Peur bleue à Portsall - Jean-Michel Arnaud - E-Book

Peur bleue à Portsall E-Book

Jean-Michel Arnaud

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Beschreibung

Un individu s'ingénie à provoquer de grosses frayeurs à un agent immobilier... Chantelle et son compagnon Michel sont invités à percer le mystère...

Qui en veut à François-Xavier, propriétaire de l’agence immobilière Abgrall Habitat, située en plein cœur de Ploudalmézeau ? Un individu malintentionné s’amuse à lui jouer des tours pendables. Dans quel but s’ingénie-t-il à provoquer de grosses frayeurs au vendeur de maisons ? Afin de démêler les sombres trames de cette sordide histoire, pour mieux approcher l’homme, la sorcerez Chantelle et son compagnon Michel vont tenir le rôle d’acquéreurs potentiels. Mais attention, car l’Ankou traîne dans Portsall, et lui n’est pas à la recherche d’une bonne affaire foncière. Ne serait-ce pas lui qui sillonne la région au volant d’un mystérieux camping-car ?

Plongez dans la onzième enquête de Chantelle, une affaire encore plus palpitante et surprenante !


À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Michel Arnaud est né en 1966 en région parisienne, où il a vécu vingt-huit ans avant de s’installer à Brest. Outre son activité professionnelle d’ingénieur en informatique, il est bassiste dans le groupe My Bones Cooking, qui « joue du rock, mais pas que ». Depuis 2013, il écrit dans la collection Enquêtes & Suspense des romans policiers se déroulant majoritairement dans le nord-ouest du Finistère. Il est également membre du collectif d’auteurs “L’Assassin habite dans le 29”.

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Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

Le temps de ces remerciements, je démasque celles et ceux qui m’ont relu et orienté dans mes investigations.

Ainsi Élyse, ma femme, qui me soutient et m’a supporté pendant toute la durée de cette conception. C’est elle ma première relectrice !

Impossible pour lui de cacher sa barbe foisonnante dans son masque : Guillaume, fidèle relecteur, présent depuis mon deuxième roman, et toujours aussi efficace.

Et enfin Matthieu, tout aussi fidèle, avec juste un roman de retard sur le précédent, mais non moins efficace (et parfois même presque trop…).

Pour l’aide apportée dans mes recherches sur Portsall et sa région, je remercie les membres des groupes Facebook « Portsall-Ploudalmézeau-Côte des Légendes » et « Tu es de Ploudalmézeau si… » qui n’ont pas été avares d’idées et de conseils.

Sans oublier cette agente immobilière qui m’a inspiré la scène de la première visite, presque entièrement véridique…

