Vol 744 pour Le Pouliguen - Rémi Devallière - E-Book

Vol 744 pour Le Pouliguen E-Book

Rémi Devallière

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Beschreibung

Un avion privé se crashe avec trois personnes à son bord, mais seul un corps est retrouvé dans la carcasse de l'appareil...

Septembre 1992 : un petit avion privé en provenance de Zurich via Paris – vol 744 – se crashe sur l’aérodrome de la Côte d’Amour à La Baule-Escoublac, et prend feu. Selon le plan de vol, trois passagers avaient pris place à bord. Parmi eux, le grand couturier Aldo Palmavira et son photographe attitré, venus réaliser l’album de la prochaine collection de printemps, au Pouliguen. La notoriété du personnage pousse les autorités gouvernementales à envoyer le commissaire Anconi sur place. Les premières constatations révèlent la présence d'un seul corps dans la carcasse du Cessna 340 calciné… D'emblée, l’affaire sent le soufre ! La haute couture, la finance, le passé de chacun… autant de pistes sur lesquelles un avion peut s’écraser !

Retrouvez le commissaire Anconi dans cette enquête et suivez pas à pas des investigations qui le mèneront dans un univers tissé de haute couture, de finance et de mystère !

EXTRAIT

— Té, qu’est-ce qui te boulègue ?
— Sans vous choquer, Mons…
— Ne vas-tu pas arrêter avec tes « Monsieur le commissaire » ? Je t’ai déjà…
— C’est plus fort que moi, euh… Patron !
— C’est mieux. Alors ?
— Ne m’en veuillez pas, j’ai pensé que celui qui a écrit le mot avait l’intention de vous comparer à quelqu’un…
L’Araignée, au maximum de l’embarras, s’entourait d’un luxe de précautions. Il avait dû retirer ses lunettes de fer, s’éponger le front. Anconi l’aida :
— Me comparer, je te l’accorde, mais à qui, Bonne mère, à qui ?
— J’ai songé au personnage de Maigret, le héros de Simenon. Son prénom était bien Jules. C’est idiot, ne m’en… Le commissaire éclata de rire. Il faillit s’étrangler et lâcher sa bière. Il fallut une longue minute, qui parut des heures à l’archiviste inquiet, pour que l’hilarité d’Anconi s’atténue.
— Cette comparaison serait plutôt à mon honneur, Vieux, non ? finit-il par observer.
— J’avais peur que vous ne le preniez mal, Mons… Patron !

A PROPOS DE L'AUTEUR

Médecin hospitalier,  Rémi Devalliere a soigné les maux les plus graves; désormais en retraite à Pornichet, il écrit, avec passion, se plaisant à choisir les mots les plus appropriés pour ses histoires. Nouer des intrigues n’est-il pas le pendant d’une démarche médicale bien conduite ? Si les instruments de l’exercice en sont bien différents, le plaisir de parvenirà un résultat satisfaisant est bien le même. Et les aveux du coupable ne relèvent-ils pas du même défi qu’un diagnostic bien posé ?

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À tous ceux qui, de près ou de loin,me soutiennent dans cette aventure…

« J’aime Paimpol et sa falaise,Saint-Malo… mais sachez-le bien,J’aime encor’ mieux, ne vous déplaise,Le petit Bois du Pouliguen. »

Paul Marinier, 1909

Tous mes remerciements à l’association pouliguennaise Les Greniers de la mémoire, et tout particulièrement à madame Danielle Papion, pour son accueil et sa précieuse documentation.

Merci aussi à Fred pour ses conseils aéronautiques.

I

Vendredi 11 septembre 1992, 17 h 30

— Si tu venais ce soir à la péniche, Vieux ! Avec ta femme, évidemment. Par ce beau temps, nous dînerions sur la terrasse.

— Je suis juste là pour vous saluer, Patron !

— Té, pourquoi non ? Tu ne vas pas repartir sans que nous passions au moins un moment ensemble ? Cela me ferait plaisir. Pas à toi ?

— Si ! Si ! Bien sûr ! Mais à l’improviste, pour votre épouse…

— Hilda sera très heureuse de vous rencontrer. Dis, tu ne vas tout de même pas nous quitter comme ça. Tu me manquerais.1

La sonnerie du téléphone interrompit l’échange dans le bureau d’Anconi, au 36, quai des Orfèvres. Le commissaire de la PJ recevait son collègue de La Baule, Martineau, venu passer quelques jours à Paris avec sa femme. Ils avaient partagé, deux ans plus tôt, une enquête criminelle sur le remblai de “la plus belle plage d’Europe”. Une amitié était née entre le Baulois et le Parisien.

— Allô ? dit Anconi.

— Martineau est encore avec vous ? demanda timidement l’inspecteur Lefebvre.

— Oui. Pourquoi ?

— Euh ! Voilà : Bolz écoutait les informations à la radio dans notre salle, on ne devrait pas mais, c’est si calme, vous comprenez ? Bref…

On ne parlait, ces jours derniers, que de la prostate du président de la République et de sa sortie imminente de l’hôpital Cochin où il avait été opéré.

— Dieu garde ! Qu’as-tu à nous annoncer ? Cancer ou pas cancer ?

— Une déclaration est prévue tout à l’heure… Mais il ne s’agit pas de cela. Nous venons d’entendre qu’il vient de se produire un événement dramatique à La Baule. J’ai pensé qu’il serait bon d’en informer Martineau…

— Il est dans mon bureau. Rejoins-nous, Petit !

Un Lefebvre au visage grave fit son entrée chez son “Patron”. Il s’adressa directement au Baulois :

— Commissaire ! Un avion s’est écrasé chez vous.

— Un avion ? Tu es sûr ? demanda l’interpellé, encore incrédule.

L’inspecteur, manifestement affecté par la nouvelle, tentait de rester précis. Il lâcha les quelques informations entendues dans le poste de radio “clandestin” des camarades. Un bimoteur de tourisme venait de se crasher à proximité de l’aéroport de La Baule-Escoublac. L’engin était tombé dans une forêt bordant la piste, déclenchant immédiatement un incendie. On craignait pour les nombreuses habitations situées en lisière.

— Il y a des victimes ?

— On l’ignore. C’était juste un bref communiqué, mais j’ai pensé que…

Martineau, désignant le combiné téléphonique noir, posé sur la table de travail d’Anconi, demanda :

— Je peux ?

— Vaï ! Tu es chez toi.

Quelqu’un décrocha immédiatement, en Loire-Atlantique. Le brigadier Bonnaire fut manifestement soulagé d’entendre le patron des lieux.

— Ah ! C’est vous, Commissaire. Vous êtes déjà au courant ?

— On vient de m’informer. Que sait-on ? Qui est sur place ?

