Retour de bâton à Plogoff - Serge Le Gall - E-Book

Retour de bâton à Plogoff E-Book

Serge Le Gall

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Beschreibung

Agelina Lafos, magistrate, se souvient d'un meurtre commis lors de son adolescence et tient a enquêter... Le criminel sort alors de sa somnolence !

Plogoff. Sur l’esplanade de la chapelle de Notre-Dame-du-Bon-Voyage, une jeune routarde paumée, accepte l’aide d’un inconnu qui passe. Mauvaise pioche. La mort est au rendez-vous.
Angelina Lafos, adolescente, s’amusait non loin avec ses cousins. Devenue magistrate, elle décide d’enquêter sur cette affaire jamais élucidée en compagnie de sa collègue Lorraine Bouchet.
Mais réveiller un criminel qui somnole n’est jamais une bonne idée. Celui-ci se met à sévir de Pont-Croix à Audierne en passant par la baie des Trépassés.
Aussi futées soient-elles, on ne laisse pas deux magistrates de la République dans la nature ! Le commissaire divisionnaire Landowski et ses deux acolytes, Ange P. et Jim Sablon, ont reçu mandat d’assurer discrètement leur protection.
Duo féminin ou trio policier, lequel arrivera en tête pour le bouquet final ?

Dans ce polar breton duo féminin, trio policier, dangereux criminel et suspense sont au rendez-vous !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Dans la collection Pol’Art, Serge Le Gall a mis en scène les tribulations du détective Samuel Pinkerton. Dans la collection Enquêtes et Suspense, il vous propose de participer ici à la nouvelle enquête du désormais célèbre commissaire divisionnaire Landowski.

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Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

PROLOGUE

— C’est bien simple, ma jolie dame ! On n’a pas bien compris comment tout ça est arrivé.

Et puis, c’est de la faute de cette pauvre fille. Est-ce qu’elle ne pouvait pas aller se faire tuer ailleurs ? Je vous l’demande ! Elle venait de je ne sais où pour aller nulle part. Peut-être qu’elle n’avait peut-être pas choisi d’être là, que c’était un hasard, un mauvais concours de circonstances mais quand même !

On habitait dans un hameau tranquille avec les tracas habituels de la vie. P’têt que vous ne savez pas ce que c’est si vous êtes de la ville mais, en campagne, on connaît tout le monde. On apprend la naissance de la petite dernière, le décès du patriarche, la faillite d’untel, les aventures d’un autre et puis l’histoire d’amour impossible entre deux amoureux parce que les familles peuvent plus se souffrir depuis la Libération cause que l’un d’eux…

Je ne vais pas vous saouler avec mes cancans mais c’est vrai qu’on aimait bien certains et qu’on détestait d’autres…

Pour exemple, le Louis de la ferme d’en bas, quand il était encore d’attaque, c’était quand même un drôle de phénomène avec de la paille sur sa chemise à carreaux et dans ses cheveux gris en fin de journée. Il avait besoin comme on dit. Enfin, vous voyez ce que je veux dire. Chez lui, il ne trouvait pas son content, probab’. C’est vrai aussi qu’il n’en avait jamais assez. L’après-midi, il devenait comme fou. Pour les femmes, surtout les filles, ce n’était pas le moment de se promener seule en pleine campagne. Le Louis, il allait fièrement, la chemise ouverte et les yeux injectés de sang. Il était en chasse et de n’importe quel gibier ! Dans le hameau, tout le monde le savait ! Certaines plus que d’autres ! Si vous étiez une femme, fallait pas le croiser dans un chemin creux à l’heure de la sieste ! C’est vrai aussi qu’il y en avait qui y allait exprès ! Enfin, c’est la rumeur qui colportait ça. Moi, ce que j’en dis c’est pour parler. J’y étais pas hein ! Et puis Louis, il n’était pas natif de Plogoff !

