Fresque de sang sur le Ponant - Jean-Michel Arnaud - E-Book

Fresque de sang sur le Ponant E-Book

Jean-Michel Arnaud

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Beschreibung

Si du pont de la Brass, tu veux t’jeter…

Si du pont de la Brass, tu veux t’jeter… Romain se serait-il inspiré du tube de Matmatah avant de venir faire un tour à Lambé pour s’élancer du viaduc enjambant le Spernot ?
Les premières investigations orientent le capitaine Le Gac et son équipe vers le monde des graffeurs brestois. Mais, lorsqu’un second suicide endeuille cette communauté, l’enquête devient plus complexe…

Le Gac, avec le secours occulte de son amie Chantelle, une sorcerez, et de l’inénarrable Jean-Do, parviendra-t-il à arrêter le meurtrier avant que celui-ci n’aille tracer un nouveau trait rouge sang sur les fresques qui ornent les murs de la cité du Ponant ?

Plongez-vous dans le 5e tome de Chantelle, enquêtes occultes, avec une enquête prenante et haute en couleurs dans le monde du graff, habilement mise en scène par Jean-Michel Arnaud.

EXTRAIT

Lambézellec est calme et désert lorsque ce jeune homme passe la porte de l’immeuble : à 1 heure du matin, en milieu de semaine, rien que de très normal. Il enfile son blouson et en remonte la fermeture Éclair : en ce début juin, les hausses de température ressenties sur le pays ont oublié de visiter la Bretagne où l’on a du mal à croire que l’été approche.
Sans précipitation, il traverse la rue Claude Farrère, tout en extrayant son smartphone de sa poche, et se positionne pour photographier le bâtiment d’où il vient de sortir, construction de trois niveaux, rez-de-chaussée occupé par des garages, des panneaux « A louer » accrochés aux fenêtres du premier étage. Quelques pas vers la gauche lui permettent de changer d’angle de vue afin que le mur de l’immeuble mitoyen apparaisse sur son nouveau cliché.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Né en 1966 en région parisienne, Jean-Michel Arnaud a rallié la Bretagne en 1994 pour son travail d’ingénieur en informatique. La lecture de romans policiers régionaux lui donne l’envie de tenter sa chance dans ce genre. Bassiste, il participe à plusieurs groupes pop-rocks amateurs, de 1999 à 2004 avec le groupe Hepanah, maintenant disparu, et depuis 2008 avec le groupe My Bones Cooking tournant régulièrement dans la région brestoise. Pour ce cinquième livre, il revient à Brest, comme dans son premier ouvrage, après avoir fait un détour par Landivisiau, Quimper et le Léon.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Ce roman se déroule en 1979, dans l’ancien Centre Hospitalier de Saint-Nazaire, désormais désaffecté. Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

Pour cette nouvelle aventure, j’ai trois personnes à remercier :

- Comment écrire sur les graffeurs et leur art sans l’aide d’un connaisseur sur ce sujet ? Alors, tant qu’à faire, autant prendre l’un des meilleurs sur la place. C’est donc Yann, plus connu des murs brestois par son blaze Pakone, que je remercie infiniment d’avoir répondu de façon claire et complète aux multiples questions que l’ignare en maniement des bombes de peinture que je suis, a osé lui poser.

- Lui tape sur une batterie, prend de magnifiques photos et, à l’occasion, les expose, fabrique et rafistole des guitares et malgré toutes ces activités, Matthieu trouve encore le temps de relire ma prose et d’y remarquer moult incongruités...

- Sans oublier Guillaume, mon relecteur titulaire, actif et efficace depuis maintenant quatre ouvrages, mais qui, nonobstant sa persévérance, n’est toujours pas parvenu à contraindre mes enquêteurs à plus de rigueur policière.

PROLOGUE

Lambézellec est calme et désert lorsque ce jeune homme passe la porte de l’immeuble : à 1 heure du matin, en milieu de semaine, rien que de très normal. Il enfile son blouson et en remonte la fermeture Éclair : en ce début juin, les hausses de température ressenties sur le pays ont oublié de visiter la Bretagne où l’on a du mal à croire que l’été approche.

Sans précipitation, il traverse la rue Claude Farrère, tout en extrayant son smartphone de sa poche, et se positionne pour photographier le bâtiment d’où il vient de sortir, construction de trois niveaux, rez-de-chaussée occupé par des garages, des panneaux « A louer » accrochés aux fenêtres du premier étage. Quelques pas vers la gauche lui permettent de changer d’angle de vue afin que le mur de l’immeuble mitoyen apparaisse sur son nouveau cliché. Vérification du résultat, satisfaisant malgré la faible luminosité dispensée par les lampadaires, il range son portable, mais se ravise, reprend l’appareil et tapote rapidement la surface tactile pour envoyer un SMS. Après quelques secondes d’attente, le visage éclairé par l’écran, il se décide enfin à bouger, direction Place des FFI qu’il traverse, jetant au passage un coup d’œil à l’horloge accrochée à mi-hauteur du clocher de l’église, quelques mètres au-dessus de la statue de saint Laurent qui, de sa niche, surveille le parking. Le promeneur noctambule s’engage dans la rue Bouet aux trottoirs étroits. Il n’a pour l’instant rencontré aucune voiture, le bourg de Lambézellec n’est pas un lieu de passage très usité pour les conducteurs nocturnes, à moins de vouloir rejoindre Bohars ou une destination locale.

Au niveau du cimetière de Lambézellec, l’homme s’octroie une courte pause, le temps de consulter son téléphone. Grimace de dépit, il tapote encore l’écran pour l’envoi d’un SMS supplémentaire avant de remettre l’appareil dans la poche de son blouson. Étonné, il observe le jardin de la demeure attenante à la marbrerie, y remarquant pour la première fois la présence d’une rangée de tombes ; il imagine le charmant spectacle qui s’offre aux occupants, le matin en ouvrant les volets, avec les vieilles croix surpassant le mur en face et ces sépultures de démonstration sur le côté...

