Code assassin à Trébeurden - Bernard Enjolras - E-Book

Code assassin à Trébeurden E-Book

Bernard Enjolras

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Beschreibung

La disparition mystérieuse d'un professeur d'histoire sur le point de faire une découverte fracassante...

Où est passé Paul Galaire ? Peu de temps avant sa disparition, ce professeur d’histoire retraité avait envoyé à Jean-Jacques Bordier un courrier disant qu’il se sentait menacé, vraisemblablement en raison de l’avancée de ses travaux. Il précisait qu’il devait dissimuler certains résultats de ses recherches. Jean-Jacques, aidé par son ami Bernie Andrew, met facilement à jour plusieurs indices cachés par Galaire qui conduisent les deux acolytes sur la piste d’une célèbre et énigmatique toile de Nicolas Poussin, les Bergers d’Arcadie. Partant de cette ancienne région de la péninsule grecque et passant par différents châteaux d’Angleterre, les deux détectives amateurs vont se trouver, bien malgré eux, confrontés à un mystérieux code jamais décrypté jusque-là.

Deux détectives amateurs vous entrainent dans une enquête passionnante, entre la péninsule grecque et l'Angleterre. Découvrez le 10e volet des enquêtes mouvementées de Bernie Andrew !

EXTRAIT

Une pensée amère traversa Jean-Jacques. Il n’est jamais agréable de susciter l’indifférence et c’était bien là ce qu’il venait de subir. Un sentiment de rébellion s’empara de lui. Il décida de ne pas en rester là.
Quelques minutes plus tard, il garait sa voiture devant chez Paul Galaire.
Aucun véhicule n’était garé devant la maison. Comme la veille il parcourut l’allée gravillonnée et s’arrêta devant l’entrée.
Des pensées contradictoires lui traversaient l’esprit et il s’interrogeait vraiment sur les motivations qui l’animaient en ce moment.
S’agissait-il d’une véritable inquiétude pour un individu qu’il connaissait à peine, une sorte de curiosité pour connaître la fin de l’histoire ou tout bonnement la démarche de celui qui s’incruste alors qu’il a été fermement mis à la porte ?
La porte ?
Serait-elle fermée à clé aujourd’hui ou tout simplement poussée ?
Il toqua au panneau et se pencha en avant, l’oreille tendue. Aucune réponse !
Les recommandations de Paul Galaire qui l’avait autorisé à entrer en son absence étaient toujours d’actualité. Il réitéra son geste et, sans plus attendre, actionna doucement la poignée. La porte s’ouvrit sans un bruit, il fit un pas en avant.
Une forme d’angoisse s’empara de lui. Il se demanda soudain s’il ne commettait pas une intrusion en pénétrant à nouveau dans cette maison manifestement vide de tout occupant.
Habité par un pressentiment funeste, il prit, à pas de loups, la direction du salon.
Le spectacle qui s’offrit à lui fit le même effet qu’un coup de poing en pleine poitrine. Tout était sens dessus dessous, la grande table encombrée la veille avait été balayée par une tornade déchaînée, le meuble où trônaient une multitude d’ouvrages avait été vidé de son contenu, jeté sans ménagement sur le sol.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Lyon, Bernard Enjolras vit depuis de nombreuses années à Trégastel. C'est là qu'il écrit, au cœur de la magnifique Côte de Granit rose. Son douzième roman nous entraîne de Trébeurden jusqu'à Plouha, à la recherche d'une célèbre énigme jamais résolue.

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Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À Nicolas P.

REMERCIEMENTS

À Marc Reveillère

et

À toute l’équipe des Éditions Alain Bargain.

Au début de cette histoire il y a la mort.

La mort !

On peut l’appeler comme on veut, la mort, la Camarde, la Faucheuse, l’Ankou même, pourquoi pas, puisque nous sommes en Bretagne.

La mort… mais c’est quoi la mort ?

Il faudrait demander au type qui est étendu, là, sur le sol. S’il pouvait parler il nous le dirait. Il y a trente secondes à peine il était encore en vie.

Il hurlait même comme un putois, ne voulait rien savoir et s’emportait pour des bêtises sans importance.

Des bêtises sans importance, tu parles !

C’est pourtant cela qui l’a tué.

On peut tourner l’affaire dans tous les sens, s’il avait fermé sa grande gueule, s’il avait été un peu moins intransigeant, il n’aurait pas reçu cette poussée sur la poitrine, il ne serait pas tombé lourdement sur ce coin d’établi, il ne se serait pas fendu le crâne…

Mais avec des « si »…

Vous connaissez la chanson, bien sûr.

En fait, il y a longtemps que j’en avais marre de ce type. J’avais même commencé à réfléchir aux meilleurs moyens de m’en débarrasser. J’avais mis sur pied un petit scénario assez original dont j’étais plutôt fier.

Le plus étonnant dans tout ça, c’est qu’on puisse passer comme cela de la vie à la mort.

De vie à trépas comme ils disent.

Un claquement de doigts et c’est fait. L’être vivant n’est plus qu’un corps inerte, une masse pesante dont la température interne va baisser, les chairs se putréfier lentement, pour devenir poussière.

« Car tu es poussière et tu retourneras dans la poussière… » c’est en tout cas ce qui est écrit dans la Genèse.

Que fait-il en ce moment, ce mort tout neuf qui commence à peine sa carrière de défunt ?

