Faits d'hiver à riec-sur-bélon - Serge Le Gall - E-Book

Faits d'hiver à riec-sur-bélon E-Book

Serge Le Gall

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Beschreibung

“L’Acrostole” est un superbe manoir situé au bord du Bélon. Garance et Albert gèrent l’établissement. Lorraine Bouchet et Angelina Lafos profitent du séjour exceptionnel offert par le propriétaire à des clients singuliers. Dommage pour le généreux homme. Son voilier explose au port de Rosbras, et lui avec ! Le commissaire divisionnaire Landowski et ses collègues, Ange P. et Jim Sablon, veillent au grain. L’OPJ Jean-Claude Lacanal est chargé de l’enquête criminelle ouverte à la suite du drame. Mais comme tout le monde ment… Un artiste peintre a la fringale la nuit, un reporter rêve des yeux de velours de sa belle Afghane et un contrebassiste pince les cordes de son instrument. C’est le calme avant la tempête. Mais en hiver à L’Acrostole, les invités ne sont pas éternels. 


À PROPOS DE L'AUTEUR

Dans la collection Pol’Art, l’auteur vous a proposé de suivre les tribulations du détective Samuel Pinkerton. Dans la collection Enquêtes et Suspense, il vous invite à découvrir ici la 36e enquête du désormais célèbre commissaire divisionnaire Landowski.

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Couverture

Page de titre

AUX LECTRICES ET LECTEURS

– Ne le cherchez pas ! Il n’y a pas de manoir de L’Acrostole au bord du Bélon !

– La séquence de sylvothérapie, appelée aussi le tree hugging et décrite dans le roman, est réellement pratiquée aujourd’hui.

– Les massages avec des pochons chauffés contenant des plantes médicinales font partie des soins dispensés par Robin au Mahatma Gandhi Ayurveda Hospital de Calebasses, île Maurice.

– Le site mégalithique des tombeaux des géants existe réellement, mais l’énigme demeure…

– Le Garra rufa est un petit poisson qui a été utilisé pour manger les peaux mortes en cas de maladie de peau. Il a été interdit dans certains pays pour cause d’infection bactérienne.

« Shi Wang rêvait de la neige des montagnes

Et de l’eau des torrents.

Il n’y avait que les pierres du désert

Et les ombres fugaces

Des guerriers légendaires. »

Uchen Yang,Infatigable voyageur chinois(période des Cinq Dynasties – Xe siècle)

PROLOGUE

« Monsieur le commissaire, quand vous lirez cette lettre je serai probablement déjà mort.

Je dis “probablement” parce que je dois me rendre à l’évidence. Il y a des signes qui ne trompent pas.

Assassiné par qui, où, comment ? Au moment où je rédige cette missive, je n’en sais rien tant il y a de prétendants. Je ne vais pas dire qu’ils sont nombreux parce que ce serait présomptueux de ma part d’attirer ainsi la vindicte populaire ! Surtout que je pense ne pas avoir démérité à ce point.

Ce dont je suis certain, c’est que cet épisode final pour moi va se produire dans les tout prochains jours. Vous comprendrez aisément que j’aime autant ne pas connaître par avance les circonstances de cette exécution parce que, s’il s’agit de me faire souffrir pour que la vengeance soit plus concrète, je préférerais un acte plus définitif. Du genre “jour-nuit”, vous voyez, en appuyant sur l’interrupteur. On a quand même bien le droit d’exprimer ses préférences même si le vent les disperse ! Vous me comprenez certainement.

Vous allez vous demander pourquoi il sembleimportant et nécessaire à quelqu’un de mon entourage de m’ôter la vie dans les jours à venir. Figurez-vous que c’est aussi une question que je me pose ! Dans le monde des affaires, dont je suis l’un des membres, une négociation franche et financièrement étayée aurait certainement pu aplanir les obstacles. Parfois, on peut souhaiter du mal à son voisin, son collègue, son ex-conjoint ou toute autre personne pour un motif futile, égoïste ou mesquin, mais c’est bien souvent et heureusement une vue de l’esprit qui passe et qu’on efface. Le passage à l’acte est lourd de sens et les conséquences ne sont guère glorieuses !

Dans mon cas, il va s’agir plutôt d’un châtiment n’envisageant pas la moindre mansuétude. Je crains même qu’une belle dose de souffrance ne soit inscrite dans le plan de celui, celle ou ceux qui comptent me donner le coup de grâce en laissant échapper un soupir de sincère soulagement.

