Ça valse à Pentrez - Serge Le Gall - E-Book

Ça valse à Pentrez E-Book

Serge Le Gall

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Beschreibung

Plage de Pentrez à Saint-Nic. Marcel chute lourdement de son vélomoteur. On le relève, mais ce n’est pas pour le secourir ! Dans un moment, la danse des sabres finement aiguisés va causer sa perte tout comme celle des victimes désignées par l’héritage maudit. Jadis, Adrien de Kervantus, châtelain tout-puissant du Porzay, a durement soumis son personnel de maison et la haine reste vivace. Ali Kacelema, dangereux criminel, s’évade du TGV Paris-Quimper stoppé à Keryannick en Bannalec par son gang d’Argenteuil. La vengeance implacable se met à rôder le long des voies et des talus. Une affaire criminelle corsée que le commissaire divisionnaire Landowski, toujours accompagné de ses fidèles collègues et l’OPJ Lacanal auront bien du mal à résoudre. Lorraine Bouchet et Angelina Lafos y mettront leur grain de sel. À la fumée des cierges…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Dans la collection Pol’Art, l’auteur Serge Le Gall vous a proposé de suivre les tribulations du détective Samuel Pinkerton. Dans la collection Enquêtes et Suspense, il vous invite à découvrir ici la 35e enquête du désormais célèbre commissaire divisionnaire Landowski.

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Couverture

Page de titre

AVERTISSEMENTS

La procédure de transfèrement de détenus particulièrement signalés (DPS) relève strictement de la compétence du ministère de la Justice. Pour les besoins du roman, elle a été volontairement modifiée par l’auteur.

NOTE TECHNIQUE

Le kenjutsu est la technique et l’art d’utiliser, entre autres armes blanches, le katana, sabre japonais par excellence :

– Shomen uchi est une coupe verticale du haut du visage vers le bas.

– Yoko guruma est une coupe horizontale de gauche à droite à la tête, ou au thorax, ou au ventre.

REMERCIEMENTS

À madame Geneviève Le Berre de la mairie de Saint-Nic.

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

PERSONNAGES

– Adrien de Kervantus, châtelain du Porzay.

Ses enfants :

– Jean de Kervantus, dit One.

– Jean de Kervantus, dit John.

– Violette de Kervantus.

Les employés du domaine :

– Albert Boltrin, gardien.

– Germaine Boltrin, lingère.

– Alphonse Hubert, ancien gardien.

– Arlette Hubert, ancienne lingère.

– Marcel Lecol, ancien ouvrier boucher.

– Estelle Duvanchel, “vigie bénévole” de la plage de Pentrez.

– Landowski, commissaire divisionnaire à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

– Ange P., commandant à la DGSI.

– Jim Sablon, lieutenant à la direction régionale de la police judiciaire de Paris (DRPJ).

– OPJ Lacanal, officier de gendarmerie au groupement de gendarmerie nationale du Finistère.

– Lorraine Bouchet, magistrate au palais de justice de Paris.

– Angelina Lafos, magistrate au palais de justice de Paris.

– Ali Kacelema, caïd d’Argenteuil.

– Michel Delage dit Kim, ex-lieutenant de Kacelema.

PROLOGUE

— Au secours, au secours ! Aidez-nous ! Je vous en supplie !

L’homme tournait le dos à la mer encore si calme. Il agitait ses maigres bras en direction du soleil qui ne se pressait pas de prendre sa place dans le paysage.

— Ne les laissez pas faire !

L’homme chétif se mit à sangloter et avança un peu en traînant les pieds. On aurait dit qu’il ne se repérait plus vraiment dans l’espace.

Puis il reprit sa harangue désespérée :

— Ils ont tué Germaine ! Sauvagement ! Moi, je vais y passer avant l’aube. Après nous, ce sera votre tour ! Vous avez commis trop de ces choses affreuses pour qu’ils vous laissent vivre !

Il pleurnicha en tremblant.

— Puisse Dieu me pardonner pour tout ce que j’ai fait.

Il prit son visage dans ses mains.

— Non, il ne me pardonnera pas. J’en ai trop fait ! Je serai damné pour des siècles !

Il scruta la façade des deux maisons en préfabriqué à la recherche d’une lampe allumée derrière une fenêtre, d’une ombre salvatrice puis d’une main secourable. Rien, non rien. Pas un bruit. Pourtant ils étaient là, tapis derrière leurs rideaux brodés, le rictus de satisfaction aux lèvres. Le malheur de certains se déguste parfois.

Espéraient-ils qu’après cette double exécution, ils seraient épargnés ? On jette bien un quartier de viande au lion pour calmer sa faim. Pour un temps…

L’homme désemparé continua son discours de vaine espérance.

