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Né le même jour que le roi Louis XIV, Guillain, le fils du meunier, semblait destiné à un avenir prometteur, bien au-delà des limites de Saint-Cyprien. Cependant, l’adversité en décidera autrement. Malgré la protection de la sorcière de la montagne, l’affection du curé et du châtelain, ainsi que la loyauté de ses chiens monstrueux, il ne sera pas à l’abri des pièges qui parsèmeront son chemin. Entre trahison d’amis, entraves à ses amours, et face au mystère entourant sa naissance, parviendra-t-il un jour à découvrir l’identité de ses véritables parents ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Avec ce quatrième roman, Jean-Yves Pajaud fusionne son intérêt pour l’histoire avec sa passion pour l’écriture, Il dépeint, au travers de "Moulin Guillain", le cadre réaliste d’un petit village de la France profonde à l’époque de Louis XIV.
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Jean-Yves Pajaud
Moulin Guillain
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-Yves Pajaud
ISBN : 979-10-422-0376-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Le feu à l’âme
, Le Lys Bleu Éditions, 2022 ;
Seul et Myo
, Le Lys Bleu Éditions, 2022 ;
La colline des Feignants
, Le Lys Bleu Éditions, 2023.
Ce roman est dédié à M. André Warnet,
professeur de français ainsi qu’à M. Robert André,
professeur d’histoire-géographie
au lycée Ambroise-Paré de Laval.
Leur enseignement est à l’origine de mon intérêt pour l’Histoire
et de ma passion pour la littérature.
La Noël 1637 avait été bien triste au moulin Guillain. Marie-Albertine avait fait une fausse couche : « la nuit où not’ Petit Jésus est né… Si c’est pas pitié de voir ça ! »
Mariés depuis vingt ans, ils n’avaient pas d’enfant. Les périodes de stérilité plus ou moins longues alternaient avec des grossesses avortées. Cette fois-ci, Guillain Ducanol s’était pris à espérer, mais le cap des quatre mois n’avait pas été atteint. Sa déception s’était diluée dans la peur de perdre sa Marie-Albertine. Ils s’aimaient depuis toujours et, surtout, se complétaient harmonieusement. Lui, le meunier, rustre, bougon et inculte, elle, intelligente et souriante. Sans ces échecs répétés, leur couple aurait été le plus heureux du monde.
« Not’ curé m’a dit que…
— Qu’est-ce qu’i’ t’a dit ? Que c’était encore à cause de nos péchés ? Il ferait mieux de se taire. Avec tous les cierges que tu as allumés à l’église, il a de quoi se payer un habit neuf !
— Guillain… si tu crois en rien, laisse-moi au moins croire en Dieu et prier comme je l’entends. »
Le doux reproche suffit à annihiler la tension naissante. Compatissant, il répondit plus posément.
— Ma femme, je te laisse agir à ta guise et tu le sais bien ! Je t’accompagne au bourg tous les dimanches. Tu vas à l’église et, si j’y vais que pour les enterrements, c’est que je pense que c’est que des menteries… je me demande si marcher une lieue, même sur le dos de la Gourette, pour y descendre et une autre pour remonter au moulin, ça te secoue pas trop…
— La Jeannette m’a dit que, quand c’est bien accroché, ça bouge pas !
— La Jeannette… la Jeannette… qu’est-ce qu’elle en sait ? Elle en a fait onze ! Même que son bonhomme trouve que ça fait trop ! »
La résignation et l’amertume se joignirent à la tristesse de son regard : « Le monde est mal fait…
— C’est pas c’que le curé t’a dit, ça ! »
La pointe de moquerie la blessa. Cette fois, il ne s’en aperçut pas et ne tint aucun compte de la réponse contrite.
— Non… il m’a dit que notre bon roi Louis est marié depuis plus de vingt ans et qu’il n’a pas encore d’héritier… »
Il poursuivit sur sa lancée avec une ironie involontairement cruelle : « eh bien ! Il n’a qu’à demander à la Jeannette !
— Oh ! Guillain… on ne dit pas des choses comme ça… »
Un voile douloureux passa sur le visage de son épouse. Guillain regretta sa plaisanterie et s’en excusa sans perdre la face : « Tu as raison, ma femme… on dit point ça… pas plus que c’que disent la Jeannette ou ton curé, même si ce sont des braves gens, tous les deux ! »
Il versa l’eau de la cruche dans sa timbale et but d’un trait. Il la reposa brutalement devant lui, la violence du geste accentuant la solennité de sa décision : « Marie-Albertine… on va y aller ! »
La surprise et l’incrédulité provoquèrent chez elle un haut-le-corps : « tu crois à ça, toi ?
— Pas plus qu’au reste… au moins, on aura essayé !
— Tu penses vraiment que la sorcière y peut quelque chose ?
— On dit qu’elle fait du bien à ceux qu’ont du mal…
— On dit plein de choses… en tout cas, personne ne se vante d’être monté dans la montagne pour la voir ! »
Il la regarda avec un sourire énigmatique.
— P’têt bien… n’empêche que le sentier voit bien du monde passer…
— Qu’en sais-tu ?
— De la lucarne du moulin, tout là-haut, je vois bien ! C’est trop loin pour deviner qui c’est, mais je vois bien ! »
Elle s’inclina. La démarche lui répugnait, choquait ses convictions religieuses. Avec ses mots et sa logique bien à lui, son mari soulignait une évidence cruelle. Les dévotions n’avaient mené à rien et, pourtant, le meunier s’était montré patient. Pourquoi récuser son souhait, fût-il païen, nimbé de soufre et de sorcellerie ?
Elle baissa le ton jusqu’à murmurer à contrecœur : « alors, nous irons… mais on le dira à personne… »
Il acquiesça à la requête d’autant plus aisément qu’il n’était pas homme à dévoiler leur intimité à quiconque.
— On emmènera un des biquets de l’année. Il paraît qu’on la paie avec ça ! »
***
Le moulin était perché sur une colline, elle-même accrochée à flanc de montagne. Un chemin tortueux descendait au bourg. À mi-pente, il rejoignait le sentier qui obliquait vers le sommet.
Ils grimpèrent à pied, Guillain tirant le chevreau au bout d’une corde. Quand l’animal s’arrêtait pour brouter, ils s’asseyaient un instant pour reprendre leur souffle. Par chance, le vent, lui, ne soufflait pas et le froid de ce début janvier restait supportable. Ils atteignirent le petit cours d’eau au bout d’une heure. En cette saison, c’était un torrent qui bouillonnait en frappant les deux gros rochers sous lesquels il disparaissait. La montagne boit notre ruisseau, prétendait la légende, en raison d’une sombre histoire de vengeance du diable, roulé par Saint-Cyprien, protecteur et patronyme du village. Les paroissiens ne s’en plaignaient pas. Du pied de la montagne surgissait un cours d’eau. Il rejoignait la rivière qui s’écoulait paisiblement, enjambée par un pont de pierre, au milieu des maisons.
