Sacré bidule à Pornichet - Rémi Devallière - E-Book

Sacré bidule à Pornichet E-Book

Rémi Devallière

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Beschreibung

A peine arrivé à Pornichet, le commissaire Anconi est confronté à un assassinat : qui a tué ce monsieur Tout-le-monde ? Et Bonne Mère, pourquoi ?

Juin 1990 : le commissaire Anconi doit transporter son accent marseillais à Pornichet, à la demande de son directeur. Le sommet franco-africain des chefs d’État débute dans quelques jours à La Baule et il devra y seconder Martineau, le collègue local. À peine sorti du train, un assassinat a lieu sur le remblai, Plage des Libraires. On trouve sur la victime une lettre énigmatique d’un notaire angevin et des photographies d’immeubles. Anconi se voit confier l’enquête. Il n’aura guère le temps d’admirer la station balnéaire. Tout juste pourra-t-il chaque soir au Bidule, un petit verre à la main, faire le point avec le commissaire baulois ! Qui est ce monsieur Tout-le-Monde que personne ne semble connaître à Pornichet ? Qui l’a tué ? Et Bonne Mère, pourquoi ?

Suivez le célèbre commissaire marseillais Anconi dans l'une de ses enquêtes et assistez à la résolution d'une nouvelle énigme passionnante !

EXTRAIT

Un agent en tenue leur apporta du café, dans des verres en plastique qui se déformaient dangereusement sous les doigts.
— Vous parliez d’un accident bizarre ? demanda Anconi, en renversant un peu de breuvage sur le bureau qui en avait vu d’autres. En rapport avec le sommet franco-africain ?
—Je l’ignore, pour l’instant. Un curieux accident. Cela ne vous dérange pas de me donner votre avis ?
Il avait l’air de suggérer : « Puisque vous êtes là ! »
— Bonne Mère, comme ça, on ne sera pas venus pour rien ! Racontez-nous !
— Le truc s’est produit vers midi, Boulevard des Océanides, à Pornichet. Un type est tombé du Petit train qui circule entre Pornichet et La Baule.
— Tè, on a vu l’attroupement ! s’exclama Anconi. Qui est la victime ?

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France

À PROPOS DE L’AUTEUR

Après plusieurs décennies passées, comme médecin hospitalier, à soigner les maux les plus graves, Rémi Devallière, désormais en retraite à Pornichet, se plaît à choisir les mots les plus appropriés pour ses histoires. L’hiver, ou lorsque la mer n’est pas navigable, il écrit, avec passion. Nouer des intrigues n’est-il pas le pendant d’une démarche médicale bien conduite ? Si les instruments de l’exercice en sont bien différents, le plaisir de parvenir à un résultat satisfaisant est bien le même. Et les aveux du coupable ne relèvent-ils pas du même défi qu’un diagnostic bien posé ?

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Ce roman se déroule en 1979, dans l’ancien Centre Hospitalier de Saint-Nazaire, désormais désaffecté. Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

I

Le commissaire Anconi n’avait nullement apprécié la mission que venait de lui imposer son directeur, Arnaud-Fontaine, en ce début de mois de juin. Déjà, l’invitation à passer à son bureau dans l’après-midi, alors qu’aucune affaire sensible n’occupait le Quai des Orfèvres, n’avait rien laissé présager de bon.

— J’aurai besoin de vous voir, Anconi !

Le ton ne lui avait pas plu. Il avait, d’abord, envisagé une réorganisation des services, sortie de la tête du nouveau ministre ou d’un chef de cabinet ambitieux et il aurait encore préféré cette éventualité.

Il n’entretenait pas d’excellents rapports avec son supérieur. Leurs caractères différaient par trop. Autant le directeur était un politique, autant le commissaire se contentait d’être un bon flic. La prudence du premier exaspérait le second, plus enclin au résultat qu’au calcul. Cet Arnaud-Fontaine avait débarqué de Lyon, poussé par une main influente. Alors…

Il ressassait cet entretien tandis qu’il rentrait ce soir-là à sa péniche, pont de Neuilly. Il faisait joliment doux dehors, il n’y avait pas prêté attention auparavant, les marronniers du boulevard avaient retrouvé leurs larges feuilles, de ce vert si tendre du printemps.

— Ah ! Entrez, Anconi !

Le directeur lui avait désigné un siège, à l’assise raide. Aussi raide que le personnage ? s’était-il dit en prenant place. Pour une fois, il n’avait pas eu à faire les cent pas dans le couloir sombre, à sucer ces petits bonbons à la réglisse dont il faisait un usage immodéré depuis qu’il avait cessé de fumer. Il semblait être attendu. Que lui voulait-il donc ?

— Mes respects, Monsieur le directeur.

Leur conversation lui revenait sans cesse, comme ces tubes à la mode qui finissent par vous tourner dans la tête pour les avoir trop entendus. Il avait heurté le trottoir en faisant sa marche arrière et avait juré.

Arnaud-Fontaine était un type chauve avant l’âge, strict et sévère dans son maintien, ses mots, ses gestes et son costume impeccable. Quand il parlait, ses sourcils s’agitaient sans cesse et s’immobilisaient d’un seul coup en accent circonflexe, en même temps qu’il vous fixait d’un regard pénétrant, sous un front plissé par une risée. Ce jour-là, Anconi avait été invité à s’asseoir et cet assaut inhabituel de déférence avait accentué le malaise du commissaire.

— Aucune enquête importante ne vous occupe en ce moment, Anconi ?

— La routine, Monsieur le directeur. Il y a cependant ces agressions qui se reproduisent dans le métro, toujours sur la même ligne et qui…

— Vous voulez parler de cette femme qui est tombée sur les voies avant-hier ? Un suicide, non ?

— Je n’en suis pas si sûr !

— Les premières constatations, c’pendant, sont en faveur d’un acte désespéré. Perte d’emploi, dépression. Elle n’est pas la première !

Il avait une manière tranchante de lancer son « c’pendant » qui prenait à contre-pied l’argumentation de l’interlocuteur.

— Justement, Monsieur le directeur, il semblerait que les suicides se répètent un peu trop sur cette ligne.

— Soit ! Laissez donc Lefebvre s’amuser avec cette histoire, nous avons mieux à faire.

Le commissaire avait dû se contenir. Quelle importance, pour Arnaud-Fontaine, qu’une Parisienne disparaisse sous les roues de la rame de la ligne n° 1 entre George V et Franklin D. Roosevelt ? Dans ses relations, de toute façon, on préférait le taxi au métro. Il avait donc attendu la suite.

— Comme vous le savez sans doute, Anconi, les services de l’Élysée préparent le sommet France-Afrique des chefs d’État qui doit se tenir à La Baule dans quelques jours. Une réunion sensible ! Des enjeux internationaux, les relations avec l’Afrique, les susceptibilités des dirigeants du continent noir…

— N’est-ce pas l’affaire de la Défense Sécurité du Territoire et des Voyages Présidentiels ?

— Certes ! C’pendant, la Place Beauveau souhaiterait que nous donnions un coup de main.

— Quel coup de main ?

— Vous connaissez Martineau ?

Anconi afficha un visage dubitatif.

— Martineau, le commissaire de La Baule ! avait insisté le directeur.

— Non ! Je connais Blanchard, à Saint-Nazaire. Un garçon sympathique qui a fait un stage chez nous il y a quelques années.

