Quiberon enrage - Serge Le Gall - E-Book

Quiberon enrage E-Book

Serge Le Gall

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Beschreibung

Un bouquet de roses mortelles...

La magistrate Lorraine Bouchet est réveillée de bonne heure par plusieurs coups de sonnette. Elle aimerait bien que ce soit son cher Landowski qui piaffe ainsi devant la porte.
C’est une gerbe de roses qu’on veut lui remettre. Soudain, un jet de gaz la paralyse. Elle perd connaissance et le bouquet l’accompagne dans sa chute sur le tapis de l’entrée.
Le commissaire est déjà parti pour Quiberon ; il tente de mettre un terme à une série de meurtres tous perpétrés de la même manière. L’assassin, intelligent et retors, rêvait de jouer dans la cour des grands, est-il prêt à perdre la partie ?
Landowski parviendra-t-il à sauver ces femmes innocentes, prêtes, elles, à se laisser charmer par un bouquet de roses rouges… mortel ?
Mignonne, allons voir si la rose…

Suivez la piste d'un tueur en série dans ce 21e tome des enquêtes trépidantes du commissaire Landowski... Suspense garanti !

EXTRAIT

Sa marche régulière avait quelque chose de lancinant et de mécanique à la fois. À chaque enjambée, la couche d’eau se creusait sous le pied et éclatait pour dégager de chaque côté. Le son claquait sous le choc, se répétait à l’envi.
Comme les tambours de la mort.
Le toucher trop franc de ses pieds nus sur l’asphalte remontait le long des jambes et retentissait dans ses vertèbres lombaires. L’onde suivait la colonne vertébrale et progressait vers les épaules en autant de coups de poignard. De quoi lui tétaniser les mâchoires qui se serraient nerveusement.
Elle avait mal.
Sous cette pluie battante, des chaussures aussi fragiles n’auraient pas pu soutenir un corps en mouvement. Même celui d’une jolie femme. Il ne pouvait s’agir que d’un attribut vestimentaire faisant partie d’une panoplie. En aucun cas, d’un outil sérieux pour la marche. Elles étaient agréables à porter, ces chaussures. Par temps sec, une heure peut-être, pas plus, avant de les jeter sur le tapis, à deux pas d’un lit où elle aurait pu s’allonger pour enfin reposer ses chevilles.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Editions Bargain, le succès du polar breton. – Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Serge Le Gall vit et écrit à Pont-Aven. Côté Enquêtes, il s’appuie sur son expérience professionnelle dans le milieu judiciaire. Côté Suspense, il aime bien jouer à cache-cache avec son lecteur.
Le commissaire divisionnaire Landowski est son personnage fétiche.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« Sur un lit d’herbe raseAu bord du grand fleuve,La fleur rougeS’endormait sous la lune.Yi-Min avait désertéLes bouges enfumésPour la regarderS’ouvrir au matin. »

Uchen Yang,Infatigable voyageur chinois(Période des Cinq Dynasties - Xe siècle)

I

L’orage faisait rage.

L’après-midi avait été des plus agréables. Les nuages s’étaient par moments postés à la limite du continent, comme s’ils attendaient le feu vert de l’ordonnateur suprême des intempéries résidant quelque part au-delà des nuées. La marée montante avait été le déclic permettant au grain impatient de venir s’amuser un peu au-dessus des terres émergées.

Depuis une bonne heure maintenant, des trombes d’eau s’abattaient sur la presqu’île de Quiberon. On aurait dit que la langue de terre s’enfonçant plus d’une dizaine de kilomètres en mer retenait les nuages noirs gonflés comme des outres pour mieux les éventrer, un à un, à la manière d’un tueur délicat mais complètement fou. Comme pour donner le la à une affaire criminelle qui ne demandait qu’à entrer en scène…

La nuée perverse tonnait, tournait et virait, semblait s’éloigner, puis revenait en couches basses déverser des vagues de pluie froide et drue, zébrant les champs, les maisons et les routes. Les gens aussi marchant à la peine. Un peu à la manière de ces enfants raturant à l’extrême le dessin réalisé avec opiniâtreté durant l’après-midi.

C’était l’un de ces épisodes pluvieux, exceptionnels heureusement, qui n’avait rien à voir avec la douceur commune de la presqu’île où les intempéries passaient et trépassaient en même temps. Pour le bonheur des résidants profitant avec satisfaction du soleil après la pluie.

La jeune femme venait d’effacer lentement le dernier virage de la route qu’elle suivait depuis un bon moment. La courbure bien évasée de cette partie de la voie lui avait donné l’impression de ne jamais en voir la fin. Comme si, à la manière d’un tapis, une main invisible tirait vers elle le ruban de bitume qui n’en finissait pas. Comme s’il s’agissait d’éprouver la détermination de la marcheuse.