Il prend à droite dans la rue François Coppé aux habitations hétéroclites, pavillons modernes aux parterres soignés ou maisons de ville alignées. Nouveau coup d’œil rapide au téléphone avant de s’engager dans le passage menant au viaduc qui enjambe la vallée du Spernot. Devant lui se dressent la haute cheminée et le bâtiment de l’ancienne brasserie de Lambézellec, toujours debout même si elle ne fonctionne plus depuis plus de trente ans, à l’origine du surnom affectueux donné à la construction par les Lambézéllécois : le pont d’la Brass.

* * *

— Hou !

De son point d’observation en hauteur, la chouette hulotte attend que quelques proies daignent montrer le bout de leur museau, mais la patience n’est-elle pas la vertu essentielle dont sont dotés tous les oiseaux de nuit ? Ce parc est fertile en rongeurs de tous genres : dans la journée, trop dangereux pour eux de sortir, avec ces grands animaux allant et venant par les allées sur leurs deux pattes, on risque toujours de se faire écraser, alors que l’obscurité venue, tout est permis, ou presque...

— Hou ?

Quand on hulule au loup, on en voit... Là-haut, un de ces longs bipèdes traverse cette affreuse construction. Juste quelques battements de paupières à attendre, car, lorsqu’elles baguenaudent après le coucher du soleil, ces bestioles non comestibles ne restent généralement pas en place.

— Hou hou ?

Zut ! Alors qu’il était presque au bout, voilà que l’animal s’arrête, se retourne et commence à produire des sons : pourvu que ce ne soit pas une parade nuptiale... On dirait bien que si, car un second bipède apparaît et s’approche lentement. S’ils descendent sous la construction pour s’accoupler, comme cela arrive parfois, ça va durer un peu plus que prévu. Le deuxième se met lui aussi à émettre des inflexions bizarres ; d’habitude, ils sont plus discrets quand ils se rencontrent pour copuler.

— Hou !

Mouvement brusque du nouveau venu, le premier s’écarte en vacillant et l’autre fonce sur lui pour le percuter. Ah ! Compris ! Il veut que son copain apprenne à voler et, dans ce but, le pousse dans le vide !

— Hou ?

Pour les hiboux, c’est sans doute une bonne technique, mais ces longs dipodes ne planent pas, leurs ailes sont trop fines et sans plumes ! En effet, le bipède tombe, rebondit sur le pied de l’étrange construction et s’écrase au sol !

— Hou hou !

Chouette ! La chute a dérangé deux comestibles dans leurs ébats nocturnes au pied du pont. Grosse frayeur ! Les rongeurs se sauvent à toutes pattes, mais le plus gras est trop lent ! Miam ! La hulotte déploie ses ailes et fond sur sa proie...

I

Arrivant sur les lieux, Le Gac remarque le petit sourire que tente maladroitement de contenir l’agent interdisant l’accès au site, en lui serrant la main. Le capitaine justifie son aspect négligé :

— Réveil en catastrophe, je n’ai eu le temps ni de me raser ni de déjeuner, ce qui n’est sans doute pas plus mal ?

Le surveillant le rassure :

— Non, le corps est assez présentable, j’ai vu bien pire. Toutefois, cela reste le cadavre d’un être humain, et ça, on ne s’y habitue pas toujours.

Il montre un individu en tenue de sport assis à l’écart sur l’un des bancs de bois agrémentant le parc.

— Ce monsieur a découvert le mort lors de son footing matinal. Constatant le décès, il nous a immédiatement appelés. Nous avons préféré venir vérifier par nous-mêmes avant de vous prévenir, il y a parfois de mauvais plaisants.

Le Gac lève la tête.

— L’accès au viaduc a-t-il été bloqué ? Vu l’endroit où se tient le corps, il est probable qu’il soit tombé de là-haut, il existera donc certainement des indices à relever sur le pont.

— Oui, tout a été fait, un homme à chaque extrémité, l’Identité Judiciaire et le légiste ne devraient plus tarder. Le brigadier-chef a également fait prévenir le substitut du procureur : vous devrez le rappeler au cas où il ne s’agirait pas d’un accident ni d’un suicide.

Le capitaine fait une rapide exploration de l’endroit, alors que la camionnette de l’IJ1 se gare sur le proche espace servant aux amateurs de pétanque pour leurs parties acharnées de l’après-midi. Les scientifiques enfilent immédiatement leur tenue afin de ne pas contaminer les lieux. Le Gac profite de ce temps mort imposé pour aller interroger le joggeur qui se présente :

— Jean-Marc Gourmelon ! Tous les matins, je fais le même trajet : départ de chez moi, rue du Commandant Drogou, je prends la rue du Poher, tourne à gauche rue du Commandant Groix, à droite rue de Châtillon, pour longer le terrain militaire, le Club Sportif et Artistique de la Marine de Brest, à gauche rue Théodore Botrel jusqu’au boulevard de l’Europe que je traverse et remonte un peu, direction la Cavale, le long de la grille de l’AFPA2. Là, il y a l’accès à un petit chemin sympa qui contourne le centre de formation par l’arrière et qui arrive jusqu’ici, je passe sous le pont d’la Brass, terrain de boules, je monte par l’escalier, traverse le viaduc, au bout à gauche, sentier qui redescend et, de là, je retrouve le chemin sympa qui contourne l’AFPA, et parcours inverse jusqu’au bercail. Mais, ce matin, j’ai vu ce gars au pied du pont et je me suis arrêté pour prendre son pouls, histoire de vérifier s’il était encore possible de faire quelque chose pour lui. À sa raideur, j’ai constaté qu’il était mort, alors je vous ai appelés. J’espère juste ne pas avoir trop pollué la scène de crime...

Essoufflé en entendant l’itinéraire que le coureur vient d’énoncer d’un bout à l’autre sans reprendre sa respiration, Adrien corrige tout de même le témoin :

— Pour l’instant, rien ne permet de certifier que nous sommes en présence d’un crime, cet homme est peut-être tombé de là-haut, il peut également s’agir d’un suicide...

— Cela m’étonnerait, j’ai constaté les marques, son crâne est défoncé, il a été frappé avec du lourd !

— Le légiste déterminera cela rapidement. Vous avez donc vu le visage de la victime. Le connaissiez-vous ?

— Non.

