Sale temps sur Penvénan - Bernard Enjolras - E-Book

Sale temps sur Penvénan E-Book

Bernard Enjolras

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Beschreibung

Une noyade accidentelle ?

Un inconnu a été retrouvé noyé dans un étang de Penvénan. Malgré l'enquête judiciaire qui a conclu à un décès accidentel, la rumeur prétend que le dossier a été bâclé et que les choses ne sont pas aussi limpides que l'on veut bien le dire. Bernie Andrew, auteur de romans policiers et détective amateur à ses heures, décide de mener sa propre enquête et, pour rester discret, prétend n'être qu'un simple romancier cherchant l'inspiration à partir d'un fait divers réel. Il découvre très rapidement plusieurs détails troublants et peut-être même un témoin du drame. Mais s'il s’agit d'une affaire criminelle, comme il le croit, la personne qui aurait assisté au meurtre court un grand danger et risque de devenir très vite une victime...

Retrouvez sans attendre Bernie Andrew dans le 5e volet de ses enquêtes saisissantes !

EXTRAIT

Il extirpa une enveloppe de sa poche. Il l’avait récupérée dans sa boîte aux lettres en sortant de chez lui. Il savait qui la lui avait adressée. L’image de son vieux complice s’imposa à lui.
« Sacré Jean-Jacques », songea-t-il, « tu as pitié de ton vieil ami en panne d’inspiration. »
L’enveloppe ne contenait aucune lettre, pas le moindre texte manuscrit. Seulement deux coupures de presse soigneusement découpées dans La Dépêche de l’Ouest.
La plus ancienne datait du 30 mars.
« Un noyé au Hameau de l’étang à Penvénan.
Le corps d’un homme a été repêché hier matin, mardi, dans le plan d’eau du Hameau de l’étang. L’individu, âgé vraisemblablement d’une soixantaine d’années, se serait noyé au cours de la nuit précédant cette macabre découverte. Un juge d’instruction a été désigné et l’enquête confiée à la gendarmerie de Tréguier.
»
Le second article avait été publié quelques jours plus tard.
« Le Noyé du Hameau de l’étang : une autopsie pratiquée.
L’individu retrouvé noyé dans le plan d’eau du Hameau de l’étang n’a pas été formellement identifié. S’appuyant sur les résultats d’une autopsie pratiquée à Brest, l’enquête judiciaire a conclu à un décès accidentel.
»

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton. – Ouest France

À PROPOS DE L’AUTEUR

Bernard Enjolras est né en 1952 à Lyon. Après une carrière professionnelle effectuée à France Télécom, il vit aujourd'hui à Trégastel au cœur même de la côte de Granit Rose. C'est ce cadre magique qui sert de décor aux premières enquêtes de son personnage fétiche : Bernie Andrew.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À mon frère Jean-Philippe.

REMERCIEMENTS

À Annie et Jean-Yves Le Fichous,À Michèle Jacques, Marc Reveillère, Yvon BossisetÀ toute l’équipe des Éditions Alain Bargain.

*Quartier inventé par l’auteur où résident les personnages principaux, fictifs également, de ce roman.

I

Il pleuvait…

Un genre de pluie, fine et glacée qui ne laissait augurer rien de bon pour le printemps qui venait tout juste de commencer.

Bernie Andrew, assis, les jambes croisées, contemplait douloureusement sa chaussure droite qui avait piteusement pris l’eau.

« Est-ce vraiment là que s’est réfugié mon moral aujourd’hui ? » s’interrogea-t-il. « Dans mes chaussettes ? »

L’univers entier lui en voulait ce matin, lui sapait le moral, à l’instar de ces vagues impétueuses qui finissent toujours, un jour ou l’autre, par venir à bout des falaises les plus imposantes. La crise financière, les dettes abyssales des états, les menaces sur l’euro, le chômage, les tensions internationales…

Il n’en pouvait plus de toutes ces nouvelles affligeantes, de ce monde en pleine déliquescence.

Tout n’était qu’agitation. La vie se déchaînait, cruelle, frénétique, impitoyable pour les inadaptés, handicapés du monde moderne, tel qu’il se jugeait aujourd’hui, incapables de suivre le rythme.

Il en était certain désormais. Il n’avait pas sa place parmi cette multitude, égaré au sein de cet univers dantesque.

Installé derrière une table de bistrot, personne ne semblait s’apercevoir de sa présence, comme si, d’un seul coup, il était devenu transparent.

Il affichait pourtant la belle prestance d’un homme assez grand, grisonnant, élégamment vêtu, à la fine moustache soigneusement taillée.

Le garçon de café qui, à plusieurs reprises avait traversé la terrasse, couverte et encore chauffée, en ce début du mois d’avril, l’ignorait superbement.

Dans la rue, les automobilistes n’attendaient même pas que le feu soit au vert pour s’engager rageusement dans le carrefour. En face, les escaliers du métro Convention rejetaient, autant qu’ils en absorbaient, des silhouettes pressées, à peine entrevues, penchées en avant, engoncées dans des imperméables gris, secouant sans ménagement des parapluies noirs dégoulinant des larmes du ciel.

Bernie se secoua.

— Garçon ! Un café, s’il vous plaît !

N’obtenant aucune réponse, il renouvela sa commande ; plusieurs fois.

Le serveur ayant finalement obtempéré à sa demande, l’écrivain se retrouva enfin avec un expresso fumant sous le nez.

Il extirpa une enveloppe de sa poche. Il l’avait récupérée dans sa boîte aux lettres en sortant de chez lui. Il savait qui la lui avait adressée. L’image de son vieux complice s’imposa à lui.