Comme si…

La piétonne, elle, ne pensait plus à rien. Ou si, à cette jolie fête gâchée par un changement de temps imprévisible. Au beau milieu du rassemblement qui se voulait convivial, elle avait été contrainte de s’enfuir aux premiers coups de vent violents. Les bourrasques répétées avaient couché sur la nappe blanche les verres remplis de vin pétillant qui ne demandaient qu’à être consommés. Le pain de mie s’était gonflé en éponges à récurer. La garniture des toasts avait bavé d’une manière indécente sur le tissu immaculé. Le suprême de sardines s’était acoquiné avec le saumon bio des canapés pour colorer la nappe blanche et les cacahuètes salées avaient roulé en débandade vers la chute dans le vide, comme si la table de présentation était tout à coup devenue le lieu totalement infréquentable pour ces denrées ne faisant pas le poids.

Il n’était que trop tard pour se tirer d’affaire. Dans cet affolement inattendu, provoqué par cette pluie cinglante, personne n’avait eu envie de continuer de s’amuser et de rire. Les invités avaient reflué vers les moindres abris de fortune comme si ces habitués des embruns du large avaient tout à coup oublié que ces paquets d’eau avaient si souvent fait leur fortune.

Et qu’il n’était jamais bon de fuir bêtement.

Quand elle s’était retournée, elle n’avait vu que des invités transis, qui couraient dans tous les sens comme les pensionnaires d’une fourmilière stressés par le coup de talon meurtrier d’un promeneur indélicat. Les jolis chemisiers fleuris et chers devenus chiffons mouillés ne cachaient plus rien des bustes plus ou moins toniques des invitées tandis que les chemises blanches des hommes, portées à la BHL, révélaient quelques torses humides et poilus.

Personne ne faisait attention à elle.

Des portières claquaient et des moteurs s’emballaient sous les sollicitations des conducteurs énervés par ce changement de temps. Il y avait des paroles, des invitations et des rendez-vous jetés au vent, pour poursuivre sous des cieux plus cléments la petite sauterie empreinte de gourmandes promesses.

Très vite, il ne resta plus que des serviettes en papier à se faire violenter par les bourrasques, des verrines colorées à rouler sur les lattes de la terrasse, des bouteilles à trembler dans des seaux à glace remplis de pluie.

Et elle, au milieu de nulle part.

Elle avait décidé de rentrer à pied, faute de mieux, en empruntant la route principale au lieu de revenir par le sentier de bord de mer. Elle allait héler un bel homme charitable pour la mettre à l’abri dans sa voiture. Quelqu’un d’ailleurs, de préférence.

Elle s’était imposé un rythme de marche pour tenter de s’affranchir des éléments extérieurs. Effacer. Oublier. Ne penser à rien. Elle n’y était pas parvenue. Ses pas dans les flaques faisaient un bruit si désagréable qu’elle aurait souhaité ne plus les entendre. Ils parlaient de succion et de rejet comme une noria qui ne s’arrête jamais.

Dégoûtant.

Pour rentrer au plus vite, se changer et passer à tout autre chose, elle ne s’intéressait réellement qu’à sa progression régulière. Elle marchait en droite ligne, sans s’arrêter, sans éviter les ruisseaux, sans s’épargner les langues de boue bordant les mares nouvellement créées.

Elle n’aimait pas.

Surtout pas cette eau sale lui noyant les chevilles qu’elle imaginait en cloaque charriant tout sans trier, sans filtrer, avec les miasmes, les humeurs et les rejets de toutes sortes. Choses qu’elle ne supportait pas, qui lui donnait envie de vomir. Comme quand un inconnu s’avisait de la toucher.

Elle en rêvait parfois de ces rencontres impromptues menant à la contrainte. Pour se faire peur et redoubler de vigilance pour qu’un corps étranger ne se vautre pas sur le sien sans y avoir été invité. Elle appréhendait de devoir s’y soumettre, redoutait d’abdiquer devant la force, craignait parfois que l’inconnu ne la submerge. Tout en l’espérant secrètement.

Sa marche régulière avait quelque chose de lancinant et de mécanique à la fois. À chaque enjambée, la couche d’eau se creusait sous le pied et éclatait pour dégager de chaque côté. Le son claquait sous le choc, se répétait à l’envi.

Comme les tambours de la mort.

Le toucher trop franc de ses pieds nus sur l’asphalte remontait le long des jambes et retentissait dans ses vertèbres lombaires. L’onde suivait la colonne vertébrale et progressait vers les épaules en autant de coups de poignard. De quoi lui tétaniser les mâchoires qui se serraient nerveusement.

Elle avait mal.

Sous cette pluie battante, des chaussures aussi fragiles n’auraient pas pu soutenir un corps en mouvement. Même celui d’une jolie femme. Il ne pouvait s’agir que d’un attribut vestimentaire faisant partie d’une panoplie. En aucun cas, d’un outil sérieux pour la marche. Elles étaient agréables à porter, ces chaussures. Par temps sec, une heure peut-être, pas plus, avant de les jeter sur le tapis, à deux pas d’un lit où elle aurait pu s’allonger pour enfin reposer ses chevilles.

Encore un effort et elle arriverait chez elle. Elle enlèverait sa robe souillée, la jetterait en boule dans le panier à linge pour ne plus la voir et elle se glisserait sous le jet brûlant de la douche. Là, elle délivrerait son corps des tourments anciens et de ceux qui étaient encore à venir. Elle se délasserait la peau, les seins et le ventre, les cuisses et les fesses avec cet onguent de médecine ayurvédique qu’un ami lui avait ramené de l’Île Maurice. Elle insisterait jusqu’à ce qu’elle sente s’insinuer en elle cette torpeur indicible qui confine à la plénitude.