Dans un jour ou deux, pas davantage, je saurai ce qu’il en est. Il faut battre le fer quand il est chaud et, si l’on veut réussir son coup, ne pas tarder au risque de perdre la main. En d’autres temps, je me serai défendu. Bec et ongles. Ces assassins à la petite semaine auraient connu le fer, le feu et l’eau avant de mourir ! Aujourd’hui, je préfère que l’acte soit rapide à la place d’une mort lente. L’effet de surprise sera colossal, vous imaginez bien !

J’en ai un peu ma claque d’avoir à me défendre et d’affronter la détestation de ceux et celles qui ontprofité de mes largesses. Ils n’ont rien compris. Ils le paieront un jour.

Mais j’ai décidé d’endurer ce qu’ils vont appeler le châtiment, comme s’ils faisaient œuvre utile pour l’éternité ! Même si je ne suis pas du genre à subir sans répondre coup pour coup, ils vont l’apprendre à leurs dépens.

Pour une bonne raison.

C’est que la personne, homme ou femme, qui me donnera le coup de grâce et celles qui auront cosigné l’acte de mon exécution vont en pâtir à leur tour. Remuer la boue ne produit pas souvent un parfum de lavande avec des elfes qui gambadent nus dans la prairie quand vient l’aurore. Tous me craignaient. Ils vont avoir le loisir de s’entretuer pour remporter la timbale. Je m’y suis employé. La zizanie, ça me connaît. C’est vrai que je n’ai rien fait pour empêcher les antagonismes et les envies de pouvoir. Je les ai même nourris pour diviser et régner en maître. Le pouvoir est si grisant. Si j’avais fait preuve de faiblesse, je ne serais déjà plus là pour m’adresser à vous !

Tout ça pour vous dire que je serai certainement vengé et que le scénario ne sera pas piqué des vers. Même s’ils ont encore à apprendre, les acteurs ont été à bonne école en me regardant faire !

Justement, je leur ai gardé un chien de ma chienne et ils passeront devant la glace en deux coups les gros ! La fortune Delombret va leur échapper malgré les trésors de combines qu’ils vont mettre enœuvre pour y accéder. De cette apothéose que j’ai savamment construite, ils ne peuvent pas s’en douter. Ils ne s’y attendent pas parce que c’est un secret que j’ai jalousement gardé.

Par amour !

Parce qu’il aura vingt ans dans quinze jours et qu’il me ressemble trait pour trait. J’ai pris le temps de m’entretenir avec lui afin de lui brosser le tableau funeste envisagé par mes ennemis et le mettre en garde. Durant son accession au pouvoir, que personne ne pourra lui contester, il sera épaulé par une personne de confiance afin que les charognards ne parviennent pas à le dépouiller. Et s’il s’avère que la sanction devient nécessaire, voire incontournable, j’ai prévu les peines les plus définitives pour que le ciel reste toujours bleu du côté de l’horizon.

Rien ni personne ne parviendra à empêcher mon projet de se réaliser. Rien. Personne.

Lors de l’enquête que vous allez mener, parce que je ne doute pas de votre envie permanente de justice, je vous conseille de ne pas négliger le rôle de ces dames dans la préparation de l’acte final m’ôtant la vie. Je les ai aimées sans limite, choyées sans mesure, trompées sans regret avant de les abandonner en rase campagne comme des Kleenex usagés. Ce n’est pas glorieux, j’en conviens. Pour être honnête, je ne peux pas leur reprocher, à elles et à leurs camarades de jeux, de se faire plaisir enfin en tentant de m’assassiner. Le soulagementfait partie de la vie d’un être humain. L’une ou l’autre, peut-être ensemble, auront le mérite de me faire payer la facture en armant le bras séculier qui s’abattra sur moi. Dans le fond, que ce soit un ami ou une amie pour me porter le coup fatal, cela m’importe peu puisque, vous en conviendrez, le résultat sera le même !

Je ne suis pas certain d’avoir mérité une sentence si lourde, mais le pesant de la sanction satisfait le justicier tout comme le poids de la vengeance comble son auteur.

Pour tout vous dire, je ne regrette rien parce que j’ai fait ce que j’ai décidé. Au profit des uns, au détriment des autres ! Mais il faut faire des choix et, en bon chef d’entreprise, je sais faire ça et je n’ai pas d’état d’âme ! Je ne crois pas en avoir eu jamais.