Les sourcils papillonnèrent puis s’immobilisèrent.

— Mais non, il ne s’agit pas de Saint-Nazaire ! La Baule, Anconi ! La Baule ! On souhaite en haut lieu – et je ne peux que vivement approuver cette initiative – que les services de la Criminelle renforcent les collègues baulois. Le directeur de cabinet du ministre suppute que le sommet va s’accompagner d’une grande affluence cosmopolite. Les dirigeants de ces contrées sont escortés d’une suite nombreuse et parfois – comment dire ? – un peu bruyante ! Un homme d’expérience comme vous saura régler d’éventuels problèmes collatéraux. Il ne s’agit pas de se substituer aux services des Voyages Présidentiels, mais de contenir certains débordements chez les accompagnants, vous voyez ?

Le commissaire avait bien vu. Un rôle de garde-chiourme, de directeur de crèche. Arnaud-Fontaine avait fait ses courbettes dans les salons dorés, et peu lui importait d’envoyer un commissaire de la PJ faire de la représentation sur la plus belle plage d’Europe.

— Allez-y avec Bolz ! avait-il ajouté pour amadouer son subordonné.

Anconi, agacé par cette conversation qui lui revenait sans cesse, avait fini par claquer la portière de sa voiture et se diriger vers “Zeeland”, sa péniche amarrée le long du boulevard Kœnig. Déjà 20 heures ! Fatche de directeur !

— Tu as l’air bien sombre, mijn beminde1 !

Hilda avait disposé la table du dîner sur la terrasse aménagée à la poupe de leur péniche, un espace entouré d’un bastingage, d’où pendaient des plantes vertes aux ramifications interminables effleurant le cours du fleuve, et protégé par un grand parasol. Elle avait mis des fleurs sur la table et Anconi finit par remarquer la présence d’un paquet-cadeau sur l’une des assiettes. Il fit mine de n’en rien voir et embrassa sa femme.

— Mais non, Hilda, juste une journée un peu difficile !

Cela sonnait faux, mais il se détendit cependant légèrement, pour ne pas gâcher l’accueil que lui faisait son épouse. Celle-ci disparut à l’intérieur du navire et le commissaire s’accouda face à la Seine. Elle ressortit silencieusement avec un seau à glace coiffé d’un linge blanc d’où émergeait le col d’une fine bouteille.

— Bonne fête, mijn beminde !

À cause de ce fatche de fada, il avait totalement oublié ! Sa femme ne manquait jamais ces petits événements qu’elle préparait minutieusement. Il l’embrassa, attendri.

— Et tu as trouvé du vin de Moselle !

C’est de ce vin qu’ils avaient bu, la première fois qu’ils s’étaient rencontrés en Hollande, le pays d’Hilda. Ému, il ouvrit son paquet et découvrit un livre sur la grande peste de 1720 à Marseille, dans une vieille édition.

— Houuu ! Comment as-tu déniché cette merveille ? s’écria-t-il en l’embrassant.

Étant originaire de Marseille, il en fut particulièrement touché.

Elle avait soigné aussi le menu, aubergines farcies qu’il aimait tant et une bourride « comme ça » qui avait dû lui demander de longues heures de préparation. Les bons petits plats, le vin frais et la mine réjouie de sa femme firent s’éloigner le spectre d’Arnaud-Fontaine. Bien plus tard, alors que la nuit noire n’était trouée que par les photophores de la terrasse, Anconi la remercia :

— Tu m’as gâté que c’est pas possible !

— Tu as des ennuis, au Quai ? avait-elle fini par demander en servant le café.

Il raconta en souriant la convocation chez le directeur, la mission qu’il s’était vu confier.

— Mais tu n’en auras que pour quelques jours ! Cela va te changer des énigmes du métro. Et puis avec ce beau temps, ce doit être magnifique, là-bas…

Il pouffa.

— J’aurais peut-être dû remercier Arnaud-Fontaine !

Le couple Anconi prolongea tard la soirée, car Hilda avait prévu du champagne au dessert, un gros gâteau crémeux. Ils restèrent là, dans l’ombre du fleuve, silencieux et complices, devant leur coupe qui jetait de fins éclats de lumière. Ils furent salués joyeusement par l’Anglaise excentrique qui rentrait dans la péniche voisine, avec son musicien barbu. Elle chantonnait en français avec des accents de Jane Birkin, attifée d’un sari indien décoré de brillants qui luisaient dans la nuit.

— “Bonsôar” ! cria-t-elle gaiement à leur adresse. Une musique sonnante ne tarda pas à s’échapper de leur bord auquel ils avaient donné le nom de “Woodstock”. Hilda se pencha sur l’épaule du commissaire et, attendrie, lui chuchota :

— Tu te souviens de notre première rencontre à Hoorn ?

Le téléphone retentit, l’empêchant de répondre autrement que par un sourire.

— Allô ? Anconi ?

— Oui ! articula-t-il avec une voix un peu pâteuse.

— C’est Lefebvre, Patron ! Désolé de vous déranger !

— Ce n’est rien, Petit. Je t’écoute, va !

— Je ne sais pas si c’est important, mais la chose est curieuse. Je voulais attendre demain pour vous prévenir, mais je préfère vous le signaler maintenant.

— Encore le métro ?

— Oh ! Je ne sais pas ! Peut-être !

— Hè bè, ne me fais pas languir comme ça ! s’impatienta le commissaire en sortant sa boîte de réglisses de sa poche et en la secouant.

— Un curieux courrier est arrivé pour vous !

— Un courrier, à cette heure-ci ?

Le commissaire avait tressailli. Encore troublé par la convocation de l’après-midi, il imagina aussitôt un ordre de mission alambiqué de son directeur, une injonction quelconque. Sans laisser son inspecteur répondre, il demanda :

— Un courrier intérieur ?

— Non ! On l’a déposé pour vous au planton. Une carte postale, sans enveloppe.

— Un indic ?

— Oh non ! Je ne crois pas… Je ne crois pas…

— Et alors, qu’est-ce que ça dit, Bonne Mère ?

— C’est écrit à la main, sur une reproduction de carte postale ancienne, en noir et blanc, vous voyez ?

— Je vois, Petit. Que m’a-t-on écrit comme ça ?

— Le texte est un peu mystérieux, justement. C’est marqué : « Le métro est dangereux de nos jours, évitez surtout la ligne n° 1 ! »

— Et comment sais-tu que le message m’était destiné ?

— Dans la partie adresse, c’est noté : « Pour le Grand commissaire Anconi. » Il y a une majuscule à grand. Ce n’est pas la première fois que vous recevez des menaces, Patron, mais c’est la photo qui est un peu déroutante. Inquiétante, même !

— Tu peux me la décrire ?

— Eh bien, c’est une locomotive à vapeur qui a traversé la façade d’un immeuble et est restée comme suspendue au-dessus de la rue.

— Mais c’est arrivé, ça ! C’est l’accident de la gare Montparnasse ! Je me souviens d’avoir vu cette image dans des revues anciennes. Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Pour moi, c’est un fou, comme on en voit de temps en temps, ou un type qui a eu des démêlés avec la police. Je préférais vous prévenir, à cause des événements récents, justement sur la ligne n° 1.