Ensuite, elle se laisserait tomber sur les coussins moelleux du canapé et elle s’abandonnerait à une indolence réparatrice l’emmenant par la main au plus profond de la nuit. Là où il est possible de tenter d’oublier dans l’ombre discrète ce qui fait que la vie reste une chienne.

Du moins, elle pourrait le croire. Un instant, juste un instant. Parce que, très vite, la vie allait reprendre son cours. Les tourments aussi…

Il y avait un quart d’heure, une demi-heure elle ne savait plus bien, qu’elle marchait le long de la berme, les pieds nus dans le ruisseau qui suivait le bord de la route, faute de trouver une échappatoire pour rejoindre le fossé.

Tout à l’heure, elle avait ôté ses chaussures, des escarpins en peau, totalement inappropriés pour la marche comme pour la pluie. Ils se balançaient au bout de sa main droite comme si elle les avait quittés pour marcher sur le sable en direction de la mer. Le sable et la mer étaient là quelque part, plus loin. Dans ce noir crépuscule accentué par l’amas nuageux très dense, il n’était pas possible de les apercevoir. L’orage empêchait aussi de les entendre, l’une caressant l’autre dans un mouvement d’une sensualité immuable.

Et même si cela avait été, elle n’aurait pas pu y courir pour se réfugier. On l’aurait traqué, on l’aurait retrouvée et, de fête joyeuse, il ne serait resté que son désarroi. Avant la souffrance.

Côté vêtement, ce n’était guère différent du choix de ses chaussures. Pour souligner son hâle discret, elle avait passé une robe pastel échancrée sur le devant ainsi que dans le dos. Le tissu volage s’arrêtait bien au-dessus des genoux pour ne pas donner une image de femme rangée, inaccessible. Autant dire qu’elle n’avait pas grand-chose sur elle.

La pluie s’en donnait à cœur joie pour s’infiltrer sous le tissu avec une sorte d’espièglerie qui jouait subtilement avec l’indécence. Surtout qu’elle ne portait rien en dessous. Jamais.

Après tout, la jeune femme était sortie pour boire un verre. Elle avait répondu à l’invitation d’un sponsor de la voile présentant un nouveau bateau. Tout à l’heure, il faisait très beau et elle avait eu envie d’offrir une image d’elle agréable et séduisante. À ce moment-là, les nuages noirs déjà présents mais dociles se contentaient de patrouiller au-dessus du continent, de Plouharnel à Carnac, sans oser s’aventurer en mer. C’est souvent ce qui se passe à Quiberon. De quoi s’enorgueillir d’un microclimat.

Il avait suffi d’un voileux aux cheveux blonds peignés façon buisson-ardent passant en décapotable pour qu’elle trouve un moyen bien agréable de se faire véhiculer sur les lieux de l’événement.

En arrivant au ponton, il s’était garé le long de la paroi de roche dans laquelle avait été creusé le parking du port de plaisance. Le bel altruiste avait rangé sa voiture juste à côté du fourgon blanc d’une entreprise de pompage aux vitres masquées de film isolant. S’attardant volontairement, elle l’avait laissé prendre un peu d’avance et elle avait attendu d’être la seule à se déplacer sur la promenade en lattes pour se pointer en star unique au raout.

Les tables avaient été dressées au bas de la capitainerie afin que les invités puissent jouir d’une vue imprenable sur les bateaux amarrés à Port Haliguen II. Il y avait déjà beaucoup de monde, mais elle avait produit son petit effet en arrivant la dernière. La brise animait gentiment le bas de sa robe et le tissu se laissait malmener de bonne grâce, se rendant ainsi complice. Elle avait voulu poser son sac à main sur une table du buffet le plus loin possible du bord pour le rendre inaccessible à des doigts trop curieux. Pour ce faire, elle s’était appuyée à la table puis s’était exagérément penchée, pliant la jambe à tendre le mollet. De quoi émoustiller les mâles en chasse qui écument régulièrement les petites sauteries estivales. Elle savait qu’ils la regardaient et elle en était satisfaite. Elle aimait bien susciter le désir pour mieux s’interdire d’y succomber. Moment agréable dans la vie d’une femme que de détenir le pouvoir absolu sur ces hommes prêts à toute compromission pour une étreinte aussi furtive qu’anonyme. Atavisme masculin.

Elle commençait maintenant à avoir froid. La température avait considérablement baissé en quelques minutes, l’humidité balayant d’un revers le temps lourd d’avant l’orage. L’eau ruisselait sur son visage, lui mouillait les yeux, suivait le pli de sa bouche, puis gouttait au menton. La robe qui, tout à l’heure, virevoltait à chaque mouvement sous les yeux gourmands des mâles invités, collait à ses cuisses comme du papier crépon imbibé d’eau. Après chaque dizaine de pas effectuée, la jeune femme devait remonter le tissu gainant ses cuisses pour rendre la marche plus aisée. Sa poitrine qui avait été discrètement dissimulée par un tissu pudique s’arrondissait ostensiblement sous une chiffe inutile. Ses cheveux s’étaient affranchis d’un joli chignon pour pendre lamentablement en baguettes de tambour de chaque côté de son visage blême.