— L’aviez-vous déjà croisé lors de l’un de vos footings matinaux ?

— À cette heure, je rencontre tellement peu de monde que je peux vous les citer tous : rue Poher, la petite dame qui promène son chien, un affreux caniche gris qui m’aboie toujours dessus, et un peu plus loin, rue Théodore Botrel, il y a cet homme qui vient allumer sa première cigarette ; sans doute que sa femme ne tolère pas la douce odeur du mégot au réveil, donc elle lui interdit de fumer dans la cuisine et l’oblige à sortir. En cette saison, c’est supportable, la météo n’est pas trop mauvaise, mais en plein hiver, lorsque le vent froid et humide souffle, c’est un truc à vous pousser à abandonner le tabac ou à divorcer pour pouvoir cloper chez vous. Moi, j’ai choisi la première solution, et ce n’est pas plus mal. Dites ! Avec tout ça, je risque d’être en retard au boulot. Je peux y aller ?

Inutile de garder plus longtemps l’homme en tenue de sport. Le brigadier-chef ayant déjà relevé son identité, Le Gac le libère à ses obligations.

* * *

Arrivé alors que le capitaine s’entretenait avec le témoin, François Bodonec s’est directement rendu auprès du corps afin d’effectuer les premières constatations. Son travail fini, il revient vers Le Gac pour son rapport.

— Salut, Adrien. Toujours aussi prompt à accéder aux lieux de crimes ! Tu n’es pas comme ton collègue Frangin ; j’ai largement le temps d’établir mes premières observations avant qu’il ne débarque, celui-là ! Toi, tu es invariablement déjà sur place, à se demander comment tu fais. Tu disposes d’une voiture volante ?

— Je connais Brest comme ma poche, les raccourcis et surtout les coins à éviter pour ne pas être bloqué par la circulation, quoiqu’à cette heure matinale, cela roule bien. Alors, accident, suicide ou crime ? Le témoin m’a parlé d’un crâne défoncé...

— Pour l’instant, j’opte pour « violences ayant entraîné la mort ». Ensuite, à toi de définir si l’acte était volontaire, et donc s’il faut requalifier ces faits en meurtre ou en assassinat ! Lors de la chute, sa tête a heurté l’un des montants métalliques du pont, ce qui a probablement causé cet enfoncement constaté. J’ai demandé à ce que l’IJ aille faire des relevés. Nous attendons les pompiers : ils viennent régulièrement ici pour s’entraîner à des descentes en rappel, ils ont le matériel adapté pour équiper le technicien d’un baudrier et le charrier, afin qu’il détermine l’endroit du contact entre le crâne et la structure du viaduc, le prenne en photo et effectue des prélèvements.

— Mais alors, qu’est-ce qui te permet de certifier qu’il ne s’agit pas d’un accident ?

— Une marque pas bien grande ni très visible, car cachée par ses cheveux, mais bien présente : il a reçu un premier coup sur la tempe avec un objet contondant. Pour l’instant, je ne peux pas t’en dire plus. S’il était là-haut, cela a pu le déséquilibrer, peut-être même lui faire perdre connaissance un instant, il a basculé par-dessus la rambarde et le choc contre le pilier plus la chute l’ont achevé. Ça doit bien faire une quinzaine de mètres de haut, ce truc.

— Plutôt vingt, si je me souviens : le viaduc a été restauré il y a quelque temps, j’ai lu un article racontant son histoire et ses caractéristiques à l’époque. Et pour l’heure de la mort ?

— À première vue, je dirais entre minuit et 2 heures ce matin, plus de précisions après l’autopsie. Bon, les scientifiques me font signe, on attend l’arrivée du proc’ et on pourra enlever le corps. Je t’envoie le rapport au plus vite...

L’un des techniciens de l’IJ s’approche.

— Voilà son portefeuille. En bas, nous n’avons rien trouvé à relever. Par contre, là-haut, les collègues ont découvert un téléphone portable, écrasé. Ils poursuivent les recherches...

Adrien remercie l’homme et, après avoir enfilé les gants de rigueur, ouvre l’étui : carte d’identité au nom de Romain Jankowski, 28 ans, permis de conduire, carte de crédit, de transport, un peu d’argent et quelques cartes de visite.

1. IJ : Identité Judiciaire, la police scientifique chargée entre autres de récupérer les éléments de preuve sur une scène de crime.

2. Association de Formation Professionnelle des Adultes.

II

Le Gac peine à quitter des yeux cette immense fresque réalisée sur le papier à peindre – qui n’a jamais aussi bien porté son nom – représentant une fenêtre géante intégrée dans le contre-poinçon d’un « R » majuscule, ouverte sur un ciel bleu où flottent quelques lointains cumulus. Trois lettres très stylisées, WIN, s’appuient sur la jambe inclinée du R.

— L’œuvre de votre fils ?

Le père regarde la peinture, l’air circonspect :

— Certainement, oui... Je n’ai pas eu l’occasion de revenir chez lui depuis qu’il a emménagé, il y a trois ans. Par contre, sa mère passe régulièrement, vous connaissez peut-être cela, une maman ne peut s’empêcher de venir donner un petit coup de main pour le ménage, remplir le frigo, ce genre de chose. Mais elle ne m’a jamais parlé de ce dessin, elle aura sans doute eu peur que je m’énerve contre lui. En plus de devoir vider l’appartement, il faudra que je refasse tout le papier si l’on veut que la caution nous soit rendue !

— Dommage ! Cette fausse fenêtre apporte plus de lumière dans la pièce que la vraie ouverture... Bon, nous ne sommes toutefois pas là pour ça. Monsieur Jankowski, je vais donc vous demander de ne surtout toucher à rien. Dans le cadre de l’enquête afin de retrouver le ou les agresseurs de votre fils, vous nous avez donné l’autorisation de visiter son logement et d’emporter tout ce que nous pourrions juger utile à nos investigations, et je vous en remercie.

— Si cela peut vous faire trouver plus rapidement le salaud qui a fait ça...

Le Gac demande au lieutenant Kerandec qui l’accompagne, de photographier le mur. L’appartement est de petite taille, les recherches sont donc promptement menées. Beaucoup de matériel de peinture sur toile, quelques tableaux, tous représentants des fenêtres d’où sortent différentes choses, des carnets de croquis.

