Parfum violent à Doëlan - Serge Le Gall - E-Book

Parfum violent à Doëlan E-Book

Serge Le Gall

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Beschreibung

Doëlan, petit port pittoresque de Bretagne sud.

Agnès y compose savamment des parfums haut de gamme. Le week-end, un guitariste nostalgique et sa compagne chanteuse promènent les enfants en calèche et interprètent de vieux tubes des années soixante.

Mais, un matin de crachin, Jenny est retrouvée morte en bord de mer. On commence à parler d’euphorisants illicites et de fiestas débridées. Josic joue les gros bras en terrasse et le docteur Laversande sirote de bons millésimes en rêvant de jeunes femmes peu farouches.

Linda range ses huiles essentielles en attendant John. Hélas ! le malheur a décidé de sévir. Le fiancé, allongé dans les herbes folles du vallon, vient juste de rendre l’âme. Les actes odieux ne se pardonnant jamais, l’hécatombe devient alors inévitable.

Le divisionnaire Landowski et son équipe de choc s’emparent de cette affaire si particulière cuisinée à la haine tenace et au parfum de mer.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Serge Le Gall - Dans la collection Pol’Art, l’auteur vous a proposé de suivre les tribulations du détective Samuel Pinkerton. Dans la collection Enquêtes et Suspense, il vous invite à découvrir ici la 37e enquête du désormais célèbre commissaire divisionnaire Landowski.

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Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

En souvenir d’une rencontre à Doëlan avec Paul Guimard qui m’a vivement encouragé à persévérer dans l’écriture.

L’auteur

« – Où devrait-on se mettre du parfum ? demanda une jeune femme.

– Partout où vous voulez qu’on vous embrasse, lui répondis-je. »

Coco Chanel

« Une femme qui ne porte pas de parfum n’a aucun avenir. »

Paul Valery

PROLOGUE

C’était un dimanche de pluie.

Une ambiance grise avec l’horizon bouché pour étriquer la vision au maximum.

Quand approchent les fêtes de la Toussaint, le climat décide souvent d’être dans le ton de la grisaille et de la tristesse. Une sorte de crachin désagréable hésitant entre la bourrasque soudaine et le rideau mouillé.

Un temps supporté par les Bretons natifs, mais pas forcément par les autres. Question de tempérament.

Par moments, le vent espiègle s’amusait à arroser les pans de murs sans espérer vraiment leur redonner l’éclat magnifique de leur premier printemps. Le moisi s’insinue puis s’installe en force et la patine du temps ne cède pas facilement sa place.

Sur le parking face à la criée déserte, il n’y avait pas âme qui vive. Juste l’effigie colorée en rouge d’un personnage collé sur la borne toute proche du bord du quai. Depuis quelque temps, il y avait, à Doëlan, ce type de décalcomanies grand format placardées ici ou là, sur les murs des bâtiments abandonnés ou sur les bittes d’amarrage. Des couleurs vives dans un monde de gris et de beige sali par les intempéries, grignotées par l’humidité salée d’un océan souvent impétueux et arrogant. Du côté de la criée adossée à la colline, il y avait quelques bacs à poissons qui se frottaient un peu produisant des sons dignes des Hauts de Hurlevent. Une plaque de métal accrochée à un grillage cherchait la rime en tremblant. De quoi faire frémir les esprits délicats.

À vrai dire, il faisait un temps de chien. Vocable pas très gentil pour un toutou blotti en boule dans son panier chez sa mémère prévenante.

Le temps plus clément reviendrait bientôt ou plus tard, mais il ne fallait pas s’attendre à l’arrivée d’un franc soleil peu avare de ses rayons.

Il y avait bien quelqu’un. La promeneuse solitaire remontait vers le parking au-dessus. Le magasin d’articles pour les amoureux de la mer, comme profession ou comme passion, était ouvert. L’éclairage bien franc rassurait s’il en était besoin.

L’inconnue gravit les quelques marches puis elle fit quelques pas sans se presser. Les bourrasques attendraient. Et puis, comme il arrive dans la vie qui décide pour vous, il y avait là, à quelques mètres, sur la droite, quelque chose d’intrigant. La promeneuse solitaire qui pensait à bien d’autres choses comprit aussitôt qu’une découverte peut-être surprenante s’offrait à elle. Oui, il y avait là, blotti contre le mur de pierres sèches, un ensemble de vêtements chiffonnés de couleur sombre que les herbes folles et trempées cherchaient vainement à dissimuler. On aurait dit qu’on avait voulu cacher la chose encore imprécise en redressant les broussailles en rive, les peignant même en hauteur pour leur redonner vigueur et créer ainsi un écran de dissimulation bien imparfait. Pudique peut-être.

La courbe du sentier appuyait sur la gauche et le muretin serpentait le long du chemin de marche menant au port de Merrien encore distant de presque six kilomètres quand même ! Récemment, on avait jointoyé les moellons de soutènement en utilisant un liant beige classique et en ne cherchant pas midi à quatorze heures. Au-dessus, on avait placé une sorte de rideau de brandes de bruyère. Marron. Simple. Efficace. Solide.

