Le malin de Trégunc - Serge Le Gall - E-Book

Le malin de Trégunc E-Book

Serge Le Gall

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Beschreibung

Le serviteur de la mort est très joueur... C'est une véritable partie d'échec qui se lance entre lui et Landowski, mais qui va la gagner ?

Plage de Kerouini en Trégunc. Quand Georges Dorec entend le bruit du moteur de sa machine agricole en pleine nuit, il décide d’aller voir. À Brest, le SNLE Le Terrible entre en cale sèche. Le divisionnaire Landowski et ses amis policiers sont en stand-by. Au cas où… Début d’incendie chez Lorraine Bouchet, compagne du commissaire. Pneus crevés. Caveau profané au cimetière. Citerne qui déborde. Des tracts qui circulent. Un dessin de faux, la lame à l’envers. Les cartouches sont de sortie et les chasseurs posent pour la photo de groupe. Pas pour longtemps… De Trévignon à Kerouini, de Pouldohan à Pendruc, l’Ankou, le serviteur de la Mort se joue des vivants ! Dans quel but l’assassin nargue-t-il ainsi Landowski ? Pour remporter la partie ou… pour l’abattre ?

Découvrez dès à présent la 31e enquête du commissaire Landowski !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Dans la collection Pol’Art, l’auteur vous a proposé de suivre les tribulations du détective Samuel Pinkerton. Dans la collection Enquêtes et Suspense, il vous invite à découvrir ici la 31e enquête du désormais célèbre commissaire divisionnaire Landowski. Serge Le Gall est membre de l’association “L’assassin Habite Dans Le 29”.

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Couverture

Page de titre

« La terre meurtrie S’abreuvait du sang Des batailles. La fumée des bûchers Couvrait la plainte Des vaincus. J’ai chevauché des nuits Pour revoir Les vertes prairies. »

Uchen Yang, Infatigable voyageur chinois(Période des Cinq Dynasties – Xe siècle)

« Malin » : personnage astucieux, rusé, qui prend plaisir à être méchant et à nuire.

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

PROLOGUE

Kerouini, commune de Trégunc, Finistère-Sud

— Mais, Georges, tu entends ce bruit ?

L’épouse secouait son mari pour la seconde fois. Allongé sur le dos dans le lit conjugal un peu froissé, il jouait la sérénade du ronfleur impénitent. L’époux endormi grogna puis, pensant inconsciemment et à juste titre que ses ronflements pouvaient pourrir le repos de sa femme, il se tourna sur le côté sans avoir l’intention de répondre à la question.

Certes, la soirée avait été animée ! D’abord à quatre pour un repas à rallonges avec moult libations inconsidérées puis, plus intimement à deux quand le couple s’était retrouvé entre les draps vu que la bonne chère n’avait pas altéré la vaillance de l’époux.

— Mais quel bruit ? demanda-t-il d’une voix rauque sans se retourner. Couvre-toi ! Tu peux enfiler ta nuisette maintenant. Tu vas prendre froid.

Monique s’assit dans le lit et ricana.

— À qui la faute si je tousse demain ! lança-t-elle. Tu étais bien énervé ce soir !

Difficile de dire si c’était un reproche ou un compliment. Georges grommela puis se retourna lentement en soupirant.

— C’est la pleine lune bientôt ! dit-il d’une voix grave. On dit trois jours avant, trois jours après !

Monique, la main posée sur l’épaule de son homme, le secoua encore.

— Et là, t’entends rien ?

Georges se redressa sur un coude et écouta.

— Maintenant que tu le dis, y a p’têt un truc mais c’est très loin. Le vent a dû virer tout simplement plein ouest et porter le son jusqu’ici.

— Je ne rêve pas, tu vois bien ! Tu me crois jamais et tu commences à moins bien entendre.

Il soupira :

— C’est l’âge !

En plissant les yeux, il ajouta :

— Pas pour tout !

