Lame scélérate à Morgat - Jean-Michel Arnaud - E-Book

Lame scélérate à Morgat E-Book

Jean-Michel Arnaud

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Beschreibung

Le cadavre d'une jeune femme est retrouvé sur la grève de l’Île-Vierge...

Que cette plage est jolie, lumineuse sous les rayons du soleil ! Lorsqu’ils regardent la photo, ceux qui ne connaissent pas l’endroit la situent bien plus au sud, avec l’ambiance méditerranéenne de ses eaux aux reflets bleu lagon, ses pins maritimes et ses galets. Mais c'est à mi-chemin entre Morgat et le cap de la Chèvre que se trouve la grève de l’Île-Vierge, endroit fort apprécié des kayakistes pour effectuer une pause au cours de leur périple autour de la presqu’île de Crozon. Que cette plage est jolie, éclairée par la lune à son premier quartier ! Alors, pourquoi l’enlaidir du cadavre d’une jeune femme en cette douce nuit du mois d'août ? Voilà l’une des énigmes que devra résoudre la lieutenante Laurence Rousseau, de la brigade de recherches de la gendarmerie brestoise. Après une courte période d’hésitation, elle appréciera même l'aide inattendue des deux mystérieuses assistantes venues s’immiscer dans son enquête qui la promènera de Crozon jusqu’au Ménez Hom.

Suivez les investigations de la lieutenante Laurence Rousseau et résolvez à ses côtés plusieurs énigmes brestoises, avec ce 7e tome de Chantelle, enquêtes occultes !

EXTRAIT

Laurence remarque le changement de comportement de Camille lorsqu’elle parcourt les dernières lignes et regrette de lui avoir laissé lire ce passage : cela risquait de réveiller le sentiment de culpabilité qui, la veille, l’avait presque conduite au suicide. En effet, les larmes ne tardent pas à inonder les joues rondes de la jeune femme :
— Si j’avais vu, si j’avais compris, si j’avais été moins conne, j’aurais pu la convaincre d’arrêter ça ! Elle ne m’a rien dit lorsqu’elle est venue me demander ce service, juste « Sois sympa, fais ça pour moi, je t’expliquerai ensuite… »

A PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1966 en région parisienne, Jean-Michel Arnaud s’est installé en Bretagne en 1994 pour son travail d’ingénieur en informatique. Ses romans se déroulent principalement dans la partie nord du Finistère, de Brest – sa ville d’adoption – à Landivisiau, avec un court détour par Quimper.

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

Nombreux sont celles et ceux qui m’ont aidé pour la rédaction de cet ouvrage :

À Guillaume et Matthieu, pour commencer par les réguliers : présents depuis plusieurs romans, rapides et efficaces, même si j’avoue ne pas toujours suivre leurs recommandations pourtant justifiées…

À Marine, pour ses précieuses et complètes informations sur la licence de droit. Et merci indirectement à Fred qui m’a mis en contact avec elle…

À Paki, pour ses riches descriptions sur le Festival du Bout du Monde auquel elle participe en tant que bénévole depuis plusieurs années…

À Pauline, ma nièce, pour ses précieuses indications sur le contenu minimum d’une bibliothèque de jeune femme…

Le site www.notrepresquile.com, parce que j’ai passé de nombreuses heures sur ce site fourmillant de renseignements sur la presqu’île, et offrant une formidable collection de cartes postales anciennes et de vieux articles de journaux.

PROLOGUE

Mercredi 10 août

« La mer sans arrêt roulait ses galets… » Pelotonnée sur un rocher, ses bras enserrant ses genoux, Anaïs fredonne la chanson de Ferrat. Quelle idiote ! Comment a-t-elle pu y croire ? Les larmes glissent sur ses joues, elle voudrait se moucher, mais ne trouve pas le courage de rejoindre son kayak pour prendre le paquet dans le compartiment étanche à l’avant de l’embarcation. Qu’importe que son nez coule de toute manière, personne ici ne pourra le voir.

« Dehors, ils ont passé la nuit, l’un contre l’autre ont dormi. » Les paroles de Deux enfants au soleil continuent à s’échapper de ses lèvres. Malheureusement pour elle, ils n’auront pas avancé aussi loin dans l’histoire romantique écrite par Claude Delécluse. Pourtant, mer calme, température douce, des conditions idéales pour s’assoupir en amoureux à la belle étoile. Pauvre simplette ! Remplaçant la moustache du grand Jean Ferrat lui vient l’image d’une célèbre blonde évaporée minaudant sa Madrague : « sur la plage abandonnée… » Il manque juste une virgule pour que les paroles s’accordent à la situation : « sur la plage, abandonnée ! »

Un frisson, il est temps d’enfiler sa combinaison et de rentrer, et tant pis pour les remarques de sa mère ! Avec précaution, elle avance sur les galets pour rejoindre sa périssoire : s’étant déjà tordu la cheville huit jours plus tôt – une entorse certes bénigne, mais handicapante – elle n’éprouve pas l’envie de recommencer. Subitement, une main se pose sur son épaule toujours nue. Sursaut ! Le bruit permanent du ressac l’a empêchée d’entendre venir. Elle se retourne vivement et discerne un éclair lumineux, reflet de la lune sur la lame du poignard…

I

Jeudi 11 août

Sonnerie du téléphone, Virginie décroche :

— Brigadier-chef Lastourien ! Ah, bonjour, lieutenante Rousseau. Le capitaine Le Gac fait actuellement son rapport auprès du commissaire Pennac’h. Mais peut-être pourrais-je vous répondre ? Bien, je lui demande de vous rappeler au plus vite. Au revoir, Lieutenante.