« Sacré Jean-Jacques », songea-t-il, « tu as pitié de ton vieil ami en panne d’inspiration. »

L’enveloppe ne contenait aucune lettre, pas le moindre texte manuscrit. Seulement deux coupures de presse soigneusement découpées dans La Dépêche de l’Ouest.

La plus ancienne datait du 30 mars.

« Un noyé au Hameau de l’étang à Penvénan.

Le corps d’un homme a été repêché hier matin, mardi, dans le plan d’eau du Hameau de l’étang. L’individu, âgé vraisemblablement d’une soixantaine d’années, se serait noyé au cours de la nuit précédant cette macabre découverte. Un juge d’instruction a été désigné et l’enquête confiée à la gendarmerie de Tréguier. »

Le second article avait été publié quelques jours plus tard.

« Le Noyé du Hameau de l’étang : une autopsie pratiquée.

L’individu retrouvé noyé dans le plan d’eau du Hameau de l’étang n’a pas été formellement identifié. S’appuyant sur les résultats d’une autopsie pratiquée à Brest, l’enquête judiciaire a conclu à un décès accidentel. »

Bernie secoua la tête en soupirant, déjà presque découragé. Il se fit violence malgré tout et se concentra sur les deux entrefilets qu’il relut attentivement à plusieurs reprises. Puis il posa les coupures de presse devant lui et s’adossa à son siège.

Des romans policiers, il en avait déjà écrit plusieurs. Certains avaient rencontré un réel succès, d’autres n’avaient pas trouvé grâce aux yeux des lecteurs. Aujourd’hui, il se trouvait, certes, en panne d’inspiration, mais le fait divers soumis par son ami avait-il la consistance nécessaire pour servir de point de départ à une intrigue policière ?

Rien n’était moins sûr !

Ses pensées s’envolèrent vers le professeur retraité installé depuis quelques années à Trégastel. Ils avaient là-bas, tous deux, à plusieurs occasions, pris part à des enquêtes policières passionnantes1 qui avaient défrayé la chronique de la paisible station balnéaire des Côtes-d’Armor, mais là…

Qu’y avait-il à retenir dans cette noyade apparemment très banale ?

Jean-Jacques avait peut-être une idée précise sur la question. Le mieux serait d’en discuter avec lui.

Mais rien ne pressait, il verrait ça dans un jour ou deux, ou pourquoi pas, la semaine prochaine.

Son café bu et payé, il sortit de l’établissement et s’engagea d’un pas qui se voulait gaillard dans la rue de Vaugirard, en direction de Montparnasse. Une bonne marche l’aiderait à reprendre ses esprits et lui ferait le plus grand bien.

La pluie fine et glacée dégringolait de plus belle, ruisselant du ciel bas, plombé de gris.

*

Le lendemain, la météo se montrait plus clémente. Bernie se sentit tout guilleret avec le printemps soudainement revenu. Il se surprit à siffloter une rengaine à la mode, que la radio passait en boucle depuis plusieurs semaines, érigeant un artiste éphémère en star internationale confirmée, dont la notoriété, on s’en doutait, ne survivrait pas à celle de sa chansonnette.

— Eh bien, mon vieux Bernie, s’écria-t-il, on dirait que ça va mieux qu’hier. Un petit rayon de soleil, et c’est reparti comme en 14 !

Il terminait son petit-déjeuner quand la sonnerie du téléphone l’arracha à sa philosophie de café du Commerce. Il n’était pas encore 9 heures.

Dérangé et surpris par un appel aussi matinal, il lui fallut un assez long moment pour réagir et décrocher d’assez mauvaise humeur.

— Allô ? grogna-t-il sans s’annoncer contrairement à son habitude.

— Bernie ?

— Qui est à l’appareil ?

— Bernie, c’est moi, Jean-Jacques, tu ne reconnais pas ma voix ?

Jean-Jacques, son vieux copain, le prof retraité. Son humeur chagrine s’évanouit instantanément.

— Jean-Jacques, mon vieil ami, quel bon vent t’amène ? Puis, se souvenant du courrier de la veille : C’est ton noyé de Penvénan ? s’empressa-t-il d’ajouter.

À l’autre bout du fil, un léger rire fusa.

— Ah, tu as reçu ma lettre. On a beau dire, mais le service public fonctionne encore bien dans ce pays. Tu te rends compte, je l’ai mise dans la boîte aux lettres avant-hier. Mais, bref, peu importe, là n’est pas la question. Qu’en as-tu pensé ?

L’écrivain hésita. Catégorique la veille, quant à la pertinence de cette information, il n’avait plus, ce matin, la même approche négative et défaitiste.

— Je ne sais pas trop, s’avança-t-il prudemment. Je présume que si tu m’as envoyé ces coupures de presse, c’est que tu avais de bonnes raisons. Elles contiennent certainement des indices cachés qu’il faut lire entre les lignes et que je n’ai pas découverts.

— Toujours tes déductions subtiles, hein ? Encore une fois, tu es dans le vrai car cette affaire n’est certainement pas aussi limpide qu’il y paraît. Voyons, comment vais-je te présenter ça ?

Bernie ne dit rien. Il attendait que Jean-Jacques organise ses idées. Au bout d’un court instant, l’ancien professeur reprit :

— En réalité, cette noyade prétendument accidentelle fait beaucoup jaser à Buguélès.

— Buguélès ? Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Eh bien, c’est l’endroit où l’affaire s’est passée, où le noyé a été découvert.

