Remous à Pleumeur-Bodou - Bernard Enjolras - E-Book

Remous à Pleumeur-Bodou E-Book

Bernard Enjolras

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Beschreibung

Joël, dont le couple bat de l’aile depuis plusieurs semaines, trompe dans un moment d’égarement, son épouse avec la sulfureuse Nikki. Cette femme, à la beauté irrésistible, est retrouvée sauvagement assassinée, peu de temps après leur étreinte passionnée.

Joël devient aussitôt le suspect numéro un du commandant Forisse, ainsi que Claire, son épouse, aperçue sur les lieux la nuit du drame, et qui s’évanouit mystérieusement dans la nature.

Prisonnier d’un faisceau de preuves accablantes, Joël parviendra-t-il, malgré les obstacles qui s’amoncellent sur son chemin, à faire toute la lumière sur cette affaire infernale ?


À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Enjolras est né en 1952 à Lyon. Après une carrière professionnelle effectuée à France Télécom, il vit aujourd'hui à Trégastel au cœur même de la côte de Granit Rose. C'est ce cadre magique qui sert de décor aux premières enquêtes de son personnage fétiche : Bernie Andrew.

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Couverture

Page de titre

Aux “innocents” de la ferme.

REMERCIEMENTS

À Roger Le Doaré,

À toute l’équipe des Éditions Alain Bargain.

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

I

La nuit n’a pas encore cédé sa place au jour. Elle est grise, froide et saturée d’humidité après toute cette pluie qui est tombée sans discontinuer depuis la veille. La maison des Falleraux est semblable à un havre de chaleur et de lumière au beau milieu des arbres transis et de la verdure qui ploie sous une trop lourde charge d’eau.

La famille vient d’emménager dans cette nouvelle demeure où elle n’a pas encore pris ses marques. Il leur faudra à tous un peu de temps pour s’habituer à ce nouveau lieu de vie, très moderne, aux grandes pièces immaculées, dotées de larges baies. Mais ni l’heure ni la météo ne sont propices à l’appropriation de ce nouvel environnement. Les enfants doivent aller à l’école, les parents au travail, et les minutes sont comptées.

— Garance, dépêche-toi de déjeuner, on va encore partir à la bourre, s’énerve Claire, la maman.

La fillette jette un rapide coup d’œil à l’horloge de la cuisine.

— Mais, maman, il n’est même pas 7 h 20. On a le temps.

La mère ne répond rien et se tourne vers l’escalier qui dessert l’étage. Elle crie :

— Maxime, tu as vu l’heure ?

Le grognement d’une voix qui n’a pas tout à fait terminé sa mue se fait entendre.

— J’arrive.

Pendant ce temps, Joël, le nez baissé sur sa tasse de café, reste silencieux, comme s’il n’était pas tout à fait à sa place au sein de sa propre famille. Du coin de l’œil, il observe sa femme, qui se comporte comme si de rien n’était, mais il n’est pas dupe. Ce matin encore, elle évite de le regarder franchement dans les yeux et il ne comprend pas pourquoi. Cela dure depuis plusieurs semaines et même si leur vie continue apparemment comme avant, il se rend bien compte que quelque chose la tracasse. Est-ce qu’elle ne digère finalement pas d’avoir quitté la région parisienne ? Elle est pourtant bretonne de naissance mais il est clair qu’elle ne se plaît pas ici. Elle s’était fortement opposée à cette mutation à Lannion et avait accepté à contrecœur, uniquement parce que la carrière professionnelle de son mari était en jeu.

Sa fille le sort brutalement de sa rêverie.

— Papa ?

— Oui, ma chérie ?

— Papa, dis, tu viendras bien à mon audition ce soir ?

Il lui faut un peu de temps pour réagir. Bien sûr, l’audition ! Cela fait longtemps qu’elle en parle et qu’elle répète avec assiduité le morceau qu’elle doit jouer et que toute la famille connaît désormais par cœur. Il avait complètement oublié.

— C’est à quelle heure, déjà ?

La fillette fait la moue.

— Mais, papa, ça fait au moins dix fois que je te le dis. C’est à cinq heures et demie.

Il fait mine de se souvenir.

— Mais oui, bien sûr. À l’école de musique… J’essaierai d’être à l’heure.

— Papa, quand même… Pour une fois, tu peux bien faire un effort.

Joël se fait gronder par sa fille mais il comprend son mécontentement. Il jette un regard en biais à sa femme, qui n’a pas réagi, comme si l’échange qui vient de se dérouler ne la concernait pas. Il sait pourtant que, pour Claire, l’éducation musicale de sa fille est une chose importante. C’est bien la preuve que quelque chose ne tourne pas rond. Il a essayé d’en parler avec elle mais elle a prétexté mille raisons pour éviter la discussion.

Il faudra qu’il tente de nouveau sa chance. La période des vacances qui commence ce soir même lui permettra peut-être de faire une nouvelle tentative.

Une cavalcade dans l’escalier !

C’est Maxime qui dévale les marches, les cheveux en bataille, le sac à moitié ouvert sur l’épaule. Le grand échalas, trop vite grandi, pénètre dans la cuisine comme une furie, s’empare d’un croissant posé dans la corbeille à pain, traverse la salle en courant et se précipite sur la porte d’entrée.

Sa mère l’interpelle :

— Mais, Maxime, tu ne déjeunes pas ?

Il ne se retourne même pas.

— Pas le temps. Suis en retard.

La porte d’entrée claque brutalement et, quelques secondes plus tard, le bruit de crécelle irritante de la moto qui s’éloigne informe toute la famille que le jeune homme est déjà parti.