Côté mer, il y avait un peu de végétation quand, côté continent, le mur était contraint à suivre une courbe harmonieuse qui semblait annoncer son besoin de descendre vers la mer qu’on entendait s’activer sans relâche en contrebas. Les rias de Bretagne sud s’amusent de l’océan qui cherche à les défier. Le vent s’en va, mais la mer demeure ! Les visiteurs s’extasient devant la fureur des vagues et le son rauque de l’océan dans les cavernes rocheuses. Oratorio sans orchestre…

Et c’était ce muret en courbe presque gracieuse qui servait d’abri momentané à ce ballot de vêtements plus noir que bleu marine qui n’avait, à vrai dire, rien à faire là ! Un rejet indécent en ce temps où l’on demande à tout un chacun de respecter la nature…

Tout d’abord et tentant d’envelopper pudiquement l’ensemble, il y avait une sorte de caban dont on ne voyait que la partie dorsale puis, un peu sur la droite, un tissu plus strict d’un gris souris effrayée qui tentait de dissimuler une forme bombée encore bien indéfinissable à ce stade du regard sans repères. Une jupe froissée et salie peut-être. Au moment du dépôt, le ballot avait dû racler le muret si bien que des poussières de moellons avaient pu saupoudrer le tissu du caban. Aujourd’hui, on jette tout et n’importe quoi n’importe où ! Mais ensuite, l’inspection reprend ses droits et la réalité des images balaie tout rêve excessif.

La promeneuse solitaire aurait très bien pu se désintéresser de la chose en l’ignorant et en scrutant l’océan et son image changeante puis passer son chemin. La curiosité crée parfois des problèmes insoupçonnables à mettre à mal une vie bien tranquille. La vie des autres…

Et ici, ça allait être le cas ! Et comment ! Parce qu’il y avait un après qui allait se donner à découvrir ! Un truc insensé à se grignoter les peaux mortes des ongles en plein stress. Mais oui, l’embrouille concoctée par des esprits malins avançait discrètement avec un feulement d’animal sauvage. Pour l’heure, le destin avait un petit creux, un moment de libre, un trou dans la raquette ! Il allait s’ingénier à le combler très vite ! Cyniquement !

C’est curieux de constater comment le côté sombre des choses bouscule si aisément la fragilité du bonheur…

En effet, en limite basse du tissu gris franchement mouillé et remonté sur les cuisses, apparaissait un mollet puis un autre, muscles arrondis harmonieusement, de peau lisse et blanche, de douceur au toucher certainement, les deux conduisant à des pieds glissés maladroitement dans des chaussures maculées de terre humide. Des chaussettes fines étaient roulées en boule. On aurait dit qu’elles avaient été abandonnées sur l’herbe comme si on avait finalement renoncé à les enfiler aux pieds couleur de craie. La jambe gauche reposait sur l’autre, créant un triangle ouvert, que les herbes avaient squattée dès que possible.

Plus haut, à la partie supérieure des genoux, on pouvait voir l’ourlet déchiré du caban qui fuyait en biseau. Il y avait aussi un triangle sombre masquant toute intimité en filant se mettre à l’abri sous le tissu chiffonné. Des jambes fines, d’un beige soyeux, lisses et aux attaches délicates. Une douceur de peau attirant le regard et sollicitant un contact caressant. Sauf que ce n’était ni le jour ni l’heure de batifoler dans les herbes sauvages en yodlant des couplets frivoles à la bavaroise !

En fait, il fallait s’y résoudre enfin ! Il ne s’agissait en rien d’une belle endormie. Point.*

Le corps auquel on avait, peut-être, voulu donner l’aspect d’un ballot de chiffons abandonné et qu’on avait maladroitement dissimulé dans la végétation pour s’en débarrasser, saillait des herbes folles écrasées par le volume.

Parce qu’il s’agissait bien d’une femme.

Jeune et belle.

Trempée de pluie scélérate.

Parfumée à outrance.

Étendue et inerte.

Morte à n’en pas douter.

* Voir La Belle Endormie de Port-Manech, même collection.

I

Il y avait environ une petite heure qu’Agnès Delorme avait interrompu son travail. Une activité de longue haleine. Dans la création, la durée ne suit pas forcément le sens des aiguilles de l’horloge. Les assemblages de senteurs à la fluidité de sirop nonchalant exigeaient du temps, de la précision et… de la subtilité olfactive ! Elle se devait au geste de dosage, au coup de cuillère en bois d’if pour lisser la composition. Tout ce temps et l’attention de tous les instants pour chercher à atteindre le Graal !

Elle naviguait entre son laboratoire sombre comme un four et la verrière donnant sur la mer qui ravivait les couleurs. La création est exigeante. Il s’agissait quand même de préserver les fragrances de l’Antiquité. Pour un peu, elle aurait espéré chasser les esprits maléfiques par la fumée odorante.

