Le Bagad bombarde à Quimper - Jean-Michel Arnaud - E-Book

Le Bagad bombarde à Quimper E-Book

Jean-Michel Arnaud

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Beschreibung

 Fausses notes en Bretagne

Oyez, oyez la triste histoire
De ce sonneur sans auditoire
À qui vient l’idée de mourir,
Son corps restant à dépérir.

Heureusement, quelques sorcières
Viendront jouer les justicières
Et à son âme, dans l’aventure,
Offriront une digne sépulture.

Balade en vieille ville de Quimper,
En compagnie de nos compères
À suivre leurs péripéties
D’un bout à l’autre de ce récit…

Laissez-vous entraîner dans le 3e tome de Chantelle, enquêtes occultes, un roman policier régional passionnant !

EXTRAIT

Ce soir, La Gentilhommière est vide, raison pour laquelle Bernard peut profiter du moelleux fauteuil club campé au milieu du salon à l’ambiance cosy : en cette fin d’hiver, la maison d’hôte, sise rue Saint-Nicolas, dans le vieux Quimper, est moins fréquentée. Marie attrape le dictionnaire franco-italien dans l’imposante bibliothèque qui orne la pièce.
—Je dois d’ailleurs vérifier un mot. L’autre fois, en racontant mon histoire aux retraités napolitains, je crois bien m’être trompée… Pour fantôme, je disais fantomo, et eux me répondaient fantasma… Je pensais qu’ils plaisantaient, qu’ils transformaient mon spectre en fantasme. Mais non ! Ils étaient sérieux. Bon, il faut que je l’inscrive dans mon carnet, pour les prochains clients italiens : un couple de Romains a réservé pour le troisième week-end d’avril.
Mais, en cette fin de journée, le joueur de bombarde connaît quelques problèmes de souffle : la gavotte, vaillamment entamée s’arrête au milieu de la phrase musicale, déjà maintes fois répétée, une poignée de notes fausses et éparses jaillissent encore pendant quelques secondes, puis le silence du vieux Quimper gagne le combat. Ce soir, le fantôme du talabarder est mort une seconde fois.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1966 en région parisienne, Jean-Michel Arnaud a rallié la Bretagne en 1994 pour son travail d’ingénieur en informatique. Il trouve là le plaisir de l’écriture : de la poésie pour commencer, avec les recueils (In)quiétude et Flots Flous. La lecture de romans policiers régionaux lui donne l’envie de tenter sa chance dans ce genre. Bassiste, il participe à plusieurs groupes pop-rocks amateurs, de 1999 à 2004 avec le groupe Hepanah, maintenant disparu, et depuis 2008 avec le groupe My Bones Cooking tournant régulièrement dans la région brestoise.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS :

- À Thierry Chapelet, sonneur au bagad Bro Landerne, pour sa relecture et ses commentaires pertinents,

- Une nouvelle fois à Guillaume, toujours aussi rapide et efficace dans la correction de mes erreurs sur la balistique et les procédures policières (parfois sans succès, mes enquêteurs n’en font qu’à leur tête)

- À Matthieu, pour ses remarques pointues sur le monde des bagadoù et leurs instruments.

PROLOGUE

Quimper ! Il était un sonneurQui, au début de l’histoire, meurtSans avoir rien dit à personne !D’un ton lugubre, l’instrument sonne…

Lorsqu’elle ouvre la porte pour laisser entrer le gros chat persan qui attendait patiemment sur le seuil, Marie entend le timbre étouffé de la bombarde.

— Ah ! Voilà le fantôme qui remet ça !

Sans même lever les yeux de ses grilles de mots croisés, confortablement installé dans le fauteuil du grand salon, son mari s’inquiète :

— Il faudrait peut-être en parler à la mairie ; quelqu’un qui joue de la musique aussi tard le soir, cela n’a rien de normal… Dans le voisinage, personne ne pratique cet instrument, et nul n’a encore réussi à déterminer où pouvait se cacher ce talabarder.

— Ne t’en soucie pas ! Il ne fait aucun mal et, passé minuit, il aura fini ; j’ai vérifié la semaine dernière. On ne l’entend que depuis la suite de la tour, juste un petit peu. Et puis, ça me fait une belle histoire à raconter aux clients, ils sont friands de ce genre d’anecdotes mystérieuses, même si celle-ci est totalement inventée…

Ce soir, La Gentilhommière est vide, raison pour laquelle Bernard peut profiter du moelleux fauteuil club campé au milieu du salon à l’ambiance cosy : en cette fin d’hiver, la maison d’hôte, sise rue Saint-Nicolas, dans le vieux Quimper, est moins fréquentée. Marie attrape le dictionnaire franco-italien dans l’imposante bibliothèque qui orne la pièce.

— Je dois d’ailleurs vérifier un mot. L’autre fois, en racontant mon histoire aux retraités napolitains, je crois bien m’être trompée… Pour fantôme, je disais fantomo, et eux me répondaient fantasma… Je pensais qu’ils plaisantaient, qu’ils transformaient mon spectre en fantasme. Mais non ! Ils étaient sérieux. Bon, il faut que je l’inscrive dans mon carnet, pour les prochains clients italiens : un couple de Romains a réservé pour le troisième week-end d’avril.

