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Lilly est divorcee. Elle a accepte une proposition d'ecrire un guide gastronomique francais et s'installe dans sa maisin de vacances pres du lac du Der-Chantcoq pendant l'annee de seperation prescrite par la loi. Elle se gionfre dans des restaurants chics, des boutiques raffinees sur des marches fermiers pittoresques et chez des producteurs gastronomiques etablis de langue date. Lilly trouve dans son jardin un chat tigre rouge qui a perdu sa queue. Grace a lui, elle fait la connaissance d'un seduisant veterinaire. Il est marie, mais pendant la semaine il aime s'occoper aussi bie des animaux domestiques que de leurs maitresses. Il tente sa chance avec Lilly, ce qui donne lieu a plusieurs incidents amusants. Dans sa rue, beaucoup de choses ont change. Sa voisine d'en face est une charmante Danoise qui s'appelle aussi Lilly, Pour eviter des quiproquos, elle herite sur le champ du surnom Lilly no 2. De nouveaux voisins etranges et deux deces mysteriieux boulversent le quotidien de Lilly et sa nouvelle vie en Champagne. Une tempete s'abat sur le village.
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Je venais de finir d’écrire ce livre et d’en essayer toutes les recettes quand ma balance tomba en panne. Elle indiquait un poids qui ne pouvait être correct.
Chaque fois qu’une spécialité culinaire mentionnée dans le roman est suivie d’un exposant, cela signifie qu’elle est incluse dans le recueil de recettes qui se trouve en annexe. Je n’assume aucune responsabilité quant à l’exactitude du poids indiqué sur votre balance.
Il va de soi que l’intrigue et les personnages sont le fruit de mon imagination. Toute ressemblance avec des personnes vivantes ou décédées est purement fortuite.
Par contre, le territoire, les régions, les villes et les localités ne sont ni inventés ni fortuits. Ces endroits sont des lieux de vacances idéaux. Quand vous aurez fini de lire ce livre, vous saurez précisément où les trouver…
L’auteure
— Tu as déjà signé ? Ne me dis pas que tu as déjà signé, s’il te plait, me lance Katharina en me saisissant par les épaules et en me fixant d’un regard ferme.
Pourquoi tant d’insistance ? Certes, quand il s’agit du boulot, je ne signe jamais rien sans sa bénédiction, mais justement, ce n’est pas le cas ici.
Katharina est petite, grassouillette et a de l’énergie pour deux. Elle est le meilleur agent littéraire du monde, car elle veille à ce qu’en plus du beurre sur mes petits pains, j’aie aussi la garniture et tous les autres conforts qui égayent ma vie.
Nous sommes le vendredi 13, et je suis sur le point de signer un nouveau contrat de location. Or, je déteste prendre des décisions. Je cherche donc toujours une victime sur laquelle pouvoir rejeter la responsabilité. La plupart du temps, ça marche. Dans ma vie professionnelle j’ai un agent, et dans ma vie privée un mari. Oups, j’avais un mari. Après sept ans de vie conjugale, le démon de l’infidélité a frappé. Notre divorce, c’est Andreas qui l’a voulu. Par conséquent, depuis quelques mois je n’ai plus de mari et dois prendre des décisions toute seule.
Grand appartement mansardé avec petit balcon ou studio au rez-de-chaussée avec grande terrasse ? Je dois prendre une décision aujourd’hui même et signer le contrat. Mais quel appart choisir ? Le rôle que Katharina compte jouer dans cette décision-ci m’échappe complètement.
Elle me tire de mes réflexions.
— J’ai une nouvelle fantastique à te donner, tu n’as plus qu’à signer. Le contrat est quasi dans la poche.
— Quoi ?
Je lui lance un regard indigné. Je me vois déjà condamnée à emménager contre mon gré dans un appartement hyper moche.
Katharina m’explique de quel contrat il s’agit.
Sur un ton tout aussi indigné, je lui lance :
— Pardon ? Sans demander mon avis, tu as négocié ma collaboration à un ouvrage sur des bizarreries gastronomiques assorti d’un lexique pour nuls en cuisine ?
— Du calme.
Katharina me donne des explications sur mon futur gagne-pain : l’éditeur qui me propose le contrat a eu l’idée de publier un guide sur la gastronomie française assorti d’un dictionnaire culinaire. D’une part, présentation de spécialités et curiosités du terroir ; de l’autre, ouvrage de référence.
— L’éditeur insiste pour que tu sortes des sentiers battus. Ta tâche consiste à dénicher des spécialités quasi inconnues de la cuisine française, voire des secrets culinaires que tu présentes à l’aide d’anecdotes. Tu donnes aux lecteurs les explications techniques nécessaires et rédiges un lexique en annexe. L’ouvrage sera bien sûr accompagné de nombreuses illustrations. La plupart des clichés seront fournis par la maison d’édition, mais ceux que tu prendras seront les bienvenus pour être intégrés à l’ouvrage après que leurs spécialistes aient effectué les retouches d’usage. Tu commences par la Champagne. D’autres départements suivront.
