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Angelina Lafos, magistrate à Paris, vient passer un week-end en Bretagne chez sa collègue Lorraine Bouchet. Dans le train, elle a lu un polar au titre évocateur : Laisse Conil tranquille !
Coïncidence, le journal local a annoncé la veille un crime semblable en tout point à celui du roman. De quoi éveiller l’intérêt du divisionnaire Landowski et de ses amis policiers, Ange P. et Jim Sablon. D’autant plus qu’un second meurtre va suivre !
Younick, simple d’esprit, collectionne les têtes de poulets. Grégoire Hautelande, retraité de la Marine, écrit des romans policiers et Agnès, sa gouvernante, rêve d’une vie de riche héritière.
Troisième crime à Lesconil, c’est beaucoup et c’est trop ! Le corps sans vie d’une jeune fille est découvert sur le site mégalithique des dolmens de Kervadol.
Affaire trouble en pays bigouden où l’on noie le poisson avant que Landowski n’enlève les arêtes. Une à une !
À PROPOS DE L'AUTEUR
Dans la collection Pol’Art, l’auteur vous a proposé de suivre les tribulations du détective Samuel Pinkerton. Dans la collection Enquêtes et Suspense, il vous invite à découvrir ici la 35e enquête du désormais célèbre commissaire divisionnaire Landowski.
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À Alain Page.
À la mémoire de Jean-Pierre Le Marc, journaliste, auteur de Signes de sang à Lesconil – Éditions Alain Bargain (2004)
Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
— Arrête, arrête ! Tu vas me tuer si tu continues !
L’homme assis dans l’ombre, ricana puis lança :
— En même temps, c’est le but de l’opération ! J’ai envie que tu sentes la peur de mourir passer le seuil de ta maison. J’aime bien humer l’odeur de ta transpiration. Des fois que je l’aurais oubliée ! Après l’amour, j’avais cette humidité intime sur mon ventre quand tu t’étais mise à califourchon pour le plaisir la dernière fois ! Un parfum de femme comme je les aime !
Il rit encore.
— Et je peux t’avouer sincèrement que je n’avais pas vraiment envie de me doucher quand je suis rentré chez moi ! J’y étais encore, complètement ! Génial !
— T’es vraiment cinglé ! Je n’aurais jamais dû accepter de refaire l’amour avec toi ! Surtout que je ne suis pas la seule que tu prends dans tes bras. Il y avait si longtemps que j’avais pris mes distances. Seulement, tu as toujours été le seul à me faire vibrer au point de sentir mes doigts se détacher de la rampe avant le grand plongeon. Je pensais m’en passer mais… tu es revenu !
Il pensa qu’elle ne pouvait pas mieux dire !
— Dis donc ! T’y vas fort aussi ! Je ne t’ai pas forcée quand même ! La première fois qu’on a remis ça dans la voiture, tu as même insisté alors que la position était des plus inconfortables.
— J’aime bien quand ce que tu me fais ne ressemble à rien d’autre ! Un coup de folie ! Je n’y peux rien ! Je suis comme ça !
— T’es quand même un peu dingue !
— Pas du tout ! Lucide au contraire ! Je suis amoureuse tout le temps et partout !
— Je suis assez fan pour dire !
— J’étais venue là pour ça ! Uniquement parce que j’en avais très envie. Il n’y a que toi pour me rendre folle comme ça ! Dans la voiture, c’est presque plus coquin !
Elle soupira.
— C’était si bien, si fort que je me suis demandé comment j’avais pu m’en priver si longtemps !
— Mais j’espère bien ! En même temps, le break entre nous n’a pas beaucoup duré ! Deux semaines tout au plus !
Elle grimaça.
— Pendant lesquelles tu es allé te vautrer dans le lit de l’autre. J’ai tout ce qu’il te faut, je fais tout ce que tu aimes et tu changes de crémerie ! Méchant !
— En même temps, les hommes…
— Mais aujourd’hui, tu pousses un peu le bouchon. Ne cherche pas à te rattraper. T’en fais trop ! C’est bon maintenant ! Arrête ! On a assez joué comme ça ! T’es pas drôle, vraiment !
Elle inspira profondément et sa poitrine généreuse devint plus arrogante encore.
— Et cette nouvelle idée de me ficeler comme un saucisson ! Mais d’où ça te vient ce genre d’idée bizarroïde ? Je vais avoir des marques partout et serai obligée de mettre un col roulé et de me tartiner de crème réparatrice. C’est cher le tube, tu sais !
Il attira son pantalon vers lui et il sortit un billet de cinquante euros de la poche gauche.
— Avec ça, je participe à tes dépenses ! Tu t’achèteras un pot !
En repliant le billet, elle dit :
— Faut vraiment que tu aies besoin d’images fortes pour y arriver ! Tes autres maîtresses te fatiguent donc tant que ça ? Ta femme peut-être…
Elle rit.
— Sauf si elle a assez à faire ailleurs ! Et tu la laisses faire ?
— T’es vraiment une langue de vip… !
— Dis que c’est pas vrai pour voir ! Et…
Il la coupa :
— C’est pas tes oignons !
