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Elle, c’est une jeune étudiante Afropéenne de 3e Cycle, chercheuse en Histoire des Idées. Lui, un ex-universitaire, mais aussi un artiste martial médaillé, avide lecteur et apprenti écrivain-philosophe, devenu un ermite qui, un jour, aurait apparemment échoué sur « le Continent ». Dans une autre vie, en effet, il était expert en Études Culturelles et Sciences de L’Éducation ; ses travaux tournaient autour de questions telles que : peut-on se remettre d’une éducation scolaire abrutissante ? L’explication et l’instruction ne sont-elles pas qu’une pathologie ou une drogue nocive à l’élève ? Est-il nécessaire d’entourer l’enfant de garde-fous aptes à l’empêcher d’être un(e) abruti(e) ? Ou tout simplement, peut-on guérir de son enfance ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Saer Maty Ba a enseigné la Littérature, le Cinéma, et les Études Culturelles pendant une vingtaine d’années au Royaume-Uni. Il aime les voyages, la philosophie, les cultures du monde noir et les arts martiaux. Auteur d’un récit,
Prothèses poussiéreuses : Le Continent au cinéma en 2019, Éditions Sydney Laurent,
Le serment du maître ignorant est son premier roman.
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Saer Maty Ba
Le serment du maître ignorant
Roman
© Lys Bleu Éditions – Saer Maty Ba
ISBN : 979-10-377-0740-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
« Le lieu dénommé école ne pouvait en fait répondre aux questions principales (…). »
Orhan Pamuk, Istanbul.
« (…) je me suis annoncé comme un ignorant. »
Voltaire, Le Philosophe ignorant.
« L’abrutissement (… :) effroi devant la liberté. »
Jacques Rancière, Le Maître Ignorant.
« Personne ne savait quoique ce soit de substantiel sur moi dans ces deux mondes ».
Guchi, Prothèses poussiéreuses.
À mes « Maîtres-ses », plus particulièrement : mes très chers parents (MMB et ATB), Mandiaye Insa Bâ, Arona Camara, Charles Ndiaye, Jo Niang, Louis Ndiaye, Mme Fall, Mr Sarr, Melle Camara, Djibi Sonko, Paul, David Lloyd, Djibril Seck, Ousmane Sène, Mactar Bâ, Susan Hayward, Phil Nichols, Richard Bradbury, Robin Whale, ainsi que toutes celles et tous ceux chez qui j’ai appris et/ou continue d’apprendre : MERCI !
À la mémoire de mes chers amis, Babacar « chef vénéré » Ndiaye, et Abdou-Khadr « Jeyli » Sylla, deux Matières Grises parties beaucoup trop tôt : j’aurais tant aimé partager avec vous la conception et le processus d’écriture de ce roman ! RIP.
Un Aller…
Que des rumeurs opaques ?
Parti au pays des tubaab (blancs) par les airs, dont on ne sait où, l’homme en revînt par les eaux salées, on raconte. Qu’il fut largué par le bateau d’un de ses amis tubaab, battant pavillon quelconque, près de l’île inhabitée de Sarpan-nul, située au sud-ouest de ce pays côtier de l’ouest du Continent où il réside présentement. Une fois sur l’île, à l’aide de matériaux ramenés dans un raft de sauvetage, il aurait construit un cabanon de fortune, aurait vécu de ses provisions durant quelque temps (des semaines ou des mois, personne ne savait vraiment), puis débarqua un beau matin sur cette côte ouest rocailleuse, adjacente à Sarpan-nul, on raconte. Que personne ne l’a vraiment vu s’installer sur ladite côte ; on l’aurait juste trouvé là, tôt le matin d’un jour ordinaire, devant un baraquement qu’on avait cru être abandonné, assis sur une chaise de fortune, en bois, à lire un livre. Toujours selon des racontars, c’est une famille de pêcheurs, rentrant d’une nuit de pêche, qui l’aurait remarqué en premier, vers sept heures du matin ; il les aida à amarrer leur embarcation, à la vider de sa cargaison ; ils lui auraient fait cadeau d’un petit panier de poissons ; il en aurait cuit une partie au feu de bois, offert le reste aux enfants qui erraient dans les parages, certains à longueur de journée, on raconte. Que cet homme-là, un lecteur apparu d’on ne savait où, est un pratiquant assidu de ce qui ressemble à un mélange d’Arts Martiaux et de Close Combat ; des pêcheurs, encore eux, l’auraient vu plusieurs fois s’entraîner tôt le matin, ce qui, selon d’autres rumeurs, était faux car l’homme aurait plutôt l’habitude de s’entraîner en pleine nuit.