Mais vous n’êtes pas venue pour que je vous raconte la vie de çui-là ! Bien que, s’il est passé par là, ce jour-là, à cette heure-là… S’il n’a rien fait, c’est qu’il avait un temps de retard. Mais il a pu rester regarder. Même se régaler. Les gendarmes n’ont pas dit ce qu’on avait fait à la jeune fille. Après tout, fallait lui laisser un brin de discrétion à cette pauvre petite. De décence aurait dit ma mère. Pour vous en finir, le Louis il est passé sous un tracteur fin août. Je ne sais plus quelle année. Je crois qu’il bricolait sous le Massey-Ferguson de Raymond dans la pente d’une parcelle. Il a fait le tour par l’arrière, allez savoir pourquoi alors qu’on fait jamais ça, et puis les freins ont lâché. La charrue était attelée. Il s’est fait raboter le ventre jusqu’à… Enfin vous voyez ce que je veux dire. Ils ont eu du mal à lui recoudre la poitrine mais c’était superficiel. Pour le reste, ben dame tant pis ! On a dit que c’était une punition par où il avait péché si souvent. On a dit aussi que c’était pas normal ce qui était arrivé, que le propriétaire de l’engin avait des choses à lui reprocher à propos de sa femme mais on n’a rien pu prouver. Y a pas eu d’enquête. On a dit que c’était un accident et puisqu’il pouvait plus, le calme est revenu dans les halliers.

La femme de celui du tracteur c’était une jolie blonde, bien trop fragile pour les travaux de la ferme. Parfaite pour Louis, forcément. Son homme avait du bien. Il lui achetait tout ce qu’elle voulait mais il était trop fatigué pour penser à essayer de lui faire un enfant. D’ailleurs, elle a fini par partir avec un gars de la ville. Un ingénieur des Ponts et Chaussées qui était venu tout jeune pour faire des plans pour la Centrale. Déjà à l’époque, il avait dû la remarquer.

Cette femme préférait se promener dans les chemins creux, habillée court forcément. Elle était du genre fleur bleue, à espérer une histoire d’amour avec des mots tendres. Peut-être qu’elle aurait dû rester auprès de son homme. On a dit aussi que lui, il pouvait pas bien, qu’il avait eu un phimosis et que le chirurgien l’avait esquinté. Moi, j’ai pas vérifié. On dit des choses sans savoir parfois, juste par méchanceté. Mais bon, chacun fait ce qu’il veut. Après faut pas v’nir se plaindre. Et puis y a des femmes qui veulent bien et des hommes qui ont toujours envie. S’ils arrivent à se rencontrer, c’est quand même assez normal. C’est la nature !

Pour en rev’nir à notre sujet, l’autre était arrivée dans le coin depuis quelques semaines. On a pas trop su quand. Un matin, elle était là dans le paysage, un point c’est tout. Elle s’était installée en location sur la hauteur dans une maison entourée d’hortensias. Malgré le vent, ça pousse bien par chez nous.

Dès le lendemain du drame, on a entendu dire que c’était suite à un chagrin d’amour qu’elle était venue se perdre chez nous. Elle ne voulait plus voir personne et surtout pas les hommes ! Pas certain que ça c’était vrai ! Moi j’ai dit que c’était une prétentieuse ! C’était pas la peine de chercher midi à 14 heures. La vie de couple, ça a bien changé tout ça. On quitte un pour aller avec l’autre. Quand on n’est plus bien ensemble, on se sépare et les gosses ne savent plus de quel côté aller. De mon temps, on restait avec le même du début jusqu’à la fin même si des fois… À part que si il avait fumé, bu et couru les filles plus que les autres, il était toujours en avance. Surtout pour aller au cimetière.

Quand on passait devant chez elle avec Irène, on la voyait assise à son bureau. Devant elle, y avait rien d’autre qu’un un miroir. On avait dit qu’elle avait un souffle au cœur et qu’elle avait besoin de repos. Du souffle, elle devait en avoir avec la bouche qu’elle avait pour… Enfin, on se comprend entre femmes hein ? Du repos pour une comme ça qui devait passer son temps sur le dos ? J’aurais bien voulu avoir la même fatigue ! Mais ce n’était déjà plus vraiment de mon âge d’aller avec les hommes. D’abord, ils n’auraient pas voulu de moi et ensuite, comme j’ai jamais beaucoup aimé faire ça, je n’aurais pas eu de plaisir.