— Germaine a demandé pardon, mais on l’a tuée quand même ! C’est mon tour maintenant. Ensuite, ils vous tueront ! C’est écrit dans le Grand Livre ! Vous n’y échapperez pas ! N’espérez pas passer au travers ! La mort nous attend tous, vous et moi ! Pensez-y tout à l’heure ou les jours prochains. Ce sera comme pour moi, n’en doutez pas ! Personne ne vous viendra en aide quand votre heure sera venue ! Après ce que nous avons fait, nous n’avons pas droit au pardon ! Même prier ne servirait à rien. Dieu a détourné son regard. Depuis longtemps…

L’homme baissa la tête puisque tout était dit.

C’était le matin de très bonne heure, lors d’un de ces moments si particuliers et parfois anxiogènes où jour et nuit flirtent secrètement. Dans un moment, la force de l’un allait l’emporter sur la faiblesse de l’autre parce que c’était écrit. Mais chaque chose en son temps quand le destin s’amuse de la détresse des condamnés.

La fraîcheur humide s’invitait et tardait à s’imposer. Le gris occuperait le ciel le temps de la marée. L’été conquérant était encore loin. La plage était presque déserte. Il y aurait peut-être un marcheur ou un pêcheur à longer le rivage avant de disparaître au bout de l’estran. Rien de plus. Cet inconnu chanceux, il pourrait rentrer chez lui et vivre le reste de son existence.

Pour les autres, l’histoire était terminée.

La mort furetait et ricanait. Pour elle, il n’y a pas de saison pour faucher les vies. Elle était confiante. Elle savait très bien ce qu’on lui avait promis. Il n’était pas possible de modifier la liste. Tout à l’heure, elle dénombrerait les âmes mortes puis elle s’esquiverait en fuyant la clarté pour aller continuer ailleurs sa sinistre besogne.

Les bras levés et agités d’une façon désordonnée, l’homme titubait sur le chemin encore sombre. Il avait les pieds déformés, glissés dans des mules éculées et il trébuchait façon d’un culbuto à chaque enjambée en brassant l’air pour éviter la chute. Les pavés disjoints ne facilitaient pas sa progression.

D’ailleurs, ce quidam-là n’irait plus nulle part…

Dans cette pénombre à peine déchirée par l’aube crevant, on aurait dit un zombie de film d’horreur. Manquait encore le rictus de batracien et les yeux globuleux ne voyant plus grand-chose. Il ne s’agissait pourtant pas du tournage matinal d’une scène de monstres déambulant dans une ruelle de Saint-Nic. L’endroit est calme et tranquille en toutes saisons !

Une fois la toilette matinale effectuée et après avoir enfilé des vêtements propres, on n’affiche pas le même look que celui au levé du lit. On se rend présentable. Le premier regard est celui du conjoint ou de la conjointe, celui de l’amant ou de l’amante, celui de l’envie ou celui du désir. Celui du regret parfois.

Cet homme-là était en pyjama rayé à l’ancienne, la veste froissée et déboutonnée sur une poitrine blanche et maigre, ce qui lui donnait l’allure pendable d’un aliéné échappé de son asile par la grille laissée entrouverte par inadvertance. Question chevelure, il ne lui restait plus que quelques touffes mousseuses de chaque côté de sa calvitie centrale. On aurait dit qu’il avait enlevé sa moumoute avant d’aller se coucher et qu’il n’avait pas pensé la remettre avant de sortir. Il fallait donc une impérieuse raison à cet oubli qui lui donnait l’air pathétique d’un clown au chômage. Surtout que l’air frais du matin venant de la mer faisait virer son nez à la couleur carmin.

Mais il avançait quand même en traînant ses galoches et en répétant son message à l’attention de voisins qui ne se manifestaient pas. Il savait très bien que personne ne déboulerait sur le chemin pour lui prêter main-forte, mais il s’obstinait parce qu’il n’avait pas d’autre issue que d’essayer quand même. On a encore le droit de tout tenter même quand la cause est perdue.

Dans le hameau, lui et sa femme n’étaient pas en odeur de sainteté. Ils avaient quand même fait fort pour créer un front unanime contre eux au point que, même s’ils décédaient en souffrant un peu, il ne se trouverait probablement pas d’âme charitable pour leur porter secours. Si on les laissait se faire assassiner, tel le bouc émissaire, peut-être pourrait-on espérer être épargnés…

Ceux d’en face n’étaient pas plus clean. Au risque d’aller au-devant des ennuis, ils n’interviendraient pas. On ne se mêle pas des affaires d’autrui. Certains jubilaient, ils n’étaient pas les plus nombreux heureusement. On ne savait rien, on n’entendait rien, on forniquait comme des bêtes ou on dormait comme des loirs. D’excellentes raisons à invoquer surtout quand la situation ne sentait pas la rose. Plutôt le roussi ou même…

C’était vrai, en connaissant l’historique, qu’il pouvait y avoir des coups à prendre, et pas les moindres. Les martyrs altruistes ne couraient plus les rues. Surtout quand le forcené, fort peu aimable au demeurant, tenait bien haut la lame à pourfendre l’adversaire. Comme c’était le cas ici…

Tandis que le mari s’époumonait sans espoir, Germaine – l’épouse de l’homme en pyjama – était étendue sur le sol de la maison, la tête baignant dans une flaque de sang frais. Pour elle, la sentence avait été exécutée avec une extrême violence ressemblant bizarrement à un règlement de comptes réfléchi et totalement assumé. Le geste ne visait pas à donner une simple chiquenaude en avertissement, mais bien à enfoncer la calotte crânienne. Il témoignait d’une rare force pour réussir à coup sûr. La volonté de tuer s’évalue parfois au degré de la violence exprimée.

