À bout de souffle à Landerneau - Jean-Michel Arnaud - E-Book

À bout de souffle à Landerneau E-Book

Jean-Michel Arnaud

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Beschreibung

Tout le monde court, qu'elle qu'en soit la raison. Mais en Bretagne, l'Ankou court aussi...

Ils courent : de Landerneau à La Roche-Maurice, des bois de Pencran à ceux de La Forest-Landerneau. Combien sont-ils à enfiler leurs chaussures de sport pour s’élancer sur les chemins, les trottoirs, les pistes ou les sentiers ? Ils courent le matin pour bien commencer la journée, durant la pause déjeuner pour s’aérer les bronches et l’esprit, ou le soir au retour du boulot. Qu’importe la météo, ils courent !
Mais attention ! Car l’Ankoù a également chaussé ses runnings, après avoir troqué sa faux à la lame inversée contre une hachette bien aiguisée…
Police et gendarmerie accorderont leur pas de course pour talonner ces coupe-jarrets sévissant dans la région de Landerneau, Chantelle scandant le rythme de leur foulée.

Dans ce 8e tome plein de mystères de Chantelle, enquêtes occultes, découvrez la région de Landerneau, craintive face à la présence de l'Ankou et autres formes de dangers mortels.

EXTRAIT

Arrêt brutal ! Surprise, la brigadière-chef Lastourien percute son supérieur de plein fouet dans le dos ! En entrant dans le restaurant, Adrien a stoppé net lorsqu’il a aperçu la silhouette de Chantelle assise en face de Laurence ! Comment la sorcerez est-elle parvenue à se faire convier ici ? À moins que ce ne soit son ex-compagne qui ait mis ce plan en place. Mais pour quelle raison ? S’excusant auprès de sa subordonnée, Le Gac s’approche de Laurence, qu’il embrasse sur la joue, sous le regard amusé de l’invitée surprise.
— Virginie, je te présente le lieutenant Rousseau, de la BR brestoise, avec qui tu as plusieurs fois parlé au téléphone, et…
Sortant le capitaine de l’embarras, la sorcerez se lève et tend la main à l’officier de police judiciaire.
— Chantelle Marzin, je suis une vieille amie d’Adrien d’abord et de Laurence ensuite. Comme vous pouvez le constater, notre lieutenante n’a aujourd’hui pas revêtu son uniforme, cette réunion restera totalement informelle. D’un commun accord avec Laurence, nous avons pensé qu’il serait plus agréable de vous transmettre les informations sur les avancées de la gendarmerie autour d’un bon repas plutôt qu’enfermés dans un triste bureau de la BTA de Landerneau.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1966, Jean-Michel Arnaud, brestois, est ingénieur en informatique. Bassiste dans le groupe My Bones Cooking, jouant du pop-rock et de la variété, il écrit depuis 2013 pour la collection Enquêtes & Suspense. Après Brest, Landivisiau, Quimper, Lannilis et Morgat, son huitième roman fait du bruit dans Landerneau.

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Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

Dans cette course à une intrigue nouvelle, beaucoup ont franchi la ligne d’arrivée des remerciements :

– Honneur aux dames, une nouvelle venue monte sur la plus haute marche dans la catégorie féminine – dont elle est la seule représentante à ce jour – : Élyse, la première de mes relectrices et supportrices, la première dans mon cœur également ;

– Guillaume vient ensuite : relecteur attitré depuis mon deuxième roman, endurant malgré la distance et mes féminisations outrancières des grades de mes héroïnes ;

– Et juste derrière arrive Matthieu : un livre de moins en tant qu’officiel de la relecture, mais toujours aussi efficace et perspicace dans son rôle, même s’il termine cette course plus essoufflé qu’après un de ses solos de batterie ;

– Pour cette course particulière, j’ajoute une quatrième marche à mon podium : Arnaud, place honorable pour un débutant dans la catégorie “correcteur de roman policier régional”, sérieux et performant, tant dans ses remarques que dans son jeu de guitare ;

– Vient ensuite le peloton des coureurs ayant consciencieusement répondu à la flopée de questions que je leur ai infligées. Dans cette grappe : les fidèles Guillaume et Arnaud, échangeant fréquemment guitares et médiators contre des tenues de marathonien. Yann s’est incrusté dans ce groupe : collègue adepte du jogging, excellent moyen pour lui de se défouler après des journées de travail à devoir me supporter ;

– Et je n’oublie surtout pas le groupe des FFDA : ce n’est pas le fruit de mon imagination, car ils courent réellement dans Landerneau, à des heures que beaucoup jugeront indues. Un grand merci à cette équipe et à leur porte-parole, Nathalie, pour m’avoir permis de les intégrer dans mon histoire.

PROLOGUE

Dimanche 9 juillet, 6 h 36

6 h 36 : six paires de runnings battent en cadence le bitume de la rue du Docteur-Roux. Après avoir emprunté le passage piéton entre la rue Henri-Dunant et cette voie pavillonnaire, ils peuvent maintenant courir au milieu de la chaussée sans trop se soucier des véhicules. À moins d’y être contraint par son travail ou une urgence vitale, il est indu de prendre sa voiture aussi tôt un dimanche matin. Ici, personne ! Les volets des demeures familiales sont toujours clos. À peine une ou deux lumières dans les appartements de la résidence Hünfeld, au bout de l’artère. Bernard, aujourd’hui désigné comme meneur du groupe, indique la droite : l’allée de Trémaria, une bonne petite grimpette, idéale pour chauffer les muscles des cuisses et des mollets !

— Hum, ça fait du bien ! Hier, j’ai regretté, il y avait un chouette brouillard, ça aurait été super de tracer là-dedans. Mais je reconnais que l’on a un peu trop abusé vendredi…

La côte qu’ils gravissent sans difficulté rappelle une question à Loïc :

— Tiens, au fait, Jean-Luc ! J’ai oublié de te demander où tu avais déniché tes côtes d’agneau. On les a vraiment trouvées délicieuses !

