Vengeance d'automne à Quimper - Serge Le Gall - E-Book

Vengeance d'automne à Quimper E-Book

Serge Le Gall

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Beschreibung

La vengeance d'un flic sur un criminel alité. Sur le point de succomber, le truand Marcus Tramis accuse le commissaire Landowski.

Rien de plus banal qu'une garde à vue ! Mais quand il s'agit d'un commissaire, cela déclenche quelque intérêt et cette fois-ci, c'est ce qui attend le divisionnaire Landowski... Marcus Tramis, truand en conditionnelle hébergé par le hobereau Jacquemart de Kerthuitel, vient d'être assassiné sur les bords de l'Odet. Serait-ce la vengeance discrète du policier à cause d'une vieille affaire ? Le juge Hubert en est convaincu. La fortune du défunt attise bien des convoisties à commencer par celle des frères Valdec qui battent la campagne. La nouvelle enquête du commissaire va le mener de Villepinte à Quimper, en passant par Biarritz et Trévignon. La magistrate Lorraine Bouche et les policiers Jim Sablon et Ange P. doivent agir vite. De leur sagacité dépend l'honneur de Landowski, et peut-être même sa liberté... Qui, de la justice ou de la police, fera éclater la vérité ?

Marcus Tramis a-t-il menti ? À vous de le découvrir dans ces pages brûlantes...

EXTRAIT

Au bout de l’allée forestière, il y a un château.
Pas un château avec des tourelles élancées se mirant dans une pièce d’eau où s’ennuieraient quelques cygnes. D’ailleurs, il n’y a ni douves ni donjon. Non, non ! Rien à voir avec une carte postale touristique où le ciel bleu est obligatoire. En fait, c’est une grande demeure au crépi fatigué laissant apparaître la pierre des murs par endroits. Les deux tours carrées qui encadrent le bâtiment principal ne sont guère en meilleur état et les carreaux en losange des fenêtres à meneaux auraient besoin d’un nettoyage énergique.
C’est un endroit désert, un peu étrange.
On imaginerait assez bien que, dans des temps plus anciens, le propriétaire des lieux fût un hobereau taciturne et un peu cinglé chevauchant la nuit le long des marais dans l’espoir de rencontrer la Dame du Lac. [...]
C’est l’image parfaite d’un petit coin de campagne qui ne demande rien à personne. Calme et silencieux.
En apparence seulement car une Skoda Cargo bleu-nuit est tapie sous les hautes frondaisons de la grande allée. Un homme vient d’en descendre lentement, blouson gris foncé, pantalon noir, chaussures de marche, mains gantées, air sombre, visage fermé. À l’opposé du promeneur du dimanche. Plutôt du genre : « Passez votre chemin, il n’y a rien à voir ! »
Sans bouger d’un cil, il patiente quelques secondes le regard en direction du château. On dirait que son objectif est cette bâtisse décrépite dont tout le monde se fout. À part lui, manifestement. Peut-être aussi souhaite-t-il profiter pleinement d’un moment de promenade solitaire. Ce ne sont pas les gloussements des quelques gallinacés en quête de nourriture qui pourraient l’agacer. Quoique.
Après ce temps d’observation, il marche lentement en direction de la grille. Dans son dos, un renflement au bas du blouson semble indiquer qu’un objet est glissé dans la ceinture. Peut-être une arme de poing ? Après tout, la chasse est ouverte.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Serge Le Gall vit et écrit à Pont-Aven. Côté Enquêtes, il s’appuie sur son expérience professionnelle dans le milieu judiciaire. Côté Suspense, il aime bien jouer à cache-cache avec son lecteur. Le commissaire divisionnaire Landowski est son personnage fétiche.

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Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

PROLOGUE

Au bout de l’allée forestière, il y a un château.

Pas un château avec des tourelles élancées se mirant dans une pièce d’eau où s’ennuieraient quelques cygnes. D’ailleurs, il n’y a ni douves ni donjon. Non, non ! Rien à voir avec une carte postale touristique où le ciel bleu est obligatoire. En fait, c’est une grande demeure au crépi fatigué laissant apparaître la pierre des murs par endroits. Les deux tours carrées qui encadrent le bâtiment principal ne sont guère en meilleur état et les carreaux en losange des fenêtres à meneaux auraient besoin d’un nettoyage énergique.

C’est un endroit désert, un peu étrange.

On imaginerait assez bien que, dans des temps plus anciens, le propriétaire des lieux fût un hobereau taciturne et un peu cinglé chevauchant la nuit le long des marais dans l’espoir de rencontrer la Dame du Lac.

