Mortes eaux à Riantec - Serge Le Gall - E-Book

Mortes eaux à Riantec E-Book

Serge Le Gall

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Beschreibung

Planqué dans le Morbihan, Manuel Zia va croiser la route du divisionnaire Landowski. Pour son plus grand malheur !

Manuel Zia est un truand parmi tant d’autres. Il n’émarge pas à Pôle Emploi mais il faut bien vivre ! Manuel Zia est un braqueur. Ses ressources sont le casse de bijouteries, de banques et de centre-forts en région parisienne et ailleurs.
Une opération qui tourne au vinaigre à Melun l’oblige à se mettre au vert. Son havre de paix, c’est Riantec dans le Morbihan.
Le hasard met le divisionnaire Landowski sur son chemin. Et la traque commence.
Comme d’hab, Ange P. de la DGSI et Jim Sablon du 36, sont de la partie. De plus, Lorraine Bouchet, magistrate et compagne du commissaire, offre le gîte et le couvert dans sa maison de Trévignon. Elle est pas belle la vie ?
Mais au fait Manuel, pourquoi as-tu choisi Riantec ?

Plongez-vous dès à présent dans le tome 30 des enquêtes pleines de rebondissements de Landowski et découvrez les mystères qui entourent la cavale de Manuel Zia.

EXTRAIT

La Laguna break était garée tout à côté d’un fourgon tôlé qui n’était manifestement pas de toute première jeunesse. De profondes éraflures brunes en travers de la carrosserie en témoignaient aisément. La conduite intérieure avait été idéalement postée dans l’axe des garages rangés comme des boîtes. Ceux-ci étaient accolés à l’arrière d’un immeuble grisâtre de deux étages qui se perdait là-bas dans une petite enclave de verdure sauvée de la frénésie du béton. Un délaissé qui finirait bien par intéresser un investisseur pour une juteuse opération immobilière. Cette barre de béton était un bâtiment ancien aux murs lépreux comme il y en a tant dans les banlieues des grandes villes. Peut-être que la façade côté rue arborait un meilleur look. Le ravalement coûte si cher qu’on se contente de rénover la façade. Ce qui ne se voit pas rencontre peu d’intérêt. Et en plus, tout le monde s’en fout !
Le temps était au gris, nimbant à peu près tout dans une sorte de coton brumeux digne d’un film de Jean-Pierre Melville. De quoi imaginer croiser Alain Delon, petite moustache sombre, imper mastic et flingue à la main. Façon crépuscule des truands.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Dans la collection Pol’Art, Serge Le Gall a mis en scène les tribulations du détective Samuel Pinkerton. Dans la collection Enquêtes et Suspense, il vous propose de participer ici à la nouvelle enquête du désormais célèbre commissaire divisionnaire Landowski.

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Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

PROLOGUE

— Monte !

Un nuage un peu lourd et gris, passa sans se presser devant le soleil, au risque de prendre un coup de chaud. Icare s’en souvient peut-être encore aujourd’hui.

L’adolescent insista :

— Ben monte quoi !

— Non, non !

Le refus, donné d’une voix sourde et intense, fusa, net.

— Mais on ne risque rien ! reprit le garçon. C’est super la vue d’ici, tu sais ! Viens me rejoindre, tu ne le regretteras pas !

La réponse cingla :

— Puisque je te dis que je ne veux pas ! N’insiste pas ! Tu comprends le français ou quoi ?

Le grimpeur ignora superbement la réplique comme s’il avait une idée, un projet, voire un défi à proposer. La résistance affichée lui plaisait plutôt. Il aimait davantage l’adversité que la soumission. Le jeu, la joute. Le challenge aussi. D’autant plus qu’il était toujours persuadé d’emporter la partie. Il se disait que s’il arrivait à la faire plier sur ça, il avait toutes ses chances pour la suite.

Il l’avait vue se changer à l’entrée de la tente. Un sein subrepticement entrevu dans le pli d’un chemisier et une chute de reins à peine voilée par un short un tout petit peu récalcitrant. Les vêtements savent parfois être très espiègles…

Quelque chose en cadeau scotché sur un regard volé, une ombre secrète encore inaccessible. Bientôt disponible ou totalement interdite. Gage absolu d’adrénaline. Moments si exceptionnels et pourtant si naturels dans l’adolescence. Il en était certain. Il ne pourrait pas passer l’été sans avoir pu aller au bout de cette aventure à portée de main. À cueillir si…

Il en remit aussitôt une couche. Pour agacer un peu et pour séduire, mais surtout pour emporter la mise au final. L’objectif était là, il en convenait facilement. Il ne lâcherait pas prise.