Au cours de votre enquête, songez incidemment à la sexualité excessive, aux actes imposés, à l’argent facile, à l’héritage scintillant, à la rancœur indicible, à l’amour perdu et aux actes manqués, mais aussi aux lendemains ensoleillés et radieux. Il y a un peu de tout cela dans mon aventure humaine et celle de mes proches. La vie est un jeu dangereux où les acteurs jouent à qui gagne perd sans s’en rendre compte. Le destin reste le seul vainqueur de notre fébrilité imbécile.

La vie de l’un, la mort de l’autre et ce froissement indicible d’un destin implacable qui ne saurait avoir le moindre sentiment. Question de temps.

Si je me suis adressé à vous dans cette supplique d’un autre âge, c’est parce que je sais, par vos actions passées, que vous avez à cœur que la justice s’exerce tout le temps et en tous lieux.

Je n’ai pas été un ange. Loin de là ! Mais moi, je n’ai tué personne. Du moins pas pour l’instant ! Celui ou celle, que je n’identifie pas encore et qui marche flouté de gris dans ma direction avec la certitude de faire justice pour la communauté, va franchir le pas. Lui ou elle ! Ce n’est pas rien de tuer un homme même si on considère qu’on n’a plus le choix.

Peut-être se cache-t-il derrière une œuvre salutaire avant d’attendre impatiemment le partage de mes biens. C’est sur ce champ que vous pourrez le démasquer. Ou les deux ! Parfois les ennemis se liguent pour mieux se déchirer ensuite. Surtout quand le gâteau promet d’être délicieux et roboratif !

Le risque c’est que, quand on goûte au crime et qu’on passe à travers une première fois, on se dit qu’on peut recommencer tant l’impunité saoule et grise. Mais j’imagine que je ne vous apprends rien !

Pour tuer vraiment et tenter de s’en satisfaire, il faut une vraie fausse bonne raison !

Voilà, Commissaire, j’en ai fini avec mes réflexions ante-mortem ! Maintenant c’est à vous de jouer. Ou pas ! Je vous souhaite bien du plaisir à vous plonger dans ce panier de crabes dont l’objectif est de causer ma perte.

Échec et mat serait une vertueuse conclusion de la séquence, mais moi je n’ai jamais aimé le jeu.

Tout simplement parce que je n’aime pas perdre !

Sachant ce que je sais de vous, je suis persuadé que nous aurions pu nous entendre sur bien des sujets ! Je vous donne rendez-vous le plus tard possible évidemment ! Passez me voir quand ce sera votre tour de lâcher la rampe, mais ne vous pressez donc pas ! Pour vous, il restera toujours un nuage de libre avec vue imprenable sur les Glénan ! En fin d’après-midi, le spectacle est magique. Même delà-haut, j’imagine ! L’éternité, elle est là !

Voilà mon ultime invitation. Quand on peut rendre service…

Adieu ! »

I

Parfois le destin s’amuse bien au détriment du quidam qui ne se doute de rien. C’est l’effet de surprise du paquet cadeau dont on déchire enfin l’emballage !

Avec regret…

C’est vrai aussi que ne rien connaître de l’avenir évite un surplus d’adrénaline qui peut être dommageable ! C’est une manière de ne pas voir le danger. Mais vous, vous préféreriez savoir ou rester dans l’ignorance ? Connaître un avenir funeste, ça a le mérite d’être clair, mais il y a de quoi rendre fou. Cependant, l’ignorer c’est un peu bête, non ?

Vous avez quatre heures !

Pour cet homme-là, à qui on ne donnera pas le temps de choisir parce que personne ne peut changer le programme, la surprise va atteindre des sommets. Et vite encore ! Car ce qu’il va connaître dans quelques minutes ne sera pas très marrant pour lui. D’abord, il y aura une belle dose d’appréhension qui se teintera ensuite d’un espoir bien mince. Quand l’avenir est programmé, on est peu de chose. Et puis vous devez bien vous douter que si on en cause là ce n’est pas pour tricoter des napperons en attendant le souper !

La victime va pouvoir encore jouir d’un moment de quiétude extrême. Pas de souci, pas de nuage sombre à l’horizon. Elle est pas belle, la vie ?

Pas la peine non plus de lui annoncer que les quelques minutes qui sont à venir seront les plus sombres du reste de son existence. Peut-être. On imagine bien que le condamné à mort espère toujours, mais, dans le fond, il n’a rien d’autre à faire. Il n’a pas la main. Il n’est qu’un fétu d’humain au gré des vents de son destin. Ce sont les autres, qui tournent autour de lui, qui vont agir.