Son cœur a-t-il été placé sur une balance, pour y être pesé, et justifier qu’il était moins lourd qu’une plume pour gagner son salut, comme le pensaient les anciens égyptiens ?

Est-il, comme le croyaient les Grecs, en train de voguer sur le Styx, à proximité des enfers, sur une barque conduite par Charon ?

Se trouve-t-il déjà au Ciel, à la droite du Père qui lui a pardonné tous ses péchés ?

Mais quoi qu’il fasse, son corps allongé sur le sol est bel et bien là. Il encombre, fait désordre et ne peut demeurer où il gît, dans ce lieu où n’importe qui pourrait trébucher sur lui par inadvertance.

Le faire disparaître ?

Oui, c’est bien, mais comment ?

Que faire d’un cadavre de 75 kilos, doté d’un statut social, d’un état civil, d’une famille ?

Ce n’est pas si simple. Il n’y a aucune chance que personne ne s’aperçoive de rien et que la vie continue comme avant, comme si de rien n’était.

Que feriez-vous, vous qui vous croyez si malins ?

Avec la police qui essayera d’établir les causes du décès, cherchera un responsable, un coupable…

Vous avez envie d’aller en prison vous ?

Grand bien vous fasse, mais très peu pour moi !

Non, il y a sûrement quelque chose à imaginer pour faire disparaître ce corps, pour éviter une enquête, des recherches, des emmerdements pour tout le monde.

Mais quoi ?

Il faut trouver et vite. Les premiers effets du trépas vont bientôt se manifester sur la dépouille.

Je vais trouver ! Faites-moi confiance !

Il est hors de question que je sois pris. Je préférerais tuer dix fois plutôt que de subir la honte d’être arrêté, traîné en justice, jeté aux charognards qui se repaissent de ces faits divers sordides où l’on voit des malheureux livrés en pâture aux foules avides de sensations malsaines.

Non, je le répète, plutôt tuer dix fois que d’être pris.

Je ne le supporterais pas !

I

Jean-Jacques, aperçut à travers la vitre, la camionnette jaune du facteur s’arrêter devant sa porte. Il abandonna aussitôt son bol de café et affronta la fraîcheur du petit matin en robe de chambre. Son courrier en main, il regagna rapidement sa cuisine et retrouva la chaise encore tiède qu’il venait de quitter.

La moisson était maigre ce jour-là. Quelques documents publicitaires et une simple enveloppe blanche.

Il mit de côté la pub et s’intéressa au courrier, essayant de deviner qui avait pu lui écrire. Son adresse, manuscrite mais d’une écriture inconnue, et l’absence de mention de l’envoyeur ne lui fournirent aucune indication. Il décacheta et sortit une feuille pliée en 4.

Il commença sa lecture.

« Trébeurden, le premier mars 2018

Réf. : 1223

Cher Jean-Jacques.

Merci pour les photos que vous m’avez envoyées concernant la fontaine Templière de Trégastel.

J’ai avancé dans mes travaux, bien au-delà de mes espérances.

Malheureusement, mes récentes découvertes me font courir un danger et je me sens menacé. Je vais être obligé de dissimuler certains éléments.

Et pourtant…

I tego arcana Dei !

J’aimerais parler de mes trouvailles avec vous et j’espère votre visite prochaine.

P.G. Paul Galaire

NB : Si je ne réponds pas à votre coup de sonnette, c’est que la porte est ouverte. N’hésitez pas à entrer. »

Jean-Jacques reposa la lettre sur sa table, étonné de recevoir un tel courrier. Certes, le dénommé Paul Galaire ne lui était pas complètement inconnu, mais il ne le connaissait pas suffisamment selon lui, pour qu’il lui donnât du « Cher Jean-Jacques ».

Il se rappelait parfaitement bien dans quelles circonstances ils avaient fait connaissance. C’était à la fin du mois de janvier, dans une brasserie de Trégastel où, par le plus grand des hasards, ils étaient installés côte à côte. Ils avaient engagé la conversation et découvert qu’ils étaient tous deux professeurs à la retraite. Paul Galaire ancien professeur d’histoire tandis que lui, Jean-Jacques Bordier, agrégé, enseignait les lettres.

Paul Galaire s’était montré fort disert à propos de son intérêt pour les Templiers. Jean-Jacques, habitant Trégastel, avait évoqué la fontaine Templière du bourg et proposé de lui envoyer les quelques photos qu’il en détenait. Ils avaient échangé leurs adresses et leur relation en était restée là.

Jean-Jacques, intrigué, reprit la feuille posée devant lui et relut le texte avec application. Plusieurs choses lui semblaient étranges.

Premièrement, alors que l’enveloppe était manuscrite, le courrier était tapé à la machine, ce qui semblait très formel pour un simple mot de remerciements. La signature se limitait aux deux lettres P et G écrites au stylo bleu au-dessus du nom et du prénom Paul Galaire.

Deuxièmement le contenu était pour le moins inattendu.

Quels pouvaient bien être ces travaux qui, ayant avancé au-delà des espérances de leur auteur, lui faisaient courir un danger ?

Existait-il un lien avec les Templiers ?

Il est bien connu que l’univers de cet ordre religieux et militaire est riche de symboles et de mystères mais se pouvait-il vraiment qu’un professeur d’histoire en retraite courût un quelconque danger du simple fait qu’il s’était intéressé à ce sujet.