Puis sans conviction dans la voix, il demanda :

— Et si tu avais raison, pourquoi donc ça nous concernerait ?

Monique réagit au quart de tour.

— Ben si c’était un champ à moi, je ne laisserai pas faire n’importe quoi quand même ! En plein été, passe encore de courir nus dans les champs ! Mais avant Pâques !

Georges se passa une main ouverte sur le visage comme pour tenter de reprendre ses esprits.

— On dirait le grondement de la machine, dit-il après quelques secondes d’attention. J’l’ai descendue jusqu’à la côte pour être paré à travailler demain de bonne heure.

L’épouse ricana.

— Tu pensais être en état ?

— Parce que ?

Monique n’insista pas. Quand Georges avait tutoyé la bouteille, il valait mieux éviter de faire monter la pression.

Monique demanda :

— Quelqu’un d’autre peut la démarrer ?

— Pas sorcier ! Suffit d’être un brin mécano ! Et puis les clés de contact sur ces engins, c’est très basique. Comme certaines tondeuses autoportées où t’as juste une croix en métal comme clé de contact !

— C’est pas la même chose !

— T’imagines quand même pas qu’il y a quelqu’un qui se risque à voler un monstre pareil avec le temps qu’il fait ! Difficile à transporter, difficile à planquer. Et pour la revente, faut connaître une filière et jouer à l’export !

Il fronça les sourcils.

— Et pour quoi en faire, j’te d’mande ! C’est pas une tondeuse à gazon ! C’est du matos de pro !

Monique restait préoccupée. Elle insista :

— Lève-toi quand même et va y voir ! S’il n’y a rien, on sera rassurés !

Tout à coup plus réveillé, Georges réagit :

— T’es malade ! T’as vu le temps de chiottes qu’on a ! Le vent est mal placé. On le chope en plein. Bonjour l’arrosage !

— T’as vraiment pas envie de sortir de ton lit ! Vas-y juste dans la cour pour écouter ce qui se passe. Après tout, on ne sait pas à qui on a affaire !

— Mais qu’est-ce que tu vas chercher ? C’est plus l’époque des bandits de grands chemins !

— Mais puisque j’te dis que…

— Des fois le vent s’amuse dans les arbres et nous fait entendre des trucs ! On disait ça quand on était gamins !

Monique s’était levée. Elle s’était approchée et de la fenêtre et elle regardait la nuit.

— J’aperçois comme un halo au loin, comme une grosse lampe allumée ! Ça tremblote !

Georges comprit qu’il n’aurait pas de cesse de tenter de résoudre le problème. Il repoussa le drap qui venait d’être sérieusement malmené par l’une des séquences intimes qu’il affectionnait, posa les pieds sur la descente de lit puis se leva lentement.

Il se gratta machinalement l’entrejambe et il se traîna vers la fenêtre.

À cet instant précis, il ne rêvait que de repos. Il ne croyait pas si bien dire…

— Je ne vois rien ! C’est où ?

— Sur la droite, direction Kerdallé !

Georges scruta l’ombre. Tout à coup, il dit :

— Si, si ! Je vois un truc ! C’est le phare de la cabine, j’le reconnais ! La bécane a dû faire demi-tour.

D’un seul coup, il retrouva sa vivacité légendaire.

— Ah, le fumier ! J’m’en vais lui apprendre la politesse à ce garçon ! Chez Dorec, on ne baisse pas pavillon !

Il revint vers le lit, saisit son pantalon.

— Enfile un slip quand même, dit Monique en le regardant. Tu seras plus à l’aise ! C’est humide dehors. Mets des chaussettes aussi ! Le quinze août, c’est encore loin !

Georges nota l’attention féminine et obéit.

— Je préviens les gendarmes ? demanda l’épouse.

Elle était certaine qu’il refuserait.

— Trop tôt ! J’veux d’abord voir qui c’est et pourquoi il est en train de me faire ça, à moi, Georges Dorec ! Va y avoir du gros calibre dans l’air, fais-moi confiance !