Mais elle, elle devait en avoir. Pas possible autrement ! Parce qu’elle était belle la garce avec ses cheveux noirs à l’espagnole qui descendaient dans son dos. Du reste, il n’y avait que les cheveux de longs parce que la jupe avait raccourci au lavage. Le caraco aussi, comme ça on pouvait voir la couleur de la culotte rose qui débordait d’un bon centimètre. Ben voyons ! Et puis elle avait encore un paquet de belles années devant elle. Je la trouvais bien jeune pour une romancière. Paraît qu’elle avait eu un grand succès pour un récit d’adolescente amoureuse. Enfin…

Je n’ai pas été à l’école assez longtemps pour savoir toutes les choses mais je sais bien ce que je dis. J’ai de l’instruction et je fais attention de ne pas faire de fautes quand il faut écrire une lettre à la directrice. Quand y a pas de madeleines au quatre-heures, faut pas hésiter à réclamer. Par écrit, c’est toujours mieux. Les paroles…

Notre institutrice, c’était une vieille fille. Elle n’avait donc rien de mieux à faire que de nous houspiller sans arrêt. Bien obligées d’apprendre qu’on était !

Je disais donc que quand cette étrangère est venue s’installer dans le village, le temps s’est couvert comme souvent le dimanche des Rameaux. C’est drôle comment le climat comprend toutes ces choses.

Elle avait écrit deux livres. Assez épais même. Mon père aurait calé les meubles avec s’il était encore de ce monde. Irène m’en avait prêté un. Forcément dès qu’elle avait su qu’elle écrivait, elle s’était précipitée pour lui en acheter un et la faire écrire un petit mot dessus. Moi, je ne comprenais rien de ce qu’il y avait dedans. C’était des histoires de crimes avec du sang et des larmes mais j’ai toujours préféré des romans à l’eau de rose. Des histoires où c’est triste parce que lui est parti et qu’elle pleure sur son propre sort en attendant de refaire sa vie avec un gentil garçon qui est sérieux et tout. Ou alors c’est elle qui est malade, d’une maladie qu’il n’y a pas de remède et que son amoureux arrive de loin pour la prendre dans ses bras une dernière fois.

Il paraît qu’elle gagnait sa vie avec ses histoires. Je trouve ça un peu bizarre mais maintenant c’est comme ça. Les choses ont changé. Il n’y a que moi qui ne bouge pas !

Toujours est-il qu’elle promenait tous les jours son chien dans la route qui monte à la chapelle. C’était une bestiole affreuse. Il était petit et noir comme du charbon. On ne savait pas par quel bout il commençait ni par quel bout il finissait. C’est quand il aboyait qu’on arrivait à comprendre.

Et teigneux avec ça ! Il avait toujours envie de mordre les chevilles. Moi, je le repoussais du pied avec le sourire en coin. Il couinait des fois parce que je lui caressais un peu trop les côtes mais je suis sûre qu’il n’avait même pas mal. C’était un dur à cuire et il était bien malin. Fallait le voir sauter les clôtures et dévaster les potagers en creusant des trous. On appelle ça un chien terrier. Un bon à rien oui !

Sa maîtresse ne lui disait rien. Pourtant, il aurait mérité un coup de trique pour lui apprendre la vie. Elle lui passait tous ses caprices mais je crois bien qu’elle pensait tout le temps à autre chose. J’en suis même sûre !

Donc elle marchait dans le chemin creux qui monte à la chapelle de Kergroas. Tout là-haut, se trouve l’esplanade où on célèbre la messe du pardon de Notre-Dame du Bon Voyage en juillet. Les gensss ne peuvent pas entrer tous dans la chapelle. Sur le côté, il y a une route goudronnée mais il n’y a que les grosses voitures de touristes qui roulent dessus. À croire que la Révolution n’a pas changé grand-chose…

Moi, j’allais sur la route quand j’en avais envie et il aurait fait beau qu’ils viennent me dire de m’écarter ou de marcher sur l’herbe ! Mon père était dans le syndicat quand il a fallu défendre les ouvriers et ce n’est pas moi qui aurais plaint ces riches à millions. Ils ne m’avaient pas fait de mal mais je restais sur mes gardes. Le vent aurait pu tourner à l’orage sans crier gare.

Donc elle marchait sur le chemin avec son chien en prenant son temps. Je la vois encore rejeter ses cheveux en arrière comme ces femmes que je vois à la télé et qui se tortillent dans des robes serrées. Je dis pas ça pour vous hein mais je crois toujours qu’elles ont envie de faire pipi et que même c’est pressé !

La miss, elle devait se dandiner pareil au cas où elle aurait croisé un homme appétissant et disponible. Elle n’était pas du genre à laisser passer une occasion. Moi, j’ai toujours dit qu’elle avait des rentrées d’argent de la main à la main. Irène m’a dit alors que j’étais médisante mais j’ai trouvé dans son air qu’elle aurait bien voulu que je lui dévoile des secrets lui prouvant le contraire. Comme elle m’a rembarrée avec mes histoires, j’ai fermé mon bec. Surtout qu’Irène, côté potins, n’était pas une sainte non plus !