Mais, en cette fin de journée, le joueur de bombarde connaît quelques problèmes de souffle : la gavotte, vaillamment entamée s’arrête au milieu de la phrase musicale, déjà maintes fois répétée, une poignée de notes fausses et éparses jaillissent encore pendant quelques secondes, puis le silence du vieux Quimper gagne le combat. Ce soir, le fantôme du talabarder est mort une seconde fois.

I

Vient une sorcière aux yeux étrangesQui vous ébranlent et vous dérangent.Son objectif : que ce sonneurAccède à sa dernière demeure…

La petite citadine noire quitte la route de Kerdalec, en périphérie sud de Pont-l’Abbé, pour emprunter le chemin boueux qui s’enfonce dans les bois ; après cinq cents mètres, parcourus à allure réduite en raison des profondes ornières, la voiture s’arrête devant la chaumière construite en bordure d’une large clairière. Sur le seuil, une fine femme aux longs cheveux bouclés accueille sa visiteuse d’un tendre baiser sur les lèvres avant de la conduire à l’intérieur.

— Merci d’être venue aussi vite, ma chérie. Je m’en veux de t’avoir dérangée…

— Premièrement, tu ne me déranges pas du tout ! Michel est en déplacement pour encore quelques jours. Avec sa dessinatrice anglaise, ils parcourent les villes pour les séances de dédicaces après la sortie de leur nouveau bouquin. Et, deuxièmement, je t’ai promis d’être toujours là si tu avais besoin de moi. Ton appel ne m’a pas inquiétée, mais intriguée. Tu me racontes ?

Chantelle s’est déchaussée et débarrassée de son manteau pour s’installer sur le confortable sofa qui trône dans le salon. Ruby dépose sur la table basse un plateau chargé de deux tasses fumantes et vient s’asseoir à côté de son amie pour relater son histoire :

— Hier, j’animais une séance de spiritisme dans le vieux Quimper, rue du Pichéry, chez une famille pour laquelle j’ai déjà travaillé plusieurs fois, sans jamais rencontrer le moindre problème. Mais là, lors de ma transe, j’ai détecté une présence, à la fois proche et extérieure à la demeure où je me trouvais, une mort récente, et surtout très violente. La victime ne présente aucun rapport avec les personnes qui m’employaient ce soir-là, je ne suis pas parvenue à découvrir de qui il s’agissait ni qui l’a assassinée. Cela, elle l’ignore elle-même…

Chantelle médite quelques instants sur ce qu’elle vient d’entendre ; impossible de douter de l’histoire de Ruby qui maîtrise maintenant parfaitement ses dons exceptionnels de médium.

— As-tu pu localiser exactement l’endroit où se situe ce cadavre ?

— Oui. Après ma séance, j’ai tourné dans le quartier afin de trouver la position précise. Le corps est au rez-de-chaussée d’une maison mitoyenne. La demeure semble inhabitée, tout est fermé et il n’y a aucune lumière. Mais il est là, j’en suis certaine, depuis plusieurs semaines…

— Je n’en doute pas, ma chérie. D’abord, si tu le veux bien, tu vas nous y conduire, que je repère le coin. Et, ensuite, nous chercherons un moyen pour passer l’information à la police. Ainsi, ils se chargeront du corps qui pourra reposer dans un lieu plus adapté, car je suppose que c’est ce que tu souhaites…

* * *

Les nuages gris s’associent à l’étroitesse de la voie pour rendre la rue des Gentilshommes fort sinistre en cette fin d’après-midi. Nonobstant cette absence de clarté, les deux femmes élégantes qui font claquer les talons de leurs bottines sur le pavé ont gardé leurs verres fumés, dissimulant ainsi leurs yeux étranges aux rares touristes osant s’aventurer dans le quartier, malgré les risques de pluie. Les promeneuses bifurquent dans la rampe Saint-Nicolas, ruelle encore plus étroite, qui se termine par un escalier menant place Mesgloaguen. Ruby s’arrête devant la deuxième maison ; les volets sont fermés, la couche de crasse sur le seuil indique que personne n’a utilisé cet accès depuis bien longtemps.

— Il est là, sur le sol, au rez-de-chaussée…

Prenant du recul, Chantelle remarque le soupirail : ici, on peut facilement distinguer les traces de passage. Reste maintenant à trouver un moyen d’attirer la police à l’intérieur. Mais pour cela, la sorcerez a déjà son idée…

* * *

Ce soir, ils seront sept : un chiffre honorable pour une répétition. Pourtant, Denez est loin d’être satisfait.