— Ne va pas trop loin, Georges !

— Légitime défense, Monique ! La nuit, tous les chats sont gris.

Il minauda :

— Je ne pouvais pas savoir, Monsieur le juge. J’ai pris peur. J’ai tiré ! J’me suis défendu, quoi !

Monique soupira. Elle connaissait l’oiseau. Georges était capable du meilleur comme du pire.

— Si tu dépasses les bornes, tu vas finir en prison !

L’époux fanfaronna :

— Je suis déjà passé devant la porte. On m’a pas forcé à y entrer ! Chuis chez moi ici ! Mes parents et d’autres ont trimé sur cette terre ! J’ai le droit de demander des comptes tout de même ! Ensuite, s’il y a un accident, faudra pas venir me chercher des poux ! Y a des choses que je peux pas admettre !

— Qu’est-ce que tu vas faire ? C’est dangereux.

— Dangereux ?

Dorec eut un rire gras.

— Pour l’adversaire, oui ! J’vais charger de la Brenneke calibre douze. Quand ça ressort de l’autre côté, ça fait un trou énorme !

Monique posa la main sur l’avant-bras de son mari.

— Écoute-moi, Georges ! Reste ici. Je ne veux plus que tu y ailles, ça va mal finir ! On va attendre le jour tranquillement et on ira voir ensemble. S’il y a des dégâts matériels, c’est pas si grave !

Georges s’écarta.

— T’en as, de ces mots, Monique ! Et s’il y a de la casse hein ? La parcelle, la bécane, tout quoi ! C’est du pognon tout de même !

— N’exagère pas ! Il pleut et il vente. Là-bas, c’est noir de chez noir. Il n’y a que de la vase, de l’eau sale et des ornières. Où j’irai te chercher si t’es coincé sous la machine ! Pense à moi, à nous, Georges ! Pour l’engin, il y a l’assurance. Mais pour toi, y a quoi, hein ? Y a quoi ?

Malgré tout, il décida de passer outre.

Il claqua la porte de la chambre pour bien affirmer que sa décision était prise et il se rendit dans le garage pour s’équiper lourdement.

Un moment, il sourit. Un ricanement aurait été le mot le plus juste. Non, il n’était pas très aimé dans la commune. Il s’était présenté à plusieurs élections et il s’était pris des vestes mémorables. Le soir des dépouillements, il avait souffert de ces regards fuyants qui entérinaient ses défaites. Il s’était promis de détruire ces gens qui n’avaient pas su reconnaître ses qualités. Leurs biens, leurs affaires, leurs familles…

Et cette nuit, on osait venir lui faire des misères ? Puisqu’il avait l’occasion de tirer du gibier, il n’allait quand même pas s’en priver ! L’auteur de cet acte ne pouvait pas être un ami. Il allait donc servir d’exemple.

Et puis il irait au bourg et forcerait le respect des regards. Puisqu’il n’était pas choisi, il serait craint.

Il se fila un coup de gnole et il prit sa Jeep.

Non loin de la plage fréquentée l’été par des bipèdes dans le plus simple appareil, il y avait comme un grondement semblant provenir d’une parcelle plantée de maïs longeant une zone humide où les roseaux proliféraient en toute liberté.

D’ailleurs on pouvait apercevoir les tiges qui se pliaient en rive alors que le vent n’était correctement orienté pour produire cet effet.

Une harde en mouvement aurait pu en être la responsable. On connaît la prolifération des sangliers et leur gourmandise pour le maïs en semis ou en lait.

Mais ce grondement n’avait rien d’animal. C’était plutôt le bruit produit par un gros moteur en action. Le son semblait assourdi à la fois par la végétation dense et par la topographie en forme de cuvette. Le vent n’arrangeait rien.

L’opération ressemblant davantage à une destruction effrénée qu’à un fauchage ordonné traçait des passages et enfonçait dans la vase le produit de la coupe.