— Bonne Mère ! Cela pourrait devenir grave ! Jusque-là, on suspectait un dérangé qui sévirait sur cette ligne et s’en prendrait aux passagers. Mais, avec ce que tu me décris, il se pourrait que quel qu’un prépare une catastrophe d’une tout autre ampleur. Pourtant, Montparnasse n’est pas sur le même parcours, ça ne colle pas !

— Il utilise peut-être le symbole… L’accident pourrait se produire ailleurs…

— Tè, du spectaculaire, alors ! Tu vas faire surveiller les terminus ainsi que les stations de la ligne 1.

— Je vois ça avec la police du métro ! Vous croyez qu’il faut aussi protéger les conducteurs de rames ?

— Jamais on ne disposera de suffisamment de gars ! Tè, on est jolis !

— Et si c’était du bluff ?

— Du bluff ? Est-ce que je sais, moi ? Au fait, elle était signée, cette gentille carte ?

— Oh ! Je ne vous ai pas dit ! Trois lettres : « PLM. »

Le commissaire resta sans réponse. « PLM » ? Drôle de signature ! Il pensa aussitôt à “Paris-Lyon-Méditerranée”, cette ancienne compagnie du rail. Quelle idée ! Un fou, certainement, mais sans doute dangereux.

« Instruit, pensa-t-il, ou suffisamment âgé pour avoir entendu parler de cet accident de chemin de fer. »

— Vous êtes toujours là, Patron ?

— Tu as dégotté la date de la catastrophe, je veux dire celle de la carte postale ?

— Oui ! 1895 ! Le type ne peut pas avoir vécu l’événement, il aurait 95 ans !

— Demande à “L’Araignée” de faire des recherches sur ce sigle « PLM ».

Celui que l’on désignait par ce sobriquet était l’archiviste du 36, Quai des Orfèvres. Un vieux célibataire en blouse grise, le crayon derrière l’oreille, qui semblait toujours avoir été là, pâle et voûté, entre ses rangées de cartons poussiéreux.

— Je m’en occupe tout de suite ! Je vous rappelle ?

— Si tu veux bien, Petit…

Il n’osa pas lui parler de ce sommet franco-africain qui allait l’éloigner de Paris pendant quelques jours. Arnaud-Fontaine lui avait demandé de s’adjoindre les services de l’inspecteur Bolz, à La Baule, mais Anconi lui préférait Lefebvre, plus expérimenté. Comment allait-il procéder avec cette menace anonyme ? Pourrait-il l’emmener ?

Une musique de jazz s’échappait de la péniche voisine. Hilda avait débarrassé la table du dîner sur laquelle ne demeuraient que leurs deux coupes de champagne entamées.

— Un accident à Montparnasse ? demanda-t-elle, comme elle n’avait saisi que quelques bribes de la conversation de son mari, en lui tendant son verre et le faisant tinter avec le sien.

— Tu sais, je t’ai déjà parlé de ces accidents répétés dans le métro, toujours sur la ligne Neuilly-Vincennes.

Et il lui raconta la curieuse carte postale qu’on lui avait fait parvenir et qui sonnait comme une menace, avec sa signature mystérieuse.

— Tu crois que c’est sérieux ? demanda-t-elle, plus pour le pousser aux confidences que pour vérifier la gravité de la situation.

Il haussa les épaules, fit mine de trinquer à nouveau avec elle. Son visage exprimait le doute et la perplexité.

— C’est pour ça que tu étais “ronchonoux” en arrivant ? poursuivit Hilda, avec un clin d’œil inquiet.

Il rit et secoua la tête.

— Non, c’est juste ce “cacou”2 d’Arnaud-Fontaine !

Le commissaire eut du mal à s’endormir. Jusque très tard, il se demanda s’il oserait transgresser les ordres de son directeur, pour se faire accompagner par Lefebvre à La Baule. Il imagina plusieurs scénarios de complots qu’il aurait à déjouer là-bas, tandis que les services officiels feraient semblant de démêler des imbroglios diplomatiques bien plus compliqués. Comme s’il était désigné pour déminer naïvement des intrigues que cachaient des conspirations d’une tout autre ampleur. Il sombra dans un mauvais sommeil, hanté par le vacarme d’un métro qui traversait des stations brillamment éclairées, aux quais bondés de voyageurs effrayés, et qui finissait par percuter les butoirs avant de poursuivre sa course folle dans le bois de Vincennes. L’image revenait inlassablement, glissant devant les mêmes regards affolés.

Il dut crier dans son cauchemar et cela le réveilla. Le jour pointait. Il se leva et prépara du café, la tête endolorie, bâillant à chaque instant. Le brouhaha lointain de la ville n’avait pas encore repris. Aucun bruit ne montait de la péniche de la jeune Anglaise qui dormait souvent jusqu’à midi.

Il quitta Zeeland avant qu’Hilda ne soit levée. Il lui laissa ce mot sur la cafetière : « Merci pour la soirée d’hier ! Je t’embrasse. » Il s’octroya son premier bonbon noir de la journée.

La fameuse carte postale était bien en évidence sur son bureau, avec une note de Lefebvre signalant qu’aucune empreinte n’y avait été retrouvée. L’image de cette locomotive qui avait traversé la façade de la gare avait quelque chose d’insolite, voire de ridicule, de sorte qu’Anconi ne put s’empêcher de penser que l’expéditeur se moquait du destinataire.

Dans le bureau des inspecteurs où somnolait la garde de nuit fatiguée, la main courante ne signalait aucun événement se rapportant à la ligne n° 1. Quelqu’un s’était asphyxié au gaz dans le 11e arrondissement et avait été conduit à l’hôpital Saint-Antoine, une rixe au couteau avait eu lieu à Pigalle, à 3 heures du matin. On avait repêché le corps d’un clochard bien connu, à Bercy ; sans doute une chute dans l’eau, due à son état d’ébriété.

Le commissaire fut presque déçu.

Il ne remarqua pas tout de suite une enveloppe émanant de son directeur. Elle contenait deux billets de la SNCF Paris-Pornichet en première classe, une réservation de deux chambres à l’hôtel “Le Normandy”, pour la période du 18 au 21 juin, et le numéro de téléphone du commissaire Martineau. Une note manuscrite d’Arnaud-Fontaine lui-même – Anconi reconnut les pattes de mouche de son directeur et les fines éclaboussures d’encre de son stylo Montblanc – précisait que « tous les hôtels de La Baule étaient complets pour le sommet, mais qu’il était de toute manière préférable qu’il soit hébergé à distance, par discrétion. Martineau les attendrait à la gare et leur mettrait une voiture à disposition. »

Ainsi le “coup” était prévu de longue date et organisé. Fatche !

Les réservations n’étaient pas nominatives. Il fit venir Lefebvre.

— Petit, le directeur nous offre des vacances à la plage !

L’inspecteur guettait plutôt des commentaires sur la carte anonyme de la veille. Il fit la moue. Il n’aimait ni les bains de mer qui lui rappelaient trop les galets et l’eau frisquette de sa Normandie, ni la proposition alambiquée d’un Arnaud-Fontaine qui n’avait rien d’un “GO” du Club Méditerranée. Anconi avait à la fois un air goguenard et irrité.

— Hein ? se contenta de répondre Lefebvre, pour laisser s’écouler la bile.

— Nous avons encore tiré 13 !

Les explications mirent du temps à venir, précédées de commentaires acerbes, puis d’expressions marseillaises fleuries.