Elle en était à la préparation de doses de nard de l’Himalaya censé agir contre le stress, et calmer le trop-plein d’émotions. Elle en faisait commerce pour soigner le psoriasis, les hémorroïdes et les varices. Avec un plaisir non dissimulé, elle laissait errer un parfum d’oliban, l’encens de l’Antiquité, pour respecter l’histoire. En effet, en 1922, on avait retrouvé les deux produits dans la tombe de Toutânkhamon et ils n’avaient rien perdu de leur fragrance après des siècles d’enfermement secret.

Quand elle estimait que le mélange allait parvenir à l’osmose espérée fébrilement, elle glissait lentement le bras gauche sous son tee-shirt un peu froissé et elle se pinçait le téton droit pour que la fine douleur ainsi créée fasse émerger la part de rêve escomptée avant de redescendre sur terre. Une pratique personnelle et secrète qu’elle n’aurait dévoilée à personne de peur de passer pour une dépravée.

Sans regret aucun, elle appréciait ce moment indicible de la création finement douloureuse où le frisson la bousculait brutalement comme une vague tonique. Comme l’orgasme féminin. De ceux dont on rêve en couleurs. Et elle ne s’en lassait pas.

En compagnie d’un homme installé profondément en elle et s’activant encore, elle n’avait jamais puissamment ressenti ce basculement sucré de sirop épais se répandant en bave de serpent dans son intimité secrète. Un frisson au maximum. Peut-être que c’était la raison qui faisait que les amants confortablement membrés n’étaient pas forcément sa tasse de thé. Où se niche parfois l’exigence…

Créer une base de parfum n’était pas non plus de tout repos, mais elle cherchait sérieusement à y parvenir. Parfois, la note de tête, la première impression olfactive de la création, ne s’installait pas d’emblée. Puis venait la note de cœur qui allait poser le caractère fondamental du parfum. Ensuite arrivait la note de fond avec ses senteurs persistantes et elle prenait toute sa place. Il fallait cheminer avec courage vers le meilleur, repartir de zéro autant de fois que nécessaire et accumuler les déconvenues, pour ne pas dire les échecs, avant de s’apercevoir que le but était, juste là, à portée de main. Ensuite il restait encore tant de chemin à faire. Persistaient alors des senteurs furtives de jasmin et de santal présents dans la plupart des parfums.

Alors elle restait immobile devant son orgue, le meuble à étagères aux essences exposées qu’elle nommait ainsi, et elle rêvait d’avoir atteint la substantifique moelle, la quintessence d’une chose en ce qu’elle a de meilleur. Le Walhalla !

Mais elle revenait bien vite à l’humilité de la tâcheronne discrètement inspirée. Le travail qu’elle produisait n’était que des ébauches, certes techniquement élaborées, afin de proposer des pistes aux grands parfumeurs parisiens qui testeraient ses assemblages en les nourrissant d’autres senteurs lui volant ainsi la maternité du doux parfum. Parfois, mais pas si souvent qu’elle l’espérait, ils reconnaissaient son talent et ils la félicitaient pécuniairement pour sa création. À d’autres moments, ils restaient bien silencieux pour ne pas la décevoir. Par jalousie aussi.

Mais elle avait foi en sa force de création.

Quand elle avait le sentiment puissant du travail accompli, que la fiole témoin et la liste des ingrédients utilisés étaient enfermés dans un coffre anonyme, elle se juchait sur un tabouret de bar ramené d’une soirée d’orgie et, en regardant la mer si changeante au-delà du phare, elle temporisait, un havane au bec et une sacrée lampée de whisky hors d’âge à la main. Elle humectait d’alcool l’extrémité du cigare bien tassé avant de se le ficher en bouche comme un attribut masculin solide puis elle contemplait l’horizon gris-bleu.

Elle se laissait alors rêver à des copulations débridées rangées dans les archives. Certes, des amants, elle en avait eu ! Mais des souvenirs exceptionnels, pas tant que cela ! Le plaisir ultime se fait rare de nos jours. Le monde va si vite, mais le parfum se traîne le long des plis de la peau, s’insinue sur celle de l’autre puis s’envole…

Elle suivait le parcours des bateaux louvoyant entre leurs semblables pour s’en aller vers le large. Elle s’abreuvait de leur liberté, rêvait de les rejoindre et se caressait intimement la peau fragile pour se sentir vivante. Ensuite, elle faisait coulisser les baies de la verrière pour retrouver le silence délicieux. Elle entrait dans son alcôve interdite, s’allongeait sur le lit, se lovait nue dans un drap frais aux senteurs de lavande, se tournait vers la cloison de lambris blond et rêvait de mondes inconnus aux senteurs magnifiques dont elle aurait été la créatrice. Son besoin de créer ressemblait à s’y méprendre à un sacerdoce où l’abnégation faisait naître le plaisir. Intensément.