La moutarde me monte au nez. Je fulmine.
— Non mais, tu me vois écrire un dictionnaire pour cette maison-là ? Comment veux-tu que je m’y prenne, moi qui ne suis ni interprète ni traductrice ? Quant aux lecteurs potentiels de ce genre de bouquins, je doute fort qu’ils soient légion.
— Lilly, d’après ce que je sais, tu as un besoin urgent d’argent. Que t’importe que l’ouvrage soit susceptible d’attirer des lecteurs ou non ? Ce que la maison d’édition veut, ce n’est pas un dico rédigé par une académicienne, mais un texte duquel se dégage une atmosphère. À en croire les résultats d’études et d’analyses de marché, ce serait un créneau porteur. Cela confirme d’ailleurs ce que tu me répètes au retour de chacun de tes séjours en France. Le lexique gastronomique n’est qu’un point secondaire ; ce sont tes récits qui constitueront l’attrait principal de l’ouvrage. Et n’oublie pas une chose : tu pourras te goinfrer à volonté à leurs frais sur les marchés, dans les restaurants, les boutiques, les entreprises gastronomiques, etc. Tu pourras même leur facturer tes nuitées. Réfléchis donc : où que tu ailles, tu trouveras facilement une foule d’histoires et de recettes et donc, bien sûr, aussi quelque chose à manger. Songe au potentiel énorme : il y a 101 départements en France, plus cinq régions d’outre-mer. Si ça marche, tu es tranquille pour le restant de ta vie. Bon sang, c’est une occasion en or ! Pendant la durée du premier contrat tu pourras même loger dans ta maison de vacances en Champagne. Aucun loyer à payer et pas besoin de déménager. Enfin, pas vraiment. De toute façon, sache que j ’ai déjà donné notre accord.
Je reconnais bien là Katharina : pratique, carrée, exacte. Rien à redire, elle a raison.
Et voilà qu’elle ajoute une cerise sur le gâteau.
— Pour Andreas, ne t’inquiète pas, je m’en charge. Tu n’emportes que le strict nécessaire auquel tu tiens absolument. Le reste, il peut le garder à condition qu’il te dédommage. Tu fais quelques valises, charges ton ordinateur portable et l’imprimante dans ta voiture, et te voilà partie pour une nouvelle vie !
Tout cela semble si simple et raisonnable. Il faut savoir que mon ex n’attend qu’une chose : que je vide les lieux afin qu’il puisse retourner au domicile conjugal… avec sa nouvelle compagne. Il est vrai que notre appartement est idéalement situé pour lui, à deux pas de son lieu de travail.
Je dois aussi admettre que je ne peux plus me permettre d’habiter dans cet appartement couteux et que la location d’un nouvel appartement, même beaucoup plus petit, absorberait une grande partie de mes revenus. La loi prévoit une année de séparation obligatoire entre ex-conjoints en instance de divorce, mais n’impose aucune contrainte quant au nouveau lieu de domicile. L’idée qu’Andreas soit bientôt confronté au problème que constituent nos vieux meubles et nos vieux souvenirs suscite subitement en moi une émotion nouvelle, totalement inconnue. À mon grand étonnement, je découvre un fourmillement et un ricanement au plus profond de moi-même. Aucun doute. Je suis en train d’éprouver une joie maligne. Qu’il s’étouffe donc sous nos meubles, bibelots et vieux souvenirs, le bougre !
Après une profonde inspiration, j’ai l’impression d’être en apesanteur. Me voilà libre ! Et le meilleur dans tout ça ? C’est Katharina qui a pris la décision à ma place.
Je me surprends à siffloter une chansonnette. Le moteur ronronne sur l’A63. Le ciel est gris. De temps en temps le soleil parvient à percer des nuages sombres. Il fait exceptionnellement doux pour la fin du mois de mars et, même si les couleurs manquent encore de netteté, le printemps est déjà dans l’air.
Sur la banquette arrière de ma Peugeot, j’ai soigneusement rangé mes valises cabine de trois tailles différentes. Leur couleur rouge est d’autant plus vive qu’elles sont flambant neuves. Je les trouve très pratiques avec leurs roulettes intégrées. J ’ai acheté un sac à main motif Paisley également en rouge vif. Chacune des valises est remplie à ras bord. Mon ordinateur portable et mon imprimante se trouvent dans le coffre. Après avoir enveloppé le premier dans une veste mi-saison et la seconde dans un poncho, je les ai coincés entre une boite à provisions et la glacière.
