Vengeances croisées à Nantes - Stéphane Jaffrézic - E-Book

Vengeances croisées à Nantes E-Book

Stéphane Jaffrezic

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Beschreibung

Le capitaine Maxime Moreau quitte la Bretagne le temps d'une enquête.

En répondant à une demande d'effectif supplémentaire pour compenser les forces de l'ordre nantaises affectées à la sécurité d'un festival, j'espère rompre un temps avec la routine concarnoise. Ce sera gagné ! À peine le temps de faire connaissance avec mes collègues et de découvrir la ville qu'un banal coup de téléphone de vérification va m'emporter dans le tourbillon d'une affaire compliquée…
Et ce séjour sur les bords de Loire va enchaîner les péripéties ! Confronté à nombre de faux-semblants et de personnages hauts en couleur ou mal intentionnés, il me faudra donc faire preuve de pugnacité et ne pas compter mes heures pour découvrir ce qui s'est réellement passé…

Un polar surprenant, riche en personnages et en rebondissements ! Plongez-vous dans le tome 5 des aventures du capitaine Moreau sans hésiter !

EXTRAIT

Nous sommes en train de boire un café avec le commandant Marcel Perrin, chef de la PJ que j’ai rencontré lors de l’affaire des Tri Yann, quand une triste nouvelle tombe : le corps d’un enfant d’environ huit ans a été sorti de la Loire à la hauteur de l’île Forget. Les premières constatations indiquent qu’il a séjourné plusieurs jours dans l’eau. Curieusement, nulle disparition n’est signalée sur l’agglomération nantaise, ce qui nous laisse pantois. Aussitôt les hommes de la PJ sont sur les dents, épluchant la liste des disparitions au niveau national, passant nombre de coups de fil et vérifiant la moindre information pendant qu’une équipe composée de Perrin, Yves Perrot et trois autres hommes, se déplace sur les lieux en compagnie de techniciens de la Police Technique et Scientifique. Sur une carte murale, je repère l’île Forget, à l’est de l’île de Nantes, cette île qui divise la Loire en deux bras qui finissent par se rejoindre.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Éditions Bargain, le succès du polar breton." - Ouest France

"Une très bonne histoire. Des personnages qui sonnent juste, des dialogues enlevés, un scénario diabolique... Un super polar." - Rue des Livres

À PROPOS DE L'AUTEUR

Stéphane Jaffrézic est né en 1964 à Concarneau. Il habite et travaille à Quimper. Dans son cinquième roman de la collection Enquêtes et Suspense, nous retrouvons son personnage récurrent, le capitaine Maxime Moreau. Il est également auteur de deux romans dans la collection Pol’Art : Toiles de fond à Concarneau et Le Rubis de Châteauneuf-du-Faou.



À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Le blog de l’auteur : http://stephanejaffrezic.blogspot.com

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute res-semblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À Alexis et Lucas, les jumeaux qui, le 13 octobre 2009, sont venus agrandir la famille.

REMERCIEMENTS

- À monsieur Vincent Martin.

- Au capitaine Ronan Louarn et aux fonctionnaires de l’identité judiciaire du commissariat de Quimper.

- À monsieur Nicolas Husard, directeur du bar et du restaurant du Lieu Unique à Nantes.

- À toute l’équipe des Éditions Alain Bargain.

I

— Entrez, capitaine Moreau ! Je suis enchanté de faire votre connaissance.

Proche de la retraite, le commandant Jules Pernault dirige le commissariat central nantais. Il me tend une main soigneusement manucurée tout en souriant de ses dents trop blanches et trop parfaitement alignées pour qu’elles soient vraies. Sûr et certain que ce n’est pas du “made in maman”. N’empêche, il a l’air sympa. Ses yeux marron ne m’inspectent pas de la tête aux pieds, comme cela m’est arrivé de le supporter parfois, et le regard est franc, pas comme ceux de certains qui ne s’attardent pas et glissent sur vous comme sur un parquet fraîchement encaustiqué pour aller se réfugier dans un coin de la pièce ou au plafond.

— Bonjour, Commandant ! 

— Je n’ai pas pu vous recevoir plus tôt, j’étais en communication avec Monsieur le directeur. Avec la rave qui s’annonce, il y a une foultitude de choses à régler… Enfin bon, vous êtes là pour gonfler notre effectif, et c’est là l’essentiel.

Lâchant ma main, il contourne son bureau, se pose sur un fauteuil en cuir de qualité et me désigne un siège à l’assise impeccable.

— Asseyez-vous, je vous en prie. Nous allons nous accorder quelques minutes pour discuter un peu et faire plus ample connaissance.

Tandis que je m’exécute, il poursuit sur un ton sincère :

— D’ores et déjà, merci d’être des nôtres. Vous verrez, Nantes est une ville très agréable. En ce début septembre, la température est agréable et il fait bon flâner le long de la Loire, aux abords du château des Ducs de Bretagne ou encore au Jardin d’acclimatation. Les buts de balade ne manquent pas, mais malheureusement vous n’aurez pas le loisir d’en profiter. Ou si peu, avec le travail qui nous attend…

— Je ne suis pas ici pour faire du tourisme. Et rien ne m’interdit de revenir avec mon amie un de ces week-ends !

— Tout à fait ! Nous ne sommes qu’à deux heures de voiture de votre lieu de résidence. Dites-moi, Maxime… Vous permettez que je vous appelle Maxime ?

— Bien sûr, Patron… heu, Commandant.

