Dernier tango à Plouescat - Michel Courat - E-Book

Dernier tango à Plouescat E-Book

Michel Courat

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Beschreibung

Un troublant jeu de piste, avec un dénouement des plus surprenants !

Un pas en avant, deux pas en arrière… Drôle de tango pour Laure Saint-Donge et ses amis, dont les nerfs sont mis à rude épreuve dans cette nouvelle enquête. Où sont donc passés Roxane et Bertrand Lemoine, créateurs d’une boîte d’événementiel à Plouescat ? Deux jours qu’ils ont disparu, au grand désespoir de la mère du jeune homme handicapé. Aidée par un complice québécois inattendu, LSD va devoir élucider cette disparition particulièrement curieuse, à l’aide d’indices totalement contradictoires. Un troublant jeu de piste, avec un dénouement des plus surprenants !

Retrouvez Laure Saint-Donge dans le 15e volet de ses enquêtes bretonnes, avec une affaire qui mettra ses nerfs à rude épreuve : Roxane et Bertrand Lemoine, créateurs d’une boîte d’événementiel à Plouescat, ont mystérieusement disparu...

EXTRAIT

Prudence et décontraction. Les deux maîtres mots de Laure et Tanguy en pénétrant dans la propriété “délaissée” par les Lemoine, depuis trois jours. De prime abord, rien à craindre puisque le couple a décidé de filer, non pas à l’anglaise, mais à l’irlandaise. Cependant, ce n’est pas sans précaution que les deux enquêteurs se glissent dans l’allée qui mène à la porte principale, sur le devant de la maison. Un voisin pourrait passer au même moment, et se poser des questions. Plus embêtant serait une initiative tardive et zélée de l’adjudant chef Petit. Après réflexion, il aurait pu se poser des questions sur la présence de cette voiture “abandonnée” au bout d’une plage, dont les propriétaires se sont évaporés. À ce stade, le sous-officier n’a aucun moyen de savoir que les époux ne se sont pas volatilisés, mais sont partis explorer la verte Erin. Qu’il ait pu mettre en place une cellule de surveillance discrète n’est donc pas à exclure. Pas de réponse, sans surprise, quand Laure frappe à la porte.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Amoureux de la Bretagne et du Trégor depuis toujours, Michel Courat y a exercé comme vétérinaire pendant une quinzaine d’années avant de partir s’occuper de la protection des animaux dans les Cornouailles anglaises pendant neuf ans. De 2008 à 2016, il a travaillé à Bruxelles comme expert en bien-être animal pour une ONG européenne. Même s’il est maintenant en retraite à Locquirec, il apporte son expérience au sein de l'OABA (Oeuvre d'assistance aux bêtes d'abattoir).

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Couverture

Page de titre

Le blog de l’auteur :www.michelcourat.fr

Groupe Facebook : Laure Saint Donge

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

Pour Elouan, arrivé parmi nous en même temps que ce livre et pour ses parents, Irwyn et Debbie.

« Passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est une volupté de fin gourmet. »

Georges Courteline

« Si je dois tomber de haut, que ma chute soit lente. »

Mylène Farmer

REMERCIEMENTS :

— Bambou, pour son soutien passif mais permanent.

— Bistrot Le Kernic, Plouescat.

— Brit Hôtel Privilège Cap Ouest, Plouescat.

— Café de la Mairie, Plouescat.

— Casino, Plouescat.

— Champagne François Denizon, Verneuil.

— Crêperie À l’essentiel, Plouescat.

— La Caravelle, Plouescat.

— Le Roc’h ar Mor, Plouescat.

— Miellerie de la Côte des Légendes.