— Alors ?
— J’ai besoin de rien pour assurer ! T’inquiète !
Il s’éclaircit la voix.
— Si j’ai fait ça aujourd’hui, c’est d’abord, parce que ça m’a amusé. Quand la ficelle creuse ta peau, c’est marrant !
— Pas pour moi, tu vois !
— Il y a des hommes qui aimeraient bien t’avoir comme ça à leur merci, cuisses ouvertes, seins arrogants et bouche pulpeuse ! Y en a qui te fileraient quelques beaux billets.
— L’argent, tu ne sais que parler de ça ! Parle d’amour au moins pour me faire m’envoler !
— Ça me fait quelque chose de savoir qu’ils ne t’auront pas !
— Pfft ! Tu n’en sais rien ! Les relations, ça va ça vient. Y a pas que toi de disponible dans le coin ! Faut de la discrétion c’est tout !
— Je préfère ne pas savoir qui, où et comment !
— T’imagines quand même pas que je vais te donner tous les détails !
— Des photos de toi nue, je les ai prises et j’en ai à revendre.
— Et je ne suis pas seule à avoir posé !
— J’aime bien en faire d’autres pour les regarder de temps en temps. Younick les aime bien aussi !
— Je ne comprends pas pourquoi tu ne le vires pas ce vicieux complètement dingue ! Un de ces quatre, il va se lâcher et ça va faire mal !
— C’est un innocent les mains pleines !
— Et alors ta séquence corde à linge, c’est pour quoi ?
— Si je t’ai ficelée, c’est que je croyais que tu aimais bien te couler dans le rôle de la prisonnière ! Que ça te donnerait donc des sensations particulières ! Chacun son truc hein ?
Il lui releva un peu le menton.
— J’aime bien ton joli cou à la peau si blanche. Elle devrait bien se marier à la couleur du sang s’il se mettait à faire des bulles au bord d’une fine coupure !
— T’es vraiment dingue ! Ne me fais pas mal quand même ! Y en a qui aiment ça peut-être mais pas moi !
Son joli visage était maintenant marqué par la peur. Elle était totalement à la merci de son amant-bourreau. Elle gigota pour tenter de défaire les liens qui la maintenaient assise dans le fauteuil habillé de velours vert qui ripa un peu sur la descente de lit.
— Mais ça suffit maintenant ! dit-elle d’une voix forte en remuant dans ses liens. Détache-moi tout de suite ! Sinon c’est terminé, tu ne reviendras plus ! Tu te débrouilleras avec d’autres ou tout seul mais ce sera sans moi !
Il ricana.
— Tu ne sais même pas si j’aurai envie de revenir !
Il souffla.
— Des fois, on s’ennuie, on fatigue et on décide de passer à autre chose !
— Chuis d’accord ! Barre-toi ! Définitivement !
— Pas tout de suite ! Tu ressembles à la star truc machin nue dans son fauteuil en osier. Je t’aurais bien vue assise à sa place, tu sais ! Avec la fontaine et les plantes fleuries en arrière-plan ! Comme chez l’autre ! J’aime bien quand la peau des fesses s’imprime du cannage des sièges ! On dirait des tatouages ! Sans les ficelles bien sûr !
— Arrête de fantasmer ! Tu n’as rien du physique d’un acteur de cinéma ! Ou du moins aujourd’hui ! Tu as bien tiré sur la ficelle…
L’homme grimaça l’air mauvais.
— Toujours à balancer des piques hein ? Pourquoi tu as accepté de me revoir alors ?
— Des fois, j’ai envie de toi mais j’ai peur en même temps ! Je sais ce que tu es capable de faire ! Et si tu me serres dans tes bras, je ne peux pas me libérer. La force c’est bien mais, la douceur tu ne sais pas ce que c’est ! La brutalité, c’est ton truc secret à toi ! Tu as toujours aimé commander et qu’on t’obéisse au doigt et à l’œil !
— Tu aimes quand même bien quand ça pique un peu non ? Les rapports en deux coups les gros, c’est quand même pas ta tasse de thé !
— C’est vrai qu’il faut que ça me bouscule, que ça m’emporte, sinon ce n’est pas la peine ! C’est pour ça que j’ai accepté que tu viennes chez moi !
Elle soupira et laissa tomber :
— Mais je regrette maintenant et je te préviens ! C’est la dernière fois.
— Tu n’aimes plus qu’on fasse l’amour ensemble ?
Elle soupira et dit :
— J’ai décidé d’arrêter de te voir pendant un moment. En fait, je ne sais pas quoi penser. Tu y vas trop fort et tu me fais mal avec tes jeux bizarres. D’autres fois, tu peines un peu comme si tu avais déjà donné dans l’heure précédente ! Et ce n’est pas très agréable pour moi de te servir de complément d’objet ! Chuis pas une momie ou une poupée gonflable quand même !
Elle soupira.
— Je sais bien que tu es un homme à femmes et qu’il suffit d’une jupe un peu courte taquinée par le vent pour que tu te mettes en chasse la boutique à l’air ! Surtout si l’image est belle !