Dans le bas de son dos, le tissu était maculé de traces de boue, comme si la marcheuse avait un moment trébuché et s’était retrouvée assise dans une flaque immonde à la manière d’un clown triste. Elle avait probablement passé les mains sur son postérieur pour le débarrasser de la terre mouillée, puis elle s’était essuyée sur le devant. En dessous du nombril, des traces de doigts apparaissaient encore malgré la pluie qui en brouillait les marques.

On aurait cru voir une femme-tronc. Ses bras nus et uniformément bronzés disparaissaient dans la pénombre mangée de pluie.

Sauf le mince filet rouge qui serpentait sur son bras gauche, glissait sur l’or de son alliance et gouttait à l’extrémité de l’annulaire.

Du sang.

II

Le conducteur de la voiture ne voyait rien. Ou presque.

Avec ces jets d’eau d’une violence extrême qui cinglaient le pare-brise, il perdait la notion d’espace. Un peu comme dans ces films-catastrophe américains où le monde bascule devant le héros médusé.

D’un coup, il se sentait comme enfermé dans l’œil d’un cyclone, tant les rafales de pluie se moquaient allègrement des essuie-glaces balayant le pare-brise en désespoir de cause.

Depuis un quart d’heure, il roulait à petite vitesse sous une pluie battante qui noircissait le paysage et accélérait la tombée de la nuit. Juste avant, la voiture avait chassé de l’arrière dans une mare d’eau. Pendant une poignée de secondes, il avait pensé que la tôle allait se froisser grave. Le véhicule désemparé avait un instant hésité entre l’embardée en direction du fossé ou le renversement pur et simple pour partir en glissade, mais il s’était miraculeusement rétabli. Le centre de gravité devait y être pour quelque chose.

Du coup, le chauffeur en baskets avait adopté une conduite pépère jouant à l’escargot placide plus qu’à la gazelle émoustillée. Dans le fond, il n’avait pas vraiment le choix. La visibilité quasiment nulle ne plaidait pas en faveur d’une précipitation imbécile.

Il retournerait plus tard à Quiberon même. Personne ne l’attendait avant le lendemain matin. Alors pourquoi risquer de finir à l’hôpital pour gagner quelques secondes ? Surtout que l’étape suivante pouvait très bien être la morgue en point de mire. Il ne connaissait que trop le cliquetis glaçant des chariots enfournant les cadavres blêmes dans les armoires réfrigérées. Avec cette lumière blafarde à transformer les vivants en zombies abandonnés par des médecins de l’impossible.

Ce virage étiré n’en finissait plus. Le conducteur au pull de cachemire gris se demanda s’il n’était pas en train de faire du surplace. À progresser comme une tortue ne le menait franchement nulle part. Il se dit alors que le mieux à faire était encore de se garer sur une aire dégagée et d’attendre un peu que l’orage s’apaise. Après tout, il n’était pas si pressé.

Restait à faire un arrêt sans risque.

Un tronçon de ligne à peu près droite s’annonça dans le brouillard d’eau. Il se redressa sur son siège pour tenter de voir un peu plus loin et de repérer un coin pour stopper en sécurité sans mettre la cabane sur le chien.

C’est à ce moment-là qu’il la vit.

C’était bien elle. Elle marchait sur le bord de la route en multipliant les petits pas comme une personne craignant la chute. Une sorte d’équilibriste sans tutu et sans parapluie marchant sur un fil invisible vers un monde totalement fermé d’ombre et de pluie. Elle tenait fermement la cadence et les éclaboussures inévitables suivaient le rythme de sa progression. Sa robe trempée lui collait à la peau comme une sorte de cataplasme posé par un médicastre fou. L’échancrure du vêtement dans le dos s’étirait vers le bas dessinant l’ovale plus que le demi-cercle. L’humidité jouait d’ironie crasse avec le tissu. Celui-ci épousait la courbure des fesses sans la moindre intention déplacée. La pluie ruisselait des cheveux aux jambes et perlait au bout de ses bras.

Pathétique et belle.

Le conducteur s’aperçut alors que la jeune femme cheminait pieds nus et qu’elle tenait ses chaussures dans la main droite qu’elle balançait mollement. Des escarpins mouillés, gorgés d’eau, impossibles à chausser sans effort.

Un autre véhicule, apparemment très pressé et tous feux allumés, passa en sens inverse. L’onde frappa les jambes de la piétonne qui dressa un majeur pour maudire le conducteur indélicat qui ne daigna même pas répondre. Cependant, elle ne ralentit pas, comme si le rythme qu’elle s’était imposé ne souffrait pas de modification. Elle voulait faire ce qu’elle avait à faire et rentrer chez elle.

Quelques dizaines de mètres plus loin, la voiture en maraude arriva à la hauteur de la jeune femme puis elle la dépassa à petite vitesse, clignotant en action. Le conducteur jeta un regard dans le rétroviseur. Il aperçut un visage ravagé d’eau et de désespoir. Des yeux noirs aussi qui semblaient le fixer malgré la pluie.