I

Il a beau lutter, cette chanson ne cesse de lui trotter dans la tête, sans raison apparente. Une porte de PVC blanc devant lui, pas de sonnette. Alors il frappe. Doucement. Trop doucement. Il recommence, plus fort. Rien ne bouge dans la maison. Un silence pesant, que son cerveau s’efforce de compenser en fredonnant, sans le vouloir, les paroles de ce refrain de Pierre Vassiliu, revenues du tréfonds de sa mémoire. Il n’avait pas dix ans quand le disque vinyle est sorti, mais les mots chantent dans sa tête comme s’il connaissait le titre par cœur. « Toc toc toc qui qu’est là ? / Qui qui frappe à ma porte ? / Est-ce toi la Charlotte ? / Est-ce toi ma bien aimée ? / Oui c’est moi la Charlotte / Je viens chercherma… » Et là, avant de fredonner une rime en « otte » que je vous laisse deviner, il reprend ses esprits et redevient sérieux. Conscient que ce silence prolongé n’est pas de bon augure. Le téléphone fixe ne répond pas, le portable non plus, et pourtant le Peugeot Partner du propriétaire attend sagement devant la porte du garage, sur l’allée recouverte d’enrobé, coulé récemment à l’évidence. Comment expliquer ce silence ? Une indéfinissable inquiétude monte en lui. Un sentiment d’autant plus diffus qu’il ne connaît absolument pas le couple qui habite cette demeure. Si ce n’est grâce à une vague photo, prise par la mère du maître des lieux lors du Noël précédent. Une maison sans originalité, de forme rectangulaire, au crépi blanc, avec un toit mansardé percé de deux Vélux et un grand jardin plus engazonné qu’arboré. Autour, une clôture en grillage plastifié vert, montée sur un soubassement de béton, comme pour presque toutes les propriétés du secteur. Nous sommes rue de Porsguen à Plouescat, charmant petit bourg et station balnéaire du nord Finistère, voisine de Plounévez-Lochrist. Je devine, à ce brutal froncement de sourcils que ce renseignement géographique ne vous avance guère. Peut-être situerez-vous mieux l’endroit si je vous dis qu’à quelques kilomètres à l’est vous avez Roscoff et Saint-Pol-de-Léon, et à l’ouest Brignogan et Lesneven ? Toujours aucune idée de l’endroit ? Si je vous dis entre Morlaix et Brest, c’est mieux ? Non ! Bon, il ne me reste que l’ultime option : nous sommes à Plouescat, quelque part, entre Paris et New-York… Trêve de balivernes, cette curieuse histoire commence sur la splendide et injustement méconnue Côte des Sables, par un après-midi d’été mitigé, où le soleil négocie avec les nuages, sans grand succès, l’obtention d’une augmentation de bleu dans le ciel.