Sans réduire sa foulée, le prénommé Jean-Luc lève un doigt hésitant pour extraire la réponse de sa mémoire :

— C’est Babeth qui les a achetées, elle m’a dit que… Oh merde !

Absorbé par la discussion, le coureur n’a pas remarqué la plaque grasse qui s’étale au milieu de la rue. Courte glissade ! Les semelles, ayant perdu leur point d’accroche, partent vers l’avant plus vite que le corps du joggeur. Les fesses amortissent le choc. Pendant que l’un l’aide à se relever, un autre rallume sa lampe frontale pour déterminer la source de cette flaque dangereuse pour la circulation, qu’elle soit piétonne, cycliste ou automobile. Il pointe le bas du coffre de la voiture rangée sur le côté droit de la rue.

— Ça sort de là ! On doit prévenir quelqu’un, les flics ou la mairie, qu’ils viennent nettoyer avant qu’il n’y ait un accident plus grave. Ça va, Jean-Luc, pas trop de bobos ?

L’interpellé grimace.

— Ben si, j’ai mal au cul ! Mais ça ne m’empêchera pas de courir. À cette heure, on ne pourra joindre que la gendarmerie. Je crois que ça vaut mieux, avant qu’une bagnole ne parte a-dreuz* ou qu’un gamin en scooter ne se ramasse, ça ne peut pas attendre lundi ! Qu’est-ce que tu fabriques, Nath ?

Curieuse, l’unique femme du groupe a appuyé sur le bouton d’ouverture de la malle arrière pour en vérifier le verrouillage.

— Si c’est un bidon qui fuit, on peut le reboucher, ça sera déjà ça de… Oh mon Dieu !

6 h 46 : six paires d’yeux observent, effrayées, le spectacle révélé par la lente élévation du hayon, dévoilant un corps recroquevillé dans le coffre de la voiture. La couleur du visage et la langue sortant de sa bouche ne laissent aucun doute sur l’état de santé de l’occupante des lieux…

* De travers, en breton.

I

Dimanche 9 juillet, 7 h 30

Arrivé aux pieds de l’escalier, le capitaine Le Gac sent immédiatement l’agréable odeur en provenance de la cuisine.

— Prends au moins un café avant de partir, et grignote une ou deux tartines. Ce n’est pas sain d’aller travailler le ventre vide, même si tu risques de tomber sur un spectacle peu ragoûtant…

À moitié étonné, Adrien constate que Chantelle a déjà confectionné le petit-déjeuner et préparé son bol. Il consulte sa montre.

— Comment savais-tu que je serais requis de si bonne heure ? Mon téléphone n’a même pas sonné ; je le mets sur vibreur pour ne pas réveiller Ouregane, bien que nous ayons la chance que notre fille se rendorme rapidement et fasse de bonnes nuits. Il ne s’est pas passé cinq minutes depuis l’appel, et ma cafetière demande plus de temps pour se remplir. Ne te fatigue pas à me répondre, je suppose qu’il s’agit encore de l’une de tes prémonitions…

Sourire énigmatique de la sorcerez, qui tend à l’enquêteur une tartine grillée, beurrée et couverte d’une appétissante compote faite maison.

— Quelque chose m’a tirée du lit, mais, bien sûr, je n’en sais pas plus. Par contre, je présume que si l’on t’a demandé de venir aussi tôt un dimanche, c’est qu’un meurtre s’est produit… Où cela se situe-t-il ?

— Landerneau ! Je n’ai pas bien compris pourquoi la PJ* devait intervenir ; le proc’ est resté assez vague. Je crois qu’il a, comme nous, été tiré du lit après une soirée chargée et arrosée, et qu’il avait du mal à se remettre les idées en bonne place.

La veille, Chantelle et son compagnon Michel étaient conviés à dîner chez Ruby et Adrien. Le repas était agrémenté d’un agréable vin et de quelques digestifs concoctés par les sorcerezed. Ces libations ayant fait monter l’alcoolémie des convives au-dessus des limites autorisées pour reprendre le volant, ils étaient donc restés dormir dans la chambre d’amis préparée à cet effet. Chantelle s’étonne :

— Landerneau ? Tu dois savoir que Laurence enquête là-bas sur l’affaire du couple roumain…

S’essuyant la bouche après avoir englouti sa seconde tartine, Adrien fronce les sourcils. Visiblement, il avait oublié ce point.

— Assez traîné ! Il faut que je me presse, Virginie doit m’attendre devant chez elle depuis dix minutes. Elle va râler grave, surtout si je sens le pain grillé. Bon retour à Plougourvest ! finit l’enquêteur en déposant une bise rapide sur la joue de la sorcerez.

— À plus tard, joli capitaine…

Adrien fait mine de ne pas avoir entendu et referme sans bruit la porte derrière lui.

***

Plusieurs véhicules de la maréchaussée bloquent l’accès à l’allée de Trémaria. Quelques rares badauds matinaux jettent un coup d’œil curieux par-dessus les rubans tirés pour les empêcher d’approcher. Accompagné de la brigadière-chef Virginie Lastourien, Le Gac sort sa carte et la présente au gendarme qui s’interpose, un petit nouveau fraîchement débarqué à la BTA** de Landerneau et qui n’a pas encore eu l’occasion de croiser le capitaine de la police judiciaire brestoise.

Montant l’étroite voie, les enquêteurs trouvent le lieutenant Valéry Treguer, commandant de la brigade, qui leur serre la main.

— Salut, Adrien ! Content de voir que cette corvée te revient.

