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Des évènements angoissants troublent la quiétude du hameau d'un village de riches fermiers et de pauvres cultivateurs normands. Maléfices ? Forces de la nature ou vengeances ? Unité de temps et de lieu dans le passé, pour accompagner des hommes et une femme courageux dans leur lutte pour la justice.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Abdelkarim Belkassem est un Franco-marocain, né à Safi au Maroc en 1963. Écrivain et professeur de littérature arabe et musicien classique, oudiste dans un orchestre arabo-andalou, également ténor en chant arabo-andalou et oriental.
Il se consacre à l'écriture de romans et d'essais, pont entre ses deux cultures.
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Abdelkarim Belkassem
Les Enigmes du Hameau
Roman
© Lys Bleu Éditions – Abdelkarim Belkassem
ISBN : 979-10-377-0411-5
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Les branches des arbres bruissent drôlement, peut-être à cause du froid de cet hiver. Les êtres vivants se sont dissimulés pour garder leur reste d’énergie. Le froid glacial a fondu toutes leurs réserves de graisse.
Le calme règne. On entend à peine quelques aboiements dans le lointain et on ne sait s’ils viennent du fond des bois ou du sommet des collines. Difficile de les différencier entre ceux de loups et de chiens.
Derrière les arbres, qui cachent la vue, quelques cabanes et des chaumières normandes sont regroupées en village, emprisonné entre les collines et autour de lui, des arbres très denses, telles des barrières, empêchent la traversée, même aux bergers.
Entendre des voix, dans cette forêt, n’est pas un évènement nouveau pour les habitants de cette « jungle » et plusieurs histoires mythiques se racontent. Des personnes auraient disparu, la nuit, entre cette forêt et les chemins escarpés.
On peut compter sur les doigts de la main, les familles non concernées par le « diable de la nuit ».
Il est le fantôme du lieu. Personne ne connaît ni sa forme ni son visage. C’est un animal féroce qui laisse derrière lui des traces de sang dans des scènes inconnues dans l’histoire du crime. Un climat de sacralisation l’entoure, ressenti par les villageois. Dans le hameau, ils ont commencé à s’habituer aux drames et l’animal prend la place, dans leur esprit, de celle d’un dieu qui mérite des sacrifices.
Ils ont cessé de se poser des questions ou de chercher les disparus. Ils ont fermé les yeux pour ne plus voir les scènes de barbarie. Ils n’écoutent plus les racontars à ce sujet et même les questions des enfants dérangent, malgré leur innocence.
Les aînés ne veulent pas expliquer l’origine supposée des hurlements de la nuit qui emplissent le ciel. Même les pères sentent le frémissement de la mort quand ils entendent parler de l’animal féroce, ce diable nocturne. Ils ne voient que des scènes de crime à la suite de son passage. Les mères, non plus, ne répondent pas, malgré les conciliabules entre elles, toute la journée, sur ces histoires, jusqu’à ce que leurs langues sèchent.
Les enfants interrogent et insistent de plus en plus pour obtenir les informations sur ce qui leur paraît illogique malgré leur jeune âge. Ils dirigent leur dernier espoir vers leurs grands-parents, puisqu’ils pensent qu’il s’agit d’une très vieille légende villageoise. Tous les habitants la considèrent comme une punition des dieux ou des diables et ne savent pas quoi en dire.
Cette chape silencieuse handicape le village et la parole se manifeste autrement. Sur les chemins vers le hameau ou la forêt ainsi que le long des façades des chaumières, des figurines, des signes sont apposés pour chasser le mystérieux démon. Les enfants ont pris l’habitude de voir ces sculptures et ces écrits mais sans en comprendre le sens. Ces étranges formes terrorisent les écoliers, surtout à la nuit tombée, quand ils rentrent de l’école.
Cette idée contre le mauvais sort est celle d’une vieille sorcière de la forêt qui vit seule dans une cabane en bois. Des gens disent qu’elle est mariée avec ce démon et elle-même raconte qu’elle reçoit sa visite la nuit, surtout lors de la pleine lune.
Elle n’a pourtant jamais réussi à voir ses traits. Elle reconnaît sa présence par le bruit qu’il fait en pénétrant dans la cabane et par sa voix qui ressemble à celle d’un félin enragé.
De temps en temps, elle aperçoit un corps lumineux entouré de fumées mais elle ne peut réellement pas visualiser sa forme. C’est un corps brûlant comme un rocher de l’enfer.
Des dictons expliquent aussi que la vieille sorcière protège le village, parce qu’elle serait la mère du démon. Elle aurait conçu ce fils avec un djinn lors d’une nuit où elle communiquait avec les esprits des morts. À ce moment-là, elle cherchait à découvrir la cause du décès énigmatique d’un berger.
Des histoires insolites se tissent autour de cette étrangère au hameau. Elle est l’étrangère, vraiment l’étrangère, car elle s’est installée, un jour, dans la forêt et on ne sait d’où elle vient, ni de quelle famille.