— Dumontel, Patron. Ils sont tous là-bas, je suis seul ici, à veiller la radio. La BGTA2 de Nantes est en route. Mais il est impossible d’approcher du sinistre, à cause du feu. Vous êtes dans le coin ?

— Je vais venir ! Je vais venir ! Pas de panique ! Ils étaient combien, dans l’avion ?

— Euh ! Je l’ignore. C’était un Cessna 340. Et d’après un collègue qui s’y connaît, ce type d’appareil peut transporter six personnes. Moi, on ne me ferait pas monter dans un…

— Tss, tss ! Ce n’est pas le problème du moment. On ne dispose donc pas de l’identité des passagers ?

— Rien. Vous pensez que…

— Je ne pense rien, Bonnaire, mais un avion d’une capacité de six voyageurs, qui se pose chez nous en plein mois de septembre, ne transporte certainement pas des livreurs de pizza. Tu ne crois pas ?

Un silence se fit dans le commissariat de la place Rhin-et-Danube, à La Baule, interrompu par les grésillements intermittents et incompréhensibles de la radio VHF.

Le collègue ne devait pas être à la noce, là-bas.

— D’où venait-il, ce coucou ? Le sait-on ? poursuivit Martineau, d’un ton subitement radouci.

— Région parisienne. Un instant, Commissaire ! Je prends la main courante. Ah ! Voilà ! Il n’y a pas d’agent AFIS3 en cette saison, mais un employé de permanence se souvient d’avoir entendu deux messages d’auto-information peu avant le « Mayday ». L’avion s’était identifié, puis avait signalé son passage à la verticale de la piste. Les conditions météorologiques étaient satisfaisantes : bonne visibilité, vent quinze nœuds d’ouest-nord-ouest. Il provenait d’un bled qui se nomme Toussus quelque chose et s’apprêtait à…

— Toussus-le-Noble !

— C’est cela ! Un vol privé. L’appareil semble avoir décroché et s’est abîmé dans un bois tout proche. Quelques instants après le message de détresse, une fumée noire s’est élevée au-dessus des arbres.

— Vous n’avez pas eu le temps de joindre l’aéroport de départ, pour connaître le nombre de passagers ?

Martineau avait employé le « vous », façon de déculpabiliser le brigadier Bonnaire, en associant l’ensemble de ses troupes à la conduite de cette affaire qui s’avérerait probablement explosive. Il ajouta qu’il se chargeait de contacter Toussus, avant de rejoindre la “maison” au plus vite. Anconi avait déjà sorti l’annuaire des Yvelines. Il composa rapidement un numéro.

Lefebvre attendait d’éventuels ordres. Originaire de Fécamp, il était le bras droit du patron, un garçon calme et méticuleux. La perspicacité du Normand était légendaire au 36, ce qu’appréciait grandement son supérieur. Il ne se départait jamais d’un petit carnet rouge sur lequel il notait scrupuleusement, au crayon à papier, tous les détails d’une enquête, au fur et à mesure de son déroulement.

— Allô ? Je suis bien à l’aéroport de Toussus-le-Noble.

— Oui, Monsieur. Que puis-je pour vous ?

Le commissaire, d’un mouvement de menton, proposa le combiné à son collègue baulois. Celui-ci secoua négativement la tête, préféra se saisir de l’écouteur, imaginant qu’un divisionnaire de Paris aurait plus de poids qu’un “petit commissaire” de province pour obtenir des renseignements.

— Bonjour. Anconi, police judiciaire. Un avion a décollé de chez vous aujourd’hui, pour La Baule. Un…

« Un Cessna 340 » murmura Martineau à l’oreille de son collègue qui n’entendait rien à l’aéronautique et butait sur le type de zinc. Les voyages aériens lui procuraient d’ailleurs une appréhension difficilement maîtrisable, plusieurs jours à l’avance. Ce sentiment se transformait en une angoisse irrépressible au décollage et il était de ceux qui cramponnaient les accoudoirs aux premières turbulences.

— Un Cessna 340…, poursuivit-il en remerciant d’un geste.

— En effet ! Un avion de ce type a fait une brève escale ici, arrivée 13 h 22. Il a été ravitaillé en carburant, puis a décollé à 14 h 37 de la piste “25 L”. Mais pourquoi la police ?

— Combien y avait-il de personnes à bord, Monsieur ? demanda le commissaire sans répondre.

— D’après le plan de vol qui nous a été communiqué, il s’agissait d’un appareil immatriculé HB-TVY, compagnie helvétique MyFly, vol MF 744 en provenance de Zurich, trois passagers à bord.

Le ton était neutre et impersonnel, de celui justement que l’on entend dans les aérogares.

— De Zurich ? Pardonnez mon insistance : avez-vous leur identité ?

— S’agissant d’un voyage privé, ce type de renseignement reste confidentiel.

— Même si je vous apprends que cet appareil s’est écrasé à son arrivée à La Baule-Escoublac ?

— Oh ! Ciel.

Hormis les circonstances dramatiques de l’affaire, Anconi eut pu sourire de cette réflexion, dans la bouche d’un aiguilleur… du ciel. On percevait un bruit de moteur qui enfla puis s’éloigna, de plus en plus assourdi. Un bref silence s’installa ensuite entre les interlocuteurs.

— Y a-t-il des survivants ? demanda faiblement la voix qui avait perdu son timbre froid et professionnel.

— L’événement vient de se produire mais, compte tenu des éléments dont je dispose, cela est, hélas, peu probable…

— Dans ce cas, je dois vous le confier : il y avait une importante personnalité à bord. Ne quittez pas, je transmets votre demande. Qui dois-je annoncer ?

La panique avait manifestement envahi l’interlocuteur.

— Commissaire Anconi, PJ de Paris. Une personnalité, dites-vous ? Qui ?

Martineau s’agita. Anconi renversa quelques cachous, finit par en saisir un, le glissa entre ses lèvres. Le clic d’une commutation interrompit la ligne. Le correspondant prenait-il la précaution de vérifier la réalité de son identité ? Ne faisait-il pas plutôt appel à un supérieur ? De fait, après de longues minutes, ce fut une autre voix qui vibra dans l’appareil :

— Bonjour, Commissaire. Ici Bordini, chef de la Circulation aérienne. Mamma mia ! On me dit que le MF 744 s’est écrasé à La Baule-Escoublac ? Que s’est-il passé ?

Anconi dut reprendre son récit, maîtrisant son impatience par un deuxième cachou superflu. Il termina son court rapport par la question qui lui brûlait les lèvres :

— On me parle d’une personnalité à bord. Vous me le confirmez ?

— Il s’agissait de l’avion privé de Aldo, le grand couturier.

— Aldo ?

— Aldo Palmavira !

Le téléphone vibra sous l’intensité de la voix, tout le bureau perçut le nom.