— Et Yannick, personne n’a de nouvelles ? Putain, ça fait plus de trois semaines qu’il est absent et pas un ne s’inquiète ! Merde ! Dans l’armée, quand un gars manquait à l’appel, toute la troupe se mettait immédiatement à sa recherche. Mais là, vous vous en foutez tous…

Timidement, Kevin, l’un des musiciens, tente de calmer le meneur :

— Ben, c’est le travail de Morgane en fait, c’est elle la secrétaire. Et puis, elle a aussi été sa nana, donc elle sait où il crèche. Faut pas nous engueuler, nous, on n’y est pour rien…

Justement, la jeune femme pénètre dans la salle. Le penn-soner se colle devant elle et commence à l’invectiver :

— On arrive à l’heure aux répétitions, sinon pas la peine de venir ! Et Yannick, tu n’as toujours rien fait pour le retrouver ?

L’interpellée ne se laisse pas impressionner par la large carrure de l’ex-para qui la surplombe. Le fixant droit dans les yeux, c’est d’une voix calme mais ferme qu’elle lui répond :

— Au cas où tu l’aurais oublié, tu n’es plus dans l’armée et je ne suis certainement pas sous tes ordres, donc use d’un autre ton avec moi, sans quoi tu te passeras de mes services pour le travail de secrétariat ! Ensuite, concernant mes horaires, j’ai, depuis le début, prévenu que, le mardi, je finissais plus tard. Je ne viens ici que pour pallier le manque de sonneur : si l’effectif est suffisant le jour de la prestation, je laisserai volontiers ma place. Quant à Yannick, j’ai tenté de le joindre depuis sa seconde absence, par téléphone et également en allant frapper chez lui. S’il ne répond pas, ce n’est certainement pas de ma faute !

Désappointé par autant d’assurance, le penn-soner ne sait quoi rétorquer à la jeune femme qui continue à le fixer du regard. Ne voulant se déclarer défait, il s’écarte juste assez pour la laisser prendre place dans la formation et cherche un moyen de terminer cette discussion avec les honneurs. Heureusement pour lui, Tristan Guégen, le penn-talabarder lui offre une porte de sortie :

— Et Gauthier ? Il a essayé de monter un couple de sonneurs avec Yannick, peut-être qu’il aura plus de nouvelles… Tu lui as demandé ?

— Gauthier… le joueur de cornemuse ?

Sans doute stimulé par le rabrouement assené par Morgane au penn-soner, Kevin se permet un pique :

— Évidemment, le joueur de cornemuse, pas le marchand de saucisses ! Mais Gauthier, il a vite regretté d’avoir proposé l’association : Yannick n’a pas compris que la musique, c’est du sérieux, il faut du boulot pour y arriver, et des répétitions. Plusieurs fois, Gauthier s’est retrouvé tout seul à attendre que l’autre veuille bien venir. Du coup, impossible de travailler consciencieusement les morceaux.

Finalement, Denez reprend son ton de chef :

— Alors on se passera de lui ! Il fait quand même chier… Si on avait été assez nombreux, je l’aurais depuis longtemps foutu dehors, mais là… Bon ! Je vous laisse bosser maintenant.

Sans un au revoir, le penn-soner se retire, abandonnant la place à Tristan, le penn-talabarder, qui peut enfin lancer la répétition des joueurs de bombarde du bagad Kermoysan.

* * *

La femme sortant de la voiture qui vient de s’arrêter à proximité du Baragwenn a soigné sa tenue : le pantalon moulant sait mettre en valeur le côté callipyge de sa personne, ses bottes montantes à hauts talons affinent ses jambes et éclipsent sa faible stature, la veste spencer boutonnée à la taille souligne la cambrure de ses reins et l’agréable avancée de sa poitrine. Bref, elle ne laissera ce soir aucun homme indifférent. D’ailleurs, les deux fumeurs mégotant devant l’établissement se hâtent de tirer les dernières bouffées de leur clope pour la rejoindre à l’intérieur, afin de profiter de l’émoustillant spectacle.

Le Baragwenn est le quatrième bar que Chantelle visite. Dans les trois premiers, elle n’a pas trouvé ce qu’elle recherchait, mais là, à peine entrée, elle a ressenti les ondes adéquates à ses desseins. Deux hommes, appuyés côte à côte au comptoir : ceux-là conviendront parfaitement ! Le premier a déjà remarqué la femme et, d’un coup de coude, prévient son voisin de zinc qui tourne la tête vers la nouvelle venue. De vrais jumeaux ! Excellent ! Le travail sera encore plus simple…

En général, le soir, Gwenn ne fait le service qu’au bar. Mais, exceptionnellement, il se déplace jusqu’à la table pour prendre la commande de cette charmante personne. Celle-ci a gardé ses lunettes aux verres fumés ; peut-être veut-elle cacher des cernes ou des rides… pense le patron du Baragwenn. La femme s’exprime d’une voix basse et profonde :

— Un Virgin Mojito, s’il vous plaît. J’espère que vous en connaissez la recette.

— Je dois vous avouer qu’ici, je n’en ai jamais servi : les cocktails sans alcool, ce n’est pas trop ce que me réclament les habitués, ils sont plus basiques. Mais, si je me souviens bien, c’est mojito, caribbean, eau gazeuse et citron vert ?