Tous deux se désaltérèrent avant de poursuivre leur chemin sur un sentier de plus en plus escarpé. Au détour d’une courbe, il était barré par une barrière en bois. Fermée, il ne restait plus qu’à redescendre. Ouverte, la sorcière acceptait de recevoir son, sa ou ses visiteurs.
Elle était ouverte.
Marie-Albertine réprima un tremblement nerveux en la franchissant et se retint de se signer. Elle regarda Guillain la remettre soigneusement en place, avec le sentiment qu’il refermait derrière eux les portes de l’enfer.
De la fumée s’échappait d’une cheminée encore invisible. Passée la crête, la chaumière apparut, semblable à toutes celles qui peuplaient les campagnes environnantes. Une vieille à l’aspect repoussant se tenait sur le seuil : « tu es Guillain Ducanol, le meunier. Je vous attendais… mène le chevreau à la bergerie et viens-t’en nous rejoindre dans ma maison. »
Lorsqu’il y pénétra, les deux femmes, assises face à face, mangeaient en silence une écuelle de soupe brûlante. Guillain se plaça devant la sienne. Quand ils eurent fini, la sorcière se leva, débarrassa la table et s’installa dans l’âtre de sa cheminée. La lueur des flammes teintait son visage de couleurs effrayantes : « je sais pourquoi vous êtes là. Je vais essayer de vous aider, mais je ne crois pas que nous réussirons… vingt ans, c’est long… très long…
— Le cu… euh… on m’a dit que le roi était marié depuis plus longtemps encore et qu’il gardait espoir d’obtenir un héritier…
— Le roi y parviendra bientôt… je le sais ! Vous n’êtes ni roi ni reine et c’est heureux pour vous ! Vous ne rentrerez pas au moulin ce soir. Cette nuit sera étrange pour l’un et pour l’autre. Vous ne dormirez point ensemble. Quoi qu’il survienne, ne parlez point, ne criez pas, car vous ne serez pas en danger. À votre réveil, vous ne devrez raconter à personne, j’ai bien dit à personne, ce que vous aurez vécu… pas même à moi ! »
Tant qu’il fit jour, ils l’aidèrent bien volontiers. Marie-Albertine s’occupa des chèvres et des moutons. Guillain cassa du bois qu’il rangea sous un appentis. À la nuit venue, ils soupèrent en silence : « vous n’osez pas parler ? Ne soyez pas effrayés par tout ce qu’on propage sur moi. C’est souvent mensonges pour faire peur aux naïfs… vous n’êtes point de ceux-là ! Que voulez-vous apprendre ? » Tous deux se regardèrent, leur envie de savoir luttant pied à pied contre la sourde terreur de transgresser un interdit. Le meunier se sacrifia : « on dit que vous avez cent ans, deux cents, mille ans…
— C’est menterie, bonnes gens, car je n’ai plus d’âge… je suis trop vieille pour m’en souvenir…
— Vous frayez avec le Malin ?
— Le Malin… le Malin… oui, je le connais… pourtant, je ne le vois jamais… il rôde autour de ma maison ! S’il n’entre pas, c’est qu’il craint mes pouvoirs… à présent, femme, suis-moi. »
Marie-Albertine se laissa conduire dans une cabane minuscule qu’une paillasse occupait presque entièrement. Une énorme peau de bête la recouvrait : « bois ça, maintenant. Ensuite, tu te coucheras. Attends que le sommeil te prenne sans bouger… ce ne sera pas long. »
Elle obéit. Sous la fourrure épaisse, une chaleur apaisante l’envahissait déjà. Son corps s’allégeait au point de ne plus ressentir aucun poids… elle se soulevait… tout autour, les couleurs changeaient, la cabane disparut. Elle était dehors, enveloppée dans un voluptueux vertige sans se déplacer. Les arbres devenaient bleus, le torrent était jaune, les moutons verts, puis orange et dorés. Alors, elle s’envola. Une chaleur bienfaisante montait de son bas-ventre tandis qu’elle errait dans un univers diaphane. Puis tout s’évanouit et elle sombra lentement dans un puits sans fond…
À son tour, Guillain avait suivi la sorcière jusqu’à une maisonnette en pierre dans laquelle un lit de bourgeois requérait tout l’espace. La timbale qu’elle lui tendit lui parut en or. Il s’endormit rapidement jusqu’à ce qu’une main très douce le réveille par ses caresses. Une vague lueur éclairait suffisamment la pièce pour qu’il se rende compte que la fille était jeune, superbe et nue. Le breuvage qu’il dut boire était délicieux et l’enivra autrement que le vin. Il n’était plus Guillain, il était… personne et elle était l’Amour. Sans ressentir la moindre fatigue, il la prit chaque fois qu’elle le décidait. La jouissance le laissait hébété, alors qu’une autre, déjà, le submergeait, puis une autre et encore une autre…
***
Lorsqu’ils s’éveillèrent, il faisait grand jour. La sorcière vint les voir tour à tour, un doigt sur sa bouche pour leur rappeler qu’ils ne devaient rien révéler de leur nuit.
Elle leur donna à manger la même soupe que la veille puis les congédia. Avant qu’ils ne partent, elle ordonna : « meunier, tu viendras seul et les mains vides à la prochaine pleine lune… allez, maintenant… »
Ils gardèrent longtemps le silence. Le claquement des sabots rythmait leur marche que la pente rendait parfois périlleuse. Ils franchirent le portail qu’ils laissèrent grand ouvert. Ce n’est qu’en atteignant l’endroit où le torrent disparaissait sous les rochers qu’ils s’arrêtèrent enfin. Ils se regardèrent avec l’envie folle de tout se raconter. La crainte fut la plus forte et ils se turent. Guillain entoura sa femme de ses bras, la serra à l’étouffer. Ils restèrent longtemps ainsi, sans bouger, comme s’ils espéraient voir leurs secrets passer de l’un à l’autre.
Ils arrivèrent au moulin et retrouvèrent leur vie coutumière.
À la pleine lune, Guillain reprit le chemin de la montagne. Mis à part le fait qu’il était venu seul, le jour et la nuit se déroulèrent exactement de la même manière. La sorcière lui enjoignit de revenir à la prochaine pleine lune. Cette fois-là, il ne reçut pas la visite espérée au cours de son sommeil : après avoir bu dans le gobelet doré, il s’endormit et ne se réveilla que le lendemain. Il rentra chez lui sans futur rendez-vous. Il en fut déçu, moins cependant que du nouvel échec qui leur fit convenir que, jamais, ils n’auraient d’enfant…
***
Le printemps était venu, puis l’été. Les ailes du moulin tournaient au rythme des vents et à la cadence des sacs de seigle ou de froment que les ânes des environs apportaient tous les jours. L’automne allait suivre bientôt. Harassés de fatigue, Marie-Albertine et Guillain soupaient en silence d’une écuelle de soupe et d’un peu de fromage de leurs chèvres. On frappa à leur huis.