Après avoir reposé le combiné sur son socle, l’enquêtrice interroge :

— Dis-moi, Jocelyn, Rousseau, ce n’est pas l’ex d’Adrien ?

Le lieutenant Kerandec réfléchit rapidement :

— Si, il me semble bien avoir entendu raconter ça, une gendarmette, jolie à ce qu’on m’a dépeint.

Virginie grimace :

— Sois honnête : si ce sont les collègues qui t’en ont parlé, ils n’auront certainement pas utilisé cet adjectif un peu niais, mais plutôt baisable ou canon…

Moment choisi par Adrien pour revenir dans le bureau, un épais dossier dans les mains :

— Qui est baisable ou canon ?

Gêne de la brigadière-chef :

— Non, personne, Chef… Ah, au fait, la lieutenante Rousseau de la gendarmerie de Brest vient d’essayer de te joindre. Elle a refusé de me préciser la raison, mais cela semblait urgent.

Le Gac s’inquiète : si Laurence l’a appelé à cette heure, l’affaire doit en effet être grave et personnelle pour qu’elle n’ait pas voulu mettre son adjointe dans la confidence. Il remercie Virginie et ressort du bureau, tapotant sur l’écran de son téléphone portable.

— Il l’a toujours dans ses contacts ? s’étonne Virginie. Vous êtes bizarre, vous les mecs : même une fois séparés, il faut que vous gardiez des liens, des fois que…

Solidarité masculine, le lieutenant Jocelyn Kerandec vient au secours de son supérieur :

— N’oublie pas qu’il y a peu de temps, ils ont dû travailler ensemble sur l’assassinat d’un professeur à Lannilis1, excellente raison pour lui de l’avoir réintégrée dans son annuaire.

Mais, déjà, le capitaine revient dans le bureau d’un pas pressé :

— Pour l’affaire en cours, le proc’ a signé la mise en détention. Virginie, je te laisse organiser le dossier avant de lui transmettre. Et toi, Jocelyn, poursuis tout de même sur les listes d’appels de son second téléphone, il doit encore y avoir des choses à en tirer. Je m’absente un petit moment, un service à rendre à nos collègues de la gendarmerie. À plus !

Et déjà, il est ressorti après avoir attrapé son blouson et ses clefs de voiture. Sans perdre de temps, la brigadière-chef vient récupérer l’épais dossier abandonné sur le bureau, et commence à en trier le contenu.

* * *

— Bonjour, capitaine Le Gac, content de vous revoir !

Le sourire franc du gendarme Jodoin atteste de son plaisir à retrouver l’officier de police judiciaire. Il le conduit dans le bureau où la lieutenante Rousseau parcourt une épaisse liasse de documents administratifs, qu’elle abandonne immédiatement pour embrasser Adrien sur la joue :

— Merci d’être venu aussi vite. J’ai un problème et, même si tu n’es pas directement concerné, je pense que tu me remercieras de t’avoir prévenu…

Le Gac fronce les sourcils, ne parvenant pas à déterminer si cette introduction devait le rassurer ou l’inquiéter encore plus. Laurence farfouille dans le carton réglementaire qui renferme les pièces à conviction et en sort une pochette plastifiée contenant un simple bout de papier. Mais avant de le montrer au capitaine, elle s’explique :

— Je suppose que tu as entendu parler du corps découvert sur cette plage à Morgat.

— Vaguement, une jeune kayakiste, sur la grève de l’Île-Vierge. J’aurai plutôt pensé que la BR2 de Quimper aurait récupéré l’affaire.

Hochement de tête de la lieutenante :

— Ils nous l’ont refilée ! J’ai ouï dire que le major Ricaud de la BTA3 de Crozon était un vieux copain de mon supérieur, ils ont vu là l’occasion de se retrouver pour évoquer les anciens souvenirs, de préférence devant une bonne bouffe… Pour l’affaire donc, en effet, une jeune femme de vingt ans a été découverte ce matin sur une plage quasi inaccessible à pied, à mi-chemin entre Morgat et le cap de la Chèvre. La gendarmerie maritime a mis des moyens à disposition de l’IRCGN4 afin qu’ils puissent se rendre facilement sur les lieux avec leur matériel ; c’est bien plus rapide que par le haut. La victime est venue en kayak, son embarcation se trouvait à proximité du corps. Heureusement, le coefficient de marée est peu élevé en ce moment, sans quoi elle aurait pu être emportée. Dans la boîte à l’avant du bateau…

— Le compartiment étanche, mon lieutenant, s’autorise de préciser Sébastien Jodoin.

— Oui, il faut utiliser les termes corrects. Donc, dans le compartiment étanche du kayak, nous avons découvert diverses affaires appartenant à la demoiselle, son portefeuille avec carte d’identité, permis et un peu d’argent, son smartphone, les clefs de la maison de ses parents, et ceci…

Elle tend la pochette à Adrien : à l’intérieur, un petit rectangle déchiré dans un bout de papier recyclé légèrement jaunâtre, sur lequel est inscrite une suite de dix chiffres commençant par 06. Même si les téléphones modernes nous ont déshabitués à retenir les numéros de tous nos contacts, Le Gac reconnaît immédiatement celui indiqué ici.