Et que signifiait ce curieux message, « I tego arcana Dei » que l’ancien professeur agrégé de lettres classiques, fin latiniste, traduisait sans problème par : « Je possède, ou je cache le secret de Dieu. »

L’invitation enfin, contenue à la fin de la lettre, était surprenante. Elle ressemblait à l’appel à l’aide d’un désespéré ne sachant plus à quel saint se vouer.

Jean-Jacques se redressa et cala fermement son dos contre le dossier de sa chaise. Perplexe, il se demanda s’il n’était pas tout simplement en train de se faire un film.

Il est vrai que dans un passé récent il avait vécu des aventures rocambolesques en compagnie de son ami Bernie Andrew. Ce dernier, auteur de romans policiers à succès, avait le chic pour tomber, sans l’avoir recherché, sur des affaires criminelles complexes et les démêler au nez et à la barbe des forces de l’ordre.

Était-il possible que cette simple lettre soit l’amorce d’une nouvelle intrigue ?

Peu probable !

Jean-Jacques reprit le bol qu’il avait délaissé le temps de sa lecture. Le café était froid. La simple évocation d’un café réchauffé lui donna la nausée et il préféra y renoncer. Il jugea qu’il serait plus agréable de terminer son petit-déjeuner dans un des bars de Trégastel qu’il affectionnait. Il s’habilla chaudement et quitta rapidement la maison.

Un peu plus tard, un croissant à la main, il était plongé dans la lecture de son journal. Le brouhaha alentour ainsi que les allées et venues ne le dérangeaient pas le moins du monde. Simultanément, il dégustait sa viennoiserie, lisait les faits divers et laissait son cerveau vagabonder à sa guise.

Bientôt une décision s’imposa à lui. Pas plus tard que cet après-midi, il allait rendre une petite visite au sieur Galaire et découvrir quelles trouvailles extraordinaires ce dernier souhaitait partager avec lui.

Jean-Jacques prit le volant aussitôt après avoir déjeuné. Il mit le cap sur Trébeurden et longea bientôt la côte à main droite, après avoir quitté Trégastel.

La route empruntée était l’une de ses préférées. À marée haute comme à marée basse, le paysage qui s’offrait à la vue des promeneurs était tout simplement somptueux. Il doubla l’Île-Grande et se retrouva sur la corniche de Goas Treis surplombant la plage du même nom, tout spécialement appréciée par les pêcheurs à pied.

La mer était haute à cette heure et la plage déserte. Il contempla le panorama du coin de l’œil tout en conduisant et ne tarda pas à franchir le panneau marquant l’entrée dans Trébeurden.

Il avait repéré sa route sur un plan de la ville, et avait parfaitement situé l’adresse par rapport à la résidence Hélios. Cet immeuble, issu de l’imagination de l’architecte Roger Le Flanchec, dominait le quartier pavillonnaire où se trouvait sa destination.

Ce bâtiment, inscrit à l’inventaire du patrimoine du XXe siècle, controversé depuis le début des années soixante, date de sa création, suscite encore de nos jours de vives passions, certaines le portant aux nues, d’autres le vouant aux gémonies. L’ayant choisi comme point de mire, Jean-Jacques s’engagea sur sa droite dans une ruelle déserte.

Il trouva rapidement la demeure qu’il cherchait. La maison, petite et sans attrait, dotée d’une toiture à quatre pans, n’était manifestement pas récente, mais bien entretenue.

Il se gara sans difficulté devant le muret qui entourait le jardinet. Un autre véhicule en stationnement interdisait tout accès au garage.

Jean-Jacques en conclut qu’il s’agissait de la voiture de Paul Galaire et que celui-ci se trouvait fort opportunément à la maison.

Il se dirigea vers le portillon et, n’apercevant aucune sonnette, parcourut les quelques mètres de l’allée gravillonnée conduisant à la porte d’entrée.

Il remarqua que cette dernière était simplement entrebâillée et se souvint aussitôt des recommandations contenues dans la lettre : « N’hésitez pas à entrer. »

Il toqua à la porte et poussa le battant.

Il passa la tête dans l’entrée et entendit du bruit à l’étage.

— Il y a quelqu’un ?

Le bruit s’arrêta. Jean-Jacques tendit l’oreille mais n’entendit aucun son. Il renouvela son appel :

— Il y a quelqu’un ?

Jean-Jacques regarda machinalement autour de lui. L’entrée de la maison donnait sur un salon très éclairé par la lumière du jour. Il y régnait un désordre savamment orchestré et manifestement destiné à donner un air bohème à la pièce. Une grande table en bois massif, encombrée de nombreux ouvrages, occupait une bonne partie de l’espace. Un canapé et deux fauteuils dont le cuir craquelant, patiné par les années, faisaient face à une cheminée ouverte, aux chenets en fer forgé. Une bibliothèque débordant de bouquins en tous genres et de tas de magazines couvrait un pan entier de mur.

Le silence de mort qui régnait dans cet intérieur offrait un contraste absolu avec son apparence chaleureuse et accueillante.

Jean-Jacques, facilement séduit par les intérieurs coquettement agencés, occulta, l’espace de quelques secondes, la raison de sa présence en ces lieux. Un bruit furtif sur sa droite le ramena à la réalité du moment.

Il insista :

— Il y a quelqu’un ?

En l’absence de réponse, il décida de gravir les quelques marches le séparant de l’étage.

Il avait à peine franchi deux degrés lorsqu’il entendit :

— Oui, qu’est-ce que c’est ?