— Ah ? dit Anconi, à qui ce nom évoquait vaguement quelque chose, sans plus. Que savait-il, d’ailleurs, de la mode ? Martineau et Lefebvre, de leur côté, sursautèrent et crièrent ensemble : « Mince ! Le couturier ? »

— Quelqu’un a-t-il quitté l’avion au cours de l’escale ? poursuivit le commissaire, espérant encore échapper à l’ouragan médiatique qui ne manquerait pas de déferler si la nouvelle se confirmait.

— Oui. Une femme vêtue de blanc, elle s’abritait derrière un parapluie, car il est tombé une averse peu après l’atterrissage.

— Et le grand couturier était à bord ?

— C’était son avion personnel, Monsieur. Avec toujours le même pilote. Il avait ses habitudes chez nous. Il possédait – enfin, il possède – une propriété dans la région, tout près d’ici.

— Cette femme, qui était-ce ?

— Nous l’ignorons. Monsieur Palmavira empruntait souvent nos installations, transportant des amis ou des relations professionnelles. De ce fait, les services de police aux frontières et les douanes se déplaçaient rarement.

On devait s’activer, à Toussus, pour réunir un maximum de renseignements. En même temps, une gêne grandissante était perceptible.

— Personne n’est monté à bord ?

— Non, nous l’aurions vu. Le personnel pourra vous le confirmer.

— De sorte qu’il n’y avait plus qu’un seul voyageur, en dehors du pilote, au départ vers La Baule ?

— Vraisemblablement.

— Vous allez recevoir la visite d’un officier de police. Je vous serais reconnaissant de réunir tous les éléments concernant cette escale, ainsi que la liste des agents en service ce jour-là. Il est possible que certains employés de l’aéroport puissent nous apporter des précisions quant au nombre réel d’occupants dans l’avion.

— Cela est peu probable, mais comptez sur moi, Commissaire, je vais interroger toute l’équipe présente au moment de l’escale. Je me tiens à votre disposition. J’ose espérer qu’il y aura des survivants. Aldo Palmavira, maledizione ! Quel drame ce serait.

Un ange passa. Bordini hésita :

— A-t-on une idée… des causes de la catastrophe ?

— Aucune, actuellement. Un problème technique aurait-il été signalé par l’équipage ?

— Non. L’appareil a simplement été ravitaillé en carburant. Nous avons clos le plan de vol à… 14 h 50.

Anconi remercia, demanda que lui soit faxé le document et raccrocha.

— Lefebvre ! Tu chargeras Bolz de se rendre, dès demain matin, à l’aéroport de Toussus-le-Noble. C’est là que l’avion de Palmavira a atterri en provenance de Zurich avant de redécoller pour La Baule après. Qu’il réunisse un maximum d’éléments sur cette escale : ravitaillement, transfert de passagers, problèmes techniques éventuels. Qu’il rencontre tous les personnels. Organise la convocation de tous ces gens, veux-tu ?

— Entendu, Patron !

Martineau, de son côté, parvint à joindre le directeur des secours, sur les lieux du crash. Il appuya sur la touche “haut-parleur” : l’incendie menaçait les maisons érigées en bordure de la forêt d’Escoublac, la sécurisation se poursuivait. Les casernes de Saint-Nazaire et de La Baule unissaient leurs efforts, très gênées par la survenue de fortes rafales d’ouest qui attisaient le brasier vers les habitations de l’avenue de la Jo.

— Des survivants dans l’appareil, Capitaine ? s’enquit le Baulois.

— Négatif ! Un corps sans vie dans l’habitacle. Probablement le pilote.

Anconi intervint vivement :

— Fatche ! Un seul ? Je viens d’apprendre qu’il y avait, a priori, deux personnes à bord.

Martineau transmit aussitôt l’information.

— Ah ! Deux impliqués ? Bien noté.

Une reconnaissance systématique était déjà en cours, à la recherche d’éventuels passagers éjectés, compte tenu de la violence de l’impact.

La voix du capitaine était en partie couverte par les crépitements de l’incendie, les ordres brefs des hommes du feu et le vacarme continu de l’eau propulsée par les lances.

— Nom d’un chien ! murmura le commissaire de La Baule. Vous vous en rendez compte ? Un grand couturier se tue dans le crash de son avion. Et il le fait chez moi, qui plus est ! Je crois que je vais devoir décliner votre invitation pour ce soir, Patron…

Lefebvre, une Gitanes entre les lèvres, lui glissa silencieusement une note. Il s’agissait des horaires des prochains trains au départ de Montparnasse à destination du Croisic.

— Trop tard pour le direct de 17 h 48, commenta-t-il. Il est encore temps pour celui de 18 h 48, mais il ne va pas plus loin que Saint-Nazaire.

— Vous pouvez me conduire ? Et prévenir ma femme qui faisait des courses aux Galeries Lafayette ? On devait se retrouver à l’hôtel Pasteur, rue du docteur Roux, j’ai oublié le numéro.

— 18 h 15. Juste le temps de te déposer à Montparnasse, Vieux ! Ne t’inquiète pas pour madame Martineau. Dis-moi, tu le connais, ce Palmavira ? poursuivit-il.

Le collègue, malgré la tension qui s’était emparée de lui, ne put s’empêcher de sourire.

— Palmavira ! Haute couture, Patron ! Le créateur de la ligne La moda per tutti. Pas votre genre ni le mien, d’ailleurs. Un type excentrique, toujours entièrement vêtu de blanc, exception faite d’un haut-de-forme et d’une énorme cravate, tous deux noirs. Il fait régulièrement la une des journaux à sensation, par ses déclarations fracassantes et ses histoires de cœur. Votre femme le connaît sûrement, demandez-lui.

— Ah ! se contenta de souffler le commissaire du 36. Il ajouta, le visage sceptique : des ennuis pour toi, c’est certain. Tout ce que La Baule compte “d’officiels” va venir te baver sur les chaussures. Té, je te plains !

— Pas seulement de La Baule ! sourit Martineau. Désolé pour ce soir. C’est partie remise, j’espère. À bientôt !

Lefebvre fit le taxi. Il arriva à temps à la gare, en dépit des embouteillages. La sirène deux-tons lui fut d’une aide précieuse. De façon inattendue, une pluie fine commença à tomber sur Paris, chassée par de courtes rafales qui retournaient les parapluies.

Anconi trouva le numéro de l’hôtel Pasteur, et téléphona lui-même à l’épouse de son collègue pour excuser son départ précipité.

— Flûte ! C’est toujours à lui que ça arrive, ces histoires-là, commenta-t-elle simplement, d’une petite voix à peine étonnée.

Elle accepta l’invitation à passer la soirée en leur compagnie, non sans quelques réticences. Sans doute pensa-t-elle finalement que son mari serait heureux de la savoir là ?