Tenir une massette à bout de bras, la lever vers le ciel pour donner de la force au geste qui s’abat, et faire éclater le crâne de la victime ne donne pas forcément l’image d’un geste d’une banalité affligeante. Il s’agit quand même d’un cerveau humain, mémoire inestimable de la victime et trésor confidentiel réduit à un magma inutilisable. Tant pis pour la coulure indécente de la cervelle martyrisée. Le crime pudique n’a plus cours aujourd’hui.

Et puis on n’avait quand même pas l’intention d’en rester à un cadavre sanguinolent allongé sur le sol ! On n’était pas venu pour s’arrêter au crâne éclaté d’une femme plate comme une limande ! La vengeance allait bien au-delà de cette entrée en matière. Elle se devait d’être pleine et entière au point de réduire à néant le sujet de cette haine entretenue par-delà les océans ! Les aurores boréales, si apaisantes pourtant, n’y étaient pas parvenues.

L’essence volontairement répandue – le bidon laissé sur place en faisait foi – serpentait déjà entre les cuisses blêmes vidées de leurs muscles et écartées comme les membres d’une poupée désarticulée. Une flamme vive posée à distance sur une coupelle en zinc attirerait tout à l’heure les vapeurs montantes de l’hydrocarbure et la chair flasque des mollets de coq se mettrait à grésiller à la façon d’un barbecue. Avec cette odeur insupportable et pourtant prévisible. Pathétique…

La punition paraît parfois plus forte quand elle est d’autant plus cruelle. Et puis l’intention de tuer étant quand même très évidente, il fallait ne rien laisser au hasard. Même pas la douleur.

Non, l’arrivée des secours dans ce petit matin blême ne servirait à rien. Ils avaient du chemin à faire alors que l’avis de décès était déjà rédigé en bonne et due forme. Il n’avait jamais été question de la laisser pour morte sans qu’elle le soit réellement. Et puis, c’était quand même l’objectif affiché de l’entreprise criminelle. Il ne s’agissait pas d’une sortie matinale pour humer l’air du large et rêver d’horizons lointains. Cette femme-là était en tête de gondole. Premier choix pour commencer l’action criminelle. Après le coup de marteau… le tour de son époux viendrait tout à l’heure. Chaque crime en son temps ! Un honneur aux dames bien mal placé, si l’on examine les faits. Il n’est pas utile de se presser quand on sait que l’on maîtrise la situation !

Au sens de la gravité des faits, cela avait mieux valu pour elle. Difficile d’envisager une promenade sur le sable humide quand on a la tête fracassée et que la cervelle se répand sur les cheveux cendrés et drus comme de la ficelle de lieuse ! Il ne fallait pas rêver non plus ! Surtout quand le cerveau meurtri ne pouvait plus remplir son office. De ce choc meurtrier, le mieux était de n’en garder qu’un souvenir furtif qui s’estomperait d’un coup. Saint Pierre ne s’en offusquerait pas ! Question victimes frappant à l’entrée du nuage, il avait une certaine habitude. Les assassins se présentaient toujours plus tard. Curieuse hiérarchie !

Il y avait maintenant un bon quart d’heure de ça, l’ombre noire s’était plantée devant elle. Germaine avait toujours affirmé à son mari qu’un jour ils auraient cette visite impromptue, celle-là ou une autre. Sans prévenir et surtout sans une once de pardon dans les poches de la visiteuse. Pour conjurer le sort, son conjoint, titubant pour l’instant dans le chemin empierré, l’avait traitée d’oiseau de mauvais augure en espérant qu’il se trompait. Pourtant, il en avait gros sur la conscience. Il avait parfois songé entraîner sa femme au bord d’un à pic rocheux et, pour en finir d’une façon radicale, de se précipiter avec elle dans le vide. Il n’y a de belle mort que celle qu’on se donne. Facile à dire ! Mais ils pensaient alors que s’ils avaient dû rendre des comptes on serait venu plus tôt réclamer justice. Et puis qui était encore vivant dans cette histoire pour oser venir leur présenter la facture du sang ? C’était loin tout ça, et ensemble ils avaient fait le nécessaire pour ne plus craindre le pire. Du moins, ils l’avaient cru. Ils avaient, pensaient-ils, œuvré au nettoyage des faits par la perfidie de leurs manigances meurtrières ! Ce n’était quand même pas rien d’occire son prochain et de le rayer de tout registre. Surtout cruellement. Si l’on est persuadé qu’il faut tuer son égal, bibliquement parlant, pourquoi donc passer par la case souffrance ? Apporte-t-elle quelque chose de plus dans l’ignominie ?