Si on tient compte du fait que je viens de faire mes adieux à l’Allemagne pour commencer une nouvelle vie en France, j’ai en réalité très peu de bagages.
J ’ai cependant confié neuf cartons d’objets soidisant inséparables à un transporteur. À l’heure qu’il est, ils devraient eux aussi être en route pour mon petit village français.
Maison Chouette. Ainsi se nomme ma maison de vacances en Champagne. Cela fait plus d’un an que je n’y suis plus retournée. La séparation d’Andreas a été éprouvante. D’abord, il y a eu la déception, puis la colère et des crises d’angoisse que j’ai eu beaucoup de mal à surmonter. La quarantaine, pigiste et divorcée, je me suis dit que mes perspectives ne sont guère encourageantes.
Mon médecin de famille est d’un autre avis. Il m’a envoyée chez une thérapeute qui m’a expliqué que mon problème principal, c’étaient les « difficultés d’adaptation » et que cela passerait.
Après en avoir amplement discuté, nous avons surtout parlé de la rénovation de la maison qu’elle a héritée de ses parents, un bâtiment à pans de bois et à hourdage d’argile tout comme ma Maison Chouette. Je m’y connais en argile et, rétrospectivement, je dois admettre que nos entretiens sur les hourdages, les bardeaux et les peintures à la caséine m’ont distraite et ont atténué la douleur de la séparation. Ma psy a quant à elle pu faire étalage de ses connaissances nouvellement acquises lors de discussions avec les artisans chargés de la rénovation. C’est donc pour ainsi dire « en passant » qu’elle m’a sauvée d’un effondrement psychique.
J ’inspire profondément. Adieu les tartines faites maison, les tranches de pommes soigneusement épépinées, les petits cornichons, les petites tomates et les petits radis. Et, surtout, adieu aux deux thermos de café, l’un avec du lait, l’autre sans. Désormais, je suis libre de voyager comme bon me semble !
J’entre dans mon nouveau pays de résidence par un petit poste-frontière situé sur une route secondaire. Direction sud-ouest. Dans les jardins des maisons de village, j’aperçois des primevères et narcisses. Ils sont en fleurs quatre semaines plus tôt que dans mon pays d’origine.
Je découvre un bistrot sympa où, pour la première fois, j’ose me gaver de crevettes à la sauce à l’ail. Deux portions entières pour moi toute seule. Je n’ai plus à me soucier des tirades qu’un mari râleur aurait débitées pendant tout le reste du trajet à propos de mon manque d’égards et d’attention.
Après avoir franchi deux chaines de montagnes et traversé les départements de la Lorraine, de la Meuse et de la Moselle sur des routes secondaires où la vitesse est désormais limitée à 80 km/h, j’entre en Haute-Marne. Non sans un brin de nostalgie, je traverse les douze localités dont le nom se termine par un « y » : Many, Herny, Béchy, Luppy, Buchy, Vigny, Louvigny, Limey, Flirey, Brousey-en-Wouvre, Commercy et Ligny-en-Barrois. Lorsque nous voyagions ensemble, Andreas et moi nous amusions à deviner le nom du prochain village avant l’apparition du panneau de signalisation.
À y regarder d’un peu plus près, ces localités me semblent plus ordonnées, plus fleuries, plus colorées que lors de mon dernier passage. De nombreux nouveaux lotissements ont vu le jour. Il y a des chantiers partout. À Flirey, les larges bandes de gazon ont cédé la place à un trottoir bien entretenu ainsi qu’à des emplacements de stationnement. Un bel hôtel rose saumon, récemment ouvert, se dresse au bord de la route. Le lac de Madine n’est plus très loin.
À Gironville-sous-les-Côtes, je m’arrête pour me promener dans un jardin à l’abandon où Andreas et moi avions l’habitude de faire une courte pause pour nous dégourdir les jambes. De cet endroit isolé à flanc de montagne, on a une belle vue sur des forêts, prairies et champs ainsi que sur quelques hameaux parsemés en contrebas. Des vaches blanches, noires, café au lait et chocolat paissent dans la verdure.
Je me promène parmi des plates-bandes à l’abandon sur le point d’être ensevelies sous des arbustes envahissants. Me voici soudain devant un abri de jardin victime des intempéries. Seule la cheminée est intacte. Le toit s’est effondré, les murs sont presque en ruines, les châssis de fenêtres sont de travers, la porte d’entrée est grande ouverte. Le caractère éphémère de cette construction me remplit de nostalgie. J ’en conclus qu’à l’avenir il vaut mieux que j’évite ce genre d’escale lourde de souvenirs.
Ressaisis-toi, Lilly !
