Les hors races - Tome 4 - Pierre Deroissy - E-Book

Les hors races - Tome 4 E-Book

Pierre Deroissy

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Beschreibung

Lorsque paraît aux États-Unis le roman Burning Crossfires "– L’Escalade des Feux Croisés –", des deux côtés de l’Atlantique, c’est la consécration. Les lumières se braquent sur Georges au point où une chaîne de télévision américaine lui propose l’adaptation de sa saga avec en tête d’affiche une star de cinéma. Le succès le suivra-t-il seulement dans cette nouvelle aventure ? Le couple qu’il forme avec Jérôme résistera-t-il au tourbillon de la gloire ou se fera-t-il consumer par le feu des projecteurs ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après une vie entièrement consacrée à l’enseignement et aux livres, c’est tout naturellement que Pierre Deroissy est passé, au fil du temps, du statut de lecteur fervent à celui d’auteur. Sur plusieurs décennies, il a écrit des poèmes et des textes divers. Ensuite, il s’est lancé le défi de publier des romans, animé par son désir de partager avec les lecteurs.

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Pierre Deroissy

Les Hors Races

Tome IV

Sous Les Projecteurs

Roman

© Lys Bleu Éditions – Pierre Deroissy

ISBN : 979-10-422-2450-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Chez Le Lys Bleu Éditions

– Judith Agnat, la femme qui aimait le mimosa, 2023 ;

– L’Escalade des Feux Croisés, Tome I, Les Hors Races, 2023 ;

– La Vraie Vie Va, Tome II, Les Hors Races, 2023 ;

– De L’Autre Côté, Tome III, Les Hors Races, 2024.

Ose rêver. Ose essayer. Ose te tromper. Ose avoir du succès. Vas-y. Je te lance un défi.

Kingsley Ward, Lettre à son fils

Il faut faire de la vie un rêve et faire d’un rêve, une réalité.

Pierre Curie, Journal intime

J’ai toujours pensé qu’un écrivain ne pouvait pas faire un héros crédible de roman. C’est même souvent le propre des romanciers qui n’ont rien à dire que de céder à cette tentation. […] Il y en a un peu marre des héros écrivains.

Nicolas Fargues, One Man Show

Mais un auteur c’est avant tout un être humain, présent dans ses livres, qu’il écrive très bien ou très mal en définitive importe peu, l’essentiel est qu’il écrive et qu’il soit, effectivement, présent dans ses livres.

Michel Houellebecq, Soumission

Première partie

Chapitre I

Le regard tourné vers le ciel

Le regard tourné vers le ciel, il s’entendit dire à voix haute : « Fasse, que ce jour soit le bon. » Léo n’avait pas l’habitude de parler ou de se parler à haute voix, mais pour l’heure, il n’était pas dans son état normal. Il ne priait pas non plus, il ne savait pas, son père ne le lui avait jamais appris, mais à sa manière, c’est ce qu’il faisait.

C’est elle qu’il implorait, accoudé sur le rebord de la fenêtre de la cuisine, en humant l’air frais pour se réveiller complètement, après avoir bu son premier café de la journée. Le jour venait à peine de se lever et elle, c’était sa mère. C’est vers elle, que ses pensées se dirigeaient.

En ce mois de janvier, le soleil, comme la veille, serait-il encore au rendez-vous aujourd’hui, se demanda-t-il. Aux premières lueurs, les étoiles s’étaient éteintes, mais elle, où se trouvait-elle ? Les photos qu’il gardait de la défunte l’aidaient à ce que les traits de son visage ne s’effacent pas avec le temps. Son visage ne vieillirait jamais, sa mère était entrée en éternité et resterait jeune jusqu’à la fin des temps.

Avec sa sœur, enfants, ils n’en avaient pas souvent parlé, ils ne l’évoquaient que très rarement. Lui, il la croisait dans les albums que son père laissait traîner volontairement sur la table basse du salon, mais pas sa sœur. Et lorsqu’il souhaitait rafraîchir l’image que sa mémoire avait imprimée en lui, de crainte qu’elle ne se dilue avec le temps, il restait de longues minutes le regard fixé sur l’une de ses photos, pour s’en imprégner encore et encore et il devait se faire violence pour s’en détacher.

Sur l’une d’elles (sa préférée), sa mère Justine et son père Jérôme. Elle, rayonnante de bonheur et radieuse de beauté, souriait à l’objectif et à la vie, tandis que, facétieux, Jérôme, son père, tenait dans ses bras, son bien le plus précieux, une main protectrice sur le ventre proéminent de sa femme qui l’abritait lui, Léo, à quelques jours de sa venue au monde. L’image parfaite de la félicité.