PROLOGUE

Jeudi 11 février, 18 h 30, route D 127, Landunvez

La nuit se lève lorsque l’imposante berline noire s’engouffre sur la route touristique de Landunvez. Le mauvais temps prive le conducteur du spectacle de l’embrasement de l’horizon, mais cela ne le dérange pas. En revanche, il regrette maintenant de s’être décidé aussi tard : sur cette voie non éclairée, il aura du mal à repérer la demeure dans la pénombre qui s’épaissit rapidement. Mais l’explication reçue pour la trouver est simple : « Départementale 127 depuis Trémazan, première maison isolée sur la gauche, environ 500 mètres après la sortie du lieu-dit. » Là ! L’homme grimace en voyant le chemin qui mène à sa destination. Il s’engage à vitesse réduite dans l’allée tortueuse, maugréant à chaque nid-de-poule, craignant pour les bas de caisse de son véhicule. Après contournement du bosquet qui masque la bâtisse, ne laissant visible que le toit depuis la route en contrebas, les puissants phares éclairent enfin la façade. Le sourire revient immédiatement sur le visage de l’agent immobilier. Voilà qui promet une belle affaire ! Avant de sortir de son véhicule, il relit les instructions : « L’électricité est coupée. Entrez et dirigez-vous en ligne droite dans le cagibi situé sous l’escalier pour enclencher le disjoncteur », ceci accompagné d’un petit plan tracé à la main, avec la porte et la position du disjoncteur. L’homme extrait une lampe torche du vide-poches et tente de l’allumer, sans succès. Et bien sûr, pas de pile de rechange… Il hésite, ne vaudrait-il pas mieux attendre qu’il fasse jour ? Non ! Son agenda du lendemain est très chargé, et le voilà maintenant impatient de découvrir l’intérieur de cette baraque ! Alors il prend son téléphone pour s’éclairer. Comme il n’a jamais compris comment actionner la lampe que les appareils modernes comportent, il se contentera de la pâle lueur de l’écran. Il sort la clef de la pochette plastique renforcée qui l’abrite et l’introduit dans la serrure. Elle tourne sans difficulté, un bon point supplémentaire à faire remarquer aux acheteurs potentiels durant les visites… Avec prudence, il avance dans la pièce sombre : en ligne droite, disent les instructions. Il tente désespérément de voir quelque chose devant lui, son smartphone à bout de bras. Soudain, dans son dos, le ciel couvert est zébré d’un éclair qui illumine un court instant la salle. Surpris, il sursaute avant de compter : trois, quatre, cinq… Braoum ! Le tonnerre rugit. Cinq secondes. L’orage se situe donc à… Merde ! Malgré les explications répétées de sa mère, il n’est jamais parvenu à retenir la règle. Doit-on multiplier ou diviser, et par combien ? Un nouveau pas en avant, l’écran du téléphone s’éteint. Il cherche le bouton pour le rallumer, manquant faire tomber l’appareil tant sa fébrilité s’intensifie. Allez ! Encore un pas. Le pied décolle à peine du sol, de peur d’une marche non indiquée dans le plan. Il prend confiance et enchaîne trop rapidement l’enjambée suivante, tapant dans quelque chose de lourd qu’il entend rouler sur le carrelage. Merde ! Si en plus ils se sont amusés à mettre des pièges pour qu’il se casse la gueule… Mais l’idée du pourcentage qu’il touchera sur la vente de cette maison le calme immédiatement. Retrouvant un train de sénateur, il avance un peu plus, prenant garde à ne pas heurter encore cette chose. Un autre éclair déclenche un nouveau comptage des secondes. Il ne peut pas s’en empêcher, malgré l’inutilité de la manœuvre. Ce coup-ci il s’est arrêté à quatre. S’il ne se souvient pas de la règle, il sait tout de même la signification : l’orage se rapproche ! Encore une fois, il se stimule mentalement. Allez ! Bien que de belle taille, cette maison ne mesure pas des kilomètres. Plus que quelques pas et il pourra… Mais soudain, la pièce s’éclaire, l’éblouissant au point qu’il doit se masquer les yeux de la main quelques secondes. La première chose qu’il voit quand il la retire, c’est ce dans quoi il a shooté involontairement tout à l’heure : une tête aux orbites sanglantes, salement découpée du tronc. Et autour de lui, plusieurs corps sont suspendus, accrochés aux poutres apparentes de vieux bois par des chaînes rouillées, des crocs de boucher traversant les torses de part en part. La respiration bloquée, l’agent immobilier manque de tomber en faisant demi-tour. Lorsqu’il sort en courant de la maison, un éclair l’accueille, immédiatement suivi du tonnerre qui ne parviendra pas à couvrir le hurlement de terreur que pousse l’homme en s’enfuyant.

I

Lundi 22 février, dans l’après-midi, maison de Juzeg Ar Vic’hen et Kénan Saluden, Anter Hent, Ploudalmézeau

— Il a eu tellement peur qu’il en a mouillé son pantalon. FX a fait pipi culotte.

— FX ? s’étonne Chantelle.