Qui vont prendre plaisir à faire du mal.

Jouir de la surprise.

Puis de la souffrance infligée à autrui.

On dit « exécuter », non ?

Il faut garder espoir, des fois que le clan d’en face changerait d’avis ! Un peu de mansuétude pour une fois, Monsieur le bourreau ! Mais non, je ne crois pas ! « A-t-on des nouvelles de monsieur de Lapérouse ? » demanda Louis XVI avant de rejoindre l’instant d’après le navigateur perdu l’attendant patiemment assis sur le nuage grisé du fond du ciel.

D’autant plus que l’homme dont on parle peut être le premier d’une série et qu’il faudra respecter le casting et le scénario. Pas besoin de faire tout ce cirque si c’est, au final, pour trucider un retraité qui s’apprête tout simplement à inspecter son bateau pour un futur embarquement en direction des îles ! On règle la question. Point. Et on passe au suivant !

Eh oui ! Vous imaginez bien, il va y avoir quelques victimes. Le crime ne paie pas, mais ne coûte pas cher si l’on se débrouille bien ! Ce n’est pas l’histoire des Bisounours que vous allez suivre ! La méthode importe peu. C’est la liste qui compte. Mais plus encore la perversité de l’acte mortel quand on tente de se faire une réputation !

Lorsque l’on tue au pluriel, on ne compte plus ! C’est trop contraignant de rayer le nom sur une liste ! Il y a comme un besoin qui se crée, une envie furieusement addictive et incoercible, parce que le sang appelle le sang, parce qu’on y trouve une satisfaction. Une sorte de devoir accompli. Triste réalité quand même ! Perversion aussi ! Et l’espoir d’une impunité crasse.

Certes, on peut toujours rêver à un avenir meilleur, mais songe-t-on à préserver au moins ce qui fait la réalité présente sans espérer la transcender au maximum ?

Pourquoi ne pas se contenter de ce qu’on a ?

Faire une centaine de mètres pour aller chercher du pain, prendre la voiture pour s’offrir quatre pâtisseries individuelles à l’ancienne et rêver ensuite d’une pêche miraculeuse avant de s’allonger avec la promise, ou sa sœur, ou les deux, pour consommer une sieste crapuleuse sous les pommiers en fleurs. Le programme est immuable et relève parfois davantage de l’habitude que du plaisir extrême ! De la découverte aussi. Parfois.

« La chair est triste, hélas ! Et j’ai lu tous les livres », écrivait Mallarmé.

Mais la nature même de l’acte sexuel bouscule le sentiment s’il le faut afin d’aboutir à la libération organique qui n’en a rien à faire d’un sentiment trop pur. Traces imprescriptibles d’une animalité ancestrale.

Et dire que l’on n’arrive pas à s’en passer. Quelle indigence !

C’est parfois ce dont rêve le personnage solitaire même s’il n’aime ni les gâteaux ni la pêche. Encore moins la séance vespérale à se frotter le derme contre un autre sans parvenir à l’extase quand on ne copule plus que pour faire son devoir conjugal. Parfois avec la lassitude de se résoudre à une séquence qui sent trop le réchauffé. Les rencontres printanières, parce que naturellement fleuries, ne sont pas facilement offertes aux quinquagénaires aux tempes grises. Le temps passe tellement vite, ma pauvre Lucette !

Notre homme, celui-là même qui a eu le loisir de régler sa succession depuis des mois et parapher soigneusement toutes les pages avant de descendre au port pour mettre son canot à l’eau, l’esprit libéré, a pu être choisi entre plusieurs prétendants au rôle pour devenir le fait divers du jour. Parfois, la liste peut être revue et corrigée sans que le résultat final soit altéré. C’est sans respecter ce qui est inscrit sur le synopsis immatériel de la Providence qui, ici, n’ira pas de main morte ! Pour respecter l’inscription au Grand Livre !

Aujourd’hui, untel est décédé de mort violente…

Tout à l’heure, l’homme solitaire aux tempes grises a hésité un instant. Le destin lui donnait une chance de surseoir à son exécution programmée. Mais il ne pouvait pas encore en avoir conscience. Il y avait eu une fine bruine agaçante à flotter dans l’air ne sachant même pas quoi mouiller. Elle n’avait pas persisté longtemps, mais elle repasserait tout à l’heure. Peut-être.