Dans les semaines qui suivirent la « découverte » de cet homme, un métis aux yeux bridés, solitaire et mystérieux pour certains locaux, les habitants du village de pêcheurs voisin auraient remarqué un va-et-vient presque incessant de tubaab, venus rendre visite à cet homme qui, récemment, a commencé à sembler for-accueillant et sociable à ces mêmes habitants. À travers ces visites de tubaab étrangers, les villageois apprirent, certainement par le biais de leurs enfants scolarisés, que cet homme parlait quatre langues de blanc, auxquelles s’ajoutaient deux langues locales (on l’aurait entendu les parler, parfaitement), et ils en étaient stupéfaits, par avance ravis de pouvoir un jour échanger avec lui. Ainsi, seul le quotidien du temps présent de cet homme pourrait être conté avec certitude ; d’où le fait que, pour ce récit, un axiome de départ ou hypothétique feuille de route devra être proposé, il le sera plus loin et, peut-être bien, se laissera vérifier. En attendant, le quotidien du temps présent de cet homme semble démontrer qu’il tente de passer le temps, de le faire passer ou même de l’évacuer, parce que ses journées sont faites de lectures et baignades dans l’océan, entrecoupées de deux visites rendues au chef et à la matriarche du village de pêcheurs. L’homme semble être respectueux des coutumes locales, mais avait-il connu ces deux figures coutumières dans un passé lointain ? De coutume, au cours de ces visites, l’homme fait aussi un détour par la Grand-Place dit « des jeunes », un grand arbre à ombrage géant et sous lequel des jeunes et moins jeunes passent les trois quarts de la journée, à essayer de tuer le temps (savent-ils seulement que le temps est indéniablement immortel ?). Sur cette place, l’homme initie certains de ces jeunes aux échecs, un jeu de l’esprit plus utile pour eux que la loterie, le Pari Mutuel Urbain, les jeux de cartes ou même leur jeu de dames basique, pense-t-il, et indiscutablement préférable aux joints de marijuana ou pots de colle forte avec lesquels beaucoup d’entre eux se détruisent, en essayant d’échapper à la réalité. Bref.
Revenons à cet homme, pour dire qu’en fin de compte le mystère entourant ses passé et futur ne fait que s’accroître ; plus les villageois et d’autres habitants de la côte essaient d’en savoir sur lui, moins le puzzle Guchi, c’est son nom, enfin certains l’appellent ainsi, donne l’air de prendre forme correctement. Un beau jour, Guchi a mis fin au ballet de tubaab venus d’ailleurs, raconte-t-on dans une partie de la communauté de pêcheurs, communauté enceinte d’un grand monde qui semble certain de l’avoir entendu menacer « haut et fort » de régler son compte à tout tubaab qui viendrait le déranger pour une quelconque raison, surtout si c’est pour lui parler de livres qu’il aurait écrit et publié des décades auparavant. C’est ainsi que, paraît-il, l’on saurait que Guchi écrivait jadis, mais sur quoi et dans quelles disciplines, personne ne semble certain : rien d’autre que lumière aveuglante et trou noir ne règnent sur son rapport à l’écriture. Quid de son nom ? là aussi, que des rumeurs, semble-t-il, car, pendant que les uns disent qu’il porte un nom japonais, d’autres affirment qu’il est originaire de l’intérieur de ce pays côtier. Lui forger des origines, on veut. Les uns vont jusqu’à avancer le nom de H. Yamaguchi K. (surnom ? Sobriquet ?) pendant que d’autres se focalisent sur son phénotype, à savoir ses yeux bridés genre Khoi-San du Sud de ce Continent, ou de l’Est asiatique, son nez semi-épaté et son teint marron, issus d’un métissage entre « exotique » (leur terme) et Noir-e (encore, leur terme). Et ça continue : ses ancêtres noirs, originaires de ce Continent, où lui-même est né, y auraient résisté à la colonisation afrançoise, et sa mère au nom de famille hérité des Pharaons d’Égypte, à savoir « ba », qui signifie « force vitale » et « âme » en Égyptien ancien, lui aurait légué des liens culturels solides avec l’Égypte ancienne et la Nubie, même s’il faut préciser que tout ceci semble trop beau pour être vrai, spécialement lorsqu’il est question de produire une preuve quelconque des ascendances susdites, parce que des conjectures tendent à toujours prendre le dessus, notamment en ce qui concerne le nom de famille présumé de Guchi lui-même, qu’aucun villageois n’est peut-être en mesure de confirmer : « Kanazawa » ou « ba » ? That’s the question, c’est ça la question.
Il semble néanmoins clair que cet homme, dont on ne sait apparemment pas grand-chose, s’en amuse, accepte qu’on l’appelle « H », « Guchi », « Gaïndé », c’est-à-dire Lion, « l’homme G », ou « Guch’ » tout court (son surnom préféré). En fait on raconte tellement de choses à son sujet qu’il en est devenu invisible, non pas comme le personnage principal du chef-d’œuvre romanesque de Ralph Ellison, L’Homme invisible, ou encore à la manière d’un Bigger Thomas dans Enfant du pays, célèbre second roman de Richard N. Wright, tous deux étant invisibles parce que l’on refuse de les voir. Guchi, lui, est invisible parce qu’il s’est tellement bien mis en vue qu’il parvient à être opaque, à se voiler de nudité, c’est-à-dire, vêtu de son corps qui est mystère, il hypnotise le regard d’autrui en lui renvoyant des images aussi décalées et