Vous l’aurez compris, Agnès Delorme ne cherchait pas forcément à faire partie du commun des mortels…

Depuis trois ans déjà, elle avait repris une maison de pêcheur qui donnait sur le port de Doëlan. La maison avait été édifiée rive gauche et légèrement en oblique comme pour avoir un clin d’œil permanent sur l’océan. Quand la créatrice avait un besoin impérieux de réfléchir posément, elle regardait le phare fièrement planté sur la même rive tel un Priape éternel et elle souhaitait que les effluves de ses créations olfactives puissent conduire à une certaine félicité. Le mélange subtil des senteurs a toujours aidé à la fusion des êtres vivants. Les humains de l’Antiquité en ont copieusement abusé. Enfin, d’après les érudits…

Les grandes baies vitrées coulissant parfaitement dans des rainures en aluminium gainées d’un fin caoutchouc permettaient d’empêcher les odeurs de l’extérieur de pénétrer dans son laboratoire et de perturber l’osmose subtile des essentielles. L’après-midi, Agnès baignait dans des fragrances basiques de plantes et de fleurs avec lesquelles elle tentait de composer des assemblages savants et uniques qu’elle sélectionnait et proposait plus tard à des parfumeurs parisiens afin qu’ils créent des senteurs exceptionnelles qui deviendraient des parfums de grandes marques. Peut-être. L’occasion faisant le larron, elle aimait bien se laisser emporter par le mélange des sens. Bousculer même. Quels qu’ils soient…

Elle aimait son job et, encore plus, son indépendance. La création ne s’embarrasse pas de fil à la patte, d’horaires contraignants et de gestes codifiés. Et si le compagnon du moment exprimait ses besoins immédiats avec insistance, elle ne répondrait pas si fébrilement que ça au brame insistant.

Pendant une période, celle qui l’avait vue s’installer et monter son affaire, elle avait eu un ami, robuste et entreprenant à la nuit tombée au retour des caboulots encore ouverts sur la côte sud. Elle l’avait dégoté dans un rade de marins à la petite semaine friands de comptoirs patinés plus que de pêche au large par un temps de chien. Peut-être cherchait-elle, ce soir-là, des bras accueillants la serrant à l’étouffer pour l’entreprendre sans délai. Il y a le manque et il y a l’opportunité. Parfois, ça “matche” fort ! Dans un moment de folie passagère teintée d’envie et de don charnel de soi, elle l’avait ramené chez elle en rêvant qu’il la prenne pendant une bonne partie de la nuit sans la moindre retenue. Elle sortait d’une aventure douloureuse qui avait besoin d’un coup de balai. Elle avait vite déchanté parce que l’étalon hirsute, et visiteur musclé, rêvait davantage de lit douillet que de veillée créative. Néanmoins, les jours suivants, elle lui avait assuré le gîte et le couvert à condition qu’il réponde à ses envies passagères quand il aurait retrouvé une virilité respectable et balayé les effluves insistants de goémon séché.

Mais la chair est faible, dit-on, et la répétition est parfois pathétique quand la découverte n’est plus au rendez-vous. C’est ainsi que le quotidien s’installe et que l’acte sexuel devient formel et mécanique. Voire solitaire. On s’active en rêvant. Ensuite on ne rêve plus et la machine se grippe ! Enfin, on dédaigne pour se donner bonne conscience.

Agnès aurait aussi souhaité voir l’amant occasionnel se mobiliser les muscles pour faire bouillir la marmite où des homards sacrifiés sur l’autel du goût auraient bouillotté gentiment, mais c’était peine perdue. L’étalon en manque d’arrogance masculine cultivait une oisiveté crasse et un penchant bien ancré pour la dive bouteille quelle qu’en fût l’étiquette ! Elle avait donc été contrainte d’inventer quelque chose pour se débarrasser du boulet et pour que la sangsue masculine retourne faire coucouche panier chez sa mère tricotant mécaniquement des vêtements de laine pour les orphelins !

Après bien des scénarios capillotractés et du temps perdu, elle avait réussi à dégoter la solution idéale qui lui permettrait de ficher l’intrus dehors pour retrouver sa liberté ! Peut-être !

Elle avait donc invité chez elle une amie de longue date et l’avait briffée sur son projet saugrenu. L’accord étant obtenu, elle avait disposé des coussins comme chez une maharani des plaines du Gange et invité la figurante à prendre l’une des positions lascives bien connues dans les harems de Bagdad ou d’ailleurs. L’idée était excellente et Jenny ne dédaignait pas ce genre de trip. La mise en scène joyeuse des deux femmes nues et imbriquées dans le même lit avait largement stupéfait le compagnon rentrant d’une soirée arrosée à refaire le monde avec des amis de la même trempe. La pratique originale, ne convenant pas à ses schémas classiques, l’avait incité à fuir aussitôt sans réclamer son reste. Le mâle n’était décidément pas prêt à la modernité sexuelle ! C’en était trop pour un homme simple comme lui ! L’abondance annonce l’abstinence ! Des jurons incompréhensibles puis une retraite peu glorieuse avaient mis fin à presque douze mois de cohabitation un brin rock’n’roll !