— Viens t’en rendre compte par toi-même ! Là-haut, on voit loin !

Il se mit à gesticuler comme un matelot usant de pavillons pour faire passer le message au moyen de gestes codés.

— Lorient sur la gauche, Riantec en face ! Et la mer de Gâvres plein devant ! C’est nature ! C’est chouette !

Il rit.

— C’est même drôle ! Je sens le vent salé passer sur mes lèvres. C’est comme si j’étais en pleine mer sur le pont d’un bateau. Capitaine, commandant, amiral ! Découvreur de terres lointaines. Des épices, des femmes. Des femmes !

Il mima le geste de la vigie faisant remonter devant ses yeux une longue-vue.

— Le navire creuse la vague ! À vous monsieur Christian !

Le garçon jouait au marin de la course ancienne, celle qui poursuivait la flibuste tout en partant à la découverte du Nouveau-Monde. Celui des esclaves, des peuples inconnus, des miasmes mortels, des étreintes folles et des échecs cuisants. Celui des épopées !

Ils étaient trois, deux garçons et une fille, sensiblement du même âge. Celui qui venait de grimper sur la dalle de ciment servant de toit au bâtiment désert et apparemment désaffecté était le plus grand en taille. Le plus costaud aussi. Ça se voyait à ses épaules carrées et aux muscles de ses jambes dévoilées par un short en toile de jeans fatiguée. Il avait des cheveux très noirs en bataille envahissant son front et un regard sombre et perçant. Mais son sourire large balayait tout ça et lui donnait une attirance toute particulière mêlée de douceur et de mélancolie. Il connaissait fort bien son pouvoir de séduction et là, en ce moment précis d’un jeu d’adolescents en vacances, il était en train de s’en servir. Et il n’avait pas l’intention de céder sa place.

Le deuxième garçon paraissait sensiblement plus frêle. Un peu plus jeune aussi. Il avait le teint clair, la mine plus juvénile. Il portait une chemise à manches courtes avec des revers boutonnés et un short bleu marine. Il n’avait pas la carrure d’un meneur ni l’esprit d’un bagarreur. À se demander d’ailleurs comment il pouvait être copain de l’autre.

La jeune fille était mince, la peau hâlée par ce soleil d’août. Peut-être un peu frileuse car elle portait un pantalon de toile épaisse et un tee-shirt rose à manches longues. Il y avait une broderie au-dessus du sein gauche qui tendait le tissu. Féminité qui n’avait pas échappé au meneur de jeu perché sur la corniche. Il y avait dans la scène une sorte de placement théâtral et un recours à la hiérarchie.

Le refus à la proposition d’escalade venait de la jeune fille.

— D’abord mes baskets ne vont pas aimer et ensuite on n’a pas le droit ! ajouta-t-elle le visage fermé.

— Tu parles ! dit le jeune homme brun en écartant les bras comme s’il allait haranguer une foule.

La brise de mer faisait frémir son tee-shirt à la manière d’une oriflamme. Il y avait quelque chose de hiératique dans l’image qu’il semblait vouloir donner à sa posture. La force brute et la fierté de la jeunesse.

— C’est un terrain interdit, fit observer la jeune fille en relevant la tête. Tu as vu l’écriteau comme nous. On devrait plutôt s’en aller d’ici.

— Mais de quoi t’as peur ? Il n’y a personne ! Faut pas flipper comme ça ! insista le téméraire. Il n’y a plus rien dans ce coin. Le bâtiment ne sert plus. Ça se voit non ?

Le garçon s’accroupit au bord du toit.

— Allez ! Je te jure, tu ne vas pas regretter de profiter de ce panorama. Il n’est là rien que pour nous ! Tu prends ma main et je te hisse jusqu’à moi. Antoine va te pousser les fesses.

— Dis tout de suite que je suis trop grosse pour y arriver toute seule !