Il ne se rappelle pas avoir vu Sylvaine, le nez plongé dans l’un de ces albums, et lorsqu’il le lui proposait, elle ne s’y attardait pas bien longtemps, au moindre prétexte, elle se sauvait. Mais il comprenait cela. Une mère virtuelle, dont seuls les souvenirs des autres demeurent, était-ce une mère ? Ce qui expliquait sans doute, que Sylvaine ne l’avait pas vraiment réclamée, quand lui, enfant, avait tant souffert de son absence et qu’il demandait à son père, si c’était vrai qu’il ne reverrait plus jamais celle qu’il avait tant aimée. Il lui avait répondu alors :

— C’est nous qui pouvons faire revivre ceux qui sont partis et que nous continuons à aimer.

— Apprends-moi à le faire, s’il te plaît, papa.

Surgissaient alors, sous ce ciel californien, les images lointaines de lui, enfant, le soir, quand allongé contre son père, la tête sur sa poitrine, bercé par les battements de son cœur, il lui disait :

— C’est facile, il suffit de poser ton regard sur la constellation et de laisser s’écouler les secondes, les minutes, le temps nécessaire et c’est lui qui se fixera sur une étoile, et cette étoile, ce sera celle que ta maman t’aura fait choisir. Les ailes de minuscules créatures, invisibles à l’œil nu, se joindront les unes aux autres et elles formeront ainsi, une ligne continue, ce sera ce chemin dans la Voie lactée, où cohabitent trois cents milliards d’étoiles et cent milliards de planètes, qui fera se joindre une mère et son enfant et ils seront à nouveau réunis. Tu entendras sa voix, par la voix de ton cœur, tu reconnaîtras son visage, par les yeux de ton cœur, et tu reverras ta maman, chaque fois que tu en éprouveras le besoin, chaque fois que tu le souhaiteras. Elle sera là, au fond de ton cœur.Elle ne te quitte jamais, elle vit en toi et pour toi.

Et Léo avait mis en pratique les leçons de son père avec succès. Alors, toutes les nuits, il s’était laissé bercé par sa mère, jusqu’à ce qu’il sombre dans le sommeil et cela l’avait aidé à grandir. Devenu adulte, dans son lit, avant de basculer de l’autre côté, sa dernière pensée allait toujours vers sa maman, et enfin apaisé, il s’endormait.

Aujourd’hui, le regard tourné vers le ciel, il implorait sa mère, de faire en sorte que sa femme, Brenda, accouche au plus vite et de veiller sur elle, sur lui, sur les enfants à venir.

Les étoiles telles des feux-follets au firmament scintillaient, filaient droit, disparaissaient pour mieux réapparaître plus loin ou bien alors s’évanouir dans les abysses célestes, à tout jamais. Il ferma les yeux. Et lui revint alors en mémoire, le long poème Feu Follet de Jules Verne – pas moins d’une vingtaine de strophes – qu’enfant, Georges lui avait fait découvrir. Il lui en dictait une, chaque soir, comme exercice d’orthographe, qu’ensuite ensemble ils corrigeaient. Il ne l’avait jamais appris par cœur, mais quelques vers étaient restés gravés dans sa mémoire, et parmi eux : Ce feu qui brille, s’éteint vite et ne brûle pas ! Qui que tu sois, éclair, souffle, âme. Dans ces quelques mots, Léo voyait sa mère.

Lorsqu’il fut pris de frissons, il rabattit le battant de la fenêtre et il rentra.

La nuit avait été ce qu’elle avait été, égale aux précédentes, le qui-vive permanent l’ayant empêché de dormir profondément ou bien alors pour de très courts moments. La veille au soir, un vent violent s’était levé et l’on avait craint à un brusque changement de temps, mais il n’en fut rien. Il avait balayé les nuages, et éloigné pour encore une journée au moins, une détérioration climatique. Aussi, était-il prévisible, que dès l’aube, après dissipation du couvercle laiteux, un bleu azur comme au plus fort de la saison estivale s’emparerait-il du ciel et la journée serait certainement belle. Et elle le serait d’autant plus, si la délivrance était enfin au rendez-vous, après une attente si longue et pénible pour tout le monde.

À San Francisco, en hiver, c’est timidement que la fraîcheur matinale, laisse au fil des heures, place à un soleil qui irradie tout ce qu’il touche et rend les journées lumineuses. Le décor de la ville se pare des habits d’un printemps hors saison et il fait bon s’y attarder, s’y laisser réchauffer. Le contact de ses rayons est une caresse furtive, mais bienfaisante. Même si en quelques heures, tout peut changer, et des pluies s’avérer persistantes et de plus en plus fréquentes. « Nous n’en sommes encore pas là », songea Léo. Il se voulait optimiste, il le fallait, il le serait.