déformées et tronquées que celles du miroir de Mirror (1975), film culte d’Andrei Tarkovski. Oui, tout le monde semble en savoir tant sur lui que sa présence n’intrigue plus, sa visibilité même en est devenue opaque pendant que lui, le solitaire-bouquineur, ne confirme ni n’infirme quoique ce soit ; on pourrait même dire qu’il se contente d’égrener le temps, tel un moine Tibétain son chapelet, par le biais de la lecture, des programmes musicaux écoutés sur son poste radio pré digital, ou encore par le truchement de cette autre musique émanant des rainures de sa collection de disques vinyles, musique jouée sur une vieille chaîne Hi-Fi héritée, jadis, d’un oncle maternel tué par un terroriste. Lecture et musique, deux activités accroissant et perpétuant le mystère qui enveloppe Guchi comme une toge semi-transparente un corps sensuel. En effet, si l’on en croit d’opaques rumeurs, glanées çà et là et suspendues dans de l’éther, le peu qu’on puisse dire de ses choix de textes, écrits comme sonores, c’est qu’ils constituent un mélange on ne peut plus inhabituel, voire déroutant. Ainsi, question : que l’aurait-on vu lire ou tenir entre ses mains ? pour y répondre, allons chercher le diable dans les détails. Autrement dit, listons : 1Q84 (trilogie de Haruki Murakami), L’aventure ambiguë (Cheikh Hamidou Kane), Les Damnées de la terre (Frantz Fanon), L’Homme invisible, La Joie d’amour (Robert Misrahi), L’Étranger (Albert Camus), Le Manifeste du parti communiste (Karl Marx et Friedrich Engels), Nations nègres et culture (Cheikh Anta Diop), Le Maître ignorant (Jacques Rancière), Le Manuel du guerrier de la lumière (Paolo Coelho), ou encore Petit Bodiel (Amadou Hampathé Bâ). Les sons musicaux que l’on aurait entendu s’échapper de son baraquement ?« So, What? » (Jazz, Miles Davis), « Don’t believe the hype » (Rap, Public Enemy), « les colonies » (Rap, MC Solaar), « Gorée » (Zouk, Kassav »), « A Change Gonna Come » (Soul, Sam Cooke), « 9e Symphonie » (Classique, Beethoven), et « Bittersweet Melody » (Pop, The Verve). Écrit-il encore, à ses heures perdues ou trouvées ? Personne ne sait vraiment mais les plus hardies dans la communauté répondent par l’affirmatif, s’empressant d’ajouter des questions rhétoriques comme « autrement dit, pourquoi lire autant de livres ? à ce rythme ? Les dix cahiers entourés d’élastique qui sont toujours à ses côtés, cahiers qu’il lit par moments, ne les aurait-il pas écrits lui-même ? », etc. Bien sûr, Guchi pourrait bien être lecteur par simple et pur amour de la lecture, lire juste pour laisser passer le temps : pourquoi pas ? En revanche, une chose est certaine : la nuit il s’éclaire à la bougie, peut-être par manque d’argent, « mais sûrement pas ! », arguent en chuchotant certaines villageoises à l’imagination fertile et débordante, « cet homme est un solitaire, relativement jeune sportif, très viril (« ah ouais ?! », s’exclama une fois Guchi, en écoutant Daado Dècaff, dont nous ferons la connaissance plus loin, lui rapporter moqueusement les ragots de certaines commères du village dont il était la cible), un homme qui couche régulièrement avec des prostituées. Et, d’ailleurs, il faut bien sûr se rendre à l’évidence que le temps imparti à ces actes sexuels se mesure à l’aide d’une bougie allumée, serge qui fixe, détermine et chronomètre leurs nature et durée ; l’homme et ses prostituées s’y donnent à cœur joie, tels des singes bonobos, tous les soirs et des heures durant ». Après quoi, l’Homme G se lèverait tôt le matin, toujours, pour son entraînement d’Arts Martiaux suivi de baignade, visites de courtoisie, jeux d’échecs, lecture, musique, cours d’Anglais pour cette adolescente espiègle (Dècaff), et le soir (re) venu, séance de cuissage-marathon avec une ou plusieurs prostituées. Voilà ce que racontent les chuchoteuses hardies du village, au sujet des (soi-disant) exploits sexuels nocturnes de Guchi qui aurait pu ne rien en savoir, n’eût été les échos qui atteignaient son oreille par le truchement de Dècaff, à qui il finit par dire, rire-dans-voix-grave, « chère Dècaff, à partir d’aujourd’hui, épargne-moi de telles foutaises, s’il te plaît ! » Un retour sur tant de rumeurs opaques concernant Guchi s’impose, peut-être. En attendant, en tout cas, de bien entrer dans le récit qui le met en scène nécessite l’ébauche d’une feuille de route, d’un axiome…
Feuille de route ?
Or donc, voici l’axiome, l’hypothétique feuille de route, ou encore le postulat de ce récit en devenir : seul le quotidien du temps présent de la vie de Guchi, pourrait être pris comme une certitude, et conté, pendant que son futur, simple ou continu, n’est pas encore. Partant de là, à moins de spéculer sur son passé, ou de l’entendre en parler, il serait prudent de dire que Guchi serait dépourvu de tout mystère, enfin sauf un, peut-être : on ne sait pourquoi, les samedis, et seulement les samedis, il n’ouvre sa porte qu’après douze heures. Cet homme-là, une femme apparemment jeune (par la voix, audible) ose venir déranger un samedi matin et, jamais deux sans trois, avant midi : toc, toc, tooc.
— Doc-tor Yamaguu-chii, vous êtes là ? dit-elle, d’une voix hésitante mais déterminée, je suis venue de très loin pour m’entretenir avec vous. Un silence. Court. Au sujet de vos travaux.