Le jeune perché objecta :

— Mais je n’ai pas dit ça ! Vous les filles, vous cherchez tout de suite la petite bête ! Et puis tu n’es pas grosse ! Tu te fais des idées. Simplement jolie !

Il s’assit sur l’arête en béton, les jambes dans le vide.

— Eh Antoine ! dit-il en interpellant l’autre garçon qui s’était rapproché de la jeune fille, n’en profite quand même pas pour peloter la princesse !

— Chuis à côté, j’ai droit non ? On est en République !

— Tsss, tsss ! D’ici, je te vois bien la coller à la hanche et jouer de la main baladeuse !

— Faudrait savoir ! Tu viens de me dire de l’aider à grimper !

— Elle n’a pas encore commencé l’escalade que tu la tiens déjà par la taille.

Et avec un rictus peu amène, il ajouta :

— En même temps, je te comprends. C’est fou comme elle sent bon ! Elle a la peau souple et tu aimes ça hein !

— Mais comme toi mon p’tit vieux !

— Oh oh les garçons ! coupa la jeune fille. C’est quoi ce combat de coqs ? Je n’appartiens à personne d’autre qu’à moi pour l’instant ! Inutile de vous faire des films ! Vous n’allez pas encore vous chamailler sinon moi je vous plante là et je vais me baigner !

— On avait dit qu’on monterait sur le toit. Moi j’ai rempli mon contrat puisque j’y suis. Antoine, c’est à toi de me rejoindre puisque Mademoiselle fait sa bêcheuse !

Il ricana.

— Si tu as le cran, bien sûr !

Il ajouta :

— Tu vas perdre des points si tu restes en bas, c’est moi qui te le dis ! Les femmes aiment les gagneurs, c’est bien connu ! Regarde-là ! Elle n’a d’yeux que pour moi ! Et elle a bien raison !

La jeune fille haussa les épaules en soupirant bruyamment.

— Arrête ton cinéma, tu veux ! T’es lourd à la fin !

Le deuxième garçon ne semblait pas plus enchanté que ça de relever le gant. L’autre insista encore, goguenard.

— Alors, tu te dégonfles ?

La remarque porta ses fruits.

— Non mais c’est haut. Tu me donnes la main, c’est d’accord ?

— Ben oui, c’est promis.

Antoine tâtonna puis s’accrocha à une gaine métallique cachant probablement une alimentation électrique et il parvint lentement à se hisser vers le toit.

— Encore un effort ! ironisa l’autre garçon penché vers lui. Tu y es presque !

Le grimpeur se colla au mur de ciment en assurant la prise de sa main gauche puis il tendit sa main droite. Le copain s’agenouilla pour tendre la sienne le plus bas possible. Leurs doigts se serrèrent et Antoine en profita pour avancer sa main gauche et tenter de saisir le rebord de la corniche.

La jeune fille posa son regard sur le premier de cordée. Ce n’était plus Antoine qu’il regardait mais elle. Il la toisait en riant tandis que leur copain s’efforçait de maintenir la prise.

Tout à coup, elle comprit que le drame était en marche. Elle hurla à s’époumoner. Comme l’ultime plainte d’un animal blessé. Un cri de désespoir aussi, de violence contenue. Certainement.

Lâché par la main de son copain, Antoine partit en arrière et chuta lourdement sur le dos. Sans un mot. L’arrière de sa tête avait violemment heurté la plaque de ciment.

Allongé sur la dalle comme un pantin désarticulé, il ne bougea plus. Il ne bougerait plus jamais.

— Tu l’as tué ! dit la jeune fille, l’index menaçant.

Le garçon encore sur le toit haussa les épaules.

— Mais t’es folle ! Qu’est-ce que tu vas chercher ! Sa main a glissé de la mienne. Je n’ai pas pu le retenir. C’est un accident !

— Tu sais très bien que tu mens !

— Forcément, Antoine c’était ton préféré ! Depuis le début des vacances ! Il a dû bien en profiter cet été, les soirs où je n’étais pas là ! J’espère qu’il ne t’a pas déçue !

— Mais qu’est que tu racontes. T’es fou !

— Non non. Lucide au contraire ! J’ai bien vu ton petit manège. Et moi, je ne suis rien pour toi ?