Le commissaire vivait sur la Seine, dans une péniche traditionnelle hollandaise qui appartenait jadis aux parents de son épouse Hilda. Ils l’avaient rapportée par les canaux et transformée en un appartement confortable, aménageant à l’arrière une terrasse spacieuse, entourée d’une abondante verdure qui coulait jusqu’à la surface du fleuve. Hilda, qui avait hérité de son père le don pour la peinture, s’y installait pour reproduire sur ses toiles, la Seine, l’île de la Jatte, les arcades du pont de Neuilly qui enjambaient le fleuve. “Zeeland” – ils avaient tenu à lui conserver son nom originel – était amarrée boulevard Kœnig, cachée des regards indiscrets par les marronniers et les buissons touffus du quai.

Ils ne purent profiter du dehors, car l’humidité avait persisté toute la soirée, une petite pluie collante qui annonçait l’automne.

Madame Martineau, une femme vive au visage souriant, semblait s’être remise rapidement du départ précipité de son policier de mari.

— L’habitude, justifia Hilda. Nous n’avons pas épousé des sénateurs.

Les deux dames commentèrent longuement la disparition du grand couturier, évoquant avec gourmandise ses frasques, ses créations extravagantes, mais aussi les collections de sa ligne La moda per tutti qui s’adressait “à toutes les femmes”, même non fortunées.

— Il n’y a bien que toi qui ne connaissais pas ce drôle de bonhomme, conclut madame Anconi. Tu as l’air soucieux, mijn beminde4 !

— J’ignorais l’existence de ce roi du chiffon, en effet, se moqua-t-il. Mais ce qui m’intrigue, Bonne mère, c’est que normalement ils auraient dû être deux, dans l’avion. Alors que l’on n’a découvert qu’un seul corps dans l’épave.

Un peu plus tard, après le départ de madame Martineau, le commissaire alluma la radio, fit défiler les stations et arrêta le curseur sur 105.5, France Info, « radio perroquet » comme avait l’habitude de la définir Hilda, en s’amusant. On parlait abondamment de l’accident, édition continue et tout le tralala :

« Nous restons en émission spéciale… », « … la disparition du créateur Aldo Palmavira a engendré une vague d’émotion dans le monde de la mode… », « Selon nos informations, le couturier se rendait à La Baule dans son avion personnel, un Cessna 340 immatriculé chez nos amis suisses, pour des séances de photographie de… il avait choisi le cadre du Pouliguen pour mettre en scène sa collection de printemps 1993 » « …il avait réservé une suite à l’hôtel “Hermitage”, il devait y séjourner pendant au moins une semaine, comme nous l’a confirmé le directeur de cet établissement de luxe où le grand couturier avait ses habitudes… »

— Bla-bla-bla…, grogna le commissaire.

Pour une fois, Hilda lui intima un « chut ! » désapprobateur et augmenta le son :

« …sa maison de couture, contactée en exclusivité par un confrère spécialisé, est totalement effondrée par la nouvelle. Il devait voyager avec son photographe attitré, Jacques Brahim, etc. »

Suivit un long et fastidieux commentaire sur la fiabilité du Cessna 340, dont on détailla les caractéristiques et l’historique. Précisions furent données sur celui de Palmavira, régulièrement entretenu, tant à Zurich, siège de la maison de couture, qu’à Toussus-le-Noble où le maître possédait une propriété dans la vallée de Chevreuse, proche de l’aéroport.

De nombreux commentaires sur la disparition de la célébrité s’intercalaient entre les descriptions répétitives de l’accident, son âge, ses origines italo-suisses, ses incartades. Il entendit à deux reprises le ministre qui, la voix mouillée, « venait de perdre, si la nouvelle était confirmée, un ambassadeur de la mode, mais aussi un ami très cher avec qui il dînait fréquemment à Paris, au Café de Flore. »

Anconi sursauta. Pourquoi ce « si la nouvelle était confirmée » dans la bouche du ministre ? Il rapprocha cette précaution oratoire des constatations du directeur des secours, sur place : un seul corps dans l’avion. Le couturier pilotait-il l’appareil, lui-même ? Dans ce cas, où était passé le photographe – au nom à consonance nord-africaine qu’il n’avait pas retenu – devant l’accompagner ?

L’actualité revint sur l’autre sujet du jour : la maladie du Président, qui venait d’être opéré de la prostate dans un hôpital renommé de la capitale. Supputations diverses et, là aussi, curriculum détaillé du chirurgien. L’évasion de Clairvaux faisait également grand bruit.

Anconi éteignit le poste.

— Fatche ! Il y a quelque chose de curieux dans cette affaire, s’exclama-t-il en s’octroyant compulsivement deux cachous.

— Tu veux parler de la santé du Président ? demanda Hilda, plongée dans une revue de mode. Elle avait écouté plus distraitement lorsque les journalistes avaient abordé un autre sujet.

— Sais-tu si Aldo Palmavira pilotait son avion ?

— Palmavira, mijn beminde ! Ce n’est pas impossible, ce garçon était si étonnant. Tiens ! Tu veux voir sa tête ?

Elle lui tendit un magazine aux feuillets de papier glacé. Un homme d’une cinquantaine d’années y posait, tout de blanc vêtu et coiffé d’un chapeau claque noir. Il souriait de ses dents éclatantes et semblait s’exprimer avec ses mains.

Il eut à peine le temps de s’emparer de la revue. Le téléphone sonna. Il était 23 heures.

1. En marseillais : tu me ferais offense.

2. Brigade de gendarmerie des transports aériens.

3. Aérodrome Flight Information Service.

4. Mon bien-aimé, en hollandais.

II

Vendredi 11 septembre 1992, 23 h 15

— Allô ?

— Anconi ? Arnaud-Fontaine. Pardonnez ma démarche tardive. Toutes mes excuses à madame votre épouse. Peut-être étiez-vous à souper ?

— Mes respects, Monsieur le directeur…

Il fallait que le motif fût grave pour que le personnage se manifestât un vendredi soir. Qui plus est à une heure aussi avancée à laquelle, selon ses habitudes, il aurait dû déjà avoir pris la route de la Normandie, vers le haras de ses amis les Montorgueil. Le commissaire eut l’immédiate vision de cet homme hautain, chauve avant l’âge. Il vit ses sourcils battre comme les ailes d’une libellule avant de se fixer en accent circonflexe, ce qui arrivait immanquablement lorsqu’il s’apprêtait à tenir des propos désagréables à un subordonné.

— Croyez bien que ce n’est pas sans quelque scrupule que je prends la liberté de vous joindre à votre domicile.

L’extrême politesse ne laissait rien présager de bon. Il attendit que la vague d’hypocrisie d’Arnaud-Fontaine fût épuisée. Les deux hommes ne s’aimaient pas.

— Je vous écoute, Monsieur le directeur.

— J’ai reçu à l’instant un appel du ministre. Hum ! Il s’est montré très ennuyé…

Anconi fit aussitôt le lien avec ce qu’il avait entendu à la radio. Il prit un cachou, attendit que l’autre se déclare.