L’allée qui mène au domaine est bordée d’arbres centenaires qui plongent le visiteur dans une pénombre silencieuse. On se croirait presqu’au cinéma avec l’orée ensoleillée en fond d’écran. Le grand chemin s’interrompt à quelques mètres d’une grille de fer forgé mangée de rouille vraisemblablement fermée depuis longtemps puisque les traverses inférieures disparaissent dans les herbes folles.

Un chien aboie quelque part et insiste. Quelqu’un l’a dérangé dans sa sieste et il fait son boulot de gardien tout simplement parce que c’est sa nature. Bien qu’invisible en raison de la végétation assez dense des bords de l’Odet, on perçoit dans le lointain le ronflement régulier d’un tracteur au travail. Peut-être même est-il sur l’autre rive, le son véhiculé par la rivière. À gauche de l’entrée du domaine, traîne une voiture ou du moins ce qu’il en reste. Par les portières qui pendent en drapeaux, on peut voir que la garniture des sièges s’effiloche. Les poules qui caquettent à l’entour semblent avoir fait leur logis de cette carcasse rouillée. Triste fin de vie quand même pour cette Traction Avant des années trente qui fut le véhicule emblématique de la Libération.

C’est l’image parfaite d’un petit coin de campagne qui ne demande rien à personne. Calme et silencieux.

En apparence seulement car une Skoda Cargo bleu-nuit est tapie sous les hautes frondaisons de la grande allée. Un homme vient d’en descendre lentement, blouson gris foncé, pantalon noir, chaussures de marche, mains gantées, air sombre, visage fermé. À l’opposé du promeneur du dimanche. Plutôt du genre : « Passez votre chemin, il n’y a rien à voir ! »

Sans bouger d’un cil, il patiente quelques secondes le regard en direction du château. On dirait que son objectif est cette bâtisse décrépite dont tout le monde se fout. À part lui, manifestement. Peut-être aussi souhaite-t-il profiter pleinement d’un moment de promenade solitaire. Ce ne sont pas les gloussements des quelques gallinacés en quête de nourriture qui pourraient l’agacer. Quoique.

Après ce temps d’observation, il marche lentement en direction de la grille. Dans son dos, un renflement au bas du blouson semble indiquer qu’un objet est glissé dans la ceinture. Peut-être une arme de poing ? Après tout, la chasse est ouverte.

L’inconnu pénètre dans la propriété qui semble déserte puis il fait quelques pas en direction de l’entrée principale située sur sa gauche. Il y a là quelques marches encadrées par des vasques en terre cuite où demeurent quelques plantes moribondes. Rien de bien accueillant en somme. Il s’arrête à nouveau et, le visage impassible, il jette un regard circulaire comme pour vérifier. Vérifier quoi ? Qu’il est seul ou qu’il est accompagné ? Ami ou ennemi ? Peut-être a-t-il la certitude de ne courir aucun risque. Le sixième sens sert parfois. Voire l’expérience.

On aurait pu s’attendre à ce qu’il gravisse les quelques marches de pierre pour sonner à la haute porte qui dessert la terrasse et s’annoncer comme un visiteur bien élevé. Mais non, ce n’est sans doute pas sa destination. Il s’avance jusqu’à l’angle de la gentilhommière comme en terrain connu, tourne à gauche et entre ainsi dans l’ombre projetée par la tour.

Devant lui, se dessine nettement un grand rectangle herbu délimité par un chemin défoncé qui l’encadre parfaitement, comme si les roues des charrois d’un autre siècle y avaient définitivement imprimé leur empreinte. Au centre, il y a un carré fleuri.

En y regardant de plus près, l’homme vient de remarquer un objet métallique de décoration de jardin piqué dans le sol juste au bord de la terre meuble. Cette fois son visage fermé semble s’éclairer. Un sourire ? Pas tout à fait ! Un rictus serait le vocable approprié. Il s’approche et se baisse pour regarder la plaque presque décolorée par les intempéries. Pas comme une poule qui aurait trouvé un couteau. Non comme un objet qui pourrait servir. Et il s’en saisit…

Dans le fond du décor, on distingue trois bâtiments bas “restés dans leur jus” comme on dit dans l’immobilier. Les communs disait-on avant. À l’extrémité ouest, il y a une porte cochère dont les vantaux sont à demi ouverts. Il y a belle lurette que la dernière berline à capote en a franchi le seuil, surélevé pour faire barrage au ruissellement des pluies d’équinoxe. À la seule fenêtre basse de la dernière construction située côté est, des rideaux fins et ajourés indiquent que le lieu est probablement habité. C’est en direction de cet endroit, que se dirige le visiteur d’un pas décidé.