— Allons, pas de chichi entre nous : appelez-moi Jules ! Qu’est-ce que je disais, déjà ? Ah oui ! J’allais évoquer la masse de travail qui nous échoit. Mais d’abord, expliquez-moi pourquoi vous avez postulé. Présentez-moi votre motivation, voulez-vous…

Pesant sur les appuie-bras de la chaise, j’adopte une position qui me convient et plaisante pour détendre un peu plus encore l’atmosphère :

— Ce n’est évidemment pas le festival de musique techno qui m’a attiré. Ce n’est pas un genre musical que j’affectionne.

— Moi non plus, bien sûr. D’ailleurs, peut-on parler de genre musical ?

— Vaste débat, Commandant.

— Trop vaste en effet pour que nous entamions le sujet. Parlez-moi plutôt de vous…

— Comme vous avez pu le constater sur mon curriculum vitae, je suis en poste à Concarneau depuis pas loin d’un an. Au fin fond du Finistère – et c’est heureux ! – la criminalité n’est pas de nature à assurer les montées d’adrénaline qui font que j’ai choisi ce métier. Alors, j’ai vu dans cette proposition un moyen de pimenter un petit peu mon existence. À défaut d’action, cela me permettra de découvrir le pays nantais et de rencontrer des gens nouveaux.

— Soit ! Je me suis effectivement attardé sur votre CV. Vous avez un parcours intéressant, mais votre mutation en Bretagne et la recherche de poussées d’adrénaline me semblent contradictoires. Paris ou une autre grande ville française aurait pu plus facilement assouvir votre quête d’action…

— Oui, bien sûr, mais la vie parisienne offre aussi son lot de désagréments. Dans le même temps, je me suis aperçu qu’une force intérieure me poussait à revenir dans ma Bretagne natale. J’ai donc été muté, à Rennes tout d’abord, puis maintenant à Concarneau. J’ai l’impression que la boucle est bouclée, je me sens en harmonie avec moi-même. Néanmoins, parce qu’il me faut vibrer pour mieux me sentir vivre, je refuse d’être enfermé dans un train-train ennuyeux. Ceci m’a donc amené à postuler lorsque j’ai su que des renforts étaient demandés sur Nantes.

— Il ne s’agit que d’une mission d’une semaine, n’est-ce pas trop court pour vous sortir de votre routine ?

— Toute expérience est bonne à engranger. Et puis cela étoffera mon dossier dans la perspective de mon versement à la PJ.

— Vous êtes candidat ?

— Oui. J’espère que la prochaine CAP1 satisfera ma demande. Sinon, j’espère une promotion et, peut-être, la place de mon supérieur.

— Il fait jouer son droit à la retraite ?

— Pas encore, mais un pépin de santé contrarie ses plans de carrière.

— Il est arrêté ?

— Plus maintenant. Il vient heureusement de reprendre le travail aujourd’hui, sinon ma candidature n’aurait pas été retenue pour cette mission car j’assurais son intérim depuis plusieurs mois. D’un autre côté, si je lui succédais, une grande partie de mon temps de travail se cantonnerait à des tâches administratives, et je ne suis pas persuadé que cela me passionnerait bien longtemps…

Il hoche la tête, dresse un tas des feuilles disséminées sur son bureau et entreprend d’en constituer une seule pile en les tapotant côté par côté sur le meuble.

— Comme vous le savez, puisqu’il s’agit du motif de votre venue, une rave party se déroulera sur Nantes à partir du week-end prochain. Plus exactement, ce festival débutera dès après-demain, mercredi, pour se terminer dimanche. Il s’agit d’un rassemblement national pour lequel on attend des milliers et des milliers de teufeurs. L’an dernier, pareil événement s’était déroulé près d’Albi, dans le Tarn. On avait recensé plus de cent quatre-vingts mille festivaliers pour cette semaine de folie, principalement des jeunes dont certains fortement alcoolisés et un pourcentage, non négligeable, sous l’empire de narcotiques. Vous n’ignorez pas que cet échantillon de la population traîne une détestable réputation quant à l’usage et au trafic de stupéfiants. Vous imaginez un peu ce que cela va donner… Il y aura de la musique en permanence, « du son » comme ils disent. Des champs en bordure de l’espace imparti ont été réquisitionnés pour recevoir tentes de camping et bivouacs de toutes sortes. Les pompiers et la Croix-Rouge seront présents, des douaniers aidés de chiens patrouilleront à la recherche de produits illicites… Enfin, bon, c’est une grosse, une très grosse organisation ! En quelque sorte, c’est le Woodstock du troisième millénaire, avec ce que cela engendre comme difficultés. Aussi mon adjoint, le capitaine Balandier, et moi-même serons-nous sur la brèche, sur le site ou à proximité, quasiment tout le temps. Il vous appartiendra de faire tourner la boutique pendant ce temps et de traiter les affaires courantes. Vous pourrez compter sur Houssay, Piron et Sidoine pour vous épauler et simplifier vos déplacements dans la ville.

— Entendu.

— Les avez-vous rencontrés ?

— Oui, nous avons été présentés lorsque le capitaine Balandier m’a fait découvrir les locaux.

— Bien. Vous verrez, Nantes est une ville dont la réputation quant à la douceur de vivre et la qualité de vie n’est pas usurpée. Si dans le Finistère vous n’avez pas souvent de grosses affaires, ici de même les homicides sont rares.

Il pioche une carte de visite dans la poche intérieure de sa veste couleur moutarde.