Il ne pouvait s’agir que de Paul Galaire mais il ne reconnut pas la voix de la personne avec qui il avait discuté dans le restaurant trégastellois.

Sur la défensive, il annonça :

— C’est Jean-Jacques Bordier. J’ai bien reçu votre courrier. Vous m’avez demandé de passer, vous vous souvenez ?

Jean-Jacques sentit que la personne qui venait de s’adresser à lui hésitait. Plusieurs secondes s’écoulèrent avant qu’un homme apparaisse sur le palier. Brun, barbu, assez grand il ne devait pas avoir plus de quarante ans. Il portait un pantalon de velours côtelé et un blouson en cuir fauve qui lui donnaient une allure très décontractée. Il fit un pas en avant en déclara d’un ton jovial :

— Ah oui, bonjour. Vous êtes un ami de Paul. Il vous avait demandé de passer à vous aussi ?

Il dévala les marches avec fracas et se précipita sur Jean-Jacques, la main tendue en avant.

— Laurent Dugane, se présenta-t-il. Vous avez reçu également une lettre de Paul ? J’ai essayé de l’appeler mais je n’ai jamais réussi à l’avoir.

Jean-Jacques, décontenancé, hésita sur la conduite à tenir. L’inconnu semblait beaucoup plus familier avec Paul Galaire qu’il ne l’était lui-même.

Comment savoir ?

Il résolut d’en avoir le cœur net et opta pour la voie la plus directe :

— Vous connaissez bien Paul ?

La gêne qu’il perçut chez son interlocuteur éveilla instantanément sa méfiance.

Si cela était, l’homme ne connaissait pas Paul Galaire beaucoup plus que lui. Que faisait-il alors dans cette maison, et qui plus est à l’étage où devaient se trouver les chambres ? Que cherchait-il en ces lieux ?

La réponse mit plusieurs secondes à venir :

— Évidemment je le connais. Bien, serait peut-être beaucoup dire. Disons que nous avons des centres d’intérêt communs.

— Vous avez parlé d’une lettre ? Il vous a écrit ?

— Oui, je n’ai d’ailleurs pas très bien compris ce qu’il voulait me dire. Il vous a écrit à vous aussi ?

Le type avait l’air sympa mais Jean-Jacques sentait que quelque chose clochait chez lui. Son apparente jovialité n’était pas naturelle ce qui signifiait qu’il cherchait à dissimuler. Il décida de ne pas répondre à la question qui lui était posée et choisit l’offensive :

— Vous cherchiez quoi, là-haut ?

— Moi ? Mais rien du tout, j’étais simplement monté voir si Paul n’était pas à l’étage.

La réponse avait fusé, brusque et énervée, sur un ton courroucé alors que la question avait été proférée de façon très courtoise.

Laurent Dugane se rendit compte que son attitude n’était pas appropriée et il battit en retraite.

— Excusez-moi, dit-il, je m’échauffe tout seul, mais j’ai reçu cette lettre de Paul me demandant de passer de toute urgence et cela m’a inquiété. Je suis venu aussitôt que j’ai pu me libérer en pensant le trouver chez lui. Manifestement il n’est pas là…

Jean-Jacques était tout sauf naïf. Les aventures vécues avec son ami Bernie lui avaient appris à ne pas se fier aux apparences. L’homme avait l’air sincère mais peut-être était-il tout simplement bon comédien.

— Si nous allions l’attendre au salon ? proposa-t-il. Moi aussi j’ai reçu un courrier qui m’a étonné. Peut-être serait-il bien que nous en parlions tous les deux.

Ils prirent la direction du canapé et des fauteuils et s’installèrent face à face.

Jean-Jacques désireux de détendre l’atmosphère demanda :

— C’est plutôt sympa ici. Vous étiez déjà venu auparavant ?

Quelques secondes, à peine perceptibles, d’hésitation :

— Euh… en fait non. C’est la première fois que je viens ici. Il faut dire que c’est la première fois que Paul me demande de passer chez lui.

Jean-Jacques ne voulait pas se montrer inquisiteur, mais son désir de tirer cette affaire au clair était si fort qu’il ne put s’empêcher de demander :

— Il voulait vous voir pour une raison précise ? L’homme hésita comme s’il cherchait ses mots.

Après plusieurs secondes il déclara :

— Écoutez, pour être honnête avec vous, il m’a annoncé qu’il voulait… me parler de certains de ses projets. Oui, c’est bien ça, ses projets.

Jean-Jacques se laissa emporter par son étonnement.

— Ses projets ? s’écria-t-il vivement.

— Oui, je ne vois pas ce qui vous étonne autant. Paul était un intellectuel qui s’intéressait à de nombreux sujets…

Jean-Jacques l’interrompit :

— Pardonnez ma surprise, mais dans la lettre que Paul m’a écrite, il m’informait également de son souhait de me faire part de ses dernières trouvailles.

Les deux hommes échangèrent des regards surpris. La porte d’entrée qui s’ouvrit brusquement les fit sursauter tous les deux en même temps.

II

La porte d’entrée se referma dans un claquement sec et une voix de femme se fit entendre dans le vestibule :

— C’est moi. Tu es là ?

Le ton péremptoire utilisé signifiait qu’il s’agissait d’une habituée des lieux. Jean-Jacques Bordier et Laurent Dugane se levèrent simultanément et se tournèrent vers le hall. Jean-Jacques prit conscience tout à coup qu’il n’était qu’un intrus dans cette maison et, observant la tête de son compagnon, ne douta pas un seul instant que les mêmes sentiments l’habitaient.