Il aurait pu faire un break, renoncer sans savoir vivre la dernière heure du reste de sa vie et remonter tranquillement vers sa propriété tranquille nichée dans la verdure.

Demain, il serait redescendu vers le port. Peut-être que quelqu’un d’autre aurait déjà pris sa place dans les avis de décès et il n’aurait donc pas figuré dans la rubrique des faits divers. Celle du sang et des larmes. De la veuve éplorée. Du corbillard jonché de fleurs. Des amis hypocrites. Des rapaces à l’affût.

En fait, non !

Avant de passer le portail, il s’était retourné vers sa compagne, remplaçante assidue d’une maigrichonne revêche en diable partie d’un œdème pulmonaire précédant un arrêt ultime du cœur.

On dit « arrêt du cœur » comme s’il y avait une autre façon de mourir ! Des conneries ! Dans tous les cas, c’est quand même bien le muscle-pompe qui met le curseur sur off et qui éteint la lumière, non ? Même si, juste avant, les fonctions vitales ont abandonné en rase campagne ! L’obsolescence programmée ne marche pas que pour les machines à laver ! Les vieilles dames disaient : « Il avait le cœur ! » Avec ça, la gravité du drame montait dans les sommets et l’impétrant continuait de refroidir. Tranquille.

La régulière précédente, elle était morte en couinant comme une volaille malmenée par un éleveur en retard sur l’horaire de livraison. Elle était partie pour un joli coup de pied à la lune en effectuant un demi-tour ultime se terminant très mal. Le corps allongé dans les nénuphars fatigués, elle avait pris son dernier bain. L’eau froide ne ragaillardit pas toujours, la preuve !

Notre homme en avait été fort marri. Mais lui, il était encore bien vert. Il avait des envies, des besoins, des idées ! Il avait donc folâtré un peu avant de se poser à nouveau. Le goût de la nouveauté, de l’exigence finit par lasser.

Anne, c’était la remplaçante qu’il s’était trouvée. Les couples ne le savent pas toujours, mais lui, plus qu’elle, avait peur de rester seul. Et puis, à l’adolescence, ils avaient vécu ensemble une histoire d’amour. Du genre culotte blanche serrée et slip kangourou. Une séquence découverte, d’actes maladroits et de plaisirs fugaces. La durée n’est pas cultivée par la jeunesse. Alors pourquoi ne pas terminer ce qui était resté du genre coïtus interruptus ? Les copulations furtives et sans lendemain ne l’amusaient plus vraiment. Les plaisirs de la chair, à force, deviennent banals si on n’est pas attentif à ce qu’on fait.

Tout à l’heure, il l’avait regardée éclaircissant un massif trop touffu, le sécateur en main droite. Malgré les années accumulées, il l’avait trouvée belle. Naturellement belle.

Un jour, il l’avait croisée dans un Salon du livre consacré aux œuvres maritimes. Il faisait un temps de chien. La Ville close de Concarneau était un peu grisée par l’air humide. Pour dire, il s’ennuyait ferme. Elle s’était attardée sur une image de voiles gonflées comme les joues d’un Zéphir enfant et lui, errant d’allée en allée, avait cru ressentir son souffle lui caressant le visage. Où se nichent les histoires d’amour, je vous le demande !

Il ne le savait pas encore, mais la passion venait de s’insinuer entre eux deux pour les réunir à nouveau… jusqu’à aujourd’hui, date programmée de la mort pour lui et du veuvage pour elle. Peut-être…

Il n’y avait pas encore une heure, elle s’était penchée pour arracher ce foutu lierre envahissant qui taquinait ses plates-bandes, et lui s’était arrêté pour contempler la courbure de ses reins. Le short serré lui allait si bien. De dos, elle conservait le charme d’un corps désirable tendant le tissu bleu marine. En secret, il avait ressenti, au bout de ses doigts, le grain si fin de sa peau qui créait la force de son envie depuis des années de vie commune. Et il n’en était pas sevré. Même si…

Pour l’heure, il n’était pas question de s’affaler dans les romarins et de s’activer gauchement comme de jeunes corps exigeant une copulation frénétique sans se soucier de la végétation plus agressive que caressante. On a beau dire, mais la douceur de la literie a quand même son charme. On a ses aises avec l’âge ! Peut-être qu’au retour, il verrait si elle préférait la tasse de thé au jasmin à la caresse subtile engagée avant l’ultime macaron au beurre frais. D’ailleurs, l’acte comme la dégustation n’étaient pas antinomiques. En attendant, il avait à faire…