— C’est quoi ce délire ? de quels travaux parle cette voix ? », marmonne Guchi, encore allongé sur son semblant de lit, avant de hurler « qu’est-ce qui vous fait croire que j’ai quelque chose à vous dire ? et puis, d’où est-ce que vous tenez ce sobriquet de Doc-tor Yamaguu-chii ?! » La jeune femme est tout de suite pétrifiée par cette voix rauque, aussi grave que celle de Barry White mais, note-t-elle mentalement, sans toutefois cette dose sensuelle de luuuuv (love, amour) propre au chanteur noir Américain, paradoxalement (ou pas) l’un des favoris de Ma », la mère de Guchi : si seulement la jeune femme, doctorante dans une université du faux-vieux continent, autrement connu sous le nom d’Europe, savait…
Elle avait lu les travaux de Guchi, écrits qui l’on intéressés pour des raisons qu’elle clarifiera sûrement, peut-être, mais toujours est-il qu’à la suite de ses recherches dans cinq pays, sur deux continents de tubaab, elle eût vent de l’embarquement subit de Guchi, sur un bateau dont elle finit par retrouver et scruter l’itinéraire. La doctorante avait même pu localiser le vieux capitaine du navire, récemment retraité et résident d’une maison de retraite médicalisée en pays balte. Munie d’une vieille photo de Guchi, trouvée sur quelque site web d’université ou de centre de recherches que ce dernier avait croisé sur sa route-quête de Savoir, elle obtint de l’ex-marin la confirmation qu’il avait laissé embarquer l’homme sur la photo, « un type sympa et calme », sur ordre de son Boss à lui, un célèbre armateur Grec. L’homme sur la photo, ajouta laborieusement l’ex-capitaine, quitta le paquebot au large d’un pays côtier, euh, il ne se souvenait plus du nom mais, « en tout cas, tout s’était passé comme convenu avec mon Boss, » lui confia le marin retraité, saisi d’une quinte de toux si subite et intense qu’une soignante fut appelée, et la doctorante sommée d’en prendre congé. Quelques semaines plus tard, rassérénée d’avoir colmaté assez de bribes d’information pour reconstituer les mouvements de Guchi, la jeune femme rallia « Le Continent », sur lequel elle pensait Guchi devoir être ; elle sillonna la côte d’un pays qui sourit à l’océan, deux mois durant, soixante jours pour être précis, avant de localiser l’ermite Guchi. Mais aujourd’hui, à quels « travaux » fait-elle référence, qu’attend-elle de Guchi, et que lui veut-elle vraiment ?
Elle souhaiterait écrire sur son expérience, sa vie jusqu’au jour où il quitta son pays natal (jadis un casse-tête à identifier, pour la jeune femme) et s’en alla vers une île anglo-celtique, nordique, du nom de Britland. Dans cette optique, la jeune femme doctorante s’intéressait particulièrement à l’expérience scolaire de Guchi, son opinion sur l’école comme institution, sur l’acquisition des connaissances ou fait d’apprendre, ainsi que sur le système éducatif de son pays d’origine : tout ceci avait-il poussé Guchi à partir ? tel Aimé Césaire de sa Martinique natale, pour aller apprendre en pays dominant, c’est-à-dire chez ceux qui aiment tant vaincre sans jamais se soucier d’avoir raison ? Elle voulait savoir, elle veut encore savoir, même si, au moment où elle toc chez Guchi, la jeune femme sait déjà que, sous le pseudonyme de Gaïndé (Lion), Guchi avait formulé quelques théories sur l’éducation et l’acquisition des connaissances chez l’enfant et l’adolescent, arguant par là même, pense la jeune doctorante, qu’il s’écartait de la notion selon laquelle les connaissances peuvent se transmettre, concept en lequel il ne croyait tout simplement pas. De même, la jeune doctorante est aujourd’hui convaincue que Guchi avait pris ses distances par rapport à d’autres notions, centrales au statu quo savant de l’époque où il sillonnait une partie du globe, allant de colloques en séminaires ou autres conférences universitaires, pour des joutes de regards et frictions avec celles et ceux qu’il considérait comme des théoriciens-moutons-de-panurges. Et enfin, la jeune doctorante qui frappe à la porte de Guchi ce samedi matin sait que les travaux d’un philosophe des sciences anarchiste, Paul Feyerabend, lui sont bien connus, notamment le refus de l’Américain d’origine autrichienne d’accepter qu’en termes de « Méthode », il existerait des règles universelles ; elle fut particulièrement surprise, agréablement s’entend, de s’être vue dire, par deux amis de Fac proches de Guchi, que ce dernier aurait rencontré Feyerabend peu avant sa mort, qu’il avait été question pour Guchi d’en apprendre sur la vie du philosophe anarchiste, même si ce ne fut qu’en marge des idées de ce dernier : « et d’ailleurs, il faudrait peut-être lui poser la question ? », la lui poser surtout parce que les recherches de la jeune doctorante sur Guchi lui avaient révélées une sorte de faille au sein de l’interprétation des théories Guchiennes, notamment sur l’intelligence, l’épistémologie, l’enseignement, et la méthode, pour ne citer que quatre exemples. En effet à sa connaissance, jusque-là, personne ne s’était penché sur comment le vécu de Guchi a pu avoir influencé les théories susdites. Autrement dit, comment se fait-il que les chercheurs ne se soient pas intéressés aux possibles origines empiriques de telles théories ?
Selon elle, cette espèce de faille constitue une anomalie et un écart, qui sont également vide et lacune, à un tel point qu’ils doivent être comblés, quand bien même à nombre d’universitaires renommé-e-s, il avait semblé logique de l’occulter durant tant de décennies. Imbue de cette fougue, de cet enthousiasme presque arrogant commun à tous les nouveaux doctorants pensant tenir le bon bout d’une idée géniale, ou d’une trouvaille inédite, la jeune femme se murmure « ouais ! je vais tous les baiser, ces faignants ! », son euphorie n’étant pas étrangère au fait que la jeune doctorante pense avoir trouvé Guchi. Donc, en se focalisant sur le vécu de ce dernier elle espère pouvoir éclaircir substantiellement toute zone d’ombre qui émergerait des liens (qu’elle espère, existent !) entre la vie de Guchi d’une part, vie qu’elle ne connaît pas du tout, et de l’autre son œuvre, qui n’a peut-être plus de secrets pour elle, des éclaircissements qui devraient lui permettre de bien formuler et présenter une bonne partie de sa Thèse de 3e Cycle, notamment le chapitre « H Y Kanazawa et la transmission des connaissances – titre provisoire », se rappelle-t-elle avoir inscrit sur son bloc-notes. Cependant voilà, on est samedi et il n’est que 10 heures du matin : toc, toc. Un temps. Court. Puis, très fort : TOC, TOC-TOC ! Un temps. Plus long.