— Oui, ce monsieur se nomme François-Xavier Abgrall, FX pour ses amis, explique Juzeg, qui ajoute d’une allure pincée : amis dont je ne fais pas partie, ce qui ne me dérange pas du tout ! Mais le plus drôle reste à venir, ma chérie… Ah ! Kénan arrive pour son goûter, je vais remettre du bois dans le feu.

La porte s’ouvre et le mari du sorcer de Ploudalmézeau entre. Voyant Chantelle, son sourire s’élargit, mais il se fait immédiatement réprimander quand il fait mine d’approcher.

— D’abord, tu te brosses, sinon tu vas me coller de la sciure partout !

— J’ai une technique plus rapide, répond l’ébéniste en retirant sa cotte à bretelles et son tee-shirt.

Il se retrouve en caleçon et chaussettes devant la sorcerez qui éclate de rire, admirant ce corps naturellement musclé par le travail. L’homme enfile le peignoir que son compagnon lui apporte avant de serrer la visiteuse dans ses bras en l’embrassant :

— Cela fait bien longtemps que l’on ne t’a pas vue ici. J’espère que tu ne viens pas nous annoncer une mauvaise nouvelle…

Chantelle sourit en hochant la tête.

— Tu n’as pas changé ! Toujours à envisager le pire en premier. Je suis juste passée pour m’assurer que tout va bien pour vous deux. Juzeg me racontait l’aventure arrivée à cet agent immobilier…

Kénan affiche un air moqueur :

— Ah ! Le sieur Abgrall qui, espérant faire une bonne affaire, s’est retrouvé à courir comme un dératé au milieu de la départementale en hurlant… et tout cela pour quoi ?

La théière fumante à la main, Juzeg l’interrompt :

— Stop ! Ne va pas me spoiler mon histoire, je n’ai pas fini…

Il prend le temps de servir tout le monde avant de poursuivre :

— J’en étais à l’arrivée de la cavalerie, avec sirènes et gyrophares. Si la météo l’avait permis, Brest aurait envoyé des renforts par hélicoptère. Mais ces gros ventilateurs ne font pas bon ménage avec les orages. Encerclement de la maison, projecteurs. Deux hommes surarmés et engoncés dans leurs gilets pare-balles sont entrés… et sont ressortis trente secondes plus tard. Les cadavres éventrés pendus au plafond, le crâne sur le sol, tout ça, c’était du plastique, du bidon, une mise en scène sophistiquée pour faire une méchante blague à ce méchant bonhomme !

— Le plaisantin qui a imaginé ce coup a beaucoup d’humour, ajoute Kénan avec un sourire mauvais sur les lèvres. Des effets spéciaux pour FX ! Si tu n’as pas saisi, pour les anglophones, FX désigne les effets spéciaux cinématographiques, special effects !

Chantelle pouffe en entendant l’explication.

— Une méchante blague pour FX effectivement. Quelqu’un doit beaucoup lui en vouloir pour monter une telle machinerie. D’après ce que tu m’as raconté, la mise en place ne s’est pas effectuée en quelques heures.

Les yeux étranges de la sorcerez se posent sur Juzeg, puis sur son compagnon.

— Ne serais-tu pas en train de nous soupçonner d’avoir fomenté cet acte répréhensible ? lui demande son collègue de Ploudalmézeau, sans animosité. Tu as bien deviné, nous n’aimons pas cet homme ! Cet homophobe nous crache verbalement dessus dès qu’il peut. D’après lui, nous sommes une erreur de la nature et ne devrions pas exister, notre place se situe en maison de soins pour nous ôter toutes nos affreuses turpitudes… Heureusement pour moi, monsieur l’agent immobilier a peur de la magnifique musculature de Kénan.

Chantelle approuve et en profite pour regarder les puissants pectoraux de l’ébéniste qui apparaissent dans l’ouverture du peignoir. Son collègue ploudalmézien poursuit :

— Mais, et j’espère que tu me croiras sur parole, nous sommes étrangers à cette mystification !