Il stoppa comme il put et alluma ses feux de détresse. La jeune femme arriva près de la voiture et la contourna par la gauche pour continuer son chemin. L’homme descendit sa vitre.

— Mais vous allez où comme ça ? Montez !

Il avait crié assez fort pour couvrir le tumulte de l’orage en gris plomb qui en était à son point culminant. La jeune femme avait repris sa marche comme si de rien n’était. Peut-être n’était-elle pas rassurée en ayant remarqué la plaque minéralogique d’un autre département ? Le chauffeur ne s’en tint pas là. Il dépassa à nouveau la jeune femme, stoppa une nouvelle fois en prenant de la marge, puis il se pencha pour ouvrir la porte côté passager.

Cette fois, la jeune femme, arrivée à sa hauteur, n’esquiva pas la voiture. Elle s’appuya sur la portière pour expliquer :

— Merci de vouloir me donner un coup de main, mais je suis trempée. Je vais salir le siège de votre voiture !

— S’en fout ! répondit l’homme. Montez !

Cette fois, elle obtempéra. Il ne put voir qu’elle avait souri.

Une fois assise, elle se passa la main dans les cheveux, créant ainsi un nuage de gouttelettes s’épar-pillant un peu partout.

— Je suis désolée, dit-elle. Je vous avais prévenu.

— C’est rien, dit-il en l’observant discrètement.

Elle avait quelque chose de pathétique dans sa robe intimement collée à la peau. Quelque chose de sensuel aussi. Entre ses jambes qu’elle gardait écartées, le tissu du siège se gorgeait de l’eau de la robe et la tache humide s’élargissait.

En prenant place, elle n’avait pas cherché à donner une image pudique en retenant le bord de sa robe. Celle-ci avait ripé sur le dessus du siège et s’étant naturellement retroussée, elle avait dévoilé quelques centimètres d’une peau agréable. Elle remarqua le regard de l’homme n’en perdant pas une miette, mais elle ne changea pas de position. Du coup, le conducteur se sentit moins en faute d’avoir jeté un coup d’œil furtif.

— Je vous dépose quelque part ? demanda-t-il, le regard fixé sur la route.

— Je suis presque arrivée. Merci quand même !

— Non, non ! C’est normal !

— C’est vraiment fou, cette pluie ! lança-t-elle sur un ton qui se voulait plus léger.

Elle étendit le bras gauche vers le pare-brise. Le geste un peu vif fit tomber quelques gouttes d’eau rougie sur le tableau de bord.

— Mais vous êtes blessée ! fit-il remarquer.

Elle balaya l’inquiétude.

— Ce n’est rien. Juste une égratignure sur le bras.

La jeune femme essuya sa main sur le bord de sa robe, puis elle entreprit de remettre ses chaussures déformées par l’humidité. Il l’observa du coin de l’œil tandis qu’elle poussait de la jambe pour faire entrer son talon gauche dans l’enveloppe de cuir gorgée d’eau.

Relevant l’autre jambe pour chausser l’escarpin droit en s’aidant de ses deux mains, elle dit :

— C’est sur la droite un peu plus loin. Vous allez apercevoir un chemin qui rétrécit. J’habite au bout. De ce côté, on ne peut pas y aller en voiture. Vous prenez la route qui est juste après.

Elle grimaça en posant les deux pieds sur le tapis de sol de la voiture. Ses chaussures lui faisaient un mal de chien, mais elle n’avait pas l’intention d’abandonner une partie si bien engagée.

— Mais vous pouvez me laisser au bord de la route, lança-t-elle à la manière d’un défi. Je ne suis pas seule à la maison. Je ne crains plus rien maintenant !

Le conducteur, calme et posé, était d’un autre avis :

— Vous avez pris froid. Vous êtes blessée. Je crois que c’est suffisant pour aujourd’hui. Je vous conduis jusqu’à chez vous. Je préfère finir ce qui est commencé. Je ne suis plus pressé maintenant.

La phrase ne souffrant pas de contestation, la jeune femme n’ajouta rien de plus. Deux minutes plus tard et à l’allure d’un crabe dormeur, la voiture embouqua le chemin vicinal balisé par quelques arbres, puis parcourut quelques centaines de mètres avant d’arriver devant une maison récente, enchâssée dans un fouillis d’arbustes mal taillés.

— C’est là, dit-elle, laconique.

La forte pluie avait cessé. Elle était remplacée par des jets résiduels d’un ciel de traîne se dégageant rapidement. Le soleil allait retrouver ses quartiers habituels. Le bon samaritain stoppa le véhicule au plus près d’une porte qu’il supposait être celle de l’entrée principale. Il sortit de la voiture et la contourna prestement en évitant de salir ses baskets neuves. Galamment, il ouvrit la portière. La passagère sortit de la voiture. Le temps redevenu plus clair permit au chevalier servant de voir un peu mieux à qui il avait affaire. Malgré son allure de sauvageonne extraite d’une mare au diable, l’inconnue avait beaucoup de charme. Dommage.

Il claqua la portière et il repassa sur le côté gauche, comme s’il avait l’intention de reprendre place derrière le volant.