— Jocelyn, tu feras également un cliché de chaque tableau !

Rassemblant l’équipement informatique, ordinateurs et disques de sauvegarde, il en explique la finalité au père de la victime qui observe silencieusement le travail des enquêteurs :

— Monsieur Jankowski, nous allons devoir emporter ceci, nous n’avons pas encore découvert la raison de la présence de votre fils au viaduc de Lambézellec la nuit dernière, peut-être trouverons-nous quelque chose là-dedans... Bien sûr, tout ceci vous sera rendu dès que possible.

— Peu importe, je ne saurais pas quoi en faire, sa sœur a son propre matériel, rien ne presse.

Le capitaine reste une nouvelle fois en arrêt devant la fresque murale.

— Sur presque toutes ses toiles, une fenêtre est représentée. En connaissez-vous la signification ?

Haussement d’épaules du père qui répond, les lèvres pincées :

— Une envie d’évasion, comme si sa vie l’étouffait et qu’il lui fallait sortir pour respirer ? Je le croyais pourtant heureux, nous avons tout fait pour qu’il le soit, comme pour sa sœur. Il me trouvait probablement trop sévère, car il n’a pas osé me parler de son talent. Mais peut-être ne l’aurais-je pas compris...

Conscient du malaise engendré par sa question, Le Gac commence à rassembler tout le matériel informatique auquel il ajoute les carnets de croquis. Puis il dresse la liste des objets emportés et présente la feuille à monsieur Jankowski pour signature, lui assurant une nouvelle fois que tout sera restitué au plus tôt à la famille.

* * *

— Vous me faites un topo, Le Gac ?

Le commissaire Pennac’h est venu aux nouvelles dans le bureau de ses enquêteurs.

— Le légiste a confirmé sa première intuition, corroborée par ce qu’a constaté l’équipe technique : la victime nommée Romain Jankowski se tenait sur le viaduc, suivie par une ou plusieurs personnes, l’Identité Judiciaire n’a pas pu le déterminer, aucune trace du ou des agresseurs n’a été retrouvée en haut. Jankowski s’est pris un choc à la tempe, du côté droit, ce qui laisse à penser que son assaillant est gaucher. Perdant l’équilibre, il a basculé pardessus la rambarde. Dans sa chute, sa tête a heurté le pilier métallique, lui défonçant le crâne. Il était déjà mort en arrivant au sol. D’après François, le coup asséné a sonné la victime, sinon il se serait protégé de ses bras, mais rien ne garantit qu’il aurait survécu après une telle dégringolade.

— Donc, pour l’instant, nous optons pour le meurtre plutôt que pour l’assassinat, une bagarre qui a mal tourné. Il ne semble pas y avoir eu préméditation de la part du ou des agresseurs.

— Il faut tout de même savoir que Jankowski a été frappé avec un objet contondant que François Bodonec n’est toujours pas parvenu à identifier, une tige métallique, solide. Il a envoyé une substance recueillie au point d’impact de la barre avec le crâne de la victime, à analyser au laboratoire, cela donnera peut-être la solution à cette énigme. L’IJ n’a rien trouvé qui puisse correspondre à cet objet, à proximité du corps ; supposant que le meurtrier l’a balancé depuis le pont, ils ont sillonné les abords à sa recherche, jusqu’à aller patauger dans le Spernot pour vérifier s’il n’était pas au fond. Possible également qu’il soit resté en l’air, accroché dans les branches d’un des arbres.

— Espérons qu’on le récupère avant l’automne... Une idée de la raison de cette bagarre ? On voulait peut-être lui dérober son téléphone ou autre chose...

— Non, le téléphone a été retrouvé sur le viaduc, complètement détruit, probablement à coups de la même tige métallique. Il s’agissait d’un modèle très moyen, ne valant qu’une centaine d’euros à l’achat en boutique, les voleurs n’en auraient rien tiré. L’Identité Judiciaire tente d’en récupérer la mémoire, pour l’instant sans succès, l’appareil a été trop fortement endommagé. Et la victime n’avait que quelques euros sur elle, donc on n’en voulait pas à son argent. Le look de Romain Jankowski ne laisse d’ailleurs pas supposer qu’il puisse transporter une grosse somme, à moins qu’il ne deale, mais aucun produit stupéfiant n’a été retrouvé sur lui ni chez lui, il semblait clean de ce côté-là. En tout cas, l’IJ est formelle : si ses agresseurs avaient cherché à le dépouiller, ils seraient descendus pour le fouiller après sa chute, mais personne n’a même approché le corps, des traces auraient été visibles dans ce terrain mou et le contenu sans valeur de ses poches disséminé aux alentours...

— Bon, étrange, en effet. Une idée de la raison de sa présence en ce lieu ? Peut-être s’enfuyait-il ?

— Jocelyn et Virginie se sont occupés de l’enquête de voisinage...

Le lieutenant Kerandec prend alors la parole :

— Quartier pavillonnaire, tranquille, la rue François Coppé est coupée en deux par le pont d’la Brass, inaccessible aux voitures, donc la circulation automobile dans le quartier est très réduite. Mais comme il ne fait pas encore assez chaud, ils dorment la fenêtre fermée.

La brigadière-chef Lastourien complète :

— Un riverain m’a expliqué que lorsque le temps redevient correct, après les cours, des zozos en scooter s’amusent à aller et venir à fond sur le viaduc, le genre de truc qu’ils croient intelligent de faire pour épater les filles qui traînent par-là, le coin est sympa pour une balade entre copines. Et, bien sûr, leurs deux-roues ne sont pas aux normes du côté du pot d’échappement, plus ils font de bruit et plus ces petits cons sont contents. Donc, dans le quartier, toutes les habitations sont équipées de double ou triple vitrage ; à moins que Jankowski n’ait hurlé comme un damné, il est peu probable que quiconque ait entendu quoi que ce soit. Toutefois, beaucoup étaient déjà partis au travail lorsque nous sommes passés, nous referons un tour ce soir afin de les interroger...