— Tenez : en cas de souci, vous pourrez me joindre à l’un de ces numéros.

— Merci Patron !

— Il n’y a pas de patron ici, Maxime. Donnez-moi plutôt du Jules, vous dis-je. Je formule le souhait que votre passage parmi nous soit aussi paisible que le cours de la Loire en cette saison.

— Je le souhaite également, cependant on affirme que ce fleuve se révèle dangereux lorsque les pluies viennent augmenter son débit…

— Efforcez-vous quoi qu’il arrive de garder la tête hors de l’eau. Mais ne craignez rien, je ne vous laisserai pas vous noyer. Au pire, je vous lancerai une bouée de sauvetage…

*

Le capitaine Éric Balandier a rangé la surface de son bureau afin que je ne me sente pas malvenu. Une photo d’enfants, une fille et un garçon dont la chute des dents de lait a clairsemé les mâchoires, apporte une touche d’humanité à la rigueur administrative des lieux : travertin digne d’une salle des pas perdus, peinture murale terne, mobilier fabriqué en série. Il est prévu que nous nous partagions l’espace jusqu’à ce que la rave commence, quand Balandier et Jules Pernault installeront leurs quartiers sur le site du festival, au nord de la ville. Pour l’heure, il est occupé à classer des documents.

— Alors, comment tu trouves le “Vieux” ? demande-t-il lorsque je passe le seuil.

— Il est sympa. Je pense même que ce doit être un brave type, pas trop chiant du moment que chacun fait son boulot.

— Ce n’est pas le mauvais cheval, Jules. Derrière ses manières un tantinet précieuses, il cache une bonhomie qui le rend proche de ses hommes.

Il se lève et étire son mètre quatre-vingt-cinq.

— T’es partant pour un caoua ?

— Pourquoi pas. C’est où ?

— Suis-moi, c’est par là.

Au fond d’un couloir en cul-de-sac, une petite salle fait office de salle de repos, cafétéria, magasin de stockage pour le petit matériel de bureau et vestiaire. Elle est équipée d’un distributeur de boissons chaudes, d’un autre de boissons froides, d’une cafetière électrique, d’un four à micro-ondes et d’un évier. Les distributeurs rendent la monnaie, ce qui est pratique car on n’a jamais, ou très rarement, l’appoint. Nos cafés machine à la main, car la cafetière est à sec, il me dirige vers le bureau des personnes sur qui je pourrai compter en cas de coup dur. Les yeux rivés sur l’écran de leur ordinateur, nul ne fait attention à nous. La voix de Balandier signale notre présence :

— Quel silence ! On entendrait une mouche voler.

— Ce serait le comble, un vol dans un commissariat !

Le brigadier-chef Bertrand Piron, l’auteur de ce trait d’humour, est un solide quinquagénaire. Lors de notre première entrevue ce matin, il m’a raconté son cursus : après vingt années de police-secours, il a suivi une formation de six mois à Bruz, près de Rennes, et est devenu OPJ, officier de police judiciaire. De ses cheveux bruns légèrement bouclés, il ne reste plus que de rares mèches au milieu d’une épaisse touffe poivre et sel. À son lobe d’oreille gauche, un anneau doré brille dans le soleil qui pénètre par la fenêtre.

— Qui fait quoi ? demande Balandier.

— Je suis sur le vol de carburant à la station-service, renseigne Piron.

— Moi, fait le brigadier Laurent Houssay en se grattant la nuque, je reprends les témoignages dans l’affaire du camping. Il y a quelque chose qui ne colle pas.

La trentaine bien sonnée, il a la tête rasée. D’épais sourcils confèrent à son visage une dureté qui en impose. J’imagine que, lors des arrestations ou des interrogatoires, son physique conditionne le comportement de ses vis-à-vis, les amenant à modérer leurs réactions ou à cracher le morceau plus rapidement.

— Et moi, j’espérais terminer mon rapport sur le cambriolage de la pharmacie, mais j’ai un détail à aller vérifier sur place avant de mettre la touche finale.

Fraîchement sortie de l’école de police de Cannes-Écluse, le lieutenant Gwenaëlle Sidoine est l’élément le plus jeune de l’équipe.

Lors de notre prise de contact à huit heures ce matin, elle m’a dit avoir vingt-huit ans et être célibataire, contrairement à ses collègues qui ont conjoint et enfants.

Le teint hâlé par des loisirs au grand air, élancée, cette sportive a un corps que je devine superbe sous le jean délavé et le t-shirt blanc sous lequel deux pointes hardies annoncent du 95 C. Elle n’est pas maquillée, n’en a pas besoin pour être belle.

— Tu y vas quand, Gwen ?

— Dans quelques minutes. Pourquoi ?

En disant cela, elle rejette une mèche de ses cheveux châtain derrière son oreille droite, dans un geste que j’apparente à un tic puisque cela ne me semblait pas nécessaire.

— Tu pourrais peut-être emmener Maxime avec toi. Ça lui donnerait un aperçu de la ville…

S’adressant à moi, le jeune lieutenant questionne d’un air étonné :

— Tu ne connais pas la ville ? Tu n’es jamais venu à Nantes ?

— Si, bien sûr. Disons simplement que je connais les principales rues, mais je ne me repère pas suffisamment pour ne pas m’y perdre.

— Voilà une occasion de parcourir la ville ! conclut le capitaine Balandier. Max, tu restes avec Gwen ? Elle est née à Nantes, elle te servira de guide.