Devant la cabane de jardin en ruine, quelque chose scintille sous les rayons du soleil. Je me penche pour ramasser une petite motte de terre. J’en extrais un pendentif argenté sur lequel est gravée la lettre « L ». Il est attaché à une courte chaine munie d’un clip. Je regarde prudemment autour de moi. Personne en vue. Sans mauvaise conscience, je glisse le pendentif dans ma poche. Le jardin est à l’abandon depuis des années. Son propriétaire n’y a manifestement plus mis les pieds depuis longtemps. Et puis, je m’appelle « Lilly », diminutif de « Liliane ». Il me semble que ces arguments suffisent largement à justifier ma décision.
Je n’hésite pas le moindre instant non plus à couper quelques boutures pour mon jardin. Elles sont entretemps devenues de magnifiques arbustes à fleurs que j’entretiens avec beaucoup d’amour.
Je décide de faire un petit détour pour visiter la fabrique de madeleines de l’idyllique petite ville de Commercy. Après avoir failli louper le panneau indicateur, je remonte une pente et franchis avec fracas un seuil en béton non signalé qui encombre l’accès à un parking plutôt délabré. Au sommet de la colline, une étrange construction en bois aux allures futuristes semble avoir surgi subitement de nulle part. Quelques clients sont installés aux tables d’une terrasse aménagée devant ses baies vitrées inclinées. Ils profitent déjà de la chaleur des premiers rayons de soleil.
Après m’être garée, je me dégourdis d’abord les jambes, puis j’entre dans le bâtiment.
Une odeur alléchante et chaleureuse m’enveloppe. Je regarde autour de moi. Des boites de toutes les couleurs ainsi que d’autres peintes à la main, des sachets remplis de douceurs et des bonbonnières très tentantes s’empilent sur des étagères qui vont jusqu’au plafond. Deux boulangers en chemise jaune et tablier blanc s’affairent derrière des vitrines. Les cheveux adroitement dissimulés sous une élégante casquette, ils déversent de grands plateaux de madeleines dans des compartiments en bois. Ces pâtisseries en forme de coquillages dégagent une odeur très appétissante. Il existe divers types de madeleines, par exemple : nature1 ; miniatures ; au chocolat ; aux mirabelles à l’eau de vie. Je saisis l’occasion pour les gouter toutes. Elles fondent dans la bouche et évoquent en moi des souvenirs de bien-être et de joies enfantines. J ’achète un sachet de chaque sorte. Celles nature à base de noisette de beurre, de sucre en poudre et de farine sont chères ; celles au chocolat et aux mirabelles à l’eau de vie le sont encore plus.
Dans le café attenant, je commande un chocolat chaud ainsi qu’un assortiment de tous les types de madeleines disponibles. Depuis la baie vitrée j ’admire le panorama sur une vaste vallée tout en laissant fondre en bouche tous ces délices.
Oups ! Un bisou a dû s’échapper de mes lèvres, car mon voisin, un Lorrain bien rond, se met à me raconter l’histoire des madeleines dans un allemand hésitant que je trouve néanmoins charmant : en 1755, le roi polonais en exil, Stanislas Leczinski, a séjourné dans le château de Commercy, résidence d’été du duc de Lorraine. Il s’agissait d’une visite surprise. Les provisions étaient limitées, mais la servante de cuisine Madeleine Paulmier fut très inventive. Elle enchanta les nobles convives avec une pâtisserie vite préparée et, en remerciement, le roi donna à cette pâtisserie le prénom de sa créatrice.
Je suis suspendue aux lèvres de mon voisin lorrain.
Il me recommande de doubler la quantité achetée. Une fois les madeleines décongelées, il me conseille de les griller dans un grille-pain. Il ajoute que les madeleines que l’on trouve dans les supermarchés ne coutent certes que la moitié de celles de Commercy, mais qu’elles sont d’une qualité nettement inférieure. Le prix exorbitant de ce délice m’incite à ne pas suivre son conseil, mais c’est une décision que je vais profondément regretter par la suite.
C’est dimanche. En France, les boulangeries sont ouvertes le dimanche, mais dans les villages, l’ouverture ne dure que pendant l’heure du déjeuner. Je suis trop en retard. Sur ma route, je remarque cependant plusieurs distributeurs de baguettes sur des parkings ou des places de village. Très agréable surprise. Je ne me souviens pas en avoir vus lors de mes précédents voyages.
Lors de ma dernière visite dans ma maison de vacances, j’ai vidé le réfrigérateur, dégivré le congélateur et emporté toutes les provisions en Allemagne. Il n’y a donc plus rien à manger à Maison Chouette. Puisqu’il me faut quelque chose à me mettre sous la dent pour ce soir, je sors deux euros de mon portefeuille et choisis deux baguettes. Un long délai s’écoule avant qu’elles ne sortent de l’appareil, mais ma patience est récompensée : elles sont cuites à point.