— Plus deux feuilles de menthe, si vous avez, mais je saurai m’en passer.

Déjà, le patron est reparti rassembler les ingrédients pour sa préparation. Chantelle patiente, sentant sur elle les coups d’œil rapides que chacun pose sur cette nouvelle cliente si sexy. De temps en temps, l’un des jumeaux regarde. Enfin, Gwenn revient, portant triomphalement son plateau sur lequel trône un grand verre rempli d’un liquide translucide et agrémenté d’une tranche de citron vert, d’une paille coudée et de deux feuilles de menthe que le tenancier montre fièrement du doigt.

— Vous avez de la chance : je venais tout juste d’en reprendre, comme si je m’étais attendu à votre visite. Vous me direz si, pour les dosages, c’est comme vous aimez…

— Merci pour l’effort, je suis persuadée que cela sera parfait.

Relevant les épaules, le patron retourne derrière son bar, se sentant maintenant prêt à affronter tous les défis. Chantelle profite de sa boisson sans quitter des yeux le dos des jumeaux juchés sur de hauts tabourets. Interceptant le coup d’œil de l’un d’eux, elle lui fait signe de s’approcher. Air surpris du concerné : moi ? Alors Chantelle réitère le signe, utilisant cette fois l’index et le majeur. Le frère prévient sa copie conforme qui regarde à son tour la sorcerez, pour constater que sa gestuelle digitale est sans équivoque : Venez ici, tous les deux ! Du même mouvement, ils descendent de leurs tabourets et s’avancent vers la table.

— Prenez place !

Problème : une unique chaise est disponible. L’un des invités tape sur l’épaule de la personne installée à côté, lui indiquant d’aller se chercher de quoi s’asseoir ailleurs, et récupère le siège de l’homme qui s’est levé sans protester ; cela conforte davantage Chantelle : elle a fait le bon choix !

— Messieurs, si je vous ai conviés à ma table, c’est que j’ai un petit service très particulier à vous demander et qu’ici, vous me paraissez être les seuls à pouvoir m’aider. Cela vous intéresse-t-il ?

Les frères se regardent avant que l’un ne se dévoue pour répondre :

— Ça dépend, y’a quoi à gagner ?

— Tout d’abord, je vous paye vos verres pour la soirée. Memestra1 ?

Elle fait signe au patron de renouveler les commandes de ses invités. Rapidement, Gwenn vient déposer deux nouvelles chopes de bière devant les jumeaux. Avant qu’il ne reparte, Chantelle lui indique qu’elle réglera l’ensemble des consommations. Celui qui a déjà pris la parole s’inquiète :

— C’est bien gentil, ça, Madame. Mais après, il faudra faire quoi ? Et c’est quoi la récompense, parce que là, vous avez dit « d’abord », donc il y a une suite…

Au moment où Chantelle allait répondre, la porte du bar s’ouvre pour laisser entrer une jeune femme à l’habillage aguichant : escarpins, bas résille gainant de fines jambes joliment dévoilées par une courte jupe, veste de cuir cintrée soulignant une taille étroite. Mais son talon s’accroche à la barre de seuil, elle perd sa chaussure et trébuche. Heureusement, un sauveur la rattrape avant qu’elle ne chute.

— Oups ! Merci Monsieur, vous êtes bien gentil. Mais je crois qu’en fait, je me suis trompée d’endroit…

Ruby ramasse son soulier resté en arrière et se rechausse avant de ressortir, alors que plusieurs clients – dont les jumeaux – poussent des « Oh ! » de déception. Puis les deux frères se retournent vers Chantelle pour écouter ses explications, sans avoir remarqué la petite dose de potion brune que celle-ci a discrètement versée dans leur verre pendant qu’ils regardaient derrière eux.

* * *

Claudicant et chancelant, les deux frères arrivent devant la lourde porte :

— Ça te semble pas bizarre, cette histoire de petite pendule à récupérer ?

— Chut ! Moins fort, bon sang ! Je m’en fous que ce soit bizarre ; y’a des gens avec des goûts de chiotte, mais ça ne nous regarde pas ! Tout ce qu’on doit faire, c’est entrer, ramasser la petite pendule que la grand-mère avait promise à notre cliente et la rapporter chez nous où elle nous attendra pour nous offrir notre récompense. Moi, je ne pense qu’à ça, le réconfort après l’effort…

— Ouais, t’as raison. On ne va pas se prendre la tête pour ça. Mais ils sont cons, les enfants de la vioque, d’avoir pas voulu lui donner ce truc quand la mamm-gozh est morte. Là, ils seront obligés de faire réparer leur porte pour la peine…

— En fait, la récompense, c’est autant elle que nous qui en profitera : une séance de jambes en l’air avec des jumeaux, ça se mérite ! Faudrait peut-être qu’on lui réclame une prime supplémentaire…

— Et risquer qu’elle se fâche et refuse de nous payer ? Pas question ! Tu lui demanderas après, si tu veux. Bon, tu t’occupes de la porte ?