Arrivé au bord de la fenêtre, il se baisse comme s’il voulait regarder à l’intérieur de la pièce puis il se relève en grimaçant. Le soleil au-dehors accentue l’ombre au-dedans. S’attendait-il à voir quelque chose ? Quelqu’un ? Que cherche-t-il ?

Il pousse la porte d’entrée qu’on a sans doute un peu de mal à refermer complètement car elle résiste. L’humidité de certains hivers a pu déformer l’huis. Derrière, un couloir de longueur presque ridicule et des cloisons de bois de part et d’autre. Deux portes aussi, celle de gauche est grande ouverte.

— C’est qui ?

La voix est autoritaire.

— C’est vous Anne-Marie ? Avez-vous trouvé un morceau de poisson au marché comme je vous ai demandé ? J’en ai marre de la viande, vous savez bien !

Seul un froissement de tissu lui répond.

— Oh, j’vous parle ! Mais répondez-moi, bordel ! C’est agaçant à la fin vos silences !

Le visiteur ne répond pas. Après tout, l’injonction ne s’adresse pas à lui. Il entre donc dans la pièce et s’approche. Dans le lit, se trouve un homme âgé dont la veste de pyjama à rayures est ouverte sur un triangle foisonnant de poils gris. L’individu n’est pas vraiment étendu mais en position semi-assise sur un matelas très épais. De gros oreillers jaunis placés dans son dos lui permettent cette position plus confortable. Ainsi peut-il tourner la tête vers la fenêtre et sentir les quelques rayons qui s’insinuent entre les broderies des rideaux lui caresser le visage.

— Mais vous n’êtes pas Anne-Marie !

La voix est devenue hésitante même si elle est encore empreinte d’ironie.

— Non, je ne suis pas votre aide-ménagère.

L’homme alité tente de se relever en vain.

— Mais alors qui êtes-vous pour forcer ainsi ma porte ?

— Un visiteur que vous n’attendiez pas.

— Dans mon état, je n’attends plus personne.

— Justement, je suis venu vous voir avant qu’il ne soit trop tard.

— Vous avez raison. Il faut faire les choses en temps et en heure !

La poitrine de l’homme alité se soulève plus vite sous le souffle court. Peut-être pense-t-il tout à coup à l’échéance fatale qu’il sent approcher…

— Vous ne pouvez pas si bien dire ! ironise le visiteur.

— Vous faites quoi dans la vie ? demande le malade comme pour balayer ces mauvaises images qui viennent de l’envahir.

— Je suis dans la police.

Le visage buriné accuse le coup. Les flics, ce n’est vraiment pas sa tasse de thé, ce serait plutôt l’inverse.

La question fuse, cinglante.

— Et je vous connais ?

— Oui.

— Ah ?

— On s’est rencontrés mais il y a bien longtemps.

On aurait dit qu’il cherchait à se dédouaner.

— Je vous ai vu alors que vous aviez une arme à la main, reprit le visiteur. Du gros calibre je crois bien !

— Et j’ai tiré sur vous ?

— Si vous l’aviez fait, je ne serais plus là. Peut-être avez-vous hésité, soupesé le pour et le contre, ou décidé que ça suffisait comme ça…

L’homme couché ricana.

— Je n’ai pas souvent eu ce genre d’état d’âme…

— Il a suffi d’une fois peut-être…

— C’est fini tout ça ! J’étais encore en forme, il y a un mois de ça ! J’me suis chopé une sorte de pneumonie. C’est le médicastre qui l’affirme. Moi, j’le crois pas. Aujourd’hui, j’ai les éponges trop mitées pour respirer normalement et le palpitant qui joue les intermittents du spectacle ! J’aurais dû profiter davantage du soleil. L’ombre, ça ne m’a pas fait de bien !

Il rit. Un chuintement plus qu’un éclat.

— Si j’m’en sors, je file sous les palmiers !

Son visage s’éclaira un peu comme si les rayons de soleil étaient déjà là.

— Et question bulbe, les neurones se sont fait la malle ! Je ne me souviens pas de grand-chose ! Les années de placard, ça vous détruit à petit feu ! Des fois, vaudrait mieux la chaise !

Le malade reprend sa respiration.

— Par contre ce que je n’ai pas oublié, ce sont les histoires d’amour !

Ses mains se crispent lentement sur le drap froissé.

— Ah, j’en ai connu des belles, des gourmandes. Des pas farouches croyez-moi ! J’étais pas Alain Delon mais j’avais assez de pognon pour me rendre beau. Et puis, tenir un flingue, ça pose un homme !

Un soupir.