Une pause. Chacun déguste son thé, Kénan engloutissant une demi-douzaine de palets bretons.

Chantelle reprend la discussion en douceur, se tournant vers Juzeg :

— Je t’accorde le crédit du doute ! Toutefois, je m’étonne que tu n’aies pas cherché à approfondir ce sujet. Je t’ai connu plus curieux…

Le sorcer hoche lentement la tête de droite à gauche :

— J’ai décidé de faire l’impasse sur cette histoire. Elle m’a bien fait rire, d’accord. Mais je ne veux surtout pas en savoir plus ! Si les gendarmes découvrent qui est le petit malin qui a monté tout cela, bravo à eux, mais je ne les aiderai pas. Je me fous de connaître le coupable, cette affaire ne me regarde pas, point final !

* * *

Lundi 22 février, début de soirée, maison de Michel Mabec, Plougourvest

Remuant doucement la cuillère dans son assiette de velouté au potimarron, Chantelle demeure silencieuse. Avare de paroles depuis qu’elle est revenue de Ploudalmézeau, elle inquiète Michel. Il n’ose toutefois pas pousser sa compagne à discuter. Il sait que, tôt ou tard, celle-ci lui révélera ce qui la perturbe en ce début de soirée. Avec précaution, il goûte à la soupe préparée avec une cucurbitacée récoltée le matin même dans son jardin. Pincement des lèvres, il manque quelque chose ! Il se lève pour attraper le moulin à poivre sur le plan de travail.

De retour à table, il remarque le regard de la sorcerez qui l’intrigue. Le nez en l’air, celle-ci semble découvrir son intérieur, observant le plafond, l’escalier accroché à la cloison du fond de la grande pièce, les fenêtres percées dans les murs épais de l’antique corps de ferme :

— Cela ne te dirait pas d’acheter une maison à Portsall ou à Ploudalmézeau ?

De surprise, l’écrivain manque lâcher la poivrière !

— Est-ce ton ancien élève qui t’a demandé de te rapprocher de lui ? Aurait-il besoin d’aide ?

Sans répondre, Chantelle avale une cuillerée de soupe fumante et, comme son amant, rajoute quelques tours de moulin à épices.

— J’ai oublié de l’assaisonner, confesse Michel. J’allais le faire lorsque tu es arrivée et, ensuite, cela m’est sorti de l’esprit. Je crois que l’air préoccupé que tu affichais en revenant m’a passablement perturbé…

Retrouvant le sourire, la sorcerez chasse l’imperfection d’un revers de main avant de goûter à nouveau. Hochement de tête appréciateur :

— Voilà qui est mieux, en effet. Excuse-moi de ne pas t’avoir parlé plus tôt, mais je voulais mettre toutes mes impressions en ordre. Je peux donc maintenant t’expliquer. Bien sûr, je plaisante avec mon idée d’acheter une maison. Je connais ton attachement pour cette demeure, même si elle traîne une bien sale histoire derrière elle*.

Rassuré, Michel termine son assiette et va chercher le plat principal :

— Ouf ! J’ai un instant craint que les fantômes de la ferme ne t’aient convaincue de laisser la place à d’autres occupants, qu’ils pourront plus facilement effrayer.

Tout en dégustant un gratin de chou-fleur, Chantelle raconte la méchante mésaventure de l’agent immobilier, que Juzeg lui a rapportée l’après-midi même. L’écrivain s’étonne :

— C’est bien la première fois que j’entends qu’un vendeur de résidences entre ainsi dans une demeure sans la présence des propriétaires pour lui faire visiter.

— Ce point m’a également intriguée, répond la sorcerez. Mais l’explication que l’on m’a fournie est tout à fait plausible.