Mais quand on bascule de l’autre côté du miroir et que l’on remplace toute humanité par une violence exacerbée, on ne peut quand même pas se souvenir de ce qu’étaient jadis les sentiments humains.

En face, on avait aussi choisi le côté sombre. Les gentils elfes dansant au son de la cithare pouvaient quitter la scène. Tant pis. Germaine et son mari étaient bien tous deux à l’origine de cette sordide affaire qui avait fait couler le sang innocent et il n’y avait pas lieu de les absoudre sans procès. Seulement, il valait toujours mieux se confronter à la justice qu’à la vengeance. Quand il en était encore temps.

Elle était tombée à genoux, comme ça, naturellement. Sans un mot, sans un cri. Non, elle n’avait même pas ouvert la bouche pour supplier. Ce n’était d’ailleurs pas dans son tempérament. Elle avait été élevée à la dure et c’est la méchanceté qui l’avait gardée si vivace. Peut-être qu’elle avait émis un couinement animal avant de faire sous elle et d’arborer ce regard fixe de ses yeux bleu océan. Mais certainement sans le moindre regret pour ses actes. Jamais tenter de revenir en arrière… surtout quand c’était trop tard !

Avant le craquement horrible de son crâne, avait-elle eu le temps de comprendre qu’elle pouvait avoir rendez-vous avec ses victimes ? Peut-être aussi que, en fonction des nuages disponibles pour y somnoler éternellement, les bons étaient séparés des mauvais pour conserver la paix du ciel. Pas la double peine quand même ! Tout au long de ces années, avait-elle quelques fois pensé à la fin tragique qui pouvait lui être réservée ? Avait-elle ressenti du remords ne serait-ce qu’une fois ? Même pas. Pas certain qu’elle aurait voulu savoir ce que c’était. Le crime ne se regrette peut-être pas quand il ne reste qu’une âme errante pour l’éternité.

Il fallait savoir cela aussi. Pas pour l’excuser, mais pour éclairer le tableau. Elle n’avait pas été aimée de ses parents, ni souhaitée, ni procréée avec plaisir, ni accueillie avec joie. La richesse n’était pas au programme. L’amour, non plus ! Il n’a pas grand-chose à voir avec des pénétrations violentes satisfaisant l’animalité de l’homme. Comment voulez-vous que, toute sa vie durant, elle n’ait pas qualifié la bonté et l’amour d’incongruités insupportables inventées par des esprits dérangés ? Passe encore la fornication obligatoire de fin de semaine pour avoir appris que la soumission de l’épouse aux assauts de son mari faisait partie de la culture de l’espèce. Sur le plan sentiment, il avait su s’en dispenser…

Tout à coup, elle avait senti le drap et la couverture qui glissaient sur ses jambes maigres et blanches. Elle avait tout de suite pensé que son mari se levait encore et il n’y avait pas de question à se poser. Depuis que sa prostate avait été charcutée au scalpel mal aiguisé par un médicastre, plus enclin à lutiner sa blondasse de secrétaire dans la chambre située au-dessus de la salle d’opération que de s’astreindre à officier efficacement, le vieil homme urinait en sifflet plusieurs fois par nuit.

Méchamment, elle avait été satisfaite de ce ratage parce que, de fait, l’étalon un peu défraîchi, mais toujours amateur de douairières exigeantes ou de jeunettes écervelées acceptant les galipettes poussives au creux des dunes, avait rejoint la catégorie des incontinents notoires. Et c’était bien fait pour lui !

Elle ne s’en était ouverte qu’une seule fois, un soir au dîner. Histoire de jouir, un court instant, d’une vengeance qu’elle considérait comme bien méritée. Il lui faisait tant de mal avec ses flèches qu’il savait si bien décocher en choisissant ses mots qu’elle avait bien le droit de s’amuser de temps en temps. Bien sûr, l’homme attaqué sur le fonctionnement même de l’outil essentiel de sa virilité ne pouvait pas baisser la tête et regarder le piètre objet dont il était question.

Sans prévenir, il s’était levé d’un bond chavirant la table pour mieux lui en allonger une bonne. Elle avait boulé en arrière et elle était tombée brutalement sur le sol en se faisant mal, mais, en retour, elle avait eu sa récompense parce que l’assiette de soupe brûlante se renversant d’un coup avait copieusement aspergé les attributs chétifs de son mari, lui arrachant ainsi la plainte bruyante de l’animal blessé.

Mais là, tout à l’heure, son réveil brutal avait été provoqué par tout autre chose. Elle avait entendu un bruit inhabituel venant de la cour. Elle aurait pu penser à un chat, mais comme elle avait copieusement empoisonné tous les greffiers qui passaient chercher pitance, il aurait fallu qu’un rescapé inconscient décidât de s’aventurer en terre inconnue. Comme elle n’avait pas la conscience tranquille, elle avait trop l’habitude de se méfier pour se tourner et tenter de se rendormir en comptant les moutons. Surtout que c’était déjà trop tard. Pas forcément pour les moutons d’ailleurs…

Ensuite, elle avait bien entendu un appel venant du dehors, le prénom de son mari emporté par le vent. Après un temps de silence, elle avait entendu la porte s’ouvrir alors que son conjoint, bien inutile, s’enfuyait à l’opposé par la véranda. Forcément, elle s’était précipitée.