Ce jour-là, Brenda avait fait, de plus en plus, montre de lassitude et de fatigue. Le beau temps qui s’était confirmé n’y fit rien et son humeur était chagrine. Léo avait réussi cependant à la persuader d’aller se promener dans le quartier, pour s’aérer un moment et rompre avec la monotonie d’une autre journée semblable aux précédentes où seule l’attente avait de l’importance. Mais au bout de quelques dizaines de mètres, il fallut y renoncer, faire demi-tour et mettre fin à ce chemin de croix. Les sourires de la jeune femme ressemblaient davantage à des grimaces et elle n’avait qu’un seul souhait, être libérée au plus vite, de ce poids qu’elle portait en elle et sur elle, au physique comme au moral.

La journée n’en finissait pas de s’étirer péniblement. Entre soupirs et grincements de dents, la jeune femme se traînait difficilement d’une pièce à l’autre, d’un fauteuil à un canapé, sans trouver la bonne position qui la soulagerait quelques instants.

Ces derniers jours, elle fuyait même tous les miroirs de sa maison. Elle se trouvait horrible, se détestait. Elle en voulait terriblement à Léo, quand il lui disait :

— La grossesse te va si bien, tu embellis de jour en jour.

Dans ces moments-là, elle l’aurait giflé, elle, d’habitude si douce. Mais elle se contentait de serrer les dents et ne passait jamais à l’acte. Léo, conscient des sentiments de sa femme, compatissait par un sourire à peine esquissé. Finalement, tant bien que mal, les heures s’écoulèrent et la journée également. Et, c’est exténuée qu’elle alla se coucher. Lorsqu’au lit, Léo l’embrassa en lui souhaitant une bonne nuit – il n’en croyait pas un mot – il avait comme le pressentiment que les choses ne seraient pas de tout repos et qu’elles allaient même se précipiter au cours des heures à venir. « Voilà maintenant que moi aussi, j’ai des pressentiments de femme enceinte », ça le faisait sourire et ça le détendait.

L’éventualité de jumeaux, qu’on leur avait annoncée en début de grossesse, s’était confirmée les mois suivants. Brenda était bien enceinte de deux êtres, les échographies successives, l’avaient certifié. Au grand étonnement de leur entourage, les futurs jeunes parents n’avaient pas voulu connaître le sexe des nouveaux arrivants, ils s’en réservaient la surprise, à l’ancienne. Ils n’en réfléchirent pas moins aux prénoms et à toutes les combinaisons possibles, deux filles, ou deux garçons, ou une fille et un garçon. Le choix des prénoms fut l’occasion de défendre chacun son pré carré, d’un côté la France, de l’autre les États-Unis, mais il n’y a eu pas de bataille rangée, aucun perdant et uniquement des vainqueurs. Lorsqu’ils finirent par se mettre d’accord, ils en gardèrent le secret.

Les derniers mois et surtout les dernières semaines, ils avaient choisi le mobilier des futures chambres ainsi que la couleur des layettes, vêtements divers et berceaux, selon les combinaisons des sexes possibles. Pendant les quelques jours où mère et enfants resteraient à la maternité, les boutiques livreraient en conséquence ce qu’ils avaient commandé et Mammita se chargerait de tout préparer, afin d’accueillir, comme il se doit, les nouveaux membres de la famille.

Au début, les nourrissons partageraient la même chambre pour en faciliter la gestion. Plus tard, chacun d’eux intégrerait son espace privé.

Léo et Brenda se réjouissaient de tout ce qui leur arrivait comme deux enfants qui ont décroché le gros lot. Passer de simple couple à père et mère de deux enfants était à leurs yeux une merveilleuse chose à laquelle ils n’auraient jamais osé songer. Mais aujourd’hui, plus que les jours précédents, tous les deux avaient hâte que l’on touche enfin au but. Désormais, ils voulaient passer du rêve à la réalité.

Que cesse aussi l’interminable période de stress profond pour Léo. Il lui semblait porter, dans ses entrailles, autant que sa femme, la progéniture. Pendant toute la durée de la grossesse, il avait appelé Brenda, de son lieu de travail, plusieurs fois par jour, pour savoir comment elle se sentait. Tout se passait bien, même très bien, y compris lorsque, cloîtrée à la maison à quelques semaines de l’accouchement, elle avait cessé de travailler et qu’elle restait chez eux. Mais, rien n’y faisait, c’était plus fort que lui, il ne pouvait pas s’empêcher de le faire, tant l’angoisse l’habitait. Personne n’aurait pu lui faire entendre raison, cette angoisse faisait désormais partie de son ADN.

La mort de sa mère, en donnant naissance à sa sœur Sylvaine, le hantait depuis toujours.1Il n’en avait jamais parlé avec son père, ni enfant ni adulte, et encore moins avec sa sœur. Mais le traumatisme subi l’avait marqué au fer rouge et aucun raisonnement n’avait prise sur lui.