Montrant le coffre ouvert d’une Renault 19 grise garée sur le côté droit, il poursuit :

— Le procureur a longtemps hésité entre nous et vous. Tu as entendu parler de cette sale affaire du couple roumain découvert à La Roche-Maurice jeudi dernier ? La BR*** brestoise est déjà sur le coup. Comme il nous a été impossible d’établir une liaison entre ces deux cas, Barjac a préféré vous attribuer ce nouveau bébé. Le légiste ne va plus tarder, vos gars attendent sa présence pour sortir le corps…

Le Gac acquiesce, les lèvres pincées, et les policiers s’approchent de l’automobile autour de laquelle des spécialistes du SLPT**** s’activent à prendre des photos et à relever empreintes et échantillons afin de figer la scène de crime. Pendant que le lieutenant descend accueillir François Bodonec, le médecin légiste brestois, Adrien réalise quelques clichés avec son téléphone. Salutations rapides et distantes à l’homme de l’art, qui a déjà enfilé sa tenue de travail, et les enquêteurs s’écartent pour le laisser pratiquer les premières constatations. De loin, ils observent les techniciens extraire le cadavre de son inconfortable cercueil et le déposer sur une civière. Le capitaine en profite pour effectuer quelques clichés du visage de la victime avant que les employés des PFCA***** du Vern l’emportent à l’institut médicolégal de l’hôpital de la Cavale Blanche.

Alors que les techniciens en scène de crime s’empressent pour investiguer dans le coffre maintenant dégagé de la Renault, l’officier de gendarmerie retrouve ses collègues brestois.

— À propos de l’affaire des Roumains, je crois que tu connais la personne chargée du cas, la lieutenante Rousseau…

Écoutant l’échange tout en observant les alentours, la brigadière-chef note le léger frémissement échappant à son supérieur lorsqu’il entend ce nom.

— En effet, nous avons travaillé ensemble sur une enquête à Lannilis, l’année passée******. Peux-tu me faire un topo rapide sur tes premières constatations ici ? J’ai peut-être zappé des détails.

Sourire flatté du lieutenant Treguer, fier d’être ainsi mis à contribution par ses collègues, limiers chevronnés dans l’investigation criminelle.

— Une femme, dont j’estime l’âge entre trente et quarante ans, sportive pour de vrai…

— Pour de vrai ? s’étonne Le Gac.

Virginie se charge de l’explication :

— Ce n’est pas parce que l’on porte un jogging que l’on est un sportif “pour de vrai”. Beaucoup adoptent ce type de fringue plus confortable et rapide à enfiler le matin pour aller chercher le pain ou le journal. Quels détails te font dire que la victime pratiquait réellement ?

Les deux mains de Valéry, pouces et index écartés de trois centimètres, miment sur son front.

— Le bandeau, du style que l’on se colle autour de la tête pour courir sans avoir les cheveux qui te viennent dans les yeux. Et ses chaussettes : pour te rendre à la boulangerie en cette saison, tu ne mets pas ce genre de truc, c’est un modèle pour sportif. Tu as d’ailleurs dû remarquer qu’elle ne porte plus de godasses ; on ne les a pas encore retrouvées. Sinon, on aperçoit les traces de transpiration aux endroits habituels…

Opinant silencieusement de la tête, Adrien fait signe à son collègue gendarme de continuer.

— Pour la cause de la mort, strangulation, sans aucun doute ! La couleur du visage, la langue qui sort, les sillons autour de son cou, une cordelette, un truc dans le genre lacet, sans doute pris sur les chaussures, ce qui peut être la raison pour laquelle elles ont disparu.

Un homme de l’équipe technique s’approche.

— Nous n’avons pas retrouvé les papiers de la victime, ce qui ne m’étonne pas : quand on part courir, on n’emporte que le strict nécessaire et on laisse le reste à la maison ou dans l’auto. Mais elle n’avait rien dans les poches, pas de clefs ni de téléphone…

— Elle les a peut-être foutus dans un mini-coffre à code attaché à sa voiture, indique Virginie. Beaucoup le font pour éviter de trimballer la clef, mais cela sert plus à ceux qui pratiquent des sports nautiques, surf ou longe-côte. Par contre, pour le portable, on peut utiliser un brassard ou une ceinture souple pour le garder avec soi.

Le technicien reprend :

— Le véhicule est plutôt crade. Nous allons avoir besoin de temps pour l’inspecter à fond et distinguer les traces laissées par le meurtrier de celles du propriétaire. Tu nous donnes l’autorisation de le faire emporter ?

Le Gac sourcille.

— Tu veux dire qu’il ne s’agit pas de la voiture de la victime ?

— Merde ! réagit le lieutenant Treguer. J’ai oublié de te parler de ça, excuse-moi ! Non ! En fait, ce tas de boue traînait depuis un bout de temps sur le parking de la cité Du Guesclin. N’ayant pas les moyens de s’en racheter une autre, son propriétaire tarde à s’en séparer, mais sa charrette n’est pas passée au contrôle technique depuis bien trop longtemps. Il se doute qu’il faudrait tout changer dessus, alors il la garde là, l’utilisant une fois de temps en temps s’il doit se déplacer en des endroits non desservis par les transports en commun, chose heureusement rare.

— Vous l’avez interpellé ?

Signe hésitant de la tête.

— Bien sûr, nous avons immédiatement recherché son identité à partir de l’immatriculation, et j’ai envoyé des gars pour le cueillir. Il leur a avoué l’état de décrépitude de sa bagnole, qui reste en permanence au fond du parking de la résidence, dont il ne se sert que s’il ne peut pas faire autrement. Il prétend ne pas l’avoir utilisée depuis lundi dernier. Ce sont mes hommes qui lui ont appris qu’elle ne se trouvait plus là où il l’avait garée : on ne voit pas sa place de stationnement de chez lui ni de l’entrée de son immeuble, il est donc possible qu’elle ait été volée huit jours plus tôt. De plus, il affirme ne plus la verrouiller, de peur que les serrures ne se grippent, car elles sont particulièrement rouillées. La procédure de garde à vue n’a pas encore été lancée ; il n’est pour l’instant retenu qu’en tant que témoin, mais le major qui s’est occupé de l’intervention est particulièrement finaud et, d’après lui, ce gars dit la vérité. Il ne s’est même pas rendu compte qu’on lui avait emprunté son épave.

Grincement de dents de déception.

— Espérons que le tueur perde ses cheveux ou ait des pellicules, cela nous donnera déjà une trace ADN. Et ça ?

Du doigt, Le Gac pointe la zone grasse qui s’étire de l’arrière de la R19 jusqu’au milieu de la chaussée.