— …un grand ami de la France vient de disparaître dans un accident d’avion, sur notre sol, à La Baule. Il s’agit du célèbre couturier Aldo Palmavira.

— Je l’apprends tout juste, moi aussi.

— Ah ? Vous êtes déjà au courant ?

— La radio, Monsieur le directeur…, glissa le commissaire.

— Vous n’êtes pas sans savoir la place que tient la haute couture dans l’image de la France, dans sa culture, dans son rayonnement. Nous ne pouvons rester sans réaction à cette grande perte. “C’pendant”, le gouvernement, par la voix de son ministre, souhaite faire toute la lumière sur les circonstances de l’accident avant de faire un communiqué officiel. Comprenez-vous ?

— Je comprends l’obligation du ministre. Mais ce type de catastrophe engage habituellement de longues investigations, menées en premier lieu par la BGTA, puis par le BEA1. Les résultats n’en sont connus que plusieurs mois plus tard, parfois plusieurs années et, pardi, il n’est pas rare qu’aucune conclusion ne soit apportée.

— Il ne s’agit pas de cela. Je n’ignore ni la complexité ni les délais nécessaires à ce type d’expertise. C’pendant, la personnalité originale d’Aldo Palmavira, sa vie – comment dire ? – turbulente et très en vue, impose un minimum de précautions avant une réaction officielle du gouvernement.

— Té ! Je saisis mal le sens de vos propos. Dans ce genre d’affaires, la parole revient surtout aux experts aéronautiques. Le commissaire de La Baule est parfaitement compétent pour mener à bien l’enquête de routine.

— Je crois me souvenir que vous le connaissez. Un certain Martineau, n’est-ce pas ?

« Nous y voilà ! » se dit Anconi en se servant un cachou nerveusement. Arnaud-Fontaine était-il au courant de la visite du commissaire baulois au “Quai”, voire de son départ précipité ?

— En effet, répondit-il prudemment. Un policier très compétent. Nous avons eu l’occasion de travailler ensemble…

— Justement, Anconi, justement. Il serait bon de lui apporter de nouveau votre appui. Le ministre souhaite aller vite.

— Qu’attendez-vous de moi, Monsieur le directeur ? Il ne s’agit que de la chute d’un avion. Certes, une personnalité en vue avait pris place à son bord, mais, Bonne mère, la vocation du 36 n’est pas d’enquêter sur les crashs.

Les sourcils durent se fixer durement en chapeau chinois.

— Anconi ! Je dois compter sur votre discrétion. Je vais être clair. Le ministre m’a fait part d’éléments troublants. Vous n’êtes pas sans savoir que le monde de la mode est un microcosme au sein duquel se bousculent les ambitions, la concurrence et les extravagances en tous genres. Selon certaines confidences faites récemment en haut lieu – je vous demande expressément de garder cette information pour vous – Aldo Palmavira laissait entendre que sa maison de couture était en grandes difficultés financières, au point qu’une faillite n’était pas exclue. Il sollicitait la participation de la France, craignant qu’un certain Helmut Steiger, financier autrichien, ne s’empare de sa marque et la fasse disparaître à son profit. Cette intention a d’ailleurs été confirmée, dès ce soir, par l’offre de rachat de ce dernier, évidemment très basse, et ce, aussitôt annoncée la nouvelle du décès de Palmavira.

— Dieu garde ! J’y suis. Vous souhaiteriez que j’enquête sur ce Helmut Steiger ?

— Pas seulement, Anconi, pas seulement. Aucune affaire d’importance ne vous occupe actuellement dans la “maison” ?

— Il y a cette évasion spectaculaire de la prison de Clairvaux, ce matin. Huit détenus dans la nature et pas des enfants de chœur, Monsieur le directeur. Il va falloir collaborer avec la gendarmerie de l’Aube. Nous connaissons bien le pedigree des malfrats et…

— L’Aube, ce n’est pas votre affaire. Vos inspecteurs se chargeront de cela, le cas échéant. Vous allez vous rendre en Loire-Atlantique.

— Vaï ! Mais… quelle sera ma mission ?

— Faire toute la lumière sur les circonstances du crash. Votre présence va accélérer les choses. Vous en référerez exclusivement à moi, naturellement.

— Dois-je comprendre que vous doutez du caractère accidentel de cette catastrophe ?

— À vous de voir ! Je compte sur vous, Anconi. C’pendant, notre intervention doit rester confidentielle, cela ne doit pas vous échapper. On y tient en haut lieu.

« “Notre” intervention ! » Fan d’hypocrite ! La leur d’intervention, pas la nôtre. Anconi ne voyait pas très bien quel intérêt poursuivait l’État français à prendre participation dans une maison de couture étrangère, si célèbre soit-elle. Ni pourquoi cet Helmut Steiger, dont il n’avait jamais entendu parler, n’était pas en odeur de sainteté dans le gouvernement de la République ? « Quel pataquès ! » pensa-t-il.

Il dut c’pendant assurer à Arnaud-Fontaine qu’il se rendrait à La Baule, selon ses ordres, dès le lendemain.

— Martineau est-il informé de ma venue, Monsieur le directeur ?

— Non pas. Il est préférable que vous vous en chargiez personnellement. En toute discrétion, cela va de soi. Pour son équipe, disons que vous seriez juste de passage dans la région.

— Tout finit par se savoir, Monsieur le directeur…

Les sourcils durent papillonner dans le bureau Empire d’Arnaud-Fontaine, où régnait toujours une odeur pénétrante d’encaustique ; le sempiternel avertissement survint :

— Pas de vagues, Anconi, pas de vagues !

Pour adoucir sa formule ou simplement exposer ses manières d’homme du monde, il termina par des hommages à Madame.

Pendant ce temps, Hilda avait mis la télévision en sourdine, tout en prêtant une oreille aux réponses de son mari.

— Ton cher directeur t’envoie à La Baule, n’est-ce pas, mijn beminde ? demanda-t-elle en lui tendant une part de kruidkoek.

— Tout juste ! Et c’est un ordre. Ce Palmavira avait l’air sacrément important.

— Tu sais, à la télé, ils ne parlent que de lui, lorsqu’ils lâchent la prostate du Président, lui dit-elle en désignant l’écran sur lequel l’on voyait défiler avec une raideur déhanchée des mannequins longilignes. De lui et de la spectaculaire évasion de Clairvaux.

— Le ministre par ci ! Le ministre par là ! Que le diable les patafiole !

— S’il t’envoie sur place, c’est qu’il ne s’agit pas d’un simple accident.

— Té, il m’a embrouillé avec une histoire de faillite.

— Un suicide, alors ?

— D’après lui, un concurrent semblerait déjà prêt à reprendre la maison Aldo. « Faites toute la lumière sur ce crash, Anconi ! » Me demander cela à moi qui ne supporte pas l’avion.