— Vous devez avoir une bonne raison pour venir jusqu’ici me voir. Mon logement est à côté d’un château mais la ressemblance s’arrête là ! Si c’est pour recueillir les confidences d’un futur cadavre, il est juste encore temps mais je n’ai jamais été une balance et ce n’est pas maintenant que je vais commencer à baver !

— Ce n’est pas le but de ma visite.

— Si vous savez qui je suis, vous connaissez probablement mon parcours. J’aurais pu être quelqu’un d’autre mais je ne regrette rien. Faut pas regarder en arrière puisque c’est devant que ça se passe !

— Je ne suis pas venu poser de questions vu que j’ai déjà les réponses.

— Bizarre !

— Non, parce que je sais tout de vous. Surtout le mal que vous avez fait.

L’homme alité tente de se redresser.

— Où vous allez là ? C’est pas vous qui allez me juger hein ? Là-haut, je plaiderai ma cause tout seul. Pour une fois que les avocats pourront pas me tirer du pognon pour raconter des conneries !

S’ensuit un moment de silence. Une minute à penser, à réfléchir, à craindre la sentence ou à se préparer à la subir. L’instant le plus personnel qui soit.

Puis le malade reprend la main.

— Vous êtes encore en activité ?

— Oui.

— C’est quoi votre grade aujourd’hui ?

— Commissaire divisionnaire.

Les mains déformées serrent le drap.

— Il y a longtemps qu’on ne s’est pas revus mais je sais maintenant qui vous êtes !

— Je ne me cache pas.

— On pourrait dire que ça sent le roussi pour moi non ?

— Vous n’avez pas tort !

— Si vous êtes venu me voir, c’est dans un but précis. Il est temps de me le dire. La parlote, ça sert à rien.

— Vous avez raison.

— Alors vous êtes là pour quoi ?

— Je suis venu vous tuer !

L’homme s’agite et tente de se redresser. Il voudrait s’extraire du lit, se mettre sur ses deux jambes et se défendre bien sûr. Comme au bon vieux temps. Mais il n’y arrive pas. Le mécanisme est grippé et le corps n’a plus envie de répondre à un cerveau fatigué.

Probablement qu’avant de venir, l’autre savait très bien qu’il ne rencontrerait aucune difficulté à réaliser son projet. La victime est parfois si vulnérable et si docile même quand elle connaît le funeste destin qui lui est réservé.

Attitude si incompréhensible du condamné qui pose calmement sa tête sur le billot au lieu de se débattre, de défendre chèrement sa vie et de ne céder au moment ultime que devant la force. Acte de dignité sans doute…

Peut-être aurait-il pu crier même s’il n’y a personne pour l’entendre et venir à son secours mais il n’est pas du genre à tout attendre des autres. Même âgé, le caractère restait bien trempé et si le physique ne peut plus suivre, la force mentale est intacte.

— Pourquoi ? Mais pourquoi ?

Son visage se transforme en masque, déjà presque mortuaire.

— Dans votre métier de braqueur il y avait à votre époque des principes et des règles. Les transgresser pouvait conduire à la sanction, voire parfois au châtiment suprême. Aujourd’hui, il n’y a plus de code d’honneur. C’est donc plus facile de faire n’importe quoi. Si je suis ici, c’est parce que vous n’avez pas respecté les usages.

— J’y ai certainement été obligé sinon…

— Vous auriez dû refuser de faire ça.

— Mais refuser quoi bordel ! Tu parles tout le temps par énigmes ! Dis-moi ce que tu me reproches et je vais t’expliquer et me défendre ! C’est trop facile de condamner sans procès. Donne-moi une chance. Une dernière !

Le vouvoiement de bon aloi a disparu.

— Cette chance, tu ne l’as pas donnée à tes victimes.

— Tu profites de mon état, flic. Avant, tu n’aurais pas osé ! Je t’en aurais collé une entre les deux yeux pour te refaire le portrait à ma façon ! Et si on m’en avait donné le temps, j’t’aurais un peu travaillé avant pour que tu comprennes qui je suis !

— Tu vois bien que tu n’as pas changé !

— Et c’est quoi ton trip à toi, hein ? M’entendre te supplier peut-être ? Jamais on ne m’a mis à genoux ! Te proposer de la tune pour que tu m’épargnes ? J’en ai plus que tu n’en auras jamais de côté et c’est bien mal me connaître que d’imaginer que je vais conclure un marché avec toi ! Les vieilles montures n’aiment pas qu’on leur grimpe sur le dos sans prévenir !