Pour l’heure, et pour le plaisancier dont il endossait l’uniforme quand l’été était là, il était juste question de vérifier quelques trucs dans la cabine de son fringant navire avant d’orienter la proue vers l’océan. On ne se lance pas vers la pleine mer sans avoir fait l’inventaire ! Mais, franchement, il n’avait pas l’intention de partir au large. D’ailleurs il n’en avait plus envie du tout. Ni de ça ni du reste. Quand on se dit qu’on approche du bout du bout, on ne se presse pas forcément parce que l’on tente d’imaginer ce que ça va être tout à l’heure. Comme si l’on avait la possibilité d’écrire la scène soi-même. L’essence même du rêve fou !

Depuis quelques jours, il ne se sentait pas très bien. Peut-être avait-il trop demandé à son corps qu’il avait poussé à l’extrême. On tire dessus et un jour, ça casse ! Et puis il y avait les affaires qui lui pourrissaient l’existence depuis trop longtemps. Il avait donc décidé d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Pour garder la main sur l’avenir ! Quand l’horizon s’assombrit, on ressent le besoin de ranger ses papiers, d’écrire ses recommandations pour après, de favoriser l’une et d’assassiner l’autre. La préférence est dans la nature de l’homme, surtout si celui-ci est un homme de pouvoir.

Il n’avait plus la forme des dieux de l’Olympe ni même le besoin de ressentir un plaisir physique, si possible partagé. Il avait tant donné dans des copulations insensées, libertaires, et si borderline qu’on aurait pu les lui reprocher. Cependant, il se souvenait de nuitées dans La Chambre de l’archipel des Glénan où le clapot fragile au retour de la marée aidait la nymphe en fin d’adolescence à se laisser prendre par le marin à la peau salée. Le plaisir a parfois un goût amer quand on y repense.

D’un geste sûr, il venait de défaire le nœud de l’amarre. Il avait approché son annexe minuscule au bas de la cale et placé un pare-battage pour éviter en accostant de rayer le ponçage acajou magnifique de son voilier. Le bateau venait d’être remis à l’eau par les hommes d’un chantier naval quelques jours auparavant. Le bel esquif s’était glissé dans l’Aven comme dans un fourreau écartant le flot toujours rétif à la manœuvre. L’image avait été très belle, l’intrus pointu ouvrant la surface un peu sombre pour se faire sa place.

L’homme se redressa et regarda vers l’embouchure, en direction de Port-Manech encore loin, au-delà de tous ces bateaux au mouillage dont certains ne taquinaient le véritable océan que deux ou trois fois par an. Pour lui comme pour ceux qui possédaient une maison en hauteur avec vue imprenable sur la rivière, il y avait le plaisir de pouvoir contempler son esquif avec des jumelles puis, l’instant d’après, d’admirer sur le pont du cabin-cruiser les jambes parfaites d’une passagère désœuvrée ne se doutant pas du regard inconnu. Parfois même, il avait souqué ferme pour aller cueillir l’orchidée rouge sang qui s’ouvrait délicatement en lui faisant signe de le rejoindre. Il n’avait pas souvent été repoussé par l’ondine offerte comme si elle rêvait d’aventures maritimes, le capitaine étant parti à terre faire des achats de bouche, boire des coups avec des piliers de comptoir et raconter d’invraisemblables histoires de monstres marins intraitables. Et si la donzelle accueillante se cabrait joliment plus qu’elle ne parlait le français, les gestes précis et pénétrant avaient suffi pour voguer en rêve vers des océans inconnus.

La mer est un pays…

Il godilla lentement en usant naturellement de ce mouvement de poignet qui traçait le chemin à la surface de l’eau verdâtre. Il n’avait pas loin à naviguer. Il accosta contre un beau et grand voilier à la coque blanche puis il monta à bord.

Il était chez lui. Il s’étira et imagina le large dont il rêvait quand il ne le voyait pas. Plus loin, l’océan ! Il aurait pu avoir un moment contemplatif, la mer on ne s’en lasse pas de la regarder. Naviguer dessus, c’est parfois plus rock’n’roll !

C’est alors qu’il remarqua quelque chose d’inhabituel. Pour les marins, le coup d’œil initial est toujours plein d’enseignement. Parfois, c’est l’accastillage démontable qui a disparu. La chaîne d’ancre attire aussi parfois par la valeur du métal au poids important.