— Pour les jeux amoureux, j’aime bien me faire des films où je te mets en scène ! Je me raconte des histoires et je vérifie ensuite si ça peut coller avec la réalité !
Elle secoua la tête.
— Des histoires à dormir debout !
— Comme si j’en écrivais quoi !
La prisonnière soupira et puis elle implora :
— Dis, tu me détaches ! J’ai mal à force ! Mais je ne te mets pas dehors. Tu peux rester un peu si tu en veux encore ! Profites-en, c’est la dernière fois car je ne reviendrai pas sur ma décision. Ni demain, ni plus tard, ni jamais !
— Justement non. Je n’ai pas envie de rester. Mon envie est passée, tu as dû bien le sentir !
— Comme tu veux !
Tout à coup, elle se raidit :
— C’est quoi ce couteau ? demanda-t-elle avec effroi envoyant une lame étincelante monter devant son visage.
L’homme ricana bruyamment.
— C’est un outil indispensable pour découper le rôti ! Tu l’as reconnu tout de même ! Il a été aiguisé à la meule à grain fin pour que le fil soit parfaitement régulier et franchement incisif ! On n’a même pas à appuyer ! Dans le mouvement, ça se fait tout seul !
— Pourquoi tu me passes ton canif comme ça devant les yeux ?
— Un canif ?
— Un couteau si tu veux. J’y connais rien moi !
— C’est pour que tu voies bien la lame qui va te percer délicatement la peau !
Elle eut un haut-le-cœur.
— Et pervers comme tu es, tu vas jouir à me faire mal, c’est ça ? Qu’est-ce que je t’ai fait pour que tu me traites comme ça ?
Il rit encore.
— Rien. J’ai le droit de m’amuser tout de même !
— Sauf que je ne suis pas un jouet !
Elle soupira profondément.
— J’ai fait tout ce que tu voulais et même ce qui ne me plaisait pas forcément. Plus ça va, plus tu as des jeux qui ressemblent à des tortures. J’ai joué les rôles, je me suis déguisée, habillée, déshabillée. J’ai subi. J’ai eu mal aussi. Tu m’as fait ce qui te plaisait et je n’ai jamais protesté. Par amour ! Qu’est-ce que tu veux de plus ?
— Je peux juste te promettre que tu ne sentiras rien !
Il se força à rire.
— D’ailleurs tu n’auras pas le temps !
— Arrête de jouer avec ce couteau ! C’est pas drôle et c’est très dangereux !
Il ricana et dit :
— Je ne joue pas !
Et, en baissant les yeux, il ajouta doucement :
— Un matin, ta porte est restée fermée pour longtemps. Des jours et des jours à me faire mal ! Pourquoi tu as rompu, pourquoi ?
— J’ai eu envie d’air ! D’air, tu comprends !
Elle agita ses bras au-dessus de la tête. Il demanda :
— C’est qui mon remplaçant que je les lui coupe pour qu’il ne recommence pas ?
Elle rit.
— Et si tu crois que je vais te donner son adresse, tu rêves !
Il parut triste tout à coup.
— C’était mieux qu’avec moi ?
Elle haussa les épaules.
— C’est un homme tendre, jeune, viril et caressant. Pas comme toi ! Il m’aime davantage, je le sens et il me donne du plaisir. Beaucoup de plaisir.
Tout à coup, les yeux de l’amant se mouillèrent. Il respira profondément comme s’il cherchait à se donner un peu de courage ultime.
Puis, d’un coup franc, le regard ailleurs, il enfonça la lame en la faisant remonter vers le cœur.
Puis il cria :
— Viva la muerte !
Quand il retira délicatement la lame rougie de sang chaud, il entendit quelque chose comme l’expression d’un grand soupir. Il pensa à un ballon crevé. Ainsi la vie, ça faisait comme ça en s’en allant ?
En posant le grand couteau ensanglanté sur le sous-main, il dit :
— Tu vois ! Tu n’as même pas eu mal !
La victime ne répondit pas. Et pour cause ! Il soupira comme s’il regrettait ne pas entendre un témoignage d’intérêt suite à son geste. La folie rôdait.
Mais rien ne vint. Alors il posa, à côté de la lame rouge de sang, le corps d’un stylo bleu-marine à plume en or. Elle ne s’en servirait pas mais tant pis. Lui non plus finalement. Il avait ôté le capuchon comme s’il avait l’intention d’écrire une épitaphe avant de quitter les lieux. Comme une dédicace. Mais il ne le ferait pas. Il n’aimait pas trop écrire au stylo de peur de faire des pâtés. L’informatique avait tout bousculé.
Tuer des gens, il préférait. Du moins, il se lançait dans l’aventure du crime très personnel. Les histoires de meurtres le passionnaient. Il rêvait de les mettre en pratique pour vérifier la réalité des choses, le sang qu’on n’arrive pas à contenir, l’air des poumons qui reprend sa liberté, l’effroi qui tire les traits de la victime tandis que les sphincters se font la malle. Catastrophe d’une fin annoncée…
Dorénavant, il n’avait que faire de cet objet. S’il déposait son outil à tuer à un endroit pour mettre un point final au meurtre qu’il venait de commettre, c’est parce qu’il savait très bien, que tout à l’heure, cet objet banal l’instant d’avant allait prendre toute son importance !