— Dr Guchi, vous êtes là ?! »Dehors, il fait bon, vent léger, Guchi bercé, à peine éveillé parce qu’encore plongé dans un de ses nombreux songes, ces rêves qui le font voyager dans les méandres de son passé, toujours ce passé et seulement lui, ténu et têtu, et dont le truchement fut constitué de bons et moins bons moments, ce passé vécu au sein des femmes (beaucoup de glissades jouissives mais très peu d’amour, trop peu même) mais aussi dans le sport et les Lettres. Ainsi, songe oblige, jusque-là Guchi ne perçoit que de timides toc-tocs sur une porte imaginaire, aussi énigmatique que celle d’Émérence dans La porte, beau roman de l’Hongroise Magda Szabò. Sauf que, de suite, la jeune doctorante revient à la charge, insistante, en appuyant ses frappes sur le bois rouge : TOC T-TOC, T-TOC, TOC ! Guchi tend l’oreille et regarde en direction de sa porte du non-retour, qu’il appelle ainsi lorsqu’elle est ouverte car, généralement, quiconque la traversait, dans le sens de la sortie de son baraquement, ne revenait plus le voir, mais aussi et surtout porte de non-retour parce que, sur cette haute côte rocailleuse qui descend vers la plage, le modeste logis de Guchi est si surélevé que, de l’intérieur, ou lorsqu’il s’assoit devant, face à la mer, il ne peut voir rien d’autre que l’océan et sa ligne d’horizon, pas même les nombreuses pirogues amarrées sur la plage, encore moins les badauds, vendeuses, baigneurs ou passants, qu’il peut entendre assez distinctement pourtant. Océan et ligne d’horizon lui rappellent toutes ces autres portes de non-retour, ouvertures jonchant les côtes des pays qui pleurent ou rient face à l’océan, d’où partirent contre leur gré et dans des conditions inhumaines, des millions d’âmes noires, ses ancêtres maternelles, vers des terres de tubaab mal acquises, des âmes qui, elles, au contraire de Guchi dans un tout autre contexte, venaient à croire, et savoir, qu’elles ne reviendraient jamais chez elles, jamais à la maison. Ouverte, cette porte de non-retour aide Guchi à méditer, de jour comme de nuit, en regardant l’océan et les cieux, au point de se sentir planer au-dessus du commun des mortels ; aussi, ouverte, cette porte l’est très souvent, sauf le samedi, surtout lorsqu’il n’est qu’autour de 10 heures du matin, l’heure qu’a choisi la jeune femme en train de s’acharner dessus. De sa couchette de fortune dure comme du béton, recouverte juste d’une natte de feuilles de cocotier tissées et sur lequel juche un vieux pajaas ou matelas bourré de paille et d’un soupçon de coton, de cette couchette donc, Guchi ne voit aucune silhouette bouger à l’extérieur, à savoir des deux côtés et du bas de sa petite porte. Il se retourne, adopte une position de chien de fusil et s’apprête à retomber dans les bras de Morphée, « personne n’ose me déranger en ce jour, à cette heure, il s’agit sûrement d’une erreur, d’un rêve, le vent doit souffler assez fort en direction de l’hinterland pour que les longues branches du Binteñe, qui font ombre sur mon baraquement, puissent atteindre et toquer irrégulièrement sur le toit de tuiles rouges tout en atteignant, des fois, le haut de ma porte ». Et Guchi d’en déduire que personne n’est en train de frapper à sa porte. Juste à l’instant précis où, encore une fois, d’autres toc-tocs retentissent, très fermes et forts : TOC TOC, TOC ! Un temps. Court. TOC TOC TOC, T-TOC T-TOC ! Guchi lève la tête.
— Who the hell is that ?c’est qui ça, bon sang ? Ne savez-vous pas qu’aujourd’hui c’est samedi ? xamuloo ne tey Aset la ? Trois langues en autant de secondes, pour dire presque la même chose : c’est à se demander si Guchi n’aurait pas piqué une colère.