— Un bidon dans le coffre pour refaire régulièrement les niveaux, car le moteur consomme plus d’huile que d’essence d’après son propriétaire. Le cadavre a dû appuyer dessus et le bouchon, mal refermé, a sauté. Ensuite, l’huile s’est écoulée par l’un des nombreux trous de rouille pour se répandre dans la rue, cause de la chute du coureur qui a permis de découvrir ce cadeau-surprise. Un conseil : si le légiste prétend que la victime a les cheveux gras, ne lui fais pas totalement confiance…

Souriant poliment à la mauvaise blague de l’officier de gendarmerie, le capitaine poursuit :

— Cette presque épave doit faire du boucan en se déplaçant. Nous interrogerons le voisinage. Quelqu’un a peut-être aperçu le conducteur qui l’a déposée ici… Et donc, qui l’a découverte ?

— Les FFDA !

Regard étonné de Le Gac qui recherche dans sa mémoire le sens de ce sigle. Remarquant le sourire de Valéry Treguer, il abandonne sa quête, se doutant que le lieutenant aurait du plaisir à lui en révéler la signification.

— Les Fous Furieux De l’Aurore ! Il s’agit d’une petite formation de joggeurs, qui prennent leur pied à se lever très tôt pour courir dans Landerneau. Et quand je dis “très tôt”, c’est vraiment très très tôt : environ 5 h 30 la semaine, et 6 h 30 le week-end.

Le capitaine restant muet d’étonnement, Valéry poursuit :

— Ce truc a été mis en place par l’ancien commandant de la gendarmerie landernéenne et, malgré sa mutation pour Rennes, le groupe perdure. D’ailleurs, le collègue a récidivé dans la capitale de la Bretagne et, là-bas, ils décollent encore plus tôt ; normal, car ils se situent plus à l’est, le soleil se lève donc avant sous leur longitude… Tu pourras leur demander tous ces éclaircissements toi-même. Nous avons réquisitionné le centre de loisirs pour que la troupe puisse s’installer en t’attendant. Sans vouloir te commander, ce serait sympa de les auditionner tout de suite pour les laisser repartir, je ne pense pas qu’ils puissent te dire quoi que ce soit de plus.

Le Gac acquiesce et fait signe à Virginie de venir. Celle-ci s’activait à interroger les personnes qui regardaient la scène de derrière les rubalises tendues par la gendarmerie pour les empêcher d’approcher. Rejoignant son chef, elle explique :

— Ces gens habitent plus haut, dans cette rue à sens unique. Ils sont donc passés par ici ces derniers jours. Je leur ai demandé s’ils savaient depuis quand cette épave traînait à cette place ; une R19 dans cet état se repère assez facilement. D’après la femme, cela daterait de vendredi, elle est presque certaine qu’elle ne se trouvait pas là jeudi… Bien sûr, nous allons devoir diligenter une enquête de voisinage, quelqu’un a peut-être aperçu ou entendu quelque chose. Comme tu le disais, ce tas de boue doit faire un sacré raffut quand il bouge, cela se remarque…

Écoutant les explications de sa collègue policière, le lieutenant Valéry Treguer intervient :

— Sans vouloir me montrer défaitiste, l’endroit où est rangée cette épave est totalement invisible depuis les habitations. On ne peut la voir que depuis l’école, mais elle est évidemment fermée pendant les vacances. Et, pour le bruit, tu te situes en face du CLSH******* des Diablotins : matin et soir, les parents défilent dans leurs voitures pour venir conduire ou rechercher leur progéniture, cela génère du roulage dans la rue…

Moue de déception pour Virginie, qui reprend :

— Oui, je m’y attendais un peu, mais peut-être que nous aurons au moins confirmation du jour d’arrivée du véhicule.

Adrien complète, désignant la petite résidence en bas de l’allée de Trémaria :

— Dans ce genre d’endroit, il y a en général pas mal de gamins qui traînent pendant les vacances, allant et venant dehors. Ils sauront certainement nous donner une approximation. Lorsqu’ils ont sorti le corps, j’ai remarqué que la rigidité cadavérique avait disparu, cela doit donc dater de plus de quarante-huit heures…

Agitation en bas de l’allée de Trémaria, les gendarmes détachent les rubans afin d’ouvrir le passage au camion-plateau venu emporter le véhicule.

***

— Bataille !

— Encore ? Je suis sûr que tu triches ! Toute façon, il manque la moitié des cartes à ce jeu…

— Ah ! Voilà le lieutenant, on va devoir abandonner le combat. Dommage pour moi, j’étais à deux doigts de t’écraser !

Confinées dans la salle principale du centre de loisirs, les six personnes s’occupent comme elles peuvent : deux se sont accroupies de part et d’autre d’une table de petit format pour une partie de cartes improvisée, une troisième s’applique à bâtir une tour branlante avec une série de cubes dépareillés, une quatrième consulte les différents livres de la bibliothèque tandis qu’un couple observe chacun des dessins accrochés au mur. Virginie remarque immédiatement l’attitude protectrice de l’homme envers la femme. Voyant les enquêteurs arriver, le groupe de joggeurs se rassemble autour d’eux. Valéry Treguer sort le carnet où il a noté les identités, et effectue les présentations. Chacun des coureurs arborant un maillot floqué de son prénom et de l’indication « Départ 5 h 39… », le travail de mémorisation des policiers est grandement facilité. Le capitaine Le Gac pose sa première question à la cantonade :

— Le lieutenant m’a signalé que vous courez plusieurs fois par semaine, en général tôt le matin. Empruntez-vous toujours l’allée de Trémaria ?

Nathalie, seule femme du groupe, s’érige en porte-parole :

— Absolument pas ! Aujourd’hui, Bernard a pris la tête et a choisi l’itinéraire. Sa technique favorite d’orientation est « au hasard, Bernard ! » ; le passage sur la droite le tente, alors on file par ici, et là-bas, ça a l’air sympa, alors on y va… On est partis, comme presque toujours, du parking du Family, le centre culturel de Landerneau, et… la description de notre parcours peut vous servir à quelque chose ?