L’homme regarde autour de lui, à la recherche d’une âme qui vive. Recherche vaine, valse-hésitation. Un coup d’œil à sa montre. Il prend sa décision. Faire le tour de la maison, à la recherche d’une hypothétique porte de service ou d’une fenêtre qui aurait pu rester ouverte. Cela ne dure qu’une infime portion de centième de seconde, mais l’image d’une serrure fracturée s’inscrit en surimpression sur ses yeux grands ouverts. Son cerveau calme tout aussi vite le jeu, et c’est d’un pas serein qu’il contourne le garage et la bâtisse, et arrive sur une terrasse dallée aux reflets de faux marbre. Une table de jardin en plastique, six fauteuils soigneusement rangés autour, et juste derrière, un étendoir à linge, garni de vêtements divers, de draps et de serviettes de toilette. Une brusque envie de faire demi-tour l’envahit. Après tout, pourquoi venir déranger des gens qui sont peut-être tout simplement partis se balader pour la journée, ou effectuer quelques courses. Ou même à la plage ? Qui sait, ils peuvent même être cachés dans la maison, avec une furieuse envie de ne voir personne, ce qui est leur droit le plus strict ? Et si tout simplement, ils étaient en train de faire un câlin, pourquoi iraient-ils s’enquiquiner à répondre à un envahisseur quelconque qu’il soit fait de chair et d’os ou téléphonique ? Toutes ces hypothèses optimisantes ne résistent pas longtemps à l’analyse. Depuis la veille au soir, la mère du propriétaire essaie de joindre son fils, sans résultat. Lui-même est déjà passé à la villa en fin de matinée et en début d’après-midi, et s’est cassé le nez à chaque fois. Le fait que la voiture soit stationnée dans l’allée, élimine toute virée volontaire, qu’elle ait pour but l’un des deux supermarchés locaux, ou une escapade touristique. Pour une raison éminemment pratique : le Peugeot Partner est aménagé pour le transport des personnes en fauteuil roulant, et la deuxième voiture de la maisonnée, une petite Fiat 500 trois portes, d’après madame Mère, ne peut convenir pour accueillir un paraplégique. Donc, mystère. Mais un mystère qui éveille en lui une soudaine envie de le résoudre au plus vite. Personne en vue dans le jardin de l’arrière. Le visiteur du jour n’hésite plus, et frappe sur un des petits carreaux de la porte-fenêtre en bois qui donne sur la terrasse. À part les vibrations du verre, aucune réaction. Il essaie une autre fenêtre, celle de la cuisine vraisemblablement. Pas davantage de résultat. La porte du garage ne répond pas plus à ses sollicitations. Bref, il fait le tour de toutes les ouvertures possibles de cette, a priori, paisible résidence, et n’essuie que des silences, ce qui n’est pas si facile à faire, même avec un chiffon doux, vous en conviendrez. Gentiment sollicitées, les différentes huisseries ne font pas le moindre effort coopératif, et la mort dans l’âme, il doit se résoudre à jouer les espions. La main sur son front en guise de pare-soleil, le nez contre les carreaux, il tente consciencieusement de distinguer l’intérieur des pièces. Un voilage obture la vue dans la cuisine, problème vite réglé. Le même obstacle l’empêche de visualiser l’intérieur de ce qu’il devine être des chambres, deuxième coup de malchance. Retour à la porte-fenêtre qui ouvre sur la terrasse : le soleil n’a pas encore eu la bonté de virer à l’ouest, et la façade arrière de la villa baigne toujours dans une certaine pénombre. Difficile au premier coup d’œil de distinguer quoi que ce soit. Quoique ce soit plus facile au bout de quelques secondes, quand ses yeux se sont habitués à la demi-obscurité. Cette homophonie de bon aloi vous était offerte par Maître Capello, qui remet un euro dans le nourrain. Ce qu’il voit alors… ce qu’il devine plutôt, lui arrache un cri de surprise horrifiée.

*

Il rejoint en courant le devant de la maison, s’engouffre dans sa voiture, et essaye de retrouver son souffle. Malgré son air fringant, et son allure plutôt svelte, le courage n’est pas sa qualité première, et il affiche quand même plus de 60 ans au compteur. Il lui faut une bonne minute pour récupérer un rythme cardiaque et pulmonaire normal. Plus de temps lui est nécessaire pour remettre de l’ordre dans ses idées, et décider de la marche à suivre. Une simple réflexion, empreinte de bon sens, le conduirait à une réaction évidente : prévenir la police, ou plus exactement, à Plouescat, la brigade locale de gendarmerie. Mais il faut vous dire que chez ces “gens-là”, car il a une certaine approche de la société, on a tendance à ne pas réagir comme le commun des mortels. Alors il empoigne son portable, et, les yeux fixés sur la façade de la bâtisse, devenue depuis cinq minutes la maison du mystère, il compose un numéro. La première sonnerie n’a même pas fini de retentir, lorsqu’une voix féminine, inquiète, et bien rauque, demande, avec empressement.

— Vince ! Enfin ! Tu aurais pu m’appeler plus tôt ! Je me faisais un sang d’encre ! Pourquoi n’est-ce pas Bertrand qui m’appelle ? Il lui est arrivé quelque chose ? demande une femme aux cordes vocales éclaboussées d’un mélange d’angoisse et de goudron. Il est blessé ? Il est mort ?

Au volant de sa Mégane de location, le dénommé Vince a du mal à garder son sang-froid face à ce tsunami verbal qui envahit l’habitacle plus vite qu’une marée de 120 la baie du Mont Saint-Michel.

— Du calme Mimsy, du calme… Tu allumes une clope, tu respires un grand coup, si tu as un petit gorgeon de gin ou de vodka tu te le prends cul-sec, et après… Et après, tu m’écoutes, tranquillement. D’accord ?

Le silence à l’autre bout du fil laisse supposer que son interlocutrice a récupéré un peu de self-control. À moins que la bonne médecine du docteur Vince, peu recommandée par la Sécurité sociale, mais semble-t-il efficace, n’ait porté ses fruits ? Un bruit de clappement de langue ne laisse aucun doute, ni aucune goutte. La deuxième hypothèse est la bonne.