Le discours pathétique de son interlocuteur n’impressionne pas le visiteur qui répond :

— Pendant les précieuses minutes qu’il te reste encore à vivre, j’ai envie que tu fouilles dans ton passé. Peut-être que la mémoire va te revenir. Il est des choses qu’on ne peut oublier. Savoir pourquoi est toujours crucial, sinon tu emporteras cette énigme avec toi pour l’éternité !

— Mais ta vengeance là, elle est professionnelle ?

— Pas seulement. Disons que je ne peux pas effacer les images effroyables que tu m’as forcé à voir. C’est pour cette raison que je viens aujourd’hui te présenter la facture.

— Je ne comprends rien à ce que tu racontes flic et c’est loin tout ça ! Tu pourrais passer l’éponge. J’ai même été jugé, c’est te dire. Et puis il y a prescription. Tout un chacun a droit à l’oubli. Je ne suis plus tout jeune et presque mort !

— Justement, je ne veux pas que ton ultime épisode se passe sereinement. Après tout ce que tu as fait, une mort paisible ne serait pas juste. Tes victimes réclament vengeance et ont hâte de te retrouver de l’autre côté pour te pourrir ton éternité. S’il est dit qu’on revoit le film de sa vie avant de partir, c’est très bientôt que tu vas comprendre ! Enfin, j’espère !

Tout en tenant ces propos cyniques, le visiteur sort une seringue à courte aiguille d’un boîtier métallique bien connu des infirmières. Le réservoir est à demi rempli d’une substance translucide qui semble visqueuse même après avoir été secouée par le geste habituel. Comme un professionnel, il lève l’aiguille vers le haut pour faire perler le produit. Précaution bien inutile puisque le but est de tuer.

Par la fenêtre, le visiteur aperçoit un véhicule qui approche lentement sur le chemin de terre en essayant d’éviter les nids-de-poule. Il ne lui reste plus beaucoup de temps pour mener à bien son projet macabre mais le planning va être respecté à la minute près.

La seringue à la main, l’inconnu se penche. On dirait qu’il exulte. D’un geste précis, il frappe d’un coup sec et l’aiguille pénètre de quelques millimètres dans la carotide droite. Le patient de circonstance se raidit et ses jambes s’agitent sous le drap mais il ne crie pas. Pendant la courte injection du produit, le visiteur maintient la victime du plat de la main appuyée sur le torse. L’homme gémit à l’extraction de l’aiguille. Une goutte de sang perle.

— Je reviens te voir avant la fin, Marcus ! Attends-moi ! Je veux assister à ton tout dernier moment !

L’assassin passe rapidement dans le couloir. Aussitôt une voix chantante annonce :

— C’est moi, monsieur Tramis !

L’aide-ménagère vient de pousser la porte d’entrée du coude et entre dans le couloir en râpant le chambranle. Elle porte un cabas publicitaire d’une main et un pack de bouteilles d’eau de l’autre.

— Vous êtes là, monsieur Tramis ?

Bien sûr qu’il est là, pauvre pomme ! Il ne peut se lever seul et, en plus, il vient de se prendre dans le système sanguin un truc à le muer en statue de cire dans les prochaines minutes. Y a quand même mieux pour paraître en bonne santé !

L’aide-ménagère dépose le cabas sur la table de la cuisine et les bouteilles en dessous. Elle souffle. Tout cela est lourd à cause du pack d’eau du lundi. Elle s’arrange pour approvisionner en début de semaine afin d’alléger la tâche des autres jours. Comme d’habitude, elle sort les emplettes en prenant son temps. Elle aime bien laisser mariner son employeur devenu un ronchon invivable depuis qu’il est gravement malade. Il en veut à la terre entière. D’ailleurs, il n’est pas le seul. Elle a d’autres clients, hommes et femmes, qui aiment bien la rabaisser, comme si elle était corvéable à merci. Ce n’est pas la majorité heureusement. Il y a les gentils et il y a les méchants. C’est comme partout. Certains savent bien qu’elle a besoin de cet argent depuis que son conjoint s’est fait la malle avec une plus jeune qui n’avait rien d’autre que ses fesses comme bagage. L’avancée en âge n’est pas si heureuse que ça pour tout le monde. Mais bon, avec ce client-ci, il y a des compensations. Il paie les prestations rubis sur l’ongle. Elle monnaie les extras que le client réclame, les exige même car les enfants coûtent cher ! Tramis n’est plus au mieux de sa forme. Tout cela n’aura qu’un temps. Donc elle en profite puisque ça n’enlève rien à personne.

Elle se passe les mains sous le robinet de l’évier en insistant entre les doigts. Avec tous ces gens qui manipulent les fruits et les légumes au supermarché…

— J’arrive, monsieur Tramis !