Elle relate alors les prémisses de l’histoire, en commençant par la maison aux cadavres, achetée par un excentrique Vénézuélien trois ans plus tôt. Riche à millions, cet homme s’occupe en pérégrinant partout dans le monde. La légende rapporte qu’il détermine sa prochaine destination à l’aide d’une toupie lancée sur un planisphère. À l’époque, le jouet avait désigné la pointe de la Bretagne. Venu sur place pour visiter, le voyageur était immédiatement tombé fol amoureux de la région de Ploudalmézeau !

Pour acquérir cette maison à la vue imprenable, ce nabab en aurait offert une somme impossible à refuser aux précédents propriétaires. Mais les amours de ce crésus sud-américain sont fugaces. L’argent l’oblige presque à vite se lasser. Ainsi, la toupie a recommencé sa ronde aléatoire et a pointé sur une autre région de notre vaste monde. Parti six mois plus tôt s’installer ailleurs, il a laissé l’habitation inoccupée.

Inoccupée, mais pas à l’abandon ! Pendant son séjour sur la côte des Légendes, le riche Sud-Américain avait fraternisé avec un retraité porspodérien d’origine espagnole. Les deux hommes pouvaient discuter dans leur langue natale. À son départ, le Vénézuélien a embauché son ami pour garantir la propreté et l’entretien des lieux avec un ou deux passages mensuels.

— Sait-on ce qui a déclenché cette soudaine envie de se débarrasser de cette résidence secondaire, ou peut-être même tertiaire ? demande Michel.

— Rien du tout ! En fait, peu avant son départ du pays, le propriétaire a repris contact avec le notaire qui avait enregistré la transaction d’achat trois ans plus tôt, maître Grosjean de Saint-Renan. Comme plusieurs de ses confrères, celui-là a ajouté la vente immobilière à ses activités. Le Vénézuélien a déposé une clef et un dossier complet à l’office. Mais ceci était accompagné d’un l’ordre impératif : attendre son feu vert pour mettre la demeure sur le marché.

L’écrivain fronce les sourcils :

— Ton ancien élève me paraît bien renseigné. Ce sont ses pouvoirs qui lui ont permis d’apprendre autant de choses ?

— Non. Le lieutenant qui dirige la brigade rêvait d’être ébéniste plutôt que gendarme. En prenant le commandement à Ploudalmézeau, il a remarqué l’atelier du mari de Juzeg à deux pas de la gendarmerie. Leur passion commune pour le travail du bois et la fabrication de beaux meubles a rapproché les deux hommes. Kénan lui prête volontiers son outillage afin que l’officier puisse confectionner en cachette une superbe coiffeuse sur mesure pour son épouse. Il lui arrive également de rendre visite au couple juste pour discuter. Très bavard, il apprécie de pouvoir raconter ce qui est racontable dans son métier.

Michel sourit, pensant aux passages réguliers du lieutenant Dumontoir. Depuis leur rencontre survenue sept ans auparavant, celui-ci – commandant maintenant la brigade de Landivisiau – aimait venir de temps en temps papoter et surtout déguster un café en bonne compagnie. L’écrivain corrobore :

— Une excellente manière d’évacuer le stress. C’est lui qui a dévoilé tout cela ?

Chantelle confirme d’un mouvement de tête avant de reprendre son récit. Quinze jours plus tôt, un courrier en provenance d’Amérique du Sud est arrivé à l’agence immobilière Abgrall Habitat.

Dans l’enveloppe, une clef accompagnée d’une lettre manuscrite en mauvais français. La missive proposait au destinataire de s’occuper de la revente de la maison, en exclusivité. La réponse devait impérativement être transmise d’ici la fin de la semaine, sur une adresse mail. En cas de refus de l’affaire par Abgrall Habitat, une autre agence serait choisie…

Dubitatif, l’écrivain n’en hoche pas moins la tête affirmativement :

— L’enquête a-t-elle déterminé si les plaisantins ciblaient précisément monsieur Abgrall ? Je suppose qu’il dispose de collaborateurs dans ses bureaux. Il aurait pu envoyer l’un d’eux inspecter les lieux plutôt que d’y aller lui-même.