Durant toutes ces années, elle avait toujours craint qu’un jour, une équipe de voleurs fasse son entrée et dérobe les bibelots du salon. Surtout que les grosses coupures étaient roulées dans le corps en céramique des saints de Bretagne, sagement alignés sur la commode. L’autre volet de la crainte était que l’on vienne leur demander des comptes. Et il y avait de quoi !

L’eau avait coulé sous les ponts et le temps avec. Lavé le sang, pour être plus précis. Le risque lui-même s’était éloigné. Ou semblait l’avoir fait…

Elle n’avait pas eu le loisir de comprendre ce qui se passait ni de s’interposer pour que l’on épargnât son mari. Et elle ensuite. Mais qu’importe ! Le choc brutal la chopant au-dessus de la tempe avait coupé court à toute conjecture.

Il avait été si violent qu’elle s’était écroulée sur le côté gauche comme un ballot de chiffons sans même se rendre compte dans sa chute qu’elle était déjà morte. Au vu de ses crimes à elle et afin d’exprimer pleinement sa vengeance à lui, il aurait pu la faire souffrir un peu avant qu’elle ne ferme son parapluie, mais le tueur avait fait ce qu’il pouvait dans le temps imparti. Un bon coup sur la pastèque et dégagez voie douze !

Son sein gauche pressé par le dallage arborait maintenant un téton fatigué en forme de bouchon marron. Pas de quoi attirer la langue agile d’un amant en rut. Les plis de son cou témoignaient des années grises et même si la peau laiteuse restait souple sous les doigts, on n’en était plus aux préliminaires. Son ventre couleur craie, encore lisse et souillé de sang frais dégoulinant, avait tout oublié des caresses viriles depuis longtemps et ce n’était pas précisément le sujet à cette heure. Surtout que celui qui l’avait prise dans un excès d’adrénaline n’en avait guère profité ensuite. Cet acte-là avait été le déclencheur de cette sordide affaire et elle avait décidé d’en faire le but de sa vie. Elle avait supporté la suite parce qu’elle cherchait dans la pénétration brutale et les soupirs besogneux l’espoir et l’oubli. La haine ne conduit pas facilement au septième ciel. Encore moins cette humidité bestiale lui souillant l’entrejambe au final. Tout à l’heure, elle avait pu craindre qu’on abusât d’elle au petit matin, les envies de certains prédateurs sont parfois inexplicables, mais personne n’était venu en ce jour pour lui faire part de son désir incompressible.

En quelques minutes terribles, elle était devenue une femme gaspillée sur le sol de la maison, exécutée comme un animal, voire pire, sans autre forme de procès, implorant peut-être que le bourreau inconnu fasse preuve de clémence. Peut-être pas. Avait-elle encore l’envie de vivre ?

Mais voilà, il y avait trop de vengeance refoulée pour que la paix puisse revenir calmement. Comment avait-elle pu croire, ne serait-ce qu’un instant, que ceux-là mêmes dont elle avait contribué sciemment à détruire la vie ne viendraient un jour ou l’autre pour lui demander des comptes par personne interposée ? Pas en argent bien sûr, mais en vengeance calculée, mûrie, vieillie au cours des années comme un nectar sublime à déguster avec un réel plaisir.

Et lui le conjoint pathétique, courant partout comme un pauvre hère pour n’arriver nulle part, il ne comprenait même pas que sa mort l’attendait aussi, juste là, au bout du chemin encore sombre. C’est drôle ce besoin des victimes de s’en prendre à leur destin alors qu’elles n’ont aucune chance de gagner. On ne change pas le texte déjà consigné dans le Grand Livre. Même l’heure y est inscrite et ce n’est pas toujours en lettres d’or. Les Justes seuls y ont droit. Les circonstances aussi sont probablement détaillées pour respecter l’histoire. D’un certain point de vue – et si c’est vrai – on conviendra que ce n’est pas forcément le plus passionnant…

La silhouette habillée de noir aux mains gantées traça des arabesques dans l’air avec un katana de très belle facture, puis leva la longue lame nue devant le vieillard chétif qu’une bourrasque aurait renversé. Il manquait l’éclair d’argent sur le fil métallique et la musique de circonstance, mais il ne s’agissait pas d’une fiction cinématographique. C’était vraiment trop pour son entendement étriqué. L’incrédulité peut être sacrément utile à ce moment-là. Pourtant il n’allait pas… y couper.

Il stoppa net, mais il ne se mit pas à genoux. D’ailleurs, il n’y avait pas de billot de bois pour qu’on lui intime l’ordre de poser dignement la tête tournée sur le côté pour subir le décollement. La frêle silhouette noire avec un turban noué à l’ancienne jouait de l’arme en la faisant tournoyer avec dextérité. Le geste était ample, délié, artistique.