— En tout cas, plus maintenant !

Elle soupira bruyamment.

— Ce que tu viens de faire, je ne te le pardonnerai jamais. Jamais !

Deux hommes en kaki et armés provenant du terrain vague arrivèrent sur les lieux. Une jeune fille, aux habits maculés de vase brune marchait entre eux deux. Elle gardait la tête baissée.

— On vous ramène votre amie, dit l’un des hommes. Elle s’est soi-disant égarée. Elle n’a rien à faire dans cette zone. Vous non plus d’ailleurs.

Et levant les yeux, il aperçut le garçon debout sur le toit de l’immeuble.

— Eh toi, descends de là immédiatement ! On va vous ramener à vos parents. Vous ne savez pas lire ? C’est une zone interdite ici !

Tout à coup, il devint plus soupçonneux. L’ambiance était étrange. Même pesante parce qu’il posa la main sur le pontet de son fusil comme s’il percevait la tension qui régnait.

— Qu’est-ce qui se passe ici ? demanda-t-il.

Les jeunes gens ne répondirent pas.

— Et lui là par terre, il dort ? demanda le second en désignant l’adolescent immobile, les yeux clos.

La jeune fille se serra les doigts à les faire blanchir. Et puis, d’une voix blanche, elle dit :

— Il est mort !

Le militaire fronça les sourcils.

— Comment ça ? Il est tombé du toit ? C’est un accident ?

— Non, un crime ! dit l’adolescente très distinctement.

Et elle releva la tête, les yeux en jour de pluie.

I

La Laguna break était garée tout à côté d’un fourgon tôlé qui n’était manifestement pas de toute première jeunesse. De profondes éraflures brunes en travers de la carrosserie en témoignaient aisément. La conduite intérieure avait été idéalement postée dans l’axe des garages rangés comme des boîtes. Ceux-ci étaient accolés à l’arrière d’un immeuble grisâtre de deux étages qui se perdait là-bas dans une petite enclave de verdure sauvée de la frénésie du béton. Un délaissé qui finirait bien par intéresser un investisseur pour une juteuse opération immobilière. Cette barre de béton était un bâtiment ancien aux murs lépreux comme il y en a tant dans les banlieues des grandes villes. Peut-être que la façade côté rue arborait un meilleur look. Le ravalement coûte si cher qu’on se contente de rénover la façade. Ce qui ne se voit pas rencontre peu d’intérêt. Et en plus, tout le monde s’en fout !

Le temps était au gris, nimbant à peu près tout dans une sorte de coton brumeux digne d’un film de Jean-Pierre Melville. De quoi imaginer croiser Alain Delon, petite moustache sombre, imper mastic et flingue à la main. Façon crépuscule des truands.

Du silence aussi malgré la rumeur lointaine de ce quartier de Seine-et-Marne. Le matin, le bruit lui-même a du mal à se réveiller. Pas de raison de se presser puisque le reste de la journée, il ne chôme pas. L’animation du lieu en était au minimum syndical. Une personne âgée qui portait un manteau à carreaux bien fatigué, comme elle, marchait tête baissée. Un chat gris souris assis sur une plaque de fibrociment léchait soigneusement ses pattes avant. Des poubelles défoncées. Des ornières remplies d’eau croupie dans le terre-plein sans revêtement. Sinon, le désert ou presque.

Et puis, percée au deuxième étage dans le mur de l’immeuble le plus décrépi, la petite fenêtre d’une salle d’eau ouverte sur ce paysage bien peu touristique.

Un homme en tricot blanc échancré et sans manches en train de fumer une sorte de brûlot mortel. En locomotive, on arrive plus rapidement au bout du tunnel. Bref. Une nouvelle journée à tuer.

Dans la voiture, grise elle aussi pour rester dans l’ambiance, il y avait trois hommes. Deux étaient assis à l’avant, le troisième bien au milieu de la banquette arrière. Sur ses genoux, une sorte de fusil d’assaut dont le canon était tourné vers la portière droite.

Pas question de faire les frais d’une manipulation malencontreuse de cette arme redoutable. D’aucuns s’en souvenaient certainement mais certains n’étaient plus là pour pouvoir en parler.

Les armes sont méchantes. Elles aiment cracher leur venin.