Quand les enquêteurs allaient investir la maison, chercher des indices, humer les traces humides laissées par un inconnu qui a frotté son corps tout entier sur le drap et sur la victime elle-même, ils s’intéresseraient forcément à cette partie de stylo. Ils allaient le voir, se poser la question de sa présence puis l’absence de capuchon allait les intriguer. Il faut toujours mettre un grain de sable quand on veut enrayer la machine.
Il rit de son rire bizarre.
L’objet était justement là pour donner du grain à moudre à ces enquêteurs qui arriveraient de Quimper ou d’ailleurs avec leurs certitudes d’experts. Tout comme ils trouveraient, sur le drap de dessous, ces quelques points de sécrétion intime dignes d’un amant inconscient jouant son avenir pour quelques secondes de plaisir intense. Il y a ceux que ça gêne et ceux qui en sont fiers.
Le regret vient toujours un peu plus tard. Parfois avec le remords ou avec une idée de suicide qui n’ose pas dire son nom. Et ça part en vrille !
— Hou Hou ! Vous êtes là, monsieur Hautelande ?
L’homme ricana.
— Et à votre avis, je serais où sinon ?
L’employée de maison entra dans la cuisine plongée dans l’ombre. La porte de la véranda était entrouverte. Les plantes du jardin s’inscrivaient dans un cadre ensoleillé comme s’il s’agissait de la projection d’un reportage sur la nature.
D’aucuns auraient imaginé des nymphes à la peau nacrée se rafraîchissant délicatement l’entrejambe à l’eau de la fontaine coulant dans une vasque de pierre reconstituée. Peut-être même avec une petite musique douce pour parfaire la scène tandis que l’une d’elles aurait puisé un peu d’eau dans une main gracile ouverte en conque pour s’asperger délicatement le sein si blanc au téton téméraire !
Le jardin d’Éden à Lesconil ? Pourquoi pas !
La visiteuse répondit enfin au propriétaire du lieu qui lui tournait le dos.
— Ben des fois quand j’arrive, vous êtes en train de regarder la télé dans le salon ! dit-elle en posant le cabas qui paraissait lourd sur la toile cirée de la table.
Des verts de poireaux prenaient l’air bien sûr ! Comme un cliché !
— Pas aujourd’hui, ma chère Agnès ! J’ai pas de goût ! J’ai eu des douleurs très fortes aux articulations de la main droite toute la nuit ! Il suffit que je bouge et l’arthrose me fait un mal de chien ! Surtout si j’entreprends de me gratter ! Le temps va changer, c’est sûr !
— C’est pas tellement gênant pour regarder la télé, si ? lança-t-elle avec une pointe d’ironie.
Elle sourit et leva l’index en le secouant à la manière de l’institutrice qui fait une remontrance à l’écolier et elle ajouta :
— Vous regardez des émissions qui ne sont plus de votre âge, des fois ! D’autres qui ne sont que des imbécillités qui essaient de faire rire parait-il mais sans y arriver vraiment ! Pour certains autres films, c’est vous que ça regarde !
L’homme se raidit.
— Je regarde ce que je veux d’abord ! Je ne suis pas caché derrière votre canapé pour voir ce que vous y faites en vous inspirant du film !
— Vous seriez bien déçu monsieur Hautelande. Je n’aime pas du tout la fiction sur ce sujet ! insista l’employée.
— Des fois l’après-midi, il y a des films qui sont bien !
— S’il y a des jolies femmes bien sûr !
— Pas que ! Quand y a de la flotte d’orage qui tambourine sur la véranda, ça fait kiosque de sous-marin ou passerelle de chasseur de mines ! C’est amusant !
— Et vous jouez au capitaine de navire ?
— Il y a des souvenirs qui reviennent, c’est sûr !
Il leva les bras comme à regret.
— La mer, ça a été toute ma vie ! Bien avant les femmes, même avant l’argent !
— Vous avez bien un roman en cours, non ?
— Toujours, sinon je claque ! J’ai tellement envie de savoir ce qui va se passer. C’est ce qui me tient à l’affût de la vie pour qu’elle ne décide pas de filer ailleurs !
Comme d’habitude, la porte vitrée de la véranda qu’elle poussa, grinça en s’ouvrant sur le carrelage à damier noir et blanc très kitch. La répétition du mouvement de va-et-vient avait marqué le sol d’un arc de cercle peu gracieux.
La visiteuse descendit les deux marches menant au petit salon vitré. Le retraité en chemise blanche, pantalon bleu marine bien repassé et chaussures de tennis immaculées était confortablement assis dans un Pomaré, le mythique fauteuil en osier de Sylvia Kristel dans Emmanuelle.
Il changea de position pour s’adresser à Agnès.
— Forcément que j’aime ça ! Mis à part la natation en eau froide et l’écriture, c’est la seule évasion qu’il me reste. Et ça me titille les neurones. Je tue qui je veux ! J’aime qui je veux ! Je décide de leur avenir ! Je ne dois rien à personne. La solitude à forte dose, c’est pas marrant des fois !