Garance jette à ses parents un regard ébahi. Elle ne comprend pas qu’ils n’aient pas de réaction face à la conduite de son frère qui, du haut de ses onze ans, lui paraît inadmissible.

Claire ne donne pas d’explication mais somme une nouvelle fois sa fille de se secouer. Pour ne pas donner l’impression d’être plus dure avec la cadette qu’avec l’aîné, elle s’efforce d’être gentille.

— Allez, ma puce, on y va.

Garance hoche la tête et vide d’un trait son bol de chocolat. Elle s’essuie soigneusement les lèvres, se lève et s’approche de son père pour l’embrasser.

— Tu seras bien là ce soir, hein, papa ?

Joël lui rend son baiser.

— Mais oui, ma chérie, je serai là.

Claire se lève à son tour, se dirige vers le hall, prend son manteau dans la penderie, l’enfile, saisit son sac à main posé sur la console et se tourne vers son mari.

— Bon, on y va. À ce soir, on se retrouve à l’école de musique.

Au moins elle l’a regardé.

Il reste seul à la maison et entreprend de débarrasser la table du petit déjeuner.

À 17 h 20, Joël s’engage sur le parking des Ursulines. Il a quitté une réunion importante en cours pour ne pas être en retard et respecter son engagement auprès de sa fille. Il ferme sa voiture et se hâte vers l’école de musique.

Tout est devenu plus compliqué depuis qu’ils ont quitté Lannion pour Pleumeur-Bodou et il a parfois l’impression que Claire et lui passent une partie de leur temps à être les chauffeurs de leur fille.

Une certaine tension nerveuse est perceptible dès l’entrée dans le bâtiment. Les enfants sont excités à la perspective de se produire en public. Quelques adultes finissent d’installer les chaises dans la salle où ils vont jouer.

Joël repère son épouse au fond de la pièce et se dirige vers elle. Elle est engagée dans une discussion très animée avec une autre femme. C’est Nikki et Joël l’a déjà vue à plusieurs reprises. C’est le genre de femme qui ne passe pas inaperçue, blonde aux grands yeux bleus, sexy et provocante qui sait l’effet qu’elle produit sur les hommes et n’hésite pas à en jouer pour parvenir à ses fins. Elle porte une minijupe certainement trop courte pour une femme ayant dépassé la quarantaine et un chemisier un peu trop ajusté. Mais elle a de si belles jambes, fuselées et gainées de noir, ainsi qu’une poitrine tellement conquérante qu’on lui pardonne volontiers ses excès de confiance en ses charmes.

Joël est persuadé, même si Claire prétend le contraire, que les deux femmes se connaissaient déjà avant leur arrivée à Lannion et l’inscription de leur fille à l’école de musique.

Elle lui assure qu’il se fait des idées mais plusieurs indices dans leurs comportements respectifs lui font penser cela. Il s’approche d’elles.

Son épouse semble très tendue, elle n’a pas l’air décidée à faire les présentations. Il s’en charge lui-même :

— Joël, s’annonce-t-il, je suis le mari de Claire.

— Nikki, répond la blonde. Enchantée.

— Nikki est bénévole à l’école de musique, précise Claire, qui ne semble pas ravie de voir une conversation commencer.

Joël s’incline légèrement devant l’amie de sa femme.

— On a dû se voir une fois ou deux, répond-il prudemment. L’audition s’annonce bien, on dirait.

— Ça devrait bien se passer. Les enfants sont excités et c’est normal. Vous resterez avec nous pour ranger les chaises quand tout sera fini ? On a prévu un pot pour marquer le début des vacances.

Joël est surpris par cette demande et se tourne vers sa femme.

Il balbutie.

— C’est-à-dire… Claire doit conduire les enfants chez leurs grands-parents à Guingamp pour les vacances et je ne sais pas si…

Claire réagit :

— Mais tu pourras donner un coup de main même si je ne suis pas là. Il y aura seulement quelques chaises à ranger.

— Et un petit coup à boire, ajoute Nikki en plongeant ses yeux dans ceux de Joël.

Joël, gêné, ne soutient pas ce regard ardent mais il n’est pas insensible au message sans équivoque qu’il contient. Ses problèmes de couple le submergent soudain et les promesses informulées qu’il a cru capter lui titillent malgré lui les sens.

Il est heureusement dispensé de réponse car l’audition commence et l’un des professeurs de musique, le professeur de violon de Garance, demande aux présents de prendre place.

Joël et Claire s’installent côte à côte et Maxime, que Joël n’avait pas aperçu, vient s’asseoir près d’eux. Nikki les quitte et va rejoindre d’autres personnes.

Un premier élève se présente devant le public. Son trac est évident mais la pianiste qui va l’accompagner commence à jouer et il n’a pas le choix. Appliqué et attentif à la mesure, il ne rate pas son entrée et réussit à interpréter sa partition sans faire de grosse faute.

Les spectateurs applaudissent, Joël regarde sa femme qui, pour une fois, ne détourne pas la tête. Elle lui accorde même l’ébauche d’un sourire. Il ressent, l’espace d’un court instant, le sentiment qu’ils sont de nouveau une famille, comme avant. Peut-être anticipe-t-elle le stress qui bientôt étreindra sa fille ? Peut-être a-t-elle, à ce moment, besoin de sentir que son mari est avec elle ?