C’était un moment hors du temps avec une sorte de rituel qui, forcément, ne pouvait pas durer éternellement. Un temps qui voulait exprimer quelque chose, faire réfléchir ou se recueillir. Une séquence essentielle et mortelle.

Un acte unique.

Autrement dit : l’exécution de la sentence !

Un glissement dans l’air à la japonaise et la lame gravée pénétra juste sous la courbure de la cage thoracique côté cœur, entre deux rayures bleues du pyjama terni par les lavages et dans le blanc qui n’avait plus rien d’immaculé. Elle ressortit dans le dos sur quelques centimètres teintés de rouge avant d’être complètement retirée du corps. Le geste vif était utilisé pour donner libre cours à l’épanchement sanguin jaillissant sans contrainte du cœur ouvert. L’officiante, puisqu’il était probable que c’était une femme, releva son arme sanglante vers le ciel en la tenant des deux mains comme pour saluer les dieux avant de donner le coup de grâce. Geste inutile puisque le corps du vieil homme tombé à genoux basculait lentement sur le côté comme un culbuto fatigué.

Sans bruit.

Sans vie.

D’un geste précis, la bourrelle novice venait de faire preuve d’un surprenant savoir-faire ! La lame avait réalisé un parfait aller-retour à travers le thorax sectionnant tout sur son passage et ouvrant la voie au sang libéré. Le rouge maculant les lignes bleues du pyjama n’était pas vraiment raccord, mais tant pis. Une couleur en excès crée parfois la faute de goût. Qu’importe !

Le sang coulait du torse vers le sol et se répandait lentement entre les pavés gris en s’éloignant du cadavre avec nonchalance dans la pente douce du chemin empierré. Il allait bientôt atteindre une flaque d’eau née de la dernière pluie et s’y diluer lentement.

Le silence se laissait grignoter par les bourrasques espiègles et salées. Devant le cadavre sanguinolent et pathétique du vieil homme, qui donc allait s’offusquer ? Certainement pas le vent qui venait de la mer…

I

Le commissaire Landowski était furieux.

Les averses successives attaquaient de biais les baies vitrées donnant au paysage une vision grise et floue. Le policier solitaire faisait de grands pas dans le salon sans même jeter un œil en direction de l’océan qui grondait certainement le long de la corniche, plus loin à la pointe. Il ne la voyait pas, mais la vague devait tenter de passer par-dessus la digue pour arroser les bateaux au mouillage. Pourvu qu’un marin de lande n’ait pas eu l’idée de partir seul en mer en tennis et tee-shirt par ce temps de chien ! L’équipage de la vedette Ar-Beg de la SNSM appréciait moyennement les interventions provoquées par les inconscients.

La dernière fois que Landowski avait pu faire un break pour se reposer un peu avec sa compagne, la magistrate Lorraine Bouchet, et dans la maison de celle-ci en Finistère sud, il avait été embarqué de force dans une affaire criminelle amenée sur le tapis par Angelina Lafos, magistrate elle aussi.

Elle s’était pointée à Trévignon avec, dans sa valise, un polar qui avait donné des idées à un tueur se lançant dans le ménage musclé du côté de Lesconil.* Bien sûr, elle avait fortement insisté pour inviter Landowski à y mettre son grain de sel et, devant la pression de l’assistance qui aurait pu jeter des bigorneaux en signe de satisfaction, il avait dû s’y coller.

Pour être bien certaine de forcer la main au célèbre flic, Angelina avait emmené dans ses bagages le commandant Ange P. et le lieutenant Jim Sablon. Les joyeux duettistes, amis de longue date du divisionnaire, avaient suivi la réquisition et s’étaient amenés dare-dare du côté de Trescao pour prêter main-forte à leur supérieur et ami.

Essayer de dénouer une affaire criminelle en bord de mer était une opération à moindres risques, à moins de tomber sur un fada de la gâchette ou des explosifs. Rien à voir avec les interventions dans les squats, les zones de deal ou les prises d’otages – mais ils n’avaient pas non plus signé pour avoir une vie de Bisounours !

Comprendre comment ce policier de la DRPJ de Paris et cet autre de la DGSI avaient encore une fois pu obtenir de leurs hiérarchies respectives le blanc-seing pour filer une fois encore vers l’ouest restait un mystère. Lorraine Bouchet avait dû peser de tout son poids. Parfois dans les débriefs de fin d’opération qui ont lieu dans les commissariats, quand les nouveaux posaient des questions on répondait que leur palmarès justifiait largement ces trous dans la raquette assumés par leurs supérieurs, et la référence au célèbre divisionnaire Landowski était lancée çà et là. Et puis il y avait l’aura étincelante de la magistrate Lorraine Bouchet, très appréciée dans les étages les plus élevés du nouveau palais de justice de Paris, érigé récemment dans le quartier des Batignolles. Ceci expliquait cela. Peut-être…

Les intéressés eux-mêmes ne se posaient pas la question. Ils avaient la certitude chevillée au corps de faire leur devoir en toutes circonstances. N’était-ce pas là le principal ?