— Je m’appelle Kween Kiyâma Adso, euh, Kiyâma Adso pour faire plus court, je viens de l’université de Louvoen, département d’Histoire des Idées, où je suis une doctorante en Études Culturelles Diasporiques du 20e siècle, et je souhaite rencontrer Dr Hiro Guchi pour l’interviewer et, éventuellement, lui parler de la partie de ma Thèse portant sur l’éducation (techniques, stratégies, théories et pratiques). »
Tout de suite, l’association de « Dr Hiro » avec « Guchi » lui fait réaliser que cette femme saurait des choses, sur lui et sa vie d’avant-retour sur cette côte où, rappelons-le, elle croit avoir trouvé le Docteur Guchi, qui se lève lentement, marche à pas de velours, c’est-à-dire sur la pointe des pieds et tout doucettement, jusque derrière sa porte. « Il me faut absolument mettre os et chair sur cette voix de jeunette aux toc-tocs si insistants : oh, femme noir-ébène ?! Pourtant son accent est si tubaab ! Je veux dire, il lui manque un p’tit peu de ce brin de voix Afro qui, lorsque l’Afro-personne parle Afrançois, s’alourdit au fur et à mesure que ses origines, ou plutôt ses racines, non, disons, ses rhizomes, s’éloignent du haut Ouest du Continent (particulièrement du patelin où je perche, car nous sommes des experts lorsqu’il s’agit de singer le tubaab) pour se diriger vers son Centre, son Est et son Sud, de manière à déréguler l’intonation de cette version de l’Afrançois jugée standard. « Mais, mais, focus G (djii), focus ! ô-kay : taille moyenne, visage fin en forme de noix de coco déshabillée, joli, beaux yeux marron clair, dents d’une blancheur moyennement éclatante, sans l’aide du dentiste on dirait, et long cou à la Iman-Madame-feu-David-Bowie ; la poitrine, je la devine épanouie, à partir du quart de protubérance que je peux entrevoir de l’intérieur, une cambrure généreuse d’une chute de reins sublime, et ah ! cette paire de hanches en forme de pomme golden en position debout, de la matière grasse sans cellulite redondante, de vraies hanches-agrippes (Kiyâma, appelons-la ainsi, se tourne vers la mer une fraction de seconde : coïncidence), hanches étoffées d’un postérieur rondouillet, oh, qu’elle me semble ferme ! sans être rugueuse, délicatement moulé qu’il est dans son enveloppe à peu de surprises, à savoir cette jupe courte, rouge-bordeaux en wax hollandais, cousu sur-mesure et très près du corps, mmm, fruit mûr à jeune peau noire souplement tendue, aussi lisse qu’une allée de bowling (Guchi ruisselle des coups d’œil sur les cuisses et jambes de la jeune femme), pour consommation autorisée certes, mais sans modération. Hé toi, qu’est-ce que tu racontes ? Fétichiste ? moi ? et puis, quoi encore ? tu veux que je déroge sur mon amour pour le corps féminin intelligent ? dans tes rêves ! fous-moi la paix, pour une fois : je suis très occupé.” Peut-être faut-il préciser, ici, que, souvent, Guchi subit les longs sermons d’un Imaginaire-Autre, une voix insistante, qui vit dans sa tête et interfère avec ses pensées et paroles ; elle exige, cette voix s’entend, son temps d’antenne quotidien, pour ainsi dire. Cette fois-ci, néanmoins, torse nu, membre durcit dans paume, et en passe de faire comme Portnoy, l’obsédé de Portnoy et son complexe, roman de Philip Roth, Portnoy, un fou de chatte et accro de branlette, Guchi coupe la route net-court à son Imaginaire-Autre, vu qu’il semble envahi par une envie pressante, de cette jeunette d’au moins vingt ans son cadet, qu’il semble avoir envie de ce corps lui rappelant la bouteille marron foncé de Jibédé-Kola gisant sur sa tablette de nuit déglinguée, réceptacle aux formes de sabliers délectables au toucher et tout-aussi agréables que la substance épousant les recoins internes de ses formes et qui, à longueur de semaine, enivre ses papilles gustatives, si ce n’est son âme même, une bouteille si délicatement et raffinement taillée qu’il lui rappelle une nuisette Blackjigèen sur femme noire foncé, toujours sexy, « je l’ai testé avec doigtée, ma préférée étant de loin celle de couleur café-crème », pense Guchi. Bref, telle une trique de policier des années 1970, sa bite durcit, lui surchauffe la paume en l’emplissant et, pendant que, de profile, Kiyâma se baisse légèrement pour farfouiller dans son sac à main, son autre, peut-être un sac d’ordi, reposant au sol, Guchi caresse son membre, qui gonfle, il le caresse fermement, il gonfle davantage, il le serre, puis l’empoigne vigoureusement, sa main se met en mouvement lentement, deux vas-et-viens et il imagine maintenant sa trique au-delà du sillon médian de l’entre-jambes à Kiyâma : accélération fulgurante du mouvement manuel, sans soupire ni halètement, yeux clos avec force, puis ouverts juste au moment où Kiyâma se relève et refait face à la porte, jambes légèrement écartées, comme pour inviter Guchi en elle, qui lui déflaque dans la chatte : il se l’imagine, bite vidée de son sucre d’orge, manque de tomber à la renverse, titube momentanément, ivre à la limite du blackout, puis est envahi par une félicité et un soulagement : « content de m’être branlé sur cette beauté ! Elle ne m’a pas entendu, j’espère ! ». Mais Guchi n’a pas le temps de cogiter sur cette inquiétude ; un retour rapide à la réalité s’impose, que beaugoss’ le veuille ou non. Car Kiyâma n’a pas fait tout ce chemin pour se laisser mâter les mensurations, par lui ou quiconque d’autre, et Guchi semble le sentir. En tout cas, la jeune femme transperce sa porte d’un regard suffisamment déterminé pour le lui confirmer, « libérée mais ni facile ni fragile, je dirais », soupire-t-il.