Ce à quoi ils s’attendaient tous deux se produisit sans tarder. Une femme pénétra soudainement dans la pièce. Âgée d’une quarantaine d’années environ, blonde aux cheveux courts, à l’allure sportive, elle portait un jean qui moulait ses formes et un pullover écru à grosses mailles.

Elle s’arrêta tout net quand elle aperçut les deux hommes. Elle leur jeta un regard plus surpris que soupçonneux comme si la présence de ces deux inconnus n’était pas une chose plus anormale que ça.

— Messieurs ? leur dit-elle d’un ton néanmoins interrogatif en les saluant de la tête.

Jean-Jacques fut le plus prompt à réagir. Il s’avança vers la femme en tendant la main.

— Jean-Jacques Bordier, annonça-t-il. Bonjour Madame.

Laurent Dugane lui emboîta le pas et se présenta à son tour.

— Virginie Gimet, prononça-t-elle. Mon père est avec vous ? demanda-t-elle en cherchant du regard si celui-ci se trouvait dans les parages.

Il y eut un moment de flottement de quelques secondes. Puis la femme interrogea d’un ton brusque :

— Mon père n’est pas là ? Où est-il ?

Elle ne semblait pas inquiète, seulement énervée, comme une personne qui n’arrive pas à joindre celui qu’elle cherche. Elle n’attendit pas de réponse et se dirigea vers la cuisine en grommelant entre ses dents.

Jean-Jacques, acteur malgré lui de cette scène embarrassante, prit les choses en main.

— Madame, l’interpella-t-il, je comprends que vous êtes la fille de Paul Galaire, c’est bien exact ?

Comme elle acquiesçait, il poursuivit :

— Il semble bien que votre père ne soit pas à la maison…

— Mais alors qu’est-ce que…

— Votre père nous avait demandé de passer le voir et d’entrer sans l’attendre. Il voulait nous parler…

— Vous parler ? Comment ça vous parler ? Mais qui êtes-vous d’abord ? Ça fait presque une semaine que je n’arrive pas à le joindre au téléphone, je voudrais bien comprendre ce qui se passe.

La situation n’était pas à proprement parler en train de s’envenimer mais une certaine tension commençait à poindre. Jean-Jacques sortit de sa poche la lettre envoyée par Paul Galaire et la tendit à la jeune femme.

— Tenez Madame, voilà le courrier que j’ai reçu ce matin et qui justifie ma présence chez votre père. Je ne doute pas que monsieur, ici présent, a également été destinataire d’un courrier équivalent.

Alors que Laurent Dugane confirmait ses dires d’un mouvement affirmatif du chef, Virginie Gimet s’empara de la missive et se plongea instantanément dans une lecture attentive. Elle releva la tête quelques secondes plus tard.

— Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Il se sentait menacé ! Je ne comprends rien à tout ça.

Elle se tourna vers les deux hommes d’un air interrogatif comme si elle attendait qu’ils lui fournissent une explication. Voyant leurs mines incertaines, elle demanda :

— Vous avez cherché dans la maison ?

Devant leur réponse négative, elle tourna les talons et monta à l’étage. Elle en redescendit quelques secondes plus tard et se précipita vers une porte qui devait conduite au garage. Elle fut rapidement de retour, affichant sur son visage un air contrarié.

— Rien, dit-elle.

Jean-Jacques proposa que, tous trois, essayent de prendre du recul par rapport à la situation. Quelques instants plus tard, les deux hommes installés dans le salon, écoutaient, tout ouïe, Virginie Gimet leur expliquer qu’elle était sans nouvelle de son père depuis une semaine. Elle rentrait de quelques jours de vacances avec sa fille et son dernier contact avec son père remontait au vendredi précédent.

— J’ai essayé de le contacter par téléphone à plusieurs reprises, expliqua-t-elle, mais sans succès. J’ai demandé à mon fils de passer voir si son grand-père n’avait aucun problème, mais vous savez ce que sont les jeunes d’aujourd’hui.

Jean-Jacques, très concentré, écoutait le discours de la jeune femme avec le plus grand soin. Les enquêtes, conduites avec son ami Bernie, lui avaient appris à accorder de l’importance au moindre détail. Deux points particuliers retinrent aussitôt son attention.

Le fils et le mari.

Le fils, elle n’avait pas été très tendre avec lui, laissant carrément entendre que l’on ne pouvait pas compter sur lui.

Quant au mari, elle ne l’avait même pas mentionné. Ni pour dire qu’il était venu en vacances avec elle et sa fille, ni pour expliquer pourquoi elle n’avait pas fait appel à lui, alors qu’elle ne parvenait pas à contacter son père.

Était-elle veuve, séparée ou divorcée ?

Jean-Jacques la contempla de nouveau, essayant de la décrypter. Elle paraissait assez sûre d’elle-même, confiante, très certainement en son physique avec peut-être une propension à se montrer dirigiste, voire autoritaire. Il opta pour la séparation ou le divorce.

— Votre mari… se risqua-t-il…

Elle lui rétorqua sèchement :

— Je n’ai pas de mari !

Renvoyé sans ménagement dans ses buts, Jean-Jacques ne se laissa pas démonter :

— Votre père vit seul apparemment, est-ce qu’il avait l’habitude de disparaître comme ça, sans donner de nouvelles ?