Landowski pensait à ça en regardant la mer. Le gris du ciel se morcelait du côté des îles des Glénan. Il y était allé un peu fort en pensant que son après-midi allait être pourrie par la pluie et bousculée par le vent. Il ne détestait pas ces bourrasques musclées qui tapaient sur le vitrage si, et uniquement si, elles s’estompaient bien vite pour éclaircir le ciel.

Oui, il était vraiment contrarié parce que la haute hiérarchie avait profité de son déplacement perso en Bretagne pour le désigner d’office sur la protection rapprochée d’un témoin discret, mais néanmoins capital. Celui-ci devait être entendu à la barre d’un procès criminel qui se déroulerait les jours prochains au palais de justice de Quimper. Le témoin en question, détenu pour autre cause à Fleury-Mérogis, serait déplacé la veille à la maison d’arrêt de Brest par une équipe de transfèrement de l’administration pénitentiaire puis conduit discrètement le lendemain de bonne heure à Quimper. Il n’assisterait qu’à l’ultime audience pour répondre aux questions du président de la cour avant de repartir vers Brest en fin de journée. Compte tenu de la “qualité” du personnage et le risque toujours présent d’une tentative d’évasion rocambolesque ou d’une exécution en bonne et due forme, il n’était pas question de le laisser faire du tourisme. Son voyage retour vers Fleury, le mode de transport, la date et l’heure, resteraient secrets, bien entendu. Pour le moment, Landowski lui-même n’en savait fichtre rien !

Le jour précis choisi pour l’audition du témoin était lui aussi gardé secret. On pouvait évoquer le lundi puis renvoyer au jeudi tout en, finalement, revenir au mardi ou au mercredi. Il y avait encore bien des personnes convoquées à entendre et il fallait laisser du temps au temps… Probablement même que le flou artistique était entretenu afin qu’aucune opération musclée ne soit possible à monter du jour pour le lendemain. Quand on juge ce type de prévenus, on doit s’attendre à tout. Même si leur liberté passe par le sang versé.

On ne savait pas précisément la teneur de la déposition qu’il était censé faire, mais ce qu’on savait c’était que son témoignage déciderait de l’avenir de l’accusé. Il y avait de la perpète dans l’air. Pour les proches de l’accusé, la solution la plus radicale était de rayer le vilain petit canard des effectifs, quitte à faire des victimes dans l’escorte. « Dommage collatéral », on appelle ça pudiquement. Les cadors ne jouent pas à l’économie quand il s’agit de leur liberté.

Ironie du sort, témoin et accusé pourraient bien faire partie du même convoi. Selon le protocole, il y aurait deux fourgons, peut-être même trois, afin que l’on ne puisse pas savoir dans quel véhicule se trouveraient l’un et l’autre des détenus. Monter une opération pour attaquer trois diligences en même temps, relevait du plus pur défi. Clint Eastwood en aurait perdu son latin !

Et puis il y avait une autre bonne raison !

Une embuscade sur la voie express visant à éliminer le témoin pouvait aussi conduire à la mort du prévenu lui-même, une manière très originale de lui faire recouvrer la liberté, vous en conviendrez. Quant à l’avenir du témoin, il n’intéresserait alors plus grand monde…

De fait, l’un protégerait l’autre et vice-versa. De quoi tempérer toute envie de faire parler la poudre. Tordu, mais intelligent.

Ce qui agaçait le divisionnaire, c’est qu’il devrait rester en stand-by jusqu’au dernier moment et n’être informé qu’une fois les deux prévenus en route. Certes, il avait une idée de la date, la session étant bornée sur le calendrier, mais il n’aurait pas le loisir de partir à la pêche en mer. Si, en plus, il fallait venir le chercher en hélico, vous voyez le souk ! Pour une affaire discrète, on pourrait repasser ! Pour éviter cette nébulosité, le divisionnaire avait exigé d’avoir la main sur la totalité de la séquence. Il n’est jamais très bon d’avoir des chiens affamés qui se disputent le plat de côtes ! Il ne savait pas encore que ses exigences et ses certitudes tomberaient à l’eau très prochainement…

En attendant, on n’avait pas lésiné sur les moyens matériels et humains mis à sa disposition pour sécuriser l’opération qui comprenait le voyage aller, l’audition et le retour vers Brest. Une fois la déposition du témoin faite, à huis clos à cause de la dangerosité du prévenu, et la version de l’accusé consignée, on respirerait un peu mieux. Peut-être. Landowski pourrait alors rentrer à Trescao et se détendre en regardant les îles des Glénan somnoler comme des bateaux au mouillage.