À peine avait-il tiré les verrous que la porte s’ouvrit en grinçant. Une silhouette noire, voûtée, se glissa dans la pièce. Elle s’approcha de la chandelle et repoussa son capuchon en arrière, découvrant le visage hideux : « femme, jamais tu ne connaîtras les douleurs de l’enfantement. Demain, après-demain et les jours suivants, tu iras entendre matines au village jusqu’à ce que le curé, le vicaire ou le bedeau trouve un bébé mâle sous le porche de l’église. Il sera le fils qui fera le bonheur de votre vie jusqu’à la mort. Ne révélez à quiconque ma visite de ce soir et ne venez jamais plus me consulter sinon que vous êtes malade ou en danger de mort… »
Sans attendre, elle rabattit sa capuche sur la tignasse grisâtre et repartit aussi vite qu’elle était entrée. Guillain voulut la retenir et sortit à sa suite. En vain. La sorcière avait déjà disparu.
***
Avant même d’atteindre le parvis de l’église, Marie-Albertine aperçut le petit attroupement. La prédiction de la magicienne se réalisait-elle dès le premier jour ? Elle s’approcha. Le bedeau tenait un paquet de chiffon dans ses bras. Les femmes autour de lui marmonnaient des prières. Sans les interrompre, elle se joignit à elles sans laisser paraître l’excitation qui la gagnait petit à petit. Le nouveau-né, de quelques heures à peine, semblait dormir. Lorsqu’on l’extirpa de son lange sale en tissu grossier, on vit que c’était un garçon. Il était mort.
L’épouse du meunier assista, désespérée, à l’office. Se pouvait-il que le bébé promis par la magicienne fût celui-là ? Des enfants abandonnés sous le porche des églises étaient chose ordinaire. À Saint-Cyprien, le curé en avait compté une dizaine l’année précédente. Six n’avaient pas survécu au-delà d’une semaine, les autres avaient été conduits dans un hospice tenu par des religieuses.
Elle s’appliqua, encouragée par Guillain, à suivre les instructions de la sorcière. Deux jours plus tard, la même scène se reproduisit. C’était aussi un garçon, vivant qui criait et se débattait entre les mains du vicaire, bien encombré par ce fardeau gigotant. Sans réfléchir, Marie-Albertine tendit les bras. Le jeune prêtre s’en débarrassa avec soulagement, sans remarquer les sourires des bigotes que sa maladresse amusait.
Le nouveau-né n’en cessa pas ses contorsions pour autant, mais elle avait, d’instinct, adopté les gestes qui convenaient. Un morceau de papier glissa d’entre les plis de son vêtement. Une femme le ramassa qui le tendit au vicaire : lui seul savait lire.
« Je porterai le prénom qu’on me donnera et ferai les beaux jours de qui me fera vivre. »
En relevant la tête de sa lecture, il croisa le regard de Marie-Albertine, vit ses larmes en même temps qu’une lueur extasiée. Il bénit l’enfant et entama une prière reprise docilement par ses fidèles. Nul ne songea à retirer le bébé des bras de Marie-Albertine qui pénétra dans l’église comme on y entre en procession.
Elle assista à la messe basse en automate, sans émotion ni ferveur, dans un état de béatitude dont elle ne sortit qu’à la fin de l’office, lorsque le visage de Guillain envahit ses pensées. L’enfant endormi serré contre sa poitrine, elle suivit le vicaire dans la sacristie.
— Monsieur le curé nous rejoindra tout à l’heure et l’emmènera à l’hospice…
— C’est que… j’aimerais le garder…
— Le garder ? Vous n’y pensez pas ! Nous ignorons d’où il vient… sa mère pourrait le réclamer à tout moment…
— Vous avez lu ce qui était écrit sur le billet ? N’était-ce pas un appel à le prendre dans sa famille ?
— On peut l’interpréter ainsi, cependant… ah ! Monsieur le curé, nous avons trouvé…
— Je sais, Jean, je sais…
— Monsieur le curé, Guillain et moi voulons le garder… »
Le vieux prêtre, circonspect, se méfiait des pulsions aussi subites qu’attendries : « ma fille… avez-vous ressenti un émoi soudain en voyant ce petit ?
— Nous en avons parlé depuis des mois. Vous savez qu’il ne m’est pas possible de garder un enfant dans mon ventre. L’autre jour, si le bébé trouvé n’était déjà défunt, c’est lui que j’aurais choisi…
— Il me faut questionner Guillain pour être sûr de sa volonté… c’est lui le chef de famille !
— Accompagnez-moi sur l’heure au moulin, car j’y emmène le nourrisson. Craignez son ire si je rentre les mains vides alors que… »
La femme du meunier, habituellement discrète et soumise, se montrait étrangement impatiente et irritée. Le prêtre réagit du haut de son irrécusable autorité : « n’avez-vous point confiance en ma parole ?
— Et vous en la mienne ? »
Elle s’effraya rétrospectivement de cette audace dont elle ne s’imaginait pas capable. Le curé ne la releva pas ou y puisa toute la sincérité de sa paroissienne : « soit… comment allez-vous le nourrir ?
— Avec le lait de nos chèvres !
— N’est-il pas plus sage de lui donner le lait d’une nourrice, au moins les premières semaines ?
— Certes oui ! Encore faut-il en trouver une qui convient…
— N’êtes-vous amie avec Jeannette ?
— Oui-da ! Pourra-t-elle nourrir deux petits alors qu’elle vient d’accoucher d’une fillette ?
— Las ! Son enfant est défunte d’hier au soir… je me préparais à aller la rencontrer.
— Allons-y tous deux avec ce chérubin !
— Euh… voir un nouveau-né bien vivant quand elle a perdu le sien me semble fort maladroit…
— Vous avez raison… que faire alors ?
— Rentrez chez vous avec le bébé. Je vais parler à Jeannette et vous porterai la réponse après dîner… »
***
On inscrivit Petit Guillain sur le registre paroissial en date du cinq septembre de l’an de grâce mil six cent trente-huit, sous le nom de Guillain-Marie-Cyprien Ducanol. Le même jour, naissait, bien loin de là, Louis Dieudonné, fils de Sa Majesté Louis le treizième.
La Jeannette le surnomma petit glouton tant il tétait avec ardeur et martyrisait son sein. L’impatience de Marie-Albertine la tira d’affaire : l’épouse du meunier désirait s’occuper de son petit, avec l’assentiment de son mari. Elle avait raison de vouloir sentir son enfant près d’elle et de cultiver tout l’amour maternel qu’elle lui destinait. Sans le savoir, elle ne disposait que de peu de temps puisque, avant son sixième anniversaire, P’tit Guillain n’aurait plus de maman.
Et c’est à ce moment que peut commencer son histoire…
« Tu iras à la cure demain et aussi souvent que l’abbé Jean Dehaix te réclamera ! »
La fermeté du ton récusait par avance toute rébellion. Cependant, l’absence de menace laissa Petit Guillain émettre une objection inquiète : « père, qui s’occupera des animaux et de la basse-cour, maintenant que nous ne sommes plus que tous les deux ?