Elle secoua la tête en soupirant :

— Oui et non, concéda-t-elle. Mon père est divorcé depuis de longues années, c’est une maladie familiale, voyez-vous, dit-elle en décochant un regard farouche à Jean-Jacques. Il lui arrive parfois de partir quelques jours à l’improviste, mais il me donne toujours des nouvelles.

Laurent Dugane intervint :

— Vous savez s’il a une amie en ce moment ? Il est peut-être tout simplement chez elle.

— Je n’en ai aucune idée. Vous savez mon père est très pudique quand il s’agit de sa vie privée.

— Indépendamment de ça, s’enquit Jean-Jacques, vous savez s’il a des amis, comme des copains de bistrot, de foot, de club de marche ou je ne sais quoi, des voisins peut-être ?

Virginie Gimet réfléchit quelques secondes.

— Les clubs, ce n’est pas son truc et je ne lui connais pas de vrais amis dans le coin. Des relations de comptoir, c’est probable. Je sais qu’il est un habitué du bar PMU du centre de Trébeurden, mais à part ça…

— Pourtant, insista Jean-Jacques, dans le cadre de ses travaux de recherche, il a forcément un réseau de relations, des personnes qui s’intéressent aux mêmes sujets que lui, avec qui il correspond…

Il s’était, en disant cela, ostensiblement tourné vers Laurent Dugane qui lui avait déclaré quelques minutes auparavant avoir avec Paul Galaire des centres d’intérêt communs.

L’homme, qui avait compris que la question s’adressait également à lui, se tortilla sur son siège.

— Je connais peut-être quelques personnes avec qui il était certainement en relation. Je pourrais essayer de les contacter proposa-t-il en regardant Virginie Gimet.

— S’il vous plaît oui et je vous en remercie. Pour tout dire, je commence à m’inquiéter.

Jean-Jacques s’adressant à la jeune femme, suggéra :

— Vous avez vérifié que vous n’aviez pas de courrier de votre père dans votre boîte aux lettres ? – comme elle répondait négativement d’un signe de tête, il poursuivit : Peut-être vous a-t-il laissé un mot ici, dans sa maison, vous devriez jeter un coup d’œil.

Virginie Gimet prit en compte sa proposition et se mit debout aussitôt. Elle s’approcha de la grande table encombrée et se mit à fouiller parmi les nombreux documents qui l’encombraient.

— Quel bordel ! maugréa-t-elle. Je reconnais bien mon père et sa façon de ranger les choses. Regardez-moi ça, une chatte n’y retrouverait pas ses petits.

Elle consacra plusieurs secondes à ses recherches qu’elle interrompit rapidement.

— Il n’y a rien, dit-elle. S’il avait eu l’intention de me laisser un mot, il l’aurait mis en évidence.

La situation semblait bloquée, au moins provisoirement. Jean-Jacques et Laurent Dugane échangèrent un regard de connivence. Ils n’avaient manifestement plus rien à faire dans cette maison. Dans le même temps, Jean-Jacques avait bien conscience qu’un départ précipité pouvait ressembler à un abandon. Il décida de proposer son aide à la jeune femme. Il se leva et déclara :

— Madame, je pense que nous allons prendre congé, mais je ne voudrais pas vous donner l’impression de me désintéresser du sort de votre père. Si je puis vous être utile d’une quelconque manière, n’hésitez pas à faire appel à moi. Je vais vous laisser mon numéro de téléphone, vous pourrez m’appeler quand bon vous semblera.

Jean-Jacques extirpa une carte de visite de son portefeuille et la tendit à la jeune femme. Laurent Dugane fit de même et annonça qu’il allait essayer de contacter les personnes de ses relations susceptibles d’avoir des informations concernant Paul Galaire.

Ils étaient à présent tous trois debout dans le salon. Virginie Gimet remercia les deux hommes et leur donna son numéro de portable. D’un air gêné, elle demanda :

— Vous croyez que je devrais appeler les gendarmes pour signaler la disparition de mon père ?

La question était délicate et personne ne se bouscula pour y répondre.

— Trébeurden dépend de la gendarmerie de Perros-Guirec ? interrogea Jean-Jacques.

— Je crois, oui.

— J’ai mes entrées là-bas. Si vous voulez, je peux leur en toucher un mot ou vous y accompagner ?

L’indécision se peignait sur le visage de la jeune femme. De toute évidence, cette démarche lui posait un problème. Jean-Jacques ne chercha pas à en connaître les raisons et fit une autre proposition :

— Vous nous avez dit que votre père était un habitué du bar PMU. Si vous le souhaitez, nous pouvons aller y faire un tour et voir s’il y a là-bas quelqu’un qui aurait des informations ?

La jeune femme regarda brièvement sa montre.

— Je ne peux pas abandonner ma fille trop longtemps, marmonna-t-elle.

— Dix minutes nous suffiront, mais si vous voulez je peux y aller seul, dit Jean-Jacques. J’ai votre numéro, je vous tiendrai au courant dans la foulée. Elle hésita un court instant, pesa rapidement le pour et le contre, et se décida :

— Je vais aller avec vous. Je ne resterai pas longtemps, mais cette histoire me tracasse vraiment. Je vais simplement dire à ma fille qu’elle ne s’inquiète pas.

Laurent Dugane s’éclipsa tandis qu’elle appelait sa fille et Jean-Jacques attendit dehors qu’elle ait passé son appel.