Déjà, quelques années auparavant, il avait vécu de façon aussi intense la grossesse de sa sœur Sylvaine, et l’angoisse ne l’avait pas quitté d’une minute. S’agissant de sa femme, les tourments avaient décuplé, l’appréhension galopait. Cependant, il prenait sur lui pour afficher un visage serein et ne pas inquiéter outre mesure Brenda. Son épouse, elle, en revanche, plus détendue, était inquiète comme toute future maman, mais modérément. Le fait qu’elle porte deux bébés avait ajouté évidemment une dose supplémentaire d’anxiété, mais quoi de plus normal.

Elle avait eu les confidences de sa belle-sœur Sylvaine de l’état de son frère lors de sa grossesse avant la naissance de Justine, et en cela, il n’avait pas changé depuis.

Impatient, il comptait les jours, il comptait les heures, à partir de la date probable de l’accouchement qui avait été estimée par les soignants depuis le début de la grossesse. Cela restait une approximation, lui avait-on pourtant précisé dès le début, et rien ne servait de s’affoler si la nature n’était pas ponctuelle au rendez-vous. Il fallait qu’il s’arme de patience, voilà tout. Mais cette nuit-là, contrairement aux fausses alertes des jours précédents, il sentait que c’était la bonne.

Après s’être tournée et retournée dans son lit, avec les difficultés de mouvements prévisibles, Brenda ne réussissait pas à prendre sommeil. Ni son mari. Nervosité et agacement modifiaient les traits de son visage. Sa beauté ne s’en trouvait pas pour autant flétrie, au contraire, aux yeux d’autrui, elle embellissait. Signe, prétendait Mammita, que madame portait deux garçons. Si au contraire, la future progéniture avait été de sexe féminin, le visage de la maman aurait été davantage marqué, autrement dit, elle aurait enlaidi.

— Au Mexique, ça marche toujours, pourquoi pas à San Francisco, argumentait-elle à Léo qui ne savait qu’en penser.

Il se contentait de riposter, sceptique :

— Si vous le dites.

En attendant, le futur papa, s’était assis à côté de sa femme, une main délicatement posée sur son ventre volumineux, mais elle ne la tolérait qu’un court moment, et irritée, elle la repoussait presque aussitôt. Son mari l’énervait, les regards qu’elle lui lançait au plus fort des contractions n’étaient pas aimables. Brenda présentait tous les symptômes qui indiquaient que la délivrance était imminente : un durcissement du ventre, la régularité et l’intensité des contractions et leur durée, des pertes vaginales glaireuses, plus ou moins teintées de sang.

Comme un coach sportif, Léo, le chronomètre dans une main, un stylo dans l’autre, notait scrupuleusement, comme on le lui avait appris, la fréquence des spasmes de sa femme : le doute n’était plus permis, d’autant qu’elle commençait à perdre les eaux.

La valise préparée de longue date par la future maman était déjà dans la voiture et ils prirent conjointement la décision de se rendre à la maternité. En quelques minutes, Brenda fut installée dans leur véhicule. Ils prirent la direction du San Francisco Birth Center.2 En quelques minutes, Léo aida Brenda à s’installer dans leur véhicule. La distance à parcourir n’était que de quelques miles et en pleine nuit, même à San Francisco, la circulation connaît un certain répit. Après le rush incessant des automobiles en journée, la relative accalmie entre vingt-trois et six heures du matin changeait même la physionomie de la cité, y compris dans ses quartiers les plus névralgiques.

Avant de prendre le départ pour la maternité, le futur papa avait appelé le centre pour annoncer leur arrivée. Le trajet, sans encombre, fut parcouru rapidement. À peine si Léo, pendant la route, entendait de temps en temps des gémissements, tout en retenue, de sa femme qui serrait les mâchoires pour ne pas le gêner dans sa conduite.

Lorsqu’ils parvinrent à la maternité, Léo ralentit, stoppa son véhicule en douceur à proximité de l’entrée de l’établissement. Deux infirmières et un aide-soignant étaient déjà sur le pied de guerre et les attendaient avec un fauteuil roulant dans lequel la jeune femme prit place et ils assurèrent le relais.

Puis, Léo alla se garer à l’emplacement réservé aux voitures des familles des parturientes et des visiteurs et au pas de course, il rejoignit le hall où on le dirigea en salle de travail.

Le jeune couple était familier du centre, pour s’y être rendu régulièrement pendant la grossesse, à l’occasion des visites obligatoires et lors des séances de préparation à l’accouchement, auxquelles Léo avait assisté. Les personnels soignants étaient compétents et savaient mettre en confiance les patientes dont ils s’occupaient, en employant les mots justes qui rassuraient les futures mères et leurs époux.

Léo avait voulu assister à l’accouchement et dans la salle de travail, tandis que l’on installait Brenda sur la table, une infirmière, parmi les quatre ou cinq soignants qui s’affairaient, lui fournit la tenue obligatoire qu’il devait endosser. Pendant qu’il s’exécutait, les plaisanteries fusaient en direction du papa.