On a dit qu’elle était en train de réfléchir à son prochain livre, que la nature lui donnait des idées et qu’elle était souvent en petite culotte derrière le talus pour vérifier les choses par elle-même ! Pour faire plus vrai ! Encore une invention ! Et que c’est pour ça qu’elle n’a rien vu qui aurait pu faire avancer l’enquête. Occupée à autre chose qu’elle était ptêt ! Moi, je crois pas à ses explications de mijaurée. Est-ce qu’elle a dit aux gendarmes ce qu’elle a fait pendant ce temps-là ? Avec qui elle était là-haut ? Ben non ! Ce n’est pas le chien moche qui aurait pu dire quelque chose !

Elle a raconté que, quand elle est arrivée au croisement avec la route qui descend sur Keringard, il y avait un silence de mort. Comme si elle savait déjà ! Là-bas, il n’y avait pas beaucoup de monde à cette époque. Il n’y passait jamais personne à part quelques rares promeneurs qui s’étaient écartés du chemin de randonnée.

Depuis le parcours a été aménagé. Il passe non loin de là et les gamins du bourg ne s’amusent plus à déplacer les panneaux indicateurs comme dans le temps. Ni les aînés d’ailleurs puisque les CRS sont partis depuis longtemps.

Après elle a dit qu’elle avait senti une odeur de parfum. Elle a parlé de jasmin. Faut avoir le nez quand même hein ! Je me demande bien comment elle a pu faire pour s’en rendre compte. Déjà avec le sien, on croyait qu’elle venait de renverser le flacon ! Une sorte de parfum léger qu’elle a dit ! Nous, on avait l’eau de Cologne pour mettre le dimanche avant la messe et c’était tout !

Le chien a sauté sur le talus. Il a jappé un moment avant qu’elle bouge ses fesses. Elle devait réfléchir fort, dites donc ! Enfin, elle s’est approchée. Forcément, elle n’a rien vu parce que le talus était en hauteur avec des arbustes coupés à ras et bien repartis du pied.

Le chien lui, il était parti dans le champ et il a continué d’aboyer. Elle a expliqué ensuite qu’il voulait qu’elle le rejoigne. Elle a fait le tour pour trouver l’entrée de la parcelle. Elle n’allait pas abîmer ses chaussures vernies en grimpant sur le talus. De bras secourables, elle aurait eu besoin. Peut-être qu’elle en sortait. Sûr !

Elle a dit qu’elle était passée sous le câble électrique tiré en travers de l’ouverture pour empêcher les génisses d’aller brouter à ras l’herbe du pré d’en face. Savait même pas reconnaître une vache ! Puis elle a suivi la limite des labours pour rejoindre son chien. L’autre casse-pieds ne l’attendait pas. Il continuait à cheminer le long du talus en râlant comme à son habitude.

Jusqu’à ce qu’il s’arrête et qu’il n’aboie plus.

Et c’est alors qu’elle a vu la pauvre sur le sol avec ses effets tout déchirés. Elle était allongée sur un tas de cailloux qu’on entasse en bout de champ quand on a labouré. Elle était morte et c’était pas beau à voir, paraît-il. Surtout que le sang avait giclé un peu partout. Comme si on avait voulu être sûr qu’elle se taise pour toujours, la mignonne. Des gamins du coin sont arrivés au même moment. C’est eux qui ont donné l’alerte.

Elle n’était pas d’ici la morte ! Irène l’avait vu passer devant chez elle par la véranda construite après la mort de son mari. Lui il voulait pas en entendre parler. Il disait qu’il ne voulait pas vivre dans un bocal ! Surtout qu’il était assez cuit de figure pour jouer au poisson rouge ! Irène habite une des maisons du village mais à l’écart, c’est elle qui m’a raconté tout ça. Même que la jeune a dormi chez elle vu qu’elle n’avait pas où aller. Les gendarmes sont venus pour écrire des choses dans leur carnet. Et puis, le vendredi soir, ils sont repartis comme ça, sans rien dire. Même pas au maire, rendez compte !