— Avez-vous pensé à sonner de part et d’autre du pont ? Qui vous dit que la victime ne venait pas du côté Kervao ?

Le Gac répond à la question du commissaire :

— Le procureur nous a immédiatement accordé l’autorisation de réquisitionner l’opérateur téléphonique de Jankowski afin qu’il nous fournisse un relevé des positions en plus de la liste des appels transmis ou reçus. Nous en commençons tout juste l’analyse, mais elle nous a déjà permis de déterminer que l’antenne-relais à laquelle le portable de Jankowski s’est connecté avant l’agression se situe du côté de l’église de Lambézellec.

— Autre chose ?

— Rien d’effectif, nous avons interrogé ses collègues de boulot, au musée de Brest, tous l’appréciaient et le trouvaient sympathique, pas de conflit visible de ce côté-là ou, du moins, je n’ai rien ressenti de tel...

Le commissaire Pennac’h connaît bien son enquêteur.

— Il y a un “mais” en attente, quelque chose vous chagrine ?

— En discutant avec ses parents, j’ai eu l’impression que sa mère se retenait de nous dire quelque chose. Cela pouvait être dû à l’émotion du moment, la pauvre venait d’apprendre le décès de son fils, mais je compte retourner les voir au plus tôt. Une nouvelle visite sera de toute façon nécessaire, afin qu’ils me donnent le nom des copains et copines de Romain : beau garçon comme il était, je suppose qu’il avait du succès auprès des filles, même si, dans son appartement, je n’ai découvert aucune trace d’une présence féminine.

— Et le matériel prélevé chez lui, a-t-il parlé ?

— Pour l’instant, impossible de lire quoi que ce soit, accès verrouillé, fichiers cryptés par une technique évoluée : soit la victime était un as en informatique soit il s’est fait aider. Et, comme vous le savez, Franck doit s’absenter quelques jours, à cause du décès de son frère...

— Oui, c’est bien triste, j’ai vu passer sa demande de congé exceptionnel et, même si elle tombe très mal, je ne peux la lui refuser.

— Il prend ce soir la route pour Toulouse et ne reviendra pas avant lundi. Franck Chauvard est chez nous le seul disposant des compétences pour parvenir à pénétrer dans ce système, sinon il faudrait envoyer le matériel à Rennes, ce qui risque de ne pas être beaucoup plus rapide.

Le commissaire tranche immédiatement :

— Si vous estimez que l’analyse peut attendre la semaine prochaine, alors je préfère le garder ici... Autre chose ?

— Oui, une dernière : le rapport du légiste stipule que la victime a eu une relation sexuelle, moins d’une heure avant son décès.

— Ah ! Vous devez donc retrouver la demoiselle à qui ce jeune homme a rendu visite... à moins que ce ne soit une femme mariée et que l’époux soit rentré à l’improviste. Bon, vous avez du pain sur la planche, j’attends votre compte rendu pour le transmettre au juge d’instruction. Au boulot !

* * *

Le commissaire reparti, Adrien se replonge dans le rapport envoyé par l’opérateur téléphonique. D’après les antennes-relais déclenchées, il peut tracer les emplacements très approximatifs de Romain Jankowski pour la soirée : jusqu’à 21 heures 20, la position correspond à son appartement, avenue de Champagne, dans le quartier de Bellevue, puis, il a bougé. Sur un plan de Brest, Jocelyn pointe les différentes zones que lui énonce le capitaine. Rapidement, il fait le rapprochement.

— On dirait la ligne 6, direction Lambé...

Le Gac s’est déjà connecté sur le site Internet de Bibus pour vérifier les horaires : cela colle.

— Virginie, tu les contactes pour obtenir le nom et les coordonnées du chauffeur de cette ligne hier après 20 heures, il faut lui présenter les photos de Jankowski ; à cette heure, il ne doit pas y avoir grand monde qui emprunte son bus, par conséquent, je suppose qu’il l’aura remarqué et qu’il pourra nous indiquer s’il était alors seul ou accompagné... Demande-leur également de nous conserver la vidéo du véhicule, nous ferons une requête au procureur afin de pouvoir la récupérer.

— Pour cela, rien ne presse, ils gardent les enregistrements 72 heures avant de les balancer, mais je transmets l’injonction immédiatement.

Adrien poursuit l’étude des relevés : la victime est restée à la même place jusqu’à 1 heure du matin... En concordance avec le rapport du légiste, il est donc allé chez quelqu’un pour un rendez-vous galant et aura passé environ 3 heures avec la dame, puis il est reparti ; sa compagne ne l’aura pas convié pour finir la nuit à ses côtés. À cette heure-là, plus de bus, mais, plutôt que de s’orienter vers Bellevue, il prend la direction opposée vers le viaduc, puis arrêt du signal aux environs de 1 heure 15, le téléphone expirant sous les coups de tige de fer du meurtrier. Le lieutenant Kerandec commente l’analyse de son supérieur :

— Il était très endurant ou bien il a mis longtemps avant d’engager le contact avec la dame ! Et côté appels ?

Le Gac consulte les relevés.

— Dernières communications, l’une reçue à 18 heures 30, je te laisse rechercher le correspondant que Jankowski a rappelé à 19 heures 55 et, ensuite, rien avant deux SMS, émis à 4 minutes d’écart, le premier à 1 heure 03 et le second à 1 heure 07, juste avant l’agression, à destination du même correspondant qui a répondu à 1 heure 16. Voyons voir qui est ce noctambule échangeant la nuit par SMS...

Sur son portable, Adrien compose le numéro. Sonnerie, décrochage, une voix de femme, jeune, trahissant son étonnement de voir apparaître un contact inconnu sur l’écran de son téléphone :

— Allô ?

— Bonjour, Madame. Je suis le capitaine Adrien Le Gac, de la Police Judiciaire de Brest et je vous joins à propos du meurtre de monsieur Romain Jankowski. Vous êtes peut-être déjà au courant ?

La vivacité avec laquelle répond la correspondante ne laisse aucun doute à Adrien quant à sa surprise :

— Comment ? Mais... si c’est une blague, ce n’est pas drôle, Romain !