Ça y est, j’ai tout organisé, je suis tranquille désormais. Il est même possible que le corps ne soit jamais retrouvé.

Et même si on le découvrait, j’ai tout prévu.

En fait, je suis assez content de moi. J’ai mis en place un scénario implacable qui va balader les enquêteurs comme personne ne l’a jamais fait.

C’est grâce à mon intelligence que j’ai réussi ce tour de force. Ça sert parfois d’avoir un gros QI.

Et le mien, vous l’avez compris, ne peut être qu’énorme.

III

Le ciel étincelait d’un bleu sans tache en ce début du mois de mars. Le printemps, en avance sur le calendrier, s’annonçait sous les meilleurs auspices et propice à l’éclosion de la nature.

L’hiver avait été doux mais extrêmement pluvieux et les journées sèches et ensoleillées étaient vécues comme des cadeaux du ciel, à goûter sans modération.

Jean-Jacques était monté dans la voiture de Virginie Gimet et l’observait du coin de l’œil tandis qu’elle conduisait. Il se rendait compte que, lors de sa brusque irruption chez son père, la première impression qu’il avait eue d’elle n’était peut-être pas la bonne.

Il l’avait jugée dirigiste et autoritaire ce qui était très certainement vrai mais, en même temps uniquement négatif. Il découvrait à présent ses côtés féminins et sa part séduisante. Son maquillage soigné, sa voix bien posée, ses yeux d’un bleu profond et sa silhouette parfaite révélaient une femme assumant la plénitude de sa féminité, maîtresse d’elle-même et de son destin. Le voyage dura très peu de temps. Très vite elle annonça :

— Voilà, c’est là.

Ils avaient parcouru plusieurs centaines de mètres et Jean-Jacques jugea qu’il ne lui serait pas très facile de récupérer son propre véhicule à pied sans se faire raccompagner.

Il leur fallut quelques secondes à peine pour parcourir les quelques pas qui les séparaient du bistrot et pousser la porte de l’établissement.

Jean-Jacques entra le premier décidé à prendre la tête des opérations. La jeune femme lui avait avoué durant le trajet ne pas fréquenter ce café et il ne l’avait pas sentie très à l’aise à l’idée d’aller y poser quelques questions concernant son père.

Les quelques consommateurs présents, peu nombreux à cette heure, leur accordèrent tout juste un regard. Jean-Jacques et Virginie s’avancèrent vers le bar.

L’homme, derrière le comptoir, les accueillit d’un sourire très commercial dans lequel Jean-Jacques décela cependant une petite lueur d’inquiétude. L’individu, habitué à servir toutes sortes de gens, avait dû sentir que ces deux clients avaient une demande particulière à formuler.

— Madame, monsieur, leur dit-il d’un ton affable dans lequel perçait une interrogation à peine masquée. Il lança légèrement son menton en avant comme pour dire : « Que voulez-vous ? »

Virginie Gimet s’approcha :

— Bonjour Monsieur. Je crois que Paul Galaire est l’un de vos habitués ? – comme le barman ne répondait pas et se contentait de la fixer d’un air attentiste, elle poursuivit : je suis sa fille et je me demandais si vous ne l’auriez pas vu récemment ? Elle ajouta : Je rentre d’une semaine de vacances et il n’est pas chez lui. Je suis sans nouvelles de lui depuis mon départ et je commence à m’inquiéter.

Le barman, resta silencieux comme si la question l’embarrassait. Il avait saisi une tasse encore chaude qui sortait du lave-vaisselle et l’essuyait consciencieusement comme si la pertinence de sa réponse dépendait de son ardeur au travail.

Un bon moment lui fut nécessaire pour sortir de son apparente atonie.

— Paul Galaire, bien sûr je le connais. C’est un client. Vous êtes sa fille ?

Il regardait la jeune femme avec une sorte de déférence étrange comme si, le fait que l’un de ses clients eût une fille de cet âge et cette apparence constituait une bizarrerie absolue.

Elle répondit aussitôt :

— Oui, je suis sa fille. Vous l’avez vu, ces derniers jours ?

L’homme prit une autre tasse et se mit à l’essuyer avec encore plus d’application que la précédente.

— Cette semaine, voyons voir, murmura-t-il comme s’il se parlait à lui-même. Non, dit-il enfin au bout d’un moment, comme à regret.

Il se tourna vers la salle et héla un consommateur :

« Bébert, tu l’connais pas, toi Paulo ? » L’interpellé lui ayant fait l’aumône d’une moue négative, il revint vers Virginie et tenta maladroitement d’expliquer :

— Vous comprenez, les clients de l’après-midi… La jeune femme se permit d’insister :

— Il vient plutôt le matin prendre un café, c’est ça ?

— Oui, le café et aussi les courses…

— Les courses ?

— Oui, enfin les chevaux, le tiercé, le quinté, vous voyez…

— Vous l’avez vu quand pour la dernière fois ?

— La dernière fois ?

L’homme sembla se perdre dans une réflexion profonde. Il avait posé la tasse qu’il essuyait et appuyait de tout son poids ses deux bras velus contre son comptoir. Il leva les yeux au ciel en grimaçant à plusieurs reprises et finalement déclara :

— Ça fait une bonne semaine. Il compléta en disant : j’m’en souviens bien parce que c’était le début des vacances scolaires.

Virginie le remercia et pivota en direction de Jean-Jacques. Elle ne dit rien mais le regard sans équivoque qu’elle lui adressa était suffisant. Leur visite au bistrot n’avait été d’aucune utilité et il n’y avait aucune raison de la prolonger.