Les élèves se succèdent et, plus le temps passe, plus la pression monte pour les deux parents de Garance. La séance dure et son tour ne vient toujours pas. Ils l’observent, angoissés, assise là-bas, apeurée aux côtés des autres élèves. Ceux qui ont déjà passé l’épreuve et franchi l’obstacle affichent un air décontracté. Ceux qui attendent encore se recroquevillent sur eux-mêmes comme de misérables oisillons n’osant sortir du nid.

Finalement, le tour de Garance arrive.

Elle avance, intimidée, son violon à la main. Claire et Joël sont certainement plus anxieux que la fillette mais ils sont aussi très fiers d’elle. Elle a beaucoup changé depuis son entrée en sixième. La petite fille qu’elle était il y a peu laisse désormais la place à une préado prometteuse. Grande, fine, élancée, avec ses beaux yeux clairs et ses longs cheveux qui encadrent ses traits harmonieux, elle ressemble de plus en plus à sa mère. Elle cale son instrument sous son menton et cherche la pianiste du regard. Deux hochements de tête pour donner le tempo, trois, quatre, et l’archet attaque les cordes. Le geste est un peu hésitant mais une belle sonorité s’échappe du violon. Les parents connaissent le morceau par cœur à force de l’avoir entendu. Ils égrènent la mélodie note après note, presque surpris de l’attitude de leur fille qui semble de plus en plus assurée. Elle achève son morceau, consciente de sa belle interprétation. Son regard est devenu conquérant et elle cherche dans le public l’approbation de ses parents.

Ils applaudissent, fiers de leur fille et heureux qu’elle ait surmonté brillamment cette difficulté. Même Maxime, habituellement si blasé, semble ému par la prestation de sa sœur.

L’audition est terminée et les participants se lèvent. Les parents retrouvent leurs enfants et les félicitent pour leurs prestations plus ou moins bien réussies. Certains quittent déjà la salle sans s’inquiéter d’apporter le moindre secours aux organisateurs pour ranger les chaises.

Claire fait de même. Elle a promis à ses parents de ne pas arriver trop tard à Guingamp. Il est prévu qu’elle-même y passe au moins une nuit et peut-être deux.

— Les enfants, vous êtes prêts ?

Ils sont prêts et elle se tourne vers son mari.

— Bon, on va partir, dit-elle. Je t’appelle dès que nous sommes arrivés.

Joël embrasse ses enfants mais sa femme est déjà loin de lui et il ne peut la toucher. Son attitude lui serre le cœur mais il ne manifeste rien. Cela fait plusieurs semaines qu’elle se comporte comme cela.

Dépité, il se morfond quelques secondes et se dirige vers les courageux qui ont commencé à plier les chaises et à les aligner soigneusement contre le mur au fond de la pièce. Tandis qu’il s’active et plaisante avec les autres volontaires, il voit Nikki et une autre femme qui préparent le pot de début de vacances auquel il a été convié.

Toutes les chaises ont été rangées. L’opération n’a finalement duré qu’un gros quart d’heure et il ne reste plus grand monde dans la salle. La plupart des parents ont préféré rentrer chez eux avec leurs enfants plutôt que de rester à trimer en échange d’un petit coup à boire.

Une forme de solidarité s’est facilement créée entre les travailleurs et ils s’approchent en plaisantant de la table où s’alignent quelques malheureuses bouteilles de cidre et de vin blanc.

Nikki fait office de serveuse et elle semble très à l’aise dans son rôle d’accorte hôtesse. Son décolleté dévoile une poitrine prometteuse, ses jambes sont plus longues que jamais, largement dévoilées sous sa minijupe en cuir noir, généreusement offertes aux regards.

— Cidre, vin blanc, nature ou kir ?

Joël opte pour un verre de vin blanc. Il prend aussi une petite poignée de cacahuètes et quelques biscuits salés. Il sait qu’il ne tient pas très bien l’alcool et s’efforce de ne pas boire sans rien manger.

Les gens sont sympas, l’ambiance est chaleureuse, il accepte un autre verre. Le temps passe agréablement, les rires fusent, le volume sonore des conversations augmente. Joël se sent bien dans cette compagnie. Il regarde sa montre. Claire et les enfants sont peut-être déjà à destination. Elle a promis qu’elle appellerait dès qu’elle serait chez ses parents, mais le fera-t-elle ? Il n’en est pas sûr.

Mais si, le téléphone sonne. C’est bien son prénom qui s’affiche sur l’écran de son portable. Il s’écarte et décroche.

— Allô, Claire ?

— Oui, c’est moi. Nous sommes arrivés.

— Tout s’est bien passé ?

— Aucun problème. Bon, allez, je te dis au revoir. À plus tard.

— À plus tard, tu embrasses les enfants, dit-il et il raccroche, déçu.

Aucune marque de tendresse, aucune chaleur dans la voix. Elle ne lui a même pas demandé où il était.

Il rejoint les quelques personnes encore présentes et on lui sert un nouveau verre. Il sait qu’il a déjà trop bu mais il l’accepte.

Une voix dans son dos l’interpelle.

— Joël ?

Il se retourne, c’est Nikki. Il est surpris qu’elle connaisse son prénom.

— Oui, Nikki ? répond-il en insistant volontairement sur le « Nikki ».

— Joël, est-ce que vous êtes bricoleur ?

Il se considère comme assez habile en la matière.

— Je me débrouille.

— Est-ce que je peux vous demander un service ?

Elle le dévore des yeux.

— Je vous en prie.

— J’ai un problème avec une étagère chez moi. Je me demandais si vous auriez pu m’aider à la remettre en place.