— Avouez que vous écrivez des horreurs parfois !
— C’est le deal aussi !
— J’en ai lu des corsées !
— J’étais justement en train de concocter une scène… disons un peu piquante !
Il plissa les yeux.
— Comme ça, je peux faire souffrir le personnage que je n’aime pas et l’éliminer au moment précis où il commence à m’agacer vraiment par son arrogance crasse. J’ai déjà rencontré des gens comme ça. C’est drôle parce que des fois le soir, j’imagine que je les attache sur une chaise de cuisine et que je les travaille au corps jusqu’à ce qu’ils me demandent grâce. Il ricana.
— Mais moi, je ne veux pas interrompre une action qui me paraît si salutaire à l’état mental du criminel.
— Et ensuite, vous en faites quoi de votre proie ?
— Je la jette aux orties comme une vieille chaussette. La victime saigne de partout comme un goret. Elle voudrait bien que je la laisse vivre encore un peu. Elle supplie mais je reste de marbre si je n’ai pas prévu de l’aider à la dernière minute.
Il s’esclaffa.
— Mais non, mais non ! L’acte criminel fait partie du programme ! Le bourreau a une tâche à accomplir. C’est son rôle. Pas de sentiment, du travail ! Ensuite, il saisira la tête aux cheveux poisseux du sang encore tiède et il la présentera, les yeux révulsés, à la foule en délire !
— Vous êtes fou !
Il respira profondément.
— Pas tant que cela, ma bonne Agnès ! Bien sûr, ces pratiques n’ont plus cours aujourd’hui dans les pays civilisés ! On n’est plus des barbares quand même ! Pourtant l’histoire nous en a donné des épisodes de ce type, sous prétexte de condamnation à mort. La loi a bon dos parfois pour exprimer la vengeance et le crime officiel sait se draper dans cette loi-là !
Il renifla.
— Il n’est pas certain que les suppliciés, certains et certaines du moins, méritaient à ce point le châtiment. La culpabilité est parfois toute relative en fonction des événements mais la sentence reste expéditive et cruelle ! Moins aujourd’hui…
Il rit et, en levant le bras gauche, il ajouta :
— Suivant ! On n’a pas que ça à faire !
— Alors vous inventez tout ça ?
— Même pas besoin ! Je trouve ça dans les livres de l’histoire de France ou de Navarre que je lis la nuit. Je n’ai pas le bonheur de faire ma nuit comme les enfants en bas âge. Les périodes de quart en scrutant l’horizon comme un malade m’ont ôté l’envie de fermer les yeux.
Il inspira puis il continua :
— En Angleterre aussi, ils ont été assez inventifs sur ce plan-là ! Tenez, lisez l’histoire des Tudors ! Les régicides ne manquaient pas d’imagination pour occire leurs reines et leurs rois ! Après l’application de la sentence d’un seul coup de hache bien placé, il suffisait de jeter un baquet d’eau sur le billot pour rincer l’ignominie. Comme si c’était possible…
— Mais vous non plus vous ne mégotez pas, monsieur Hautelande !
— Je décide, je tranche, je coupe et le pauvre n’a même plus la force de me demander grâce.
Il leva la main droite.
— D’ailleurs, si j’appelais l’ambulance à la page suivante pour mettre fin à la scène et sauver l’impétrant, l’une ou l’autre de mes lectrices me reprocherait d’être devenu un peu mou du genou avec l’âge. Il ne faut pas édulcorer au risque de tomber dans la mièvrerie ! C’est pas le Club des Cinq non plus !
— Heureusement que ce n’est quand même que du roman !
— Voyez-vous ma chère Agnès, je ne suis pas certain que l’auteur invente vraiment l’histoire qu’il raconte ! Il n’y a qu’à lire les journaux pour que la réalité dépasse la fiction. Et puis il y a toujours un brin d’animalité dans l’humain. On n’en a pas fini avec ce gène. L’homme est un loup pour l’homme et le restera quoiqu’il arrive !
— Et la femme ?
— Oh, il y a eu un paquet de tueuses endurcies et inventives dans l’histoire criminelle ! Il y en aura encore ! Elles ont, souvent même, été plus cruelles que les hommes. Comme s’il leur manquait quelque chose !
Agnès ne releva pas.
— Sinon je vous retrouve aujourd’hui dans la véranda. Est-ce que ce lieu vous inspire pour inventer toutes ces horreurs ? demanda-t-elle.
Il sourit.
— J’y suis bien. C’est mon petit havre de paix. Il favorise la création ! Des fois même, on pourrait parler de crime exotique ! Voyez-vous, c’est un lieu idyllique ici avec mes bougainvilliers magnifiques et mon cétradier “main de Bouddha” auquel je tiens tant.
— Et pourquoi ça ?