Bernie marqua son étonnement.

— Dans le journal, ils parlent de Penvénan…

— C’est vrai, mais Buguélès fait partie de la commune de Penvénan. Si jamais tu viens y faire un tour, tu verras. C’est un endroit superbe, situé sur une pointe entre deux anses magnifiques, les anses de Pellinec et de Gouermel. Il y a aussi, à proximité, Port-Blanc qui est la station balnéaire et le port de plaisance de Penvénan. Tu te souviens de La Clarté qui appartient en réalité à Perros-Guirec ? Eh bien là, c’est pareil… Mais tu as raison de soulever ce point car c’est un des éléments qui alimente la rumeur locale.

Bernie réagit aussitôt :

— La rumeur, rien que ça ! Mon vieux Jean-Jacques, je sens que tu vas commencer à m’intéresser. Vas-y, je t’écoute…

Prévoyant une conversation assez longue, il se carra dans le fauteuil faisant face à son bureau. Si jamais il ressentait le besoin de prendre des notes, il disposerait ainsi de tout le matériel nécessaire. Il se munit d’un stylo et commença à dessiner des formes approximatives sur le bloc de papier posé devant lui.

À plusieurs centaines de kilomètres de là, son interlocuteur enchaînait déjà :

— Au début, Bernie, tu sais ce que c’est, il y a eu des ragots dans les bistrots… enfin, les gens racontaient des choses, tu vois…

— À vrai dire non, je ne vois pas trop. Mon vieux Jean-Jacques, je pense que je comprendrais beaucoup mieux si tu commençais par le début : la découverte du noyé, où, par qui et cætera et cætera.

— Pardon, tu as raison. Il faut que je commence par te parler du Hameau de l’étang pour que tu situes bien l’affaire…

Tout ouïe, l’écrivain se lova confortablement dans son siège.

— Il existe à Buguélès un petit quartier privé, ou peu s’en faut, très haut de gamme, destiné à des gens plutôt fortunés. Dans les journaux, ils l’appellent le Hameau de l’étang, mais en fait, ici, les gens l’appellent de son nom breton : Ker Stank. Tout ça parce qu’il y a, sur le domaine sur lequel il est bâti, un étang entouré de deux ou trois vieilles pierres. Mais c’est uniquement décoratif, dans le seul but de donner un caractère “chicos” au coin. Tu mords le topo ?

Cette manière de s’exprimer, inhabituelle chez l’ancien agrégé de lettres, amusa Bernie.

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu te mets à parler comme un personnage de roman noir ! s’amusa-t-il. En tout cas, pour répondre à ta question, oui, je mords le topo.

— Bon, alors je continue. À la fin du mois dernier, une dame du Hameau a été intriguée par une masse sombre qui surnageait, à peine visible, à la surface de l’étang. Elle a appelé son mari et ils ont vite compris que la masse en question n’était autre qu’un corps humain, le fameux noyé de Penvénan comme il a été nommé dans la presse…

Bernie réagit très vite.

— Et bien sûr, cette dame et son mari ont alerté les gendarmes ?

— Eh bien non, justement. Ils n’ont pas appelé les gendarmes. Tu sais pourquoi ? Et, n’attendant pas de réponse à sa question, il poursuivit aussitôt : Je t’ai dit que c’était un quartier de rupins. Eh bien, figure-toi, que le plus proche voisin du couple n’est autre que le procureur de la République de Lannion2 en personne. Comme par hasard, il se trouvait chez lui ce matin-là et c’est à lui qu’ils se sont adressés.

Ravi d’avoir réussi à étonner son ami, l’ancien professeur reprit rapidement sa respiration et continua :

— Après tout, pourquoi pas ? Mais bref, le résultat de tout ça, c’est que le procureur a contacté lui-même un gendarme de ses relations, désigné un juge d’instruction un peu mollasson, et c’est certainement de là qu’est venue cette impression diffuse d’enquête aux ordres, bâclée, qui a commencé à alimenter la rumeur.

Là-dessus, il s’arrêta.

Pendant un bon moment, personne ne dit rien.

— Tu es toujours là, Bernie ? Alors, qu’en penses-tu ?

L’écrivain avait griffonné rapidement sur son bloc-notes, pendant que Jean-Jacques terminait son exposé.

Il finit d’écrire quelques mots et se redressa sur son siège.

— J’ai une ou deux questions, dit-il enfin.

— Je t’écoute…

— Tu as parlé de juge d’instruction un peu mollasson. Sur quoi te bases-tu pour dire cela ?

Jean-Jacques n’hésita pas une seconde :

— C’est la réputation de ce magistrat. Elle s’est répandue depuis longtemps bien au-delà de l’enceinte du Palais de Justice…

— Et l’enquête aux ordres ?

— Je vais te citer notre ami Victor3 : « Un OPJ4, il chie dans son froc en face d’un procureur. » La rumeur dit que le procureur a fait appel à un gradé qui lui mange dans la main.

Nouveau silence, interrompu bientôt par Bernie :

— Et l’enquête bâclée ?

— Les gendarmes ne sont venus qu’une fois et, manifestement, ils ne se sont pas foulés pour l’enquête de voisinage. Quant au juge d’instruction, il ne s’est même pas déplacé sur le terrain.

— Il y a pourtant eu une autopsie ?

— Certes, mais une fois que le doute s’est insinué quelque part, on a beau dire, beau faire, plus personne ne croit que cette noyade a eu toute l’attention qu’elle méritait.