Jules a enfin réussi à extraire le pied-de-biche de la poche intérieure de son caban. Il tâtonne avant de trouver l’endroit exact où le positionner. Le craquement brise le silence du vieux Quimper, mais ce n’est pas bien grave : il leur faudra peu de temps pour entrer, dégoter le buffet avec la pendule, récupérer l’objet et repartir. Si les voisins ont alerté la police, elle arrivera trop tard, les frères seront déjà loin.

— Putain ! Ça pue ! C’est toi qui as pété ?

— Ben non, je croyais que c’était toi…

Rire commun, les jumeaux ont le même humour… Mais si le bruit de l’effraction n’avait alarmé personne, il n’en est pas de même du hurlement de terreur que les deux hommes continuent à pousser en ressortant. Tout le quartier sera bientôt réveillé. Voyant les lumières des fenêtres s’allumer l’une après l’autre, les deux femmes regagnent maintenant la voiture de Ruby, garée plus haut dans la rue du Pichéry.

— Je crois avoir accompli ma mission. Aurais-je droit à une douce récompense, ce soir ?

— Avec plaisir, je me dévoue pour te l’offrir moi-même, le principal intéressé de l’affaire n’étant pas en état pour cela.

— Non, mais au moins, bientôt, il reposera là où il faut !

1 « La même chose », en breton.

II

Arrive de Brest un capitaine,Œil malicieux, sourire amène.Il est venu mener l’enquêteEt, malgré lui, faire des conquêtes…

— Le Gac ?

Adrien sursaute à l’apostrophe de l’homme arrivé sans bruit derrière lui.

— Cool, mec, ne sors pas ton flingue ! Moi c’est Fratello, Éric, mais tout le monde m’appelle Rico. C’est la première fois que tu viens à Quimper ?

— Pour mener une affaire, oui, mais j’ai travaillé à plusieurs reprises en collaboration avec vos équipes, par téléphone ou mail.

— OK ! C’était pas avec moi alors, jamais entendu parler de toi avant ce matin. T’aurais dû passer par l’entrée des artistes, sur le côté. Là, on va devoir traverser tout l’étage.

Air outrecuidant de l’habitué qui s’amuse à faire lanterner le nouveau venu en ne délivrant les informations qu’au compte-gouttes.

— Tu me montreras le raccourci plus tard. Mon supérieur m’a appelé à six heures ce matin pour m’ordonner de me présenter ici, au commissaire Montcharrois. N’ayant aucune grosse affaire en cours à Brest, j’ai été désigné d’office pour venir donner un coup de main sur une histoire de décès aux origines suspectes.

— Montcharrois est certainement reparti se pieuter après avoir fait les constatations d’usage et lancé l’enquête. Moi, j’ai juste trouvé une note sur mon bureau pour m’indiquer ton arrivée et que nous bosserions ensemble. Je ne comprends pas qu’on t’ait fait rappliquer de Brest pour ça, j’aurais aussi bien pu m’en sortir tout seul !

Fratello guide Le Gac dans les couloirs du commissariat quimpérois jusqu’à un meuble chargé d’un fourbi hétéroclite, dossiers abandonnés, boîtes vides et autre matériel vétuste, voire inutilisable.

— Tiens ! Celui-ci est dispo, tu te mettras là. Je te laisse t’installer, t’es un grand garçon, tu te démerdes. Ensuite, tu viendras me retrouver que je te briefe, ma place est plus loin…

Et Rico plante son collègue. Adrien dégage un espace suffisant pour poser sa sacoche sur le bureau encombré et entreprend de ranger le reste afin de pouvoir travailler, lorsqu’un homme bedonnant et de forte carrure pénètre dans la pièce.

— Le Gac ? Qu’est-ce que vous foutez ?

— Ah ! Bonjour Commissaire. Le capitaine Fratello m’a trouvé cette place pour…

— Capitaine ? Fratello n’est que lieutenant. Vous êtes son supérieur.

— Il ne m’a pas indiqué son grade et s’est juste présenté par son nom, donc j’ai cru…

Montcharrois lève la main pour stopper Adrien, inutile d’en dire plus.

Sa voix forte tonne dans tout l’étage du bâtiment :

— Fratello ! Ici, tout de suite !

L’interpellé arrive aussitôt, l’air nettement moins arrogant.

— Oh ! Bonjour Commissaire. Je ne m’attendais pas à ce que vous soyez revenu aussi tôt…

— Et donc, vous en avez profité pour prendre vos aises avec le capitaine Le Gac. Si j’ai demandé à la PJ brestoise de me prêter un officier, ce n’est pas pour faire le ménage, chose que je vous avais d’ailleurs ordonné plusieurs fois de faire auparavant. Vous allez immédiatement trouver une place correcte pour votre supérieur, et de préférence pas trop éloignée de vous, afin qu’il puisse surveiller que vous n’êtes pas en train de glander ! Avez-vous au moins pris connaissance des premières constatations ?

— Bien sûr, Commissaire. J’ai parcouru vos notes et je m’apprêtais à les transmettre au capitaine…

Montcharrois tend une nouvelle feuille au lieutenant.