Elle, la petite vertu, elle est retournée sur les lieux alors qu’il n’y avait plus rien à voir. Irène l’a vue passer elle aussi devant chez elle. Elle a dit que l’étrangère avait une mine de papier mâché qu’on a quand la nuit a été agitée et trop courte. Elle connaît ça Irène. Elle avait pas la télé et plus de mari alors. Bon, j’vais pas lui casser du suc’ sur le dos vu que c’est une copine ! Au soir, on a vu le chien moche redescendre de là-haut mais sans sa propriétaire. On ne l’a plus revue chez nous.

Moi j’vous dis tout ça alors que je devrais fermer mon clapet. Mais après tout, c’est que du vieux cette histoire. Il y a bien longtemps que c’est arrivé. Y un paquet d’années de ça mais je saurais pas dire quand exactement. Ma mémoire me joue des tours. Irène me houspille quand elle vient me voir parce que je finis par radoter qu’elle dit. Sauf que moi je sais c’que j’dis ! L’année où la chose est arrivée, j’étais pas encore en maison de retraite à finir mon temps. Ici c’est loin de Plogoff. Mes enfants m’on envoyée dans cette maison parce que c’est plus près pour eux. Sauf que je vois pas ce que ça change puisqu’ils viennent pas me voir plus souvent ! Et puis j’étais bien chez moi. Je faisais mon petit train-train tranquillement. Enfin…

Comme ça ma p’tite dame, on aura parlé un peu en attendant le quatre-heures. À ma table de la salle à manger, y en a deux qui ont « Alzémer ». Elles racontent toujours la même chose mais ça occupe parce que faut attendre son tour pour le café. La troisième, elle tremble tout le temps. Alors on lui donne de la bouillie à la cuillère. Au final, y a que moi de bien pour encore !

Mais vous là, vous êtes qui pour venir ici me poser des questions comme ça ?

I

— Angelina, regarde sur ta gauche juste là !

Lorraine venait de lever le bras en direction de la mer. La grande femme brune habillée chic qui l’accompagnait demanda :

— Le bateau orange ?

— Oui ! C’est la vedette de la SNSM de Trévignon qui rentre au bercail. C’est un treuil qui la hisse sur la plate-forme de l’abri à son retour. Je t’ai montré le bâtiment ce midi quand on a pris un verre en terrasse. Il y aura prochainement une construction neuve pour abriter une nouvelle vedette. Je le sais par Lando car le trésorier de l’asso qui travaillait dans la banque avant sa retraite lui a montré les plans.

— Hey, Lorraine ! T’en sais des trucs !

— Tu sais, ici c’est devenu mon quartier. Enfin, un peu car je ne voudrais pas froisser les habitants réguliers. Les Bretons sont parfois susceptibles !

— Peut-être parce qu’ils défendent leurs racines…

— Certainement et ils ont bien raison !

Lorraine reprit sa respiration.

— Dès qu’on a un week-end de libre avec Lando, on se pointe… à La Pointe quand on a un créneau ensemble. Parfois, il faut qu’on parte de loin mais on y arrive ! Mon patron est conciliant et celui de Lando laisse faire. Dans la mesure où nous faisons l’un et l’autre notre boulot…

— Jamais on ne vous a fait rentrer dare-dare ?

— C’est arrivé, tu penses bien ! Pour sauver la République ! Ordre de mission remis en main propre par motard, taxi une heure après. Ensuite avion de ligne régulière retardé sur ordre et comité d’accueil à Villacoublay à l’arrivée !

— C’était un peu classe non ?

— Si on veut…

— Tu n’as pas apprécié ?

— J’avais fait un gâteau moi !

Elles se mirent à rire toutes les deux.

— De ma terrasse, je vois passer le bateau de sauvetage, continua Lorraine. Le dimanche, c’est souvent pour une dispersion de cendres en mer du côté de Men Du !

— Pas drôle…

— Il faut respecter les dernières volontés du défunt et ça se fait de plus en plus. C’est en tout cas ce que m’a dit le président !

La grande femme brune demanda :

— C’est quoi Men Du ?

— Un affleurement de roches signalé pour la navigation par une tourelle. Tu la verras de la maison.

— Et ton commissaire chéri, il vient souvent jusqu’ici ?

— Un peu moins que moi mais il reste plusieurs jours. Quelquefois, plusieurs semaines.

— Pour aller à la pêche ?

Lorraine s’esclaffa.

— Lando à la pêche ? Sûrement pas ! Je le vois pas assis sur son siège pliant la gaule à la main !