— Ça y est ? Tu as retouché terre ? Je peux parler ?

— Attends juste une seconde, il reste un fond de vodka, je ne vais pas le laisser.

Le temps de l’absorption-déglutition – on ne peut parler de dégustation – et l’homme qui voyait à travers les carreaux peut enfin s’expliquer.

— Je suis déjà passé à la maison en fin de matinée, et en tout début d’après-midi, mais personne ne m’a répondu. Quand je suis revenu une troisième fois, j’ai tourné autour de la baraque de Bertrand, j’ai frappé à toutes les portes, toutes les fenêtres. Que dalle ! Je n’ai vu personne, alors j’ai…

Il marque un temps. Il n’aurait pas dû. Ce silence déclenche un retour d’hystérie chez la buveuse de vodka, dont je vous épargnerai la description, par égard pour vos tympans fragiles. Et compte tenu des faibles remboursements de l’Assurance Maladie concernant les affections ORL.

— Ça y est ? Tu m’écoutes ?

— Mais putain ! Viens-en au fait !

— Si tu m’interromps tout le temps, je ne risque pas… En tentant de voir à l’intérieur, j’ai pu voir que tout était sens dessus dessous dans la salle à manger-salon. Chaises renversées, papiers et livres par terre, des verres cassés, des fruits en plein milieu du tapis, des plantes vertes renversées sur le sol… Je n’ai pas pu voir toute la pièce, mais j’ai l’impression qu’il y a eu une bagarre, ou quelque chose de louche. Très louche.

Un surprenant silence. La correspondante de Vince aurait-elle perdu sa voix ?

— Allô Mimsy ! T’es toujours là ? Allô !

À l’eau ? Sûrement pas ! La vodka se boit pure ! Quand on a des principes d’hygiène de vie stricts, il faut s’y tenir. C’est donc après une nouvelle rasade de l’alcool cher aux peuples slaves que l’organe au timbre coloré par quelques millions de bouffées de gitanes “jaunes” reprend le fil de la conversation.

— Mais pourquoi t’es pas rentré ? Si ça se trouve, Bertrand est blessé, il a besoin de soins urgents… Et toi, t’es resté planté devant la porte comme un con !

— T’énerve pas ! Je voulais juste te prévenir, avant d’appeler les gendarmes. Eux, ils pourront entrer et faire le nécessaire. Moi, je ne peux pas. Sinon, je deviens le principal suspect, s’il s’est passé quelque chose, alors que je n’ai fait tout ça que pour te rendre service…

— Donc ! Que mon fils soit peut-être en train de crever, tu t’en fous ?

— Écoute chérie, tu n’es pas sur place, tu ne sais pas comment ça se passe, alors laisse-moi faire, et plus vite les gendarmes seront là, plus vite tu en sauras plus. En me tenant la jambe, c’est toi qui retardes les secours éventuels. Je raccroche.

Ce que fait l’homme aussitôt. Même pas le temps de composer le numéro de la maréchaussée. Sur son smartphone, un air de musique campagne, ou de country music, “if you préférez”. La sonnerie de son portable. La fumée ne lui sort pas encore des narines ou des oreilles, mais cela ne saurait tarder. Une voix toujours aussi rauque, et un peu drôle, voire “rauque and drôle”, se fait entendre. Avec une soudaine intonation implorante, qui ne laisse pas de le surprendre. Quarante ans et des escarbilles d’éternité qu’il connaît Mimsy, et c’est la toute première fois qu’il l’entend parler ainsi. Telle une junky en plein manque, prête à tout pour avoir sa dose.

— Vince… Je t’en prie… Ne préviens pas les flics. Surtout ! Ne les préviens pas !