— Pas du tout, ceci est malheureusement très sérieux. Vous avez reçu cette nuit deux SMS provenant du téléphone de monsieur Jankowski, à environ 1 heure du matin... Nous aimerions en connaître le contenu. Êtes-vous sur Brest ?

— Je suis actuellement à l’arrêt de bus, place de la Liberté, pour rentrer chez moi...

— Vous êtes donc à deux pas du commissariat, rue Colbert.

Le capitaine indique à sa correspondante le chemin à suivre pour accéder aux locaux de la police, lui certifiant que sa collaboration est très importante. Après raccrochage, Jocelyn demeure sceptique.

— Tu crois qu’elle viendra ? À mon avis, elle reste persuadée que c’est son copain qui lui fait une blague, et cette nana va monter dans son bus. En tout cas, pas de doute, elle connaissait bien ce gars, pour l’avoir appelé « Romain ».

— Si dans dix minutes elle n’est pas là, alors nous demanderons une identification à partir de son portable et nous nous rendrons chez cette dame, rien n’est perdu.

Les enquêteurs mettent à profit le temps d’attente pour inspecter le relevé téléphonique de la victime, notant les numéros qui se répètent le plus souvent, à rechercher en priorité. Cinq minutes plus tard, on prévient Adrien qu’une personne le réclame à l’accueil...

* * *

En bas de l’escalier, Adrien découvre une jeune femme d’environ 25 ans, cheveux mi-longs à tendance rousse, le teint pâle, jolie, même sans être un canon de beauté. Le Gac se présente et invite la demoiselle à monter. Préférant éviter la salle d’audition, il emprunte la pièce généralement utilisée pour les réunions de groupe. Maintenant persuadée qu’il ne s’agissait pas d’une mauvaise blague, la visiteuse tente sans succès de retenir ses larmes. Après avoir relevé identité et coordonnées, Adrien développe d’une voix douce :

— Mademoiselle Bothorel, cette nuit, Romain Jankowski a chuté du viaduc de Lambézellec, vraisemblablement suite à une bagarre. Juste avant son décès, il vous a envoyé deux SMS à quelques minutes d’intervalle, nous souhaiterions en connaître le contenu.

Sarah sort son téléphone et explique, avant de le tendre au capitaine :

— J’habite chez mes parents, rue Edmond Rostand, à Lambézellec. Hier soir, j’ai connecté mon portable sur le chargeur familial situé dans le couloir du bas et qui sert à tout le monde. Moi, ma chambre est à l’étage, je n’ai pas entendu l’arrivée du premier texto que Romain m’a adressé, mais cela a réveillé mon père, il a le sommeil léger. Quelques minutes après, deuxième message : mon père s’est énervé et s’est levé, a débranché mon téléphone et me l’a apporté, me demandant de dire à mon copain... enfin, vous imaginez, il était en colère. J’ai regardé les SMS et j’ai répondu. Si j’avais su que c’était le dernier...

La jeune femme fond en larmes. Adrien consulte le premier texto : « sui a lambe. dormir chez toi ? » N’ayant pas reçu de retour quatre minutes plus tard, nouveau SMS : « ok ? » L’enquêteur se représente le paternel furieux qui monte réveiller sa fille en lui collant le smartphone sous le nez. Brutalement tirée de ses rêves, celle-ci répond au dernier SMS : « ok. »

— Et vous n’avez pas été étonnée de ne pas le voir arriver ?

— Je crois bien que j’ai envoyé le « ok » en étant à moitié endormie : mon père m’a sortie de mon premier sommeil et est redescendu immédiatement. Si j’avais été consciente, je ne l’aurais pas autorisé à venir, j’étais très fatiguée et, surtout, indisposée, donc nous n’aurions pas pu faire grand-chose... Je me suis à nouveau réveillée deux heures plus tard, ma lampe de chevet toujours allumée, le téléphone posé sur le traversin, et j’étais sûre d’avoir rêvé ces messages et ma réponse idiote. J’ai éteint la lumière et me suis rendormie, jusqu’au matin où j’ai vérifié. Je n’ai pas osé demander à mon père si Romain était venu sonner...

— Il était donc votre petit ami ?

— Oui... Enfin, pour être honnête, disons plutôt que c’était un ami de passage, un “sex-friend”, comme on dit maintenant, une nuit ensemble de temps en temps, rien d’autre.

Tout dans l’attitude de la demoiselle permet de comprendre qu’elle aurait bien aimé que Romain devienne plus qu’un simple “coup d’un soir à l’occasion”, mais que le jeune homme préférait garder sa liberté d’aller et venir, et de changer de partenaire à l’envi.

— Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

— Samedi dernier, pour le vernissage de l’exposition de D-Man, auquel il m’a proposé de l’accompagner. Mais je suis partie assez tôt ; Julie était présente également, sans rien de prévu ensuite, donc aucune chance qu’il passe sa nuit avec moi. Je ne suis que la roue de secours, celle chez qui on ne se rend que lorsque l’autre n’est pas dispo’.

L’exposition de D-Man ? Le Gac se souvient alors de l’une des cartes de visite trouvées dans le portefeuille de la victime, qu’il avait prise pour une annonce publicitaire, indiquant les dates et l’adresse de la galerie. Il jette un coup d’œil discret à la jeune femme, se disant que la disparition de ce sex-friend sans-gêne aura au moins l’avantage de la libérer de ses espoirs déçus.

— Lui arrivait-il souvent de vous envoyer de tels messages à ces heures indues ?

— Grands dieux non ! Il est déjà venu chez moi et sait que j’habite chez mes parents. Ma chambre est la seule à l’étage, avec toutes les commodités, salle de bains et toilettes, donc, même si je dispose d’une certaine indépendance, je ne suis pas entièrement libre, mais il était assez culotté... D’ailleurs, mes parents l’appréciaient peu.

— Il semblerait que votre ami ait eu hier soir un rendez-vous à Lambézellec, du côté de l’église. Savez-vous chez qui il pouvait être ?

Sarah réfléchit à peine.

— Julie habite à Quéliverzan, l’une des grandes tours bleues à l’entrée du pont de l’Harteloire. Au bourg de Lambé, je ne vois pas, mais peut-être qu’il ne s’agissait pas d’un rendez-vous... enfin, vous comprenez, pour...