L’avant du véhicule n’était pas dirigé vers l’allée de garages mais inséré à l’envers entre le fourgon et une berline à la forme un peu curieuse fabriquée dans les pays de l’Est. Des silhouettes dans une voiture à l’arrêt sont facilement repérables, même de loin, par un œil exercé. Les visiteurs attendus n’auraient eu aucun mal à deviner la suite du programme. D’autant plus que le trio n’était sûrement pas là pour broder des napperons. D’où cette configuration cherchant la discrétion.

Après de longues minutes d’attente, il y eut un grésillement dans un récepteur radio gardé à l’arrière.

— Ça bouge ! indiqua aux deux autres l’homme en imper. Dans quelques secondes, on va les voir se pointer !

En effet, à l’extrémité de la succession de garages, du côté de l’accès au boulevard, un homme venait d’apparaître. Vêtu d’un trois-quarts sombre qui paraissait trop long pour lui, les mains dans les poches, il se mit à longer lentement les portes métalliques par la droite mais sans trop s’en approcher. Très vite un second visiteur vêtu d’un blouson épais apparut de l’autre côté et se mit à suivre le premier marcheur à distance. Une sorte de ballet insolite mais bien réglé. Le premier individu était petit et corpulent tandis que le deuxième était grand et sec. La différence d’âge expliquait peut-être l’anatomie.

— Bingo ! dit le passager avant. Le p’tit râblé, c’est le père Bros. Albert Bros. Le grand con qui le suit, c’est son fils Tian.

— Tian ?

— Son prénom en entier, c’est Christian mais, quand il était jeune, il n’arrivait qu’à en prononcer la fin. C’est resté comme un diminutif. Tian.

— Ils sont au rendez-vous, conclut le conducteur. Comme prévu. L’info était bonne.

— Le temps va donc se couvrir…

— Pourquoi tu dis ça ? demanda le troisième homme.

— Albert, c’est un vieux cheval de retour. À une époque, il était capable de se faire le fourgon postal du Glasgow-Londres pendant le week-end ! Il était signalé sur tous les coups mais pas vu pas pris ! Il a fait quelques années de cabane pour des conneries alors qu’on aurait dû le serrer pour des meurtres avec préméditation. Y en a comme ça qui passent au travers. La “baraka”*, disent les voyous.

Le trio de la voiture grise n’était plus visible. La vitre arrière, volontairement salie, donnait un air d’abandon au véhicule. Surtout qu’il ne s’agissait pas d’un modèle récent. De l’extérieur on ne pouvait pas remarquer le miroir de toilette qui servait de mouchard.

Arrivé à peu près au milieu de l’allée déserte, le plus jeune des visiteurs la traversa en biais pour rejoindre l’autre homme qui manœuvrait déjà la porte basculante d’un box. Une fois le panneau métallique escamoté, ils disparurent tous les deux à l’intérieur du local.

Les passagers de la Laguna auraient bien voulu se transformer en petites souris pour les rejoindre et observer la scène.

— Et Tian alors ?

— Il manie les explosifs comme un pro. Il étrangle aussi à l’occasion, si son paternel l’ordonne. Il a fait de la tôle pour des braquages mais jamais pour meurtre. Comme il est sérieusement dérangé du bocal, il a été placé en hôpital psy d’où il a filé plusieurs fois avant de disparaître dans la nature. Il doit y avoir des aides-soignantes qui s’en souviennent amèrement. Mais elles ne diront rien. Elles ont des maris, des familles…

Le policier soupira. Parfois la détresse du monde…

— Ensuite il est parti en conditionnelle qu’il a menée au bout s’en être inquiété. Ça ne veut pas dire qu’il est resté tranquille pendant ce temps-là ! C’est pas le genre !

— On pourrait se les faire tranquille, ces deux-là ! dit l’homme assis à l’arrière.

— Pour quel motif ? demanda le passager avant.

— Doit bien y avoir ce qu’il faut dans le box et dans le coffre de la bagnole pour les serrer !

Le passager avant se lança dans l’explication de texte :

— Je commence par le garage. Il n’est certainement pas à leur nom mais à celui d’un quidam lambda qui le loue de la main à la main à quelqu’un dont il ne se souvient plus du nom mais qu’il voit de temps en temps au bar-PMU. On part de loin dans un truc comme ça. À ce moment précis, il n’y a plus rien dans le box. S’il y avait quelque chose, c’est parti dans le coffre.