— Qu’est-ce qui te prend ? T’es givrée ou quoi ? Il n’y a pas une minute, tu me dis d’agir au plus vite au cas où ton fils serait en danger, et maintenant tu me demandes de ne rien faire ? Décide-toi ! Moi, je ne vais pas rester là éternellement, à la vue de tout le monde ! Je te le répète, je ne vais pas casser une vitre ou défoncer la porte pour me faire accuser après ! Je l’aurais peut-être fait si j’avais vu quelqu’un allongé par terre, ou si j’avais entendu du bruit, mais là, je ne vois rien, et je n’entends rien. Si ça se trouve, c’est un simple cambriolage, et si ton fils arrive au moment où je suis dans la baraque, je vais me faire casser la gueule, et je n’ai pas planifié de voir un dentiste, ou un chirurgien-esthétique, dans les semaines à venir. Alors, il n’y a pas trente-six solutions ! Où tu me laisses prévenir les gendarmes ou je me barre et tu te démerdes avec ton fiston ! Je veux bien te rendre service mais hors de question de devenir le dindon de cette farce. Qu’est-ce que tu décides ?

Même pas le temps d’un glouglou alcoolisé, la voix de Mimsy retrouve un semblant de tonus, mêlé d’émotion.

— OK… Je ne voulais pas en arriver là, mais je n’ai plus le choix. Tu ne peux pas appeler les gendarmes. Tu ne peux pas…

— Qu’est-ce que tu racontes ? Tu devrais quand même freiner un peu sur la bibine, tu dis n’importe quoi…

— Tu n’es pas à ma place, alors, ferme-là. Je bois, et je fume, parce que j’ai mal, et que ça me fait oublier, c’est tout. Mais j’ai toute ma tête…

— Si tu le dis !

— J’ai toute ma tête, mais je ne voulais pas t’en parler.

— Je m’attends au pire…

— Bertrand, il y a quelques années, tenait une discothèque, quelque part à côté de Brest. Ça ne tournait pas trop mal, jusqu’au jour où il a eu son accident de moto. Il est devenu paraplégique, condamné au fauteuil roulant. Gérer une boîte de nuit dans un tel état relevait de l’impossible. En prime, disons qu’il a eu quelques… pressions…

— Des voisins, je devine, et aussi… de gens peu recommandables, je présume ?

— Je n’ai pas eu énormément de détails, tout ce que je sais c’est qu’il a tout plaqué plus ou moins en catastrophe. Plus tard, avec sa femme, il a remonté, voilà quatre ans maintenant, une boîte qui s’occupe d’événementiel d’entreprises. Il ne m’en parle pas beaucoup, mais d’après ce que j’ai compris, ça marche plutôt bien.

— Alors, où est le problème ? En quoi, tout cela m’empêcherait de prévenir les flics ?

— Il y a quelque chose qui n’est pas clair dans leurs affaires. Pas clair du tout. Je ne sais pas quoi exactement, mais, depuis quelque temps, ils ont parfois un comportement bizarre quand ils viennent ; ils parlent à voix basse, ou sortent de la pièce… On a vraiment l’impression qu’ils ont quelque chose à cacher…

— Ils ne veulent pas t’enquiquiner avec leurs histoires de boulot quand ils sont chez toi, cela me semble au contraire très normal !

— Au début c’est ce que j’ai cru, et je ne posais pas de questions ; un jour, je quittais la salle à manger pour aller chercher le dessert dans la cuisine, et je me suis rendu compte que je n’avais pas fini de desservir la table. J’étais encore dans le couloir et je m’apprêtais à revenir dans la salle à manger, la porte était juste entrouverte… Il y a une grande glace sur le mur, juste dans l’axe de la porte. Machinalement, mon regard est tombé dessus, et j’ai vu que Roxane avait quitté la table, suivie des yeux par Bertrand, et était en train de glisser quelque chose derrière le grand tableau à côté de la cheminée, tu sais, le pêle-mêle où j’ai mis des photos de notre tour d’Europe ?

— Je vois bien le tableau dont tu parles, et j’imagine très bien ta belle-fille en train de cacher quelque chose derrière, mais je ne vois pas en quoi cela te pose un problème ? Elle cherchait, ou ils cherchaient un endroit sûr pour un document important, et le cacher chez toi devait représenter un gage de sécurité particulier. Je pense que dans ta petite maison au milieu de Fouesnant, il y a moins de risque d’être cambriolé que dans une zone très touristique comme Plouescat ! Quand je regarde autour de moi ici, il y a quand même pas mal de maisons de vacances, alors durant l’hiver cela doit tenter les cambrioleurs.