— Mais attendez, dit-elle, d’une voix forte. Qu’est-ce que vous faites ? Vous n’allez pas partir comme ça !

Il parla d’évidence :

— Je vous ai ramenée à bon port comme je vous l’ai promis. Je n’ai plus rien à faire ici.

— Mais si, mais si ! Par ma faute, vous avez pris l’averse. Encore un peu et vous auriez été trempé comme moi !

Elle l’invita à la regarder. Il ne dédaigna pas de se rincer l’œil.

— Entrez un moment ! Vous allez boire quelque chose. Du fort ou du chaud. Les deux si vous voulez. À votre convenance ! Vous méritez bien ça ! D’autres sont passés forcément ! Vous êtes le seul à vous être arrêté sous cette pluie battante ! S’il avait fait beau, le succès serait venu naturellement !

L’inconnu hésita, puis il fit un pas qui valait acceptation en direction de la jeune femme qui, aussitôt, se précipita vers la maison. Elle ouvrit une porte vitrée qui n’était apparemment pas fermée à clé, se situant sur le côté.

— Venez vite ! dit-elle en le pressant de la main.

Il obéit et il entra dans une sorte de patio envahi de plantes tropicales. Il gravit quelques marches en suivant l’hôtesse et il fut étonné de pénétrer dans un vaste lieu occupant tout le rez-de-chaussée surélevé et servant manifestement de pièce à vivre. Il y avait un côté séjour sur la gauche et un côté bibliothèque sur la droite. Les deux espaces étaient séparés par un escalier de bois clair menant aux étages. En l’absence de contremarches, le lieu paraissait plus ouvert. Le tout était ceinturé de larges baies vitrées. Celles du fond donnaient directement sur la mer qu’on distinguait à peine.

Le sauveur de la pluie s’approcha lentement comme s’il fallait prendre bien des précautions pour profiter du spectacle. La mer le fascinait. Plus que les femmes parfois. Parce qu’il ne la comprenait pas. Comme elles.

— Si le temps était au beau, on pourrait compter les maisons de Carnac ! dit la jeune femme en s’approchant. Forcément, avec cet orage…

Il constata qu’elle avait prestement jeté une légère couverture à carreaux sur ses épaules.

— Vous allez quand même attraper froid, dit-il en la regardant. Il faut vous changer. Cette pluie n’est bonne que pour les grenouilles. Et encore !

Elle leva fièrement le menton.

— Vous vous y connaissez-vous en batraciens ?

— J’ai titillé bien des têtards dans les mares quand j’étais jeune !

— Avant de passer à d’autres jeux ?

— Comme les autres, ni plus ni moins !

— D’autres qui ne se seraient pas arrêtés pour m’aider !

— Question d’éducation, pas de parcours !

Elle serra la couverture autour de son cou.

— Certainement !

Elle sortit une main du tissu protecteur et elle désigna une table basse.

— Les bouteilles et les verres sont là-dedans. Il y a ce qu’il faut. Servez-vous quelque chose !

— Non, protesta le pull en cachemire. Il faut que je m’en aille. C’est mieux.

Elle le toisa.

— Vous êtes attendu quelque part ?

— Non. Rien ni personne !

— Alors, vous n’avez aucune raison de vous enfuir comme ça ! Je ne mords pas, vous savez !

— Je n’ai pas peur. Mais vous, vous attendez peut-être quelqu’un. Un compagnon, un mari… Des enfants… Ma présence pourrait être mal interprétée…

Il la regarda fixement et coupa court :

— Et puis je n’ai rien à faire ici !

L’hôtesse résista :

— Il n’est pas bon de rouler sous ces intempéries, vous savez. Un accident est si vite arrivé. Et si rien ne presse…

— La pluie a cessé. Le soleil revient. Je vais pouvoir y aller.

— L’embouteillage doit être impressionnant en direction de la pointe. Vous pouvez attendre ici plutôt que d’arriver énervé devant votre plateau de fruits de mer !

— Ce sera plutôt une soupe et au lit !

Elle sourit.

— C’est bizarre ! Je ne vous vois pas en bonnet de nuit !

Elle s’approcha encore et elle posa sa main droite sur son bras.

— Restez quoi ! dit-elle d’une voix désarmante comme si elle l’implorait. Pour tout vous dire, j’ai… un peu peur.

— Vous avez dit tout à l’heure que vous n’étiez pas seule chez vous !

— J’ai dit ça à un inconnu !

— Je n’en suis plus un ?

— Ben non, puisque vous m’avez sauvée !

— Sauvée ?

— De la pneumonie !

— Si vous ne vous changez pas, elle ne vous ratera pas quand même !

— Vous avez raison. Je jette cette robe au panier. Je prends une douche vite fait et je vous rejoins. Je ne serai pas longtemps, je vous le promets. On boira un verre ensemble. Je serai rassurée. Ensuite, vous ferez comme bon vous semblera !

Elle leva la main.

— Vous entendez ces grondements ?

L’homme, naturellement protecteur, sourit en la sentant inquiète.

— Ce n’est que l’orage qui roule sur la baie, expliqua-t-il. Entre continent et presqu’île, il cherche le passage. Il râle, c’est normal !