Plus haut, la parcelle de maïs avait déjà sérieusement souffert et l’engin agricole avait ouvert des sillons inégaux ressemblant à des boutis laissés par des suidés affamés.

Le carnage des plantations ne dura pas plus longtemps.

Le conducteur de la machine poussa celle-ci vers le centre du marais jusqu’à noyer le moteur et la laisser s’installer lentement sur la vase du fond. Bien malin celui qui parviendrait à l’extraire de sa gangue de boue.

L’homme en cotte verte et bottes de la même couleur descendit sur la chenille gauche encore émergée puis il sauta d’une grande enjambée sur un monticule herbeux qu’il avait dû prévoir d’utiliser pour son itinéraire de fuite. Une fois sur la terre ferme, il ne s’attarda pas. Il passa les deux ou trois rangées de maïs encore vaillantes et il rejoignit le talus. De là, il put apercevoir dans la nuit les deux rangées de pins lançant vers le ciel leurs silhouettes si particulières.

Alors il se retourna. Si quelqu’un avait été présent à ses côtés, il aurait pu constater qu’il affichait un large sourire de satisfaction. Le décor était mis en place. Son plan de travail était bien engagé. Au petit jour, le tableau de désolation que présenterait son gymkhana rural produirait son petit effet. Exactement ce qu’il voulait !

Le reste était à venir. L’idée le fit sourire méchamment.

Il aperçut au loin les pinceaux lumineux d’une voiture en approche. Il était temps de filer. En constatant le spectacle dans la lumière des phares de son 4x4, le propriétaire n’allait certainement pas le féliciter.

D’ailleurs celui-ci arrivait sur les lieux du problème. Il avait plutôt froid et il n’appréciait guère la balade nocturne. Il était si bien tout à l’heure tout contre Monique, la femme de sa vie. Sa vie de maintenant. Faut pas non plus…

Certes, elle n’était pas toujours facile ni accessible à la bagatelle du samedi soir s’il n’avait pas clairement annoncé la couleur avant le dessert mais ils étaient ensemble depuis quelques années et il n’y avait pas vraiment de raison de bousculer les lignes. Ni les secrets. De toute façon, il n’était plus temps.

Il y pensait en cheminant le long du talus. Peut-être qu’il aurait dû. Il aurait pu lui dire quelque chose de sympa avant de quitter la maison. Aussi bien, il ne reviendrait pas de son escapade nocturne. Personne ne sait de quoi demain sera fait. Même pas de ces minutes qui approchent lentement dans le noir et le vent avec un programme sinistre non négociable.

Plus loin sur la route, Monique approchait. Tout à coup, elle avait décidé de rejoindre son mari. Le choix du devoir ou celui de l’opportunité. Le moment venu, l’avenir lui montrerait le chemin…

Georges serra son fusil de chasse. Il était chargé, prêt à cracher le feu. La mort même, celle de l’autre ou la sienne, ce à quoi il pensait. Que quelqu’un s’en prenne à son matériel et à ses cultures en pleine nuit, ça ne pouvait pas partir d’un bon sentiment. Il ne faudrait pas lui reprocher d’avoir tiré. D’avoir tiré pour sévir. D’avoir tiré pour sanctionner. Aux enquêteurs il dirait que c’était un accident, une méprise dans le noir, un geste de défense, la peur de la mort. Un mauvais concours de circonstances. N’importe quoi…

Un inconnu ? Faudrait être un peu cinglé pour descendre à Kerouini dans la nuit de dimanche à lundi, démarrer un énorme engin agricole pour détruire une parcelle plantée et noyer la machine pour finir.

En plus, fallait avoir la clé pour démarrer l’engin. Il regretta de n’avoir pas regardé au tableau du garage pour vérifier si elle y était accrochée.

Si elle n’y était pas, c’était que l’affaire s’annonçait plus grave…

C’était une démarche incompréhensible à moins d’avoir un plan en tête, un projet, une rancœur. Une envie incoercible de faire du mal ?

Qui ?