— Mais tu ne comprends pas ! S’ils ont quelque chose à cacher, il y a des coffres-forts dans les banques, et il y a sûrement de très bonnes cachettes chez eux, beaucoup plus sûres, alors pourquoi planquer quelque chose ici ? Pour moi, cela veut dire que ce truc-là ne doit pas tomber aux mains de qui que ce soit… Ni des gendarmes, ni… de personne d’autre. Si tu as vu que tout était chamboulé chez eux, cela signifie sans doute que quelqu’un doit déjà être à la poursuite de ce document. Et comme ce ne peut pas être les flics, si ce quelqu’un a trouvé Bertrand ou Roxane sur son chemin, tout est possible. Tout…

— Justement Mimsy… Si tu as peur qu’il leur soit arrivé quelque chose, c’est aux gendarmes d’intervenir, et le plus vite possible !

— Et si, à l’inverse, il ne leur est rien arrivé, que les “autres” n’ont rien trouvé, mon fils, et sa femme, risqueraient peut-être gros à cause de moi ? Je m’en voudrais toute ma vie ! Tu peux comprendre ça ? Allez Vince ! Fais-le pour moi, je veux être sûre que Bertrand n’est pas…

— Ce que je comprends en tout cas, c’est que jusqu’à preuve du contraire, celui qui est le plus dans la mouise, c’est moi ! Tu ne me laisses pas vraiment le choix… Tu as regardé le document que Roxane a planqué au moins ?

Sûrement pas ! C’est leur secret, et s’ils avaient voulu me mettre au courant, ils l’auraient fait !

*

— Alors, qu’est-ce que tu fais de tes journées ?

— Isabelle et Tanguy ont dû te dire ?

— Pas seulement eux, Adrien et Charlène aussi… Je sais que tu récupères doucement mais sûrement… Et ta chambre est plutôt sympa. Tu as une de ces vues !

— Ah ! Une vue imprenable sur Roscoff, et sur le centre de thalasso, de l’autre côté de la baie. Et je commence à avoir le droit de sortir un peu, accompagné évidemment. Alors, je commence à m’aventurer vers la pointe de la presqu’île, il y a un panorama magnifique sur le chenal et l’Île-de-Batz… Avec la marée et le soleil, on aurait presque envie d’y passer ses vacances.

— Le centre hélio-marin de Perharidy… J’ai eu un copain journaliste, qui s’était retrouvé ici à la suite d’un accident de voiture, il a dû y rester près de six mois, et il en parlait toujours en bien. En très bien même.

— Maintenant, c’est une fondation, la fondation Ildys qui gère l’établissement, mais ils ont gardé leur vocation première, un centre où ils font tout pour te remettre sur pied du mieux possible et te regonfler le moral au maximum. Ils appellent cela les soins de suite et de réadaptation, les SSR, comme ils disent. Je ne me plains pas : super personnel, hypercompétent, adorable, à l’écoute, aux petits soins… J’en oublierais presque que je suis en rééducation.

— Quelle trouille tu nous as foutue. Putain ! Quand j’y repense…

Une réflexion, qui, entre nous, ne fait que confirmer que la délicatesse de Laure, en matière de vocabulaire, ne va pas en s’améliorant au fil des épisodes de sa vie mouvementée. Oui, vous aviez deviné, cette belle jeune femme blonde, au regard si pur et si troublant de magnétisme sensuel, est bien Laure Saint-Donge. LSD comme elle aime se faire appeler. Hugues Demaître, face à elle, n’est pas insensible à son charme. Quand il dévisage celle qu’il a longtemps considérée comme la femme de sa vie, sa beauté lumineuse le fait toujours craquer. Bien sûr, quelques grincheux esthètes argueront que la profonde cicatrice qui creuse, d’un sillon bourgeonnant, mi-grenat, mi-violet, la joue droite de notre héroïne, représente un sérieux handicap pour une possible élection au titre de Miss France… Même s’il s’agit du titre de la catégorie « Plus de 40 ans et bien dans sa peau ». Pour Laure et Hugues, l’histoire d’amour s’est achevée sans crier gare, même si c’est du côté de celle de Morlaix que se trouvait le TERminus de leur romantique aventure. Un beau et fringant officier de gendarmerie, passait du côté du viaduc et Laure ne pouvait pas ne pas sombrer sous son aura. Entre les deux ex-amants, ne reste qu’une tendre relation, sans ambiguïté, où amour et amitié ont laissé place à une douce complicité, celle de deux êtres qui font semblant de s’ignorer, mais qui se connaissent encore si bien, après tant de beaux moments passés ensemble.