Du coup, Agnès s’était retrouvée seule dans la maison de son grand-père et elle en avait ressenti un plaisir immense. Presque charnel. L’humain aime son prochain. Pas tous et pas tout le temps…

Elle avait observé son antre et ne l’avait pas trouvé digne d’elle. Alors elle s’était lancée dans une séquence ménage. Elle avait soigneusement effacé les traces du séjour de l’orang-outang mal peigné dans son logis, viré la literie aux senteurs paysannes bien soutenues ainsi que les litrons abandonnés pour redonner une vie décente à son intérieur cosy. Puis, plus tard et tranquillement, elle avait elle-même fait quelques aménagements pour créer son atelier dans la véranda et son laboratoire dans la pièce attenante.

Depuis un moment, une idée lui trottait dans la tête. Elle avait besoin d’un lieu fonctionnel pour se livrer à ses recherches artisanales sur l’essence naturelle des plantes, répertorier des extraits et composer des associations originales. Elle avait ramé, pesté, crié, pleuré devant les échecs avant de recevoir des félicitations sincères puis des propositions de contrats. Celles-ci, timides et épisodiques dans un premier temps, avaient gonflé le temps que son savoir-faire soit reconnu à sa juste valeur.

Elle avait donc phosphoré le jour et surtout la nuit avant d’arriver à des résultats honorables. Les grandes maisons de parfumerie qu’elle avait approchées avaient fini par reconnaître son talent et apprécié son travail très personnel.

Elle avait même été sollicitée par un laboratoire pharmaceutique intéressé par l’élaboration de bases issues de végétaux pour soigner certaines affections de la peau. Attention ! Ce n’était pas encore le jackpot !

Elle aurait pu étoffer son affaire en cherchant des investisseurs, en créant un véritable laboratoire et en embauchant une équipe triée sur le volet. Ça n’avait jamais été son objectif de devenir cheffe d’entreprise et elle se trouvait très bien ainsi. La notion personnelle et artisanale de son travail la comblait et la simple vue sur la mer lui allait très bien ! Évidemment un jour, son envie furieuse rassasiée, elle quitterait Doëlan et son cadre enchanteur pour lever fièrement la tête vers le soleil !

What else !

Seulement, le destin a souvent des idées saugrenues pour jouir à bousculer les êtres, à les broyer, à les détruire pour les pousser au néant. Alors que l’on pourrait faire simple. Mais non… Les fourmis laborieuses que sont les humains n’ont pas voix au chapitre. C’est curieux ce penchant obligé vers le côté obscur…*

Et voilà que, justement, le destin avait envie de s’amuser avec elle. La piste aux emmerdes venait de s’ouvrir !

Agnès empruntait ce chemin presque tous les jours. Elle aimait s’aérer parce que, souvent, elle avait travaillé les assemblages jusqu’à tard dans la nuit. Elle n’aurait dû ne rien voir, ne rien remarquer et passer son chemin. Ce qu’elle faisait habituellement d’ailleurs. Il y aurait bien eu, à un moment ou à un autre, un quidam à emprunter le sentier avant elle et, piqué par la curiosité, à s’approcher du tas de chiffons, reconnaître une cheville, puis un mollet avant de s’apercevoir qu’il s’agissait d’un cadavre de femme.

Question à se poser tout de même ! Et si on avait tout fait, délibérément, pour qu’Agnès ne le rate pas, ce corps sans vie…

En utilisant son bâton de marche qu’elle n’oubliait jamais pour sortir, elle écarta délicatement le pan inférieur du caban et les jambes repliées apparurent en entier. La culotte de soie grège marquée de fines traces humides à la couture bâillait sur le mystère féminin et on avait interverti les chaussures où, forcément, les pieds ne trouvaient pas leur place. Apparemment, la victime avait été fébrilement rhabillée.

Agnès continua son inspection. Même si elle ressentait un certain trouble sans pouvoir en identifier la cause, elle continua son examen. Était-ce la couleur ou le grain de la peau, le galbe du mollet, l’attache de la cuisse au genou ou le renflement naturel côté gauche du pubis dû à la pilosité fournie ? Difficile à juger, mais une chose était certaine, la jambe, quoiqu’un peu mince, était parfaite.

La créatrice se redressa et elle s’appuya sur sa canne de marche. Elle était perplexe, bousculée et inquiète. Il y avait quelque chose de troublant dans son attitude. Elle semblait vouloir explorer davantage tout en réfrénant par décence son envie vis-à-vis d’un corps inerte jetée au bord du talus comme un tas de chiffons inutiles.