— J’ai recopié là les premières remarques du légiste ; il m’a promis un rapport complet dans l’après-midi. Le Gac, en cas de besoin, mon bureau se situe à l’étage supérieur. Et n’hésitez pas à secouer Fratello, je n’ai trouvé que cette méthode pour le rendre un tant soit peu efficace…

Le commissaire reparti, Rico donne les ordres pour installer le capitaine à proximité. Pendant que ses subalternes s’activent, le lieutenant conduit Adrien en salle de réunion pour lui présenter l’affaire : une maison vide du vieux Quimper, les voisins qui entendent un fort craquement et, peu après, les hurlements d’hommes qui s’enfuient en courant.

— On a envoyé une voiture. En constatant l’effraction, les bleus ont senti l’odeur provenant de l’intérieur. Ils ont cru qu’il y avait un animal crevé, un gros rongeur, genre ragondin ou un truc comme ça – une rivière coule pas loin, alors une bestiole aurait pu en sortir, pénétrer on ne sait pas comment dans la baraque et clamser là. Un gars est entré pour vérifier et il a découvert le corps. Il paraît que c’était à gerber. D’ailleurs, il ne s’est pas gêné pour le faire, et même plusieurs fois. Il ne s’en est pas encore remis, une petite nature…

— Et donc, tu as été appelé sur place…

— Ben… normalement, oui, c’est moi qui aurais dû m’y coller, j’étais d’astreinte, mais, avant-hier, j’ai fait un poker qui s’est terminé bien tard. Du coup, j’ai coupé mon portable, pas envie d’être réveillé pour une histoire à la con qu’un simple brigadier peut régler. En général, le jeudi, c’est calme par ici, pas comme à Brest avec les soirées étudiantes. Mais là, j’ai merdé grave : le nuiteux n’a pas réussi à me joindre, alors il a appelé le commissaire direct…

— Connaît-on l’identité du mort ?

La porte de la salle de réunion s’ouvre à ce moment et Montcharrois passe juste la tête.

— Au fait, Le Gac, le défunt avait ses papiers sur lui, mais je n’ai pas pensé à noter les données. Je ne m’étais pas rendu ainsi sur le terrain depuis bien longtemps, j’ai perdu les réflexes pourtant basiques. Appelez l’IJ1 afin qu’ils vous transmettent ces informations, il faudra prévenir la famille…

— Je m’en charge, Monsieur, je vais passer les ordres…

Regard étonné du commissaire : quelle grosse bêtise Fratello a-t-il à se faire pardonner pour devenir aussi zélé ? Profitant de son absence, Montcharrois continue l’énoncé des faits :

— Le plus étrange est que la maison était entièrement vide : plus un meuble ni un tapis, rien de rien. L’explication a été fournie par les voisins qui nous ont appelés, suite aux hurlements : la propriétaire de cette demeure est décédée en février 2012 et, depuis, la succession est en cours. Ils m’ont indiqué l’étude notariale en charge de ce dossier, il se trouve que c’est un bon ami. Donc je me suis permis de le joindre tôt ce matin afin de lui demander les coordonnées des héritiers. Il s’agit des frères Person, Christian et Philippe, qui ont été prévenus et qui ne devraient pas tarder à se présenter ici.

Rico revient, l’air satisfait.

— J’ai récupéré le nom et l’adresse, et j’ai mis Yvon sur la recherche des proches à avertir.

— Parfait ! Il semble que la présence de Le Gac vous rende particulièrement efficace, Fratello. Je vous laisse donc continuer…

Le commissaire est déjà reparti. Rico reprend :

— Pour la cause de la mort, le légiste n’a pas pu assurer qu’il soit question d’un crime, mais Jean-Louis m’a raconté que les salauds qui ont fait ça se sont amusés à lui enfoncer un tube dans la gorge pour l’étouffer.

Le Gac a rapidement parcouru les notes manuscrites laissées par Montcharrois.

— Où est ce Jean-Louis si bien renseigné ? Et sur quels indices se base-t-il pour déterminer que les éventuels agresseurs étaient plusieurs ? Quant au « tube », il s’agit d’une bombarde et, d’après les premières constatations, le corps ne comporte aucune trace permettant d’affirmer que la victime a été maintenue de force pour cela.

— Ben… c’est Jean-Louis qui a dit. Il a vu le macchabée, donc il doit bien savoir !

Le Gac ne cherche pas à poursuivre sur ce sujet : même au sein d’un commissariat, les rumeurs se répandent vite. On frappe à la porte : un agent vient prévenir Fratello que les propriétaires de la maison attendent à l’accueil. Adrien répète au lieutenant les explications données par Montcharrois sur le bon ami notaire qui s’occupe de la succession.