En quelques minutes à peine, une odeur alléchante commence à envahir toute la voiture. La tentation est trop forte : je coupe un morceau de baguette, puis un autre. Peu avant d’arriver dans la ville chef-lieu de canton, je me rends compte que j’ai déjà mangé une baguette entière.
Est-ce une fausse impression ou la ville a-t-elle changé en mieux depuis mon dernier séjour ? Dans la rue principale, je note la présence de nouveaux magasins et de nouveaux bistrots. Les bâtiments du complexe résidentiel semi-circulaire du centre-ville ont manifestement été rénovés, et la place qui lui fait face est décorée d’arbres récemment plantés. Sur les promenades le long des berges de la Marne, les flâneurs ont de nouveaux bancs à leur disposition. Les parterres de fleurs sont fraichement plantés, et les arbustes sont sur le point de fleurir. Mon regard est attiré par de grandes pierres de taille en grès calcaire de couleur claire habilement agencées par de talentueux jardiniers paysagistes.
Il est évident que la municipalité a fait de gros efforts pour améliorer l’image de la ville.
Cela me rappelle le commentaire d’une Française que j’ai rencontrée en Allemagne : « Quoi ? Votre maison de vacances en France se situe près de Saint-Dizier ? Sachez que c’est de loin la ville la plus moche de France ! »
Cette dame serait surprise si elle voyait cette ville aujourd’hui.
Plus je m’approche du lac du Der-Chantecoq, plus je m’agite.
Son étendue de 4 800 hectares en fait le plus grand lac artificiel de France. Lors de sa création en 1974, plusieurs étangs, trois villages et de nombreuses fermes furent ensevelis sous les eaux. À l’aide de canaux et d’écluses, ce lac de retenue est utilisé pour réguler le débit de la Marne, et donc aussi de la Seine, lors des crues automnales, hivernales et estivales.
Aujourd’hui, le canal d’amenée Marne est plein à ras bord, et je remarque la présence de très nombreux oiseaux dans les deux réserves ornithologiques.
Le lac m’annonce sa présence toute proche par l’odeur de son eau, puis se révèle enfin à moi dans toute son étendue lorsque j’atteins le sommet d’une petite colline. Mon cœur bat la chamade : je suis arrivée dans ma nouvelle patrie. Je suis chez moi.
À Giffaumont, au bord du lac, je découvre un autre type d’automate. Cette machine blanche composée de beaucoup de chrome et de verre est un distributeur de lait automatique. Les clients peuvent verser le lait qui sort du robinet soit dans un récipient de leur choix, soit dans une des bouteilles en verre disponibles sur place en échange de quelques pièces de monnaie.
Je suis étonnée de découvrir que tant de changements ont eu lieu en si peu de temps !
Une voiture de sport rouge vif est garée devant ma maison, et de la fumée s’échappe de la cheminée. Dès que je sors de ma Peugeot, la porte d’entrée s’ouvre. Tina-Lisa me fait un grand sourire. Elle tient dans chaque main une coupe de champagne.
— Bienvenue à Maison Chouette ! Corinne m’a dit que tu arrivais aujourd’hui, et je ne voulais pas te laisser toute seule dans cette maison froide.
Nous nous embrassons et nous faisons une grosse bise sur chaque joue. Les deux flutes de champagne se balancent dangereusement. Tina-Lisa m’en tend une en souriant.
— Je suis si contente de te revoir !
En présence de ma meilleure amie qui est venue spécialement de Paris, je me mets à regarder mon siège de jardin, mon grand noyer et la rue du village sur laquelle donne ma maison. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens enfin heureuse et satisfaite.
Maudit divorce !
— Entre, j’ai allumé le feu. Les bagages peuvent attendre.
Tina-Lisa ne s’est pas contentée d’allumer un petit feu de cheminée. Le parfum d’un nettoyage récent se dégage de toute la maison, et un coup d’œil à la cuisine m’indique qu’elle a fait le plein de provisions. Un bouquet de branches de bouleau à frondaison précoce trône sur la table de la salle à manger.
— Je me suis dit qu’on pourrait aller manger au bistrot. D’ici là, tu as le temps de prendre une douche et de t’allonger quelques minutes. Les lits sont faits.
Je reconnais bien là Tina-Lisa et son sens pratique. À la regarder, on ne devinerait pourtant jamais qu’elle a ce trait de caractère : son récent mariage lui donne un air encore plus radieux. Elle rayonne d’une joie intérieure. Ses longues boucles noires lui tombent toujours sur les épaules. Son surpoids reste important, mais est bien réparti, et sa taille imposante est – comme toujours – soulignée par des talons aiguilles vertigineux et une tenue de couleurs vives. Le tout est accompagné d’yeux noirs comme le charbon et de lèvres rouge vif. Rien n’a changé, si ce n’est qu’elle est mariée depuis plus d’un an à un Français très remarquable.