— Merde ! Tu l’as appelée ?

Laurence hoche la tête :

— Pas encore. Connaissant tes liens étroits avec cette personne, j’ai préféré te demander ton aide pour cette partie de l’enquête. Si tu le souhaites, mon supérieur joindra ton commissaire pour qu’il t’autorise à m’accorder quelques heures de ton temps précieux. Et comment va Ruby, au fait ?

Sourire gêné :

— Comme une femme à sept mois de grossesse, elle a ralenti le rythme, mais la chambre sera prête pour la naissance. Bon, je l’appelle d’ici ?

La lieutenante Rousseau s’écarte pour laisser Adrien accéder au téléphone.

* * *

Regard étonné à l’obscur numéro s’affichant sur l’écran du portable, Chantelle décroche et perçoit des ondes bien connues :

— Oui, joli capitaine ?

À l’autre bout, Le Gac reste un moment interdit : bien qu’il fréquente épisodiquement cette femme étrange depuis maintenant plusieurs années, ses capacités le surprennent toujours, et parfois même jusqu’à l’agacement. Comment a-t-elle pu deviner l’identité de son interlocuteur, celui-ci ayant utilisé le poste fixe de la gendarmerie brestoise ?

— Si tu sais déjà qui t’appelle, tu dois également en connaître la raison.

Dans la voix de son ami, la sorcerez ressent un mélange d’exaspération et d’inquiétude :

— Je soupçonne que tu as quelque chose à me reprocher, mais, pour te laisser le plaisir de m’expliquer, je jouerai le rôle de l’innocente qui ignore tout. Alors, que me veux-tu, charmant enquêteur ?

Une sensation, Adrien n’est pas seul ! Chantelle complète immédiatement :

— Ou plutôt, que me voulez-vous, charmants investigateurs, car Laurence se trouve avec toi.

Silence prolongé au bout du fil, les officiers se regardent, tentant de comprendre le stratagème utilisé par cette magicienne pour déterminer cela. Puis, Le Gac reprend :

— Même si j’admire tes tours de passe-passe, ce n’est pas le moment d’en abuser. Viens sans tarder à la gendarmerie de Brest, la lieutenante Rousseau souhaite te poser des questions sur une affaire importante.

Court moment de réflexion, un coup d’œil rapide dans le fil d’actualité sur son ordinateur a appris à Chantelle la découverte du corps d’une jeune femme ce matin à Morgat. Toutefois, afin de ne pas agacer encore plus ses correspondants, elle se retient de le mentionner :

— OK, je prends la route, j’arrive dans une petite heure !

Déjà, elle a raccroché.

* * *

Laurence profite de l’attente pour exposer un point rapide au capitaine Le Gac : la victime se nomme Anaïs Le Floc’h, vingt ans, habitant chez ses parents rue Garn-An-Aod à Morgat, étudiante à Brest en licence de droit. L’été, elle tient un emploi saisonnier dans une boutique qui loue des vélos et des kayaks à Morgat. Son patron fait partie des personnes à interroger au plus vite, mais il a d’ores et déjà fourni un solide alibi. Le corps a été découvert ce matin par un plaisancier qui a d’abord remarqué l’embarcation abandonnée sur la plage de l’Île-Vierge. S’inquiétant à juste titre de cette présence, il a sorti ses jumelles pour observer aux alentours et a aperçu le cadavre. Il a alors utilisé son annexe pour venir l’aider, mais il n’y avait plus rien à faire pour elle, sinon écarter les mouettes et protéger la dépouille d’une bâche afin d’éviter qu’elles ne reviennent. Puis il a prévenu la gendarmerie maritime.

— Excellent réflexe. Quelqu’un de la maison ?

— Non, un gars qui réfléchit avec sa tête et pas avec son smartphone. Heureusement, cela existe encore, des témoins qui préfèrent agir judicieusement plutôt que de réaliser des vidéos et les publier sur Facebook avant de contacter les secours. Tu connais l’Île-Vierge à Morgat ?

— Oui, une presqu’île sur la presqu’île, la pointe de Saint-Hernot, très joli coin, mais pas l’idéal pour aller bronzer en famille, car bien trop difficile d’accès à pied…

— Exactement ! Comme je te l’ai déjà dit, la gendarmerie maritime a mis des zodiacs à disposition de l’IRCGN, méthode bien plus rapide que de descendre par la falaise, et surtout moins casse-gueule. Le corps a été transporté à la Cavale Blanche, autopsie prévue pour demain matin, mais la mort semble évidemment due à ce poignard planté au milieu de l’abdomen.

Du doigt, elle désigne l’endroit où la lame a pénétré, provoquant une grimace sur le visage du capitaine :

— Aïe ! Je suppose que le foie a été touché, la pauvre a dû déguster. Et bien sûr, aucune empreinte…

— Erreur, cher collègue, empreintes il y a, et même trop : deux jeux différents, mais elles ne sont que partielles, et ne pourront que permettre de disculper ; il n’y aura jamais assez de points de concordance pour pouvoir les faire accepter comme preuve irréfutable.

Saisissant un stylo comme un pic à glace, l’objet serré dans son poing fermé, elle indique :

— Pour la première série, l’arme était tenue de la sorte.