La promeneuse avança d’un mètre pour se trouver à hauteur du torse du cadavre. Là, elle s’aperçut que le caban semblait avoir été enfilé à même la peau, boutonné de haut en bas. Cela voulait dire qu’il n’y avait ni chemisier, ni gilet, ni pull sur le cadavre. Juste une petite culotte qui paraissait un peu grande, mais surtout mal ajustée. Ce que n’aurait pas fait la femme elle-même en s’habillant, même fébrilement. La jupe grise remontée était très froissée et salie. Caban et jupe sertissant le corps et ne laissant ressortir que la tête, il n’y avait aucune blessure apparente non plus. Ni bleus ni contusions sur la partie de peau visible. Elle ne semblait pas avoir été violentée, ni battue. Juste exécutée. Comment ? C’était encore à voir !

Peut-être même que les habits portés par le corps sans vie n’appartenaient pas à celui-ci. Le slip bâillait avec indécence et la jupe ressemblait à un chiffon maculé de terre. Comme si on avait tiré le corps par les pieds pour le déplacer sur un sol terreux et mouillé. Du coup, la tête était placée dans un angle inhabituel. Ce qui n’avait pas forcément été la préoccupation d’un tueur.

Du capuchon en caoutchouc de sa canne, Agnès tenta de déplacer la tête afin de faire apparaître le visage. Alors, les yeux ouverts d’un regard éteint la fixèrent. Avec effroi, la promeneuse matinale appuya sa main ouverte sur sa bouche. Cette femme, elle la connaissait. Bien même. En un instant, sa découverte venait de la dévaster pour longtemps.

Le corps sans vie c’était celui de Jenny, sa complice dans la scène du harem pour faire fuir le costaud aviné. Une amie, toujours disponible. Parfois davantage en période de grand froid.

Agnès détourna le regard. Celui, fixe, de son amie était insupportable à soutenir. Elle étouffa un sanglot, se retint de vomir et de mouiller sa culotte. Tant l’image était cruelle, elle était à deux doigts de se laisser aller complètement. Elle était dévastée.

Elle se redressa comme si elle tentait de se ressaisir et c’est à ce moment-là qu’elle aperçut un rectangle de papier froissé qu’on avait maladroitement collé sur le front de son amie décédée. Elle se baissa pour voir.

En fait, il s’agissait de l’étiquette d’un flacon d’huile essentielle. Agnès reconnut sa propre écriture à l’encre violette sur le carré de papier estampillé à sa marque. Elle l’avait elle-même collée sur une petite bouteille et c’était… pas plus tard que la veille !

Elle tomba à genoux sur l’herbe et se prit le visage dans les mains pour tenter d’étouffer ses sanglots. Elle était désemparée, anéantie, au bord de la syncope.

Elle temporisa deux ou trois minutes pour tenter de retrouver ses esprits et elle se remit péniblement debout. Tout à coup, le monde lui sembla d’un poids impossible à porter…

Elle regarda en direction du bras de mer cherchant le réconfort des éléments ou la certitude de faire un cauchemar. Rien ne vint.

Brutalement, le destin venait de frapper à sa porte. Rien ni personne n’allait l’empêcher de s’activer dangereusement. Ce qui était à venir ne serait pas beau à voir…

Tout à coup, une voix féminine et chevrotante lancée derrière Agnès l’interpella :

— Mon Dieu, mais qu’est-ce que vous avez fait ?

* Voir Le Vizir et la Mort, lzarama.wordpress.com.

II

— Commissaire divisionnaire Landowski. À qui ai-je l’honneur ?

Coup de raquette. Garde à vous.

— Mes respects, Commissaire ! Adjudant-chef Leterrier en remplacement à la brigade de gendarmerie de Moëlan-sur-Mer. J’ai entendu parler de vous !

Landowski soupira.

— Eh oui ! Il m’est arrivé de sévir dans le secteur avec vos collègues !

— L’OPJ Lacanal, que l’on doit dorénavant informer en premier lieu pour les décès suspects en Finistère sud, m’a ordonné de vous appeler pour vous demander si vous étiez disponible pour nous rejoindre sans délai au port de Doëlan sur le parking rive droite !

— C’est vraiment urgent ?

— Affirmatif !

— Alors pas de problème, j’arrive. Motif ?

— Devant nous, à quelques mètres de distance, nous avons le corps sans vie d’une jeune femme allongée contre un petit mur de soutènement. L’OPJ a pensé que cela pourrait vous intéresser !

— C’est un accident ou il y a déjà une suspicion de crime ?

— L’accident est à exclure, Commissaire. Vous saurez pourquoi quand vous serez sur place.

— Ce que l’on voit ressemble étrangement à une scène de crime, balança Lacanal qui venait de saisir le téléphone. Bonjour, Commissaire ! Je n’ai pas l’intention de vous importuner à chaque affaire que nous allons avoir à traiter en bord de mer, mais celle-ci vaut son pesant !

— Parce que ?

— L’assassin, homme ou femme – voire les deux ! Et j’insiste sur le détail –, a estampillé son acte !

— Ne m’en dites pas davantage ! J’aime assez quand l’affaire est emberlificotée ! Mes neurones réclament souvent une intense activité, mais ils se nourrissent de patience !