— Non, pour l’instant, ce n’est pas utile. Et donc, vous êtes arrivés dans cette allée…

— Oui, on fait cela parfois, une petite côte qui fait du bien aux jambes, pas méchante, mais ça grimpe un peu. Et en haut, on prend la rue du Commandant-Charcot et l’on redescend par la rue Dunant pour rejoindre… mais je recommence à tout vous détailler, excusez-moi.

— Je croyais que monsieur… Bernard choisissait le chemin ?

— En effet, pour certains carrefours où s’offrent à nous plusieurs possibilités, mais, ici, une fois engagés dans l’allée, il y a peu d’autres choix pour continuer, ou alors par des routes désagréables à suivre. À force, on connaît toutes les particularités, les coins à éviter, trop risqués à cause des crottes de chien ou des feuilles mouillées en automne, pénibles parce que le trottoir est trop étroit et que l’on préfère ne pas courir sur la chaussée, même avant 6 heures du matin. C’est valable pour le samedi car, en semaine, le mardi, c’est circuit et le jeudi, du fractionné sur la piste d’athlétisme et sur les côtes de Landerneau.

— Samedi ? s’étonne Virginie. Vous voulez dire dimanche…

Sourire sur les visages de tous les membres du FFDA. Nathalie reprend :

— En effet, d’habitude, nous courons le samedi. Et là, exceptionnellement, nous avons décidé de reporter d’un jour. Avant-hier, nous avons organisé un barbecue chez Jean-Luc et nous avons tous un peu abusé : la météo, l’ambiance et les vins… Nous avons passé une super soirée, qui s’est terminée aux alentours de deux heures du matin. Savez-vous qui est cette pauvre femme, et si elle a été…

Adrien hoche la tête, un sourire triste sur les lèvres.

— Nous ne pouvons rien vous dire encore. Nous n’avons pas retrouvé d’indication permettant de l’identifier et, pour le reste, l’autopsie le déterminera, mais pas avant demain ou mardi… Vous avez probablement remarqué qu’elle portait une tenue de jogging, peut-être l’avez-vous croisée au cours de…

Claquement sec ! L’homme au tee-shirt floqué « Marc » s’est tapé sur la cuisse du plat de la main.

— Mais oui ! C’est là que je l’ai vue ! Dimanche dernier, au trail de l’Élorn ! Ah ! Je suis le seul ici à y avoir participé. Gaël se trouvait avec moi, mais il est parti en vacances. Elle… oui, c’est ça, elle s’engueulait avec son mec. Enfin, avec un gars, j’ai eu l’impression que c’était son mec, étant donné la façon dont ils se comportaient.

Soudainement intéressés, les enquêteurs se tournent maintenant vers Marc.

— Et avez-vous entendu quelque chose nous permettant de l’identifier, un nom, un prénom ?

— Non, rien, euh… Son numéro de dossard… en fait, je crois qu’elle ne l’avait pas encore mis, j’en suis presque sûr !

Court moment de réflexion, le regard baguenaudant au plafond, puis l’homme reprend :

— Par contre, son mec, oui, il l’avait ! Et j’ai même remarqué que ça correspondait au code secret de ma carte bleue, le truc écrit derrière, qu’on doit ajouter si l’on commande sur Internet. J’en avais fait une juste avant, de commande, c’est pour ça que je me souvenais de ces trois chiffres et que ça m’a amusé quand j’ai vu qu’ils étaient affichés sur le dossard de ce gars. Vous voulez que je vous donne ce numéro ?

Avant même que les enquêteurs n’aient pu répondre, Nathalie intervient vigoureusement :

— Mais bien sûr que tu dois ! Ça permettra de trouver le nom de cet homme et à partir de là celui de son amie, s’ils étaient bien ensemble !

Marc arbore un air gêné.

— C’est que… vous ne le répéterez pas ? Parce que ça peut être dangereux !

Adrien lève la main pour calmer le coureur en se retenant de sourire.

— N’ayez aucune crainte, nous ne signalerons pas la correspondance entre ce numéro et celui indiqué au dos de votre carte, ce détail est totalement inutile à notre enquête. Il n’y a donc que vos amis des FFDA qui le sauront. Vous leur faites confiance ?

Confus, l’homme fournit les trois chiffres au capitaine de police qui les note. Puis Adrien regarde l’heure sur son téléphone portable et, après une petite grimace d’inquiétude, compose un SMS.

— Je suppose qu’aujourd’hui, nous aurons des difficultés à joindre les organisateurs de cette course pour récupérer la liste des participants, mais j’essaie par une autre méthode, même s’il est un peu tôt pour cela…

Moins de deux minutes plus tard, alors que les enquêteurs relèvent les identités et coordonnées de chacun des membres, une courte sonnerie contredit le capitaine.

Consultant le message reçu, un sourire éclaire son visage. Il montre la photo affichée sur son écran à Marc.

— S’agit-il bien de cet homme ?

— Oui, un oui catégorique !

D’un glissement de doigt sur la surface tactile, Le Gac passe au cliché suivant.

— Et donc, voilà notre victime !

La brigadière-chef et le lieutenant de gendarmerie viennent se pencher par-dessus l’épaule du capitaine.

— Merde ! Comment as-tu fait ça ? Il faut que tu nous indiques ton truc, ça peut nous servir…

Plutôt que de répondre à Valéry, Adrien transmet un nouveau message, dont le retour arrive moins d’une minute plus tard.

— Elle se nommait Coralie Authier…

***

Les globes oculaires vides de la tête de mort suivent le mouvement des policiers lorsqu’ils sortent du local du centre de loisirs des Diablotins, accompagnés des membres du FFDA, heureux de retrouver leur liberté d’aller et venir et surtout de courir. L’épaule sur laquelle est installé l’inquiétant tatouage – crâne décharné aux mâchoires grandes ouvertes, hurlant silencieusement une douleur que ses traits ne peuvent plus exprimer – s’écarte discrètement pour se dissimuler aux regards inquisiteurs des enquêteurs qui descendent maintenant récupérer leur véhicule en bas de l’allée de Trémaria.