Le Gac lève un sourcil :

— Étant donné l’endroit où la lame est entrée, cela ne correspond pas, à moins que la victime ne fût allongée sur le dos lorsque le meurtrier l’a plantée.

La lieutenante opine puis retourne le stylo, pointe vers l’avant, brandi comme une épée, le pouce sur le dessus :

— Exact, capitaine ! Second groupe d’empreintes, le poignard est manipulé ainsi, ce qui colle plus avec l’angle de pénétration si elle se tenait debout. J’espère que l’autopsie et nos techniciens pourront déterminer cela.

Adrien soupire :

— Moi, j’espère surtout qu’aucune des empreintes partielles ne présente assez de points de concordance avec celles de Chantelle. Mais, sans vouloir jouer au devin à sa place, cela m’étonnerait que tu parviennes à obtenir qu’elle salisse ses jolis doigts avec ton encre. On parie ?

En réponse, Laurence tire la langue à son ex-compagnon avant de poursuivre par un inventaire des objets découverts sur les lieux. Dans le compartiment étanche situé devant le trou d’homme de l’embarcation, clefs, papiers, téléphone portable, paquet de mouchoirs ainsi qu’une mini-trousse de premiers secours, avec l’essentiel pour soigner les petits bobos. Un bidon supplémentaire est fixé à l’arrière du kayak, vide, malgré sa taille imposante :

— Les techniciens tentent de déterminer ce qu’il contenait, car il serait étonnant qu’elle se soit amusée à transporter ce gros truc pour rien.

Froncement des sourcils :

— Avez-vous pu établir son heure d’arrivée ?

— Aux environs de 22 heures 30. Elle a prévenu ses parents qu’elle sortait faire un tour, sans préciser sa destination. En période estivale, Morgat propose un grand nombre d’animations en soirée, ils ont donc cru qu’elle se rendait au Café du Port pour voir un groupe de musiciens et ne se sont pas inquiétés. Pourquoi cette question ?

— Que pouvait-elle venir foutre à cette heure sur cette plage déserte avec ce gros bidon ? Pour apporter quelque chose, ou prendre livraison d’une cargaison, le genre de produit qui ne s’échange pas aux yeux de tout le monde ?

— Tu penses à de la drogue, une histoire d’embrouille entre dealers ? Étant donné la taille du récipient, il devait s’agir d’une sacrée quantité !

Adrien secoue la tête en signe de dénégation :

— Sacrée quantité implique sacré prix, et je n’imagine pas qu’un revendeur coure le risque de trimbaler sa camelote par un moyen de transport aussi hasardeux ; naviguer de nuit en kayak sur la mer représente un exercice plus que périlleux.

— Peut-être est-ce la raison de la fâcherie, propose la lieutenante. Elle a mal fermé le bidon, la dope a pris l’eau et celui qui devait la recevoir s’énerve et la plante !

Le Gac sourit :

— Morgat, nouvelle plaque tournante de la drogue ! Après la Corse, la cité phocéenne va nous jalouser !

— Pourquoi la Corse ? s’étonne Laurence.

— Il paraît qu’un magazine a sorti un numéro spécial sur l’île de Beauté, plaçant en couverture une magnifique photo de la grève où le corps a été trouvé… Non, ma supposition est venue trop rapidement, oublie-la. D’ailleurs, les trafiquants savent protéger leur marchandise. Une aussi grosse quantité sera particulièrement bien emballée, afin d’éviter que les chiens renifleurs des brigades cynophiles ne la localisent.

Laurence acquiesce :

— S’il y a la moindre trace de stupéfiant à l’intérieur, nos techniciens la détecteront immédiatement, mais je t’avoue que j’ai du mal à croire que la victime entretenait un quelconque rapport avec ce milieu.

— Un petit ami ?

Hochement de tête affirmatif de la lieutenante :

— Nous amorçons à peine notre enquête, mais nous allons bien sûr nous orienter là-dessus. Il serait étonnant de ne pas découvrir une tripotée d’amoureux courant derrière une jolie jeune fille comme elle.

Courte réflexion d’Adrien :

— J’imagine que, pour ses études, elle disposait d’un point de chute à Brest, afin de ne pas se taper la route tous les jours. Voiture, permis de conduire ?

La lieutenante Rousseau sourit et tente de freiner les ardeurs fureteuses de son collègue de la police judiciaire :

— Du calme, capitaine Le Gac, cette affaire n’est pas de votre ressort, l’enquête m’a été attribuée ! Permis, oui, voiture, non, un scooter pour se déplacer sur la presqu’île, les transports en commun à Brest, elle possédait une carte d’abonnement, et occupait une colocation à quelques minutes des facultés. Nous avons bien sûr joint les trois locataires, un seul demeure présent à Brest, les autres sont rentrés chez eux, dans des provinces éloignées. Alors, la BR de la gendarmerie brestoise mérite-telle une bonne note ?

À regret, Adrien se retient de poser des questions supplémentaires : son intervention dans cette affaire ne sera que de courte durée. Étonné que son ex-compagne soit passée par son intermédiaire plutôt que de convoquer directement la propriétaire du numéro inscrit sur le bout de papier, il l’interroge à ce sujet. Réponse hésitante :

— Je profitais de l’occasion pour prendre de vos nouvelles, de toi et surtout de la future maman.