— Et le fou du métro, Patron ?

— Le directeur en fait des papillotes !

— Quand vous dites « nous », pour ces foutues vacances au soleil, vous voulez dire que… ?

— Que pardi, tu viens aussi !

Le commissaire ajouta qu’Arnaud-Fontaine n’aurait qu’à se débrouiller avec les agressions de la ligne 1, que l’on guiderait au besoin Bolz à distance et que, finalement, ce n’était pas plus mal de s’éloigner, compte tenu des menaces à son encontre.

— Je peux rester au Quai, si vous voulez. Moi, vous savez, les bains de mer…

— Bonne Mère, est-ce que tu désobéirais aux ordres ? Notre Grand Directeur estime qu’un inspecteur doit m’accompagner ! Alors, tu vois ?

Il se garda bien de préciser le nom de celui qui avait été désigné par le “Grand Directeur”.

— Tu as renforcé la surveillance des rames et des quais ?

— Bolz s’en occupe ! Au fait, je n’ai parlé à personne de votre carte postale, sauf à L’Araignée, à qui j’ai demandé de décortiquer le sigle « PLM ».

— Ah ! Que t’a-t-il appris sur le millésime 1895 ?

Lefebvre sortit un petit carnet rouge à la couverture écornée et le feuilleta en mouillant furtivement son index.

— Eh bien ! Pasteur est mort cette année-là, le capitaine Dreyfus est dégradé et envoyé au bagne à Cayenne, les frères Lumière inventent le cinématographe, un Allemand dont j’ai oublié le nom découvre les rayons X, la CGT voit le jour…

— Et autrement ? En politique ? Pas d’assassinat ?

— Euh, non ! Il ne m’a rien signalé. Vous avez une idée, Patron ?

— Je cherche une raison au choix de la carte postale ! Pour un courrier anonyme, l’image n’est pas anodine, tu ne trouves pas ? Et cette signature…

— C’est peut-être parce que le métro n’existait pas encore qu’il a choisi une catastrophe ferroviaire ? Il prépare un sale coup…

— Jusque-là, Petit, on a simplement été confrontés à des agressions. Des gens que l’on voulait pousser sur les voies, d’autres qui étaient frappés ou seulement injuriés. Et l’assaillant se sauvait dans les couloirs. Les témoignages concordent. Ce qui nous a surtout intrigués, c’est la répétition des faits sur la même ligne.

— Peut-être que le type vous connaît ? Une vengeance ? proposa l’inspecteur.

— Mais pourquoi s’en prendre aux voyageurs du métro, et particulièrement à George V ou Franklin Roosevelt ?

— Pour moi, il habite dans le coin, ce gars-là.

— Tu sais, Petit, on est en train de se monter le bourrichon que c’est pas possible !

— Les vacances à La Baule, c’est pour quand ? interrogea l’inspecteur pour changer de sujet.

— Le sommet franco-africain commence le 19 juin. On nous demande d’y être la veille.

— Le 18, alors ! Comme l’Appel de 1940 ! pouffa Lefebvre, ce qui déclencha un sourire chez Anconi. C’est après-demain ! Il ne nous reste que deux jours !

— Tu n’as rien à préparer sauf ton maillot de bain, ton masque et tes palmes ! On sera logés comme des princes, à l’hôtel de Normandy, à Pornichet.

— Pornichet ? Je croyais que nous allions à La Baule ?

— C’est à côté. Moins chic mais plus discret.

— Ah ! On nous cache, Patron ? Pourquoi ?

— Si je savais seulement ce que l’on attend vraiment de nous ! Officiellement, on doit éviter les débordements des suites tentaculaires que traînent derrière eux tous les chefs d’État présents sur place.

— Il n’y a pas de commissariat, à La Baule ?

— Si fait ! Un certain Martineau le dirige. C’est lui qui va nous servir de chaperon.

— Vous le connaissez, Martineau ?

— Tè, comment je le connaîtrais ? Les figues, elles ne tombent pas toutes de la même branche !

— On sera à ses ordres, si je comprends bien…

— On le lui laissera croire…

Lefebvre, perplexe, quitta son commissaire. S’il avait l’esprit embrouillé, peuchère, il n’était pas le seul !

Anconi se rendit dans une librairie du boulevard Saint-Michel où il se procura un livre historique sur Pornichet et une carte détaillée de la région. En rentrant, il téléphona à son collègue de Saint-Nazaire.

— Blanchard ? C’est Anconi !

— Oh ! Depuis le temps ! Ça me fait bien plaisir de vous entendre ! Vous êtes dans le secteur ?

— Eh bien ! Figure-toi que j’y serai bientôt. Paris veut que je sois présent pendant le sommet franco-africain ! Tu y seras aussi ?

Le commissaire perçut un éclat de rire franc et sonore.

— Pourquoi ris-tu ?

— Vous ne connaissez pas le coin ! Saint-Nazaire et La Baule, ce n’est pas le même monde ! On ne m’a rien demandé, si ce n’est de doubler mes effectifs de garde et d’en conserver sous le pied.

— Tè, on se verra peut-être, quand même ?

— Oh ! Avec plaisir, Patron ! Le policier nazairien s’était régalé à appuyer sur le dernier mot. Il avait repris : Ça ne me regarde pas, mais que vient faire la PJ dans ce rendez-vous politique de haut vol ?

— Si je le savais, vieux ! Martineau, tu le connais ?

— Le collègue de La Baule ? Très peu. C’est un nouveau et puis, de vous à moi, notre clientèle est un peu différente. Je crois que c’est un gars du Nord, bon vivant à ce qu’il paraît.

— Tant mieux, tu me rassures, j’avais peur de tomber sur un rabat-joie trop mondain.

— On se contacte, quand vous êtes sur place ?

— Bonne Mère, avec Lefebvre, on sera à l’hôtel Le Normandy ! Tu viendras dîner ?

— Ce sera avec joie, Patron !

Il ne se passa rien, de la journée, dans le métro. Il se sentait plutôt mal à l’aise de laisser l’inspecteur Bolz se dépêtrer seul, compte tenu de ce qui se tramait sur la ligne Neuilly-Vincennes. Se faisait-il des idées ? Après tout, il n’avait qu’une simple suspicion d’actions concertées. Mais si certaines étaient mineures et se noyaient dans la petite délinquance quotidienne, la mort de cette femme, sans doute poussée sur les rails, relevait de la grande criminalité. N’avait-il pas un peu prématurément lié la carte postale anonyme à ces forfaits répétés ? Comment ne pas imaginer que cette locomotive accidentée préfigurait de mauvaises choses et que quelqu’un l’en prévenait ?

Le ciel s’était couvert, en fin de journée, comme ses humeurs. Il prit trois réglisses d’un coup. Deux bruits de tonnerre retentirent, lointains.