— Eh bien, dis donc ! T’es resplendissante. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le mariage te réussit.
Ma meilleure amie me fait un sourire.
— Maurice me porte aux nues, et Paris est la plus belle ville du monde.
Maurice est le frère de mon voisin d’en face, Jean-Jacques. Sculpteur renommé et fortuné, Maurice est issu d’une famille illustre et habite au cœur de Paris. Sa mère, son frère Jean-Jacques et lui se partagent à parts égales une imposante demeure sur l’ile Saint-Louis. Maurice est environ quinze centimètres plus petit que Tina-Lisa et pèse trente bons kilos de moins que son épouse adorée, mais il est plein d’aplomb, et ces différences physiques ne le dérangent pas du tout.
Après avoir rangé valises et sacs dans ma chambre et pris une douche, je fais le tour de la maison. Bien que Tina-Lisa l’ait nettoyée de fond en comble, on se rend vite compte qu’elle est restée inhabitée pendant longtemps. Elle sent le vieux. Partout, je découvre des vestiges de chantiers de petite et grande envergure : les nombreuses ébauches de rénovation qu’Andreas a abandonnées. À la vue de ces nombreux chantiers à moitié terminés, la colère me saisit à nouveau : les gros tuyaux d’évacuation des toilettes et de la salle de bain sont encore apparents ; les portes et chambranles ne sont qu’à moitié peints ; une machine à laver et un lavevaisselle en panne encombrent la cuisine depuis des mois. Dans la chambre rustique, Andreas a sommairement réparé une vitre fissurée avec du ruban adhésif. Il ne s’agit là que des imperfections visibles au premier coup d’œil. Qui sait quelles autres mauvaises surprises m’attendent ?
Certes, une maison à pans de bois vieille de près de trois cents ans, c’est très romantique, mais c’est aussi un bâtiment qui « vit » au sens propre du terme. En rentrant du shopping, il peut arriver qu’on se rende compte que tous les tableaux sont soudain accrochés de travers. Après avoir trébuché à un endroit inhabituel le matin, il est probable qu’on s’aperçoive que certains carreaux se sont soulevés du sol pendant la nuit. Il est aussi possible qu’une famille de chouettes se soit soudainement agrandie dans le grenier et que les hululements et sifflements des rapaces à peine nés privent même une dormeuse aussi talentueuse que moi de son repos nocturne. Sans oublier les innombrables autres intrus : des bestioles de toutes sortes qui pénètrent dans ma demeure par les portes et fenêtres ou par de minuscules trous et des fissures.
— J’ai faim. Allez, on va au bistrot ! décide Tina en me poussant vers l’extérieur.
Beaucoup de gens ont eu la même idée que nous. Une jeune serveuse plantureuse galope d’une table à l’autre.
— Où est passée la grincheuse ?
Tina-Lisa secoue la tête. Pas surprenant qu’elle l’ignore, puisqu’elle habite Paris. J ’aurais pu m’épargner de lui poser la question.
— Bonjour mesdames. Désirez-vous un apéritif ?
La jeune serveuse nous sourit en nous tendant à chacune un menu.
Que s’est-il passé ici ? Qui est cette charmante personne ? Et où diable est passée la grincheuse ?
Je commande un Picon-bière : de la bière blonde à laquelle on ajoute une larme d’amer à l’orange. Sans hésitation, Tina-Lisa opte pour un kir : un mélange de vin blanc sec et de sirop de cassis. Nous nous concentrons ensuite sur le menu.
J ’ai beau avoir été épatée à plusieurs reprises par les succulentes créations du cuistot propriétaire de cette petite taverne de village, ce qu’il nous propose aujourd’hui parvient à nouveau à me surprendre. Si les plats que va nous servir la plantureuse jeune femme tiennent un tant soit peu les promesses alléchantes que suggère le menu, nous allons passer une soirée inoubliable.
— Un petit noir ? Ou désirez-vous autre chose, mesdames ?
Le chef nous apporte le café en personne. Il nous salue comme de vieilles connaissances en ajoutant :
— Puis-je vous présenter Marielle, mon trésor ?
Le trésor en question est au moins vingt ans plus jeune que le patron qu’elle dévore ouvertement des yeux. Tout cela plait bien sûr aux hommes, y compris à ce chef trois étoiles qui se planque dans un modeste bistrot de village.
Pour être honnête, il a clairement gagné au change en substituant Marielle à la grincheuse.
La sensation de brulant qui me saisit soudain est-elle due au repas copieux que je viens de terminer ou bien au rapprochement que je ne peux m’empêcher de faire avec mon ex et sa nouvelle et bien plus jeune copine ?