— J’ai promis à ta mère que tu apprendrais à lire et à écrire. Elle en rêvait pour elle-même. Alors, tu vas le faire ! »
Il n’avait pas élevé la voix. Tant son autorité que l’évocation de Marie-Albertine avaient eu raison de la timide protestation de son fils. L’enfant s’était toujours montré obéissant et serviable, travailleur comme son père etintelligent comme sa mère, selon la formule favorite par laquelle le meunier exprimait toute sa fierté. Le gamin était vif et agile. Il grimpait aux échelles avec l’aisance d’un acrobate et courait après les moutons ou les poules, rayonnant de bonheur. Aussi, la perspective de se retrouver pendant des heures dans une salle lugubre à ânonner le latin dans des livres poussiéreux ne le tentait guère.
Une miche de pain et un morceau de fromage dans sa besace, il s’apprêtait à partir lorsque son père le retint : « tu donneras ça au vicaire. » ça, c’était une belle pièce toute jaune, brillante et lourde dans sa petite main. : « C’est un écu… Ne le perds pas !
— Mais pourquoi… ?
— Parce que l’abbé va t’apprendre à lire et à écrire. C’est un travail ! On nous paie pour broyer le grain dans le moulin, il est juste qu’il reçoive son dû !
— C’est beaucoup !
— Oui… seulement, quand tu rentreras, chaque jour, tu connaîtras quelque chose que je ne sais pas. Maintenant, tu vas mieux comprendre que cette connaissance est non moins précieuse que de l’or…
— Toi aussi tu pourrais apprendre !
— Il est trop tard, mon petit. Si je signe mon nom, c’est ta mère qui me l’a appris. Elle savait peu et le regrettait. Va, mon fils, et qu’elle soit fière de toi ! »
Sur le seuil, le meunier regarda l’enfant s’éloigner comme s’il l’accompagnait, comme s’il voulait s’imprégner de cette promesse à sa femme. Une larme coula le long du visage buriné. Le vent la sécha avec la légèreté d’une caresse, celle de Marie-Albertine.
Petit Guillain mit moins d’une heure pour atteindre Saint-Cyprien. Certes, descendre la colline demandait moins d’effort que la monter, mais les mots de son père le portaient, si bien qu’il fit carillonner la clochette du presbytère à toute volée.
— Eh ! Doucement ! Tu vas casser la cordelette ! »
La réprimande de la bonne du curé n’altéra pas sa mine hilare : « je viens savoir lire et écrire ! » La brave femme éclata de rire.
— Avant de savoir, il va falloir apprendre ! Suis-moi, monsieur le vicaire t’attend. »
Le fils du meunier connaissait Jean Dehaix pour avoir souvent accompagné sa mère aux offices, mais ne lui avait que rarement adressé la parole. Il découvrit avec surprise deux enfants déjà installés dans la salle sobrement meublée de longs bancs de chaque côté d’une lourde table.
Albin de Coralix, de deux ans son aîné, lui décocha un regard méprisant assorti d’un sourire ironique. Dorine avait son âge. Elle baissa la tête, apparemment indifférente à l’intrus.
Petit Guillain n’avait que croisé les jeunes habitants du seul manoir de Saint-Cyprien. Leur père possédait le vignoble couvrant le flanc de l’autre colline, celle dont le pied baignait dans le cours d’eau de la montagne. C’était un homme de la terre, modeste face à la Nature, respectueux des valeurs et des gens de toute condition. À Saint-Cyprien, on admirait sa réussite et on louait sa générosité. Il n’avait qu’un défaut : son épouse, hautaine, en voulait au monde entier d’avoir quitté la ville et ses plaisirs pour se morfondre dans un village bien morne. Le mari accaparé par le travail, c’est elle qui s’occupait de la maisonnée et de l’éducation de leurs enfants.
Le vicaire déposa un gros livre devant son nouvel élève, soudain intimidé : « Touche-le, regarde-le bien comme un ami… quand tu sauras le lire, quand tu connaîtras tout ce qu’il contient, tu feras partie des gens instruits. J’ai dit instruit, pas savant. Tu auras néanmoins gravi la première marche qui mène à la connaissance. » Il faillit ajouter « et à Dieu », mais se retint : Marie-Albertine lui avait recommandé de ne jamais froisser l’hostilité de son époux envers la religion.
L’enfant caressa le cuir usé de la couverture du bout des doigts en évitant respectueusement les dorures à demi effacées puis leva les yeux vers son maître : « ouvre-le, doucement, il est vieux… » Les feuillets parcheminés étaient tachés d’humidité et imprégnés d’une forte odeur de moisi. Cette évidente fragilité l’incita à multiplier les précautions pour tourner les pages dont les enluminures pourtant défraîchies l’impressionnèrent.
Ébloui, en relevant la tête, il observa les deux autres élèves. Dorine venait depuis six mois et Albin, plus de deux ans. Petit Guillain mesura avec ravissement ce qu’il allait apprendre d’ici quelque temps. Et ce ne sont pas les gloussements moqueurs saluant ses premières hésitations ou erreurs qui le mortifièrent.
Il rentra tout guilleret au moulin. Son père l’écouta raconter sa journée, réfléchit un instant puis repoussa son écuelle de soupe et se leva : « j’ai quelque chose pour toi… »
Il tira de son coffre une petite boîte en bois que l’enfant reconnut de suite : c’est là que sa mère rangeait son chapelet et quelques images pieuses. Le meunier en sortit un papier soigneusement plié avant de le lui tendre.
Petit Guillain le posa bien à plat, lentement, sur la table. Il était bien incapable de le déchiffrer et leva un regard déçu vers son père qui le rassura : « tu le portais dans tes langes quand on t’a trouvé. Je ne sais pas lire, par contre, je le connais par cœur. Il est à toi… un jour, tu découvriras ce qui est écrit en lisant. » L’enfant l’examina minutieusement et, posant le doigt sur quelques mots, s’appliqua à épeler : « e… o… e… a… e… o… o… e… o… e… a… e… e… a… e… e… a… o… e… e… e… a… e… »
***
Le lendemain, il tempéra son énergie pour tirer la cordelette de la cloche de la cure. Il lui sembla que le sourire de la vieille femme lui adressait une forme de reconnaissance. Il se dirigea d’un pas décidé vers la salle d’étude d’où émanaient des éclats de voix.
— C’est intolérable, Monsieur l’Abbé ! Nous vous payons pour instruire nos enfants, pas les… les… les…
— Les quoi, madame ? »
La voix douce du jeune prêtre faisait front sans trembler à l’agression.
— Les gamins qui n’ont que faire de lire et écrire quand ils n’auront que des moutons à garder et des cailloux à casser !
— Madame, qu’en savez-vous ?
— Avez-vous déjà vu un fils de métayer apprendre le latin ?
— Oui, madame…
— Je voudrais bien voir ça !
— Eh bien, vous le voyez, madame, devant vous… Mon père était manouvrier chez un marquis qui s’occupa lui-même de me faire bénéficier du précepteur de ses enfants…
— Il n’empêche que le temps que vous passez auprès de celui-là est volé à Dorine et Albin !