Sur l’Aven comme sur le Bélon, les vols et les dégradations étaient plutôt rares. Mais il suffit d’une fois… D’abord, le roof de son voilier était entrouvert. Il savait bien que, la veille, il avait soigneusement verrouillé le panneau avant de rejoindre le quai. Pour l’ouvrir, il avait donc fallu que l’on brise le cadenas qui d’ailleurs pendait lamentablement sur le volet de fermeture. Voilà donc qu’on renversait les rôles !

Le propriétaire fronça les sourcils. Sur la côte sud, il arrivait parfois qu’on fracturât l’entrée de la cabine de l’un ou l’autre des bateaux au mouillage, mais c’était quand même bien rare depuis que les habitants avaient renforcé leur surveillance. Sur le quai, côté Rosbras comme côté Kerdruc, il y avait toujours quelque insomniaque à casquette cabossée à patrouiller. Les marins, les vrais, ne dorment sereinement que dans la cabine de leur bateau et en mer. Le mouvement de l’océan les berce et Moby Dick les hante. Et la retraite, n’en parlons pas !

Sur les quatre marches étroites descendant au carré, il y avait des traces humides. Rien à voir avec une sirène itinérante qui se serait fourvoyée. Le destin était en marche. En se tenant au rebord du roof, le propriétaire descendit avec précaution dans la cale aménagée en une cabine douillette. Il est si facile de se filer un choc désagréable dans le front. Pas le temps de jeter un œil pour inspecter le lieu manifestement violé puisqu’il prit un coup violent à la tempe le faisant s’écrouler comme un vulgaire sac de son.

Le clapot léger meubla le silence. On lui donna le temps nécessaire pour qu’il revienne à lui et il finit par constater qu’il était ficelé, bâillonné et… nu.

Faut expliquer quand même qu’il était arrivé en short et en tee-shirt, la température du moment étant des plus clémentes. Pas de slip non plus qui force à se contorsionner… en cas de besoin ou d’envie.

Quand il vit son agresseur dressé devant lui et qu’il le reconnut, ses yeux roulèrent dans leurs orbites, le reste de son corps étant totalement immobilisé et sa parole interdite par un bâillon graisseux servant à essuyer les fuites de moteur. L’incompréhension et la crainte venaient de l’envahir. L’affaire prenait une tournure inquiétante. L’envie de se défendre le fit trembler, la perspective imminente de sa mort aussi. Il espérait pouvoir réaliser la première avant de subir la seconde. Il avait bien compris qu’il ne s’agissait pas d’un jeu. Il se raccrochait aux branches…

Le visiteur, assis sur la bannette bâbord, le regardait. Le toisait même !

— Tu voulais me voir ? Me voilà ! Ton scénario n’était probablement pas celui-là, mais comme j’étais en avance, je me suis installé et je t’ai attendu ! Avec toi, il vaut mieux anticiper, des fois que tu aurais des projets désagréables.

Le visiteur ricana.

— Dis-moi donc ! dit-il, ironique en diable. Est-ce que tu as une petite idée de la raison qui me conduit aujourd’hui à te bâillonner, à te mettre à poil et à te saucissonner comme ça ?

Sans attendre une réponse qui ne pouvait pas venir, il dit :

— Bien sûr que non ! Tu es au-dessus de ça, toi ! Je suis certain que tu paierais cher pour que je te délivre et tu garderais, bien entendu, un chien de ta chienne pour m’en faire baver au plus vite ! Ne t’inquiète pas, je vais défaire tes liens le moment venu. Juste pour te donner une dernière chance que je ne te laisserai pas saisir ! Ch’uis pas fou quand même ! Si j’ai des projets criminels, ce n’est pas parce que j’ai envie de tuer. Je ne sais pas ce que c’est d’éliminer son semblable et d’en prendre plaisir. Disons que, dans la séquence en cours, c’est une nécessité absolue qui m’a été révélée ! Depuis, je ne pense qu’à ça et à la façon dont je vais procéder !

Sourire en coin, il dodelina de la tête.

— Mais vois-tu, je n’ai besoin ni de ta considération ni de ton argent. Il est sale, il pue ! Toi aussi, tu pues ! D’ailleurs, je ne suis pas venu avec la sébile pour que tu la remplisses ! Même si tu as pu le croire parfois, je ne suis pas ton ami. Malgré les apparences, je ne l’ai jamais été ! J’ai joué un rôle à chaque fois qu’il a été nécessaire et toi, magnanime, tu as usé de largesses bienvenues. De ton côté, tu as souvent insisté pour briser les barrières, mais je te soupçonne de l’avoir fait en te foutant de notre gueule ! Tu jouissais pleinement de ton pouvoir en te mouillant le slip !