— Attendez qu’il s’éloigne vraiment, je vous le demande. Ensuite, vous partirez.

L’homme hésita encore.

— Il faut que j’y aille…

— Pas d’inquiétude ! Vous serez quand même à l’heure pour dîner si c’est cela qui vous préoccupe !

— Je n’ai pas très faim, à vrai dire ! Elle le regarda dans les yeux.

— Elle si, peut-être…

— Je n’ai pas rendez-vous et…

— Et cela ne me regarde pas. Vous avez raison. Nous ne nous connaissons pas encore assez pour que vous ayez envie de me déballer votre vie sentimentale.

— Tout juste !

Le « encore »l’amusa.

— Cependant… dit-elle en cultivant le sous-entendu.

— Oui ?

— Un homme seul venu d’ailleurs qui roule vers Quiberon en fin de journée d’été ne peut pas avoir pour seul projet de se glisser sous les draps pour regarder la télé !

Elle eut un sourire désarmant avant de susurrer :

— J’ai bon ?

— Je n’ai pas parlé de télé !

— Vous voyez bien !

— Ce n’était que pour vous donner raison !

Il se tourna vers la mer envahie d’ombre et de pluie.

— Filez sous la douche, je n’attendrai pas plus longtemps avant de vous tirer ma révérence !

— Oh, jolie phrase !

L’invité se retourna. Elle eut peur de l’avoir agacé et de lui donner ainsi le prétexte pour s’en aller.

— J’y vais, j’y vais ! dit-elle en s’esquivant.

Une fois qu’elle eut disparu dans l’escalier, il soupira.

— Mais qu’est-ce que tu fous là ? dit-il à voix basse. La nénette est manifestement toute seule chez elle. Tu ne la connais pas. Elle te la joue tee-shirt mouillé et ça t’amuse la rétine, mon salaud ! Tu en profites surtout qu’elle n’a pas peur de s’exhiber. C’est vrai qu’elle est plutôt bien foutue mais…

Il baissa la tête puis il reprit son monologue :

— Alors quoi ! Tout à l’heure, son mari, celui que tu vois sourire sur la photo devant toi, il va se pointer dans la carrée, comme un génie qui sort de sa lampe. Il va te demander ce que tu fais chez lui. À ce moment-là, c’est toujours comme ça que ça se passe dans le vaudeville, sa femme va débouler de la douche, une serviette… à la main. Minimum syndical, la production économise sur le costume ! Comment il va prendre ça, tu crois ? La vérité va ressembler à un gros mensonge et il va t’en allonger une ! Et une autre pour elle !

Il haussa les épaules. Il entendit l’eau couler à l’étage. Il fit quelques petits pas comme un acteur qui répète son texte.

— T’es chez une nympho peut-être, reprit-il d’une voix doucereuse. Une greluche qui drague les inconnus sur la route, qu’il pleuve ou qu’il vente, pour se payer un peu de bon temps quand le balèze est en train de faire rentrer de la tune pour que sa petite femme chérie craque du blé sans compter. S’il ne se pointe pas à temps pour briser le charme, elle va se faire boudeuse aux yeux humides, avec les cheveux mouillés tirés en arrière. Tu ne vas pas pouvoir y résister assez fort et tu vas craquer. Elle va se la jouer sangsue comme tu aimes et tu vas partir en live. Parce que tu te connais, tu sais bien que tu vas avoir une envie si naturelle qu’il serait trop moche de la réprimer.

Il soupira. Il se pencha vers la table basse, saisit une revue et la feuilleta sans vraiment regarder les pages qui défilaient.

— Après, tu vas le regretter, tu le sais déjà ! dit-il avec lucidité.

Il regarda la mer maintenant plongée dans le noir de la nuit et il resta silencieux et immobile pendant de longues minutes.

— En même temps, reprit-il tout bas, dents serrées, il ne s’est rien passé et il ne se passera rien. Elle va revenir de sa séance de vapeur. Tu vas enlever de ta tête les images du film qui passe encore et encore. Tu vas te boire un godet en sa compagnie pour rester poli, balancer quelques banalités en restant distant et te barrer gentiment. Mais vite !

Il secoua la tête.

— Mais si elle…

Il sentait le sol se dérober sous ses pieds. Du coup, il décida de résister en essayant de se motiver.

— Elle va regarder l’heure, s’apercevoir qu’il est temps d’arrêter ses conneries et te raccompagner. Elle a eu peur de l’orage. Mais c’est fini, le tonnerre. Les éclairs sont partis vers le sud. Chacun va retourner à ses moutons et basta !

— Vous parliez à quelqu’un ?

La jeune femme venait de revenir au salon, la tête enturbannée par une serviette nouée avec élégance et le corps dissimulé par un peignoir immaculé.

— Non, non ! Je marmonnais.

— Oh, ça m’arrive aussi à moi de parler toute seule ! Je me raconte des trucs, des histoires quoi. Vous savez, les femmes rêvent toujours un peu. Une manière de se sentir moins seule. Mon mari ne rentre pas tous les soirs. Et s’il rentre, c’est très tard. Il me délaisse trop. J’ai peur. Voilà !