— Ben alors ils y ont touché !

— Avec des gants, mon p’tit père. C’est bizarre. Ils ont toujours froid aux mains les gugusses !

— Et la voiture ?

— D’abord, ni l’un ni l’autre des acteurs présents devant nous n’est propriétaire du véhicule qu’ils viennent prendre !

— Ils vont l’utiliser quand même ?

— Diront que c’est celui d’un copain parti à l’étranger. Mais du réel propriétaire, ils ne savent rien, vu qu’ils ne sont qu’en deuxième ligne. Et c’est un véhicule de société pour brouiller davantage les pistes.

— Alors on cherche l’entreprise !

— Manque de pot, il n’y aura plus rien à l’adresse indiquée. Un terrain vague, une usine désaffectée par exemple. On aura certainement oublié de faire le changement d’adresse. Mais eux, ils n’y sont pour rien…

— Donc le copain la leur prête, la tire ?

— Ben oui ! Pour faire tourner le moteur de temps en temps ! Voire la passer au Karcher pour la garder propre.

— Et si elle a été volée ?

— Forcément qu’ils n’en savaient rien, les Bros ! Ils en sont désolés mais vous savez comment qu’c’est mon pauv’ monsieur. On fait confiance bêtement et voilà…

— Mais si dans le coffre…

— … qu’ils n’ont pas ouvert ! Pas besoin puisqu’ils font juste un tour dans le coin, promener au parc ou faire une virée sur le périph ! Faut recharger un peu la batterie pour éviter la panne au démarrage. Ensuite ils rentrent. C’est exactement la soupe bien chaude qu’ils pourraient nous servir !

— Et si on y trouve un sac de sport bourré d’armes de gros calibre ?

— Ils affirmeront qu’ils ne savaient pas qu’elles étaient là, que ce n’est pas à eux, qu’ils ne se seraient pas permis de fouiller ! Séquence naïveté bien rodée ! Essaie de leur coller quelque chose sur le dos dans ces conditions ! D’ailleurs, on ne retrouvera pas leur ADN, ni sur le sac ni sur l’armement et leur avocat aura beau jeu d’en faire des persécutés voire même des anges !

— C’est chiant quand même de se faire prendre pour des billes !

— Que des innocents, j’te dis !

Ils patientèrent encore deux ou trois minutes avant qu’un gros 4x4 BMW ne montre le bout de son capot. Le coffre arrière était resté ouvert. Un signe utile. Pas une preuve. Le plus jeune l’abaissa lentement et le verrouilla sans le faire claquer. À ce moment-là, il jeta un regard circulaire histoire peut-être de compter les nuages dans le ciel. Avec quand même un œil discret au ras des pâquerettes. Au cas où. On n’est jamais assez méfiant. Surtout quand on n’a rien à se reprocher…

L’un des hommes tapis dans la voiture grimaça :

— Il mate grave ! dit-il entre ses dents.

— Je le vois, répondit le conducteur. Tian est du genre inquiet.

— Il est méfiant. Normal.

— Peut-être armé.

— Vaut mieux pas. C’est un fondu, ce mec. S’il nous voit approcher, il va se défendre. En d’autres lieux, il nous arroserait à la Kalach. Mais là, je ne crois pas qu’ils soient enfouraillés. Ils ne vont pas risquer l’interpellation toute bête pour une arme de poing glissée dans la ceinture. Le matos est dans le coffre maintenant et il n’est toujours pas à eux.

— Donc on peut les serrer, là. Demande au chef de groupe !

— Non. Il y a un protocole hiérarchique strict pour les liaisons radio. Nous, on répond. On n’interpelle pas. Faudra que tu t’y fasses !

— Ça m’énerve de les voir nous narguer toute la sainte journée ! On va les laisser s’amuser en les regardant faire. C’est fou ça !

Le passager avant qui parlait assez peu depuis le début dit :

— Bah ! C’est le job. Si on les tape maintenant, on n’aura qu’une détention d’armes et utilisation d’un véhicule volé. Et au mieux encore ! C’est maigre. Dans deux ans, ils seront dehors et ils remettront ça un jour où on ne sera pas accrochés à leurs basques. Parce que c’est dans leur ADN ! S’ils partent sur un coup comme on nous l’a dit, on a une chance de les serrer en flag. Il faut du lourd pour les enchrister des années.