Le lendemain, bien que l’on fût dimanche, il se rendit au Quai. Dans la matinée, il reçut par le courrier intérieur un épais dossier cacheté. Il contenait la liste des invités au sommet franco-africain. Des présidents, des rois, des émirs : Abou Diouf, Moussa Traoré, Omar Bongo, Hassan II… Leurs lieux d’hébergement, le nombre approximatif de leurs accompagnants. L’un d’entre eux occuperait même un énorme yacht mouillé dans la baie de La Baule, malgré un coup de vent annoncé. Le Président français avait réquisitionné le “Castel Marie-Louise”, un établissement de prestige. Les réunions se tiendraient au Palais des Congrès et les repas officiels se prendraient à “l’Hôtel Royal”, tout proche, face à la mer. Une quantité d’autres renseignements remplissait des feuilles estampillées du cachet « Confidentiel », à l’en-tête de la Présidence de la République, avec le tampon « Sécurité ». La circulation serait interdite dans un périmètre baptisé « triangle rouge », entourant les principaux lieux stratégiques du sommet, hôtels de luxe autour du casino, sites de conférences.

Anconi parcourut ce fatras de paperasses en se demandant bien ce qu’il allait faire là-dedans. Rien ne mentionnait quoi que ce soit de son rôle, a fortiori rien sur le lieu où il devrait se tenir. Martineau s’en chargerait sans doute…

Le plus intéressant pour lui fut le plan détaillé de Pornichet qui était joint, marqué de petites étoiles renvoyant aux noms des personnalités. Au moins, il ne se perdrait pas, tè ! La ville lui parut coincée entre la mer et la voie de chemin de fer, comme si celle-ci avait poussé les maisons d’un coup de coude vers la plage, avant de s’éloigner en direction de La Baule. Son hôtel, proche de la gare, avait été pointé d’une croix qui renvoyait, en bas du plan, à la mention « PJ ». Il remarqua des traits de crayon rouge qui entouraient la tache verte d’un champ de courses ainsi que le casino face à la plage. Sans doute avait-on souhaité signaler au commissaire les endroits que fréquenterait l’aréopage des invités et qu’il lui faudrait particulièrement surveiller…

Il tentait de s’imaginer les lieux quand le téléphone vibra.

— Allô ? demanda-t-il distraitement, son doigt parcourant l’avenue de Mazy.

— Ah ! Anconi ? fit semblant de s’étonner la voix d’Arnaud-Fontaine, par une coquetterie qui agaçait toujours le commissaire. Vous avez reçu mon dossier ?

— Il est sur mon bureau ! Je n’ai pas encore eu le temps de l’ouvrir. Que contient-il ? mentit le policier amusé, alors que son index s’était arrêté sur l’indication « Le Bidule », soulignée au crayon, tout près de son hôtel.

— Il me serait agréable que vous le parcouriez attentivement !

— J’y comptais bien, Monsieur le directeur ! Il m’a paru nécessaire, avant de partir, de résumer dans un rapport tous les événements qui ont émaillé ces dernières semaines dans le métro, pour l’inspecteur Bolz.

— Mais Bolz ne vous accompagne pas, Anconi !

— J’ai la conviction, Monsieur le directeur, que Lefebvre me sera plus précieux à Porni… à La Baule. Bolz saura bien démêler ces petits faits divers insignifiants ! Vous m’avez convaincu, l’autre jour.

— Il n’est pas c’pendant un peu jeune pour faire face ? Il pourrait s’emballer et la presse est toujours friande de ces petites histoires. La réputation de la Maison…

— Je comptais lui recommander d’en référer à vous, en cas de développement nouveau.

— C’est très aimable, mais les obligations de ma charge, comprenez-vous, ne me rendent pas toujours disponible pour le terrain.

Le commissaire eut la vision des mouvements vibratiles qui devaient agiter les sourcils directoriaux et provoquer des plissements de son front.

— Dans ce cas, puis-je vous proposer de servir d’intermédiaire ? Bolz me tient au courant au jour le jour et, sauf situation inextricable pour laquelle il ferait appel à vous – ce qui est peu probable, j’en conviens – je continue à superviser les recherches à distance. Si cela vous sied, Monsieur le directeur…

— Si vous pensez pouvoir garder la main sur vos enquêtes en cours, cela vaut mieux en effet. J’ai le sentiment que Lefebvre vous aurait remplacé plus efficacement ici, mais si vous en prenez la responsabilité… Rappelez-moi, Anconi, lorsque vous aurez pris connaissance du dossier que je vous ai fait parvenir ! Je ne quitte pas mon domicile, ajouta-t-il.

— Comptez sur moi ! Mes respects, Monsieur le directeur.

Un éclair traversa sa fenêtre, suivi d’un grondement très éloigné. Le commissaire n’était pas mécontent de son petit numéro. Si Arnaud-Fontaine tenait à l’envoyer faire Dieu sait quoi à La Baule, il n’avait qu’à en assumer les conséquences. Mais le directeur avait bien su lui faire endosser la responsabilité du choix du collaborateur qui l’accompagnerait ! « Hé ! Bonne Mère, on verrait bien ! »

Anconi fit venir Bolz qui était de service et lui exposa la situation. L’inspecteur fit grise mine à l’idée de voir son patron s’absenter, qui plus est, en emmenant un précieux collègue. Non qu’il fût jaloux du choix de son commissaire, mais il ressentit brutalement, sur ses épaules, un poids qu’il n’avait pas encore pris l’habitude de porter.

— Que veux-tu, Petit ? Cette histoire de réunion au sommet me tombe sur la tête comme la misère sur le bas-clergé ! Et trois petits jours, ce n’est rien !

Devoir en référer au directeur n’enchantait pas Bolz non plus.

— Tu n’auras à le faire que si je te le demande, sinon tu passeras par moi. Voilà tous les renseignements utiles pour me joindre. Surtout, n’hésite pas à appeler ! insista le patron pour réconforter son subordonné.

Il lui confia le rapport complet de l’affaire du métro. Bolz blêmit lorsqu’il sut que son supérieur avait reçu des menaces anonymes.

— Qu’est-ce que cela signifie, cette locomotive suspendue ? s’inquiéta-t-il.

— Si je le savais, je te le dirais, mais je ne le sais pas, alors !

Ce ne fut pas pour tranquilliser l’inspecteur.

— La surveillance renforcée du métro, c’est donc pour ça ? réalisa-t-il. Mais je ne suis pas certain de réussir à vous joindre, là-bas !

Anconi n’en était pas plus sûr. Il posa sa main sur l’épaule de Bolz et lui promit que tout se passerait bien, qu’il l’appellerait trois fois par jour, à heures fixes. Ils convinrent de 8 heures, 13 heures et 19 heures.

— Vous me dites ça pour me rassurer, Patron ! Quand partez-vous ? avait demandé l’inspecteur d’une voix sourde.

Sa pâleur s’était accentuée encore lorsqu’il apprit que, dès le lendemain, il serait seul. Ils devaient en effet quitter la gare Montparnasse lundi, à 7 heures 22 ! Un horaire qui ne plaisait guère au commissaire qui – tè, pardon ! – n’était pas du matin.

Il rentra déjeuner à la péniche, non qu’il eût bien faim, mais parce que c’était dimanche et qu’Hilda devait l’attendre. Elle avait préparé des asperges à la flamande, avec du persil et des œufs durs.

— Ce sont les dernières, la saison se termine. Et tu n’en mangeras pas de si bonnes à La Baule, précisa-t-elle en déposant sur la table son plat de porcelaine de Delft qui lui venait de son père.

Elle arborait un sourire malicieux. Pourquoi Anconi crut-il y voir un peu de nostalgie ? Il y répondit en lui pressant le bras.

— Que veux-tu que je te rapporte de là-bas ?