— Ben il fait quoi alors ?

— Pour ne pas perdre la main, il traque les criminels qui rôdent dans le coin. Les flics c’est 7/24 !

— Et son boss de la DGSI le laisse faire ? Lorraine soupira avant de répondre :

— Tu sais, Lando est un peu un électron libre. Il est encore de la vieille école et il arrive toujours à ses fins. Tant qu’il a de bons résultats, sa hiérarchie le laisse faire ! Il fait des envieux et si un jour…

— Et t’en penses quoi ? coupa l’invitée.

Lorraine regarda ailleurs en hochant doctement la tête.

— Je voudrais qu’il pose son flingue qu’il ne quitte pratiquement jamais et…

— Il ne dort quand même pas si ?

— Non puisque c’est avec moi mais…

— Il le pose sur la table de nuit ! Les flics font ça !

— Tu sais ça toi !

— Disons que j’ai pratiqué la profession…

— L’expérience a parlé !

— Il le fait aussi pour te protéger ! Positive !

Lorraine soupira.

— Je voudrais qu’il quitte la DGSI, qu’il rentre dans la préfectorale, qu’on ait enfin des enfants, un chien, un canari !

— La montagne l’hiver, la mer l’été ? J’le vois pas bien…

Lorraine soupira.

— Moi non plus !

— Et vos vacances, ce serait donc ici !

— Comme beaucoup de familles ! Le sous-préfet assurerait la permanence. Lando ne serait pas toujours sur le pont comme à la DGSI. Je lui ferai découvrir un nouveau mode de vie : profiter des vacances sans passer son temps à régler les affaires criminelles du Département à la place des fonctionnaires locaux qui sont à même de le faire !

— La tâche risque d’être assez rude non ?

— Je vais devoir être patiente et persévérante…

— Tu as du talent pour ça, Lorraine ! Il arrive qu’on parle de votre couple police-justice entre filles au boulot !

— Je crains le pire…

— Non non ! On s’étonne puis on t’envie ! Lando a un côté protecteur que les femmes apprécient.

— Je vous le prête si vous voulez !

— Tu prends des risques !

— Pas du tout ! Je lui fais confiance !

— Et ici alors, c’est comment ?

— Il y a tout ce que j’aime ! Je fais de la plongée, je pratique l’aviron de mer. Lando, quant à lui, n’a pas le pied marin mais il s’est adapté au lieu. La banlieue des malfrats, il en a soupé. Il y a un temps pour tout.

— Il a trouvé ses marques ici ?

— Je crois oui !

Lorraine haussa les épaules.

— Enfin, s’il n’y a pas une disparition, un enlèvement ou un assassinat dans le coin ! Parce que là, je ne peux plus le tenir !

— Il fait quoi si c’est calme ?

— Le matin, il va jusqu’à La Pointe. De temps en temps, il boit un p’tit blanc avec les vieux loups de mer qui restent. L’après-midi, il va se baigner et peu importe la température de l’eau. Ensuite, il attend que les bateaux côtiers rentrent au port et achète du poisson ou des fruits de mer si ça lui dit. Le soir, on dîne en terrasse et, si le temps le permet, nous allons marcher en bord de mer.

— Donc tu voudrais qu’il suive ton conseil…

— Ben oui ! S’il entre dans le corps préfectoral, ce sera autre chose. Il prendra des distances avec les enquêtes criminelles. Je l’aurai pour moi seule, tu comprends ? Il a son côté macho mais aussi son côté nounours.

— Qui plaît aux dames, tu veux dire ?

— Rien qu’à moi parce que j’ai mon côté tigresse quand il faut !

À bon entendeur… Lorraine se retourna vers sa collègue.

— Au fait, est-ce que tu connais Jim Sablon et Ange P. ?

— Les deux copains de Lando ? Je les ai rencontrés une ou deux fois lors d’un pot de changement d’affectation. Tu sais, la cantine des Batignolles c’est comme une agence de presse ! Il suffit de mettre une pièce dans le bastringue et c’est parti ! On peut sans risque puisqu’on est entre nous !

— Ces deux-là rappliquent ventre à terre pour lui prêter main-forte dès que Lando est là. Eux aussi font un peu ce qu’ils veulent ! À croire que leurs patrons à Paris apprécient d’en être débarrassés pendant quelques jours ! C’est vrai que parfois…

— Et donc tu fais chambre d’hôte !