Il se redressa un peu pour changer de position sur un siège fatigué puis il reprit :

— Faut être patient. Construire petit à petit. Puis foutre en l’air le château de cartes juste quand il est prêt à s’écrouler. Méthode Landowski !

— C’est qui lui ? demanda l’homme assis à l’arrière.

— Ça se voit que t’es nouveau à la boîte. T’es plus en province, là ! T’inquiète ! Tu entendras très vite parler du commissaire divisionnaire Landowski !

Brutalement, le véhicule bleu marine s’arracha. De quoi surprendre les passagers de la Laguna pourtant sur leurs gardes. La manœuvre inattendue sert d’ailleurs à ça. Une minute plus tard, ils purent apercevoir la puissante voiture quitter la voie d’accès à la cour de l’immeuble et s’insérer dans la circulation. Le véhicule en planque opéra de même, tout en restant à distance.

Le convoi improvisé se mit à rouler vers le nord. La circulation se densifiait à mesure mais le gros véhicule bleu marine se voyait comme le nez au milieu de la figure. Les malfrats ne cherchaient donc pas à se cacher. Une balade d’apparence pépère juste avant de déclencher l’action. Toujours la même technique. Surprendre et agir. Pas la peine de hisser les pavillons pour ameuter la foule !

Bientôt on entra dans Melun.

— Ils vont passer devant l’entrée de l’École des officiers de la Gendarmerie nationale ! dit le conducteur d’une voix laconique.

— Un comble quand même ! dit le passager avant.

— Ils adorent narguer ! renchérit le conducteur. Ils se croient invincibles.

— À nous de les faire mentir ! conclut le troisième.

Puis d’un cri :

— Attention, ils essaient de nous semer !

La voiture bleue venait de tourner à gauche sans indiquer sa direction. Juste entre deux camions. Bien joué Callaghan !

— Ils nous ont repérés…

— Non, non ! dit le conducteur. C’est la technique habituelle. Y a du métier dans la famille Bros !

La Laguna entra à son tour dans une rue parallèle au boulevard puis dans une autre voie adjacente et le conducteur ralentit.

— On les a perdus, dit-il sur un ton de lassitude. Le passager avant s’anima :

— Non, non ! Ils sont là ! Je viens d’apercevoir l’arrière du 4x4. Pose-moi !

Il sortit rapidement du véhicule et il remonta vers le carrefour en Y qu’ils venaient de passer. Il se pencha lentement à l’angle de l’immeuble du coin et il aperçut deux personnes monter dans le véhicule en double file puis le grand échalas claqua le coffre d’un fourgon garé à cent mètres le long du trottoir d’en face. Il s’engouffra aussitôt dans le 4x4 bleu marine qui disparut tranquillement en direction de Paris.

— Alors ? demanda le conducteur au retour.

— Maintenant, ils sont quatre ! Ils viennent de prendre deux comparses qui devaient les attendre. Ils ont posé un véhicule relais dans la rue. Je l’ai logé ! Devait y avoir un complément de matos à prendre. L’affaire va être sérieuse. Maintenant ils vont monter au braquage, c’est sûr.

— Mais où !

— T’inquiète ! On va le savoir bientôt !

Un grésillement signala un contact radio.

— Direction Créteil, annonça laconiquement la voix métallique sans donner davantage de détails. Les fréquences radio ne sont jamais sûres.

— Ils filent sur Paris, dit le passager arrière.

— Paris c’est grand ! railla le conducteur.

— On sait où les retrouver au retour. Peut-être. On se pose et on attend.

— On n’y va pas ?

— Les collègues ont pris le relais.

Le dernier comparse était Jim Sablon, un OPJ de la BRB basé rue du Bastion aux Batignolles depuis le transfert du célèbre 36.

Il se retourna vers le passager assis à l’arrière qui n’avait pas lâché son fusil d’assaut.

— Tu peux poser ta pétoire maintenant. Ils sont loin.