Un voisin ? Pas un ami, ou alors un ancien mais très fâché. Un mari en colère, un concurrent déçu. Tout aussi cinglé pour réaliser ce forfait en risquant soi-même de rester dans la boue aux tentacules gluants comme une pieuvre. Un homme de toute façon. Une femme aurait cherché une vengeance plus subtile que de labourer un champ en pleine nuit.

Et puis l’un ou l’autre, dans quel but ?

Se venger de lui ? Il était copain avec tout le monde. Apparemment. Il rendait service sans rechigner, s’occupait de la kermesse, tenait la buvette du temps où les rassemblements n’étaient pas interdits.

Sauf qu’on ne l’aimait pas…

Lui reprocher des escapades ? Il aurait fallu en apporter la preuve et ne pas écouter les ragots destructeurs. On ne prête qu’aux riches, c’est bien connu. Et même si, elles n’avoueraient rien.

Non ce qui était plus curieux et inexplicable, c’était cet acte de destruction. Parce que c’en était bien un. Pourquoi se lancer dans un truc comme ça par une nuit si agitée ?

Il venait d’arriver devant sa parcelle de maïs. Méconnaissable ! Des sillons, des tas de végétation repoussée, des traces de chenilles imprimées dans le sol meuble. Un chaos sous la pluie et le vent.

Un instant, il pensa à des percées pratiquées par une harde de sangliers. Ceux-ci retournaient une parcelle plantée sans effort pour en faire leur dîner. Seulement ici il y avait des ornières de chenille et on ne connaissait pas de sanglier assez intelligent pour se servir d’un engin agricole. Sauf dans la science-fiction, bien sûr !

Et puis pousser le monstre dans le marais à le couler façon hippopotame, ça relevait de la volonté de nuire, de la vengeance, du mal originel. Exactement ce qu’il fallait pour s’attendre à un retour de flamme !

Elle était là, la machine, peut-être irréparable à cause du coût des travaux et de celui de l’extraction des chenilles de la boue du fond de l’étang. Probablement que l’auteur de la chose avait vraiment cherché à obtenir ce résultat. Devant ce spectacle pitoyable et l’image saisissante à en attendre, une fois le jour levé, on pouvait déjà conclure qu’il avait bien réussi son coup.

Georges tenta de monter sur la chenille encore hors de l’eau. Sa botte gauche exprima son mécontentement par un bruit de succion. Il posa le pied sur un maillon stable mais il sentit aussitôt le monstre de ferraille basculer légèrement. Le fond n’était pas assez ferme pour stabiliser un engin si lourd.

Il se retint au montant de la cabine sans lâcher son encombrant fusil et, tant bien que mal, il tenta de se hisser. Seulement l’arme de chasse heurta le bas de la portière et bascula vers lui. In extremis, il retint l’arme par le pontet. Vilain geste parce que le coup partit accidentellement. Le bruit de la détonation fut amplifié par la cabine servant de caisse de résonance et la balle étoila le pare-brise.

Excédé d’être si maladroit en ce moment difficile, il saisit l’arme par le canon et la projeta sur la berge. Le fusil tomba à plat sur les herbes couchées par le désastre. Georges parut rassuré. Une arme de ce prix…

Puis tout à coup, le destin revint à la charge. Sur le programme, il était bien prévu de compliquer sérieusement l’avenir du propriétaire terrien tout en lui laissant quand même la possibilité de s’en tirer physiquement. Infime, la possibilité. Faut pas non plus…

Pour pouvoir projeter l’arme de la main gauche, Georges avait gardé la droite serrant le montant froid de la cabine. Il balança le bras libre. Seulement il était maintenant adossé à l’engin façon drapeau en berne. Pas possible d’agripper quoi que ce soit de sa main gauche.

Le destin était en train de reprendre l’avantage. Sans remise de peine.