Jean-Jacques se tut à nouveau. Il attendait la conclusion de Bernie qui ne se fit pas attendre longtemps :

— Si je t’ai bien compris, dit l’écrivain, cette noyade qualifiée d’accidentelle dans la presse, a donné lieu à une enquête judiciaire dont certains se demandent si elle a été correctement menée. Par ailleurs, le fait même que le correspondant du journal ait situé le drame à Penvénan, au Hameau de l’étang, sans préciser qu’en réalité, la noyade avait eu lieu à Ker Stank à Buguélès, conforterait l’idée que l’on a essayé de l’ébruiter le moins possible ou, tout au moins, et ne serait-ce que par égard pour le procureur qui habite sur le domaine, pour qu’on ne la situe pas de façon très précise. C’est bien ça ?

— Exactement !

Bernie soufflota bruyamment dans le combiné et reprit :

— Tu as d’autres choses concernant l’enquête, que sais-je, des éléments sur le rapport d’autopsie ou sur les constatations des gendarmes ? Est-ce que tu t’es rendu sur les lieux, est-ce que tu as vu personnellement le plan d’eau dont il est question ? Est-ce que tu as rencontré des gens du quartier ou déjà parlé aux personnes qui ont découvert le corps ?

— Négatif sur toute la ligne. Comme je te l’ai dit, le Hameau est plus ou moins privé ; en tout cas, la route qui y conduit est en sens interdit pour les non-riverains. On peut voir les maisons, mais d’assez loin, et seulement en se positionnant à des endroits bien précis. Sur l’enquête à proprement parler, je peux essayer d’en savoir un peu plus avec Victor. Il a, je crois, un copain à la gendarmerie de Tréguier. Il accepterait peut-être même de me dire quelques mots sur le rapport d’autopsie. Tu penses que ça vaudrait le coup que je m’y intéresse ?

Le romancier hésita.

— Je ne sais pas… Si tu me dis qu’il n’est pas possible de pénétrer dans le quartier où les choses se sont passées, je ne vois pas très bien à quoi il pourrait servir de s’intéresser à cette affaire.

— Bon, alors Bernie, qu’est-ce qu’on fait ? On laisse tomber ?

Le ciel bleu, le soleil du matin, le chant des oiseaux retrouvé… la donne était changée. Contrairement à la veille où la déprime le submergeait totalement, tout, ce jour-là, le poussait à l’action, l’encourageait à sortir de chez lui, à affronter de nouvelles aventures.

Que faire ?

L’écrivain se sentait en pleine forme, prêt pour attaquer un nouveau roman. Et puis, il n’avait pas vu la Bretagne depuis si longtemps. Déjà l’odeur iodée des embruns lui titillait les narines, ses jambes fourmillaient, impatientes des promesses de longues escapades sur la côte. Presque malgré lui, il s’entendit répondre :

— Essaie de rassembler quelques éléments complémentaires et puis rappelle-moi. S’il y a quelque chose de tant soit peu concret à gratter, on verra…

1 Chez le même éditeur : Îlot mortel à Trégastel, 3 petits singes en Côtes-d’Armor, Mauvais sorts dans le Trégor et Micmac à Ploumanac’h.

2 Il n’y a, bien évidemment, pas de procureur de la République à Lannion.

3 Victor Le Dréan, gendarme affecté à la brigade de Perros-Guirec, ami de Jean-Jacques Bordier, ayant déjà participé aux enquêtes de Bernie Andrew.

4 Officier de Police Judiciaire.

II

Quand le téléphone retentit quelques jours plus tard, Bernie sut avant même de décrocher que l’appel émanait de Jean-Jacques. Des sentiments contradictoires l’habitaient depuis leur dernier entretien. Il ne parvenait pas à se faire une opinion sur l’affaire du noyé de Penvénan. Il laissa striduler l’appareil un assez long moment avant de saisir le combiné.

— Allô, glissa-t-il prudemment.

— Bernie ? Jean-Jacques à l’appareil.

Le son de la voix de son ami le renseigna instantanément. Ce dernier avait trouvé quelque chose, il en aurait mis sa main au feu.

— Salut Jean-Jacques, répondit-il, j’ai l’impression que tu as des nouvelles intéressantes à me communiquer…

Il imagina le sourire en train d’éclairer le visage de son interlocuteur.

— En effet, je crois que j’ai bien travaillé et je vais t’apporter une information de premier ordre.

La jubilation se transmet-elle par téléphone ? Très probablement car l’écrivain ressentait celle de son ami, comme s’il s’était trouvé à côté de lui dans la pièce. Attentif, il se borna à dire :

— Eh bien, je t’écoute…

Jean-Jacques ne se fit pas prier. Il expliqua qu’avec le concours de relations qu’il avait à Buguélès, il avait appris qu’une résidante du Hameau de l’étang faisait “chambre d’hôtes”. Après avoir pris contact avec cette personne, il s’était permis de prendre une option, au nom de Bernie, pour les quinze jours à venir. Si ce dernier était d’accord, il ne lui restait plus qu’à faire sa valise et à sauter dans le prochain train.

*

Madame Clayrion affichait une soixantaine largement dépassée, plutôt proche même des soixante-dix ans. La chevelure parsemée de fils blancs, plutôt menue, déjà un peu voûtée mais fort élégamment vêtue, elle contemplait Bernie de ses yeux bleus, d’un air interrogateur.

— C’est vous qui avez réservé une chambre, Monsieur ?

— Bernie Andrew. Tout à fait, Madame. C’est bien moi qui vous ai réservé pour les quinze jours à venir.

Le visage de la vieille dame s’épanouit.