— Mais vous faisiez quoi, pieds nus sous la pluie, avec votre petite robe de cérémonie ?

Elle rit de bon cœur.

— Je revenais d’un cocktail au port de plaisance. La pluie a tout gâché. Tout le monde est parti comme une volée de moineaux. C’était si fort, tout d’un coup ! Je me suis retrouvée seule au bout du parking. Vous y étiez, non ?

Il ne répondit pas.

— Vous étiez venue seule ? demanda-t-il.

— J’avais trouvé un chauffeur complaisant !

— Il vous a oublié ?

— Les étalons magnifiques ne survivent que sous le soleil. Vous savez, ils ne résistent pas longtemps quand le décor se laisse tirer vers le gris !

— Donc vous êtes partie…

— Faute de mieux, j’ai décidé de rentrer à pied.

— Sous ces averses ?

— Il ne pleuvait pas au début. Juste du vent. J’ai cru que j’avais le temps de revenir me mettre à l’abri. Ce n’est pas si loin après tout. J’ai l’habitude de marcher.

Elle regarda ses mains, fit machinalement tourner son alliance en or blanc.

— Mes chaussures ont pris l’eau tout de suite. Je les ai enlevées. Pour la robe, c’était plus difficile, vous me comprenez, n’est-ce pas ?

Bien sûr qu’il comprenait. Il n’était pas foncièrement idiot. Elle voulait probablement rappeler qu’elle ne portait rien dessous et qu’elle ne pouvait donc pas se mettre à marcher nue sous la pluie. Elle attendit une réaction de la part du visiteur, mais celle-ci ne vint pas. Alors elle le regarda avec une certaine arrogance en se cambrant discrètement comme si elle n’avait pas l’intention de perdre la main.

— Vous avez pu voir comment je suis faite…

Elle reprit sa respiration.

— Assez précisément même ! ajouta-t-elle. J’ai un peu honte, vous savez !

Il entendit tinter la clochette de son ange gardien voletant autour de son crâne.

— Mais honte de quoi ? demanda-t-il d’une voix blanche.

Elle s’approcha de lui.

— Vous avez dû penser à des choses…

Il se défendit aussitôt :

— J’ai juste vu une femme aux vêtements trempés qui rentrait chez elle sous la pluie. Je ne vois pas bien ce qu’il y a d’autre à dire.

— C’est ainsi que vous voyez les choses ?

— Je n’allais pas vous laissez seule sous cette pluie battante. Je vous ai vue. Un autre conducteur moins vigilant aurait pu vous percuter. Je me suis arrêté. Voilà !

— Je m’en veux de vous avoir fait perdre votre temps. J’ai sali le siège de votre voiture. Je vous ai retenu au-delà du raisonnable. Je vous enquiquine avec ma trouille exagérée. J’ai gâché votre début de soirée, en fait !

La jeune femme soupira. Sa poitrine se souleva au point d’entrouvrir les pans un peu lâches du peignoir blanc qu’elle avait curieusement oublié de lacer convenablement.

— Elle va vous attendre et vous ne pourrez même pas lui dire que c’est une femme qui vous a retenu. C’est bête !

Elle sourit.

— Elle supposerait que vous avez eu une aventure…

La courbure d’un sein se laissa entrevoir. Il ne détourna pas le regard.

— Je n’aurai pas d’explication à donner parce que personne ne m’attend ce soir.

Elle minauda :

— Personne ? C’est vrai, ce mensonge ? Je ne vois pas un homme comme vous se coucher en célibataire. C’est drôle, vous ne trouvez pas ?

— Pour me reposer vraiment, je dors seul.

Elle releva la tête.

— Sinon ?

Il éluda.

— Si je veux m’en aller, c’est que je souhaite simplement dormir un peu. Je… je prends le bateau demain dans la matinée et j’ai encore des choses à faire.

La jeune femme s’assit sur le canapé en cuir blanc, se laissa tomber plutôt. Elle se pencha vers la droite pour atteindre son sac posé contre l’accoudoir et elle y plongea la main. Le peignoir tenta mollement de suivre le mouvement, dévoilant généreusement la cuisse gauche de la jeune femme.

Cette dernière pêcha un mouchoir bleu dans le réticule et elle se l’appliqua sous le nez, tout en rectifiant sa position assise. Elle baissa la tête en respirant bruyamment.

L’homme ne savait plus quelle attitude adopter. Pour rester urbain, il demanda :

— Vous ne vous sentez pas bien ?

— Si, dit-elle dans un souffle, mais j’ai peur.

— Mais peur de quoi ? s’inquiéta-t-il.

— De mon ex-mari !

— L’homme de la photo, là sur la table basse ?

— Lui-même !

— Mais vous disiez qu’il…

— Faut bien mentir un peu au début…

— Il n’est pas là. La porte est fermée. Vous ne risquez rien.

— Tant que je ne suis pas seule. Il y a votre voiture devant la maison. Il a pu la voir. Il va attendre son heure.

— Et après ?

Elle entra dans une rage soudaine. Elle chiffonna son mouchoir en le serrant très fort. Son visage s’assombrit et de la salive mouilla les commissures de ses lèvres. Ses jambes jointes se mirent légèrement à trembler.