Elle est arrivée ici à son tout jeune âge mais nul ne l’a adoptée à cause de ses origines inconnues. Elle a, d’emblée, habité seule car tous, dans cette campagne craignaient cette secrète personne.
Junglo est l’un de ses serviteurs. C’est un vieil homme dont la sorcière s’est occupée dès son arrivée dans la forêt.
Les gens du village le connaissaient de vue et le rencontraient la nuit quand il sortait du bois pour trouver un peu de compagnie. Ils le croisaient aussi quand il cherchait de quoi se nourrir ou quand il ramassait des fagots pour allumer le feu, lors des nuits froides. Un notable lui donnait de temps en temps un morceau de pain tout en le regardant méchamment comme s’il était un chien malade.
Junglo était un homme très timide, voire sauvage. Il approchait rarement les hommes, surtout ceux du village. Il se comportait comme un animal qui se terre lors d’un bruit anormal ou en voyant une silhouette inconnue. Encore maintenant, il ne s’approche que de ceux qui lui sont familiers.
Malgré son âge, son corps est resté souple et ses pas sont alertes mais les gens sont effrayés comme s’ils voyaient un lion…
Quand il se faufile entre les arbres, nul ne peut suivre sa trace. Lui seul connaît les sous-bois. Il n’en parle jamais, refusant de transmettre ses connaissances. Ceci dit, personne ne lui demande de les partager !
Une chance qu’on ne le soupçonne pas pour les meurtres commis au village. Considéré comme un idiot qui ne cherche jamais l’affrontement avec les autres, il vit dans l’humiliation et c’est déjà assez lourd à porter.
Les gens pensent que Junglo mène cette existence par choix ou qu’il y soit contraint par une force invisible, à partager cette vie de chien. Impensable qu’un être humain supporte cela pensent-ils alors quand ils le voient circuler dans les rues, ils croient au miracle.
Ils imaginent même une punition divine contre un homme qui n’aurait pas avoué ses crimes… mais ils chassent vite cette idée parce qu’on ne discute pas les lois de Dieu.
Sans l’avouer, ils espèrent qu’on retrouvera Junglo mort dans un coin et, qu’ainsi, il cesse de souffrir. On pourrait le découvrir dans une petite rue du village, là où il n’aurait pas réussi à s’abriter du froid et de la neige si envahissante pendant de longs mois, ni des épisodes de gel intense où le vent souffle très fort et s’insinue partout.
Les grands-parents racontent des histoires mythiques sur les méfaits de ce temps glacial. Ils parlent du manque de bois de chauffage et de la rareté des plantes, brûlées par le gel, ils ne peuvent plus s’en nourrir.
Les arbres eux-mêmes subissent les dégâts des intempéries et tombent. Une difficulté de plus pour ces villageois qui assimilent la vie de la forêt à leur propre vie et la résistance d’un arbre à la leur. La forêt étant la source de la survie du village, que restera-t-il aux habitants ?
Ah, s’il parlait Junglo, il aurait beaucoup de leurs secrets à révéler ! Des histoires d’amour, de belles romances mais aussi des trahisons et des mensonges.
Certains croient que Junglo en sait beaucoup sur eux et qu’il mériterait la mort, par le poison ou les coups puis que son corps soit jeté aux chiens. D’autres aimeraient bien qu’il parle et qu’il dévoile des vérités sur les hommes et les femmes, dans leur intérêt. Des révélations qui changeraient les prises de pouvoir et la distribution des richesses.
Entre eux se trouve le maire de la bourgade. Il est issu d’une famille pauvre qui gardait les moutons pour le grand fermier, Monsieur Jac.
Ce dernier, un bourgeois, ne parle que d’argent, des gains de ses fermes et de ses troupeaux. Sec comme une trique, il ne montre jamais ses émotions cependant il fait bonne figure quand il parle des bénéfices de l’année ou quand il papillonne autour des belles filles du village. Des raisons suffisantes pour que sa mort, à lui aussi, soit souhaitée.
Tous le détestent. Ils prient même en sa défaveur à la messe dans la petite église délabrée dont il refuse d’améliorer l’état. Pourtant le toit est très abîmé et les intempéries s’abattent sur les fidèles.
À chaque rencontre, le curé de la paroisse le sollicite pour qu’il aide les pauvres et qu’il préserve le patrimoine religieux. Il lui explique la nécessité de maintenir la culture et l’histoire du village, d’en conserver la richesse spirituelle pour lui et ses descendants mais en vain. Même si Monsieur Jac évoque à l’envi la hausse de sa fortune et la valorisation de sa production, il n’adhère pas aux demandes.
C’est un athée qui n’entend que la philosophie matérialiste et ses propres règles de vie. D’après lui, l’argent se gagne avec le travail et la sueur et il faut délaisser la culture et la spiritualité. C’est l’affaire de bénévoles et cela ne donne pas à manger aux affamés.