Le lendemain matin, Tina-Lisa m’avoue l’existence du problème prioritaire. Du désastre. De la catastrophe. Du déluge. La cave est inondée. Le puits qu’elle contient ne cesse de déborder. Je me souviens que cela nous est déjà arrivé, à Andreas et à moi. Mais cette fois, je vais devoir me débrouiller toute seule pour trouver une solution. L’écoulement vers l’extérieur est bouché. Me voilà en train de patauger dans de l’eau glacée qui m’arrive jusqu’aux chevilles.
Zut, zut et rezut !
J ’ai beau gratter, pelleter, écoper… tout cela ne sert pas à grand-chose, et mes injures encore moins. Au bout d’un moment, je tremble de froid et d’épuisement.
C’est alors que je me mets à téléphoner.
Tina-Lisa jette un coup d’œil du haut de l’escalier de la cave et lance :
— Non mais, t’as perdu la boule ? Pourquoi téléphones-tu d’en bas, dans le froid avec un téléphone portable équipé d’une carte prépayée ? Pour info : j’ai un portable avec abonnement, et je t’assure que c’est beaucoup moins cher.
Si j’ai une carte prépayée dans mon portable, c’est parce que je veux d’abord me renseigner sur les différentes offres de contrats disponibles en France et choisir la plus avantageuse. Mais au fur et à mesure que j’essaie de contacter un homme de métier, mon crédit d’appel fond comme neige au soleil. Je tombe chaque fois sur un répondeur. Pas étonnant. Il faut bien que les gens travaillent.
Tina-Lisa a raison de me gronder. Je suis manifestement encore incapable de faire preuve de bon sens pour résoudre les petits problèmes de ma vie quotidienne. Je continue aussi à me sentir plutôt malheureuse. Cet exemple prouve que tout n’est pas encore très clair dans ma tête. Ce n’est pas pour rien que j’avais commencé un traitement psychothérapeutique après qu’Andreas m’avait avoué son infidélité. Depuis la séparation, je suis tombée dans un gouffre duquel je ne suis pas encore sortie.
Je dois être drôlement zinzin pour ne plus savoir maitriser les choses les plus élémentaires de la vie ! Les masses d’eau de la cave ont dû corroder, puis ramollir mes neurones.
Voilà que je me mets à chialer ! Ma thérapeute m’a dit que le peu d’amour propre qu’il me reste a chamboulé les algorithmes dans ma tête. Elle m’a prévenu que dans des situations de stress important mon cerveau descend sur le plus petit braquet et se met systématiquement en roue libre. Toujours selon elle, la bonne nouvelle, c’est qu’avec une aide professionnelle et beaucoup de discipline, il est possible de revenir à la normale, quoique le processus de guérison puisse varier considérablement d’une personne à l’autre. La mauvaise nouvelle, c’est que j’ai déjà bénéficié de l’aide professionnelle en question et que le mot « discipline » ne fait pas partie de mon vocabulaire. La piètre lexicographe que je suis s’apitoie donc sur son sort.
Tina-Lisa appelle mon voisin Marcel. Une quarantaine de minutes plus tard, la rigole de la cave est débouchée, l’eau s’écoule à nouveau, et la cave a été nettoyée de fond en comble.
Peu de temps après, Corinne, l’épouse de Marcel, nous apporte six œufs fraichement pondus dans son poulailler.
Je pleurniche encore.
Corinne me prend à part et agite une carte de visite devant mon nez.
— Appelle-le et prends rendez-vous. Ce type est génial. Il a déjà aidé beaucoup de gens. Crois-moi, je parle par expérience.
Sur la petite carte qu’elle me donne, il est écrit : « Clément Moreau, magnétiseur animal » suivi de l’adresse.
Mon regard se lève vers Corinne.
— C’est une blague ou quoi ? Tu veux que j’aille chez un charlatan du bétail ?
Un léger sourire se dessine sur la bouche de Corinne. Elle m’explique que son amie Anaïs est divorcée depuis un an et qu’elle a eu beaucoup de mal à s’adapter à cette nouvelle situation, surtout au début.
C’est une expérience qui me semble familière.
Corinne affirme qu’Anaïs a recouvré son amour propre après quelques semaines de traitement chez ce Moreau. Depuis deux mois, elle a aussi un nouveau copain. Après une pause significative, Corinne ajoute que le magnétiseur l’a aidée elle aussi. Sa dermatite atopique est déjà en train de guérir. Elle me recommande chaudement ce thérapeute. En souriant d’une oreille à l’autre, elle spécifie que le terme « magnétiseur animal » n’a absolument rien à voir avec les animaux. Dans les textes anciens, « animal » a le sens de « créature », et en magnétisme, l’adjectif se réfère à un certain type de traitement.