— Nenni, madame… Je prends garde à ce que chacun reçoive le soutien qu’il requiert. De ce que j’ai pu me rendre compte, le petit Guillain est vif, attentif et fort studieux. Il ne sera point d’embarras !
— Autrement dit, vous n’avez nulle intention de le chasser ?
— Non…
— Ni de vous en occuper à un autre moment ?
— Pas plus… les tâches qui m’échoient ne m’en laisseraient pas le temps.
— L’instruction de mes enfants en pâtit !
— Assurément non, madame, je m’en porte garant !
— Allons donc ! Vous ne pouvez faire travailler trois disciples aussi bien que deux !
— Dans mon précédent ministère, ils étaient six sans dommage pour quiconque… »
Les réponses paraient les arguments un à un. La voix inconnue grimpait dans les aigus à mesure que la liste s’amenuisait.
— Si je vous paie un plus grand prix, entendrez-vous raison ?
— Ce qui serait déraisonnable, ce serait de céder à cette tentation. Sachez, Madame, que Guillain Ducanol verse son obole de manière suffisante pour les leçons de son fils.
— S’il en est ainsi, je m’en ouvrirai à monsieur le curé… »
C’était l’attaque ultime, celle dont l’abbé ne se relèverait pas, en domestique obéissant devant son maître tout-puissant. Il se contenta de joindre ses mains comme pour se faire pardonner la déconvenue à venir : « faites, madame, faites… Il est de bonne écoute, toutefois, je doute qu’il accède à votre requête…
— Qu’en savez-vous ?
— C’est lui-même qui m’a demandé d’instruire cet enfant.
— Son père, pour être bon meunier, n’en est pas moins un mécréant notoire et ce garçon n’est pas le sien ! Dieu ne peut vouloir la science profiter à d’autres qu’à de bons chrétiens !
— Cela n’entre pas en compte… Si je peux vous rassurer, sa mère, feue Marie-Albertine, était bonne chrétienne. Elle entendait régulièrement la messe, reçut l’extrême-onction. C’est dans ces instants qu’elle demanda à notre curé d’instruire le jeune Guillain. Ce serait pécher gravement que de renoncer à cette promesse ou de prétendre s’opposer aux ultimes volontés d’une mourante…
— C’est là votre dernier mot ?
— Je le crains, Madame…
— Puisqu’il en est ainsi, mes enfants changeront de précepteur !
— Vous ferez bien ce qui vous semble le meilleur pour eux. Si vous le souhaitez, je les garderai comme élèves le temps que vous engagiez quelqu’un de qualité satisfaisante.
— Ce ne sera point nécessaire. Ils travailleront sous ma conduite ! »
Elle sortit précipitamment, raidie par la colère de sa défaite. La démarche saccadée, elle traversa le vestibule en ignorant le regard attristé de Petit Guillain qui attendait près de la porte. Il la franchit en hésitant. Le sourire de bienvenue du vicaire lui rendit sa sérénité. Rien que pour consoler le prêtre de cette discussion houleuse dont il avait tout entendu, le jeune élève redoubla d’attention.
En rentrant, il n’en dit rien. Il sortit le billet de sa boîte et reprit l’exercice de la veille en y ajoutant le i et le u… La satisfaction de son père valait toutes les récompenses.
***
Tous deux dormaient dans l’unique pièce d’habitation du moulin. Cette nuit-là, un gros orage s’abattit avec force éclairs et roulements de tonnerre.
— As-tu eu peur des lumières et du bruit ?
— Je ne sais pas…
— Comment cela, tu ne sais pas ?
— Parce que vous étiez là, près de moi… Si j’avais été tout seul, peut-être aurais-je été effrayé…
— Il est bon de connaître sa peur pour mieux la dominer puis la vaincre, qu’elle provienne de la nature ou des hommes…
— Je le crois…
— Tu es grand, maintenant… désormais, tu dormiras dans la bergerie. Près des chèvres et des moutons, dans la paille, tu n’auras pas froid. Ces animaux sont paisibles et craintifs. Ils ne pourront te secourir si tu as peur.
— Que ferais-je alors ?
— Tu chercheras en toi les raisons de te rassurer…
— Et si je n’y parviens pas ?
— Tu pourras venir me rejoindre !
— N’en seras-tu point déçu ? »
Le meunier posa affectueusement sa main calleuse sur la frêle épaule : « tu es grand, mais encore un enfant. Il est normal que tu aies besoin de sentir quelqu’un de plus fort près de toi. Chaque nuit où tu pourras dormir tout seul t’aidera à devenir un homme. »
Les premières se déroulèrent sans encombre. Petit Guillain aimait ces deux chèvres et ces quatre moutons qu’il menait paître dans les friches et les guérets. Son père s’était trompé : leur présence le rassurait. Il avait vite appris à s’enfouir dans la paille jusqu’au cou. Bien au chaud, il s’endormait rapidement dans un sommeil profond. Une semaine passa ainsi.
Sont-ce l’agitation du maigre troupeau et les bêlements plaintifs qui le tirèrent de ses rêves ? Toujours est-il qu’il se réveilla en pleine nuit. D’abord, il n’entendit rien et s’étonna de l’inquiétude des bêtes. Il se leva. Dans la demi-pénombre, il tenta de les calmer à voix basse tout en passant la main sur leur toison.
Ses gestes les apaisèrent, pour un instant, seulement. Les animaux recommencèrent à bouger et à trembler. Alors, il prêta l’oreille. Presque imperceptible au début, une respiration s’amplifiait, un souffle saccadé persistait au bas de la porte de la bergerie. Un renard ? Un loup ? Le grattement des griffes glissant sur le bois le conforta dans son idée. À tâtons, il prit un petit madrier qu’il assujettit à la porte. L’enfoncer aurait nécessité au moins la force d’un homme.
Il avait fait ce qu’il fallait. Il le savait. Et pourtant, il tremblait. Il avait peur, prisonnier qu’il était au milieu de ses animaux. Se réfugier au moulin était exclu : il aurait été contraint d’ouvrir et affronter la bête sauvage affamée. Crier ? Pas sûr qu’il serait entendu. Alors, il s’assit le moins mal possible et veilla jusqu’à ce que le sommeil ait raison de sa vigilance.
Les coups redoublés contre la porte le réveillèrent. Il faisait grand jour et la voix de son père le fit sauter sur ses pieds. Le madrier ôté, la porte s’ouvrit. La silhouette du meunier se découpa dans l’embrasure. Il se jeta dans ses bras.
***
« Un loup ! C’est un loup ! Il a déjà égorgé des moutons un peu partout au village… non… pas une meute, sinon, on aurait entendu des hurlements ! C’est un solitaire… Les plus dangereux ! Celui-là doit être énorme, car les animaux disparus pesaient un bon poids ! »
Sylvestre Burtin et Gaspard Caridet faisaient honneur au pichet de vin que Guillain avait posé sur sa table. Les deux amis du meunier venaient lui demander de se joindre à la battue contre le monstre.