Le commissaire gloutonna sa part de kruidkoek.

— Tu le fais toujours aussi bien, ce gâteau aux épices, Hilda. Qu’est-ce qu’ils disent de nouveau, à la télé ?

— Rien sur l’accident lui-même. Rétrospective des défilés, commentaires élogieux sur le talent du maître.

Anconi, après un œil sur la pendule – elle marquait minuit – tenta de joindre Martineau à La Baule. Il était sur les lieux du sinistre. On lui promit de lui faire part de son appel.

— L’incendie est contrôlé ? insista-t-il auprès de l’agent de service.

— Oui. Il procède aux premières constatations de l’épave calcinée, avec la BGTA. Il n’y avait qu’un seul corps dans l’appareil, c’est confirmé.

— A-t-il été possible de l’identifier ?

— Trop tôt pour le dire, Monsieur le commissaire. Je demanderai à mon patron de vous joindre, dès que j’aurai un nouveau contact radio avec lui. Promis !

Malgré le crachin qui s’obstinait à vouloir dissoudre un été finissant, Anconi sortit, s’accouda au bastingage de la terrasse de Zeeland. L’humidité entourait toutes les lumières d’un halo brumeux. De rares autos, sur le boulevard Kœnig, semblaient se hâter de rentrer en faisant chuinter l’asphalte, comme pour échapper à l’emprise de cet air imbibé. Il n’y avait pas un souffle de vent, pourtant il frissonna. Montant de “Woodstock”, la péniche voisine, il crut reconnaître le dernier tube de Michael Jackson, Who is it. Il ne perçut pas la sonnerie du téléphone.

— Martineau, chuchota Hilda en déroulant le fil du combiné jusqu’à lui.

— Allô ? Tu es gentil de me rappeler, Vieux. Pardonne-moi, tu dois être bien occupé ? Comment cela se passe, chez toi ?

— Les pompiers ont mis beaucoup de temps à éteindre le feu de forêt. Tous ces petits chênes verts s’enflamment comme des torches. Heureusement, le vent est tombé d’un coup, ensuite la pluie…

— Ah ! C’est comme ici… Tu as pu approcher de l’appareil ?

— Oui. Écrabouillé comme une boîte d’allumettes ! Il n’y avait qu’un seul corps à l’intérieur. Salement brûlé !

— J’ai entendu à la radio que ce Palmavira se rendait à l’hôtel Hermitage avec son photographe pour des collections de mode. Qu’est devenu le deuxième occupant ?

— Mystère, Patron ! La zone a été soigneusement ratissée, les gars sont formels : un seul passager à bord, le pilote. Ou alors, l’autre a sauté en parachute et maintenant il est au casino !

— Ne rigole pas trop de cette affaire. Elle sent le soufre.

Anconi fit part des préoccupations ministérielles. Martineau émit un hoquet.

— Holà ! Après les journalistes, les politiques. Tu sais, nous avons l’habitude, à La Baule, de recevoir des VIP.

— On vient pourtant de m’ordonner, en haut lieu, de me rendre, fissa, te donner un coup de main. Je suis désolé de devoir marcher sur tes…

— Hopopop ! Il fallait commencer par là. En voilà une bonne nouvelle, au contraire. Quand arrivez-vous ?

— Demain matin, par le premier train. A-t-on pu identifier le corps de ce pilote ?

— Impossible. À peine dégagé, il a été transporté chez le professeur Ducreux, au CHU de Nantes, pour autopsie médicolégale. Pas beau à voir, paraît-il.

— As-tu eu une copie du plan de vol suisse ? Normalement y sont inscrits le nombre de passagers dans l’avion ainsi que le nom du commandant de bord.

— Je l’ignore. Je suis venu directement sur les lieux.

— On ne sait pas non plus pourquoi ce fatche de coucou est tombé, j’imagine ?

Martineau émit un soupir.

— Pas encore ! La BGTA a déballé son matériel et établi un périmètre de sécurité. Ses troupes ramassent les morceaux avec des pincettes. Pas moyen d’approcher… Nous serons peut-être plus informés demain matin. Quelle heure, votre train ?

— J’arriverai à 11 heures. La gare se situe juste devant chez toi, si je me souviens bien ?

— J’y serai ! Hum ! J’aurais bien aimé vous recevoir à la maison, mais nous sommes en pleins travaux, c’est invivable. C’est d’ailleurs pourquoi nous nous étions échappés pour quelques jours à Paris.

— Vaï ! Il ne manque pas d’hôtels dans ton coin.

— Dites, Patron, vous qui habitez sur l’eau, accepteriez-vous de vous installer sur mon bateau ? Il est très confortable, bien abrité dans le port du Pouliguen. C’est à côté.

— Tu me gênes, Vieux !

Si l’idée lui convenait, Anconi craignait aussi, sans oser l’avouer, d’être bien boulégué2 dans un navire de plaisance, les jours de grand vent. L’immobilité de Zeeland sur la Seine ne l’avait nullement habitué à des conditions d’existence maritime.

— Il ne faut pas. Cela me ferait tant plaisir de vous y accueillir. Et puis, cela fera un peu “vacances”.

Le commissaire perçut dans le combiné le crissement d’un briquet, puis un léger souffle : Martineau recherchait des arguments dans une cigarette.

— J’aurai besoin d’un téléphone, soupira Anconi d’un ton de regret.

— Mais j’ai ce qu’il faut. Je vous prêterai le Radiocom 20003 de ma voiture. Vous pourrez appeler partout en France. Allez ! Marché conclu ! De toute façon, je vous confierai un véhicule, ajouta le Baulois, comme si cela devait emporter la conviction du “Patron”.

— Nous verrons cela.

— Que craignent-ils, à Paris ? Le savez-vous ?

— « Faire toute la lumière sur les circonstances du crash. » Voilà la mission.

— Quelqu’un aurait saboté le zinc du bonhomme ?

— Pas de vagues, Martineau, pas de vagues ! ironisa le commissaire.

Un rire franc lui répondit.

— Ton épouse a dîné avec nous avant de regagner son hôtel. Hilda l’a trouvée charmante. Elles ont papoté comme deux vieilles copines.

Ils se quittèrent, somme toute, assez satisfaits l’un et l’autre d’avoir à travailler ensemble.

Le trouble engendré par sa conversation avec Arnaud-Fontaine fit place, chez Anconi, à la légère appréhension de devoir dormir dans le bateau du collègue.

Il rentra dans la péniche, la chemise humide de ce crachin qui imprégnait tout, insidieusement.

— Tu es tout trempé, mijn beminde, s’écria Hilda.

Elle lui tendit une serviette sèche, et ne put s’empêcher de demander si la mort du grand couturier était confirmée.