— Ça marche pour moi. Le temps de prendre ma veste et je suis prêt.

— Je prépare mon matos et on se retrouve en bas, lance la jeune femme dans un sourire.

De retour dans le bureau de Balandier, celui-ci saisit également sa veste et nous descendons ensemble au rez-de-chaussée.

— Et toi, tu fais quoi ? demandé-je.

— Les gars de service pour la semaine de rave ont une formation complémentaire de BDP2 aujourd’hui. Je vais aller voir comment ça se passe.

— OK. À plus.

Le commissariat central est installé Place Waldeck Rousseau. Un œil sur la circulation incessante, puis j’attends que Sidoine me rejoigne. Quand elle arrive quelques instants plus tard, son premier réflexe en sortant de la grande maison est de sortir une clope de son paquet et de se la planter entre les lèvres. Avant de l’allumer, elle questionne :

— Je peux ? J’ai envie d’en griller une.

— Vas-y. On n’est pas à deux minutes près.

Un briquet publicitaire dispense sa flamme. La première bouffée de tabac dessine un sourire sur son visage aux traits volontaires et déterminés malgré une féminité qui ne se dément pas.

— On a beau savoir que c’est du poison, fait-elle avant de téter à nouveau le filtre à bout doré, c’est quand même du bonheur.

— Ils ont tout compris, les industriels de la cigarette. Quelques agents de saveur et le tour est joué : bonjour la dépendance !

— Oh, je ne suis pas dépendante ! Si je veux, je sais que je peux m’arrêter du jour au lendemain. J’ai assez de volonté pour ça.

— J’en connais d’autres qui ont tenu le même discours…

— Je n’aime pas trop ta manière de dire ça, dit-elle en durcissant le regard. Tu doutes de ma volonté ?

— L’essentiel n’est pas que je doute ou non de ta volonté. L’important, c’est que toi, tu sois persuadée que tu peux arrêter à ta guise. Mais je te le répète, beaucoup ont dit la même chose avant toi mais n’ont jamais tenu leur engagement.

— On fait un pari ? propose-t-elle en présentant le plat de sa main. Tiens, je te parie que j’arrête d’ici… d’ici après-demain. D’accord, Maxime ? À partir de mercredi, je ne fume plus.

— Je tiens le pari ! dis-je en topant sa paluche. Ce sera avec plaisir que je le perdrai.

— Attends, il faut une mise. Allez, une tournée d’apéros ?

À sa place, une majorité de femmes auraient choisi un autre enjeu, une pâtisserie par exemple. Ça m’amuse, ce côté garçon manqué qui ajoute à son charme. Elle balance son mégot d’une pichenette et, comme à l’ancienne quand un paysan et un acheteur s’étaient mis d’accord sur le prix d’une vache ou d’un cheval, frappe à nouveau ma main pour sceller notre accord.

En quittant Waldeck Rousseau dans une 206 blanche on ne peut plus banale, elle garde le silence quelques secondes avant de jouer au guide Michelin au gré du parcours :

— La rivière, sur ta droite, c’est l’Erdre. Au milieu, c’est l’île de Versailles.

— De Versailles ? Le Roi Soleil serait-il venu à Nantes ?

— C’est tout simplement le nom du quai, sur l’autre rive. L’île est un ancien marécage qui a bénéficié de remblai lors de travaux sur le canal de Nantes à Brest. C’est un but de promenade très prisé.

Elle est amoureuse de sa ville, Gwen. Il suffit de voir avec quelle délectation elle prononce les noms des rues et bâtiments administratifs ou religieux pour le comprendre. Je la soupçonne d’ailleurs de faire quelques détours pour me montrer la préfecture, l’Hôtel de Ville, la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, le château des Ducs de Bretagne, l’église Sainte Croix… Comme les taxis parisiens qui ont la fâcheuse réputation de profiter de la confiance de leurs clients pour allonger les courses, et par là leur bénéfice, elle me gratifie d’un itinéraire bis. Ceci n’est pas pour me déplaire.

Enfin, elle se gare dans une rue dont je n’ai pas noté le nom. Je sais seulement que nous sommes en plein centre-ville. Elle arrête le moteur, enclenche les warnings et m’impose :

— Vaut mieux que tu m’attendes ici, je suis mal garée. Je n’en ai pas pour longtemps, je vais à pied jusqu’à la pharmacie, un peu plus loin par là, rue des Halles.

Pendant que Gwen se dirige vers l’officine avec son ordinateur portable afin de recueillir des réponses aux questions qu’elle se pose, je reste à côté de la voiture dont l’arrière dépasse sur le couloir de circulation, et attarde mon regard sur les quidams qui flânent. Des teufeurs sont déjà arrivés sur l’agglomération nantaise, en avance de deux journées sur le grand rassemblement qui s’annonce. Dans l’ensemble, ils paraissent crados dans leurs tenues généralement kaki. La plupart portent une casquette que je ne me poserais pas sur la tête de peur de me salir les cheveux. Les sacs à dos ne sont pas très gros, si on considère qu’ils comportent vraisemblablement un sac de couchage. Tout au plus une tenue de rechange. C’est peu pour tout un festival… J’ai dans l’idée que le “Flower power” se souciait plus d’hygiène… Les filles, elles non plus, ne sont pas très clean. Elles accordent plus de fantaisie aux coloris de leurs vêtements, mais tout ça n’est cependant pas très attirant. Il ne s’en faudrait pas de beaucoup pourtant pour qu’en s’arrangeant, elles deviennent, pour certaines, de véritables beautés.