***

Le capitaine Le Gac montre le cadre placé à côté de la télévision dans le petit salon de l’appartement.

— Vous nous avez dit qu’un homme passait souvent la nuit avec madame Authier. S’agit-il de cette personne ?

Gérard Roupin chausse les lunettes attrapées dans la poche de sa chemise et se penche pour regarder la photo de plus près. Il prend bien garde à ne rien toucher, obéissant ainsi aux recommandations données par l’officier de police judiciaire venu lui demander d’assister à la visite du logement de sa voisine.

— Oui, je suis formel. Je le croise parfois quand il entre ou sort de l’appartement, principalement le week-end. Annabella, tu veux bien confirmer ?

La femme brune se penche à son tour pour examiner le portrait, faisant bâiller l’ouverture de son peignoir. Le détail n’échappe pas au regard intéressé de Gérard Roupin, qui ne perd pas une miette du spectacle. Le constatant, Annabella Ribeiro resserre les pans du vêtement et se redresse, donnant un léger coup de son index tendu sur le nez du voyeur.

— Rooo, gros coquin ! Si, Monsieur le policier, je l’ai vu aussi. Comme Gérard il a dit, il vient beaucoup le week-end. La semaine, je ne crois pas…

— Bien. Et le nom de Michaël Ruelan évoque-t-il quelque chose pour vous ?

Annabella Ribeiro réagit immédiatement en entendant le prénom :

— Si, Michaël ! Coralie, elle l’appelle comme ça. Elle n’était pas contente parce qu’il n’allait pas assez vite à la rejoindre, ils partaient courir tous les deux.

Adrien remercie madame Ribeiro, évitant au passage de laisser glisser son regard dans le décolleté généreux qu’elle offrait à la vue de tous. Contrairement à Gérard Roupin, rasé, lavé et habillé lorsque les officiers de police sont venus sonner chez lui, la voisine aux fortes intonations lusitaniennes finissait tout juste de préparer son petit-déjeuner. C’est donc vêtue de son peignoir éthéré et chaussée de mules qu’elle se plia de bonne grâce à la requête du charmant capitaine, la brigadière-chef Lastourien se retenant pour ne pas exploser de rire en remarquant les œillades gourmandes que la quinquagénaire décoche à son supérieur, qui reprend sans attendre :

— Virginie, tu t’occupes de la chambre avec madame Ribeiro pendant que je regarde ici. Je suppose que les papiers administratifs se trouvent dans ce meuble…

Alors que les deux femmes se rendent dans la pièce attenante pour une fouille rapide, Le Gac sort le classeur souple renfermant feuilles de paie, contrats d’abonnement et factures de fournisseurs en électricité ou téléphonie. Tout en rassemblant les éléments pouvant se montrer utiles à l’enquête, il continue à poser quelques questions au voisin de palier :

— Je vois ici que madame Authier possédait une voiture, Renault Clio blanche… Savez-vous si elle se trouve sur le parking ?

— Non ! Nous disposons chacun d’une place attribuée, et la sienne était vide lorsque je suis revenu des courses hier en fin de matinée.

Courte réflexion de l’homme, qui poursuit :

— Il me semble aussi pouvoir affirmer que son automobile n’était pas garée là vendredi soir à mon retour du travail, vers 18 h 30. Toutefois, je ne peux vous garantir qu’elle n’est pas rentrée ensuite. Comme vous l’avez constaté, ma porte se situe après la sienne dans le couloir, je ne l’entends donc pas passer, d’autant plus qu’elle porte très souvent ses chaussures de sport, et pas des talons hauts comme Annabella…

Comme pour confirmer ses dires, le tac-tac des mules de la voisine sur le plancher de l’appartement annonce le retour des deux femmes.

— Je n’ai rien trouvé d’intéressant là-bas, capitaine Le Gac ! Tout ce que je peux certifier, c’est qu’aucun homme ne vit ici à temps plein, comme nous l’ont indiqué nos deux assistants. Idem dans la salle de bains, uniquement des produits féminins autour de la baignoire. Et elle n’était pas férue de maquillage ou autres soins de peau, rien que le minimum vital. Par contre, l’armoire à pharmacie est bien fournie, de quoi traiter tous les petits bobos qu’une pratique intensive de la course à pied peut générer. As-tu consulté son ordinateur ?

Adrien hochant négativement la tête, la brigadière-chef allume la machine et grimace.

— Mot de passe nécessaire, nous ne pourrons rien avoir aujourd’hui ! Vois-tu autre chose à embarquer, mis à part la pile de paperasse que tu es en train de rassembler ?

Coup d’œil circulaire dans la pièce chichement meublée.

— Regarde à la cuisine et dans le placard de l’entrée. Je ne pense pas que cela soit d’une grande utilité, mais on ne sait jamais ! Ensuite, tu prépareras le compte rendu à faire signer à madame Ribeiro et monsieur Roupin, et nous vous laisserons vaquer à des occupations plus agréables…

***

— À ton avis, ils baisent ensemble ?

Adrien fixe Virginie, surpris par sa question.

— Tu veux parler des voisins ? Ça ne m’étonnerait pas, je pense que quelques rapprochements se produisent de temps en temps, les deux étant divorcés. Pourquoi cette interrogation ? À trop travailler avec des hommes, tu contractes leurs sales habitudes, brigadière-chef !

— Non, pour rien. J’ai juste constaté les regards qu’elle te lançait ; elle aurait bien repris sa grasse matinée avec toi dans son lit comme petit-déjeuner. Mais comme tu n’as pas répondu favorablement à ses appels, c’est Gérard qui va s’y coller ! J’ai remarqué que, à notre départ, elle lui attrapait la main pour l’attirer dans son appartement.

— Bravo, tu as l’œil ! Mais cela ne fait pas avancer notre affaire ! En premier, nous devons localiser le petit ami.

— Michaël Ruelan. Je suppose que ses coordonnées ne figurent pas dans les papiers que tu as récupérés.