— C’est plutôt avec la femme de Tornarec que le commissaire est “bon ami”, si tu vois ce que je veux dire. Tous les jeudis, en début d’après-midi, notre cher supérieur s’offre une longue pause qui, curieusement, correspond exactement avec les horaires de golf de son pote, le notaire. Si tu as des trucs à réclamer, c’est à ce moment-là qu’il faut t’adresser à lui, il revient toujours euphorique de sa sieste crapuleuse…

Afin de se familiariser avec les lieux, Le Gac choisit de descendre lui-même pour prendre en charge les personnes. Il trouve là deux couples de quinquagénaires : la ressemblance des deux hommes ne laisse aucun doute sur leur lien de parenté :

— Bonjour ! Messieurs Person, je suppose. Je suis le capitaine Adrien Le Gac. Êtes-vous bien les propriétaires de la maison située rue Saint-Nicolas ?

Avant que l’un ou l’autre des interrogés n’ait pu ouvrir la bouche, la femme accrochée au bras du plus jeune intervient :

— Christian n’est propriétaire qu’à cinquante pour cent, le reste appartient à mon mari ! Quel est le problème ? Parce que s’il faut payer quelque chose…

Le capitaine lève la main pour stopper le flot de paroles et tâche de reprendre les rênes de l’opération :

— Je vais essayer de vous l’expliquer, mais, d’abord, vous devrez m’accompagner à mon bureau afin que je puisse noter vos réponses. Par contre, je ne suis pas sûr de disposer d’assez de place pour vous, Mesdames. Vous attendrez vos maris ici…

Regard affolé de la première et courroucé de la seconde, chacune s’agrippant au bras de sa moitié respective ; impossible de se débarrasser d’elles. Tout le monde suit donc Le Gac pour le trajet retour dans les couloirs et escaliers du bâtiment – progressivement, le capitaine adopte les lieux. Il retrouve son bureau dans lequel Fratello case avec difficulté deux chaises supplémentaires. Le Gac s’installe à son clavier et commence par relever l’identité de chacun des frères.

— Ainsi, la succession n’étant pas close, la demeure de la rue Saint-Nicolas vous appartient autant à l’un qu’à l’autre. Est-ce bien cela ?

Les deux hommes hochent la tête simultanément.

— Depuis combien de temps dure cette situation ?

La femme ayant répondu à l’accueil se charge à nouveau de parler à la place des principaux concernés :

— Ma belle-mère est morte il y a quatorze mois maintenant, et nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord : moi, je dis qu’il faut s’en débarrasser, cet héritage ne nous apportera que des problèmes ! Mais ces deux-là rêvent de la transformer en maison d’hôte, parce qu’il paraît que ça marcherait bien. Ils n’imaginent pas la quantité de travail que cela représente. Toutefois, je suis d’accord, tant qu’ils me payent la moitié de la valeur estimée. Ils prétendent qu’ils ne pourront pas assumer à la fois le prêt pour l’acheter et le montant des aménagements nécessaires pour la rendre agréable, et voudraient que nous participions, mais cela est hors de question !

Préférant éviter la réponse de l’équipe adverse, Le Gac enchaîne :

— De quand date votre dernière visite là-bas ?

Étonnement dans les regards, suivi d’une grande brume : ce n’est certes pas récent. Le plus âgé des frères prend la parole :

— Nous avons récupéré tous les meubles qui s’y trouvaient, en faisant le partage. C’était il y a environ un an ; j’ai toujours dans mes dossiers la facture pour le véhicule de location que nous avons alors utilisé, je pourrai donc vous renseigner plus précisément en la consultant. Depuis, pour ma part, je n’y suis pas retourné.

La femme jusqu’alors muette prend la parole :

— Nous nous y sommes rendus il y a dix ou onze mois, pour estimer une mise en état afin de transformer les lieux. Ensuite, il nous fallait l’accord de ceux-ci, mais ils font obstruction au projet. Donc…

Le Gac regrette que cette famille ait été convoquée aussi tôt. N’ayant pas encore assez de connaissance du sujet pour poser des questions pertinentes, il préfère passer directement à l’essentiel :

— Avez-vous l’un ou l’autre donné ou prêté les clefs de votre maison à quelqu’un ?

Réponse unanime des deux couples : non, pourquoi auraient-ils fait cela ?

— Par exemple, vous auriez pu la laisser à un ami, pour qu’il puisse l’utiliser temporairement lors de travaux chez lui, ou à des ouvriers, afin qu’ils établissent le devis concernant les rénovations nécessaires…

Confirmation de l’assemblée : les clefs n’ont pas quitté les tiroirs où elles ont été rangées. Le capitaine en vient enfin à l’explication :

— Il se trouve que, ce matin, le cadavre de monsieur Yannick Moysan a été découvert dans votre maison. Je n’ai pas encore de photo de la victime à vous présenter, pour vous demander si vous le connaissiez, mais avez-vous la moindre idée de qui cela peut être ?

L’effarement se lit sur l’ensemble des visages, et les têtes font toutes le même signe de dénégation : il semble que le mort n’ait pas été invité par la famille. Le capitaine les remercie et charge Fratello de les raccompagner à l’accueil.

Montcharrois reparaît, pour prendre des informations. Le Gac fait un résumé de l’entrevue et du conflit familial à propos de la demeure, et surtout que personne ne sait ce que la victime faisait là.