— Et comment tu te sens ?

Vous auriez sans doute bien aimé avoir la réponse à cette question, et Laure également. Mais les aléas de la téléphonie mobile en décident autrement. Sur l’écran du “Galnoxiphone” de la journaliste-romancière s’affiche un numéro qu’elle connaît trop bien. Elle plante son ancien amant dans son fauteuil face à la mer, bredouillant un mystérieux :

— T’inquiète ! C’est encore ce dingue. Je l’expédie et je reviens après.

Elle sort dans le couloir. Hugues sourit, et savoure les évanescents effluves de son parfum, vestiges olfactifs de la présence de celle qui fut sa “belle”. Les secondes passées à regarder les mouettes voler au-dessus de la baie deviennent vite des minutes…

*

Laure est loin de Roscoff et de Perharidy. Enfin… loin, c’est une façon d’écrire. Une vingtaine de kilomètres, une petite demi-heure pour son “abeille”, sa Mini jaune et noire, sa compagne à quatre roues des bons et mauvais jours. Aujourd’hui est un mauvais jour. Elle était contente de revoir Hugues, de partager avec lui regards et silences, de ressentir cette joie de le retrouver en meilleure forme, après la grande frayeur du mois précédent*. Et boum, patatras, la voici obligée de l’abandonner en toute hâte… À peine le temps de lui bredouiller quelques explications, qu’il doit, d’ailleurs, toujours chercher à comprendre, et elle est partie, direction plein ouest. Pourtant elle s’était jurée d’envoyer paître le doux allumé qui se prend pour son père ! Mais sa voix au téléphone avait l’air réellement paniquée, elle n’a pu résister. Elle ne peut même pas arguer que c’est son instinct filial, puisqu’elle sait que cet homme ne peut matériellement pas être son père. Alors pourquoi ce soudain empressement à le rejoindre ? Elle a tout le temps du trajet pour y réfléchir. Sa conclusion tombe à l’entrée du bourg de Plouescat, en arrivant rue Saint-Pol. Ce qui l’a poussée à venir, c’est son goût du mystère, et de l’aventure. Cette pincée d’adrénaline, qui lui titille le bout des tétons à chaque fois qu’elle se sent embringuée dans une nouvelle histoire. Je sais que certains objecteront, qu’en général, l’adrénaline arrive plutôt par poussées et de préférence par voie sanguine, mais je dois les détromper. Laure Saint-Donge ressent les choses à sa manière, et réagit rarement comme ses contemporaines. Et j’en connais quelques-uns, et même quelques-unes qui aimeraient bien jouer le rôle de l’adrénaline à ce moment précis de l’histoire. Ce coup de fil a retenti au plus mauvais moment, et émanait d’un des êtres qu’elle exècre le plus ces dernières semaines. Pourtant, sans se l’avouer, elle a su immédiatement que les heures et jours qui suivraient cet appel compteraient énormément pour elle. Instinct et intuition. Cet instinct à fleur de peau, cette intuition si développée qui la font agir et réagir au quart de tour, sont les deux moteurs qui l’ont guidée, à chaque moment important de sa vie de femme. Pour le meilleur, et parfois le pire. Elle passe la brigade de gendarmerie, un autre signe du destin, l’office notarial, et la voilà face à une église monumentale, et à un bâtiment à la forme originale. La dernière fois qu’elle avait vu une construction de ce genre, elle passait un week-end à Étretat, avec un homme, un collègue de la BRB, qui ne fut qu’un passage dans sa vie. « Si la vie est un film de rien, Ce passage-là était vraiment bien, Ce passage-là était bien », aurait pu dire Alain Souchon. Mais à quoi bon parler d’une des vies passées de LSD, elle qui en a tant connues, et encore tant à vivre. Parlons plutôt du présent, devant Laure et sa Mini se dresse un édifice sobre et surprenant à la fois, les halles de Plouescat. Une place se libère juste devant le bien nommé Bistrot des Halles. Quelques mètres à pied et elle a tout le temps d’admirer cette superbe toiture à deux pans en ardoises. Pas de murs au rez-de-chaussée, juste une série de poteaux de chêne, qui ont dû voir défiler quelques milliers de visiteurs, de marchands et de clients depuis le début du XVIe siècle. Son regard abandonne bien vite l’édifice, car il vient de se lever. “Il”, c’est un élégant sexagénaire, au visage plus bronzé qu’un play-boy tropézien, avec des yeux noisette, qui se marient harmonieusement à la chevelure qui hésite entre l’argenté et le poivre et sel. Bref, un beau mec, version senior, sapé comme un milord avec son pantalon grège et son blouson Ralph Lauren lilas foncé. Il attendait sagement sur un des bancs de bois qui font face à l’église Saint-Pierre, et s’est dressé dès qu’il a vu la silhouette élancée de Laure, resplendissante dans le soleil de ce milieu d’après-midi. D’autant plus belle que sa joue droite, dans l’ombre, ne peut laisser deviner l’étendue des dégâts laissés par son malencontreux reportage en Irak. Cette foutue balle perdue par un soldat américain, sans doute en mal de médaille militaire. Les bras ouverts, il l’attend avec un grand sourire, tout prêt à l’embrasser de bon cœur. Venant à sa rencontre, le geste de Laure se veut brutal. Il l’est. Elle écarte vivement les deux mains, repoussant sans la moindre émotion cet élan d’affection qui s’approche d’un pas vif. Elle l’interrompt, avant même qu’il n’ouvre la bouche. Pour Laure, rien d’impossible !