— Oui, bien sûr. Vous pouvez compter sur moi quand vous voudrez.

— Eh bien, pourquoi pas maintenant ? On y va tout de suite si vous êtes disponible.

II

C’est un petit quartier de maisons situé à quelques minutes à peine en voiture de l’école de musique. Tout y a l’air paisible ; de rares réverbères chétifs peinent à éclairer les quelques rues qui le composent. Nikki gare son véhicule dans la courte allée qui dessert son garage et Joël, qui ne peut s’engager à sa suite en raison de la petitesse de l’endroit, se range devant chez elle, à moitié sur le trottoir, à moitié sur la chaussée.

Il a un peu trop bu et en a pleinement conscience. Ce qui lui arrive ce soir est comme une aventure inattendue dans sa vie trop bien réglée. Il coupe son moteur et prend son temps avant de sortir. Il retrouve la nuit, inhale profondément l’air frais du soir pour évacuer ces vapeurs d’alcool auxquelles il n’est pas habitué. Il se dirige vers la maison et son chemin croise celui d’un homme qui promène son chien. Poli, il le salue, l’autre le dévisage avec intérêt mais Joël n’y prête aucune attention, ses pensées sont ailleurs. La porte de la maison est ouverte et une lumière éclaire le hall d’entrée.

— Entrez, Joël, lui dit Nikki.

Elle vient d’enlever son vêtement, qu’elle est en train d’accrocher à une patère. Il obéit, un peu troublé, de se retrouver seul à seul avec une femme aussi “vénéneusement” attirante.

— Vous êtes sûre que je ne vais pas déranger ?

— Mais pas du tout. Vous ne pouvez déranger personne, il n’y a que moi… et vous, bien évidemment.

Elle ouvre une porte au bout du couloir, fait jouer les interrupteurs et le précède dans la pièce.

— Installez-vous, servez-vous à boire, je reviens tout de suite.

Il se retrouve seul dans un coquet petit salon, meublé avec soin d’un élégant canapé en cuir mauve faisant face à un grand écran plat. Des sanguines de femmes nues décorent les murs ; un joli bouquet de fleurs posé sur une commode apporte une note de fraîcheur et de couleur.

Joël s’assied et inspecte les bouteilles sous le plateau de la table basse. Nikki l’a invité à se servir mais il préfère attendre son retour, qui ne tarde pas.

Elle s’est changée et porte maintenant une minijupe encore plus courte que la précédente. Son chemisier est plus ouvert et ses seins fermes, débarrassés de leur soutien-gorge, semblent vouloir vivre librement leur vie sous le tissu tendu.

Elle s’accroupit devant les bouteilles, révélant des cuisses bronzées, hypnotiques, dont le regard de Joël ne peut s’échapper. Ses seins désirables sont à portée de main. Il est mal à l’aise.

— Un whisky, Joël ?

Sa glotte fait le yo-yo dans sa gorge, il parvient à balbutier un « volontiers » à peine audible. Elle le sert, le sourire aux lèvres, se prépare un verre pour elle et se glisse à ses côtés sur le canapé. Elle ramène ses talons sous ses fesses, relevant du fait sa jupe, qui n’est plus qu’un simple ruban couvrant à peine son entrejambe.

Joël essaie de dominer le trouble qui s’est emparé de lui et s’efforce de trouver un sujet de conversation. La maison lui semble un thème approprié.

— Vous habitez là depuis longtemps ?

— Depuis que mon mari m’a quittée, ça fait très longtemps.

Elle soupire et lui jette le regard langoureux d’une femme abandonnée qui cherche une épaule réconfortante.

— Si cela vous intéresse, je vous ferai visiter.

Il ne répond pas à la question et demande :

— Et vous avez des problèmes avec une étagère ?

Elle boit une gorgée et se met à rire. Il comprend qu’elle se moque de lui et cherche vainement comment réagir pour paraître moins bête. Elle ne lui en laisse pas le temps.

— Finissez votre verre et je vais vous montrer, si vous voulez bien me suivre.

Elle déploie ses jambes, se lève, se penche vers lui comme pour lui faire admirer ses seins et lui prend la main comme s’il avait besoin d’aide pour se mettre debout. Il engloutit rapidement son verre et se lève à son tour. Il la suit dans un petit couloir, fasciné par ses fesses sublimes. Elle ouvre la porte de ce qui ne peut être qu’une chambre et s’engage dans la pièce, déjà faiblement éclairée par une petite lampe posée sur une table de chevet. Joël pénètre dans un cocon douillet où tout est rose. Une enivrante odeur capiteuse lui fait quasiment tourner la tête. Il sent le piège se refermer sur lui et n’est plus en état de décider qui de ses sens ou de sa raison va l’emporter.

Plus pour la forme qu’autre chose, il demande :

— Alors, cette étagère ?

— L’étagère ?

— Oui…

Son corps est à deux centimètres du sien, sa voix est devenue rauque. Elle se colle à lui maintenant et ses seins viennent caresser sa poitrine. Elle relève la tête et ses lèvres humides se retrouvent à portée de baiser des siennes. Elle murmure :

— L’étagère…

Et sa bouche se rapproche encore plus près. Elle a les yeux fermés, la bouche entrouverte. Elle s’offre à lui sans retenue et ils échangent un long baiser passionné. Joël sent le corps de cette femme se tortiller contre le sien, et ses mains fébriles partent à la découverte de ses formes prometteuses, de ses jambes gainées de nylon qui l’excitent, de sa poitrine en liberté… Il veut tout toucher, tout caresser, tout posséder. Il tremble d’excitation et déboutonne les quelques boutons non encore défaits du corsage de sa partenaire. Il plonge la tête entre ses seins qui le narguent et se met à les embrasser comme un forcené. Le corps de Nikki se tord sous l’assaut, elle gémit de plaisir et l’attire sur le lit, bloquant sa tête contre sa poitrine.