Pas de réponse. Elle est habituée.

— J’ai pris un bon morceau de merlu comme vous aimez ! Je vais le faire au court-bouillon. Ce soir, vous mangerez le reste avec de la mayonnaise maison que je préparerai tout à l’heure !

Elle ne s’offusque pas du silence. Elle meuble quand le bougon fait la gueule et tant pis s’il persiste. Le temps joue pour elle. Elle sait bien comment l’amadouer au final. C’est une sorte de jeu dont elle a fixé les règles. Elle se sèche les mains soigneusement et se redresse pour faire front puis se rend dans la chambre.

Le tableau est affreux. Son employeur a les yeux exorbités et rouges. Du vomi infect coule de sa bouche entrouverte sur le cou et sur le torse. Il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour comprendre la gravité de la situation. Tramis est en train de passer l’arme à gauche.

Elle se précipite au bord du lit et secoue son employeur :

— Tournez la tête vers moi, monsieur Tramis ! Qu’est-ce vous arrive ? Vous avez mal ? Dites-moi quelque chose !

L’ancien braqueur lève péniblement le bras droit et montre son cou d’un index déformé. L’aide-ménagère remarque aussitôt la goutte de sang à l’endroit de la piqûre situé au milieu d’une zone rouge qui commence à s’étendre comme une réaction allergique.

— Qu’est-ce qui vous a fait ça, monsieur Tramis ? Un frelon ?

Le moribond secoue la tête en signe de dénégation et montre la porte.

— Il est sorti ?

Il hoche lentement la tête en fermant les yeux.

— Qui ça ? Un homme ?

Il fait un effort surhumain pour répondre :

— Oui. Il est venu… me tuer.

— Qui ? Vous le connaissez ?

Le malade a du mal à parler.

Elle insiste :

— Mais dites-moi qui c’est ?

— Landowski. C’est le com… missaire Landowski !

I

Biarritz. Dimanche 25 août 2019. 12h13 GMT

Le bruissement caractéristique d’un avion évoluant à basse altitude fit grimacer Landowski. Ce n’était pas le genre d’appareil qu’il pilotait pour son loisir quand il trouvait le temps.

— Oh Ange, j’t’entends plus ! Attends dix secondes que le zinc réduise les gaz pour se poser.

— …

— Voilà. C’est bon !

— C’est pas Zarif qui arrive juste en ce moment au G7 ?

— Si ! T’étais au courant aussi ?

— On a lu dans le Confidentiel Défense de ce matin que Mohammad Javad Zarif, ministre des affaires étrangères d’Iran était l’invité surprise en marge du G7. Il est de rigueur de tout savoir au siège de la DGSI, non ?

— Il arrive comme un cheveu sur la soupe ! Il n’était pas vraiment attendu, le chef de la diplo iranienne ! Bien joué Macron !

— Avec l’accord de Trump quand même ! Depuis quand sais-tu qu’il allait se pointer ?

— Depuis le briefing restreint d’hier soir. Airbus 321-200, immat civile : EP-IGD.

— Et tu restes chez toi pendant que tout s’agite autour de toi ?

— Je suis chargé de la logistique. On a réquisitionné l’Euskal Jai de Biarritz.* Le stade Aguilera est juste à côté. C’est en direction de Bayonne si tu connais un peu le coin. On en a fait une base de repos et de restauration pour les CRS et les policiers. La cellule de crise est installée là aussi.

— T’es pas invité à l’hôtel du Palais où crèchent les pontes ?

— Tu penses bien que non ! C’est réservé aux collègues des opérations spéciales ! D’ailleurs, je leur souhaite bien du plaisir pour accorder leurs violons avec les équipes de protection rapprochées de chaque chef d’État ! C’est toujours un peu coton, surtout avec les Américains !

— Poutine c’est pire !

— Mais il n’est pas là !

— T’as pris le temps de visiter le palace quand même !

— Je ne suis pas là pour faire du tourisme ! J’y suis allé hier et n’ai vu que le rez-de-chaussée et côté piscine ! Je suis passé devant Le Clos Basque, un petit restaurant au calme avec une terrasse sympa. Si j’avais eu le temps, j’y aurais bien mangé un morceau !

— Et sinon on t’a filé un lit picot pour dormir sur place comme à l’armée ?

— Non, j’ai mieux ! On m’a prêté un appart rue de Biarritz à Anglet. Je suis à cinq minutes du stade.

— Et tu fais quoi en ce moment ?

— Je suis en pause jusqu’à 14 heures ! J’ai bossé tard hier soir, mon p’tit père !