— Le Bouddhisme m’impressionne, m’interpelle et m’apaise. Quand je regarde ce fruit unique sur mon arbuste et que je sais qu’il va se tâcher bientôt et tomber de sa branche si je ne le cueille pas, je pense à mon évolution et à mon avenir peu glorieux. Alors, j’entre facilement en méditation. Juste trois ou quatre minutes. Ensuite, je ne suis plus le même homme !
Il soupira.
— Et puis il y a ces plantes des rives du Mékong qui sont avides de l’eau qui coule de la fontaine. Elles me rappellent tant de choses…
— Vous êtes trop nostalgique, monsieur Hautelande ! Ce n’est pas bon pour la santé de ressasser le passé.
— Quand il a été très heureux, il ne peut pas faire de mal si ? Et puis l’âge fait regarder en arrière parce qu’on ne va pas vers le mieux. Certains pensent que si ! Moi j’en doute ! C’est ça la vie !
Il posa l’index droit sur ses lèvres et fixa son regard au-delà des vitres.
— Je vais vous raconter un épisode très important de ma vie. Vous n’en parlerez pas hein ! Ce sera juste entre nous !
Il soupira.
— C’était juste avant que je quitte l’Indochine. Sur le bateau, j’étais accoudé à la poupe arrondie. Là où le nom du bateau est peint en larges lettres majuscules.
Il fit un geste circulaire.
— D’aucuns regardaient les remous provoqués par l’hélice puis relevaient les yeux vers le continent qu’on quittait à regret. Moi, je ne regardais pas. Je n’ai jamais regardé en arrière. Même aujourd’hui, c’est quelque chose que je fais très rarement.
Tout à coup, il parut oppressé.
— En regardant sans les voir les tourbillons créés par l’hélice, je pensais à elle, dit-il d’une voix changée. Ah ce qu’elle était belle, bon sang, naturellement belle…
Il hocha la tête, le poids du souvenir n’était pas facile à porter.
— J’étais bien plus jeune qu’aujourd’hui, dit-il d’une voix cassée. On était seuls tous les deux. C’était la pleine mousson, une saison insupportable pour les non-initiés ! Des pluies incessantes tombant du ciel comme des jeunes bambous ! En deux jours et deux nuits d’intense activité, le fleuve avait tout emporté vers le delta. Quand je dis tout, c’est les paillotes, les cultures, les animaux ! Et la terre grignotée sur les berges comme une pelleteuse géante. Même les habitants trop âgés pour se réfugier sur les hauteurs étaient emportés ! Il y avait des cris, puis un bras dressé sortant du flux tumultueux puis plus rien.
L’homme baissa les yeux vers ses doigts qu’il frottait lentement.
— Du petit village édifié à la hâte dans un méandre du fleuve, il nous restait une minuscule paillote coincée entre deux arbres et cerclée de cordages pour l’empêcher de se disloquer. Le reste n’avait pas résisté. Faut s’imaginer que l’humidité était extrême. Le moindre vêtement nous collait à la peau. Notre couche était spartiate mais encore sèche. J’avais mis un caillebotis en guise de bois de lit et surélevé le tout. On entendait le courant tumultueux racler les berges et les pilotis pour élargir le lit du cours d’eau. Inexorablement.
Il soupira puis, désabusé, il dit :
— Pourtant, je n’ai jamais été plus heureux que durant ces quelques jours ! Quand vous pensez qu’il n’y a plus d’espoir, votre corps goûte à la sérénité de l’essentiel et s’y accroche. La perception du temps et des choses change du tout au tout.
L’homme se leva lentement comme si le poids des ans cherchait à lui faire courber l’échine et qu’il entendait y résister en se redressant.
— J’vais vous dire, Agnès ! Votre robe colorée est vraiment raccord avec l’environnement fleuri de ma tonnelle ! Vous êtes la fleur qui manquait au bouquet !
Il fit un geste large.
— J’aime bien le ton rose pastel et le mouvement du tissu quand vous vous retournez ! On se croirait en Espagne à regarder les danses sur la place du village en buvant un petit vin clairet du coin !
— En même temps, dit-elle, l’air mutin, c’est vous qui l’avez choisie cette robe !
Elle sourit et elle ajouta :
— Et qui me l’avez offerte aussi !
— Je trouvais que vous portiez un peu trop de couleurs sombres. Du gris, du noir, du chiné des deux. Dans le temps en Bretagne, il n’y avait que ça ! On a parfois encore un peu de mal avec la couleur. Certains jours, tout est gris, du ciel à la mer ! Même les gens et les chiens dans la rue. Mais pas tout le temps, heureusement !
Il rit.
— Alors j’ai décidé de m’en mêler !
— L’employée de maison n’a pas forcément vocation à jouer l’opérette dans la cuisine !
— Vous pourriez très bien virevolter un peu !
— Pour cuire le steak, c’est pas l’idéal !
— Mais j’avoue que j’aime bien aussi quand vous portez un tee-shirt blanc avec des inscriptions en anglais dessus et un jean avec des plaques d’usure qui s’effilochent, les deux portés bien proches du corps pour le mettre en valeur !
— Quel coquin vous êtes !
— Même à mon âge, c’est pas interdit d’apprécier les jolies femmes ! Et ça conserve !