Le capitaine évite de sourire devant la pauvreté de l’argumentation : Laurence aurait aussi bien pu l’appeler, ou s’enquérir auprès de Chantelle, qui surveille attentivement l’évolution de la grossesse de Ruby. Le sursaut de son ex-compagne lorsque Sébastien toque à la porte confirme son impression : même si elle nie toujours croire aux pouvoirs de la sorcerez, la lieutenante éprouve une certaine crainte à l’affronter.

— Madame Marzin demande à vous rencontrer, annonce le gendarme.

S’abstenant de reprendre son subordonné pour lui indiquer que cette personne a été convoquée dans le cadre de l’enquête, Laurence lui précise de la faire entrer.

* * *

Long dérapage contrôlé, le frottement du pneu arrière sur la terre du chemin soulève un épais nuage de poussière ! Ayant aperçu le bleu ciel des chemises des deux gendarmes au croisement, le cycliste lancé à vive allure a brusquement écrasé les poignées de frein, jusqu’à bloquer les roues de son vélocross. Il observe à distance les militaires qui s’interposent lorsqu’une troupe de randonneurs parcourant le GR34 veut emprunter la piste qui conduit à la pointe Saint-Hernot. Échanges de signes, le meneur du groupe pointe la voie pardessus l’épaule de l’un des hommes en uniforme qui, restant dressé au milieu du passage, indique du pouce la direction derrière lui, puis son index fait non avant de venir tourner autour du cadran de sa montre plusieurs fois, « l’accès est interdit pour plusieurs heures ». Le requérant insiste, remontrant la destination convoitée, la main en visière pendant que l’autre balaye l’horizon, « on veut juste regarder », puis les deux poignets se rejoignent dans le dos, « on ne touchera à rien », et une paire de doigts se lève, « juste deux minutes ». Mais rien à faire, le second gendarme désigne à son tour l’espace derrière lui, puis fait mine de rechercher son trousseau de clefs ou une lentille de contact tombée en bordure de sentier : des équipes investiguent toujours sur place, en quête d’indices ! Déçue, la bande de promeneurs rebrousse chemin, poursuivant son périple en direction du Kador.

Le cycliste enfourche son vélo : par ici non plus, il ne pourra pas aller voir. Tôt, ce matin, il a assisté au manège, ces véhicules bleu sombre qui ont traversé Crozon et Morgat avec gyrophares allumés et sirènes hurlantes. Dans le port, plusieurs personnes ont embarqué avec des caisses de matériel sur un zodiac qui a appareillé, direction le cap de la Chèvre. Et, depuis, impossible d’approcher de la plage, d’autres gendarmes montent la garde. Même les vedettes qui proposent la visite des grottes marines ont reçu l’interdiction de s’approcher de l’anse de l’Île-Vierge.

Le vélocross repart juste avant que le groupe de randonneurs n’arrive à son niveau, provoquant moult grognements dans la troupe, les deux-roues n’étant pas autorisés sur le GR34.

* * *

La femme qui pénètre dans la pièce ne semble pas être venue pour un interrogatoire, mais plutôt pour rencontrer de vieux amis qu’elle est heureuse de revoir. Après avoir embrassé Adrien chaudement, elle contourne le bureau pour enlacer Laurence, sous le regard étonné du gendarme Jodoin :

— Alors, ma chérie, il paraît que tu as des choses graves à me demander ? Mais cela fait bien longtemps que je n’ai pas mis les pieds sur la presqu’île.

Adrien se dévoue pour fournir les explications, alors que Chantelle vient s’asseoir sur la chaise dévolue aux témoins :

— Comme tu l’as deviné, il s’agit bien de ce corps retrouvé ce matin sur une plage, à côté de Morgat, une jeune femme d’à peine vingt ans. Il se trouve que, dans ses affaires, nous avons découvert ton numéro inscrit sur un bout de papier…

Observant le visage de la sorcerez, les enquêteurs ne remarquent aucune crispation particulière à l’annonce de cette information.

— Jolie ?

D’étonnement, les sourcils de la lieutenante Rousseau se soulèvent : si un témoin lambda avait osé poser une telle question, il se serait immédiatement fait vertement tancer. Mais là, elle ne sait comment réagir, sinon en répondant sans hésiter :

— Plutôt, du moins sur les photos que nous a fournies la famille, car le faciès du cadavre…

— Oui, bien sûr. Comment a-t-elle été tuée ?

Constatant l’exaspération qui gagne Laurence devant l’exubérante curiosité de cette personne censée être venue pour satisfaire celles des investigateurs, Le Gac désigne l’endroit sur son propre torse :

— Un poignard, planté ici.

Grimace de la sorcière :

— Le foie… Il reste à espérer qu’elle n’ait pas trop souffert : inutile que je vous décrive les douleurs que peuvent produire les humeurs acides sécrétées par cet organe en se répandant dans le corps de la victime, vous devez en entendre parler trop souvent. Si elle était jolie, il ne s’agit pas de la première idée qui m’est venue, à moins que…

N’y tenant plus, la lieutenante hausse le ton :

— Elle se nommait Anaïs Le Floc’h. La connaissais-tu, ou t’a-t-elle contactée ces derniers jours ?

Chantelle hoche la tête, visiblement toujours à sa réflexion :

— Non, et non, jamais entendu ce patronyme, et elle ne m’a pas appelée. Je suppose que vous avez déjà vérifié dans ses relevés téléphoniques.