— Entrez, entrez, se réjouit-elle. Je suis vraiment contente que vous soyez arrivé. Je le disais encore à mon fils au téléphone tout à l’heure. J’ai un locataire qui va arriver et je n’ai pas le temps de rester discuter avec toi. Mais vous savez comment sont les fils avec leur mère… surtout quand ils sont loin comme Guillaume. Ils ne se rendent pas compte… Enfin, c’est comme ça, la vie d’aujourd’hui n’est pas toujours facile, les familles sont dispersées. Vous allez me dire que je n’ai qu’à aller lui rendre visite… oui, mais, c’est qu’il habite Paris… et il y a ma belle-fille. Les relations belle-mère, belle-fille ne sont jamais très simples. Mais chacun a son travail, ses occupations, et une mère doit parfois savoir s’effacer…

Elle renifla, secoua la tête et reprit :

— Sans compter les petits-enfants… j’aurais bien aimé les voir grandir un peu plus, aller les chercher à l’école, les aider à faire leurs devoirs… mais bon, c’est comme ça… À propos, vous êtes en voiture, je présume ? Je vais vous montrer où vous pouvez vous garer. Je ne vous ai pas entendu arriver, mais vous avez trouvé facilement, n’est-ce pas ?

Elle posait de nombreuses questions mais n’escomptait apparemment aucune réponse. Bernie supposa qu’elle ne trouvait sans doute pas tous les jours un auditoire aussi complaisant que lui et que, peut-être, elle se bornait à rattraper un retard de paroles de quelques heures voire de quelques jours. Cette logorrhée verbale ne le dérangeait en aucune manière, bien au contraire. Que sa logeuse soit une pipelette invétérée ne pouvait que servir ses intérêts et favoriser le but de sa mission.

— Je vais vous montrer votre chambre, dit-elle sans se soucier plus avant du véhicule de son locataire. Suivez-moi, c’est à l’étage…

Bernie fut aussitôt séduit par la pièce assez vaste et très lumineuse dont les couleurs pastel et l’aménagement élégant ne pouvaient procurer qu’apaisement et sérénité à ses occupants. Il s’avança, tâta presque machinalement, en passant, le moelleux du matelas et s’approcha d’une des deux fenêtres. Elle donnait sur un jardin bien entretenu et offrait, dans le prolongement de ce dernier, une perspective sur tout le quartier.

— Vous avez une belle vue sur tout le voisinage dit il, élogieux. J’imagine que c’est très calme par ici ?

La vieille dame se troubla. Elle parut, un court instant, désemparée, hésita mais se reprit très vite :

— Absolument, s’écria-t-elle, absolument, c’est ce que disent tous mes visiteurs et ils ont bien raison. C’est mon mari qui a voulu que nous nous installions ici. Paix à son âme, le pauvre homme ! Il n’aura pas profité longtemps de sa retraite. Comme il disait toujours : « J’ai enfin jeté l’ancre sur les terres de mes ancêtres. » C’était un marin, vous savez, contre-amiral dans la marine nationale. Quand il a eu vent de l’existence de ce programme immobilier, je ne sais pas trop comment d’ailleurs, il a voulu à tout prix acheter ici. Nous sommes arrivés juste à temps, toutes les maisons avaient déjà été vendues, il ne restait que celle-ci et pourtant, croyez-moi, ce n’était pas à la portée de toutes les bourses… mais, je parle, je parle… je ne vous ai même pas proposé de vous désaltérer. Vous avez peut-être soif ? Allez, venez, je vais vous faire un thé et nous pourrons faire plus ample connaissance…

Installé dans le cossu canapé de cuir blanc du salon, Bernie regardait, aussi discrètement que possible, autour de lui. Son hôtesse, pendant ce temps, s’affairait dans sa cuisine avec sa casserole d’eau chaude et sa théière, sans interrompre son babillage ni se soucier le moins du monde que son interlocuteur puisse entendre ou pas ce qu’elle disait.

L’aménagement soigné de la pièce, les meubles de prix, les tentures de soie et les rideaux arachnéens adornant les fenêtres devaient certainement beaucoup au travail d’un décorateur compétent. La patte de la vieille dame se faisait sentir à travers de nombreuses photos : son défunt mari certainement, en grand uniforme, posant sur des arrière-plans de mers exotiques du plus bel effet, son fils et sa petite famille, sourire “ouistiti” garanti.

Des tas de bibelots, des nids à poussière selon Bernie, conféraient à l’ensemble une touche de léger désordre, un rien de négligé un peu bohème, de très bon aloi pour une véritable demeure bourgeoise.

La veuve Clayrion rejoignit très vite son locataire.

Elle portait, à bout de bras devant elle, un plateau chargé de tout le matériel nécessaire à la cérémonie du thé.

Elle assura le service sans interrompre son bavardage. Bernie se demanda si elle parlait encore lorsqu’elle se retrouvait toute seule.

— Prenez un biscuit, je vous en prie, cher Monsieur.

L’écrivain s’exécuta gentiment. Il venait d’arrêter une stratégie spécialement adaptée aux circonstances. D’une certaine manière, pour ce qu’il venait faire à Buguélès, il pouvait s’avérer intéressant d’avoir affaire à une personne aussi prolixe. Il n’avait qu’à la laisser parler et voir venir. Il n’eut pas longtemps à attendre.

— Mais assez de cérémonie entre nous, n’est-ce pas ? s’exclama la logeuse. On ne va pas continuer à se faire des salamalecs et s’envoyer des « Monsieur » et des « Madame » jusqu’à plus soif. Vous m’appellerez Armelle et je vous appellerai par votre prénom.