— Il manque une figue dans le panier. Et en plus, on ignore laquelle, répondit-il en se frictionnant machinalement.

Il reprit une part de gâteau, puis contacta Lefebvre chez lui.

— Désolé de te réveiller, Petit ! Arnaud-Fontaine m’envoie à La Baule.

— À la télévision, plusieurs chaînes ont remplacé leurs programmes par des rétrospectives sur Aldo Palmavira. Quelle histoire !

— Je suis navré de te lâcher à l’improviste. Parmi les évadés de Clairvaux, il y a ce Jules Fosset, que tu avais envoyé au trou pour meurtre, il y a quelques années. Tu te souviens ? Un type méchant comme une teigne.

Il était superflu de rappeler une affaire à Lefebvre, à lui qui n’oubliait jamais rien.

— Un dur. J’ai fait ressortir son dossier par “L’Araignée”, Patron.

— Té, je te reconnais bien là. Pourrais-tu lui demander demain matin de réunir tout ce qu’il peut sur ce Palmavira : famille, biographie, possessions, relations, mœurs, faits divers, statut financier, lieu d’imposition… tout le toutim, quoi ! Même recherche au sujet d’un certain Helmut Steiger, un riche sujet autrichien qui serait impliqué, lui aussi, dans le milieu de la haute couture.

L’Araignée, un petit homme au nez chaussé de fines lunettes de fer, une éternelle blouse grise, régnait en maître sur les archives du 36. Le crayon derrière l’oreille, il parcourait les allées encombrées de volumineux dossiers poussiéreux, ou griffonnait des notes d’une écriture en pattes de mouche, sur son minuscule bureau en désordre. Si sa compétence était reconnue à tous les étages du Quai, son admiration profonde pour le commissaire Anconi faisait parfois sourire.

— Je m’en occupe au plus tôt. Vous serez longtemps absent ? s’inquiéta l’inspecteur, dont l’expérience et l’ancienneté le désignaient traditionnellement comme celui qui veillait sur tout, en l’absence du commissaire. En ces circonstances, ce n’était pas tant la crainte des responsabilités, que sa modestie naturelle qui le troublait, et chacun observait qu’il fumait davantage au cours de ces périodes.

Le lendemain matin, Hilda conduisit son mari à la gare Montparnasse, dans un Paris qui avait partiellement séché et se levait sous un jour timide et bas. Le commissaire aimait l’ambiance du samedi, les avenues dégagées, les trottoirs presque vides, les bouches de métro désertées. Les Parisiens faisaient, pour la plupart, la grasse matinée. Pas de bousculade non plus, aux terminus réservés aux banlieusards.

— Tu me téléphoneras, mijn beminde ?

Un léger pincement les étreignit lorsque le convoi s’ébranla. Ce soir, Hilda inviterait sans doute sa petite voisine, celle qui vivait sur Woodstock, la péniche d’à côté, une jeune Anglaise acoquinée avec un musicien barbu toujours parti en tournée. Cette idée réconforta le commissaire.

Progressivement, le ciel s’éclaircit, comme si Paris avait arrêté, au-dessus de ses toits de zinc gris, tous ces nuages venus d’ailleurs. Il prit un cachou et récapitula : un avion privé s’était violemment écrasé à La Baule-Escoublac, pour une raison inconnue. À son bord, une célébrité de la couture. Il établit mentalement une liste de questions :

1) Qui était le commandant sur le plan de vol ? Qui était aux manettes ?

2) Combien de passagers au départ de Zurich ?

3) Combien au départ de Paris ?

4) Qui était cette personne – une femme ? – descendue à Toussus-le-Noble ? Où était-elle allée ?

5) Pourquoi le Cessna était-il tombé, si près du but ?

Une question fondamentale revenait, lancinante : Palmavira pilotait-il lui-même son appareil ? Si oui, le corps retrouvé aux commandes était le sien. Sinon, où était-il donc passé ?

Il s’endormit alors que ses pensées tournaient en rond. L’image d’Arnaud-Fontaine tortura son demi-sommeil, sourcils fixés en chapeau chinois : il organisait une conférence de presse à laquelle le commissaire Anconi était obligé d’assister, silencieux. Le directeur distillait des phrases creuses, le doigt levé, attribuant le piétinement de l’enquête aux lenteurs de la brigade criminelle du 36.

Le train freina brusquement, il se réveilla en sursaut. Il reconnut les grues du port de Saint-Nazaire, le pont au loin et le portique des chantiers navals. Les derniers kilomètres se firent à vitesse réduite, sur une voie unique.

Martineau était sur le quai, en jean et bras de chemise, son éternelle Gitanes sans filtre plantée sous la moustache. Il empoigna d’autorité la petite valise du voyageur. Ils se serrèrent la main.

— Ça me fait rudement plaisir, Patron !

— Moi aussi, Vieux ! Dis donc, il fait meilleur qu’à Paris.

— Vous savez, ici, il fait beau plusieurs fois par jour. Venez jusqu’au bureau. On fait le point et on déjeune ensemble.

Ils sortirent de la gare, un bâtiment imposant de style néobreton aux ouvertures rehaussées de granit, puis gagnèrent le commissariat, de l’autre côté de la place : un cube sans fioriture, sévère par sa façade en pierre et ses quatre chiens-assis qui semblaient faire le guet sur le toit d’ardoises, impression accentuée par les grilles protégeant les fenêtres du rez-de-chaussée.

Ils saluèrent l’agent de l’accueil, qui ébaucha un garde-à-vous lorsque lui fut présenté un gradé de la PJ parisienne.

Dans le bureau du commissaire baulois, l’atmosphère était chargée de lourdes odeurs de tabac froid.

— Installez-vous.

Martineau sortit une cigarette sans filtre, la tripota sans oser l’allumer, et ouvrit un dossier cartonné.

— Tenez, regardez ! ajouta-t-il.

Il éparpilla sur sa table de travail quelques photos de la catastrophe : flammes dévorant la nuit, carcasse d’avion noircie.

Le nez de l’appareil avait pénétré dans le sol, la carlingue s’était plissée en accordéon.

Un des moteurs, détaché de l’aile, gisait piteusement sur son hélice tordue au pied d’un arbre, près d’un siège déchiqueté. De multiples débris jonchaient les alentours.

— Je suis allé ce matin interroger les personnels de l’aéroport de La Baule, poursuivit-il. Pour commencer, voilà le plan de vol du Cessna 340, immatriculé HB-TVY, qui s’est crashé hier. Il a été enregistré en Suisse, le 11 septembre, sous le numéro “744”. Décollage 11 h 53 de LSZH – Zurich, destination LFPN – Toussus-le-Noble. Je ne vous impose pas les détails techniques pour vous livrer l’essentiel : trois occupants au départ de Zurich, dont le commandant de bord Jacques Brahim. Renseignements pris, il s’agit du photographe attitré de Palmavira. Les noms des deux autres passagers ne sont pas indiqués, d’ailleurs ce n’est pas obligatoire.