Il s’était dit que, peut-être, il aurait le temps de lui dénicher une aquarelle marine, à elle qui avait hérité de son père, l’art de la peinture. Mais il avait repoussé cette idée. L’intérieur du bateau n’était-il pas déjà décoré de toiles bien plus précieuses, qu’elle avait réalisées elle-même, des vues de la Seine, principalement, paisibles et verdoyantes comme son pays ?

— Mais toi, simplement ! répondit-elle avec une émotion dans la voix, en disparaissant brusquement dans le coin cuisine pour y chercher quelque chose.

— Délicieux ! Bonne Mère, quelle idée tu as eue ! s’exclama-t-il en reprenant à nouveau quelques asperges. Si nous allions jusqu’au bois, cet après-midi ? proposa-t-il, conscient du trouble qui s’était emparé d’elle.

— Tu ne dois pas retourner là-bas ?

Elle n’osait dire “au bureau” ni “au Quai”, ce lieu qui la privait si souvent de lui.

— Rien ne presse ! On est dimanche, après tout ! J’irai plus tard.

On les vit s’éloigner sur le boulevard, elle en robe légère, lui, son éternel cuir sur l’épaule. Ils gagnèrent le bois de Boulogne par les rues calmes, sous une chaleur menaçante. Ils s’assirent un moment sur un banc de fer, devant la mare Saint-James.

Au retour, il se rendit au Quai des Orfèvres mais patienta jusqu’à 18 heures avant de téléphoner à Arnaud-Fontaine.

— Mes respects, Monsieur le directeur.

— Ah ! Anconi ! J’attendais justement votre appel. Vous avez lu ?

— Oui. Mais je ne vois pas bien ce que je…

— Vous avez remarqué ? Du beau monde ! Quelle chance vous avez ! Tout le continent africain sera là ! Et notre Président, son distingué Ministre des Affaires Étrangères, sans doute aussi, le Premier Ministre !

— Sans doute, sans doute…

— J’ai eu Martineau à plusieurs reprises. Il vous accueillera à votre arrivée. Vous verrez ensemble !

Le commissaire se demandait bien ce qu’ils « verraient ensemble ». Il excluait un projet terroriste, le ministère n’aurait pas fait appel à la PJ dans ce cas-là. Un trafic ? Un règlement de compte d’affaires privées entre personnalités, en coulisses du sommet ? Des querelles de communautés qui risquaient de dégénérer salement ? Il entrevoyait déjà les grosses berlines immatriculées au corps diplomatique, avec leurs vitres teintées rendant les passagers invisibles.

Il ne posa, « c’pendant », pas de questions se contentant d’émettre des marmonnements qui pouvaient parfaitement passer pour des assentiments. Il avait glissé un cachou entre ses lèvres et guettait la phrase fatidique qui ne manqua pas d’arriver : « Pas de vagues, Anconi, je compte sur vous ! Pas de vagues ! »

Des vagues au bord de la mer, est-ce que cela dépendait vraiment de lui ? Il lui fallut bien entendu promettre de tenir Paris au courant et patin couffin.

Bolz frappa chez lui, alors qu’il rangeait son bureau avant de partir.

— Euh ! Patron ! Je ne vous dérange pas ? L’inspecteur semblait désemparé, le regard égaré, la voix tremblante.

— Vous… vous nous quittez toujours demain ?

— Bonne Mère, qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as l’air de l’oiseau tombé du nid !

Le commissaire avait forcé son accent à dessein, comme un docteur atténue un fâcheux diagnostic par une galéjade.

— C’est que…

— Tu accouches, Petit, ou il faut que j’appelle la sage-femme ?

— Encore une agression, station Argentine, cette fois ! Un individu masqué s’est introduit dans la cabine du conducteur de rame et voulait l’obliger à partir ! Il l’a menacé avec une arme pour qu’il démarre et qu’il ne s’arrête pas à la station suivante Charles-de-Gaulle Étoile. Vous vous rendez compte !

— Tè, je m’en rends compte ! Et alors que s’est-il passé ? Parle !

— Suite à vos recommandations, chaque cabine a été équipée d’un lacrymogène. Le chauffeur a réussi à se débarrasser du type en lui en flanquant une giclée en pleine figure. Le gars est tout de même parvenu à s’échapper !

— C’est arrivé à quelle heure ?

— Cela vient de se produire ! Ce sont les policiers du métro qui ont été alertés, ils m’ont prévenu aussitôt.

— Le quartier est bouclé ?

— Oui, par les collègues du XVIe et du XVIIe, mais pour l’instant, rien ! Il a dû filer. Et puis on ne possède aucun signalement précis du bonhomme.

— Grand ? Petit ? Qu’est-ce qu’il dit, le conducteur ?

— Il est sous le choc. On ne peut pas en tirer grand-chose. D’après lui, le gars parlait sans accent, avec une voix sourde, il était probablement de taille moyenne. Il portait un passe-montagne et un blouson, de couleurs sombres.

— Hum ! Et il voulait simplement que le métro ne s’arrête pas à Charles-de-Gaulle, dis-tu ?

— Un fou ! C’est absurde, comme revendication, non ? Et un dimanche, en plus !

C’était vrai, cela ! Quelle idée de détourner une rame un dimanche, alors que les wagons sont presque vides !

— Tu as vérifié que personne ne s’était échappé d’un hôpital psychiatrique ?

Bolz, en policier consciencieux, avait déjà chargé un brigadier de le faire.

— Bonne Mère ! Il n’y a plus qu’à attendre son prochain forfait. Demande aux gars d’interroger les pharmacies de garde, les services d’urgence ! Avec un peu de chance, il va consulter ! On ne sait jamais !

— Oh ! Je n’y avais pas pensé ! Je m’en occupe. Vous serez chez vous, ce soir, Patron ?

Anconi tenta de rassurer son inspecteur, lui promit de le joindre avant de prendre le train le lendemain matin. Le cinglé – si cinglé il y avait – devrait d’abord se remettre de son coup raté pour recommencer. La situation était absurde !

Il était rentré chez lui par l’autobus. Le ciel était toujours sombre, mais pas une goutte de pluie ne tomba.

Le commissaire contacta le Quai avant d’aller se coucher. Bien entendu, la souricière autour du quartier de l’Avenue de la Grande-Armée n’avait rien donné, pas plus que les appels vers les officines et les hôpitaux. Il n’en fut pas étonné. Nulle disparition, nulle évasion n’était signalée. S’il était intrigué par les événements du métro, il ne pouvait pas cacher non plus une sourde inquiétude. Ces faits répétés, cette curieuse carte de menace. Que ce serait-il passé si le conducteur de la rame avait obtempéré ? Un accident, comme sur la carte postale qu’il avait reçue ?

Hilda l’avait aidé à faire son bagage, car il oubliait toujours quelque chose, quand il ne demandait pas : « Où sont donc mes chemises légères ? ». Il y glissa trois boîtes jaunes et noires contenant ses bonbons favoris.

1 Mon bien-aimé, en hollandais.

2 Qui se donne des airs de voyou.

II

Les deux policiers s’étaient rejoints gare Montparnasse. Les trains de banlieue déversaient leur flot journalier de gens pressés. On courait attraper son métro, on se bousculait en se retournant sur la grosse pendule. Les visages étaient ceux d’un lundi, résignés. Le quai se vidait en attendant le prochain convoi, une voix nasillarde résonnait sous la voûte pour annoncer un incompréhensible message. Çà et là, quelques voyageurs, la valise posée au sol, contemplaient en allongeant le cou le tableau des départs qui cliquetait sans cesse en déplaçant les destinations de haut en bas, comme pour s’en débarrasser.