— Elle vivait chez ses parents, précise Adrien, donc, elle a pu utiliser leur poste fixe pour te joindre.

— Acceptes-tu de me montrer ce bout de papier sur lequel est inscrit mon numéro ?

Se souvenant des pratiques effectuées par les sorcerezed sur des courriers au cours de sa précédente enquête, Laurence intervient :

— Hors de question de le sortir de la pochette, ou d’exécuter un quelconque tour de prestidigitation avec, le laboratoire n’a pas encore pu l’analyser, il peut comporter des empreintes ou des traces ADN.

Après avoir retiré ses verres fumés, Chantelle se met les mains dans le dos, adressant un clin d’œil lumineux à Adrien :

— Si tu veux réaliser ton fantasme et me passer les menottes, joli capitaine, profites-en. Ainsi, la charmante lieutenante sera assurée que je ne poserai pas mes doigts ensorcelants sur cet indice capital.

Se penchant, elle examine le rectangle de papier à travers le plastique transparent du sachet que tient fermement Laurence devant elle, ses yeux s’irisant d’étranges lueurs. Enfin, elle se redresse, toujours souriante, et remet ses lunettes sombres :

— Je me doutais de qui pouvait lui avoir donné ce numéro. Par contre, la raison profonde demeure incertaine, quoique je dispose là aussi d’une explication…

Consultant sa montre, Chantelle grimace avant de reprendre :

— Ce soir, ce sera trop juste pour effectuer l’aller-retour : j’ai promis à Ruby que je profiterai de mon passage à Brest pour venir la voir, et il ne faut pas contrarier une femme enceinte. Mais si tu veux, demain matin, nous irons ensemble rencontrer la personne qui saura te répondre. Non seulement elle me mettra hors de cause, mais, en plus, elle te fournira de précieux renseignements sur ta victime. Pour l’heure, je suppose que tu as déjà suffisamment à faire avec la foultitude de données que tu as récupérées depuis le début de la journée, donc rien ne presse.

Sans même attendre l’autorisation, la sorcerez attrape sa besace et quitte le bureau sous le regard éberlué de Laurence qui s’en prend à Adrien, au bord de la crise de fou rire :

— Mais, mais… elle s’en va !

— Tu es perspicace ! Je ne peux que confirmer ta judicieuse observation.

Retrouvant un peu son sérieux, le capitaine complète avant que la lieutenante ne lui bondisse dessus, toutes griffes dehors :

— Ne t’inquiète pas, elle ne s’échappera pas, je garderai un œil sur elle toute la soirée, et je peux même l’enfermer dans ma chambre d’amis où elle a probablement prévu de passer la nuit si tu le désires. Veux-tu venir partager notre repas ? Ruby sera heureuse de te voir, et tu mêleras l’agréable à l’utile en surveillant cette suspecte numéro un. Mais, tu connais son pouvoir hypnotique et ses goûts hétéroclites, ne t’étonne donc pas de te réveiller collée à elle dans cette chambre où tu seras également la bienvenue.

Laurence maugrée, plus gênée qu’irritée :

— Bon, je te fais confiance et te tiendrai pour principal responsable si jamais elle nous échappe ! Maintenant, nous avons plein de choses à faire, retourne à ton commissariat, et à la prochaine !

1 Voir Lettres mortes à Lannilis, même auteur, même collection.

2 Brigade de recherches.

3 Brigade territoriale autonome.

4 Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale.

II

Vendredi 12 août

Dans la voiture, Laurence ne parvient pas à se retenir de maugréer :

— Et pourquoi faut-il que je sois habillée en civil ? C’est totalement hors procédure, comme cette audition qui ne se déroule pas à la gendarmerie ! Comment vais-je l’expliquer à mon supérieur ?

Heureusement, la mauvaise humeur de la lieutenante n’est pas contagieuse. Souriante, Chantelle répond une nouvelle fois :

— Tout comme moi, Morrigane n’est pas fan des tenues réglementaires, elles la pousseraient plutôt à fuir et se réfugier au fond des bois.

— Pourquoi donc, se reprocherait-elle quelque chose ?

— Sur le plan moral, rien du tout. Mais certains apprécieraient de la voir enfermée pour exercice illégal de la médecine… Elle est « tan », le feu.

— Oui, et toi tu es la terre et Ruby l’air… Que signifie « être feu » pour une sorcière ?

Inutile d’être doté de dons de prescience pour discerner l’incrédulité dans la remarque de l’enquêtrice, mais Chantelle ne s’en formalise pas :

— On appelle également cela une magnétiseuse, moyen rapide et efficace pour soigner beaucoup de petits bobos, et se débarrasser de quelques mauvaises habitudes.

Laurence affiche une moue circonspecte :

— Les magnétiseuses sont toutes des sorcières ? J’ai entendu parler d’hommes prétendant aussi maîtriser cette pratique.

— Être sorcière n’est en rien obligatoire pour détenir des dons, en particulier celui-ci. Mais il y a de fortes probabilités que tes magnétiseurs possèdent dans leurs proches ancêtres une sorcerez. Tu tourneras à la prochaine à gauche.

