’éclaircissement de ce dilemme, et l’automate que je suis devenu, préfère mettre cela sur le compte de la chaleur et de la marche au pas de course que nous venons d’effectuer. « À mauvaise foi, mauvaise foi et demie ! » dois-je reconnaître.
Il n’y a pas âme qui vive et le silence est total, si ce n’est le chant des grillons et des cigales. J’entr’aperçois, tapie dans un écrin de verdure luxuriante, une petite chapelle flanquée d’une bâtisse aux dimensions plus imposantes. Mais l’heure n’est pas à s’extasier devant la beauté des lieux. Un vent léger s’invite et, complice, paraît vouloir se charger d’éloigner mes derniers scrupules. C’est ce que semble me dire mon ami, lorsque d’autorité, il prend ma main et me guide à travers les allées bordées de magnifiques parterres de fleurs et d’arbres, centenaires pour certains d’entre eux, jusqu’à une remise entièrement recouverte de vigne vierge. Il s’assure, d’un rapide coup d’œil à droite puis à gauche, que la voie est libre et en deux temps trois mouvements, il dégage le cadenas d’une porte qui, à la première poussée cède et s’ouvre. Nous nous engouffrons à l’intérieur du réduit.
Le contraste avec la luminosité extérieure m’aveugle. Nous nous retrouvons dans un trou noir, mais il y fait frais et c’est une sensation de bien-être qui enveloppe mon corps. Quelques secondes après, je m’habitue à l’obscurité et je constate qu’il s’agit d’un abri de jardin où sont entreposés les outils certainement destinés à l’entretien du parc. Il me le confirme. Un coup de pied silencieux, mais efficace de mon jeune partenaire, et la porte se referme derrière nous.
Il se débarrasse de ses lunettes et pour la première fois je peux voir ses yeux, qu’il a noirs et immensément grands, et en l’imitant je me débarrasse des miennes. Il s’approche de moi, se campe sur ses deux jambes aux cuisses que je devine musclées et massives à travers son jean, et il commence à me caresser. Ses doigts effleurent mon visage. Il parcourt tantôt de ses index, tantôt de ses pouces le tracé de mes lèvres, mon nez, s’attarde sur les joues puis redescend jusqu’au cou et y dépose de petits baisers, qui me procurent instantanément un frisson, qui de mes reins se propage jusqu’à la nuque. Je me laisse faire, sans envisager de l’arrêter ou de fuir. Je ferme les yeux et il continue. Lorsque ses lèvres se posent sur les miennes d’abord hésitantes, puis plus insistantes, je cède à leur pression et je m’ouvre aux siennes. Je ne saurais dire ici ni les sentiments que me procurait ce baiser ni les sensations qui traversaient mon esprit sur ce qui était en train de se produire. Inconsciemment, et pour la énième fois, je relègue à plus tard l’analyse de mes agissements et les sentiments qu’ils ne manqueront pas de déclencher. À l’évidence, je m’abreuvais à cette source nouvelle pour moi, avec gourmandise et béatitude. De mémoire d’homme, je n’avais jamais rien ressenti d’aussi sensuel, d’aussi grisant. Effets d’un interdit ou bien alors, étais-je en train d’exagérer les sensations que j’éprouvais, en regard de la nouveauté de l’expérience que je faisais. Quoi il en soit, le plaisir était bien réel. Le goût de tabac légèrement mentholé du jeune homme agissait comme un aphrodisiaque m’entraînant en terrain inconnu que j’étrennais. D’abord maladroit et incertain, je m’enhardis à mon tour, en passant d’un échange doux et délicat à une rage dévorante, emportant tout sur son passage. Une violente tempête s’empare de moi, de nous. Je peine à respirer : j’ai le souffle coupé. Je me sens chavirer de plaisir, d’émotion et c’est de plus en plus frénétiquement que j’explore ce qui m’est donné à explorer. J’aime la saveur que le jeune homme dégage et je m’y repais comme à une fontaine de jouvence. J’y étanche ma soif et lui la sienne. Au goût délicatement salé d’eau de mer de ses lèvres vient s’ajouter un lointain fumet onctueux qui n’est pas sans me rappeler l’ambre solaire qu’il doit certainement utiliser. À cela, s’ajoute enfin, l’excitation que représente ce jeune fruit prohibé. Un pur moment d’extase se répand dans tout mon être. Mais déjà, ses mains s’impatientent. Elles courent fébrilement sous mon débardeur pour toucher, palper ma peau. Elles s’attardent un moment sur mon torse, partent à la conquête de mes aisselles, taquinent un instant mes touffes de poils, puis redescendent jusqu’à ma taille. Ses lèvres se détachent alors des miennes et m’attirant vers lui, il se colle de tout son corps contre le mien, qu’il serre à m’étouffer. Je sens alors sa protubérance venir se plaquer contre mon bas ventre, et à mon tour je suis saisi d’une fébrilité impertinente que je ne peux plus contrôler. Je ne sais plus où j’en suis. Mais c’est lorsque ses doigts se glissent au fond de la ceinture de mon bermuda pour continuer leur exploration, qu’un clocher, vraisemblablement celui de la chapelle que j’ai entr’aperçue en arrivant, se met à sonner pour marquer l’heure et comme si un coup de massue s’était abattu sur moi, non pas pour m’assommer, mais pour me faire reprendre les esprits et redescendre sur terre, je repousse mon compagnon et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, je me retrouve à l’extérieur de la remise.