Afin de ménager la jeune femme et d’éviter une nouvelle crise de larmes, Adrien préfère modérer la réponse d’un pieux mensonge par omission :

— Nous ne sommes qu’au tout début de l’enquête, donc nous ne pouvons encore rien certifier sur la raison de cette visite.

Le policier remercie Sarah et la libère, après lui avoir demandé de noter identité et numéro de l’autre sex-friend du Don Juan. Après son départ, le capitaine fait un rapide compte rendu à Virginie et Jocelyn, ce dernier s’étonne :

— Ce gars est un obsédé sexuel : d’après ce que t’a dit cette nana, il a au moins deux copines qu’il ne rencontre que pour baiser. Et, en plus, il s’en serait trouvé une troisième au bourg de Lambé... J’espère pour elles que c’était un bon coup !

— Je n’ai pas pensé à poser cette question, n’étant pas persuadé de son utilité pour l’enquête. Ce que je remarque surtout, c’est qu’il n’était pas le roi de la délicatesse : à peine sorti du lit de l’une, il demande à l’autre s’il peut venir chez elle, et je suppose que ce n’était que pour y dormir. À cette heure, il n’y a plus de bus pour rentrer à Bellevue, il a considéré qu’il serait plus court de squatter la couche de cette demoiselle que de marcher. Et elle n’aurait même pas eu droit aux faveurs du jeune homme, à moins qu’il ne fût d’une constitution exceptionnelle et capable de recommencer moins de 2 heures après...

La brigadière-chef Lastourien donne son opinion féminine :

— Plusieurs femmes, ce crime sent la jalousie à plein nez ! L’une de ses conquêtes en a peut-être eu assez de ce régime d’alternance que Jankowski leur faisait subir, sans trop s’occuper de leurs avis...

— Oui, voilà une bonne base de départ. Nous avons déjà l’identité de la seconde copine, tu te chargeras de lui demander où elle se trouvait cette nuit, et il faudra également aller interroger les parents de Sarah Bothorel afin de vérifier que leur fille n’a pas bougé après réception du second SMS, mais en douceur, le père ne semble pas commode...

Chacun se remet au travail, et Le Gac reprend le relevé envoyé par le fournisseur téléphonique : il doit maintenant décrypter tout cela, associer un nom à chaque numéro. Avec un peu de chance, celui de la femme chez qui la victime a passé la soirée apparaîtra là.

* * *

— Faut pas que le salaud qui a fait ça me tombe entre les mains, sinon je le déchire, je l’explose !

Habituellement affable, Anthony a ce soir l’esprit querelleur. Sa hargne écoulée, il ne parvient plus à contenir sa peine : même un grand gaillard d’un mètre quatre-vingt-quinze et de plus de cent kilos est capable de pleurer. Circonspect, David tente de réconforter son camarade :

— Cool, Tonio ! Laisse faire la police et ne va surtout pas chercher à mettre ton nez là-dedans, ça ne risque que de t’attirer des ennuis. Tu ne sais pas plus que nous qui est l’agresseur, rien ne te permet d’affirmer qu’il s’agit d’un graffeur.

Mais le colosse reprend du mordant, refusant d’abandonner le combat :

— C’est l’un des AJT, j’en suis sûr ! Ils n’ont pas apprécié que Romain les lâche pour se joindre à nous. Ils sont tombés sur lui par hasard hier et ont voulu lui casser la gueule, pas forcément pour le tuer, mais au moins lui donner une bonne leçon, et ça a mal fini.

Seule femme présente ce soir, Gaëlle essaie à son tour de calmer son camarade :

— Tu vas trop vite, Anthony ! Romain n’est pas le premier à avoir quitté leur crew, loin de là, et on n’a jamais entendu parler d’une telle vendetta de leur part, ce n’est pas leur genre. David à raison, laisse faire la police : en voulant intervenir, tu ne risques que de t’attirer des ennuis.

Ce soir, la réunion exceptionnelle que David a décidé d’organiser lorsqu’il a appris la mort de Romain se déroule au domicile de Guillaume plutôt que chez lui, de peur que la vivacité de certains échanges réveille ses enfants. Habitant le même quartier, son ami a immédiatement accepté d’accueillir le groupe, vivant la majorité du temps seul dans sa petite maison. Le meneur reprend les rênes en main :

— Si j’ai proposé de nous rassembler, ce n’est pas pour mettre au point une riposte, nous ne sommes pas des vengeurs masqués ni des guerriers. Quand bien même nous aurions des informations à propos des responsables de la mort de Romain, nous n’avons pas le droit de faire justice nous-mêmes, il ne s’agit pas là d’un toyage3. Nous comprenons ton état d’esprit, Tonio, tu étais le plus proche de RWIN...

La voix chargée de nostalgie, Anthony se rappelle sa rencontre :

— Il est arrivé tout timide, alors que je bossais seul ; vous tous, vous étiez à bronzer à la plage. Et il m’a proposé son plan de dingue, il fallait vraiment être frappé pour accepter l’idée. Au final, j’ai bien fait de l’accompagner là-haut, le résultat est top, et toujours présent...

Guillaume poursuit :

— Et ensuite, tu nous as tannés pour qu’on l’accueille dans le crew. Avec une telle carte de visite, tu n’as pas eu besoin d’insister longtemps.

Ces souvenirs ravivent un pâle sourire pincé sur les lèvres du gaillard.

— Putain ! Qu’est-ce qu’il foutait en pleine nuit à Lambé ? Tu crois qu’il avait repéré un nouveau coin ?

Autour de la table, personne n’est capable de répondre. Guillaume repense à son rôle d’hôte de la réunion.

— Bière pour tous les mecs ?

Acquiescement général des convives, Gaëlle précise :

— Tisane réglisse-menthe pour moi, si tu ne l’as pas fini.

— Tu es la seule à en boire, ma chérie, donc je suppose qu’il en reste, à moins que tu n’aies vidé la boîte sans me demander de t’en reprendre.