Deux couples de retraités croisent un groupe d’une dizaine de teufeurs et échangent à voix basse leurs impressions. Les femmes secouent la tête, alors que leurs époux rigolent doucement. Lorsqu’ils passent à côté de moi, j’entends un papy dire à son copain :

— Si on les obligeait à mettre un treillis et des rangers, ils feraient tout pour se soustraire au service militaire. Ah, dommage que ça n’existe plus ! J’te les aurais matés, moi, ces p’tits cons !

S’apercevant que j’ai capté ses paroles, le septuagénaire dresse le menton dans l’espoir de recevoir mon assentiment.

Ne voulant pas entrer dans ce débat, je me contente de sourire en haussant les épaules et écartant les mains, et porte mon regard sur la vitrine d’une boulangerie. À côté d’une affiche annonçant le festival de musique techno, une autre affiche signale un concert sous chapiteau des célèbres Tri Yann. La date est passée de plus d’un mois, mais l’affiche est toujours en place. Originaires de Nantes, les musiciens sont domiciliés sur la ville ou les communes alentour, et sont la fierté de nombre d’habitants. J’ai eu l’occasion de les rencontrer il y a peu, tous au grand complet, régisseur, attachée de presse et techniciens compris, et j’en garde en excellent souvenir3.

Lorsque Gwen revient de la pharmacie, je devine à sa mine radieuse que sa visite est couronnée de succès. Elle place son ordinateur portable dans le coffre, va pour cueillir une cigarette dans son paquet puis se ravise en m’annonçant :

— Voilà une bonne chose de faite ! Je vais pouvoir faire avancer le dossier.

*

Avec le commandant Pernault et le capitaine Balandier, nous consacrons une partie de l’après-midi à faire le point sur les dossiers en cours, puis je répercute les ordres à Piron, Sidoine et Houssay. Après seize heures, c’est Yves Perrot qui vient me chercher pour me faire visiter son bureau de la PJ. Yves et moi, on se connaît depuis Cannes-Écluse, l’école des officiers de police. Lorsque je lui ai appris que je venais momentanément grossir les rangs de la police nantaise, il s’est empressé de me proposer gîte et couvert le temps de mon séjour. Ils n’ont pas d’enfant, au grand désespoir de Lætitia, sa charmante épouse, bien que les chambres ne manquent pas dans la maison récemment acquise sur la commune de Thouaré-sur-Loire, à quelques kilomètres de Nantes. Murielle, mon amoureuse, n’est pas de service le week-end prochain à l’hôpital Laënnec de Quimper, et il est prévu qu’elle vienne nous rejoindre. Normalement, je ne devrais pas avoir trop de boulot, ce sera donc l’occasion de découvrir la cité des Ducs de Bretagne. Peut-être pousserons-nous le dimanche jusqu’à Saint-Nazaire ou Guérande…

Nous sommes en train de boire un café avec le commandant Marcel Perrin, chef de la PJ que j’ai rencontré lors de l’affaire des Tri Yann, quand une triste nouvelle tombe : le corps d’un enfant d’environ huit ans a été sorti de la Loire à la hauteur de l’île Forget. Les premières constatations indiquent qu’il a séjourné plusieurs jours dans l’eau. Curieusement, nulle disparition n’est signalée sur l’agglomération nantaise, ce qui nous laisse pantois. Aussitôt les hommes de la PJ sont sur les dents, épluchant la liste des disparitions au niveau national, passant nombre de coups de fil et vérifiant la moindre information pendant qu’une équipe composée de Perrin, Yves Perrot et trois autres hommes, se déplace sur les lieux en compagnie de techniciens de la Police Technique et Scientifique. Sur une carte murale, je repère l’île Forget, à l’est de l’île de Nantes, cette île qui divise la Loire en deux bras qui finissent par se rejoindre.

Comme orphelin après le départ de Perrin et Yves, je me sens étranger à l’effervescence qui s’est emparée de la PJ. Tellement étranger que je regagne le bureau de Balandier en traînant des pieds. Ici aussi les bureaux sont quasi déserts et ma présence n’est pas indispensable. Alors, je glandouille en consultant régulièrement ma tocante. N’y tenant plus, parce qu’il n’est pas dans mon habitude de tirer au flanc, je décide dès dix-sept heures trente de mettre le cap sur Thouaré-sur-Loire. Yves n’est pas revenu à son bureau, et il est prévisible que son retour n’est pas pour tout de suite.

*

C’est génial, le GPS. Il me suffit de taper l’adresse de mon pote pour que le kilométrage et une estimation du temps nécessaire pour s’y rendre apparaissent sur l’écran. Je n’ai plus qu’à me laisser guider, même si j’ai ma petite idée sur l’itinéraire. À Thouaré, en revanche, je suis condamné à faire confiance au GPS car, si je suis déjà venu une fois chez Lætitia et Yves, c’était dans la petite maison de Brains, sur la route touristique du vignoble nantais.

Lætitia est surprise de me voir arriver seul.

— Yves n’est pas avec toi ? demande-t-elle en m’embrassant.

— Je crois qu’il est loin d’avoir terminé sa journée. Avec ses collègues, ils sont sur une grosse affaire.

— Oh, le pauvre ! Il va encore rentrer tard.

J’objecterais bien que ça ne me dérangerait pas de rejoindre le bercail à plus d’heure si le boulot en valait la peine. Si j’avais le choix entre une enquête intéressante et un quotidien banal, je n’hésiterais pas longtemps !