— Vous savez que je n’ai guère de goût pour la chasse. Soit ! J’irai comme les autres. La bête ne s’est pas aventurée par ici, sans doute, car je n’en ai point pâti. Pourtant, mon bétail paît dehors toute la journée…
— Toi, tu restes au moulin… P’tit Guillain n’a rien vu ?
— Je lui demanderai. Si vous voulez mon avis, j’en doute… Là, il est au village. Je crois que, s’il avait repéré quelque chose en les emmenant pâturer, il l’aurait dit…
— Faudra qu’il se méfie quand même… Que ce monstre s’attaque aux moutons, c’est grand dommage, qu’il tue un enfant, ce sera un malheur !
— C’est pour ça que j’irai avec vous tous… Un loup qui mange une brebis, c’est dans la nature des choses. Un petit d’homme, le mien ou un autre, c’est pas supportable… Faudra peut-être qu’on prenne un chien… »
Petit Guillain s’assit sur une partie lisse et plate du rocher, sa place, son siège habituel. Les jambes pendaient et les pieds nus résistaient au courant du torrent, là où il disparaissait dans les entrailles de la montagne.
C’était assez loin du moulin, toutefois, l’herbe y abondait suffisamment pour son maigre troupeau. L’enfant adorait ce lieu désert devenu le domaine de ses rêves et de sa toute-puissance. Il s’inventait des êtres imaginaires, à aimer ou à combattre, au sein d’aventures dont il restait le maître absolu.
Ce jour-là, il n’avait guère besoin de se creuser la tête : son père lui avait raconté la battue à laquelle il avait participé sans grande conviction.
Les hommes s’étaient répartis en trois groupes, armés de gourdins ferrés et accompagnés des molosses les plus redoutables de Saint-Cyprien. En partant des lieux d’attaque, les chiens avaient flairé plusieurs pistes. Toutes, par mille et un détours différents, menaient à la rivière. Le courant était très faible et le niveau de l’eau assez bas. Chacun y allait de son opinion : « c’est pas croyable qu’un loup traverse en tenant un mouton dans sa gueule !
— C’est qu’il est d’une force fantastique !
— Si c’est un loup !
— Quoi d’autre ?
— Un ours… »
Un frisson parcourut le groupe. Quiconque exprimait ses craintes contribuait à augmenter l’effroi général. Toute hypothèse repoussée instillait un peu plus d’une terreur que les plus téméraires parmi les chasseurs tentaient de masquer.
— Un ours ? Il y a bien vingt ans qu’on n’en a plus aperçu dans la région !
— Et puis, il viendrait de la montagne. Or, maître Guillain n’a rien vu ni perdu de bétail…
— C’est arrivé que celui d’un saltimbanque s’enfuie et que l’animal retourne à l’état sauvage…
— Et si c’était une bête ?
— Tu veux dire… un monstre ?
— Ben oui… Y a plein d’histoires qu’on raconte de ceux-là qui tuent tout ce qu’ils trouvent, et qu’on ne parvient jamais à attraper !
— Des menteries pour faire peur aux naïfs qui gobent n’importe quoi !
— N’empêche que, celui-là, il laisse pas de traces et il disparaît avec ses proies…
— Tu dis rien, meunier ? »
Guillain ne participait pas à l’émergence de cette panique collective qui s’en remettrait, tôt ou tard, à une intervention surnaturelle. Faire preuve de bon sens n’aurait servi qu’à le rendre suspect, pour peu que la battue s’achève sur un échec. Il préféra plaider l’incompétence : « J’ai rien à dire et, dans ce cas-là, je laisse causer ceux qui savent ! »
Ils avaient traversé le cours d’eau en vain. Le flair des chiens n’avait rien trouvé sur l’autre rive. Le mystère demeurait entier. Ils descendirent le long des deux berges sur une demi-lieue sans découvrir le moindre indice. Il ne restait qu’à mieux surveiller les troupeaux et à espérer que le fauve fût parti.
Guillain avait tout raconté à son fils avec un petit ton moqueur que l’enfant remarqua : « tu ne crois pas aux monstres ?
— Bien sûr que non ! Du moins pas ici…
— Si ce n’est pas un animal, c’est…
— Un homme ou plusieurs ! Des voleurs qu’on ne poursuivra pas parce que c’est plus mystérieux d’imaginer un coupable surnaturel…
— Tu leur as expliqué ?
— Oh non ! Ils ne m’auraient pas cru, et, surtout, ils auraient commencé à se soupçonner entre eux !
— Et pour la bête qui rôde la nuit autour de la bergerie… Tu n’as rien dit non plus ?
— Non… Elle vient flairer, mais s’en va toujours sans rien emporter. Tant qu’il n’y a pas de danger, je ne dirai rien. Ils seraient capables de tuer un animal inoffensif rien que pour se rassurer ! »
L’eau glacée avait bleui ses pieds désormais insensibles au froid. Il quitta son poste et sauta au sol, les frictionna avec une touffe d’herbe puis décida d’emmener son troupeau un peu plus haut dans la montagne. Tout se passa bien jusqu’au moment où le mouton de tête s’arrêta, bêla et commença à faire demi-tour.
Intrigué, le petit berger s’avança. D’abord, il ne vit rien. Aucun obstacle ne barrait le sentier. Un gémissement, en contrebas, lui fit pencher la tête au-dessus du ravin. Un animal était étendu sur le flanc, remuant à peine. Un chien ? Un loup ? Il était incapable de l’identifier. Sa certitude, c’était qu’il allait mourir, et, surtout, qu’il était énorme ! Seul, il ne pouvait rien tenter. Il rassembla ses moutons, ses chèvres et les houspilla pour qu’ils regagnent le moulin le plus vite possible.
Une heure plus tard, il refaisait le chemin à l’envers avec son père et la Gourette. Ils retrouvèrent l’endroit sans peine. L’animal moribond n’avait pas bougé. Le meunier intima à son fils l’ordre de rester à côté de leur mule. Il descendit avec prudence en tenant la corde attachée à la Gourette : il pouvait chuter à tout moment. Enfin parvenu près de la bête, il estima ses chances de survie bien faibles. À cause de son poids, la hisser hors du petit ravin allait s’avérer difficile. Ce n’était pas un loup. Jamais il n’avait vu un chien – ou plutôt une chienne – de cette taille. Il dut renoncer à la soulever seul. Alors, il enroula la corde comme il put autour du corps de l’animal et ordonna à Petit Guillain de faire avancer la mule. Lui-même posa l’arrière-train sur une épaule pour soulager la remontée. La femelle gémissait faiblement sans tenter de se débattre, trop épuisée pour bouger. Lui aussi exténué, Guillain Ducanol se laissa tomber au sol pour reprendre son souffle et réfléchir : il venait de récupérer une chienne à demi crevée qu’il serait bien incapable de soigner. Il chercha son fils du regard sans le trouver. L’enfant avait disparu. Il revint, au bout de quelques instants, pieds nus, tenant un de ses sabots avec précaution : « tu veux de l’eau ? »
Elle était glacée comme celle qu’il avait bue, au même endroit, des années plus tôt, avec Marie-Albertine… C’est ainsi que l’idée lui vint.