Lorraine s’insurgea :

— Ah, pas question, ma grande ! Je les supporte à l’apéritif. Et encore ! S’ils restent déjeuner, je fais simple. Ici tu trouves des fruits de mer extra-frais presque tous les jours pour ton entrée. Ensuite, je leur fais un filet mignon avec des patates. Un bout de gâteau breton pour caler le tout et c’est bon.

— Et pour le couchage ?

— Pour ça, ils se débrouillent. Ils ont trouvé un gîte non loin qui leur va très bien ! Une fois, je les ai eus tout un week-end prolongé. Je ne te dis pas l’état de la salle de bains après leur passage ! Heureusement qu’on en a une deuxième à l’étage…

Elle haussa les épaules.

— Et puis faut pas laisser une bouteille traîner sinon ils te la vident dans le quart d’heure en parlant fort et en se racontant des histoires de flics ! Hors service, ils se lâchent ! C’est bien normal !

Angelina sourit.

— Mais tu les aimes bien quand même, hein Lorraine ? J’entends ça dans ta voix !

— C’est certain ! Ces deux-là ont un côté attachant. D’un côté, Ange qui voit ça de haut parce qu’il est plus grand et de l’autre, Jim qui tourne autour façon roquet. Ils forment un bon duo et ce sont des professionnels de valeur. On peut donc leur pardonner quelques écarts !

— Leurs femmes ne disent rien ?

— Celle de Ange est partie il y a bien longtemps. Il est inconsolable depuis. Jim lui, collectionne les banlieusardes peu farouches ce qui crée parfois des situations impossibles.

— Lui, il vient chez toi accompagné ? Réaction immédiate de Lorraine.

— T’es pas folle ! Manquerait plus qu’on forme une tribu ! De plus, il me faudrait demander le prénom à chaque visite !

Elle se redressa et regarda fixement sa collègue.

— Dis Angelina, si on passait aux choses sérieuses ? Si tu m’expliquais pourquoi tu es venue me retrouver ici…

La nouvelle venue serra les lèvres puis elle lâcha :

— J’ai de la famille à Quiberon. J’en viens !

— On y est allés en vacances avec Lando ! Et ?

Elle répondit sur un ton léger.

— Oh, c’est juste des cousins mais c’était l’occasion d’embrasser ma tante. Les deux garçons sont de mon âge. Et puis tu nous as si souvent vanté la Bretagne aux interruptions d’audience quand on était encore dans l’Île de la Cité !

— Tu veux dire quand j’arrivais à la bourre, dossiers sous le bras et la mèche un peu folle ?

— Exactement ça ! Tu faisais ton petit effet en traversant la salle des Pas-Perdus. On aurait dit qu’on y tournait une série télévisée !

— Et les familles des justiciables commençaient à trembler en voyant que j’étais un peu foutraque !

— Exact ! En fait, je me suis dit que nous allions peut-être nous retrouver toutes les deux à la JIR* troisième division en fin d’année, ce serait pas mal de se rapprocher.

— Bonne idée !

— Au fait, pourquoi as-tu quitté ton poste de la rue du Bastion ? T’étais plus bien dans les derniers étages ? Tu y étais pourtant enviée, proche de la plus haute hiérarchie, dans le secret des dieux…

Lorraine fit la moue.

— Quand on n’y est pas, on croit que c’est super tous les jours. Mon poste était intéressant mais il m’éloignait du cœur de mon métier de magistrate. Et puis le président du trib’ pourrait bien être une présidente prochainement.

— En hiérarchie aussi, tu préfères les hommes ?

— J’aime bien le « aussi » ! Disons que j’y arrive mieux avec les mecs ! Il y a moins de compète !

— Et aussi parce que tu as des armes qu’ils n’ont pas !

— La séduction discrète et bien dosée, ça aide si c’est bien joué !

Lorraine haussa les épaules.

— Il faut bien avouer aussi que la criminalité financière m’a attirée. Je vois bien les femmes dans ce genre d’exercice. Les machos du trafic financier préfèrent souvent faire face à nos collègues masculins. Je m’en vais leur mener la vie dure !

— Tu as l’intention d’aller visiter les paradis fiscaux ?

— S’il le faut j’irai mais ce que je veux surtout, c’est démanteler les filières !

— C’est un boulot de longue haleine…

— Le tien à la cybercrim ne sera pas non plus du gâteau !