Visiblement, le ras-le-bol de Kiyâma fait qu’elle perturbe le silence post-branlette de Guchi, pour réexpliquer à voix haute et on ne peut plus clairement les raisons de sa visite. Elle a également un contrat en bonne et due forme que Guchi pourra lire et approuver, ou bien amender et approuver ; il lui a fallu deux années de recherches intensives pour trouver Dr Hiro Guchi, etc. Très bonne plaidoirie. Mais, à l’insu du plein gré de la jeune femme, ce qui devait lui arriver arriva : « revenez après 12 heures 30, on verra !Et si cela ne vous convient pas, vous, votre doctorat, votre directeur de thèse, votre université, et j’en passe, pouvez aller vous faire voir ! D’ailleurs, les universités sont devenues des institutions redondantes, rien d’autre pour la société qu’une cellule cancéreuse en mal d’être shooté à la chimio ! » En d’autres termes, Guchi envoyait Kiyâma balader. « Parfait Dr Guchi, je reviendrai après 12 heures 30 », lui répond-elle, yeux momentanément écarquillés. Puis, elle se tourne pour descendre vers la plage ; Guchi l’accompagne du regard, assez longtemps pour confirmer trois beautés certaines que dégage, pour lui, le corps de Kiyâma : postérieur rond et modérément rebondi, jambes d’un noir bleuté, et démarche gracieuse et assurée. Dans la tête de Guchi se livre une nouvelle bataille de voix, une nouvelle guerre de mots : « fétichisme, quand tu nous tiens ! », « Oh toi, la ferme hein ! ». Un temps. Très long.
Incise
Profitons de cette trêve, chère lectrice, pour faire un fast-forward, une avance rapide, ou encore un grand bond en avant, parce que la linéarité est monotone, peut ennuyer à mort, et Guchi semble en avoir une aversion : oups ! était-ce un secret ? Peut-être pas, sachant toutefois que, chère lectrice, vous auriez bien pu vous arrêter ici, là maintenant, sur cette page, et aller lire « II. ENTRÉES ET SORTIES ». Pour ensuite revenir à ce qui figure juste après cette incise, question de finir de lire « I. BALBUTIEMENTS. » D’ailleurs, nous vous encouragerions à le faire, car pourrait en découler une tout autre perspective sur Guchi, sa vie et ses idées. À défaut, optez pour le grand bond en avant susmentionné. C’est-à-dire lisez, tout de suite, ce qui figure ci-dessous : allez vers l’inconnu, sautez dans le presque-vide : avec nous, sentend !
Contrat
Douze heures trente-et-une-minutes. Kiyâma est devant la porte du non-retour. Grande ouverte. Il fait encore bon, petite brise de janvier sous soleil tiède, et pourtant la jeune femme sue. D’un regard hésitant elle fixe l’intérieur du baraquement, une pièce unique, au milieu de laquelle Guchi est assis sur une chaise rustique en bois, droit comme un pharaon sur peinture deux-dimensions, pieds nus à plat sur le sol, paumes sur genoux, barbe de trois jours, grand torse nu, corps musclé à la Bruce Lee. « Plus métissé que sur les photos, et presque beaugoss », pense Kiyâma, à qui l’aspect xèerèer, moyennement clair de peau, de Guchi semble plaire, sa pâleur, nipponne (dont il paraît être question dans ce récit) joliment atténuée par la mélanine de sa mère, femme à peau noire bleutée de Nubienne, issue d’une famille du Continent. Kiyâma continue son déshabillement visuel de Guchi, de haut en bas, avec des coups d’œil entrecoupés de clignements fréquents, comme si elle avait honte : pantalon de kimono ou gi blanc, Karaté ou Judo, étiquette « Tokaïdo » bien en vue. Guchi lui renvoie un regard glacial, suspicieux, de chat ; il fixe l’entre-deux yeux de Kiyâma, remarque qu’elle sue de plus belle. D’un signe de main, il l’invite à entrer.
À trois pas de l’entrée, gît un banc bu gaatta gaatt, très près du sol, en bois,d’à peine soixante centimètres plus élevé que le plancher en ciment dénivelé de la pièce : Guchi voudrait-il mettre Kiyâma aussi mal à l’aise que possible, et ainsi abréger la rencontre ? qui sait ? Elle lui tend un contrat. Guchi le lit. Longuement. Puis, sans regarder la jeune femme, il pointe de l’index droit le banc bu gaatta gaatt pourl’inviter à s’asseoir, ce qu’elle fait avec peine, jupe courte oblige. Guchi se racle la gorge et, d’une voix rauque, mais calme (soulagement pour Kiyâma), ajoute une clause au contrat, ne regardant toujours pas la jeune femme : « rien de ce que je vous dirai ne sera publié, après ou en dehors de votre doctorat, que ce soit sous forme d’articles ou de livres, pas un mot ; je ferai également vérifier ce contrat par un Avocat. » Jusque-là sous l’emprise d’une angoisse intérieure du genre « suis-je en face d’un psycho, d’un mytho, ou quoi ? Qu’est-ce que je fous dans ce taudis ? », effroi qui fait bondir son cœur et l’emballe, Kiyâma acquiesce puis ajoute machinalement que si jamais « Dr Guchi » décidait de publier ses Mémoires, sa biographie, elle serait honorée d’y être associée. Guchi, toujours suspicieux, toujours immobile sur sa chaise, se contente d’esquisser un sourire narquois, qui semble signifier qu’il n’a aucune idée du sens, voire de l’intelligibilité de ce que Kiyâma vient de dire. – Revenez samedi prochain à la même heure, pour un entretien ; s’il arrive que vous ayez un retard de plus de cinq minutes, sachez que tout aura été annulé, pas la peine de pointer le bout de votre nez. Un silence. Court, mais lourd. La jeune femme se lève avec difficulté. – Merci beaucoup, Monsieur Docteur Hiro Guchi : je serai à l’heure. »
N’osant pas tendre la main à Guchi, la jeune femme se retourne pour sortir, sac d’ordi en bandoulière et sac à main à l’épaule droite, « à Samedi prochain et merci encore ! », ajoute-t-elle. Et voilà qu’elle trébuche sur le dénivellement du bas de la porte du non-retour : paaff ! subitement par terre, elle se relève vite, embarrassée, petites égratignures à la paume et au genou droits, poussière sur haut noir et jupe wax, tout ceci en quelques petites secondes, puis, elle jette un coup d’œil furtif vers un Guchi impassible, qui a déjà ouvert sa première lecture du jour, L’aventure ambiguë, roman des années 1960 ; il compte le finir avant 18 h 30, heure de son cours particulier d’Anglais pour Daado, « et ce soir, se rappelle Guchi, je dois faire une partie didactique d’échecs avec Elmaxu », le plus doué de tous les enfants de rue, sur cette côte, que Guchi initie à ce sport cérébral : il est 13 h.