— C’est un peu trop arrogant non ? Surtout le tee-shirt moulant !
— Pas du tout ! Surtout avec les baskets qui vont bien !
— Vos voisines vont encore jaser !
— Laissez-les donc ! Y en a bien une ou deux qui se souviennent de l’histoire d’un jeune vicaire flottant dans sa soutane et se pressant entre les murs de pierres sèches pour respecter son rendez-vous ou celle du jeune médecin remplaçant appelé d’urgence un soir d’orage pour une grosseur au sein gauche qu’il n’arriva pas à retrouver malgré la persévérance de sa palpation !
— Vous aimez tirer à boulets rouges, monsieur Hautelande !
— Greg !
— Si vous voulez !
Il hocha la tête.
— Quand vous portez les vêtements qu’il faut…
— Je rajeunis, c’est ça ?
— Mais non ! Ne vous méprenez pas ! L’habit ne fait pas le moine ! Vous êtes jolie, naturellement ! C’est important pour un vieux barbon comme moi. J’ai pas envie de me taper des images ternes donc anxiogènes !
— Vous êtes parti tôt à la retraite. Vous n’êtes quand même pas un croulant et vous êtes malin. Je vous connais ! Vous pleurnichez juste ce qu’il faut pour vous faire plaindre !
— Et ça marche !
Il se caressa le majeur droit de l’autre main.
— J’ai pu le vérifier de si près…
La jeune femme soupira.
— Ce jour-là, j’ai pensé qu’il fallait que je fasse quelque chose ! Je vous ai trouvé débraillé et allongé sur votre lit ! Vous étiez seul et un peu déprimé. Le regard perdu, même !
— Je venais d’avoir un coup de blues en regardant des trucs à la télé ! Des souvenirs m’ont envahi et submergé…
— Vous m’avez fait peur tout de même !
— Je vous ai regardé vous déshabiller et vous m’avez rejoint aussitôt. Il y avait si longtemps que je n’avais pas vu une femme nue au pied de mon lit ! Un cadeau !
— J’ai pensé que ma peau un peu tiède glissant sur la vôtre pouvait vous faire du bien et vous requinquer ! Paraît que les ondes passent d’un corps à l’autre comme dans un massage quand on fait ça. J’ai lu ça dans un livre !
— Pas les miens toujours ! Chez moi, on tue plus qu’on ne soigne ! On aide la Sécu !
— Et donc vous m’avez accueillie à bras ouverts dans votre grand lit à l’ancienne !
— L’idée était originale mais excellente, je l’admets ! Il faisait chaud dehors mais il faisait frais dans ma chambre.
— Forcément puisque les volets étaient un peu tirés !
— Comme quand je fais la sieste…
— Ce jour-là non ?
— Le repos n’était pas au programme. Des fois, on se fait des idées, vous savez ! Après on oublie.
Il soupira.
— Il y avait longtemps qu’une femme ne m’avait pas si délicatement déshabillé ! Le bout des doigts féminins qui frôle la peau, c’est tout simplement sublime quand on y pense !
— Je l’ai bien pensé aussi, dit-elle. Vous avez même un peu tremblé, je crois !
— Parce que c’était délicieux ! Après, vous avez lentement baissé le jeans pour que je n’en perde pas une miette et vous vous êtes assise sur le lit.
— Fallait bien que je le fasse glisser pour aller au bout ! La petite culotte aussi !
— Ensuite, j’ai été un peu gauche pour… me semble-t-il non ?
— Je ne crois pas puisque ça m’a bien plu et qu’on a recommencé depuis !
— Vous êtes gentille !
— Non non, c’est la vérité. Vous avez montré une délicatesse que j’avais oubliée. De la patience que je ne connaissais plus. Un toucher extraordinaire ! C’était le moment idéal !
Elle inspira tendant le tissu fleuri lui masquant les seins.
— Et ensuite vous m’avez offert une robe…
— Vous veniez de me faire un cadeau. Je devais rendre la pareille ! Et donc j’ai marqué le coup. Vous l’avez dit à votre conjoint ?
— De… ?
— Je parlais de la robe…
La réaction fusa.
— C’est pas ses affaires ! Des vêtements, je peux m’en acheter comme je veux ! Je travaille !
Elle respira fort et elle regarda ailleurs en disant :
— Je ne pensais pas que ça me ferait cet effet-là, vous savez. Vous avez assuré…
— Pour un retraité, vous voulez dire ?
Elle s’offusqua.
— Mais pas du tout ! Pour un homme, un vrai ! De ceux qui ne pensent pas qu’à eux dans ces moments-là !
— C’est donc que j’étais bien !
Elle se passa la main ouverte sur la bouche.
— Là, on est loin de la mousson, monsieur Hautelande ! dit-elle. Vous n’avez pas terminé votre récit tout à l’heure !
— Je ne veux pas vous embêter avec mes souvenirs !
— Bien sûr que non !
— Ils ne sont pas gais !
— J’aime bien quand vous racontez des histoires ! Je voyage ! J’y suis pas allée là-bas moi ! Probablement que je n’irai jamais ! Et ce n’est plus la même époque !