Landowski respira profondément. Branché sur un objectif, l’adrénaline produisait toujours son effet.

— Et d’abord, qu’est-ce que vous faites là-bas, Lacanal ? balança-t-il tout à coup interrogatif.

— Mon métier, Commissaire ! J’étais en représentation à Concarneau. Cérémonie officielle ! Un ministre y était attendu sur le port à cause de l’interdiction de pêche dans le golfe de Gascogne ! On a pensé qu’il pourrait y avoir un peu d’animation dans les rangs. D’où ma présence avec des effectifs de sécurité appropriés !

— Peut-être légitime, non ? lança Landowski. J’ai lu que les armements de navires n’en peuvent plus !

— Par ces temps, les corporations maritimes ne sont pas à la fête…

— Et donc ? continua le divisionnaire.

— Comme d’hab’, l’avion du ministre avait du retard dans le timing. J’ai su que vous étiez dans le coin !

— L’ET 60* de Villacoublay est parfois surbooké ! Ce week-end, continua Landowski, il y a les fiançailles de la fille de notre voisine à Trévignon. Lorraine et moi, nous avons été invités au vin d’honneur. Lorraine a trouvé que c’était quand même bien de faire le déplacement. Deux jeunes qui s’engagent officiellement et pour la vie, c’est de moins en moins courant. Donc on a posé deux jours calés sur le week-end !

— Donc ça fait quatre !

— Apparemment, ce ne sera pas suffisant ! ironisa Landowski. Les affaires reprennent !

— Et les autres membres de l’équipe ? s’enquit Lacanal.

Le divisionnaire esquissa un sourire.

— Et si je vous avouais qu’ils sont en route ? Lorraine est arrivée avec moi. Ange P. et Jim Sablon étaient en train de défaire leurs valises dans les hauts de Nizon. Sont comme les chiens d’arrêt, ces deux-là ! Ils ont dû sentir le vent !

— Et la magistrate…

— Angelina Lafos ? Bah ! Un moment, on ne la voit pas. Et hop, elle se pointe !

— Pour quel motif, cette fois-ci ?

— Sans ! Vu l’arrêté ministériel qu’on a obtenu de la chancellerie, on a les coudées plus franches maintenant !* Sans abuser évidemment ! S’il y a une affaire, l’information remonte !

— Sinon, Commissaire, on fait comment concrètement ?

— Ben j’arrive ! Je serai heureux de vous retrouver ! J’vous ai même pas demandé. C’est quoi l’affaire au fond ?

— Un crime de campagne. Plus exactement de bord de mer ! L’océan, les embruns, l’odeur des algues ! Les trucs qu’on voit à la télé et que je ne regarde jamais !

— Pourquoi ça ?

— Je m’endors et je ronfle ! Ma femme n’apprécie pas !

— Et donc l’affaire ?

— C’est une jolie jeune femme retrouvée morte. Le corps est étendu contre un muretin à trois mètres de moi. La position est curieuse. Vous verrez bien !

— Décès constaté ?

— Affirmatif. La scène est sécurisée. Les pompiers sont sur place. Le décès remonte au moins à quelques heures. Pendant la nuit probablement. Leur rapport précisera tout ça.

— Et puis ?

Lacanal s’amusa.

— Ben tout est à faire, Commissaire. On n’a rien touché. Je compte sur vous ! J’aime bien quand on collabore !

— Y a des témoins ?

— Une vieille dame qui promenait son chien a vu une jeune femme près du corps. Elle l’a empêchée de s’en aller !

— De fuir vous voulez dire ?

— Apparemment non. La femme témoin était effondrée.

— Elle a dit quelque chose ?

— Non rien. Elle est prostrée dans le véhicule des gendarmes. On va l’emmener à la brigade. On prendra sa déposition dès qu’elle sera en mesure de répondre.

— C’est qui ?

— La personne est créatrice de parfums et d’essences végétales essentielles. Elle habite une maison qui donne un peu plus haut sur le port, mais en face. Elle se promène souvent en bord de mer.

— Seule ?

— La plupart du temps.

— Rectificatif ! Je voulais demander si elle vit seule.

— Apparemment. La vieille dame nous a dit qu’elle avait foutu dehors son compagnon, il y a quelques mois. Elle a ajouté personnellement qu’elle avait bien fait parce que ce n’était vraiment pas un homme pour elle !

Landowski grimaça et dit :

— Y a du ragot dans l’air !

— Les personnes seules parleraient de quoi sinon ?

— Les lieux sont sécurisés ?

— Affirmatif ! Des renforts de Quimperlé ont été appelés sur place. L’ambulance est arrivée. Tout est en stand-by ! On n’attend plus que vous !

— J’arrive, Lacanal, j’arrive !

— C’est assez loin et c’est pas direct… prévint l’OPJ.