Angelina haussa les épaules.

— J’aime travailler l’informatique façon petite souris, le net, le dark comme on dit maintenant…

Elle laissa passer un silence avant de demander :

— Tu ne voulais pas retourner à la quatrième division ?

Lorraine secoua la tête :

— Je crois que j’ai donné ! À la section anti-ter, les prévenus de tout poil m’ont gavée à force ! Un peu d’air que diantre !

— Dans ton nouveau poste, tu vas en voir encore de ces innocents magnifiques !

— Je sais, je sais…

— Tu vas patienter un peu en attendant que Lando se décide ?

Lorraine se mit à rire franchement.

— Peut-être que de mon côté, je pourrai venir ici et y passer quelques jours au lieu d’un week-end rabougri.

— Sauf que tu n’y crois pas vraiment.

— La magistrature, c’est une fidélité, voire un sacerdoce !

Elle leva les bras.

— Et puis il y a les transports ! Le Finistère porte bien son nom en la matière !

— Fais-toi nommer à Quimper ! Tu connais assez de monde pour y parvenir !

— Et Lando resterait encore à Paris ? Pas de ça Lisette ! En fin de journée, les deux collègues rappliqueraient dans notre appartement près du Jardin du Luxembourg. Ils seraient capables de jeter des avions en papier par la fenêtre en sifflant le bruit du Rafale à onze heures du soir !

— Ils sont restés gamins ?

— Potaches plutôt ! Dans les écoles de police, c’est du genre strict. Donc, en dehors des heures de cours, il y a un peu de relâchement. C’est humain et nécessaire !

— Ils faisaient le ménage après leur séjour ?

— Quand bien même, j’te dis pas le chantier !

— Ils n’iraient pas plutôt chez Lando ? Il a gardé son appart non ?

Angelina eut brièvement un sourire complice. Comme si, un jour ou l’autre, elle avait levé les yeux en direction du balcon et, peut-être, agité la main avant de s’éloigner dans la rue d’un pas guilleret.

— C’est rue de Fleurus, précisa Lorraine qui n’avait rien raté. Il l’a acheté et habité bien avant qu’on se connaisse…

— S’il le garde, c’est qu’il a peut-être des souvenirs…

— Je vais te dire que ça ne me regarde pas.

— Mais que tu voudrais quand même en savoir un peu plus !

Elles se mirent à rirent comme des folles. Lorraine un peu moins…

Les deux collègues marchèrent encore un peu sur le chemin du retour vers la propriété acquise par Lorraine Bouchet depuis quelques années.

— Tu as vu ça ? s’exclama Angelina.

Un bandeau gris et blanc s’était élevé à l’horizon et masquait les îles Glénan.

— C’est un phénomène optique qui résulte d’une combinaison de mirages ! On appelle ça une fata morgana ! J’en ai déjà vu.

— T’en sais des trucs !

— Je lis le journal ! Il y en a eu une le mois dernier dans le Pays Bigouden…

Elles s’arrêtèrent au droit de la petite rue nommée Hent du Men-Du.

— C’est sur cette plage que tu viens bronzer ? demanda Angelina.

— Bien sûr que non ! Il y a des roches, des bateaux, des pécheurs, des ramasseurs de goémon !

— Donc pas de place pour une faible femme ?

Lorraine esquiva.

— Je descends à pied à la plage de Trescao qui se trouve un peu plus loin dans le virage. C’est calme, familial. Il y a les habitués du lieu qui se retrouvent le long des rochers. Certains y venaient déjà quand ils étaient gamins.

— Et Lando, c’est là qu’il se baigne ?

— Toujours ! Il y va le matin de bonne heure et il remonte. Il a horreur de rester allongé sur le sable. Moi, j’y descends l’après-midi. Il m’y rejoint parfois en fin d’aprèm’. Maintenant je fais partie des habituées. On papote un peu entre filles et ça me change des prétoires ou des histoires de flics. Hors saison, j’aime bien y aller et piquer une tête. C’est vivifiant et j’ai la plage pour moi seule.

Lorraine rit.

— Lando dit que je suis folle, que je vais attraper la crève !

— T’as pas peur ?

Lorraine stoppa net.

— Mais pourquoi j’aurais peur ?

— N’y a-t-il pas eu un enlèvement sur la plage, l’hiver dernier ?

— C’était au Pouldu plus au sud ! On a réglé ça !**

— On ?