1. Commission Administrative Paritaire.

2. Bâton de Défense à Poignée latérale, dit aussi “tonfa”.

3. Lire Tri Yann Tro Breizh, même auteur, même éditeur.

II

La matinée du mardi est d’un ennui tel que je me demande ce que je suis venu faire dans cette galère. Leur présence n’étant pas nécessaire sur le site tant que le festival n’a pas commencé, le commandant Jules Pernault et le capitaine Éric Balandier occupent leurs bureaux respectifs. De leur côté, le lieutenant Gwenaëlle Sidoine, le brigadier Laurent Houssay et le brigadier-chef Bertrand Piron planchent sur les affaires dont ils sont chargés. Il s’agit de menus larcins déjà élucidés dont il faut maintenant clore les dossiers en y joignant les procès-verbaux avant de les transmettre au barreau.

Yves Perrot est rentré tard hier soir. Avec Lætitia, on l’a attendu longtemps en discutant avant de se mettre à table. De guerre lasse, nous avons mangé avant de nous abrutir l’esprit devant la télévision pour une série aussi absurde qu’irréaliste. Seule la flemme nous retenait d’attraper la télécommande pour changer de chaîne ou d’aller nous coucher. L’arrivée d’Yves a servi de détonateur, nous arrachant de la profondeur qui d’un fauteuil qui d’un canapé, pour aller nous asseoir à table avec lui. Il ne s’est pas appesanti sur la découverte du corps du petit garçon, nous en épargnant les détails pour ne pas ruiner la soirée voire la nuit de son épouse, mais soulignant tout de même au passage qu’il était ligoté. Dès lors, l’assassinat était évident. Après, la discussion a vite dérapé vers des banalités et le plaisir de nous voir.

À midi, à mon coup de téléphone pour aller déjeuner, on me répond qu’Yves Perrot n’est pas disponible car il est retenu pour l’autopsie du corps du petit noyé. Mes collègues n’ayant pas terminé leur turbin ou rentrant chez eux pour déjeuner, c’est seul que je sors du commissariat pour aller avaler un morceau dans un snack du centre.

Un faux-filet frites, un quart de vin et un café plus tard, j’erre dans les rues, l’âme en peine, me demandant si je ne vais pas sauter dans ma bagnole et me tirer chez moi. Ça fait un jour et demi que je suis là, et je ne me sens pas à ma place. Hier soir, j’éprouvais une gêne à dîner en tête-à-tête avec Lætitia, et aujourd’hui la monotonie du travail et l’inaction me pèsent. En plus, Murielle me manque. Soit, je lui ai parlé au téléphone, mais ce n’est pas pareil. Ce n’est pas comme la voir, la sentir, la toucher, entendre sa respiration…

Je me sens plus animal que jamais, soucieux de faire jouer mes sens. Attention, Maxime, à ne pas virer bête sauvage !

Comme il est encore trop tôt pour rallier le commissariat, ou parce que je me cherche un prétexte pour ne pas y retourner me tourner les pouces, je vais me poser à la terrasse d’un bar. Le pittoresque de la vue sur la Loire vaut largement le bureau de Balandier et les sourires ébréchés de ses rejetons sur la photo. L’arrière-saison est belle, ce qui explique que la quasi-totalité des tables sont prises d’assaut. Mes voisins, deux quadras, parlent du début de championnat du Football Club de Nantes Atlantique. À les entendre, les Canaris – qui doivent leur surnom au jaune et au vert de leur maillot – sont bien partis cette fois. Trois victoires et un match nul d’affilée, soit dix points en quatre matchs, il y a longtemps qu’on n’avait vu ça. Un peu plus loin, plusieurs jeunes femmes sont attablées. J’ignore leur sujet de conversation, mais de grands éclats de rire ponctuent chaque phrase. À toutes les tables, les visages sont détendus, empreints d’une grande sérénité. Le bien-être et la douceur de vivre sont réels, palpables. J’ai franchement l’impression de faire tache au milieu de la félicité ambiante. L’ennui de mon travail – de mon inaction serait plus correct – déteint sur mon état d’esprit. Le pire est que je ne vois rien qui soit susceptible de m’apporter un minimum de satisfaction. J’en viens à regretter d’être venu traîner mes savates sur les bords de Loire. En fait, je crois que je suis jaloux de mon pote Yves. Je sais que ça ne se fait pas, mais c’est plus fort que moi. Je n’arrive pas à encaisser qu’il s’éclate dans son job alors que moi je m’ennuie ferme.

Coup de blues, j’appellerais bien Murielle si je ne la savais au boulot. Je me fais l’effet d’un solitaire, un ours à qui personne ne parle, que tout le monde évite… Je sais bien qu’il n’en est rien, que chacun est emporté par le tourbillon de sa vie ou de son taf, mais c’est difficile que de s’en faire une raison.

« Max, il faut que tu te ressaisisses avant de virer parano ! Tu vas finir maboule à broyer du noir comme ça ! »

Déjà, je suis sur pied et règle ma consommation avant de me diriger d’un bon pas vers l’hôtel de police.

*

Malheureusement, le début de l’après-midi est du même tonneau que la matinée. Me croisant dans le couloir alors que je reviens du distributeur de boissons, le commandant Jules Pernault m’apostrophe :

— Comment allez-vous, Maxime ? Vous ne semblez pas dans votre assiette…

— Pour tout vous dire, Patron, je tourne en rond. Je me sens totalement inutile.