— Avoir un papa cosmonaute, tous les enfants en rêvent, lança une infirmière.

— À condition qu’il ne s’évanouisse pas, lorsque nous entamerons la descente, commenta une autre.

Léo, lui, se contenta de leur adresser un sourire mi-figue mi-raisin. Cela dédramatisait et banalisait la situation et le déroulement de l’opération. En général, l’équipe soignante n’était pas favorable à la présence du père pendant le déroulement de l’accouchement : il y avait fort à faire avec la future maman pour se compliquer en outre la tâche, en s’encombrant d’une tierce personne qui, si trop émotive, pouvait, à tout moment, tourner de l’œil. C’est ce qui risquait de compliquer un peu les choses quand cela survenait. Mais Léo se montra à la hauteur et fut exemplaire d’un bout à l’autre de la délivrance.

Tout le temps que dura le travail, il ne lâcha pas d’une minute la main de Brenda qui la lui broyait au plus fort de chaque poussée. Il lui glissait à l’oreille des mots affectueux et les mêmes conseils d’encouragement, en répétant ceux que la sage-femme et son équipe lui prodiguaient. En retour, elle lui adressait de vrais regards assassins. « C’est normal, ce qui lui arrive est ma faute, je comprends qu’elle m’en veuille, elle exprime son amour pour moi en haine, tellement elle a mal », se consolait-il.

Pour avoir suivi toutes les séances de la préparation à l’accouchement avec sa femme, il avait appris lui aussi à gérer le rythme et l’intensité des inspirations et expirations et il les reproduisait en même temps que Brenda. Il en était heureux, une façon à lui, de partager ses douleurs et de participer à la naissance. Une manière, même si cela restait symbolique, de prendre, à bon compte, sa part des souffrances, dans cette épreuve.

Il y eut des cris, des encouragements, des accélérations et des ralentissements dans l’évolution du déroulé de la parturition, des secondes d’accalmie, de profonds soupirs, des sueurs froides et de violentes montées d’adrénaline, des mots d’amour, des larmes et des sourires. Parfois aussi de franches rigolades de la part du personnel, auxquelles Léo ne participait pas, le cœur n’y était pas, mais il comprenait que les soignants le faisaient pour signaler que tout allait bien.

Finalement, deux heures après ce marathon humain que toute femme au monde, qui donne la vie subit, Kyle et Roy ou plus précisément, Kyle Jérôme Junior et Roy George Junior, deux beaux bébés presque chauves, voyaient le jour et faisaient leur entrée au sein de leur famille, en s’annonçant par des cris perçants qui envahissaient, en résonnant, l’espace de la salle.

***

À présent, les deux têtes blondes reposaient enfin sur la poitrine de leur mère, épuisée, mais éblouissante. À leur côté, le père. Peu après, il put à son tour les prendre dans ses bras. À cet instant précis, aucun homme sur terre n’était plus fortuné que Léo qui tenait dans ses bras ce qu’il chérissait le plus. Son regard passait de l’un à l’autre, les deux êtres qu’il avait espérés depuis neuf mois étaient bien là, et Léo, qui n’en croyait pas ses yeux, n’était encore pas descendu de la planète où il avait élu domicile depuis l’arrivée à la maternité et cela continuait à lui sembler irréel.

Tout s’était déroulé de façon fantastique, la maman et ses bébés se portaient à merveille et le papa en aurait hurlé de bonheur. Treize mois après leur mariage, les voilà à la tête d’une petite famille qui n’attendait qu’une chose, intégrer le bercail familial.

Il eut une pensée pour sa propre mère, qui de là où elle se trouvait, avait veillé sur lui, avait veillé sur eux et son cœur tressaillit, signe qu’elle était à la fois si loin et si proche.

Deux semaines avant, compte tenu de la proximité de l’événement et de l’état de fatigue de la future maman, d’un commun accord, mari et femme avaient préféré ne pas se rendre dans leurs familles respectives pour les fêtes de fin d’année ni les recevoir chez eux. Et tout le monde comprit leur choix.

Pour autant, leur Noël n’en fut pas triste, au contraire. Toujours aux petits soins pour Brenda, Léo avait pris en main la préparation du dîner de fête du réveillon et de celui du jour de Noël. Pour une fois, pas question de s’adresser à un traiteur comme il en avait l’habitude. Ses talents de cuisinier en herbe avaient été mis à contribution et il les exerça de l’entrée au dessert. Enfin, presque. Il connaissait les goûts gastronomiques de sa femme et il composa des menus en fonction.