— Oui, grogne-t-elle. Oui, encore…

Joël perd complètement la raison, toutes ses digues viennent de céder les unes après les autres. Une fougue impétueuse submerge les deux amants, qui s’arrachent leurs vêtements respectifs. Joël, au bord de la rupture, veut se jeter sur elle et assouvir son désir sans plus attendre.

Elle le repousse.

— Attends un peu, lui dit-elle. Nous avons tout le temps.

Elle l’embrasse encore sur la bouche, le fait basculer sur le dos et se retrouve au-dessus de lui. Elle le domine maintenant totalement et ses longs cheveux blonds caressent doucement sa peau. Ses baisers brûlants glissent de sa bouche à son cou et commencent à cheminer lentement le long de son torse. Joël, au comble de la félicité, a décidé de se laisser faire. Il est comme un sex-toy entre les mains de cette femme experte et s’en remet à elle. Il sent confusément que la mante religieuse va le dévorer mais il est si bien qu’il n’en a cure. Elle a pris le pouvoir sur lui, il s’est livré à elle et s’abandonne à ses exigences sexuelles.

Quand, un peu plus tard, les corps sont comblés et les organismes repus, Joël, allongé sur le dos, garde le silence. À ses côtés, Nikki est immobile. Joël se met sur le côté et pose délicatement sa main gauche sur le sein droit de sa partenaire. Il a encore envie de la toucher, de malaxer ses seins, de glisser sa main entre ses cuisses, de caresser ses jambes envoûtantes. Elle se laisse faire sans dire un mot comme si elle accordait une faveur à un petit garçon qui a été bien sage. Joël se fait plus pressant et embrasse la poitrine de sa maîtresse avec passion. Ses mains se font plus insistantes, ses attouchements se précisent… Elle ne le repousse pas, mais tourne ostensiblement la tête en direction du mur.

Joël comprend ce qui est en train de se passer mais il s’obstine. Il veut jouer encore avec ce corps sublime qui l’a fait vibrer. Après leur étreinte folle, Nikki ne peut lui refuser ce dernier plaisir. Effectivement, elle ne se dérobe pas, il peut encore profiter du velouté de sa peau, de la fermeté de ses seins, de la moiteur de son entrejambe mais, en tournant la tête, elle a fixé les limites.

La bouche de Joël se rapproche des seins épanouis, il les prend à pleine bouche comme un enfant avide de recevoir sa tétée.

Il déguste ce bonheur intense quand soudain une sonnerie retentit.

Patatras, le paradis s’évanouit devant lui. C’est le téléphone de Nikki qui, en sonnant, l’arrache aux félicités qu’il espérait.

Elle le repousse gentiment et s’empare du combiné posé sur la table de chevet.

— Oui ? interroge-t-elle.

Son interlocuteur ne dit qu’un mot et déjà elle se lève. Nue, elle quitte précipitamment la chambre et Joël se retrouve, nu lui aussi, lové sur cette couche encore imprégnée des parfums de l’amour.

Il s’étire, bien décidé à faire durer le plus longtemps possible ce bien-être lascif qu’il éprouve.

Mais déjà Nikki revient. Son visage arbore une expression inquiète.

— Joël, il faut que tu partes, tout de suite.

— Mais…

— Il n’y a pas de mais. Tu dois partir tout de suite.

Elle semble excédée et s’adresse à lui d’un ton sans réplique.

— Dépêche-toi, lui lance-t-elle. Je suis très pressée. Allez, lève-toi et pars très vite, s’il te plaît.

Déconcerté, il s’exécute de mauvaise grâce. Il avait naïvement pensé que la relation enflammée qu’ils venaient de vivre avait peut-être créé quelques sentiments amoureux entre eux. Mais ce n’est manifestement pas le cas.

Ou alors cela signifie que Nikki a de sérieux problèmes.

— Si tu as des soucis, je peux t’aider, propose-t-il.

Elle s’énerve.

— Joël, tu es bien gentil, mais je te demande de partir. Partir, mettre les bouts, tu comprends ?

Il est vexé, son orgueil de mâle en prend en coup, mais il hoche la tête. Il recherche ses vêtements éparpillés n’importe comment sur la moquette et se rhabille à la hâte.

Elle a revêtu une robe de chambre et l’attend déjà dans le hall. Elle ouvre la porte quand il arrive. Il passe devant elle et cherche son regard. Elle secoue négativement la tête.

— Excuse-moi, lui dit-elle. Je ne peux pas faire autrement.

Quelque chose se passe mais il ne sait pas quoi. Un autre homme, jaloux peut-être ? Brutalement retombé sur terre, il sort et se retrouve dans la nuit, sous un crachin perfide. Il remonte instinctivement le col de son veston et regagne sa voiture.

Ses phares trouent les ténèbres, il roule comme dans un état second, comme s’il ne parvenait plus à démêler le vrai du faux.

Tout ce qu’il vient de vivre s’est-il réellement passé ? Cette parenthèse érotique a-t-elle vraiment eu lieu ? L’odeur de Nikki imprègne encore sa peau, ce parfum capiteux mêlé aux senteurs de l’amour. Il ressent encore comme une réalité ses lèvres humides et chaudes embrasser sa bouche, caresser doucement sa poitrine, emprisonner son sexe…

Il conduit sans savoir où il va et ne comprend pas par quel miracle il se retrouve à Pleumeur-Bodou, devant sa maison, obscure et silencieuse.