— En effet, il aurait pu. Il a raconté aux gendarmes qu’à réception de la lettre, il s’était immédiatement renseigné sur cette maison et son propriétaire. Il a hésité entre le bon plan et le coup fourré, se demandant si la construction ne risquait pas de s’écrouler, car bâtie sur un terrain instable. L’acheteur se serait alors retourné contre son agence immobilière. Abgrall ne dispose que d’une assistante qui débute dans le métier, donc théoriquement moins capable que lui de remarquer les vices cachés. Bien sûr, ce courrier était un faux. Contacté par téléphone, le Vénézuélien a démenti vouloir vendre sa maison de Landunvez. D’ailleurs, il se trouvait effectivement en Amérique du Sud, mais pas dans le bon pays puisque la lettre a été postée à Buenos Aires.

— Reste l’histoire de la copie de la clef, avec une à l’office notarial, et une autre chez le retraité hispanophone…

— Oui. Mais, là aussi, le mystère semble élucidé. L’homme de ménage qui entretient la demeure a avoué aux gendarmes avoir oublié son double sur la serrure en repartant après un précédent passage. Il avait alors les bras chargés de produits d’entretien qui sont tombés quand il a fermé la porte.

— Je sais ce que c’est, constate Michel en riant. Vouloir en prendre trop pour éviter un voyage supplémentaire entre la voiture et le placard à provisions, tout foutre par terre et perdre deux fois plus de temps à tout ramasser et nettoyer. On est tous pareils, je crois…

— Le retraité ne s’est rendu compte de son oubli que quinze jours plus tard. Évidemment, il est immédiatement revenu à la maison. La clef n’avait pas bougé, toujours à attendre dans la serrure. Depuis la route, on ne voit pas le bas de l’habitation. Il faut emprunter le petit chemin marqué « voie privée » pour l’atteindre, et contourner un épais bosquet d’arbustes. Cela explique que personne n’ait aperçu cette clef oubliée…

— Et finalement, où en est arrivée l’enquête ?

— Le lieutenant ne l’a pas avoué ouvertement à Kénan et à Juzeg, mais il leur a fait comprendre que le dossier n’était plus sur le dessus de la pile. Le procureur prévenu de l’affaire a jugé l’intervention de l’IRCGN* inutile, car trop coûteuse par rapport au crime commis. Il n’y a eu ni meurtre ni vol, seulement une violation de domicile. De plus, le propriétaire a tellement ri en entendant ce que les plaisantins avaient mis en place qu’il a refusé de porter plainte. Sans l’aide des scientifiques, les gendarmes se sont retrouvés rapidement bloqués. Ils ont effectué quelques recherches, espérant découvrir la provenance des mannequins suspendus au plafond. Mais ce sont de vieux modèles défectueux, sans doute récupérés dans une poubelle.

— Et pour l’allumage automatique des lampes, il y a de l’électronique là derrière… Rien non plus de ce côté ?

— Oui, en effet, un détecteur de mouvement intégré dans la tête posée au sol sur le trajet, connecté à une prise électrique, un gadget commercialisé en kit que l’on trouve facilement dans les boutiques spécialisées ou sur Internet. Impossible de remonter au vendeur ! Après deux jours d’investigation, les gendarmes de la brigade ont abandonné, malgré les demandes incessantes de l’agent immobilier.

Chantelle s’arrête, hésitant à regarder Michel de ses yeux aux étranges irisations. Mais il a déjà compris :

— Tu as ressenti quelque chose de plus… Ce n’était pas une simple farce ?

La sorcerez sourit, heureuse que son compagnon la devine aussi promptement.

— Je n’en sais encore rien pour ce qui est de la farce. Mais j’éprouve une mauvaise prémonition concernant l’homme.