Le jour où ils s’étaient mis en chasse de la future nurse qui serait chargée de s’occuper des enfants, lorsque Brenda reprendrait son travail au journal, ils finirent par jeter leur dévolu sur Mammita, une vigoureuse Mexicaine. Elle n’était pas sans rappeler à Léo, la Nonna de son enfance, celle qui avait prodigué sans compter, amour et soins à lui-même et à sa sœur et avait veillé sur eux. Son image était restée, à jamais, imprimée dans leur cœur et il n’était pas rare que l’un et l’autre parlent d’elle avec nostalgie et affection.

Il fut convenu, que Mammita s’installerait dès le matin et jusqu’au retour de Léo à la maison le soir après son travail, au cours des deux derniers mois de la grossesse pour prendre soin de Brenda. C’est ainsi que très vite, ils se rendirent compte qu’ils avaient déniché la perle rare, en matière de douceur, gentillesse et efficacité. Ils ne lâcheraient pas leurs enfants entre les mains de n’importe qui.

Et c’est tout naturellement que Léo s’adressa à Mammita pour des conseils en matière de cuisine. C’est à l’abri des regards de Brenda qu’avaient lieu leurs conciliabules et Léo, en élève consciencieux de toujours, prenait des notes sur un calepin pour s’éviter toute erreur le jour J.

Du premier jour de sa grossesse jusqu’à la veille de l’accouchement, Brenda avait toujours pris soin de sa personne et se mettait en beauté comme à son habitude. Coiffure, maquillage même si discret, en robe de ville ou en tenue d’intérieur plus décontractée, elle mettait un point d’honneur à ne pas se négliger et à toujours briller aux yeux de son époux qui ne cessait de la complimenter, aussitôt passé le seuil de la porte à son retour d’une journée de travail.

— Tu es magnifique comme toujours, ma chérie, quelle élégance !

Pour Noël donc, elle apporta, encore plus que d’habitude, un soin méticuleux à choisir sa tenue et à s’apprêter. La grossesse lui allait bien et la rendait plus rayonnante que jamais. L’ample et longue tunique qu’elle endossa ce soir-là, en soie imprimée de fleurs à grands pétales de toutes les couleurs et la large écharpe qui lui couvrait les épaules, d’un rouge écarlate, soulignaient l’éclat de ses yeux verts qui avaient fait chavirer Léo au premier regard lorsqu’ils firent connaissance.

Léo, de son côté, ne fut pas en manque d’imagination et s’était habillé élégamment. Il avait pris goût, depuis son installation à San Francisco, au port du smoking dont sont friands, plus que les Français, les Américains. Il en avait plusieurs et il jeta son dévolu pour l’occasion, sur une pièce d’un camaïeu de bleu dans une trame de tissu Prince de Galles, rehaussé d’une ceinture plissée en satin grenat. Chemise blanche, col cassé et papillon bleu complétaient la tenue. Du bouquet de roses blanches qu’il avait offert à Brenda, sa femme lui en avait accroché une en guise de pochette. Un couple attachant, auréolé de l’étiquette de futurs parents, prêt à festoyer même si les douleurs les rappelaient, par intermittence, à leurs bons souvenirs.

Pour le réveillon de Noël, Léo se partagea entre la cuisine et le salon où il avait installé un immense sapin qu’ils garnirent et illuminèrent en fin d’après-midi. Quelques jours avant, il avait consulté bon nombre de catalogues et couru les grands magasins pour acheter le nécessaire afin de pouvoir dresser une jolie table et décorer la maison aux couleurs de Noël : vert, rouge et blanc. Le résultat dépassa ses espérances grâce au soin extrême et la méticulosité avec lesquels il s’acquitta de cette tâche et il dut s’avouer y avoir pris beaucoup de plaisir. Leur nid était chaud, accueillant et rempli de douceur.

— Notre premier et dernier Noël en tête-à-tête en tant que jeunes mariés, ma chérie. Dès le prochain, nous partagerons ce moment festif avec notre mini armée.

— Pas vraiment à deux, parce qu’ils sont déjà là, tu peux me faire confiance, le corrigea-t-elle en caressant amoureusement son ventre. Ils ne se font pas oublier et depuis ce matin encore plus que ces derniers jours, ils n’arrêtent pas de gigoter, tu sais.

Et Léo, toujours à la recherche de ce frémissement de la vie à travers le contact, se saisissait de l’occasion pour effleurer à son tour le ventre proéminent de sa femme. Une fois sur deux, il ne se passait rien, mais quand il s’y attendait le moins et qu’il y avait une manifestation physique soudaine de l’un des petits êtres encore au chaud au sein de leur mère, il s’exclamait comme un enfant :

— J’ai senti, j’ai senti, et il collait aussitôt son oreille sur la protubérance de sa femme, comme pour entamer le dialogue avec ses enfants.

Et les fêtes se déroulèrent comme prévu, c’est-à-dire gentiment.

Pendant sa grossesse, passés les tout premiers mois et la période des nausées, Brenda avait gardé bon appétit, aussi fit-elle honneur aux plats préparés par son mari, plats qui rappelaient des classiques bien français pour une telle circonstance.