Dehors, la luminosité m’agresse, m’aveugle. Les lunettes n’y font rien. Je ferme instinctivement les yeux. Avec autant de dextérité que pour l’ouvrir, mon jeune ami verrouille la porte de l’abri. Je suis abasourdi et comme saoul. Mes jambes chancellent. Avant de nous éloigner, nous marquons un temps d’arrêt pour reprendre notre souffle. La canicule nous accable, nous dissout sur place. Je n’ai plus qu’une envie : quitter au plus vite cet endroit. J’ai besoin d’air. J’ai besoin d’espace. J’ai besoin de me fondre dans la foule, de redevenir anonyme et de me retrouver seul, de m’isoler.
— Il faut que je rentre à présent, lui dis-je.
— Je comprends, répond-il et me tendant la main, il ajoute, moi c’est Sylvain. Je suis heureux d’avoir fait ta connaissance.
— Moi c’est Jérôme, et en lui serrant la main, content de t’avoir connu. À présent, il faut que je file. Salut.
Le sommeil libérateur et réparateur que Jérôme avait désiré tout au long du chemin du retour s’était en fait transformé en une prosternation hébétée. Depuis qu’il était rentré à l’appartement, seul le mot griffonné par sa femme, l’informant qu’elle n’irait pas comme convenu le rejoindre à la plage, mais qu’elle était partie se promener avec leur fils, lui avait procuré un certain soulagement.
Ainsi dans l’immédiat, n’aurait-il pas son regard à affronter. Il s’était alors jeté sur son lit, et la chape de plomb qui s’était abattue sur lui, l’avait comme précipité dans un gouffre. Un gouffre dont il ne parvenait pas à atteindre le fond. Il flottait, vidé de tout : de substance et d’esprit. Allongé sur le dos, les bras croisés sur sa poitrine, les yeux fermés, il restait là, figé, immobile telle une momie. Par moments, ses paupières étaient prises par de fugaces et imperceptibles frémissements. Son souffle était, tantôt court et haletant, tantôt comme en apnée, mais la sensation lui était plutôt agréable. Il coulait, coulait à l’infini comme aspiré par un tourbillon. Il ne souhaitait ni que cela continuât, ni que cela s’arrêtât. Pour cela, il lui aurait fallu penser, réfléchir. Or, sa conscience avait perdu la capacité de s’accrocher à la moindre idée.
Tout le monde a fait au moins une fois dans sa vie, l’expérience qui consiste à demander à quelqu’un absorbé dans ses pensées, à quoi il réfléchit. Rares sont ceux qui vous le disent. En général, la réponse est : à rien. En réalité, nous savons tous, qu’il n’en est justement, rien, mais que c’est le meilleur moyen de couper court à toute discussion, d’écarter curieux et indiscrets et de rester entre soi et soi.
Mais Jérôme, lui, avait précisément réussi l’exploit, sans l’avoir recherché, d’être parvenu à atteindre ce détachement total de soi, au point de ne plus penser. La conscience de soi peut être, selon les circonstances, la pire ou la meilleure amie de l’homme. Mais dans le cas présent, c’est de l’inconscience que Jérôme s’était fait la meilleure amie. En effet, il était entré dans un état de grâce, proche de la béatitude. Non pas parce qu’il avait accompli un acte de bravoure qui l’aurait sanctifié. Il n’était pas à la porte du Paradis, au contraire. Après ce qu’il venait de se passer, c’est plutôt en Enfer qu’on l’aurait expédié. Tout simplement, il n’était plus le Jérôme que l’on avait toujours connu, il n’était plus Jérôme tout court, mais un non-être, débarrassé de son enveloppe charnelle, un non-esprit.
Bref, il était le néant.
Il sombra et s’endormit.
Jérôme et Justine s’étaient connus en faculté, lors des évènements de mai 68. Ils ne suivaient pas les mêmes cours et ne s’étaient jamais croisés auparavant. Lui s’était lancé dans des études qui devaient le mener à exercer la profession d’archiviste-paléographe. Elle, était en maîtrise d’anglais, travaillait à son mémoire et parallèlement préparait deux certificats optionnels pour être traductrice et fréquentait la faculté des Lettres et Sciences Humaines pour ses recherches. Mais dans cette période enfiévrée, pour occuper ces journées d’oisiveté forcée, il n’y avait rien d’autre à faire qu’à se rendre aux manifestations et à assister aux Assemblées Générales qui se tenaient quotidiennement dans toutes les Facultés : plus aucun cours n’était dispensé dans tous les établissements, faute d’étudiants. Et entre temps, dans les campus, les étudiants préparaient de grands raouts où le sandwich était devenu l’aliment de base, accompagné essentiellement de bière qui coulait à flots. Les nuits se terminaient alors aux premières lueurs du jour et tout ce petit monde allait se coucher pour se requinquer avant le début des escarmouches avec les forces de l’ordre et les interminables joutes verbales entre eux.