— Bonjour, Patron !

Anconi s’était retourné et avait découvert un Lefebvre en tenue d’été, un gros sac en bandoulière.

— Bonne Mère, je me trompe ou tu pars en vacances ?

Lui avait son éternel blouson de cuir usagé, dont il ne pouvait se passer. Hilda avait bien tenté de lui en faire changer – elle avait même découvert dans une boutique de la rue d’Aboukir un modèle identique – mais il avait énergiquement refusé.

— Aucune locomotive n’a pour l’instant traversé la façade ! plaisanta l’inspecteur en posant son sac pour serrer la main du commissaire.

— Tu ne crois pas que c’est un peu tôt pour la galéjade ? répondit-il en affectant la fâcherie.

Il téléphona à Bolz, comme promis. Rien ne s’était produit, en dehors des faits divers habituels de la nuit.

Il lui sembla que son inspecteur faisait des efforts pour paraître serein.

— Je t’appelle en arrivant ! conclut le commissaire en raccrochant.

Il était 7 heures 15. À l’extrémité de la voie 5, ils compostèrent leurs billets sur la borne orange qui émit un claquement carnassier en croquant leurs cartons.

Ils longèrent les wagons gris métallisé et bleu du TGV, bien profilés et flambant neufs.

— Voiture 15, on est là !

C’est à peine s’ils sentirent le mouvement silencieux du départ du train, comme un glissement imperceptible. Les deux policiers, l’un à côté de l’autre, confortablement assis dans de spacieux fauteuils couverts d’un tissu velouté, les bras sur de larges accoudoirs, regardèrent défiler les premiers pavillons de banlieue et les immeubles de brique, moelleusement ballottés sur des voies encore entremêlées. Ils croisèrent plusieurs convois bondés, encore brillamment éclairés bien qu’il fasse grand jour, qui venaient nourrir la capitale.

— Vous pensez qu’il roule déjà à 300 km/h ? demanda Lefebvre, pour rompre le mutisme du commissaire.

Les maisons se raréfièrent, la campagne se mit à défiler et, de leur place, on aurait pu croire que c’était elle qui grignotait la ville et non l’inverse. Lefebvre lisait attentivement le journal qui commentait la victoire de Jaguar aux 24 heures du Mans. La coupe du monde de football occupait toute une page. Le commissaire s’était assoupi.

Ils aperçurent bientôt les squelettes des grues du port de Saint-Nazaire, puis le pont, au loin, avec sa courbe harmonieuse. Ils devinrent plus attentifs. 10 heures, seulement ! Le TGV termina sa course sur une voie unique, à un train de sénateur.

— Pornichet ! Pornichet ! Une minute d’arrêt ! Le convoi avait stoppé majestueusement devant un bâtiment blanc. Un grand panneau bleu annonçait pompeusement : « Gare de Pornichet ». Une petite maison immaculée à un étage avec son auvent protégeant un chef de gare dans son costume impeccable, raide sous sa casquette de rigueur, son signal à bout de bras. Desservie par ce monstre moderne de TGV, la bâtisse pimpante offrait immédiatement ce pittoresque désuet des constructions qui avaient parsemé le rail à la fin du XIXe siècle. Sans doute était-ce là qu’étaient arrivés les premiers touristes, femmes chapeautées, hommes en canotier, enfants endimanchés, tous emportés avec leurs bagages par des carrioles à chevaux vers le Grand Hôtel de l’Océan… Il avait lu cela dans le livre acheté avant son départ, dans une célèbre librairie du Quartier latin.

Personne n’attendait sur le quai. Un peu étourdis, ils se retrouvèrent devant une vaste place. Des automobiles étaient garées en étoile autour d’un syndicat d’initiative planté au milieu comme une cabine de bateau. Une brasserie avait sorti ses tables en terrasse. N’était-ce pas le cri des mouettes qui fit qu’ils se crurent, soudain, un instant en vacances ? Ou ce ciel pur que traversaient rapidement des volutes de nuages joufflus, emportés par un vent décoiffant ?

— Si on prenait un café là-bas, pour s’habituer ? proposa Anconi.

S’habituer au passage d’un monde à un autre, s’habituer à la mer que l’on sentait proche, s’habituer à l’idée que Martineau devait être trop occupé pour ne pas être venu, les accueillir. S’habituer.

Un garçon décontracté, en jean et baskets, les servit.

— Vous savez où se trouve l’hôtel Le Normandy, à Pornichet ? lui demanda le commissaire.

Le jeune homme posa les tasses et, un grand sourire aux lèvres, tendit le bras vers un immeuble clair, à l’autre bout de l’esplanade.

— Je ne vous appelle pas un taxi ? ironisa-t-il.

Ni l’un ni l’autre n’avaient remarqué cette bâtisse au toit pointu avec ses fenêtres entourées de colombages entrecroisés.

— Il porte bien son nom ! constata Lefebvre. Je ne serai pas dépaysé !

— Arnaud-Fontaine a dû taper dans les fonds spéciaux, pour nous offrir ça ! plaisanta le commissaire.

L’inspecteur avisa un tabac-journaux, derrière eux, au coin de la rue. Le bandeau du quotidien local, sur le trottoir, affichait deux nouvelles. La première, sous le titre « La Baule », était consacrée à l’ouverture du sommet franco-africain du lendemain, la deuxième, en dessous, était plus étonnante : « Pornichet : Nouvelle attaque du Petit train. »

Il acheta le quotidien avec gourmandise, se ravisa, en prit un autre dont le nom évoquait aussi la région et revint les tendre à Anconi qui jouait avec sa boîte de cachous.

— J’ai pensé que cela pourrait vous intéresser ! lui glissa-t-il malicieusement, sachant que son patron se plaisait à rappeler ce que proféraient ses parents : Pour savoir ce qui se passe à Marseille, tu lis Le Petit Marseillais et Le Petit Provençal ! Et tu les lis tous les jours !

Pendant plusieurs minutes, un silence s’installa entre les deux hommes, à peine troublé par le froissement des feuillets tournés régulièrement. Chacun parcourait un quotidien.

— Ils parlent du “Petit train” dans le vôtre ? questionna finalement l’inspecteur qui guettait les réactions de son supérieur.

— Qué ? Petit train ?

Lefebvre poursuivit, profitant d’être dehors pour allumer une Gitanes :

— Il y a un petit train automobile qui longe le bord de mer, de Pornichet à La Baule. Un truc pour les touristes et les gosses, voyez ? Regardez, c’est en page locale !

Il plia grossièrement le journal, le plaça sur la table et tapota avec son doigt un article intitulé « Nouvelle agression dans le Petit train. »

— C’est quoi, ce pastis, Petit ?

« Depuis sa mise en circulation pour la saison, c’est la troisième fois que se reproduit la même scène dans le Petit train du remblai, cette attraction qui fait la joie de tous en promenant devant la plage les touristes de passage, mais aussi bien des habitants de notre commune, grands et petits.