Je suis bouche bée. Jamais au grand jamais je n’aurais pensé que Corinne soit aussi crédule. J ’ai certes déjà entendu parler de plaques magnétiques, de coton magnétisé, de poudre de sympathie, de fluides, de courants, d’hypnose et de transe, mais je secoue la tête. Non merci, Corinne, même si le concept de discipline m’est étranger, je préfère plutôt un autre essai de ce genre-là.
Corinne rentre chez elle non sans avoir au préalable déposé la carte de visite sur ma table.
Tina-Lisa retourne à Paris quelques jours plus tard. Elle m’a fait promettre de lui rendre visite dès que possible. Je pousse un profond soupir. Il y a encore tellement de choses à faire, tellement de choses à organiser.
Pour ne pas devenir complètement folle ou, pire encore, pour ne pas sombrer dans l’agonie, j’ai fait une liste et j’ai numéroté toutes les tâches à accomplir par ordre de priorité. C’est ce que m’avait conseillé ma thérapeute.
J ’admire ma liste de choses à faire avec satisfaction. La thérapeute avait raison. Grâce à cette liste, je me sens déjà beaucoup mieux avant même d’avoir levé le petit doigt.
Tout d’abord, je dois m’organiser pour être en mesure de commencer à travailler. Pour cela, j ’ai besoin d’un contrat fixe pour mon téléphone portable ainsi que d’une connexion Internet à la maison. Il faut que je choisisse une solution qui mette à ma disposition un gros volume de données, car j’en ai quotidiennement besoin pour mon travail d’écriture. Derrière le confortable fauteuil conçu pour regarder la télévision qui brille d’ailleurs par son absence, je remarque une prise téléphonique qui n’a encore jamais servi. Andreas a au moins veillé à cette préinstallation.
Je vais en ville. Le trajet qui mène à ce chef-lieu de canton de 25 000 habitants s’avère être un défi. Après deux nouveaux ronds-points, deux routes fermées et deux déviations, je me retrouve soudain sur une nouvelle route rapide bordée de prairies où pâturent vaches et chevaux.
Avec ma dernière goutte d’essence, juste avant les portes des Bragards, j’atteins la station-service de la deuxième plus grande chaine de supermarchés de France.
Plus je m’approche du centre-ville, plus je remarque des changements… en mieux aussi bien qu’en pire. Dans la rue Gambetta, j’aperçois déjà de loin l’enseigne orange de l’opérateur téléphonique France Orange ainsi que des bornes qui empêchent tout stationnement devant la boutique. Les quelques emplacements de parking de l’autre côté de la rue sont bien sûr tous occupés. J ’ai pris rendez-vous. C’est Jean-Jacques qui m ’a donné ce tuyau. Après avoir fait cinq fois le tour du pâté de maisons, je réussis enfin à trouver une place dans l’étroite rue commerçante.
La boutique est pleine à craquer. Un désordre complet y règne : il y a des gens assis, des gens debout, des gens qui se baladent d’un rayon à l’autre, des gens qui discutent avec des membres du personnel ou qui bavardent bruyamment entre eux. Je ne perçois ni file ni organisation. La plupart des clients se plaignent à grand renfort de paroles et de gestes. J ’observe tout cela pendant un long moment, mais ne parviens pas à trouver comment je suis supposée me comporter. Lasse d’attendre, je resquille et j’explique que j’ai un rendezvous. Après tout, c’est la vérité. Cela me vaut des regards furieux, des insultes marmonnées, mais qui me sont clairement adressées ainsi qu’un coup de coude dans les côtes. Qu’importe ! J’ai enfin accaparé un conseiller. Au bout de quinze minutes, je sors de la boutique une boite sous le bras et un mode d’emploi à la main. Il m’a promis qu’il suffit de brancher la fiche de la boite noire dans la prise téléphonique existante et d’appuyer sur quelques touches de mon ordinateur portable pour que tout soit réglé.
Mon regard dubitatif en dit long : « Message reçu, mais je n’ai pas la foi. » Cependant, un coup d’œil sur mon iPhone me confirme que je suis désormais cliente du premier opérateur téléphonique de France.
C’est jour de marché en ville. Le marché couvert ne m’intéresse guère aujourd’hui. Je prévois de n’y aller qu’en hiver. Ma destination est un petit marché en plein air que j ’ai découvert par hasard en cherchant l’opérateur téléphonique France Orange.
Au centre de la place du marché trône une structure de style art nouveau composée de montants en fer et surmontée d’une toiture en saillie à charpente ouverte. Des bacs à fleurs multicolores sont fixés aux montants et des suspensions de fleurs luxuriantes pendent de la charpente.
Je fais mes courses comme si je devais nourrir une famille de cinq personnes. Partout, les vendeurs me proposent de gouter leur marchandise.
Chez le boucher, j’achète du jambon, du pâté, des cuisses de lapin et des rognons de veau.