Et c’est précisément lors d’un de ces meetings et parce qu’ils se tenaient, l’un comme l’autre, en retrait, que leurs regards s’étaient croisés. Ils ne faisaient pas partie des étudiants contestataires qui luttaient auprès de la masse laborieuse des prolétaires, durement exploitée par le grand capital, contre la société de consommation (Sic !). En réalité et malgré tout ce qu’ils avaient entendu lors de certains meetings auxquels ils s’étaient rendus, ni l’un ni l’autre n’étaient sûrs d’avoir vraiment compris les revendications de tous ces révolutionnaires en herbe et dont les orateurs du haut de leur tribune, affirmaient à longueur de discours hurlés, souvent improvisés, de péroraisons lyriques et catégoriques, que la victoire était proche et qu’ils n’allaient pas tarder à s’emparer du pouvoir pour instaurer enfin cette société idéale, à laquelle les hommes ont toujours aspiré. Et d’entonner à tout bout de champ : « … du passé faisons table rase… »
Justine et Jérôme suivaient, au jour le jour, les évènements, mais il leur semblait que la vie des étudiants parisiens, dont les agissements leur parvenaient par l’intermédiaire des transistors que beaucoup gardaient collés à leur oreille en continu, n’avait rien de commun avec leur vie d’étudiants de province. Pour tout dire, ils ne se retrouvaient pas dans leur perception de la situation et ne comprenaient pas toutes leurs revendications.
Dans la région de l’est de la France, où ils faisaient leurs études, ils avaient, pour ainsi dire, un train de retard. L’expression, Paris et le désert français, appliqué à la réalité de la géographie sociale de la France, prenait alors tout son sens, et aurait pu qualifier aussi la mentalité d’une certaine jeunesse.
Le comportement détaché, parfois blasé, voire quelque peu suffisant, qu’ils affichaient à propos du feu révolutionnaire qui brûlait les entrailles de leurs camarades étudiants politisés, contrairement à eux, avait rapproché les deux jeunes gens. De sourires de connivence en clins d’œil complices, ils s’étaient, sans tarder, avoué qu’ils ne se sentaient pas concernés par ce qu’ils appelaient La Comédie, de cette fin de siècle. La vérité était beaucoup plus simple : dès le premier regard, ils avaient succombé à un coup de foudre réciproque. Jérôme avait été séduit par cette belle brune aux yeux sombres, peu expansive et réservée, avec un je ne sais quoi de triste dans le regard. « Elle ne demande qu’à se laisser protéger », en avait-il conclu.
Son côté chevalier servant s’était alors révélé.
La liberté des mœurs estudiantines qui a toujours été d’actualité de tout temps avait explosé en cette période révolutionnaire et tout en attendant la prise du pouvoir politique, la révolution sexuelle, elle, battait son plein et était devenue une réalité. Changement d’époque, changement de mœurs. Ainsi, les garçons, de plus en plus audacieux dans leurs propositions aux jeunes filles, s’embarrassaient-ils de moins en moins avec des préambules pour aboutir à leurs fins. Justine avait eu à repousser les avances de certains prétendants un peu trop entreprenants et s’en était plainte.
Aussi, dès les premiers jours de leur rencontre Jérôme était-il devenu, un rempart contre tous ceux qui s’approchaient trop près de sa nouvelle amie.
Les questions qu’ils se posaient l’un et l’autre sur les évènements qu’ils vivaient, celles concernant leurs études réciproques, laissèrent assez rapidement la place, à des sujets plus intimes, désireux tous les deux d’en savoir un peu plus sur l’autre.
Il était quasiment impossible à Jérôme d’inviter quelqu’un dans la chambre qu’il occupait à la Cité Universitaire et une fille, il ne fallait pas y songer. Il n’avait jamais eu le cran, contrairement à certains de ses camarades étudiants, de le faire en utilisant d’impensables subterfuges. Le risque de se faire expulser était réel et il ne le prenait pas. Il se débrouillait autrement, voilà tout. Mais s’agissant de Justine, sans se l’avouer clairement, ce qu’il pressentait, ce n’était pas l’histoire d’une nuit, car au bout de quelques jours, il leur sembla impensable de rester loin l’un de l’autre, ne serait-ce qu’une heure. C’est Justine qui trouva la solution. Elle louait un petit studio indépendant dans un immeuble à une encablure de la fac, elle n’avait de compte à rendre à personne et elle proposa à Jérôme, en toute simplicité de venir s’installer chez elle. Et c’est ce qu’il fit.