— Si tu m’avais filé l’adresse, le GPS nous aurait indiqué la route. Ces engins se révèlent de très efficaces copilotes maintenant, se moque la lieutenante en suivant toutefois la consigne de sa passagère qui ne se dépare pas de sa bonne humeur :

— OK, alors tu testeras en stipulant à ton bidule électronique : à Dinéault, la maison paumée dans les bois, un peu à l’écart du Yed, et on verra ce qu’il te répondra. Désolée, mais je n’ai pas souhaité déranger R2 pour qu’il nous calcule les coordonnées GPS de notre destination. Plutôt que de râler, profite du paysage et dis-toi que tu es bien mieux ici qu’à assister à l’autopsie de cette pauvre fille.

Laurence grimace à cette pensée :

— Mouais, je m’en veux de m’être défaussée de cette corvée sur un subalterne, mais autant profiter des avantages du grade tant que cela ne perturbe pas le cours de l’enquête. C’est quoi, le « Yed » dont tu parlais, encore un mot breton ?

— Celte, ma chérie ! Yed signifie « le guet ». Visiblement, tu ne t’es pas renseignée sur l’histoire du Ménez Hom, dont nous approchons.

— Quelle utilité ? Cela ne me donnera pas le coupable de ce meurtre.

— Qui sait, réplique Chantelle d’un ton ironique avant de se lancer dans un cours d’histoire-géographie bretonne. Le Ménez Hom est composé de deux sommets, le Yelc’h, surnom du petit Ménez, et le Yed, le plus élevé. De là-haut, vue imprenable sur la rade de Brest et la baie de Douarnenez, et bien sûr sur une bonne partie de la presqu’île ! Qui sait si un guetteur n’aurait pas pu apercevoir le meurtrier… À l’occasion, sacrifie quelques minutes de ton précieux temps pour y grimper.

— Quelle altitude ?

— Trois cent trente mètres environ, inutile de t’équiper d’un masque à oxygène ni de grappin. Pour en finir avec mon explication, une vigie montait la garde au sommet du Yed, surveillant la baie et l’île d’Ouessant. À cette époque, les envahisseurs venaient de la mer, les Vikings, que l’on appelait encore des Normands, les pirates, les Anglais, les ennemis étaient nombreux. Dès qu’une flottille belliqueuse était repérée, les sentinelles d’Ouessant allumaient un feu suffisamment grand pour être perceptible par le guetteur du Yed. À son tour, il en allumait un, visible de tous les environs et des crêtes suivantes, où des factionnaires relayaient le signal, et cela jusqu’aux monts d’Arrée. Ce serait l’origine du nom Karreg an Tan, la roche de feu, donné à un autre sommet des montagnes noires, au sud de Gouézec. Ralentis et prends le prochain chemin à droite, nous sommes arrivées !

* * *

Laurence est immédiatement stupéfiée par la femme qui se tient adossée au chambranle de la porte, grande et fine, vêtue d’une longue robe sombre et légère. Celle-ci ne paraît pas surprise lorsque Chantelle sort de la voiture banalisée. Au moment où les deux sorcerezed échangent un rapide baiser sur les lèvres, l’enquêtrice est persuadée de voir une gracile étincelle apparaître entre elles.

— Qui m’amènes-tu là ? Charmante femme… Ta nouvelle compagne ? Je te croyais pourtant en couple avec un écrivain.

— Ne joue pas à l’innocente, tu sais exactement qui est cette dame et la raison de notre venue ! Laurence, je te présente Morrigane, apte à te fournir toutes les explications que tu souhaites obtenir sur ce numéro de téléphone.

La lieutenante s’apprête à tendre la main à la femme brune, mais son mouvement est immédiatement interrompu par Chantelle :

— Ma chérie, je te le déconseille, à moins que tu ne souhaites éprouver le grand frisson ?

— Le grand frisson ? Qu’est-ce que c’est que ce truc, encore ?

En réponse, la grande femme s’approche et, sans lui laisser le temps de reculer, enserre les hanches de Laurence dans ses mains. Après une légère décharge, elle sent une douce sensation lui parcourir tout le corps, générant en elle un frémissement de plaisir.

— Une démonstration s’avère toujours plus efficace, explique Morrigane en s’écartant. Entrons, il fera plus frais à l’intérieur.

Pantelante, l’enquêtrice met un moment à suivre les deux femmes dans la sombre demeure de pierre. Ici règne une agréable température, surtout après cette heure de route dans une voiture sans climatisation sous un soleil généreux en cette première quinzaine d’août. La lieutenante remarque d’abord le petit bureau bonheur-du-jour sur lequel s’entasse un fatras mystique – cartes, tiges métalliques, collection de cailloux colorés – devant un magnifique fauteuil à haut dossier, sans aucun doute utilisé par la sorcière pour recevoir sa clientèle. Et, sur le côté, une banquette : sa table d’opération ? Un rideau de perles sépare la pièce en deux. Derrière, les femmes ont déjà pris place sur un petit canapé. Chantelle tapote l’espace libre entre elles :

— Viens, ma chérie ! N’aie pas peur.

S’installant, Laurence se voit d’office coller un verre dans les mains :

— Non merci, je n’ai pas…

Le regard flamboyant de Morrigane la coupe :

— Tu n’as pas à t’inquiéter, ce n’est qu’une boisson fraîche qui te fera le plus grand bien : en te touchant, j’ai ressenti tous tes maux, cette route t’a fatiguée, tu es pétrie d’appréhension depuis ce matin quant à notre rencontre. Même si tu accordes maintenant ta confiance à Chantelle, tu crains toujours de découvrir de nouveaux mystères que tu ne parviendrais pas à élucider. Bois et laisse-toi aller, je vais tout t’expliquer.