— Mais au retour…

— Oh oh ! On n’en est pas là ! Rien ne dit qu’ils vont faire exactement le chemin inverse. Tout ça dépend de la suite des événements. On ne les revoit pas toujours et la piste hiberne. Jusqu’au jour où…

Le policier soupira.

— J’te parlais de Landowski tout à l’heure, dit-il comme pour alléger la tension avant que les affaires ne reprennent.

— Ouais ! Alors c’est qui ?

— D’abord c’est un pote de toujours ! On a tapé du malfrat ensemble pendant un bon paquet d’années passées au Quai des Orfèvres. Des grosses pointures à faire prendre l’escalier. Cent quarante-huit marches et un vieux lino ! De la bière et des sandwiches !

— C’est du Maigret ça !

— Simenon n’a rien inventé mais il a donné ses lettres de noblesse à l’enquête policière !

— Et ton pote ?

— Il est commissaire divisionnaire à la DGSI maintenant. Fait partie du staff de la direction. C’est un spécialiste des coups tordus. Un peu perso. Visionnaire. Il a ses méthodes à lui, à nul autre pareil !

— Le 36 travaille avec la DGSI ?

— On fait tous partie de la même famille même si on se tire des bourres parfois. « Une saine émulation » disait je ne sais plus quel ministre, disparu depuis bien longtemps du tableau de service.

— Et avec lui ?

— Pas compliqué ! Quand il me sonne, j’me pointe !

— Mais la hiérarchie, elle accepte que tu lèves le pied ?

— Il connaît tout le monde, ça aide. Et son tableau de chasse est si impressionnant qu’il n’y a pas un supérieur qui oserait franchement lui chercher des poux ! Et quand bien même cela arrive, il monte dans les tours et ça sent plus le moisi, tu peux me croire !

Jim plissa les yeux. Il avait un petit sourire aux lèvres. Probablement que bien des souvenirs lui repassaient les images comme dans un film.

— Faut savoir aussi, ajouta-t-il, que sa compagne s’appelle Lorraine Bouchet, qu’elle est magistrate au parquet de Paris et chargée de mission auprès du procureur général. Depuis peu d’ailleurs !

— C’est du lourd comme duo !

— J’te fais pas dire. Y a quelques années, la juge a acheté une maison en Bretagne. Dans le Finistère plus précisément. Du côté de Concarneau, face aux îles Glénan. L’endroit s’appelle Trévignon.

— Et tu y es déjà allé ?

— Ben oui, tu penses. Lando a le chic pour nous dégoter des affaires en Bretagne. Comme ça, on a droit à du homard et des langoustines à la place du jambon-beurre garanti caoutchouc !

— Mais au 36…

— Si ça coince, chuis toujours élu au bureau des œuvres sociales de la police. Je pose une décharge et j’me barre. Youpi !

— Tu disais « on » tout à l’heure. Y a quelqu’un d’autre en plus de toi ?

— Le troisième larron, c’est Ange P.

— P ?

— C’est comme ça qu’on dit !

— De quelle direction, il est lui ?

— Aujourd’hui, il est aussi à la DGSI. Avant la fusion des services, il émargeait aux RG. C’est un homme du Sud. Lui, c’est la silhouette discrète qui se cache derrière le miroir. Il sait tout sur tout le monde ou presque. Et s’il ne sait pas, il cherche et il trouve. On a des souvenirs d’Afrique tous les trois ensemble. Des trucs…

Jim se pinça les lèvres comme si un brin d’émotion était en train de lui titiller les neurones.

— Et la juge, elle vous laisse faire votre petit trafic ?

— Des fois, elle apprécie pas. Surtout si on salope un brin sa salle de bains.

— Son mec est là pour l’amadouer…

— Elle l’a dans la peau son flic ! Lui aussi de son côté. Mais vas-y lui faire dire ! De plus, elle veille au grain au plan justice. Des fois, on marche sur des œufs. Et pas des frais même ! Il agit borderline quand il n’a pas trouvé de solution dans le code de procédure ! Pour faire avancer la jurisprudence ! Du coup elle apaise ceux que ça dérange. L’autorité ça aide ! Avec les collègues gendarmes ou d’autres directions, elle sait y faire. On ne lui refuse pas de lui ouvrir des dossiers d’enquête. C’est bon pour nous !

— C’est légal tout ça ?