Un scénario identique semble se renouveler à chaque fois. C’est au moment où il redémarre, après un arrêt, que l’attaque survient. Un individu arrive à l’improviste, monte sur le marchepied et arrache un sac à main avant de s’enfuir dans une rue adjacente. Nul n’a pu jusqu’à présent en donner un signalement précis. Certains témoignages évoquent l’action d’un adolescent, d’autres d’un petit homme vif. Il semble porter des lunettes noires. Tous s’accordent à constater l’extrême rapidité de l’attaque. Ces méfaits interviennent toujours en fin de matinée. Il faut remarquer – ce que nous a confirmé la police municipale systématiquement appelée sur les lieux – que ces agressions se produisent les mercredis et samedis, jours de marché. Il faut dire que l’affluence dans notre commune àces moments pourrait favoriser la fuite du délinquant, en l’aidant à se dissoudre dans la foule. Le vol est à l’évidence le motif de ces violences.

Ainsi, samedi, vers 11 heures 30, au niveau du boulevard des Océanides, le même scénario s’est reproduit. Le convoi venait de quitter le rond-point de l’Europe et se dirigeait vers La Baule. L’individu a fait irruption à hauteur du dernier wagon et a arraché le sac à main d’une femme âgée de 73 ans, madame P., une Pornichétine habitant la commune depuis plus de vingt ans. Celle-ci, très choquée, a dû être transportée jusqu’à la pharmacie de la place pour y être réconfortée. Le voyou a disparu rapidement dans l’avenue Louis Barthou, nous a confié un voyageur. Les cris des autres passagers ont interpellé le chauffeur qui a stoppé aussitôt le convoi.

Les recherches n’ont pas permis de retrouver le voleur dans le quartier. Une enquête a été ouverte par le commissariat de La Baule afin d’épauler la police municipale de Pornichet.

« C’est l’image de la commune qui est entachée par ces délits répétés » communique les services de Monsieur le maire « surtout à l’approche de la saison ».

Créé en 1988… »

Suivait un historique complet de cette attraction, ainsi qu’une photo du convoi, fièrement conduit par un homme dont la ressemblance avec Alain Souchon frappa le commissaire.

— C’est peut-être pour ça que Martineau n’a pas… insinua Lefebvre.

— Tè, quand il aura résolu l’affaire, on lui confiera celle du métro ! persifla Anconi qui ne digérait pas, malgré de nombreux cachous, la défection de son homologue baulois.

Il repoussa le journal et ajouta :

— Tu sais, Petit, je vais te dire ! Je me demande bien ce qu’on fait là, tous les deux, à chercher des olives en été, comme les gens de la ville !

— Il a peut-être laissé un message à l’hôtel ? suggéra le « Petit », tentant de rompre le clabaudage qui s’était emparé de son chef.

— Allons voir ! Mais il ne put s’empêcher d’ajouter : Si tu y tiens ! Comme pour garder la main sur son pessimisme.

Un tissu soyeux rose tendait les murs du hall d’entrée. Au fond, le guichet d’accueil était protégé d’une sorte d’auvent en bois sombre. À gauche, un escalier desservait les chambres, à l’étage.

Martineau ne s’était pas manifesté là non plus. Le commissaire s’en trouva presque conforté. Il avait gagné sa chambre, sous prétexte d’un rafraîchissement qui ne trompa pas son collaborateur. Le vieux rose dominait, là aussi, la décoration, du dessus-de-lit aux doubles rideaux qui encadraient le bow-window. De là, il surplombait la place, il pouvait même lire l’heure sur l’horloge de la gare.

Lefebvre ressortit aussitôt, une casquette sur la tête, s’éloigna comme un touriste ordinaire par l’avenue de la Mer. Anconi appela la réception, tenta de joindre Hilda. Elle n’était pas à la péniche. Il n’eut pas plus de chance avec le numéro de Martineau. Il s’allongea un instant sur son lit. Il se releva vivement quand il crut percevoir deux coups à sa porte, si discrets que, tendu, il n’osa plus bouger. Il pensa d’abord à Lefebvre, attendit. À nouveau, on toqua.

— Entre ! finit-il, par bredouiller d’un ton mal assuré.

Mais c’est une voix inconnue qui lui parvint.

— Monsieur le commissaire Anconi ?

— Oui ! Qui est là ?

— C’est la réception, Monsieur ! On a déposé un pli pour vous.

Il bondit. Sans doute des nouvelles de Martineau ! Il ouvrit à un garçon en costume sombre, le cheveu bien peigné, qui tenait à la main une enveloppe de papier kraft.

— Pardonnez le dérangement, vu que c’était noté « Urgent », nous avons pensé que…

Il s’inclinait cérémonieusement et affichait un visage embarrassé.

— Merci beaucoup ! fit le commissaire, sans s’informer de qui l’avait déposée.

Il referma la porte sur la silhouette qui s’éloignait sans bruit vers l’escalier. Ses yeux s’écarquillèrent à l’ouverture du courrier.

Il se précipita dans le couloir, dévala l’étage, rattrapa le réceptionniste.

— Qui vous a remis ça ? demanda-t-il impérieusement, au point que l’autre eut un mouvement de recul.

— Un gendarme, Monsieur !

— Un gendarme ? Vous êtes certain ?

— Il portait l’uniforme et de grosses chaussures montantes. J’ai bien remarqué une arme à sa ceinture. Pourquoi, Monsieur ? Un problème ?

Le problème, c’était le contenu de l’enveloppe : la reproduction d’une carte postale ancienne, un rassemblement d’hommes en canotier, sur un boulevard encadré d’agents de police en tenue. En haut et à droite de la photographie en noir et blanc : « Catastrophe du Métropolitain. La foule attendant la sortie des corps des victimes à la station des Couronnes. »

— Fan de putain ! s’exclama-t-il devant l’employé médusé qui éructa un « Plaît-il ? » un peu guindé, où le respect se mêlait à une surprise consommée.

Indifférent à sa réaction, Anconi, retournant prestement l’image cartonnée, lut : « Ce qui est arrivé ligne n° 2 pourrait se reproduire sur la n° 1. » La signature : « PLM »!

La même que sur cette fatche de carte sur laquelle la locomotive bascule dans le vide !

— Un gendarme, tè ? Et il ne s’appelait pas “Cruchot”1, des fois ?

— Euh ! Je vous assure que c’était bien un gendarme ! répondit l’autre sans comprendre.

— Pardonnez-moi, mon vieux ! Mais pour une surprise, c’est une surprise !

— Une mauvaise nouvelle, Monsieur ? Comment ce mystérieux correspondant pouvait-il savoir que le commissaire avait quitté Paris, qu’il avait pris le train pour Pornichet et qu’il était descendu à l’hôtel Le Normandy ? Alors que cela ne faisait pas une heure qu’il était arrivé ! Une sueur froide lui vint au front, lorsqu’il réalisa que le plaisantin avait peut-être emprunté, lui aussi, le TGV de 7 heures 22 !

Planté au milieu du hall, il croisa le regard intrigué du patron de l’hôtel qui surveillait ce curieux client et finit par intervenir :

— Puis-je faire quelque chose pour votre service, Monsieur ?

— Avez-vous vu l’homme qui a déposé cette enveloppe ?

— Le gendarme ?

— Oui ! Comment était-il ?

— Eh bien, il portait l’uniforme bleu, j’ai tout de suite pensé à un motard, car il avait un casque. Je n’ai pas trouvé drôle, compte tenu de votre profession.