Le maître de maison disparaît dans la cuisine. Demeurés silencieux, les convives peuvent deviner toutes les étapes de la préparation aux bruits qui en proviennent : appui sur le bouton de la bouilloire, plateau posé sur la table, ouverture du réfrigérateur et tintement des bouteilles qu’on en sort, porte du placard, porcelaine de la tasse, et la main qui fouille dans le paquet de tisanes... À son retour, David relance la discussion :

— Bon, le but initial de cette réunion, c’était de trouver comment marquer le coup ; même si cela fait moins d’un an que Romain nous a rejoints, nous devons tout de même imaginer un petit hommage à lui rendre, il était des nôtres. Quelqu’un a une idée ?

Décapsulant sa bière, Anthony propose :

— Vous vous souvenez, le truc dont il nous avait parlé, le week-end prochain à Bellevue ? Il avait pas mal trimé pour que ce soit mis en place, donc il ne faudrait surtout pas que ce soit annulé sous prétexte que l’organisateur principal est mort. Dès demain, je prends contact avec la mairie de quartier pour leur indiquer que je reprends l’affaire en main !

David approuve :

— Excellente proposition ! Pour ma part, je vais avoir du mal à me libérer pour samedi à cause de l’expo, mais, pour dimanche, c’est OK.

Guillaume adhère immédiatement à l’idée :

— Pour samedi, je peux venir, si tu crois que ma présence sera utile...

— Bien sûr qu’elle sera utile, et celle de Korf Melen, également, si tu en as envie, pour que les visiteuses voient que notre art n’est pas réservé qu’aux hommes. Romain n’osait pas trop vous demander, il avait peur que cela vous emmerde. Je l’ai pourtant poussé plusieurs fois à le faire. Pour l’hommage, j’ai concocté un petit truc supplémentaire, vous allez me dire ce que vous en pensez...

L’esprit maintenant centré sur la logistique de l’événement à venir, Anthony en oublie ses désirs de vengeance, soutenu par ses amis.

* * *

Chantelle abandonne à regret le cocon douillet des bras de son compagnon et les paysages de la Route Napoléon diffusés dans l’émission de France 3 pour regarder l’écran de son téléphone, vibrant sur la table basse où elle l’avait laissé. Baissant le son de la télévision, Michel constate l’air étonné qu’elle affiche avant de décrocher.

— Richard ? Que t’arrive-t-il pour que tu m’appelles ?

Elle écoute les explications données par son correspondant, lui demandant parfois de ralentir le débit afin de parvenir à tout comprendre. Enfin, elle reprend la parole :

— Bon, au final, mis à part un peu de piratage informatique, tu n’as rien fait de bien méchant, ce n’est pas toi qui l’as tué ? Donc tu n’as rien à craindre !

Encore une salve que Michel Mabec ne peut entendre.

À nouveau, Chantelle tente de rassurer son ancien complice, lui promettant de passer le voir le lendemain même.

Enfin, elle raccroche. Ayant consulté les informations sur le Net, son compagnon expose sa théorie :

— Je devine un rapport avec ce gars, retrouvé ce matin au pied du pont d’la Brass. Il était à peu près de l’âge de R2, donc j’imagine qu’ils se connaissaient. Mais, étant donné son décès, les enquêteurs ont dû saisir le matériel informatique du jeune homme, risquant de découvrir quelques pratiques peu légales dont ton geek4 préféré a le secret...

— Bravo, Monsieur l’écrivain ! Vous progressez fortement, je vous sens prêt à composer votre premier polar porno. En effet, Richard a filé un coup de main à son ami de lycée pour l’aider à pirater quelques sites et à protéger ses données, et il craint que l’on remonte jusqu’à lui. J’irai le voir demain, qu’il m’explique plus clairement ses bidouilles...

— Cela doit être grave, il semblait vraiment paniqué...

— Non, rien qui touche à la sécurité nationale, mais R2 a toujours peur que nos anciennes affaires ne resurgissent à la surface et que la police ne remette cela sur le tapis.

Michel jette un nouveau coup d’œil à l’article en ligne du Télégramme de Brest :

— Ils annoncent ici que c’est une vieille connaissance qui a hérité de l’enquête. Tu auras peut-être l’occasion de le croiser...

Les iris de la sorcerez s’illuminent de lueurs étranges lorsqu’elle retourne se lover contre le corps de son compagnon, répondant d’une voix mystérieuse :

— Peut-être, peut-être...

3. Toyer : recouvrir ou dégrader le graff ou le tag d’un autre.

4. Personne ayant peu de vie sociale en raison de sa passion exagérée de l’informatique, des nouvelles technologies, de la science-fiction, ou encore des jeux.

III

L’hôtesse d’accueil déverrouille à peine la porte qu’un homme pénètre dans la galerie : ici, un tel empressement est assez rare, les visiteurs viennent plutôt baguenauder à l’heure de midi, afin d’occuper leur pause-repas, ou en fin de journée, après le travail. À la façon dont celui-ci s’arrête devant chaque toile pour les regarder, Vanessa devine immédiatement qu’il ne s’agit pas d’un acheteur potentiel ni même d’un amateur d’art, ce quidam ne sait pas prendre le recul nécessaire pour englober l’œuvre dans son champ de vision.

Son tour fini, l’homme s’approche de l’hôtesse, sortant une carte de sa poche.

— Bonjour, Madame, capitaine Adrien Le Gac, de la PJ brestoise.

L’air effrayé qu’affiche la jeune femme presse l’officier à la rassurer :

— J’enquête sur le meurtre perpétré dans la nuit de mardi à mercredi, au viaduc de Lambézellec. Il paraît que monsieur Romain Jankowski, la victime, était invité ici même la semaine dernière, à l’occasion du vernissage de cette exposition. Étiez-vous présente ?

L’étonnement succède à l’épouvante sur le visage de l’hôtesse.

— Évidemment ! Ces soirs-là, il y a toujours beaucoup à faire, guider les journalistes qui se sont déplacés, indiquer les tarifs à ceux qui seraient intéressés par une œuvre et mille petites autres choses. Mais, pour ma part, je ne connais pas tout le monde...

Le Gac sort une photo de Romain et la présente, la jeune femme acquiesce :

— En effet, il était là, invité par D-Man.