— C’est vrai ! Depuis leur indépendance, ces pays-là ont connu le progrès ! Ils nous dépassent aujourd’hui !
Il respira profondément et il reprit son récit :
— C’était une jeune fille originaire du Laos qui avait suivi un bras du Mékong pendant des jours. Elle fuyait les pillards qui auraient fait d’elle un objet de plaisir pour eux et de douleur pour elle. Après, il l’aurait jetée dans le fleuve en riant pour la regarder se débattre et lutter pour sa survie avant de disparaître dans les remous.
L’homme posa son index droit un peu recourbé sur ses lèvres fermées avant de continuer, le regard ailleurs.
— Pour tout bagage, elle n’avait que quelques bricoles dérisoires serrées dans une large toile grise qu’elle portait sur son dos en guise de sac. Quand elle m’a vu, elle s’est arrêtée sous les arbres. Elle avait peur d’une réaction hostile de ma part. Elle était pantelante et triste à mourir. Il fallait que je la rassure. Je lui ai tendu la main pour lui montrer que je ne lui ferai aucun mal et elle s’est approchée timidement. La méfiance ne l’avait pas quittée. La peur non plus.
Il reprit sa respiration comme si la narration l’oppressait.
— Je l’ai hébergée dans ma cahute branlante qui grinçait entre les arbres malmenés. J’avais sauvé quelques maigres provisions. Des boulettes de riz au poisson et des fruits. Je lui ai donné à manger. Ensuite j’ai remarqué qu’elle tremblait. J’ai donc voulu la sécher avec un grand tissu. Elle a reculé jusqu’au fond du réduit. Elle a cru que je voulais abuser d’elle. Puis voyant que je ne lui voulais aucun mal, elle s’est radoucie et est revenue vers moi. Délicatement j’ai enlevé ses tristes vêtements mouillés et je les ai mis à sécher sur une ficelle de barda puis je l’ai couchée nue dans mon lit en l’accompagnant pour éviter qu’elle ait mal. Je me suis allongé, nu aussi. J’ai pris du temps pour la réchauffer sans gestes brusques. Elle aurait pu se lever et fuir. Elle s’est blottie plutôt.
Le marin regarda ailleurs comme pour raviver le souvenir.
— Elle avait une peau très lisse et bronzée. Serrés ensemble dans la couverture militaire que j’avais sauvée de mon dernier campement, on a eu un fort sentiment l’un pour l’autre avec les gestes qui vont avec. Je vous fais pas un dessin hein. Une femme, un homme, la pluie, la peur. Puis après un temps de silence et d’immobilité délicieuse, on a prié, chacun son dieu, pour qu’il nous épargne.
Il sourit.
— Et je suis là aujourd’hui !
— Et elle ?
Il ne répondit pas.
— Venons-en aux nourritures terrestres ! dit-il en faisant diversion. Le cœur n’y était plus. Qu’avez-vous prévu de mettre aujourd’hui dans ma gamelle de reclus magnifique ? demanda-t-il en grimaçant.
Elle s’offusqua.
— Dites tout de suite que je cherche à vous empoisonner ! Je pourrais trouver des trucs, vous savez ! Justement, dans l’un de vos romans que j’ai lu dernièrement, il y avait une toute vieille encore bien conservée qui faisait ça très bien ! On lui aurait donné le bon dieu sans confession à celle-là !
— J’aime pas bien les grenouilles de bénitier. Ce sont les pires ! Devant l’autel, elles joignent les mains et ferment les yeux puis, une fois dans la rue, elles t’habillent les voisins pour l’hiver en attendant qu’il leur arrive quelques sérieux ennuis pour nourrir la rumeur publique. Depuis que leur mari est parti ad patres, elles ont séché au vent du nord comme des filets de hareng ! Elles ont la peau qui plisse !
— Là vous êtes très dur avec ces vieilles dames, monsieur Hautelande ! Vous en faites une légende ! Ce n’est plus comme ça aujourd’hui ! Ces femmes, elles avaient peut-être des circonstances atténuantes, non ? Elles élevaient les enfants et elles tenaient la maison quand les hommes étaient en mer sans savoir s’ils reviendraient un jour !
— Vous savez très bien que quelques-unes m’ont égratigné ! Là, je ne parle pas des femmes d’ici ! Je suis lu ailleurs, en France et en Navarre ! Heureusement ! Il y en a qui s’offusquent quand, dans une scène de roman, je laisse un sein bien convexe et arrogant se dévoiler mais elles reluquent quand même le beau jeune homme qui s’avance fièrement vers le lit nu comme un ver ! Surtout si je le précise ! Elles ont d’ailleurs le droit d’imaginer que c’est vers elles qu’il avance si fièrement ! Il doit y en avoir quelques-unes…
— Comme vous y allez !
— Ce n’est heureusement que le fait de deux ou trois irréductibles qui écrivent des lettres à mon éditeur parisien pour m’incendier. Si elles ont besoin de ça, je ne vais pas les blâmer ! Elles feraient mieux pourtant d’avouer simplement que la lecture de mes bêtises, ça leur plaît !