— Le rapport préliminaire de l’IJ vient d’arriver, vous demanderez à Fratello de vous le retransmettre. En gros, ce gars s’est glissé par un soupirail pour entrer, il n’a jamais utilisé la porte. Les seules traces de pas qui ont été relevées sont celles des deux cambrioleurs. La police scientifique a encore des tests à effectuer sur des objets découverts sur place. Le cadavre avait également ses clefs dans ses poches, vous pourrez les récupérer pour aller faire un tour chez lui…

Le commissaire est déjà reparti lorsque Fratello revient enfin, un gobelet de café fumant à la main.

— Oh ! Excuse-moi, j’ai oublié de te demander si tu voulais que je t’en rapporte un…

— Pas grave, on n’a pas vraiment le temps… Yvon a-t-il obtenu des informations sur la victime ?

Fratello appelle son collègue pour récupérer les renseignements : ni femme ni enfant. Les parents ont été prévenus et convoqués. Le Gac se lève.

— J’espère que ton café n’est pas trop chaud, tu vas devoir le descendre cul sec et me conduire d’abord à l’IJ pour prendre les clefs trouvées sur le cadavre, puis rue Saint Nicolas ! Tout comme toi, je meurs d’envie de visiter ces lieux…

* * *

Rue Saint-Nicolas, Le Gac commence par inspecter le soupirail et ses alentours. Il découvre rapidement les traces de l’effraction : propre et discrète, impossible à remarquer si l’on n’observe l’ouverture que de loin. Avant d’entrer, Adrien s’étale sous le nez une épaisse couche de crème mentholée très odoriférante, sous le regard amusé de Fratello. Le capitaine propose le tube à son subordonné, mais, bravache, celui-ci refuse :

— C’est bon maintenant ; le corps a été emporté il y a plusieurs heures, je ne suis pas une gonzesse !

À l’intérieur, le lieutenant regrette immédiatement sa fanfaronnade : même enlevé, le cadavre a laissé derrière lui une puanteur tenace, écœurante à l’extrême, impossible à ignorer. Malgré la barrière de pâte parfumée, les miasmes putrides parviennent à passer. Fratello ressort en courant, la main sur la bouche.

Au centre de la pièce principale, une silhouette tracée à la craie signale emplacement et position de la victime. Plusieurs marqueurs numérotés indiquent les endroits où des objets ont été ramassés. Le Gac prend les photos récupérées aux laboratoires de l’Identité Judiciaire. Au 2, un petit projecteur sur batterie : l’électricité du bâtiment est certainement coupée depuis le décès de la propriétaire, et l’homme avait besoin de lumière pour son activité. L’interrupteur de la lampe portative était sur “Marche”, mais, bien sûr, les accus sont vidés depuis longtemps. Contre le mur, au marqueur 3, un sac à dos avec quelques affaires : canette de bière, paquet de biscuits, boîte pour ranger la bombarde, ainsi qu’une pince et un tournevis, sans doute les outils utilisés pour forcer le soupirail. Et là, près du corps en position 1, l’objet le plus étrange, un bouchon de liège percé prolongé d’un tube métallique sur lequel sont montées deux fines lames de roseau bombées : une anche de bombarde. Enfin, indicateur 4, un classeur souple contenant des partitions, appuyé au havresac.

Par acquit de conscience, le capitaine fait le tour de la demeure, constatant qu’en effet, tout a été vidé. À la cave, il retrouve les traces laissées par le passage de la victime ; comme l’a décrit l’IJ dans son rapport, celui-ci s’introduisait dans la maison par le soupirail, prenait l’escalier et s’installait au milieu de la grande pièce pour jouer de la bombarde, ce que semble confirmer le lecteur MP3 et son casque auriculaire découverts dans ses poches ; gavottes, andro, valses écossaises, marches, un ensemble d’airs généralement interprétés par un bagad y est enregistré.

Adossé au mur face à l’entrée, Fratello s’amuse avec son téléphone lorsque Le Gac ressort.

— Tu n’aurais pas dû me presser comme ça, m’obliger à avaler mon café d’un coup et ensuite à fond dans les couloirs. C’est ça qui m’a barbouillé. Pas la peine de se magner autant, ça ne fera pas ressusciter ton macchabée !

Le capitaine referme soigneusement la porte et remet en place les scellés, préférant ne pas répondre à la mauvaise foi de son collègue.

Lorsque les policiers redescendent la rue Saint-Nicolas, le porche de la propriété située en aval s’ouvre pour laisser sortir un couple de personnes âgées, visiblement des touristes équipés pour déambuler dans Quimper. D’ailleurs, l’élégante femme blonde qui les accompagne sur le seuil leur indique en anglais le chemin à emprunter pour rejoindre le musée des Beaux-Arts. Profitant de l’occasion, Adrien s’approche et présente sa carte tricolore.

— Bonjour Madame, capitaine Le Gac, de la Police Judiciaire.

— Bonjour Capitaine. Depuis le cambriolage, il y a eu beaucoup de passage dans notre petite voie d’habitude si calme…