— Et t’as plus vingt ans !

— Tu sais Ange, on n’en est plus aux cavalcades dans les cages d’escalier de la banlieue pour cravater un balèze du milieu qui a juste eu le temps d’enfiler un falzar !

— J’aimais bien ça ! Après on allait au Balto boire l’apéro !

— Moi aussi, ça me plaisait bien ! On a accumulé les heures de vol au compteur depuis !

— Et pas dans les meilleures compagnies, comme tu le répètes souvent !

— Je dis ça moi ?

— Demande à Lorraine, elle a plus l’habitude de t’entendre !

— Tu sais où elle est en ce moment ?

Le divisionnaire entendit rire au bout du fil.

— Eh Lando, c’est quand même à toi de le savoir ! Vous êtes maqués ensemble non ?

— Pour une femme magistrate au Parquet de Paris, elle serait ravie d’entendre ça, tu vois !

— C’est entre nous !

— Bien pris ! Dommage que tu ne sois pas à côté de moi, tu n’auras pas droit au fumet de mon déjeuner !

— Tu vas te faire quoi ?

— Une poêlée de chipirons ! J’les ai rapportés du marché hier !

— C’est des p’tits calamars, c’est ça ?

— Affirmatif ! On en trouve plein ici !

— Et tu cuisines ça comment ?

— Au Pays Basque, si tu n’as pas une plancha chez toi, c’est faute de goût. Dans l’appart ici, y en a une sur la terrasse. Pratique !

— Et alors ta recette perso ?

— Facile ! Tu mets un peu d’huile d’olive sur la plaque chaude. Tu rajoutes de l’ail, des lanières de poivrons, du piment d’Espelette. Faut faire simple, le produit vaut par lui-même. Tu agaces tout ça avec une spatule. Faut que ça grésille ! Quelques minutes et c’est prêt. Tu saupoudres de persil plat et tu dégustes !

— Tu n’as pas invité notre ancien patron ? Il est sur zone non ?

— Laurent Nuñez, tu veux dire ?*

— Ben oui !

— Il est passé avec Castaner hier ! J’allais pas…

— Lui, il ne t’a rien dit ?

— À propos de quoi ?

— De Tramis.

Landowski réfléchit deux secondes.

— Tramis Tramis euh, c’est pas…

— Si ! Il nous a poivrés tous les deux du côté de Villepinte, y a un bail de ça !

— Je m’en souviens très bien. Ces cons avaient croisé une voiture de flics en patrouille.

— Nous étions dedans !

— Je conduisais et Alban était assis à l’arrière.

— On portait encore les anciens gilets pare-balles. De vraies camisoles et lourdingues avec ça !

— Ils ont bien servi quand même !

— Pour moi oui ! On s’est retrouvés à l’hosto tous les deux ! Alban y est resté, flingué sauvagement par Tramis.

— Il ne lui a pas donné la moindre chance…

Les deux camarades laissèrent passer une minute de silence puis Landowski reprit la conversation.

— Il a pris perpète, Tramis. On pouvait pas faire moins.

— Ni plus ! Il a fait toutes les centrales de France et de Navarre. Au final, il était détenu à la centrale de Condé-sur-Sarthe. Il en est sorti en condi*, y a un an pour raison médicale.

— Et alors ?

— Ben cette fois, il est canné !

— Ah.

— On l’a dessoudé la semaine dernière !

— Y a de la vengeance dans l’air !

— On lui a filé une giclette de potion magique dans le système sanguin.

— On a identifié le produit ?

— Tétrodotoxine, ça te parle ?

— On extrait ça du foie du poisson-globe. Le fugu pour les Japonais.

— Et ça fonctionne…

— Atteinte du système nerveux et vomissements puis paralysie des membres moins de dix minutes après l’injection, arrêt respiratoire à suivre et enfin arrêt cardiaque par collapsus.

— Oh Lando, tu connaissais ce truc-là ?

— J’ai lu un article sur ça dans un avion de l’ET 60*. Il y a parfois des revues techniques dans la poche à l’arrière des sièges. Pas Gala ou Voici ! On est dans les hautes sphères de l’État. On fait dans le sérieux !

— Celui qui l’a utilisé dans ce cas le connaissait aussi…

— La DL50 est de 20 milligrammes.

— C’est quoi ?

— La dose létale médiane, celle qui ne pardonne pas.

On entendit le son clair d’un couvert rebondissant sur le carrelage de la cuisine.

— Ta fourchette s’est fait la malle, Lando ?

— Elle veut me prévenir que c’est cuit ! J’vais devoir te laisser pour pas gâcher la marchandise !