Il rentre chez lui, claque la porte derrière lui et reprend peu à peu contact avec la réalité.

Pour la première fois de sa vie, il vient de tromper sa femme, tromper ses enfants et il ne ressent plus que de la honte. L’odeur de sa trahison, ce parfum d’amour, de sueur et de sperme, qui le faisait fantasmer quelques instants plus tôt, imprègne tout son être et le dégoûte soudain.

Il se précipite dans la salle de bains et laisse le jet brûlant de la douche inonder son corps. Il se savonne, se rince, recommence mais l’odeur est toujours là, entêtante, accusatrice.

Il se maudit d’avoir cédé à ses plus bas instincts ; il voudrait remonter le temps, faire que tout cela n’ait jamais existé. Comment pourra-t-il désormais regarder sa femme et ses enfants dans les yeux ? Il a honte de lui, il n’est qu’un misérable.

Il doit absolument purifier ses vêtements. Claire ne doit pas sentir, si elle revient demain, les senteurs animales d’une femelle en chaleur. Il se précipite dans la buanderie et enfourne tout ce qu’il portait dans le tambour du lave-linge, qu’il met en route.

Il se rend au salon et se sert un verre bien tassé. Il s’affale sur le canapé et étire au maximum son dos contre le dossier en soupirant.

Mais quel con il a été ! Quel abruti, quel idiot, quel imbécile !

S’il pouvait se gifler, il le ferait. Il vient de mettre en péril tout ce à quoi il tient le plus au monde. Une femme admirable, belle, racée, intelligente et deux enfants qui ne demandent qu’à grandir entourés de leurs deux parents.

Et tout ça pour quoi ?

Pour une partie de jambes en l’air avec une femme, séduisante en diable certes, mais bien incapable de rivaliser, sur quelque plan que ce soit, avec sa propre épouse.

Une pensée morbide lui traverse soudainement le crâne. Il essaie de se remémorer chacun de ses gestes. Non, ce n’est pas possible ! Il se rue vers le fauteuil sur lequel il a jeté son veston, dont il se met à fouiller frénétiquement les poches. Ses papiers de voiture sont bien là avec ses clés, son téléphone également mais… il manque quelque chose. Son inconscient l’a déjà prévenu. Il commence à paniquer et inspecte une nouvelle fois ses poches, mais non, il n’est pas là !

Son badge professionnel avec son nom et sa photo a disparu ! Il était accroché à la poche intérieure de son veston et l’attache a dû se décrocher quand il s’est débarrassé sans ménagement de son vêtement dans la chambre de Nikki.

Son cerveau mouline à toute vitesse. Si Claire revient demain, il n’aura aucun motif valable pour retourner le chercher chez Nikki.

Il regarde l’heure. Une heure du matin. Ce n’est pas trop tard, il la tirera du lit si besoin.

Il s’habille à la hâte, s’engouffre dans sa voiture et prend la direction de Lannion.

Il a décidé d’être discret cette fois. Il s’est souvenu de l’homme qui promenait son chien et se gare à bonne distance du petit quartier. Il se dirige à pied vers la demeure de Nikki. Une voiture est garée devant, à la place que lui-même occupait dans la soirée, et toutes les lumières sont allumées dans la maison. Elle a peut-être du monde et cela n’arrange pas ses affaires. Il essaie de se faire absorber par la haie d’un voisin et observe la scène. Le véhicule garé en face de l’allée du garage l’intrigue. On dirait la voiture de Claire. Même marque, même couleur. Quel est son numéro d’immatriculation déjà ?

On dirait bien que…

À ce moment, une forme humaine jaillit sur la route en provenance de l’habitation. Joël n’en croit pas ses yeux. C’est Claire, il n’y a pas de doute. Elle se précipite sur sa voiture, s’engouffre à l’intérieur, fait ronfler rageusement son moteur et démarre, telle une furie qui aurait le diable à ses trousses.

Joël est abasourdi. La voiture vient de passer devant lui. Sa femme ne l’a pas aperçu, caché dans la haie, mais lui n’a aucun doute. C’est bien elle qui conduisait.

Il n’a pas le temps de se remettre de ses émotions car soudain un homme, le visage ensanglanté, sort à son tour.

L’individu part en courant comme un dératé, sort du quartier et bientôt le bruit d’une voiture qui fait crisser ses pneus se fait entendre.

Un voisin, certainement intrigué par ce remue-ménage s’est approché pendant quelques instants, mais il est déjà rentré chez lui.

La voie est libre mais Joël ne sait plus que penser ni que faire. Il attend quelques secondes – aucun nouveau quidam ne se manifeste – et s’approche prudemment de la maison. La porte d’entrée est grande ouverte et aucun bruit n’émane de l’intérieur. Il avance à pas de loup et pénètre dans le petit hall.

Rien ne bouge, aucun son.

Il se déplace lentement en direction du salon et là, c’est l’horreur absolue.

La pièce est dévastée comme si une bataille rangée y avait eu lieu. La table basse est renversée, les bouteilles ouvertes ont coulé sur la moquette, la commode est à terre et, au-delà de l’indicible, le corps désarticulé de Nikki gît dans une mare de sang au pied du canapé.

Sa mort ne fait aucun doute.

Joël est saisi de panique, le souffle lui manque et de longues décharges électriques courent le long de sa colonne vertébrale.