Il ricana.

— Si j’ai accepté ton invitation, c’est simple et fondamental en même temps. J’ai saisi l’opportunité que tu m’as offerte pour avancer mes pions ! Y en a marre de voir ton visage d’ange, un peu déchu quand même, masquer celui du démon que je te soupçonne d’être réellement ! On va changer de registre à partir de maintenant. Ton pouvoir sur les autres, étayé par tes paquets de biffetons, c’est terminé. Clos, cacheté ! Il y a un temps pour tout. Il est vraiment indispensable que tu ne puisses plus nuire à jamais ! C’est mon objectif unique. Tu nous as fait trop de mal ! Les couples, tu les as brisés en exigeant une contribution servile des compagnes. Tout ça pour de l’argent ! C’est vrai que nous sommes quelques-uns à avoir fermé les yeux et laissé perler une larme au moment même où on savait sa moitié écartelée par ton envie profonde de souiller son intimité.

Il sembla s’amuser de ce qu’il allait dire.

— T’inquiète ! Tu peux ranger tes attributs. Tu n’auras plus à les utiliser à notre détriment !

Le visiteur ricana.

— Tu m’en as donné l’occasion. Intimé l’ordre même de venir te voir sur ton bateau. Tu as bien fait ! Tu ne repasses pas les plats ! lâcha-t-il. J’ai hésité à savoir le moment, la façon, le début, la fin, tes insultes et tes suppliques. Mais décidé pour décidé, je suis donc venu pour en finir et te tuer enfin !

Il ajouta :

— Tout simplement !

Il esquissa un sourire qui, manifestement, n’en était pas un. La notion de carnassier devait être prise en compte.

Il soupira et rectifia sa position assise. Pas facile dans un volume si étroit de trouver ses aises.

— Tu l’imagines ça ? demanda-t-il sérieusement. Je me transforme en justicier du dimanche ! Je vais te faire disparaître en deux temps trois mouvements ! Pour faire œuvre utile parce qu’il est temps que tu arrêtes de décider tout pour tout le monde ! J’ai pensé que tu devais débarrasser le plancher ! Et après toi, tous tes suppôts de Satan ! Celles et ceux qui sont de ton côté vont fuir ou tomber. Un par un ! Une par une ! Il n’en restera aucun ! Ni aucune ! J’oubliais qu’il y a ton épouse qui sera très bientôt naturellement éplorée et ta maîtresse, un peu fatiguée de tes exigences personnelles et douloureuses, qui attendent que tu claques ! Faut avouer que tu leur en as fait voir des vertes et des pas mûres !

Il ricana.

— Si tu as choisi un très grand lit pour ton bateau, c’était pour passer au trio voire au quatuor en musique ! Le soir tard, après quelques lampées de cognac millésimé à lécher sur le bout des seins bien fermes, tu t’en es vanté avec force détails. Peut-être que ton souvenir reste flou. Tu as aliéné la jeunesse inconsciente avec du pognon et dévoyé les épouses qui rêvaient d’aventures. Dégueulasse…

Le visiteur respira bruyamment comme pour s’oxygéner. Il y a des images parfois insupportables qui s’imposent d’elles-mêmes.

Il continua :

— Après avoir tâté à maintes reprises du carrelage froid de la cuisine avant l’édredon pour de la gymnastique pas très catholique peut-être, toutes les deux sont couchées sur ton testament, j’imagine ! La régulière et la remplaçante ! Disons qu’elles le méritent amplement ! Un chiffre avec des zéros à suivre et un numéro de compte offshore, une bagnole de sport, une propriété, un appartement, ça met du baume au cœur et, de l’argent, tu en as un paquet, pas vrai ? Mais n’en doute pas ! Les deux et les autres, elles s’affronteront pour ne pas partager. Comme des lionnes ! Tu as su les former ! Elles se feront du mal en souvenir de toi et elles te maudiront d’avoir coupé la poire en quartiers alors que chacune espérait recevoir la totalité pour narguer la suivante et la piétiner de plaisir !

Il rit bêtement avant de continuer.

— Le meurtre sera au programme, bien évidemment. L’envie de tuer est proportionnelle au bénéfice que l’on peut en retirer !

Il soupira.