Ayant capté dans les yeux de Jean-Jacques que ce dernier était de son avis, elle salua le barman et prenait déjà la direction de la sortie quand il demanda :

— Vous ne prendrez rien ?

Elle ne prit pas la peine de consulter son accompagnateur et répliqua sèchement !

— Non merci. Ça ira comme ça.

Jean-Jacques se souvint que la jeune femme ne souhaitait pas abandonner sa fille très longtemps et il ne chercha pas à la contrarier. Ils gagnèrent rapidement l’extérieur et s’approchèrent de la voiture. Virginie ouvrit la portière côté conducteur et demanda :

— Je vous reconduis devant chez mon père ?

— Si vous pouvez me laisser au niveau de l’Office du Tourisme, ce sera parfait. Un peu de marche me fera du bien. Il faut profiter du beau temps quand il y en a. Il s’installa sur le siège passager et referma la portière. Il sembla hésiter et demanda : Vous êtes au courant des recherches que faisait votre père ?

Elle lui jeta un regard curieux :

— Les recherches que faisait mon père ? De quoi parlez-vous ?

— Vous savez qu’il s’intéressait aux Templiers. C’est d’ailleurs comme ça que nous avons fait connaissance. Il dit dans sa lettre qu’il venait de faire des découvertes intéressantes.

Elle secoua la tête en signe de dénégation :

— C’est peut-être un sujet auquel il s’intéressait, je ne sais pas, mais de là à parler de recherches, je crois que c’est un peu exagéré. Elle regarda ostensiblement sa montre : Pardonnez-moi, dit-elle, mais je dois y aller.

— Oui, votre fille… je comprends.

Elle tourna la clé dans le contact et fit vrombir son moteur. Elle opéra une habile marche arrière et embraya en douceur. Jean-Jacques regarda la route devant lui. Une foule de questions se bousculaient dans sa tête.

« Je ne sais même pas ce qu’elle fait dans la vie, ni même où elle habite » songea-t-il.

Il n’eut pas vraiment le temps de prolonger ses interrogations. Déjà elle faisait halte pour le laisser descendre. Il sortit rapidement de la voiture.

— Vous me tenez au courant, dit-il.

— Sans faute, c’est juré.

Il suivit des yeux la voiture jusqu’à ce qu’elle ait disparu au bout de la rue. Elle avait pris en direction du port.

Jean-Jacques se retrouva seul au beau milieu du trottoir. Tous ces événements précipités le laissaient perplexe. L’apparition brutale dans sa vie du dénommé Paul Galaire qu’il connaissait à peine et de sa fille Virginie avait un parfum étrange, comme un avant-goût d’aventure romanesque. Le charme abrupt de la jeune femme n’y était certainement pas pour rien.

Jean-Jacques s’ébroua mentalement pour reprendre contact avec la réalité. Malgré ses efforts, il restait intrigué par ce qu’il venait de vivre. Il rejoignit son véhicule et, comme s’il avait du mal à quitter Trébeurden, décida de faire une petite virée jusqu’au port.

Il prit par la rue de Trozoul, descendit jusqu’au niveau de la mer, longea les navires amarrés en rangs d’oignons et se gara, en face de la capitainerie, sur le parking dominant la plage de Tresmeur.

Il partit à pied et laissa sur sa gauche la Potinière, cette grande bâtisse en totale décrépitude depuis des années. Cet ancien bar-restaurant, abandonné depuis presque vingt ans, constitue une véritable verrue près du port. Depuis des années, les municipalités successives s’opposent aux propriétaires pour trouver un dénouement à ce dossier et parvenir à un projet qui débarrasserait la commune de cet îlot de crispation.

Jean-Jacques descendit les quelques marches donnant accès à la plage.

Il n’avait aucune idée particulière en tête, seulement envie de marcher, de respirer l’air marin, de laisser son esprit vagabonder. Il connaissait bien cette balade pour l’avoir faite très souvent. Il longea la plage jusqu’à son extrémité et envisagea un court instant d’escalader la colline pour grimper jusqu’à la pointe de Bihit. Une pensée subite lui traversa l’esprit et le fit renoncer à ce projet. Il fit volte-face et gagna la rue de Traoumeur.

Envie de fureter, besoin d’agir, il avait décidé de patrouiller dans les rues dominant la plage avec l’espoir, à peine formulé, de tomber “par hasard” sur la voiture de Virginie Gimet.

Pourquoi pas, après tout, la jeune femme n’avait-elle pas pris la direction du port quand elle l’avait quitté ?

Il marcha pendant deux bonnes heures, arpenta de long en large la corniche de Pors Mabo, parcourut divers chemins, s’égara dans quelques impasses et se retrouva au bout du compte presque au centre de Trébeurden.

Il avait fait chou blanc, mais cette longue marche l’avait distrait et avait agi comme une diversion dans son esprit.

La température avait fraîchi, il retrouva sa voiture avec un plaisir certain et regagna ses pénates à Trégastel.

Il alluma un feu dans la cheminée et s’installa confortablement dans son fauteuil préféré. Il ne put s’empêcher de repenser à la mystérieuse disparition de Paul Galaire et se perdit en conjectures en essayant d’anticiper les suites éventuelles de cette affaire.

Simple malentendu entre un père et sa fille, réel fait divers inquiétant ?