Georges, c’était un homme costaud. Pourtant il se sentit glisser lentement. Difficile pour la seule prise possible d’interrompre le mouvement. Il ne le voulait pas. Il savait très bien à quoi il pouvait s’attendre. Il avait froid et il ne distinguait pas grand-chose. Il avait mal mais il résistait. Avec de la boue visqueuse sur les mains et sa carcasse de bon vivant, le handicap qui lui était imposé ne plaidait pas en sa faveur. Les ébats sous la couette et l’alcool ingurgité salaient la note. La prise dérapait lentement le long de la barre de métal. Il parvint quand même à se retourner. Une minute plus tard, ses bottes entrèrent lentement dans l’eau noire. Elles se remplirent très vite en le tirant vers le bas puis ce fut le tour du pantalon de grosse toile de se gorger d’eau jusqu’à la ceinture, enfin le pull marin y passa tout de suite après.

Inexorablement.

Tout à coup, il y eut un second coup de feu provenant de la rive, suivi aussitôt du bruit de l’arme projetée dans la mare. Comme pour meubler, le son répété des vagues reprit sa place. Question mouvement, on aurait dit qu’on avait appuyé sur pause.

Georges n’avait même pas mal. On n’en était plus à ce stade. Il cheminait déjà de l’autre côté du miroir. Du côté des ombres qui attendent les arrivants au bout du tunnel dans la lumière blanche. Engourdissement du corps, le froid, l’eau. Il glissa le long de la ferraille en pensant à des trucs, essayant peut-être de les regretter, puis il disparut sans un mot, sans un cri, en une poignée de secondes. Il ne resta que quelques bulles indolentes à remonter du fond. En simple épitaphe. Il n’en espérait pas davantage.

Près du talus, l’épouse regardait. Figée. Transie.

Elle regretta un instant de l’avoir réveillé. Ils avaient été si bien, enlacés, imbriqués comme au premier jour. Ah, si elle n’avait rien dit…

Mais regrettait-elle vraiment ?

Portées par le vent, les deux détonations pouvaient avoir été entendues de loin. De quoi intriguer un insomniaque. On allait venir voir. On ne verrait que du noir épais et on constaterait l’absence du patron.

L’emprunteur momentané de la machine estima qu’il avait réalisé son projet au-delà de ses espérances. La mort de Georges était inscrite au programme du jour. Le spectacle était donc terminé. Il prendrait un peu de repos avant de se remettre au travail. Maintenant il n’était plus temps de reculer. Il irait jusqu’au bout.

Il jeta juste un regard en direction de la veuve. Difficile de savoir ce qu’elle pensait de tout ça maintenant. Il fit demi-tour sans un mot et il quitta les lieux discrètement. En pressant le pas, il rejoignit le trait de côte et il se mit à marcher d’un pas décidé en direction de Kerdallé.

Que Georges Dorec soit en train de bouffer de la vase, c’était le cadet de ses soucis. Il avait juste voulu qu’il crève. Apparemment, il n’était pas le seul.

Ce n’était pas forcément à lui de présenter les factures mais il ne regrettait pas de l’avoir fait.

Si, il regrettait. Que la fin de Georges Dorec ait été si rapide. Il aurait mérité qu’il en bave davantage, qu’il réfléchisse, qu’il supplie. Qu’il implore même mais ça n’aurait rien changé. L’empereur romain retournait le pouce vers le sol. Et puis on ne s’en sort pas d’une Brenneke 12/70 en pleine poitrine. Elle est conçue pour causer des blessures mortelles dès l’impact et stopper la bête.

Il savait par avance que Georges Dorec allait s’armer pour sortir. Il ne savait pas qu’il allait le tuer avec son propre fusil. Il savait seulement qu’il allait tout tenter pour l’assassiner. Mais il n’avait pas choisi le mode opératoire. Il laissait au destin le choix des armes comme s’il se dédouanait d’emblée d’un meurtre annoncé.

Il buta contre une racine émergeant du sol. Il se retint de crier. Quelqu’un pouvait déjà arriver sur les lieux et mettre son plan par terre.