C’était fou, pourtant, il allait le tenter.
À eux deux, ils réussirent à installer la moribonde sur le dos de la Gourette. L’enfant commença la descente : « Non… Par là ! » Du doigt, son père désignait le sentier qui montait…
***
Le portail, s’il accusait le poids des ans, était toujours en place.
Et ouvert.
Petit Guillain ne disait mot, même s’il devinait que son père se dirigeait vers un endroit précis qu’il connaissait, mais dont il ne lui avait jamais parlé.
À un moment donné, il aperçut une fillette qui lui adressa un grand sourire de derrière une haie. Il voulut répondre d’un geste de la main. Trop tard ! L’apparition avait déjà disparu : « pourquoi t’arrêtes-tu ?
— J’ai vu une petite fille…
— Je ne vois rien…
— Elle s’est cachée sans doute…
— Non… Tu t’es trompé ! Là où nous sommes, il n’y a pas d’enfant ! »
Ils arrivaient. Sur le pas de sa porte, la sorcière attendait : « qu’amenez-vous là ?
— Un animal extraordinaire qui va mourir… Est-ce que… ?
— Je pourrais le guérir ? Pour quoi faire ?
— C’est une chienne d’une taille inconnue. Elle était tombée dans un ravin près du torrent… »
La vieille femme s’approcha, enfouit sa main sale dans le pelage, ce qui provoqua un nouveau gémissement à peine audible : « c’est la chienne bannie de la montagne. Vous connaissez la légende ? »
Son regard se posa sur l’enfant, attentif, fasciné, respectueux, sans pour autant afficher une quelconque répulsion vis-à-vis de son apparence.
Elle entama un étrange récit : « Il y a très longtemps, les chiens de la région étaient monstrueux, gros comme des chevaux-nains. Les mâles s’affrontèrent pour désigner leur chef. C’étaient des combats à mort. Celui qui survécut devint le maître d’une troupe de cent femelles qu’il s’épuisait à toutes les vouloir saillir. Pour ne pas se tuer à la tâche, il les emmena dans de vastes contrées où il abandonnait celles qui allaient mettre bas. Ainsi, la race se répandrait, suffisamment loin, afin que nul ne vienne contester sa suprématie. Lorsqu’il revint sur sa montagne, il n’en restait plus que deux. Or, il n’en voulait conserver qu’une. Alors, il les mena là où le torrent disparaît dans la terre et leur ordonna de se battre en leur précisant que celle qui vaincrait aurait le droit de le rejoindre. Il remonta sur la montagne et attendit. Depuis, à chaque portée, il ne garde qu’une seule femelle. Tous les autres chiots, une fois sevrés, partent à l’aventure… Le hasard aura voulu que celle-là, dans son errance, devenue adulte, vienne ici et la chienne en place l’aura attaquée pour préserver son territoire… »
Petit Guillain était abasourdi par cette histoire. Il se tourna vers la pauvre bête affalée sur un lit de paille fraîche. Il s’approcha, s’allongea par terre et se mit à la caresser en lui murmurant des mots que les grandes personnes ne pouvaient entendre… ni probablement l’animal inconscient. La vieille femme lui avait fait boire, goutte à goutte, des breuvages étranges qui l’avaient plongée dans un sommeil proche de la mort. Craignant l’effet que ce conte pourrait produire sur son enfant, le meunier précisa calmement : « c’est une légende…
— Cette chienne est cependant bien réelle, rappela la sorcière, et elle a subi des morsures à la gorge, aux cuisses et aux pattes qui lui ont brisé certains os ! Sa chute dans le ravin en a cassé d’autres…
— Quel animal a pu lui faire ça ?
— Il en faudrait un encore plus fort qu’elle et il n’y a plus d’ours dans la région. Croyez ou non la légende, n’empêche qu’elle seule apporte une réponse…
— On parle au village d’un animal étrange qui s’attaque aux troupeaux…
— Je sais cela comme j’ai appris aussi qu’une battue n’a rien donné. La bête serait d’une grande intelligence, d’une force colossale et capable de nager. Oh ! Guillain Ducanol ! Ne vois là aucun prodige : tu n’es pas le seul à venir me consulter… Sais-tu que tu jettes des sorts ?
— Moi ? C’est bien une menterie ! Surtout que je ne crois en rien ce genre de sornettes !
— Comment peux-tu expliquer que ton petit troupeau, qui n’a même pas un chien pour le défendre, n’ait jamais subi la moindre attaque ?
— Je pense simplement que l’animal – si c’en est un – ne s’est pas approché jusque-là !
— C’est de bon sens… Heureusement que tu as participé à la battue sinon tu aurais eu grand-peine à te défaire de ces accusations !
— Quand ces idées entrent dans les têtes, il est bien difficile de les en faire sortir ! »
La vieille femme esquissa une grimace qui se voulait un sourire tout en découvrant sa bouche édentée.
— À moins qu’une explication plus terrifiante encore prenne le dessus… Apprends donc que les brebis sont dévorées par un monstre qui vit dans la rivière et sort de l’eau quand il a faim. Voilà pourquoi les chiens ne trouvent rien. S’il ne vient pas dans la montagne jusque chez toi, c’est que c’est trop loin et qu’il ne peut rester trop longtemps sur la terre ferme… »
C’était la révélation qu’elle avait servie à ses solliciteurs. Leur crédulité stupéfia le bon sens du meunier : « Et ils l’ont cru ? »
La sorcière se mit en colère.
— Bien sûr ! Ils l’ont cru, ces ingrats !
— Pourquoi ingrats ?
— J’ai voulu leur vendre des potions qui, aspergées sur les berges, auraient fait fuir le monstre et ils les ont refusées !
— Alors, ils ne t’ont pas crue !
— Oh que si ! Plus fort encore que tu ne le crois : ils pensent que ce monstre a été envoyé par le Malin et que les serviteurs de Dieu, seuls, sauront les en débarrasser ! »
Guillain secoua la tête sans chercher à masquer son envie de rire : « Je comprends ! On organisera des processions et ce sont des pintes d’eau bénite qui seront répandues aux abords de la rivière ! »
Elle ironisa.
— Oui-da, et uniquement jusqu’aux limites de Saint-Cyprien ! Que les autres se débrouillent !
— Les limites du village sont aussi celles de la générosité des paroissiens… »
Son rire ressemblait à un beuglement qui s’acheva dans un hoquet. Redevenue sérieuse, elle vrilla son regard dans les yeux de son visiteur.
— Maintenant, dis-moi, Guillain le meunier… N’avais-tu jamais vu cette chienne auparavant ?