Il devrait appeler la police, mais comment justifierait-il sa présence en ces lieux à cette heure ? Et que dire de sa femme qu’il a vue s’enfuir comme une criminelle ?

Il faut qu’il se calme, qu’il reprenne ses esprits. Il s’oblige à respirer lentement. Il doit décider de ce qu’il doit faire.

Pourquoi est-il là ? Pour récupérer son badge. Il court dans la chambre et se jette sur le sol en quête de ce petit morceau de plastique qui affiche, comme une accusation, son nom et son visage.

Il ne trouve rien et la sueur envahit son dos. La panique le reprend. Ce n’est pas possible ! C’est pourtant là qu’il s’était débarrassé de son veston. Il se rapproche du lit en rampant et l’aperçoit sous cette couche maudite. Il tend le bras, l’attrape, se relève vivement et le met en sécurité dans sa poche.

Il faut partir maintenant, comme un voleur. Cela est contraire à tous ses principes et à toutes ses valeurs, mais que faire ?

Révéler au grand jour qu’il a eu une relation avec la femme qui gît morte dans la pièce à côté ? Raconter qu’il a vu son épouse s’enfuir de cette maison en courant ?

Cela n’est pas possible !

Il faut quitter cet endroit le plus rapidement possible, dans la plus grande discrétion.

Il est sur le seuil de la porte et s’apprête à rejoindre la rue quand soudain il entend le bruit d’un moteur. Il s’accroupit, sans même y penser, dans un réflexe rapide. Les lueurs bleutées qu’il aperçoit ne laissent aucun doute sur l’identité de l’arrivant.

C’est un véhicule de police !

Joël se ratatine sur lui-même. Il est à peu près sûr que personne ne l’a encore vu, mais il ne peut quitter la maison sans être repéré. Il est coincé, il le sait.

Il est fait comme un rat.

III

La voiture s’arrête et le gyrophare sur son toit continue à tourner lentement, inlassablement, menaçant, comme si rien ne devait pouvoir l’arrêter.

Joël, accroupi, observe la scène à travers l’arbuste qui le dissimule aux regards de la rue. Il voit un homme qui sort de chez lui en courant et vient au-devant des policiers. Il montre du doigt la maison de Nikki. C’est vraisemblablement lui qui a donné l’alerte. Quels événements ont-ils justifié que le voisinage recoure aux forces de l’ordre ?

Il sera bien assez tôt de réfléchir à cela quand il aura trouvé le moyen de se sortir de ce mauvais pas dans lequel il s’est fourré.

Le passager de la voiture ouvre sa portière, sort et échange quelques mots avec l’individu qui a donné l’alerte. Il branle du chef en signe d’acquiescement et tourne la tête vers la maison.

Joël a l’impression que son regard va transpercer le maigre rideau de feuillage qui le protège et il se ramasse encore plus près du sol. Il n’ose même plus respirer alors que son cœur bat la chamade.

Le policier se penche et parle, à travers la fenêtre ouverte, à son collègue resté au volant. Joël profite de cet échange et se carapate vers l’arrière de la maison. Le jardin s’avère être un mouchoir de poche ceinturé par un grillage qui paraît assez fragile. Son plus grand avantage est que la lumière des réverbères ne l’atteint quasiment pas.

Joël repère un arbre dans l’angle le plus éloigné de la petite propriété. Il n’est pas très grand mais on ne le voit pas de la rue. Il s’approche et enserre le tronc dans ses deux mains pour en tester la solidité. Il pourrait faire l’affaire, mais il ne faut pas traîner car si les policiers décident de contourner la maison il ne pourra pas leur échapper.

Il lui semble entendre des voix et cela le décide. Il se hisse sur l’arbre tant bien que mal, sans penser aux dégâts que cela va causer à ses vêtements, s’agrippe à une branche, se rétablit comme il peut et parvient à trouver un équilibre précaire.

S’il se jette en avant dans le noir, il pourra peut-être franchir le grillage.

Mais sur quoi va-t-il tomber ? Un fil à linge, une brouette abandonnée, une allée en ciment ?

Il n’est plus temps de se poser la question car les voix se rapprochent. Il se replie sur lui-même pour que ses jambes fassent ressort et se propulse dans le vide d’une poussée vigoureuse.

Il a quasiment l’impression de voler au-dessus de la clôture mais sa reprise de contact avec le sol s’avère beaucoup plus rapide qu’escomptée et bien plus rugueuse. Il a le réflexe, pour amortir sa chute, d’oser un roulé-boulé hasardeux. À son grand soulagement, il atterrit sur ce qui se révèle être une pelouse et ne vient pas s’écraser sur une surface cimentée ou de vieux outils métalliques.

Aplati sur le sol, il réfrène tout mouvement, à l’affût du moindre bruit. L’obscurité l’enveloppe comme un linceul protecteur. Les gens chez qui il est tombé doivent dormir ou être absents de chez eux car aucune lumière ne filtre à travers les volets clos. Si les policiers ont fait le tour de la maison de Nikki, ils n’ont apparemment pas entendu sa chute car aucune réaction ne se produit.

Il se relève avec précaution et, penché en avant, s’éloigne sans bruit du grillage. Il progresse dans le noir jusqu’à l’angle de la maison où il sera à l’abri. Accroupi derrière le mur, il reprend son souffle et s’efforce de maîtriser ses émotions. Il fait le point sur sa situation. Il a quitté l’endroit le plus risqué mais il n’a en fait rien résolu.