D’un coup, le vent s’atténua. Par respect peut-être…

La joute était terminée.

Le gagnant venait de quitter l’arène.

L’adversaire avait perdu la vie.

Georges n’était plus.

Place au suivant…

I

Le temps est calme et la mer peu formée. Le temps pour flâner, le temps pour arrêter de penser. Peut-être que c’est exactement la posture du quidam qui nous intéresse en ce moment précis de l’histoire.

L’homme est assis sur la bordure longeant le chemin de promenade donnant sur le port, plus loin que la terrasse faisant office de toit pour la halle aux poissons et crustacés du port. C’est une partie en bois placée à la suite du muretin de pierres qui court jusqu’au parking. La matière de l’ouvrage ressemble à des traverses de chemin de fer fichées dans le sol. Plus joli quand même qu’un mur en béton. En bas, au bord de l’enrochement, les annexes colorées et rangées patientent en attendant les prochaines sorties en mer.

L’homme lui, ne ressemble à rien. C’est comme qui dirait un inconnu qui s’attarde. Il n’a aucune raison de rentrer dans la réalité du jour. Des promeneurs, il n’en manque pas au port de Trévignon. Ils ralentissent un peu pour regarder les bateaux, pour rêver d’aller faire un tour aux îles ou pour descendre sur le terre-plein acheter du poisson frais, un homard ou des langoustines. S’ils flânent sans penser à rien, c’est qu’ils ont l’esprit libre en ce lieu et ça, ça vaut cher en cette période si troublée.

Pourtant l’homme dont il est question s’est arrêté et il s’est assis. Peut-être pour regarder le bateau de sauvetage qui, tracté par le treuil, remonte lentement vers l’abri en se débarrassant de l’eau de mer rapportée du large. Il semble que l’équipage ait encore donné de son temps. Peut-être a-t-il même risqué sa vie quelque part au-delà des îles Glénan. Calme cet après-midi, la mer était très énervée ce matin et avide de joutes incroyables dans des creux profonds. Il n’y a que ce type d’hommes-là à braver l’océan meurtrier pour tirer un bout sur un bateau en détresse et en ramener les presque naufragés vers le monde des vivants.

Mais lui, il s’en fout de tout ça. Les caresseurs d’écume ne sont pas forcément ses amis et il n’a aucune envie de trinquer avec eux.

Trinquer ?

Il ricane. Oui, ils vont trinquer, ceux dont il a absolument besoin pour réaliser son plan diabolique. Il a eu le temps de le faire revenir aux petits oignons pour qu’il pique un peu mais pas trop. Et tant pis si, finalement, ça fait mal. Il faut bousculer les acteurs pour qu’ils soient bons. Mais pas les désespérer afin qu’ils ne quittent pas la scène avant la fin de la pièce.

De toute façon, le drame est en marche. L’histoire appelle les condamnés à monter à l’échafaud sauf que, ici, ceux qui sont déjà inscrits sur la liste ne sont pas au courant du malheur à venir et c’est tant mieux. Nul ne connaît ni le jour ni l’heure…

Revenons à notre quidam. Il faut s’y intéresser un peu puisqu’il sera tout à l’heure l’objet de votre questionnement, de votre inquiétude puis de votre ressentiment. Il porte une sorte de vareuse de marin au bleu délavé et une casquette assortie du genre cabossée. Le tout un peu trop propre peut-être…

On ne dirait pas vraiment que l’on a affaire à un vieux loup de mer ayant tellement bourlingué qu’il flotterait un peu dans ses vêtements de travail usés. Avec l’âge on a tendance à maigrir, dit-on…

Et puis il n’a pas la peau de la nuque plissée et brûlée par le soleil des marins penchés sur leur ouvrage des heures durant. Cette peau durcie est un signe qui ne trompe pas.

Alors qui ? Un petit plaisantin ? Un acteur répétant le rôle de sa vie ? Un citadin s’essayant au métier ? Probablement rien de tout ça, si d’aventure il acceptait de se confier un peu.