Landowski avait déjà coupé la communication. Il vérifiait son arme avant de l’engager dans son étui. Règle de base…

Sur place à Doëlan, il y eut un moment de flottement. Parfois la hiérarchie doit s’organiser.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Leterrier. On procède ou pas ?

— On ne touche à rien ! On attend le divisionnaire ! répondit Lacanal. On ne soulève pas le corps et on ne le déplace pas non plus !

L’adjudant avança la tête pour marquer sa surprise.

— Un… commissaire divisionnaire ?

— On dirait que ça vous surprend ? demanda Lacanal.

— Ben oui, avoua l’adjudant-chef. Pour une affaire comme celle-là, c’est pas banal quand même !

— J’en ai un sous la main, Leterrier ! Autant que je m’en serve, surtout que c’est du lourd ! Vous allez vous en apercevoir très vite !

Lacanal s’amusait.

— On fige les lieux, continua-t-il plus sérieusement. Cordon de sécurité en partie haute du chemin comme en partie basse. On ne touche à rien. On laisse les badauds à l’écart. Personne sur le parking. Les véhicules garés restent en place. Interdiction de s’en approcher même pour les propriétaires. On ne répond pas aux questions de badauds. Au contraire, on en pose ! Si la presse se pointe, on ne parle que d’un cadavre qui a été découvert. Pas davantage !

Le silence s’installa par souci de décence. Quelques nuages noirs s’étiraient dans le ciel…

Bien plus loin dans le nord-ouest, Landowski sortit de la maison acquise par Lorraine Bouchet, sa compagne, pour avoir un lieu de villégiature face aux îles Glénan en baie de Concarneau.

La magistrate rêvait d’un havre de paix bien loin de l’agitation du palais de justice de Paris et d’un nid douillet pour vivre avec le commissaire des moments simples mais délicieux. Depuis son acquisition, elle ne pouvait pas dire que c’était vraiment le cas !

Un arrêté de la chancellerie, contresigné par le ministre de l’Intérieur, venait récemment de conférer à l’équipe police-justice des pouvoirs d’investigation bien utiles pour agir en province en toute légalité pour chacun des membres de l’équipe. Des coudées franches attendues et appréciées !

Outre le divisionnaire et sa compagne magistrate, elle était constituée de l’OPJ Lacanal de la gendarmerie de Quimper, d’Ange P. de la DGSI, de Jim Sablon, de la DRPJ de Paris et d’Angelina Lafos, collègue magistrate un brin fantasque de la propriétaire des lieux.

Le branle-bas étant lancé tous azimuts, l’équipe serait opérationnelle dans quelques heures. Pas certain qu’un crime odieux, mais apparemment assez simple dans le fond, justifiait d’un tel déploiement de forces. Qui peut le plus peut le moins !

— Votre carte maîtresse c’est le divisionnaire Landowski ? demanda Leterrier qui revenait à la charge.

Lacanal ricana sans répondre. Et il revint à proximité du corps.

— L’IML* est prévenu ? demanda-t-il.

— C’est fait ! répondit l’adjudant-chef. Ils sont en route !

— C’est bien ! acquiesça Lacanal.

L’adjudant-chef soupira et ajouta :

— Cette jeune femme ne présente aucune blessure apparente. On ne voit même pas de traces de sang. Les vêtements sont froissés, mouillés, mais intacts.

— Sauf que c’est quand même étrange !

— Comment ça ?

— On dirait qu’on a voulu la rhabiller…

— Effectivement ! Et sans y parvenir complètement.

— On lui a enfilé un caban qui n’est pas à sa taille puis une culotte trop grande pour elle, dit Lacanal. C’est évident. Les chaussures sont mal positionnées, les socquettes ont été abandonnées près du corps…

Lacanal hocha la tête.

— On verra qu’il n’y a rien à elle dans ces vêtements, dit-il doctement. Ils ne lui vont pas du tout !

— Alors on l’a transportée nue jusqu’ici ? proposa Leterrier.

Lacanal fit la moue.

— C’est une piste ! En tout cas, elle ne se promenait pas.

— On lui a donné rendez-vous ?

— Ici ou ailleurs…

— Ailleurs ! Il y a trop d’invraisemblances !

— Alors on l’a assassinée ! dit Lacanal. Déshabillée ensuite, maladroitement rhabillée et transportée…

— Pour quelle raison ? demanda Leterrier.

— Abuser d’elle ou le faire croire !

— Et l’exécuter sur place ?

— Le faire croire aussi, on dirait bien ! dit Leterrier, un peu songeur.

— Mais dans quel but, bon Dieu ? s’insurgea aussitôt Lacanal. Pour brouiller les pistes, je ne vois que ça ! Cette mise en scène a son utilité.

Il regardait le cadavre comme s’il attendait que la victime lui dise quelque chose de l’au-delà. Vœu pieux…

Il leva les yeux et désigna une bâtisse au crépi usé.

— Cette maison-là, dans le fond, elle est habitée ?

Leterrier n’en savait rien. Il botta en touche.