— Tu mérites bien ta réputation de sorcière-devineresse…
— Ce n’est point là savoir de magicien ! Avant que son ennemie la découvre et l’attaque, elle devait errer dans les parages ces derniers temps… »
Alors, il raconta les incursions nocturnes qui avaient tant effrayé son fils depuis plusieurs jours. « Si c’était elle, les prochaines nuits seront tranquilles… Il se fait tard, retournez au moulin à présent. »
Le petit garçon n’avait pas bougé, perdu dans un monde uniquement peuplé de lui-même et de la chienne blessée. Son père l’arracha rudement à cet univers de rêve. La sorcière tendit à l’enfant un morceau d’étoffe propre : « frotte-toi vivement le ventre, les bras et la figure puis pose le linge devant son museau. Ensuite, va-t’en ! Ce n’est pas un endroit pour les gamins, ici ! »
***
Nul ne vint plus troubler le sommeil de Petit Guillain. S’il n’oubliait pas le sauvetage de la chienne et sa visite chez la sorcière, il sut tenir sa langue et garder le secret que son père lui avait recommandé. Cette étrange aventure ne le détourna pas de sa préoccupation première : il n’en finissait pas d’étonner l’abbé Dehaix par sa facilité à comprendre et mémoriser ce qu’il lui enseignait. Ce dernier en fit part au curé. Sans partager l’enthousiasme de son vicaire, il commença à s’intéresser au nouvel élève.
Au moulin, en rentrant, il s’occupait des animaux sans plus parler de ce qu’il venait d’étudier. Il n’ouvrait plus l’écrin contenant le billet découvert lors de son abandon devant l’église. Le meunier, même s’il n’en laissait rien paraître, en fut déçu. Ne descendant que rarement au village, il n’avait pas l’occasion de rencontrer les prêtres. Il pensa, à tort, que son fils peinait dans ses apprentissages ou qu’il n’y trouvait guère d’attrait. Jusqu’au jour où, à l’heure du souper, le brave homme aperçut la boîte bien en évidence à côté des écuelles fumantes. L’enfant l’ouvrit sans mot dire, en tira le feuillet et le déplia : « Je porte… rai le prénom qu’on… me donne… ra et f… erai les beaux jours de qui me f…era vi…vre. »
Il releva la tête, le regard brillant de bonheur et de fierté. Deux larmes coulaient des yeux de son père et elles n’en finissaient pas de trouver leur chemin sur ses joues burinées.
Le lendemain, P’tit Guillain apporta deux écus à l’abbé.
Dans le village, il croisa Albin, accompagné d’un garçon visiblement plus âgé. Son ancien condisciple le montra du doigt puis se pencha vers son compagnon. Celui-ci hocha la tête et ils vinrent à sa rencontre : « Ça te plaît toujours d’apprendre à lire ?
— Oui. Ce n’est pas très difficile…
— Je vais peut-être revenir. Notre mère a chassé le nouveau précepteur. Il n’est resté que deux semaines… encore moins que le premier !
— Il te faisait mal apprendre ? »
Albin de Coralix éclata de rire : « Non… Il ne nous faisait pas apprendre du tout ! Il passait son temps à regarder par la fenêtre les servantes dans la cour. Et ça t’a pas plu, hein, Louis ! »
L’aîné le rabroua sèchement : « Tais-toi donc ! Ce sont nos histoires et ça se raconte pas à n’importe qui !
— Bah ! Quand P’tit Guillain n’est pas avec le vicaire, il reste au moulin ! À part ses poules et ses moutons, il a personne à qui causer ! »
Le fils du meunier avait entendu parler du grand frère d’Albin. Louis s’était avéré assez difficile à élever, turbulent et frondeur. Le curé avait renoncé à l’instruire, épuisé par ses caprices et son refus d’apprendre. Sa mère avait pris le relais sans plus de résultats, malgré sa soumission aux moindres désirs du garçon. Elle était depuis toujours en adoration devant son aîné qui en abusait sans vergogne. Albin suggéra : « Ce serait bien si tu venais quelques fois au château…
— Je n’en ai guère le temps et je ne crois pas que ta mère accepterait !
— Ça, je m’en charge… » affirma Louis d’un ton péremptoire.
L’invitation surprenait le fils du meunier. Par contre, la perspective d’avoir un ami le réjouissait. Cependant, il n’avait pas oublié la scène au presbytère et le mépris que lui témoignait madame de Coralix. Il pensa plus sage de battre en retraite : « le travail ne manque pas au moulin et je dois aider mon père… Il faut que j’y aille, maintenant ! »
C’était plus un manoir qu’un château. Toutefois, ses deux tourelles greffées aux angles de la façade lui octroyaient une dignité qui rehaussait le perron.
Petit Guillain se laissa impressionner par la taille de la bâtisse qu’il n’imaginait pas si imposante. Elle lui était pourtant familière. Vue du moulin, la maison de la famille d’Albin aurait tenu dans le creux de sa main !
Sans son ami à ses côtés, jamais il n’aurait posé le pied sur la première des huit marches – il les avait comptées – du large escalier : « avance, nigaud ! » En maître des lieux, son compagnon d’études reprenait l’avantage sur son terrain. La timidité affichée par le fils du meunier redorait son prestige mis à mal au presbytère.
Madame de Coralix avait rendu les armes. Le recrutement des deux précepteurs successifs s’était conclu par un désastre. Quant à ses propres initiatives, elles confinaient à l’échec pour un Albin plutôt rebelle à l’autorité maternelle. Dorine était de bonne volonté, cependant, ses difficultés d’apprentissage prenaient le pas sur ses résultats.
Ses deux enfants étaient donc revenus, sans exiger, cette fois, de l’abbé Dehaix le renvoi de Petit Guillain. Ce que les trois élèves ignoraient, c’est que monsieur de Coralix était intervenu, d’abord près de son épouse puis du curé. Ses intrusions dans la vie de sa progéniture étaient si rares qu’il n’eut aucun mal à imposer sa volonté.
Il apprit à cette occasion que le fils du meunier se révélait brillant, travailleur et discipliné… à l’inverse de son cadet ! Chez un humaniste, un tel exemple valait d’être encouragé et la requête de Louis obtint aisément satisfaction. C’est ainsi que Petit Guillain franchit pour la première fois la porte du château.
Quelqu’un s’était secrètement réjoui de cette invitation : Dorine, qui espérait bénéficier de la gentillesse de ce garçon à mille lieues des tracasseries qu’elle subissait de ses frères. Leur mère n’avait pas tout à fait abdiqué. Il lui répugnait de dîner en face de ce bâtard, abandonné à la naissance. Alors, elle suggéra qu’ils partent toute la journée visiter le domaine. Il faisait beau. Personne n’y trouva à redire.
Tous trois arpentèrent les coteaux tranquillement. Dorine avait du mal à suivre. Guillain la soulagea du panier que son frère avait refusé de porter. Il n’était pas vraiment lourd malgré un contenu copieux. Le repas, à l’ombre d’un chêne-liège, prit des allures de festin. Albin renoua avec ses prérogatives pour distribuer la nourriture. Il fit soudain semblant de fouiller le fond pour en extraire, triomphant, une bouteille au liquide sombre.
— Mais… C’est du vin !
— Ça te surprend alors qu’on passe la journée dans les vignes ? Je parie que tu n’en as jamais bu d’aussi bon !
— Je n’en ai même jamais bu du tout. Je suis trop jeune !