Signatures
Samedi suivant. Kiyâma au rendez-vous, à l’heure, Guchi toujours froid à son égard. Signature contrat. Kiyâma est venue « avec ma cousine, Béti Duudu Maam-maty, surnommée La Béti », dame à la mine fière mais soupçonneuse, au regard dur genre « on ne me la fait pas, devant moi tous les hommes n’ont qu’à se tenir à carreau, Gu je-ne-sais-comment ! ». Et Guchi de comprendre tout de suite qu’il doit cesser d’essayer de déshabiller La Béti du regard : « ññaw ! ñammbbsa ! da nga fook ne jigéen ñëppa yem, han ?! », tu crois que toutes les filles se valent, lui dit l’Imaginaire-Autre dans sa tête, que Guchi ignore, flanqué de son Avocat, Tam Abdoulaye Ndiaye, jeune fils timoré de Grand Jëwriñ ou Chef de village, à qui Guchi rend visite tous les matins (comme déjà mentionné). Guchi ne signe pas le contrat de suite, pour autant. À croire qu’il essaie de compliquer les choses. Parce qu’il ajoute que, « aujourd’hui », il n’accorderait à la jeune doctorante que cinq heures d’entretien, puis (intonation exagérée), « et seulement sii né-ces-saiire », deux heures de plus le lendemain, « précisément, de 16 à 18 heures. Pile. Pas une seconde de moins et pas une de plus ». Kiyâma accepte, allant même jusqu’à ajouter que, avant de quitter son baraquement elle lui remettrait, sur clef USB, une copie intégrale de l’entretien, téléchargé du disque dur d’un des deux ordinateurs portables qu’elle a amenés avec elle ; Guchi lui fait un sourire forcé à l’anglaise, c’est-à-dire malhonnête et plus-que narquois, il signe et fait contresigner les quatre exemplaires du contrat, puis congédie les deux témoins. Le jeune juriste le remercie pour sa confiance, tandis que La Béti, elle, roule d’yeux qui fixent le faux plafond du baraquement, pendant que sa tête dessine un p’tit demi-cercle vers le haut, de droite à gauche, respectant comme il se doit les règles du ragaju et du xèelu locaux, éléments phares d’une expression impeccable de l’art féminin du pàankk (être une pimbêche). Par là même, La Béti signifie très clairement à Guchi que l’arrogant en lui se prend beaucoup trop au sérieux mais ne l’a ni apeuré ni impressionné, elle, Béti Duudu Mam-maty, fière femme issue de famille noble, « ci ndey ak baay ! », tant de mère que de père, aurait-elle sûrement ajouté ? En tout cas, elle le gratifie d’un « tchiiiiiiip ! » aussi long, fort et sec, que tranchant. Guchi semble sincèrement ébranlé, rictus au visage et sourcils froncés, son cœur, aux battements emballés et subitement si furieux, menace de fissurer les parois de sa propre cavité. Exit les témoins.
Guchi soupire, Kiyâma reste debout, coi, légèrement gênée. Un silence. Assez long. Guchi secoue la tête, en invitant une jeune doctorante embarrassée à s’asseoir sur un tabouret placé un peu plus près de lui, plus élevé et confortable que le banc de la semaine précédente. D’ailleurs, cette fois-ci Kiyâma est venue préparée, pour ainsi dire, vêtue qu’elle est d’un pantalon plus ample, en tissu wax style patchwork multicolore de Baay Faal. Elle s’affaire, sort du sac et allume un de ses deux ordis ; Guchi boit une gorgée de son « or noir », concocté par Firdu Maïga (un petit-commerçant itinérant réputé alentour pour son café à l’arôme unique), sans regarder Adso, qui finit de placer son ordi sur une chaise, devant Guchi mais légèrement sur sa droite, de façon qu’elle puisse bien voir ce dernier ; d’un petit bol, Guchi prend quelques noix de cajou grillées, noix que lui prépare régulièrement sa « tite sœur par alliance, Daado Saall, oui la même Daado, ou Dècaff en privé. Guchi préfère l’appeler par ce surnom, au même titre que Daado préfère appeler son maître d’Art Martiaux et prof d’Anglais, Guch » ; et, les quelques noix avalées, Guchi fait un petit hochement de tête à Kiyâma : le marathon cérébral peut vraiment commencer…
« votrre passeporrte, please Sir ? »
— Kween Kiyâma Adso : Si vous le voulez bien, euh, commençons par une petite introduction ? quelques grandes lignes ?
— Guchi : non. Commençons plutôt vers la fin, c’est ça que je veux évacuer en premier.
— Évacuer ? Euh, okay, évacuons : j’ai eu des preuves qu’une fois en Britland, parce que vous y êtes allé, vous avez écrit deux thèses de Doctorat, pour le prix d’un, je veux dire par là que l’institution universitaire britlandaise avait essayé de vous mener en bourrique sans succès. Que vous avez triomphé d’elle, en quelque sorte ?