En fait, c’est quelqu’un qui souhaite être sur la photo mais qui ne veut pas qu’on le reconnaisse. Il n’est habité que de mauvaises intentions, de rancœurs sourdes, de violences contenues et de vengeance à exercer. Excusez-moi du peu…

Son regard n’est pas perdu dans l’azur à rêver à des voyages. Il semble s’intéresser plus précisément à un homme en blouson qui patiente au bord du quai. La cible garde les mains bien enfoncées dans les poches, les jambes écartées comme pour compenser un hypothétique roulis et le regard fixé sur une sorte de ligne bleue des Vosges tracée par l’océan. So far away…

Chacun a bien le droit de rêver d’horizons lointains, d’aventures incroyables, de rencontres délicieuses. La mer est ronde aussi !

Justement, voilà qu’il ne patiente plus et se retourne vers la petite criée où les étals attendent que l’on offre à la vente la pêche du jour débarquée en live. En faisant un panoramique discret, il remarque lui aussi l’individu toujours assis sur la hauteur et qui semble ne regarder que lui.

En fait, il l’a déjà repéré tout à l’heure. L’expérience…

C’est gênant parfois quand on sent que l’insistance est plus forte que l’intérêt, qu’on ne sait pas qui, qu’on ne sait pas pourquoi. Il est si rare qu’une attitude de ce genre soit sincèrement positive.

Au niveau supérieur, l’homme a posé ses mains sur sa taille comme pour narguer davantage, ce qui commence à gonfler grave l’homme du quai, on peut s’en douter.

Ben oui ! Qu’est-ce qu’ils font, là, à se regarder en chiens de faïence ? Si l’on veut parler, on se parle. Sinon on regarde ailleurs, on part, on disparaît. Mais si on a envie de chercher des crosses…

Le bruit d’un canot hissé par un fourgon blanc vers le terre-plein sans être placé sur une remorque attire l’attention. Quand l’homme d’en haut toise l’homme d’en bas, c’est pour ajouter à la posture désinvolte un bras d’honneur largement exécuté dans l’espace afin d’être bien vu par le destinataire et bien compris sans erreur possible.

Celui d’en bas ne pouvant pas se laisser ainsi insulter sans comprendre, traverse l’aire goudronnée en pressant le pas. Quelques explications sont devenues nécessaires voire indispensables avant que le soleil ne se couche tranquillement. Les comptes, ça se règle comptant. Content, c’est à vérifier.

Le temps d’atteindre l’escalier et de remonter vers la route côtière, l’inconnu a disparu…

L’homme d’en bas est exactement le type d’homme qui n’apprécie guère qu’on lui chauffe les oreilles. Ou qu’on lui manque de respect.

Faudrait être inconscient ou téméraire.

Y en a qui ont essayé !

C’est ce que vient de faire l’homme d’en haut.

L’homme d’en bas s’appelle Landowski, le commissaire divisionnaire Landowski.

II

Landowski était furax de chez furax. Non seulement un inconnu s’était royalement foutu de lui mais cet individu avait réussi à lui filer entre les doigts.

Il avait bien l’intention de lui demander des explications sur son attitude désinvolte. Le temps qu’il atteigne la route, qu’il la traverse et qu’il pénètre dans l’enceinte de la résidence du Port à la poursuite du fuyard, l’homme s’était faufilé entre les habitations et il avait facilement disparu.

Il avait de l’avance sur Landowski et il savait où il allait. Pas le divisionnaire. Il suffit de deux directions en face de soi pour choisir la mauvaise.

Vous n’avez pas remarqué qu’on perd si souvent à ce jeu-là ?

Une fois dans la cour intérieure entourée de logements, il est très facile d’emprunter le passage couvert, d’atteindre la route de la Corniche, de retrouver une voiture discrètement garée et de filer à l’anglaise. Pour trouver, il faut savoir ce que l’on cherche. Justement, ce n’était pas le cas du commissaire Landowski.