— Allons, ne dites pas cela. Pour l’instant, nous sommes encore là, Balandier et moi, mais dès demain, il vous appartiendra de nous suppléer. Il vous faut patienter. Profitez donc de ce répit pour agir à votre guise. Vous n’avez personne sur le dos et n’avez aucun compte à rendre, alors occupez-vous. Baladez-vous, visitez, promenez-vous ! Je ferme les yeux sur votre emploi du temps pour l’après-midi, et si quelqu’un vous questionne, répondez que je vous ai chargé d’une mission en dehors de nos murs.

Tu parles d’un patron ! Il est le premier à m’encourager à ne rien foutre. Celle-là, on ne me l’avait jamais faite.

Mais bon, si j’ai sa bénédiction… Un coup d’œil vers la fenêtre m’assure que le soleil est de la partie, alors pourquoi rester enfermé ?

— Attendez, fait Pernault en fouillant dans son portefeuille.

Il en extrait un petit ticket qu’il m’offre dans un sourire.

— Vous verrez, vous ne regretterez pas le voyage ! Et ce sera moins fatigant qu’à pied ou en vélo.

*

Un moyen de locomotion génial pour se déplacer dans Nantes, c’est le tramway. J’ai lu quelque part que c’est cette ville qui fut la première en France à en être équipée, les premières machines fonctionnant à l’air comprimé.

Je passe l’après-midi à me balader d’une station à une autre. Lorsque les lieux m’inspirent, je descends et me promène. Je sillonne ainsi la ville, devenant presque incollable sur les noms des stations. De belles images plein les yeux, je reviens à Waldeck Rousseau peu après dix-huit heures. Croisant Yves par hasard près de l’accueil, nous prenons ensemble la direction de Thouaré sans que je ne remonte au bureau.

III

Ce mercredi matin marque un tournant dans mon séjour au commissariat de la place Waldeck Rousseau. Désormais, j’occupe seul le bureau du capitaine Éric Balandier, et j’assume le poste de responsable. En réalité, je dispose d’un effectif réduit, du fait de la rave qui mobilise un maximum de personnel de tous grades. D’un côté, ce n’est pas plus mal, car il n’y a pas bésef de boulot. Pas facile de partager le peu qu’il y a.

Je suis en train de me demander ce que je vais faire de ma journée, hésitant pour l’instant entre une partie de réussite et la lecture du journal local, quand le téléphone sonne :

— Un appel pour vous, Capitaine. Une seconde puis je reconnais l’organe de mon copain Yves.

— C’est moi, Max. On a du taf par-dessus la tête, et je ne sais pas si je serai disponible pour déjeuner à midi. Mieux vaut que tu ne comptes pas sur moi.

— C’est au sujet de l’histoire du gosse ? Vous avez appris du positif ?

— Dans cette affaire-là, non, pas pour l’instant. Mais dans le même temps, on vient de nous signaler un double homicide à Couëron. Un témoin a découvert deux corps dans une voiture, près des marais. On est tous sur la brèche.

— Ça n’embauche pas, chez vous ? Je me fais chier comme un rat mort ici alors que vous vous croulez sous le turbin.

— Si cela ne tenait qu’à moi… Mais bon, ne désespère pas… À plus, Max.

— Salut Yves.

Entre l’identification et les circonstances du décès du petit garçon noyé, et maintenant un double homicide, les gars de la PJ n’ont pas de quoi chômer. Quelque part, je ne peux m’empêcher de les envier. Occultant l’aspect indéniablement sordide de ces événements, je me verrais bien mener une enquête. À moi aussi, il me plairait de démêler un écheveau. À cran, je retourne d’un geste exaspéré mais contrôlé la photo des sourires ébréchés de la descendance de Balandier.

L’entrée de Gwenaëlle Sidoine dans mon espace vital apporte une diversion. Plus belle que jamais, elle est vêtue d’une jupe en denim noire et d’un bustier couleur crème en coton sur lequel elle a passé une légère veste noire. Elle ne s’est pas maquillée ce matin non plus, mais a retenu ses cheveux d’un serre-tête lui aussi crème.

Elle pose à un angle du bureau un dossier refermé par une sangle et annonce :

— L’affaire de la pharmacie est enfin close. Au fait, tu n’étais pas là hier après-midi, donc tu n’es au courant de rien.

— Au courant de quoi ?

— Une autre pharmacie s’est fait braquer, hier en début d’après-midi. Les empreintes digitales relevées sur place et le portrait-robot de la pharmacienne nous ont menés à un toxico hyperconnu sur Nantes. On a transmis son signalement aux patrouilles et il s’est fait serrer hier soir du côté de la gare. Il a d’abord nié, mais il a fini par reconnaître les faits. Dans la foulée, il a aussi avoué le cambriolage de la pharmacie de la rue des Halles. Tout est dans le dossier, si tu veux le lire avant que ça parte au parquet…

— Pourquoi pas, dès que j’aurai quelques minutes. Ce qu’il ne faut pas dire pour se donner une contenance, alors que j’ai du temps à ne plus savoir qu’en faire ! Intérieurement, je bous. Pour une fois qu’il y avait un peu d’action, j’étais absent.

— Tu vas faire quoi, là maintenant ? questionné-je en prenant un air absorbé.