Adrien hoche la tête, réfléchissant à un moyen d’éviter de solliciter de nouveau Richard Dumoing, alias R2D2. À partir du numéro de dossard de Ruelan, le geek avait effectué une recherche sur les divers sites internet relatant l’événement du dimanche précédent et retrouvé le nom du traileur, ainsi que plusieurs photos où on le voyait en compagnie de Coralie Authier.

Le dossard de la coureuse avait permis de lui attribuer un patronyme, dont l’expert en piratage s’était ensuite servi pour déterminer son adresse. À l’aide de son smartphone, Le Gac tente sa chance sur les pages blanches, transcription informatisée de l’annuaire téléphonique.

Constatant sa grimace de désappointement, Virginie s’amuse.

— Tu retardes, Capitaine ! Ce gars est un célibataire trentenaire, pas du genre à se faire installer une ligne fixe en « 02 98 ». Pas la peine de consulter le “bottin”, comme aurait dit ma grand-mère ! Je crois que, malheureusement, on sera obligés de retourner à Colbert pour se taper le travail de recherche nous-mêmes. Inutile de rêver, un dimanche du mois de juillet, personne ne répondra au téléphone pour nous faire le boulot à distance, les bureaux sont vides !

Vexé de la remarque de sa subordonnée, Le Gac riposte :

— On gage que je parviens à l’obtenir d’ici ?

— Pfff, tu n’as même pas voulu nous révéler le nom de ton informateur. Je ne suis pas folle au point de parier avec toi ; j’ai vu à quelle vitesse ce gars a pu retrouver l’identité et l’adresse de la victime à partir des trois chiffres du dossard de son mec.

Sans rien ajouter, Adrien compose le texto à destination du geek capable de relever ce défi et le transmet, un sourire mystérieux au coin des lèvres.

— Voilà ! La réponse dans quelques minutes… Par contre, concernant le portable de madame Authier, nous devrons attendre demain pour envoyer la réquisition à l’opérateur, qu’il nous calcule ses dernières positions. Il est peut-être demeuré dans sa voiture, cela nous permettrait de retrouver les deux en même temps.

La brigadière-chef consulte la liasse des papiers sélectionnés par Adrien, à la recherche de renseignements sur le véhicule.

— J’indique le modèle et le numéro de plaque à la BTA de Landerneau, car je suppose qu’eux restent sur le pied de guerre, même le dimanche. Une patrouille la localisera éventuellement. Ah ! Ton informateur secret te répond enfin qu’il faut arrêter de l’emmerder le jour du Seigneur ?

Le capitaine lit le SMS, dont la réception a fait tinter son téléphone, et sourit, fier de sa victoire.

— En voiture, brigadière-chef ! Nous allons faire connaissance avec l’amant !

***

Attiré par les coups sonores frappés sur la porte de Michaël Ruelan, un voisin s’inquiète de cette bruyante et inattendue visite dominicale.

— Vous voulez voir Mick ? Un dimanche à cette heure, vous avez peu de chance de tomber sur lui, il doit être à cavaler à droite ou à gauche. Ce gars est accro au jogging ! Il ne peut pas s’empêcher d’aller courir dès qu’il a du temps libre, toujours à enchaîner les kilomètres, préparation de ci, entraînement pour ça, sans arrêt une nouvelle épreuve dans le collimateur. C’est pas le bidule à La Roche-Maurice aujourd’hui ? Ah non, c’était dimanche dernier, il y a aussi participé… Voilà, ça me revient, c’est Plouzané, le machin du Bout du Monde, le nom ressemble à ça, avec plusieurs distances, dont une de plus de cinquante bornes, un ultra-trail qu’ils appellent ce truc de dingues ! Michaël me racontait que, pour celui-là, le départ était fixé à 8 heures du matin, mais qu’il fallait prendre la navette depuis la pointe Saint-Mathieu à 6 heures. Vous vous rendez compte ? Un dimanche, se priver de grasse mat pour cavaler pendant je sais pas combien de temps ? Ils sont fous, ces joggeurs ! Et, en plus, ils paient pour ça !

Adrien préfère interrompre l’homme avant qu’il ne se relance dans une nouvelle diatribe contre ce sport dont il n’est visiblement pas adepte :

— Monsieur Ruelan s’est inscrit pour cette course de cinquante kilomètres ?

— Non, quand même pas. Mais je suis sûr que l’idée le tente, il aime relever des défis, Mick, quitte à se foutre la santé en l’air pour plusieurs mois ensuite. Je crois qu’il a opté pour la distance en dessous, une petite quarantaine de kilomètres qu’il dit, plus raisonnable. Je l’ai entendu partir assez tôt ce matin, sur le pied de guerre à 5 h 30. Sa voiture est stationnée juste sous ma fenêtre et son pot doit avoir un pète, elle fait un sacré barouf lorsqu’il démarre. Mais il s’en fout, il préfère dépenser une fortune dans une nouvelle paire de grolles de course plutôt que d’apporter sa bagnole au garage pour une révision. Un fada, je vous dis !

Coup d’œil à sa montre, mais Adrien n’a pas la moindre idée de la durée nécessaire pour parcourir une telle distance.

Il profite d’avoir ce voisin bavard sous la main pour tenter d’obtenir quelques confidences sur le couple de joggeurs.

Après présentation de sa carte de police et récupération de l’identité de l’intervenant, nommé Laurent Astruc, Adrien lui demande s’il connaissait Coralie Authier, ce qui trouble le regard de l’homme.

— Vous employez l’imparfait, ça veut dire qu’elle est morte ! C’est la raison de votre visite ? Vous soupçonnez Michaël de l’avoir butée ?

D’un mouvement, le capitaine calme l’angoisse qui s’empare du voisin.

— Absolument pas ! Nous nous contentons de suivre la procédure et nous nous devons d’interroger toutes les personnes proches d’elle. Vous confirmez donc que monsieur Ruelan et madame Authier entretenaient une liaison ? Depuis combien de temps ?

Trois doigts aux ongles crasseux viennent gratter le cuir chevelu de Laurent Astruc.