— Le contrôleur de Toussus nous a dit qu’une seule personne avait débarqué. Il parlait d’une femme. Qu’est devenu le troisième ?

— C’est bien le problème, Patron. Si le corps retrouvé dans la carcasse est celui du commandant de bord, où est passé Aldo Palmavira ?

— La durée du vol entre la région parisienne et La Baule a été de 2 h 27. J’ai interrogé Fred, l’agent AFIS de l’aérodrome, un professionnel. Pour lui, le trajet est un peu long, mais le vent de face a pu ralentir l’appareil. Habituellement, avec ce type d’avion, deux heures suffisent.

— Tu penses à une autre escale ?

— Pourquoi pas ? J’ai lancé un collègue sur cette piste. Il est en train d’interroger tous les aéroports se situant dans un cercle de deux heures autour de Paris. Il en a recensé une bonne douzaine. Il a commencé par ceux qui se trouvent sur le trajet direct, sans succès. Cela va prendre du temps…

— Fatche ! commenta Anconi en avalant un cachou. Autre possibilité, c’est Aldo qui pilotait.

— Nous ne le saurons pas avant la réponse des légistes. Les empreintes dentaires vont parler.

Anconi eut un haut-le-cœur. Les détails médicaux provoquaient toujours chez lui une vive réaction de dégoût, accompagnée d’un petit frisson de frayeur.

Il s’empressa de demander, pour éviter d’approfondir le sujet :

— Palmavira possédait-il un brevet de pilote ?

— On se renseigne là-dessus.

— A-t-on trouvé des bagages dans l’appareil ? poursuivit Anconi.

— J’y viens. Je voulais d’abord vous donner une idée du spectacle. Il y avait plusieurs valises et sacs de voyage. Tout laisse à penser que de nombreux modèles de la future collection y étaient serrés. Il n’en reste rien qu’un magma informe. Certains tissus ont brûlé, d’autres ont fondu. Dans la queue de l’avion, deux grosses mallettes renfermaient du matériel photo ; plusieurs appareils ont partiellement résisté, mais l’eau des lances à incendie les a achevés.

— Aucune affaire personnelle ?

— Si. Une montre, dans la cabine de pilotage. Son bracelet a dû se consumer. La marque est Jaeger-LeCoultre. Et un nécessaire de toilette, probablement luxueux, dont il ne reste que des squelettes. J’ai dû laisser ces objets partir en expertise à Nantes. J’ai trouvé un trousseau de clés, à quelques mètres de l’appareil. Je l’ai gardé, je ne sais pourquoi.

— Quel type de clés ?

— Très spéciales. Fichet-Bauche, une marque de coffre-fort, le genre qui ne peut se reproduire qu’avec une carte de propriété, vous voyez ? Je ne voulais pas qu’elles tombent entre leurs mains. Reste à trouver la serrure.

Anconi comprit que son collègue avait dû être exaspéré par l’attitude des brigades spécialisées venues de Nantes.

— Et sur les circonstances du crash, a-t-on des éléments, des enregistrements ? se pressa-t-il de demander, pour éviter de commenter le larcin.

— Non. Il n’y a qu’au cours de l’été qu’un agent est présent dans la tour et participe au trafic radio. En septembre, ce n’est plus le cas, mais Fred était là hier – il y est tout le temps fourré, c’est sa passion – et il a entendu, du bureau, les communications. Il m’a expliqué que les pilotes faisaient de l’auto-information. En clair, même s’il n’y a personne dans la tour de contrôle, ils annoncent leur arrivée, essentiellement pour prévenir les autres zincs en vol de leurs intentions.

— Bon ! Bon ! Et donc ?

— Le Cessna a communiqué sa position dix minutes avant l’atterrissage, précisant sa provenance et son souhait de se poser à La Baule. Tout allait bien. Effectivement, l’avion s’est présenté à la verticale du terrain, à mille six cents pieds, dans les délais prévus et a signalé qu’il se reportait vent arrière, pour effectuer une courbe afin d’être face au vent sur la piste 29. Normal, selon Fred, il y avait un flux de secteur ouest de quinze nœuds. C’est alors que le Mayday a été lancé. Il a entendu des ratés de moteurs, est sorti et a vu l’avion perdre de l’altitude brutalement et s’écraser sans pouvoir effectuer sa courbe. Fred pense que le pilote a tenté de raccourcir sa trajectoire pour se poser en planant et qu’une rafale l’a plaqué au sol.

— Une panne ? Un incident technique, donc ? Ou une erreur humaine ?

— Ou les deux ! Cela y ressemble. Il y a autre chose, Patron. Fred a contacté les aéroports du Mans, d’Angers et de Nantes. Normalement, un avion de ce type doit se signaler régulièrement en survolant ces installations.

— Té, il ne l’a pas fait ?

— Au Mans, mais pas après.

— D’où ton hypothèse d’une escale ou d’un trajet aberrant. Ce commandant de bord-photographe, as-tu quelque chose sur lui ?

— Oui. Jacques Brahim. Né en 1941 à Constantine. Nationalité française. Il n’a pas de casier chez nous. Il dirige une agence de mannequins, Studio21, située à Paris, boulevard Hausmann. On essaie d’en apprendre un peu plus. C’est le chouchou de Palmavira, qui ne jure que par lui, pour ses défilés. D’ailleurs, il venait au Pouliguen pour la future collection de printemps.

— Le chouchou… ?

Martineau ricana.

— Ce n’est pas ce que tu crois. Il collectionne plutôt les conquêtes féminines !

— J’ai entendu hier à la radio que Palmavira avait retenu à l’hôtel Hermitage. Tu connais ? On pourrait y faire un saut ? Il logeait peut-être les mannequins là-bas aussi ?

— L’endroit le plus chic qui soit, Patron. Mon salaire de flic ne me permettrait pas d’y rester plus de trois nuits, à condition de dîner ailleurs. Vous verriez les bagnoles qui stationnent sur la rampe d’accès !

Anconi émit un sifflement.

— Si on allait déjeuner ? proposa Martineau. Poisson ou viande ?

— Pardi ! Du poisson, Vieux.

— À l’Hermitage ? Arnaud-Fontaine sera ravi de la note de frais, s’esclaffa le patron du 36.

— Il la ferait suivre au ministre, enchérit le Baulois, qui laissa à l’accueil le numéro où les joindre.

Ils riaient encore tous les deux en quittant la place Rhin-et-Danube, dans une voiture banalisée.

1. Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile.

2. En marseillais : remué.

3. Ancêtre du téléphone mobile.

III

Samedi 12 septembre 1992, 12 h 30

Le commissaire remarqua, près du levier de vitesse, une grosse boîte noire sur laquelle paraissait posé un combiné tout plat.