— Je ne vais pas te mettre de mauvaise humeur. Tu rentres quand ?

— Je serais à Villacoublay demain aprèm ! Ils rapatrient les gradés en transport spécial.

— Classe affaires ?

— Non, bétaillère améliorée ! Tu viendras me chercher ?

Ange prit son temps puis il répondit :

— Pas de souci ! De toute façon si j’peux pas, je t’envoie quelqu’un ; on a pas mal de choses sur le feu en ce moment…

— OK !

Landowski allait raccrocher.

— Encore un truc, Lando !

— Fais vite, ça crame ! Je ne vais pas tarder à te maudire !

— Tramis passait sa conditionnelle dans une sorte de manoir à la campagne. Les familles bien nées font encore dans l’altruisme !

— Pas que. D’autres aussi !

— Tu ne me demandes pas où il créchait ?

— Ben si. Où ?

— Sur les bords de l’Odet. Salut.

Landowski jugea la fin de connexion un peu sèche. Mais bon, Ange pouvait avoir autre chose à faire. Il fit délicatement glisser sa préparation dans une assiette creuse. Il aimait aussi que le visuel soit à la hauteur du goût. Il ferma le gaz et passa en terrasse. En face de lui, il n’y avait guère de dégagement. Juste une haie de bambous vigoureux à quelques mètres. En bas devant les garages, un homme bricolait sa moto. Celui-ci leva la tête vers le balcon puis il se remit à son ouvrage. Le commissaire grimaça. Cette nuit, alors qu’il venait juste de s’endormir, cet énergumène avait mis la musique à fond. Exaspéré par le bruit, Landowski était monté à l’étage et avait sonné pour exiger la fin du concert. Le locataire n’avait pas daigné ouvrir la porte. Landowski était redescendu dans l’appartement et avait patienté un moment. Comme le concert continuait, il avait décroché du mur une batte de baseball servant de décoration et il était remonté filer un grand coup dans la porte de l’adepte des années disco. Le silence était revenu aussitôt.

Il rompit la baguette de pain achetée la veille et dégusta son plat en silence. Jugeant qu’il en manquait, il rajouta une pincée de sel, remua le tout et reprit sa dégustation jusqu’à rendre l’assiette presque propre. Il n’avait pas été habitué à gâcher la nourriture.

L’entretien téléphonique qu’il venait d’avoir avec son ami Ange, avait fait remonter des souvenirs. Comme les personnes seules, il dit à haute voix :

— Ah ça oui que je me souviens bien du braquage de Villepinte !

Non il n’avait pas oublié cet épisode douloureux. Ange et lui étaient à la BRB en ce temps-là. Ange ne savait pas encore qu’il allait bientôt rejoindre les RG. Les malfaiteurs étaient trois. Tramis faisait équipe avec les deux frères Valdec, Luka et Ranko, depuis quelques affaires rondement menées. Trois fondus ensemble. Bravo.

Ils avaient pris le fourgon blindé en tenaille en utilisant deux camionnettes volées. Tramis était seul dans celle qui arrivait par l’avant. Les trois véhicules avaient stoppé dans une rue calme de la zone industrielle. Les malfaiteurs avaient aspergé le fourgon d’essence et mis le feu. Les convoyeurs n’avaient pas eu d’autre solution que de sortir de la cabine. Les trois policiers en patrouille avaient fait demi-tour après avoir reconnu les deux frères à l’avant de la camionnette.

Ils étaient arrivés juste au moment où Tramis abattait froidement les deux convoyeurs. Les autres étaient armés, l’un d’un fusil à pompe, l’autre d’un lance-roquettes, Tramis tenait quant à lui, une Kalach’*. Avec cette arme redoutable, il avait arrosé la voiture de police, éclatant le pare-brise, puis il avait pris une arme de poing. Ange en avait bloqué une dans la jambe alors qu’il sortait de la voiture et il s’était écroulé.

Lui, Lando, avait juste eu le temps de poser un pied à terre et de tirer dans une mauvaise position avant d’en prendre deux dans le gilet. Il avait basculé en arrière sous le choc et perdu son arme. Très vite, Tramis avait contourné le véhicule comme à la parade et avait tiré encore et encore. C’est Alban qui avait tout pris. Un vrai carnage ! Les trois malfrats s’étaient aussitôt enfuis mais sans emporter les biffetons restés dans le fourgon. Ils auraient pu achever Ange et Lando. Il suffisait d’arroser copieusement les flics déjà en très mauvaise posture mais on entendait déjà le deux-tons des collègues en approche au fond de la rue. C’est ce qui les avait sauvés. Peut-être.

Landowski soupira.