L’écrivain débarrasse les assiettes et va chercher deux coupes remplies de mousse au chocolat dans le réfrigérateur :

— D’abord, le dessert ! Ensuite, nous nous connecterons sur le site de l’agence immobilière pour voir ce qu’ils ont à nous proposer. Toutefois, j’espère que la prochaine fois que tu rendras visite à l’une des personnes dont tu as été la kelennerez*, tu ne reviendras pas avec une nouvelle énigme à résoudre. Sinon, je ne sais pas si je vais longtemps apprécier que tu fasses ainsi la tournée de tes anciens élèves.

* * *

Lundi 22 février, début de soirée, maison de François-Xavier et Thérèse Abgrall, rue de Porsguen, Portsall

Thérèse Abgrall ajoute les rondelles de carotte dans le robot-cuiseur lorsque son mari entre dans la cuisine.

— Encore de la soupe ? Tu ne sais plus préparer que ça ! C’est au moins la troisième fois depuis…

Il cherche dans sa mémoire, sans retrouver de quand date le dernier potage avalé.

— Peut-être, François, répond son épouse en haussant les épaules. Mais avec le temps qu’il fait, cela fait beaucoup de bien. De plus, commencer ainsi son repas est très sain. Vendredi, je t’ai préparé un velouté aux courgettes, et mardi une soupe aux lentilles. Tu ne peux pas dire que je te sers tous les soirs le même plat…

— Commencer ainsi son repas est très sain, répète l’agent immobilier en singeant sa femme. Tu m’emmerdes avec tes soupes ! On se croirait à la maison de retraite, à se farcir cette lavasse à tous les dîners !

La virulence de la réflexion fait sursauter l’épouse, qui recule au fond de la cuisine, serrant une cuillère en bois dans son poing. Son mari reprend :

— Si tu aimes ça, alors tu la boufferas toute seule. Moi, je vais aux Littorines. Au moins, il y a du choix.

Il tourne les talons et claque la porte d’entrée derrière lui. Thérèse laisse tomber sa cuillère. Elle doit s’appuyer sur le plan de travail, le temps de retrouver son souffle et, surtout, de calmer ses tremblements. Fermant les yeux, elle tente de pratiquer les techniques de décontraction que Carole lui a conseillées. Longue inspiration par le nez, on se vide la tête de tout le négatif et on expire par la bouche, lentement…

Relaxée, elle abandonne la préparation du repas, se sentant incapable d’avaler quoi que ce soit ce soir, sinon… Sur la table, la bouteille de vin rouge, ouverte à l’avance. Elle attrape bouteille et verre pour s’installer dans le salon, repensant à François-Xavier. Son caractère s’est encore plus dégradé depuis sa mésaventure, une dizaine de jours auparavant. Déjà qu’il n’était pas facile à vivre… Une gorgée, qu’elle garde en bouche afin de profiter de toutes les saveurs du breuvage. Non ! Cela remonte à plus longtemps… Faisant tourner doucement le liquide dans son verre, elle cherche à mettre une date sur le déclenchement du pourrissement. Début d’année ? Oui, cela correspond à peu près. Comme si son époux avait pris la bonne résolution de saborder son couple. Pourtant, il sait bien que cela n’est pas possible s’il souhaite garder son agence immobilière…

Thérèse déguste une nouvelle gorgée de vin et attrape son téléphone portable. Peut-être que son amie aura réponse à ses questions…

* Voir Blues en Rafale à Landivisiau, même collection.

* Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale.

* « Formatrice », en breton.

II

Mercredi 24 février, milieu de matinée, maison à vendre, rue Gabriel Bizien, Ploudalmézeau

— Nous finissons par la cuisine, dotée de multiples rangements. Vous remarquerez ce passe-plat qui communique avec la salle à manger, très pratique pour, euh, passer les plats. Et surtout, regardez ce magnifique plan de travail recouvert d’un carrelage parfaitement accordé avec le bois ancien des meubles. Et ici, la cuisinière à gaz. N’importe quel cuisinier vous dira que rien ne vaut le gaz pour la préparation de vos petits plats, et…