— Comme tu étais en ligne, l’agent de l’accueil m’a parlé d’un appel au sujet d’une jeune femme que ses parents n’arrivent pas à joindre depuis deux jours. Ils sont inquiets et, comme ils habitent à l’autre bout de la France, du côté d’Aubagne, je crois, ils demandent à ce que l’on se rende chez elle. Je pensais faire un saut jusqu’à son appartement voir de quoi il retourne. Tu m’accompagnes ?

— Hum… Allons-y. Le reste peut attendre. Je choisis le siège passager, laissant à Gwen le soin de driver la 206 banalisée dans une ville qu’elle connaît sur le bout des doigts. Sa jupe, comme toutes les jupes, a la bonne idée de remonter lorsque la femme qui la porte s’assoit. Elle a de belles jambes, Gwen, magnifiquement fuselées et dorées à point, ce qui est normal au sortir de l’été. En manque de Murielle depuis bientôt trois jours, j’ai intérêt à tourner la tête et à penser à quelque chose de triste, sinon je ne réponds plus de rien, d’autant plus que son bustier légèrement détendu est une invitation à l’œillade. Elle s’est habillée de manière plus féminine qu’hier et avant-hier, mais elle n’a pas pour cela l’encombrant sac à main de ses congénères. D’une poche de sa veste se dessine la forme d’un paquet de cigarettes, et l’autre poche doit contenir une pièce d’identité et son portable. Strict minimum.

— Elle habite dans quel quartier, la petite ?

— Boulevard Albert Thomas, répond Gwen en rejetant une mèche de cheveux derrière l’oreille, comme elle le fait souvent. C’est à l’ouest de la ville, à côté du parc de Procé. On y sera dans quelques minutes.

— Parle-moi un peu d’elle…

— Julie Sénéchal a vingt-deux ans. Elle bosse pour une boîte de la région depuis deux mois en tant que technico-commerciale.

Tout au long du trajet, elle mêle l’utile à l’agréable en m’indiquant les monuments ou les principaux axes empruntés. De temps à autre, elle lâche une grossièreté, quand la manière de conduire des autres automobilistes ne lui plaît pas. Quiconque ne la connaît pas ne supposerait jamais qu’une belle fille dans son genre possède un tel vocabulaire. Quelques minutes plus tard, nous sommes Boulevard Albert Thomas, devant un immeuble de bon standing sans être cossu.

— Si j’ai bien compris, elle loge au troisième et dernier étage. T’as vu, il y a deux cages d’escalier mais aucune n’a de numéro. À ton avis, Maxime, c’est laquelle la bonne ?

— Aucune idée. Comment veux-tu que je le devine.

— Je te parie que c’est celle de droite. On joue un euro là-dessus ?

— C’est quoi, cette manie que tu as de parier sur tout et n’importe quoi ?

— C’est comme ça, se défend-elle, c’est un petit jeu auquel je jouais déjà toute petite avec mes trois frères. Si t’es d’accord, on parie, et le gagnant ramasse la mise. Alors, tu joues ou quoi ?

— T’es une gosse ! Allez, un euro sur la porte de gauche. Mais c’est bien pour te faire plaisir.

Selon le rite établi, on se tope la main. Guillerette, elle va consulter les boîtes à lettres de la porte de droite. Dix secondes plus tard, elle ressort sans tendre un pouce vainqueur. Un euro pour moi, un ! Alors qu’elle fouille dans le porte-monnaie qu’elle dissimule dans une poche intérieure de sa veste en toile, je me dirige vers la porte de gauche. Problème, ici non plus il n’y a pas de boîte au nom de Julie Sénéchal.

— Range ton blé, dis-je à Gwen lorsqu’elle me tend sa pièce d’un euro. Il n’y a pas de gagnant.

À son tour, elle va s’attarder sur les noms puis se tourne vers moi :

— Attends, je vais appeler le poste et demander à ce qu’on contacte les parents. Il a dû y avoir confusion dans l’adresse…

Privilège de la jeunesse ajouté à des pratiques sportives, elle est déjà loin.

Le temps qu’elle s’assure de l’information, je lève la tête vers les fenêtres. Partout les volets sont ouverts, sans exception. Une moue sur les lèvres, Gwen me fait signe de la rejoindre.

— Tu parles d’une embrouille ! Celton est le nom de ses parents adoptifs, mais pour l’état civil, la jeune femme est bel et bien née Sénéchal.

— Ça ne change pas grand-chose, il n’y a pas non plus de Celton sur les boîtes aux lettres.

— Pas côté gauche, mais côté droit il y a un J Celton. Tu me dois un euro !

Elle ne perd pas le nord !

— Je pourrais protester en argumentant que le pari est faussé, mais je serai beau joueur. Tiens ! Ce qui m’intéresse le plus, c’est de savoir pourquoi elle n’a pas mis son nom sur la boîte mais celui de ses parents adoptifs.

— Peut-être que ce sont eux qui paient le loyer, dit-elle en glissant ma pièce dans son porte-monnaie.

— Peut-être, oui. Je ne vois que ça comme explication.

Il y a un ascenseur, mais nous optons pour l’escalier. Il est large, ce qui est bien pratique lors d’un déménagement.

Direction le troisième étage. Sur la sonnette, il est également écrit J Celton. Nulle réponse ne faisant écho à notre coup de sonnette, Gwen en envoie un deuxième, par acquit de conscience, mais il semble bien que Julie Sénéchal ne soit pas chez elle. Nous redescendons par le même chemin.

Alors que nous marchons vers la 206 du service, il me vient une idée en regardant le parking occupé par quelques voitures :