Elle poursuivit sans s’interrompre :

— Alors comme ça, vous avez décidé de passer quelques jours de vacances à Buguélès ? Vous avez tout à fait raison. Vous verrez, la région est magnifique. Si vous aimez les balades sur le bord de mer, je vous indiquerai tous les sites qui méritent d’être visités. Vous n’êtes pas ici pour affaires au moins ? Quelle horreur, n’est-ce pas ? Je ne l’espère pas pour vous en tout cas.

Elle regardait l’écrivain d’un air contrit, sa bouche dessinant une grimace forcée sur son visage. Pour une fois, elle attendait une réponse.

— C’est un peu les deux, répondit l’écrivain.

Il lui sourit.

Il avait réussi à l’intriguer. Elle en resta muette.

— Je viens de Paris, reprit-il. Vous devez connaître la vie dans la capitale car, si j’ai bien compris, votre fils y habite. C’est fantastique, fabuleux, d’une richesse inouïe, mais épuisant. La foule, le bruit… j’éprouve parfois le besoin de m’enfuir, de tout quitter, de m’évader de tout ça. J’ai besoin d’espace, de grand air, de calme, de solitude… toutes ces choses que l’on ne peut trouver dans la grande ville…

— Comme je vous comprends, l’interrompit-elle. Chaque fois que je vais à Paris, même si ça n’est pas très souvent, je suis enchantée, mais quand je reviens ici, c’est le paradis. Quand je retrouve ma maison, que j’entends le cri des mouettes, que je sens l’odeur de la mer… mais, attendez, vous me dites que vous êtes là aussi pour affaires. Vous venez ici pour le travail ?

Elle jetait sur lui un regard peiné, qui semblait dire « Comme je vous plains ! » mais était en même temps avide de curiosité et demandait sans équivoque : « Racontez-moi vite tout cela ».

Bernie fit un geste de dénégation de ses deux mains qu’il leva devant lui.

Il lui adressa un nouveau sourire.

— Affaires, ce n’est pas le terme que j’emploierais. Travail peut-être, quoique ce ne soit pas non plus tout à fait exact. Écriture… je suis là pour l’écriture, chère Madame… euh, je veux dire… pardonnez-moi… Armelle. En réalité, je suis écrivain et je viens passer quelques jours chez vous pour me ressourcer, retrouver l’inspiration et me consacrer à mon prochain roman…

Peu habitué à se hasarder dans des tirades aussi longues, il se tut et contempla sa logeuse.

Elle écarquillait les yeux. Un écrivain chez elle ! Son visage ébahi ne laissait aucun doute sur le fait qu’elle était tout à la fois extrêmement surprise mais en même temps, tout à fait ravie de cette nouvelle.

Une deuxième fois en quelques minutes, Bernie venait de réussir à lui couper la parole.

Il lui fallut très peu de temps pour reprendre ses esprits.

— Mais c’est passionnant ! Racontez-moi vite tout cela. J’ai connu un écrivain autrefois, un poète plutôt, un peu rêveur, fantasque comme le sont souvent ces gens-là. Je me souviens très bien de ce garçon. Il était fonctionnaire et écrivait des poèmes à ses heures perdues. Je me demande bien ce qu’il est devenu. Ce qui est certain, c’est qu’il n’a pas dû faire fortune avec ses écrits…

Cette évocation la replongea momentanément dans un passé à jamais révolu. Bernie la regardait sans rien dire. Il sirotait précautionneusement son thé, servi dans une fragile tasse de porcelaine aux délicats motifs chinois.

Dans le même temps, il s’interrogeait sur le mode de fonctionnement cérébral de sa voisine qui passait d’un sujet à l’autre sans jamais terminer la moindre discussion qu’elle venait d’entamer. Au bout de quelques secondes, elle revint dans le présent et se tourna vers lui.

— Quel genre de roman écrivez-vous, euh, pardon, j’ai déjà oublié votre prénom…

— Vous pouvez m’appeler Bernie.

— Bernie ! C’est très original. C’est un beau prénom pour un écrivain. Je suis sûre que vous écrivez des romans d’amour. C’est bien ça, n’est-ce pas ? Dites-moi que mon instinct ne m’a pas trompée…

Il esquissa un sourire.

— Je suis désolé de vous décevoir, glissa-t-il, je n’écris que de modestes romans policiers.

— Des romans policiers, avec des crimes, des assassins, du sang… mais mon Dieu, quelle horreur ! Heureusement qu’on ne voit pas de telles choses par ici. J’en frémis, rien que d’y penser. Mais comment peut-on avoir envie d’écrire des choses pareilles ? Enfin, me direz-vous, chacun est libre de faire ce qui lui plaît…

Elle fit une pause, parut se raviser et se tourna vers Bernie.

— J’espère que je ne vous ai pas froissé avec ma réaction un peu vive…

— Mais pas le moins du monde ! Je comprends tout à fait que des affaires criminelles, même fictives, puissent effrayer des âmes sensibles. Tout ce que j’écris est imaginaire et je ne sais pas moi-même comment je réagirais si je trouvais un beau matin un vrai cadavre sur mon paillasson.

Bernie sentit que la veuve Clayrion avait tressailli. Elle devait savoir très bien maîtriser ses émotions, mais elle n’avait pu totalement masquer son trouble.

Dès cet instant, l’écrivain eut l’impression d’avancer sur des œufs.