Le ton suave, posé et sans aucune agressivité entrait en opposition avec ces yeux au fond desquels couvait un feu impressionnant. Avec hésitation, la lieutenante avale une petite gorgée de ce liquide aux reflets rougeâtres. De nouveau, une douce excitation lui parcourt le corps à mesure que son stress l’abandonne. Détendue, elle s’adosse maintenant au fond du sofa.

— Parfait ! reprend son hôte. Je ne me trompe pas en supposant que Chantelle t’a amenée ici afin que je te parle de la belle Anaïs, cette délicieuse jeune fille qui me rendait visite de temps en temps ?

Le rappel de l’affaire en cours sort l’enquêtrice de la douce torpeur dans laquelle les traitements de la magnétiseuse l’avaient plongée :

— Tu la connaissais ? C’était une…

Morrigane sourit, comprenant l’allusion retenue par Laurence :

— Non, elle n’était pas l’une de mes maîtresses, même si j’avoue que j’aurais apprécié. Elle venait régulièrement me voir afin que je la débarrasse de maux minimes, ces petits riens qui empoisonnent la vie et que mes mains savent faire disparaître, ceci depuis qu’elle est toute jeune : sa maman est également une bonne cliente, même si elle insiste toujours pour que je n’en dise rien à personne, et surtout pas à son mari.

— Et, la dernière fois ?

— Cela date d’il y a quelques jours, pendant le festival.

— Celui du Bout du Monde ?

— Oui, Anaïs y était bénévole depuis plusieurs années. En allant se coucher sous sa tente, tard dans la nuit, elle a buté sur une sardine mal enfoncée et s’est tordu la cheville. Le lendemain, elle pouvait à peine marcher, alors elle est venue me voir en urgence pour que je la soulage.

Avant même que Laurence ne formule sa question suivante, Chantelle répond :

— Oui, cela a parfaitement fonctionné. Morrigane accomplit des miracles, et elle est également capable de ressouder certains os fracturés. Je présume que le rapport d’autopsie stipulera cette luxation au niveau de la cheville, mais qu’elle semble dater de plusieurs mois.

— Il s’agissait d’une simple foulure, complète Morrigane. Légère, mais handicapante lorsque l’on doit aller et venir au long du terrain comme font beaucoup de bénévoles. L’articulation avait doublé de volume, je n’ai eu besoin que de quelques minutes pour faire disparaître le problème.

— Et pour le numéro de Chantelle ?

La magnétiseuse hésite avant de répondre, gênée de dévoiler ainsi ces choses intimes qu’une patiente lui a transmises en toute confiance :

— Pendant que je la soignais, Anaïs me parlait de l’ambiance au festival et entre bénévoles : c’était une très jolie fille, l’une des plus jolies que l’on pouvait trouver dans l’équipe et, de ce fait, beaucoup de garçons lui proposaient de venir lui tenir chaud la nuit. En plaisantant, elle me demandait si je ne disposais pas d’un répulsif, un produit capable d’éloigner ces énormes moustiques au dard dressé qui tournaient autour de sa tente.

Regard effaré de la lieutenante :

— C’est donc à ce point ? Les filles sont harcelées par les garçons dans ce genre de fête ?

— Non, elle se moquait, grossissait la chose exprès, mais beaucoup tentent leur chance dans la journée, drague légère ou bien lourde. Seuls les petits nouveaux s’y risquaient, les autres la connaissaient. Elle savait se défendre et riposter, plus d’un est reparti honteux, la queue entre les jambes, pour employer le terme exact. La plaisanterie terminée, je l’ai sentie redevenir sérieuse, elle m’a parlé de son amie de toujours qui aurait besoin d’un produit aux effets opposés.

Laurence réfléchit quelques instants avant de comprendre :

— Elle ne rencontrait aucun succès auprès des garçons, c’est bien cela ?

Sourire pincé de Morrigane :

— Oui, physique pas facile, manque d’allant pour s’habiller, se maquiller, masquer ses défauts et mettre ses points forts en valeur, malgré les conseils d’Anaïs. La solitude sentimentale de son amie la peinait, et elle me demandait si je ne saurais concocter un philtre d’amour à mettre à sa disposition, qu’elle aurait discrètement versé dans le verre d’un garçon afin qu’il s’éprenne de cette malheureuse.

— Plaisanterie ?

Hochement de tête :

— Bien sûr, elle n’y croyait pas, ce genre de potion n’existe que dans les contes de fées, mais elle ne plaisantait qu’à moitié, je ressentais bien sa douleur de voir sa copine sans prétendant. Alors, j’ai pensé à Chantelle, la seule bazvalan capable de trouver un cavalier à cette demoiselle.

Même si elle a entendu parler du don de la sorcerez à former des couples solides, Laurence effectue un signe de tête en sa direction afin qu’elle complète :

— Sur mon berceau, plusieurs dieux celtes se sont penchés, dont celui de l’amour : je ne sais pas comment, mais, voyant deux tourtereaux, je peux déterminer si leur couple est uni, et s’il tiendra bon an mal an, avec des rafistolages et des concessions, ou s’il vaut mieux qu’ils se séparent sans tarder pour aller chercher ailleurs. Si l’âme sœur de ce cœur solitaire existe dans les environs, je le trouverai !