Foie gras, figues et confiture de mûres, crevettes au vin blanc, ail et persil, coquilles Saint-Jacques et fondue de poireaux, homards accompagnés d’une simple mayonnaise, qu’il renonça à faire après quatre essais infructueux et pas moins d’une douzaine d’œufs qui prirent la direction de la poubelle. Il finit par se résigner et se fit livrer par l’épicerie fine française la portion désirée, et le tour fut joué. Il avait déjà, sur les conseils de Mammita, renoncé à confectionner lui-même, comme il en avait eu l’intention au départ, la bûche qu’il commanda, par la même occasion.

***

C’est de la chambre de la maternité que Léo annonça la nouvelle à toute la famille. Personne ne connaissait à l’avance le choix des prénoms. Léo avait voulu rendre hommage à son père et à Georges, mais c’est Brenda qui avait choisi le premier prénom par lequel on allait les appeler.

Le secret avait été bien gardé et l’annonce fit son effet. Jérôme et Georges en furent très touchés et au téléphone, personne ne fut témoin de la brillance émue de leurs yeux.

— Félicite et embrasse la maman pour nous.

— Merci, papa, merci, Georges.

— À qui ressemblent-ils ?

— Je ne saurais le dire, ils n’ont que quelques heures. En revanche, mis face à face, on dirait que l’un des deux se regarde dans le miroir, tellement ils se ressemblent.

— Il va falloir vous créer des repères pour ne pas les confondre.

— C’est clair, ils sont aussi chauves l’un que l’autre et très blancs de peau. Le peu de duvet que l’on aperçoit me laisse supposer qu’ils seront blonds, mais je ne pourrais le certifier pour le moment.

— Et les yeux ?

— Je guette attentivement le moment où ils les ouvriront. Pour l’instant, ils dorment.

— Normal, ils se reposent du long voyage qui a dû les fatiguer, plaisanta Georges.

À l’autre bout du fil, l’émotion était intense aussi pour Sylvaine, la seule que Léo avait mise dans la confidence pour ce qui est des prénoms.

Quatre jours après la naissance, le petit quatuor récemment constitué put intégrer la maison où l’attendait Mammita, qui avait déjà pris ses marques au sein de la famille et qui, désormais, allait aider le couple dans ses nouvelles fonctions de parents. Les deux nourrissons occuperaient en attendant qu’ils aient suffisamment grandi, la même chambre : la plus proche de celle de leurs parents.

Elle avait été aménagée et décorée depuis plusieurs semaines déjà, par le jeune couple. Rien n’avait été trop beau pour les deux futurs héritiers. Les derniers temps, Brenda et Léo y avaient passé de longs moments, lui assis par terre, elle sur une chaise, à faire des projets pour leurs deux bambins. Leur avenir à quatre s’annonçait sous les meilleurs auspices.

Léo avait pris peu de vacances au cours de l’année, aussi s’était-il arrangé avec Mitch et Sean pour rester deux semaines avec Brenda après la naissance, afin de la seconder et pour profiter des nouveaux venus dans leur foyer.

Chapitre II

Lorsqu’il avait demandé à Georges

Lorsqu’il avait demandé à Georges d’écrire le roman de leur vie avec Judith, Valentin, n’avait jamais douté de sa réponse, contrairement à Damien qui avait conscience du défi que cela représentait, parce qu’il savait que ce n’était pas chose facile que de se mettre dans la peau des autres. De nombreuses difficultés allaient, d’évidence, surgir, même si la trame de ce qu’ils avaient vécu avec Judith avait fait l’objet d’un récit le plus précis possible. Récit qui avait été, quelques mois avant, enregistré sur un magnétocassette, à la Villa Judith, maison où Judith était née, grandi et vécu une bonne partie de sa vie. Les événements en soi n’étaient pas ce qui poserait problème, mais s’agissant de sentiments, de pensées intimes, d’états d’âme, de quels moyens Georges disposait-il pour en relater l’exactitude ? Le talent du narrateur ne suffirait peut-être pas à pallier les écueils qui parsèmeraient son parcours d’auteur dans cette aventure. Le challenge était de taille. Valentin ne manifestait pas son impatience et la retenait en lui pour ne pas se faire remettre à sa place par Damien, mais elle était là, bien tangible.

Pendant les mois qu’avait duré la rédaction du récit, Georges les avait tenus au courant de son avancement, tout comme il avait partagé avec eux ses doutes. Il ne voulait pas décevoir leurs deux amis ni Jérôme qui faisait depuis toujours tellement confiance à son talent de romancier. Lui-même, en revanche, en était moins convaincu. Aussi, avait-il connu quelques moments de découragement au point d’avoir voulu, souvent, passer la main. Mais c’était sans compter avec Jérôme qui l’avait, comme d’habitude, épaulé, même si son aide avait des limites, la difficulté majeure étant qu’il ne s’agissait pas d’une œuvre de fiction, mais bien le témoignage de la vie de trois personnes qu’il n’avait pas connues à cette époque ni fréquentées et d’événements dont il n’avait pas été le témoin.