Il poussa délicatement un pion :

— J’imagine aisément l’émoi de ce couple qui a trouvé un noyé sous sa fenêtre récemment. C’était dans la région, je crois ? À Penvénan, si ma mémoire est bonne et si ce que la presse en a rapporté est exact…

Il se tourna vers sa logeuse d’un air interrogatif. Elle ne répondit pas.

— C’est bien à Penvénan que cela s’est passé ? insista-t-il.

Elle lui renvoya un regard las.

— La presse n’a pas été très précise, volontairement sans aucun doute, balbutia-t-elle. Cette noyade a eu lieu en fait à Buguélès. Personnellement, j’évite d’en parler parce que ce n’est agréable pour personne, vous comprenez ?

Bernie comprit surtout qu’un boulevard s’ouvrait devant lui.

— Tout dépend de quel point de vue on se place, poursuivit-il. Pour un romancier comme moi, qui recherche l’inspiration, cette malencontreuse histoire pourrait s’avérer être du pain bénit. Quoi de mieux pour un écrivain que de partir d’un fait réel et de bâtir une énigme bien ficelée ?

Il avait fait de son mieux pour se montrer convaincant. Il attendait maintenant que la veuve Clayrion fasse le pas suivant. Quand il comprit que, pour la troisième occasion, il avait réussi à lui couper la parole et que, cette fois, elle aurait du mal à redémarrer, il joua une nouvelle carte :

— Je comprends parfaitement que les gens de Buguélès ne soient pas spécialement contents que ce drame ait eu lieu près de chez eux, mais, en ce qui me concerne, si vous me disiez que cette noyade s’était déroulée à proximité, j’en serais positivement ravi.

— Vraiment ?

— Ah, tout à fait ! Ne croyez pas que cela me ferait fuir ou me servirait de prétexte pour ne pas honorer ma réservation, alors là, pas du tout ! Au contraire, j’essaierais d’utiliser ce fait divers dans mon travail…

— Vous croyez ?

— Mais bien entendu. Et je vous assure que ce genre d’histoire ne fait pas peur aux gens. Je dirais même qu’à l’opposé, ils en sont friands.

Il s’enfonça dans le canapé et se tut. Armelle Clayrion hésitait. Bernie la sentait partagée. Il laissa venir.

— Monsieur Andrew… dit-elle soudain.

— Oui.

— Je ne voulais pas vous en parler, mais vous savez, c’est ici que s’est passée l’affaire du noyé de Penvénan.

— Ici ?

— Oui, ici. Dans le Hameau de l’étang, à Ker Stank, dans notre quartier. C’est mon ami Isabelle Pencoat qui a aperçu le corps dans le plan d’eau.

— Ça alors ! Quelle surprise, s’exclama Bernie, et moi qui vous disais que…

Il jouait admirablement son personnage de naïf et son interlocutrice se prit à son jeu.

Elle sourit, croyant sincèrement l’avoir surpris.

— Eh oui, vous ne croyiez pas si bien dire tout à l’heure.

— Je ne comprends pas, répliqua l’écrivain, bien décidé à aller jusqu’au bout de sa comédie. Il y a donc un étang dans la propriété ?

— Il est un peu plus haut. On ne le voit pas de la maison, mais je vous le montrerai si cela vous intéresse.

— Mais bien évidemment que cela m’intéresse ! Pour un écrivain comme moi, se retrouver sur les lieux d’un tel drame est inespéré. Le site doit encore être chargé des vibrations de l’affaire. Si je réussissais à m’en imprégner et à les retranscrire dans un roman, vous imaginez !

Il arborait une face enthousiaste. Sa voisine semblait apaisée. Un léger sourire habitait son visage.

— Vous pensez vraiment que cette noyade pourra vous inspirer quelque chose ? demanda-t-elle timidement.

— Peut-être. Je l’espère, en tout cas. Je vois bien une histoire de noyade qui, aux yeux de tous, paraît accidentelle, alors, qu’en réalité, il s’agit d’un meurtre…

— Mon Dieu, vous m’effrayez, vous ne voulez pas dire que…

Elle ne termina pas sa phrase et changea brusquement d’idée comme elle en avait, semblait-il, l’habitude. Elle enchaîna :

— Vous aurez besoin de voir les lieux, rencontrer les gens qui ont découvert le corps…

— Absolument, rétorqua Bernie. La meilleure chose pour moi serait de pouvoir m’immerger dans cet environnement, de parler aux personnes concernées. Cela me permettrait de mettre une intrigue en place, de poser une atmosphère… Qu’en pensez-vous, Armelle ? Cela vous paraît-il du domaine du possible ?

Elle prit le temps de réfléchir. Une petite lueur brillait dans ses yeux.

— Pourquoi pas, émit-elle enfin. Pourquoi pas…

— Il faudrait aussi que l’on puisse me parler du défunt, me le décrire, dit le romancier. L’idéal aurait été bien sûr que quelqu’un l’ait connu de son vivant pour me détailler son caractère, son comportement. Malheureusement, cela ne sera pas possible, car d’après les journaux, il n’aurait même pas été identifié.

Armelle s’agita dans son fauteuil, soudainement empruntée.

— Je pourrais bien vous en dire quelques mots si vous le souhaitez…

— Comment, vous l’avez connu ? s’écria vivement Bernie. Mais c’est magnifique ! Ça alors, quelle histoire ! Mais dans quelles circonstances ?

Elle le regarda dans les yeux.

— Il était mon locataire. Il a occupé votre chambre avant de se noyer.

Pour le coup, ce fut Bernie qui eut le sifflet coupé.

III

Bernie, allongé dans son lit, ne parvenait pas à trouver le sommeil.