S’il essaie de quitter, par l’entrée principale, ce jardinet dans lequel il a trouvé un refuge provisoire, il va nécessairement tomber sur le policier resté dans sa voiture et il aura fait tout cela pour rien. Au contraire, sa tentative de fuite l’incriminera encore plus que des aveux.

Il doit se débrouiller pour regagner la rue un peu plus loin que là où se trouve le véhicule de police. Il pourra ainsi regagner sa propre voiture et tenter de s’éclipser sans se faire remarquer. Il essaie de se remémorer la configuration du quartier. Il se souvient que, quelques dizaines de mètres plus avant, la chaussée se sépare en deux et dessine une espèce de patte-d’oie. S’il parvenait à sortir sur la branche gauche, il serait hors de vue du policier et il pourrait, moyennant un détour assez important, prendre la poudre d’escampette.

Pour cela, il doit encore traverser sans être vu les jardins de deux ou trois voisins. Quand il considère qu’il a correctement repris son souffle et recouvré suffisamment ses esprits, il se redresse prudemment sur ses jambes et s’enfonce devant lui dans le noir.

*

Forisse gare sa voiture derrière plusieurs véhicules de police dont les gyrophares tentent vainement de trouer la pénombre. Malgré l’heure et la fraîcheur de la nuit humide, quelques silhouettes fantomatiques errent dans le noir comme des âmes en peine, à l’affût d’on ne sait quel événement formidable qui pourrait survenir s’ils avaient la malchance de s’absenter juste à ce moment-là.

Forisse s’extirpe péniblement de son habitable. Tout l’alcool qu’il a ingéré pendant la soirée lui brouille les pensées et il a du mal à remettre ses idées en ordre.

On lui avait pourtant vendu ce remplacement à Lannion comme une véritable sinécure dans un petit endroit tranquille où il ne se passe jamais rien.

Il n’est pas dupe, il ne fait pas l’unanimité au SRPJ de Rennes, et la moindre occasion est bonne pour l’envoyer le plus loin possible emmerder d’autres personnes que ses collègues habituels.

L’air frais de la nuit lui met une bonne claque et l’aide à retrouver ses esprits. Il s’approche du policier manifestement de faction qui, ne le connaissant pas, hésite et bredouille :

— Monsieur…

— Commandant Forisse, grogne-t-il comme un chien qui croit qu’un intrus veut lui piquer sa gamelle. Je remplace le commissaire pendant quelques jours. On a dû vous en parler.

Il fait sa tête de bouledogue des mauvais jours et l’homme, qui effectivement a dû entendre parler de lui, blêmit sous la pâle lumière bleutée.

— Excusez-moi, Mon commandant, je ne vous avais pas reconnu.

Forisse darde sur son jeune collègue un regard noir destiné à l’écraser et à lui faire baisser la tête.

L’homme a compris à quel genre de type il a affaire et il ne cherche pas à soutenir son regard.

Forisse, dont le cerveau est encore embrumé par les vapeurs de l’alcool, se méprend sur cette attitude et la juge ironique. Il rugit :

— Alors, bordel, qu’est-ce qu’il se passe ici ? J’espère que le connard qui m’a téléphoné ne m’a pas fait sortir de chez moi pour rien. Sinon, ça va chier des bulles. Moi, je vous le dis.

— C’est un meurtre, Mon commandant. C’est un voisin qui nous a alertés.

Forisse regarde d’abord la maison qui lui est montrée du doigt puis opère un tour complet sur lui-même et désigne d’un geste celle où les lumières sont allumées.

— Et la maison de la victime, c’est là ?

— Oui, Mon commandant, les techniciens sont déjà arrivés et…

— Les techniciens ? gronde Forisse, qui cherche la bagarre.

Le jeune fonctionnaire bat en retraite.

— Oui, se défend-il, enfin ceux qu’on appelle maintenant les gestionnaires de scène d’infraction. Ils sont arrivés il y a un bon quart d’heure.

Forisse ne fait pas l’effort de lui répondre et lui présente délibérément son dos.

Il se laisse guider par la lumière jusqu’à la porte grande ouverte et avance d’un pas dans un minuscule vestibule gentiment décoré. Il sait qu’ici personne ne le connaît et, pour éviter tout nouveau besoin d’explications, a, en prévision, déjà sorti sa carte rayée bleu, blanc, rouge et la tend à bout de bras devant lui. Il appelle.

— Il y a quelqu’un ici ?

Un homme d’une trentaine d’années, grand, mince aux cheveux bruns très courts, s’approche et plisse les yeux dans une tentative louable pour déchiffrer le document brandi par l’inconnu.

Forisse ne lui en laisse pas le temps et grommelle :

— Commandant Forisse, je remplace votre commissaire. À qui ai-je l’honneur ?

— Lieutenant Garel, Mon commandant. C’est par là, si vous voulez bien me suivre.

Ils ne vont pas très loin car l’accès au salon est encore interdit par les techniciens qui examinent la scène.

— Alors, qu’est-ce qu’on a ? demande Forisse.

— C’est une femme qui a été assassinée. Vraisemblablement la propriétaire des lieux. Une dénommée Nicole Ricolay. Elle a été poignardée avec une arme qui n’a pas encore été retrouvée.

Forisse, qui a remarqué le désordre extrême de la pièce, demande :

— Une bagarre ?

— Il semblerait bien. Les voisins qui nous ont appelés ont été alertés par des bruits, des cris et des va-et-vient inhabituels. Un équipage s’est aussitôt déplacé. La porte d’entrée était ouverte, les lumières allumées et ils ont trouvé le corps.