Georges appelait au téléphone les deux hommes très régulièrement et ils échangeaient sur les obstacles qu’il rencontrait. D’avoir sympathisé et la confiance réciproque qui s’était instaurée, avaient facilité les choses. Aussi pouvaient-ils aborder des aspects d’ordre intime, sans fausse pudeur et en toute franchise.

Le soir, Jérôme, lisait les feuillets que Georges avait rédigés dans la journée, pour confirmer ou infirmer ce qui s’y trouvait consigné et ses précisions, remarques et suggestions donnaient alors lieu à des corrections. Avant d’aller plus loin dans l’écriture, ils se consultèrent longuement et ils convinrent, d’un commun accord, de donner à lire à Valentin et à Damien les six premiers chapitres sans attendre que la totalité du roman soit écrite. L’occasion de les inviter à passer un week-end chez eux.

Les deux Parisiens accueillirent avec plaisir l’invitation, d’autant plus que ce n’était pas la première, mais leur venue avait toujours été reportée pour une raison ou pour une autre. La perspective de profiter pendant quelques jours de la compagnie de leurs amis, qu’ils appréciaient tant, réjouissait particulièrement Valentin qui ne jurait plus que par eux. Dans cette nouvelle intimité à quatre, il mesurait la différence entre les liens qui les attachaient les uns aux autres et les relations qu’ils entretenaient avec d’autres connaissances de leur entourage. Ils appartenaient au même monde et lorsqu’ils étaient ensemble ils se sentaient mutuellement en confiance. Bref, d’un côté comme de l’autre, les deux couples n’étaient pas obligés de toujours se tenir sur leurs gardes comme lorsqu’ils se retrouvaient avec des personnes étrangères à leur milieu.

Pour la circonstance, Jérôme s’était mis aux fourneaux les jours précédents, afin de pouvoir se libérer et passer le maximum de temps possible avec leurs invités, et il avait congelé les plats qui pouvaient l’être, pour n’avoir qu’à décongeler et réchauffer. Uniquement de la cuisine du nord de la France, lapin aux pruneaux, carbonnade flamande, flamiche picarde aux poireaux, endives au Maroilles, fricadelle maison. Une soirée moules frites était aussi prévue, – sans cela, le Nord ne serait plus le Nord – avait déclaré Jérôme, mais cette fois ce serait au tour de Georges de s’y atteler, le moment venu. Le but était de faire découvrir des spécialités du terroir. Il ne prétendait pas que la méthode congélation-décongélation fût la formule la plus appropriée lorsque l’on reçoit des convives, mais il fit taire ses scrupules et au final ce fut assez réussi. Seul bémol de ces trois jours, fut le temps : il ne cessa pratiquement pas de pleuvoir, une pluie fine, mais persévérante, de celle dont on ne sait jamais quand elle s’arrêtera.

— Notre région aura au moins été digne de l’idée que s’en font ceux qui n’y vivent pas, commenta Georges.

Il estima qu’il valait mieux que Jérôme et lui-même, à tour de rôle, lisent un chapitre, plutôt que de donner un exemplaire à chacun et d’attendre leur verdict après lecture. Il avait entendu Damien dire que Valentin lisait très très lentement et cela éviterait de mettre le garçon dans la gêne. Ils s’entraîneraient avant, n’étant ni l’un ni l’autre habitué à lire à voix haute. Lorsqu’ils soumirent l’idée à leurs deux amis, elle fut accueillie avec enthousiasme.

Dès la fin du repas du vendredi soir, c’est Valentin, plus impatient que jamais, qui demanda si l’on pouvait commencer la lecture du début du roman. On ne pouvait le lui refuser, il en était à l’origine. Comme prévu, Georges et Jérôme se relayèrent pour lire successivement par alternance, les six premiers chapitres dans un recueillement presque solennel de l’auditoire. C’est dans leur sous-sol que la séance eut lieu.

Le cadre feutré s’y prêtait et était propice à la concentration. D’autant plus que depuis leurs allers-retours des États-Unis, Jérôme et Georges avaient aménagé leur sous-sol à l’américaine, enfin presque, disons plutôt en s’inspirant de ce qu’ils avaient vu chez les uns et chez les autres dans les intérieurs à San Francisco.

Ils en avaient fait une véritable pièce à vivre, encore plus accueillante que ce qu’elle était au départ et qu’ils finirent par préférer à leur salon de l’étage. C’est là, qu’ils passaient la plupart de leurs soirées, se consacrant à la lecture, l’écriture ou tout simplement à ne rien faire en se laissant vivre au rythme de leurs envies du moment.