Il avait dîné avec la veuve Clayrion et regagné ses quartiers de bonne heure.

Son premier contact avec le Hameau de l’étang avait été productif bien au-delà de ses espérances.

Il n’aurait jamais pu imaginer, dans le plus débridé des scénarios, que le noyé avait dormi dans le lit même où il essayait vainement de trouver le sommeil.

Sa logeuse n’avait pas été avare de confidences pendant le repas.

Un dénommé Paul Martin l’avait contacté un beau matin par téléphone. Il souhaitait faire du tourisme dans la région et avait réservé une chambre pour une dizaine de jours.

Il était arrivé par une belle fin d’après-midi, la valise à la main, souriant, détendu. Il s’agissait d’un bel homme, de bonne taille, blond grisonnant, bien découplé, beau parleur, autour de la soixantaine. Son teint hâlé et son regard séducteur lui donnaient un air mystérieux d’aventurier. Il ressemblait, selon la veuve, à ces héros du cinéma américain des années cinquante. Il en possédait le charme, à défaut des qualités athlétiques car, manifestement, son physique n’était plus celui d’un baroudeur : il se plaignait de son dos et avait parfois du mal à s’extirper de son fauteuil. Ses mains tremblaient par moments, comme chez ces personnes ayant, depuis de nombreuses années, un problème avec l’alcool.

Bernie, curieux de recueillir le plus de détails possible, apprit que l’individu s’exprimait avec un léger accent belge. Il ne semblait pas posséder de voiture et la veuve ne savait pas de quelle façon il était parvenu à Buguélès.

Pour Armelle Clayrion, l’épisode dramatique de la noyade ne résultait pas de circonstances fortuites. L’homme avait pour habitude d’aller, après le repas, faire quelques pas autour de l’étang. Il avait, ce soir-là, bu, peut-être plus qu’il n’aurait dû, et sa chute mortelle était la conséquence directe de son état d’ébriété. La rumeur colportait, en effet, qu’une bouteille de whisky complètement vide avait été retrouvée sur le bord du plan d’eau.

Les gendarmes chargés de l’enquête étaient venus fouiller sa chambre. Ils n’avaient découvert aucun papier au nom de Paul Martin ni à aucun autre d’ailleurs. Rien dans ses affaires personnelles n’avait donné le moindre indice concernant son identité. Nul véhicule, susceptible d’avoir pu lui appartenir, n’avait été retrouvé abandonné dans la région.

Grâce au ciel, toute cette d’affaire ne s’était pas éternisée.

Les investigations de la maréchaussée n’avaient duré que fort peu de temps et, pour tous les habitants concernés du Hameau, il ne s’agissait désormais que d’un mauvais souvenir qu’ils allaient tous s’efforcer d’oublier le plus rapidement possible.

— Vous croyez que ma présence risque d’être mal perçue ? s’était inquiété l’écrivain.

La vieille dame avait fait une moue dubitative.

Bernie avait tenté d’atténuer les impacts éventuels de son intervention :

— À part vous, qui avez hébergé le malheureux, et le couple qui a découvert le corps, finalement, assez peu de résidants du quartier ont été mêlés à ce drame…

— Vous avez raison. Je me suis fait toute une affaire de cette histoire, mais la plupart des gens d’ici n’y ont été que fort peu impliqués. Ils ne peuvent craindre qu’une publicité fâcheuse, mais j’imagine que, pour un roman policier, vous n’utilisez pas de vrais patronymes ?

— Absolument, l’avait rassurée Bernie. Je modifie également les lieux. Je me demande d’ailleurs si je ne localiserai pas mon intrigue en Sologne où il y a de nombreux étangs, je crois…

— La Sologne ce serait parfait, s’était réjouie Armelle Clayrion. J’avais dans le temps des amis dans cette région. Je me demande bien où ils sont aujourd’hui. Votre livre serait peut-être l’occasion de rechercher ce qu’ils sont devenus…

Elle repartait dans ses digressions habituelles. L’écrivain s’était hâté de l’interrompre afin de la recadrer sur le sujet qui l’intéressait :

— Vous allez trop vite ! avait-il plaisanté. Attendez qu’il soit écrit. Je n’ai pas encore commencé. Je n’ai même pas idée de la topographie des lieux.

— La topo… ah oui, l’étang. Je vous y emmènerai demain. Nous essayerons de voir Isabelle. De toute façon, elle nous verra obligatoirement passer puisqu’elle est toujours à sa fenêtre. Ne vous inquiétez pas, on arrivera à se débrouiller.

*

Bernie souriait dans son lit en repensant à la dernière remarque de sa logeuse. Il avait réussi à s’en faire une alliée, voire peut-être une assistante qui pourrait l’aider dans sa propre enquête.

Seul problème, elle parlait à tort et à travers. Il ne serait sans doute pas facile de la cadrer et de l’empêcher de raconter n’importe quoi.

Les volets de sa chambre étaient restés ouverts. En face de lui, la route s’élevait légèrement vers le fond du domaine. L’impasse desservait six habitations seulement ; de belles demeures cossues, à la limite du prétentieux, bénéficiant toutes d’une superbe vue sur mer. Celle de la veuve Clayrion, la première du quartier, jouissait d’une situation totalement privilégiée. Il était matériellement impossible d’emprunter la rue sans passer sous une de ses fenêtres, que ce soit celle de la cuisine ou celles des chambres.

Quelques candélabres, ouvragés à l’ancienne, dispensaient une lumière chiche mais suffisante pour permettre une observation attentive des lieux.