Lorraine Bouchet, sa compagne, avait tenté de le dispenser de cette affaire en intervenant dans les hautes sphères, mais on lui avait intimé l’ordre de ne pas insister au risque de ternir à jamais son image de magistrate émérite. De quoi penser qu’il y avait un coucou dans le potager ou une anguille sous roche. Il ne s’agissait quand même pas de menu fretin et l’accusé avait de bonnes raisons de prendre cher. Donc tout serait fait de son côté pour clore le bec à la seule et unique personne qui pouvait l’enchrister grave. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour le comprendre ! Mais le témoin lui-même saurait défendre sa peau. Peut-être…

Le divisionnaire avait quelques raisons quand même de traîner les pattes en ronchonnant. C’était beaucoup pour un seul homme, même pour un cadre chevronné de la police et fonctionnaire doté d’une réussite exceptionnelle ! La séquence serait à très hauts risques. En effet, le transfèrement d’un accusé et de son accusateur en même temps ne s’était probablement jamais fait, surtout que les parties adverses avaient des raisons, bonnes ou mauvaises, de faire tabula rasa. Ensuite, on compterait les cadavres, on défilerait en costume noir pour les uns et voilette brodée à l’ancienne pour les autres derrière un corbillard couvert de gerbes de fleurs, et on reprendrait progressivement les affaires où on les avait laissées. Le recueillement qui dure trop longtemps risque de ramollir les cerveaux.

D’un index dressé, il écrasa une gouttelette d’eau qui courait le long du joint sur la baie vitrée. Il avait pourtant diminué d’un degré le réglage “confort” de la pompe à chaleur. Lorraine aimait bien retrouver son petit nid douillet en sortant du taxi et elle serait là le week-end prochain. Landowski, lui, trouvait qu’il y faisait toujours trop chaud et elle le taquinait en lui disant qu’elle apprécierait bien de le voir se balader dans le salon uniquement vêtu d’un marcel s’il daignait enfin se dévergonder un peu ! Déambulation osée toujours repoussée par le commissaire divisionnaire Landowski. On a ses principes tout de même !

Les jours de pluie, l’humidité s’affichait partout et laissait un arrière-goût d’hiver. Le printemps était là, mais l’arrosage n’était pas terminé. Il ne fallait pas croire au père Noël ! Le commissaire n’appréciait pas trop ce temps-là. Les caprices de la météo bénéficiaient davantage aux fuyards qu’aux poursuivants. Une course-poursuite sur la voie express sous des bourrasques insolentes, il n’en était pas fan. C’était vraiment donner l’occasion à une équipe un peu barrée de s’en prendre à l’escorte avec du gros calibre. C’est drôle, mais les malfrats adorent en découdre pour exhiber leurs talents et parader devant leur mentor, le biceps ensanglanté.

Selon toute vraisemblance, la vedette du moment allait être bien servie par ce procès en attendant le prochain round. La cruauté de ses actes lors de son dernier braquage perpétré en région parisienne exigerait une sévérité à la hauteur.

Ali Kacelema savait très bien que le farniente au bord de la piscine du côté de Tizi Ouzou, d’où était originaire sa famille, resterait un mirage dans le désert. Il avait promis à sa mère de s’y retirer, mais il n’était pas pressé d’effectuer un retour aux sources et de vivre à l’ancienne en enfilant la djellaba qu’il n’avait d’ailleurs jamais portée vu qu’il était né en région parisienne.

Tout jeune et trop souvent livré à lui-même, il avait été entraîné par les hommes du quartier et il avait, comme beaucoup, succombé à l’attrait de l’argent facile. Il n’en était pas resté bien longtemps au deal de banlieue et il s’était essayé au braquage de banque avant de commencer à tuer pour les autres puis pour lui. Gêné aux entournures, il avait très vite constitué son propre gang et il s’était adonné à la torture pour répondre à la demande toujours plus exigeante de ses commanditaires.

Jusqu’à ce matin fatidique où il avait exécuté deux convoyeurs de fonds qui avaient pourtant déposé leurs armes et levé les bras. Ces hommes-là ne faisaient que leur boulot. Il les avait fait s’agenouiller, s’était amusé de leur frayeur devant une mort annoncée, leur avait tiré une balle dans chaque genou avant de charcuter les plaies avec un poignard afin d’entendre leurs hurlements de douleur incoercibles. Les sévices savamment pratiqués ensuite ne sont pas audibles pour le commun des mortels, mais ils ont conduit à l’exécution sordide des deux convoyeurs. Même pas comme des chiens. Pire…

C’était cet homme-là que Landowski devrait protéger afin qu’il soit en mesure de répondre de ses actes devant une cour d’assises le moment venu. Il aurait mérité davantage si la loi du talion avait encore été d’actualité, mais qu’il soit détenu en prison pour le restant de sa vie, ce ne serait déjà pas si mal. Aux jurés de décider…

Vivre sans espoir de retrouver la liberté avant des dizaines d’années, ou pas du tout, ça n’embellirait pas la vie quotidienne ni ne donnerait aux insomnies, fréquentes en prison, du baume au cœur. L’absence d’espoir afficherait sa cruauté…