— Attendez que je me souvienne… Moi, je crèche ici depuis que j’ai embauché chez Gelagri, c’était en 2012, et Michaël habitait déjà là. Sa nana, à l’époque, était brune et grosse, plus à mon goût que Coralie, trop maigre, qui n’avait que la peau et des muscles sur les os. Moi, j’aime bien quand les mains trouvent de la chair à tâter…

Déçu que son mauvais calembour ne provoque aucun sourire chez les enquêteurs, l’homme se replonge dans sa réflexion à voix haute, ses doigts reprenant leur grattage du cuir chevelu.

— Donc, la Sophie en chair, il l’a jetée en fin d’année, après l’été. Je me souviens parce qu’elle portait souvent des minijupes. Il faut me comprendre, je suis célibataire, alors je profitais du spectacle quand elle arrivait et sortait de sa voiture. Elle tirait sur le tissu pour se cacher les fesses, car elle avait la bonne habitude d’acheter des fringues deux tailles au-dessous de ce qu’elle aurait dû choisir. Mais Michaël, ça ne lui plaisait pas qu’elle soit aussi court vêtue, il trouvait que ça faisait trop pute et ils s’engueulaient souvent à ce sujet. Résultat, elle est allée promener ses rondeurs ailleurs. Il est resté longtemps seul. Si je me souviens bien, c’est à ce moment qu’il s’est mis à courir, histoire de s’occuper l’esprit. Moi, je bosse en horaires décalés, donc je ne remarque pas toujours lorsqu’il rentre du boulot mais, quand j’étais là, je le voyais se ramener, passer sa tenue de sportif et repartir. Je ne sais pas s’il cavalait pour rencontrer des nanas ou l’inverse, mais je l’ai vu un jour débarquer avec Coralie, et ils ont dû prendre une bonne douche ensemble, pas seulement pour se frotter le dos, si vous comprenez ce que je veux dire. C’était en 2013, mois de mai, si je me trompe pas. Ensuite, elle est revenue plusieurs fois, mais je faisais moins attention. Je crois qu’elle ne devait pas posséder une seule jupe dans sa garde-robe, toujours en pantalon de sport, pas le genre de fringue qui attire le regard…

Constatant que l’agacement montait chez Virginie, Adrien tente de réorienter la discussion :

— Donc, leur liaison dure depuis quatre ans…

Mouvements de tête négatifs du témoin.

— Non, elle a commencé il y a quatre ans, mais ils ont fait des pauses. Je n’ai jamais connu de couple qui s’engueulait autant. Heureusement qu’ils vivaient chacun chez eux, sinon j’aurais dû demander une isolation sonore à mon proprio. Il y a eu des trous de plusieurs mois dans ces quatre années : ils se remettaient ensemble et puis crac, nouvelle séparation !

— Mais avez-vous une idée de la raison de ces ruptures ? Infidélité, l’un voulait fonder un foyer et pas l’autre, divergence de vues en politique ?

Laurent Astruc sourit tristement.

— La raison, c’est tout bêtement qu’ils n’étaient pas faits pour la vie commune. L’unique point qui les rapprochait était ce goût partagé pour le fond, le jogging, le cross, les trails ou je ne sais pas quels termes ils employaient pour parler de la course à pied. Mais visiblement, cette union sportive ne suffit pas à souder un couple. Hormis quand ils cavalaient, ils avaient du mal à se supporter lorsqu’ils restaient l’un avec l’autre plus de douze heures. Mick et moi sommes devenus copains au fil du temps, surtout parce qu’il se retrouvait assez longtemps seul et qu’il aimait venir chez moi pour causer, me raconter ses malheurs sentimentaux. Je ne comprenais pas qu’ils se refoutent ensemble, aucun ne faisant de concession. Coralie avait le même âge que Mick, donc deux ans de moins que moi qui en ai trente-cinq, mais je croyais entendre des vieux cons parler, ancrés dans leurs habitudes et ne souhaitant pas faire l’effort de changer pour s’adapter à l’autre. Enfin, je vous raconte ça mais, de mon côté, je ne me suis jamais mis à la colle avec une nana, je n’en ai pas encore trouvé une qui veuille de moi et puisse me supporter…

Discrètement, Virginie observe le voisin d’un œil critique : les cheveux en bataille et mal rasé, d’une hygiène plus que douteuse, attifé dans des vêtements de tailles aléatoires qui auraient également eu grand besoin d’un passage par la machine à laver, l’homme ne présentait en effet aucun attrait. Le Gac sort une carte indiquant son numéro de portable et la remet à Laurent Astruc, lui confiant la mission de demander à Michaël Ruelan de l’appeler dès son retour du Bout du Monde.

Regagnant la voiture, la brigadière-chef Lastourien ne peut s’empêcher de donner son avis :

— Ce gars me fait pitié. Il ne fait aucun effort pour paraître plus attrayant, pas étonnant qu’il ne se trouve pas de compagne. Je sais qu’on est dimanche, mais un petit coup de peigne et un bon décrassage des mains ne sont jamais superflus, au cas où…

Adrien ne discute pas cette argumentation, pensant à Chantelle et ses compétences particulières : la bazvalan******** serait-elle capable de dénicher une femme pour cet homme ? La sonnerie de son portable le fait sursauter dans sa réflexion silencieuse. Le capitaine répond et écoute, puis consulte sa montre avant de raccrocher.

* Police judiciaire.

** Brigade territoriale autonome.

*** Brigade de recherche.

**** Service local de police technique.

***** Pompes funèbres des communes associées.

****** Lire Lettres mortes à Lannilis, même auteur, même collection.

******* Centre de loisirs sans hébergement.

******** Entremetteur de mariage – Bazvalan signifie « bâton de genêt », en breton.

II

Dimanche 9 juillet, 12 h 15

Arrêt brutal ! Surprise, la brigadière-chef Lastourien percute son supérieur de plein fouet dans le dos ! En entrant dans le restaurant, Adrien a stoppé net lorsqu’il a aperçu la silhouette de Chantelle assise en face de Laurence ! Comment la sorcerez