Il fait le travail de trois hommes à lui tout seul pour rattraper les pertes d’une année de très grand froid. Il a fait jusqu’à -30 °C ce qui ne s’était jamais vu, d’après les aïeux. Cette température a causé la mort de villageois et d’animaux domestiques. Durant la nuit la plus glaciale, Monsieur Jac a, lui-même, perdu son épouse.
Françoise était très bonne, croyante et d’une foi à toute épreuve. Chaque dimanche, elle distribuait des vivres et des couvertures aux plus démunis et elle fournissait des repas au prêtre. C’était une femme généreuse, très entreprenante, tant dans le monde de la charité qu’au travail de la ferme.
Son veuvage et les dégâts dus au froid ont rendu Monsieur Jac encore plus avare. Il répète en boucle que « ce sont les bons qui partent toujours en premier ». Il dit aussi que Françoise est la femme de sa vie et la seule qui mérite de s’appeler une femme. Laborieuse, elle savait tout faire à la ferme et en cuisine traditionnelle. Ainsi elle préparait les repas de fêtes organisées dans le village, incitée par le maire, avec la bénédiction du curé.
Ce prêtre est un homme accueillant, qui aime festoyer et partager des invitations. Bavard, il aime discourir, même dans la rue. Il parle, il conseille et tous l’entendent de loin. Que ce soit la théologie ou la musique même si dans ce domaine il n’est pas doué. Il y aurait la nécessité d’un pianiste pour accompagner ses oraisons à l’église…
Dans l’édifice se trouve un vieux piano mal accordé. Le prêtre est tout fier d’en jouer, choisissant les notes justes pour s’accompagner ou pour donner l’accord aux choristes. À chaque évènement joyeux, les baptêmes, communions ou mariages et à chaque célébration triste, les enterrements et les messes mémorielles, il privilégie les chants au son du piano.
Il méconnaît la musique et l’instrument mais, malgré tout, il donne des cours et joue au fin connaisseur des arts de la vie. Il a une autre corde à son arc, celle d’être spécialisé, en plus de sa grande et naïve foi, en cuisine et gastronomie.
C’est lui le premier à goûter, à tester les plats et les vins pour les convives. Si on le néglige sans lui demander son opinion, il se fâche et donne tout de même son avis d’une voix tonitruante…
Les habitants du village sont tous liés entre eux par des attaches familiales. Mariages, consanguinité et l’ouverture sociale est fermée aux étrangers. Sans union avec les villages alentour dont le plus proche est à une quarantaine de kilomètres, la bourgade est très isolée par les montagnes ou plutôt les hautes collines et les forêts.
Le village a conservé ses traditions, des habitudes séculaires qui lui sont propres et qui paraissent étranges aux autres. Les habitants vivent en autonomie administrative et judiciaire. Ils savent tout faire, ce qui les isole d’autant plus. Le chef du village, un sage et un érudit, joue le rôle du maire au pouvoir spirituel. C’est une fonction héritée, transmise de père en fils et à laquelle adhère la population. Elle convient bien à leurs aspirations et à leur esprit même s’il reste un pouvoir traditionnel, sans évolution ni progrès.
Chaque année, des fêtes durent des jours et des nuits. Des rituels singuliers que les autres villages ne connaissent pas sauf en temps de guerre avec eux. Un fonctionnement tribal révélé aux autres populations lors de conflits. Attributions de points d’eau, par exemple ou création de vergers ou de cultures que chaque territoire revendique.
Certains habitants n’ont jamais dépassé les limites de leur village et ils ignorent ce qui se trouve au-delà. Des océans ? Des planètes ? Les esprits sont embrumés par l’ignorance comme le répète le prêtre. Il est d’autant plus acharné à rappeler cela, les jours de disette, si on ne lui fournit pas de repas ni à lui ni aux orphelins à son service à l’église.
La paroisse, pour le curé et ces petits n’est pas seulement une mère spirituelle. C’est aussi un lieu où l’on peut survivre et se remplir l’estomac. Le prêtre réclame toujours des dons et du bénévolat pour la création d’une petite cuisine près de la sacristie où les clochards viendraient se réchauffer d’une soupe et d’un morceau de pain d’orge. Cette céréale parce que le pain de farine de blé est réservé aux bourgeois et aux nantis…
Ces pauvres hères vivent dans la rue ou dans des maisons insalubres délaissées par leurs propriétaires. Parfois dans des domaines de riches, décédés sans descendance ni héritiers.
Généralement, ceux-ci mettent la main sur les biens dès le décès et parfois certains anticipent et s’arrangent pour s’approprier la fortune. Leurs enfants ne connaissent pas tous la valeur de l’héritage et le dilapident très vite. Ils ne se rendent pas compte des efforts faits par leurs parents pour constituer leur fortune. Parfois, ils sont même dans l’incapacité de préserver le patrimoine et d’exploiter la ferme. Cela fait le bonheur de propriétaires qui s’enrichissent encore plus en rachetant ces biens hérités.
Monsieur Jac est l’un d’eux. Il s’attache même des héritiers en leur donnant des avances. Ainsi il paie les biens à la moitié de leur valeur et s’enrichit sur leur dos.