— Qu’est-ce que c’est que ce micmac que vous m’avez raconté ? Vous me dérangez alors que je rendais visite à un ami, et vous venez me faire suer avec vos salades ?

— Écoute Laure…

Une insidieuse colère monte au visage de la journaliste-romancière. Sa joue gauche vire au rose, tandis que la balafrée reste fidèle à sa couleur peu engageante.

— Un ! Je m’en fous que vous m’appeliez Laure, mais vous ne me tutoyez pas ! Deux ! Répondez-moi : comment avez-vous eu mon 06 ?

— Mais Laure ! C’est toi qui me l’as donné, au cas où… Je suis quand même ton p…

— Mon quoi ? Mon père ? Écoutez ! Ça suffit avec ça ! Mon père est mort, avec ma mère, dans un accident de voiture au Québec, quand j’avais cinq ans. Vous vous appelez Toussaint Larivière, vous n’êtes pas mon père ! Point final. On s’est déjà expliqués quand vous êtes venu me voir à l’Île Grande, et vous devez vous rappeler que je vous ai foutu dehors avec pertes et fracas ?

— Je sais Laure, je sais. Mais je suis dans de grosses emmerdes, et, tu vois, j’ai tout de suite pensé à toi…

Les sourcils froncés couleur colère le rappellent immédiatement à l’ordre.

— À vous…

Au tour de l’homme, à l’accent québécois imperceptible, de changer de faciès. Il regarde celle qu’il appelle sa fille. Ses yeux se font noirs, tandis qu’un voile humide, insidieux, vient les faire briller et éclairer ses cils.

— Ma fille ! Laure tu es ma fille ! Et je te le prouverai ! Avec ou sans ton consentement…

Des mots prononcés, avec douceur, avec tendresse même. LSD n’a pas eu le temps de réagir, et se retrouve choquée par ces paroles empreintes de sincérité. Comme un boxeur allongé sur le ring… Je recommence, puisque les femmes font aussi de la boxe. Comme une “boxeure” allongée sur le ring. Qu’ouïs-je ? On revendique ? Très bien ! Pourtant on dit bien une “auteure”, une “professeure”, alors pourquoi ne dirait-on pas une “danseure”, ou une “boxeure” ? Par souci d’apaisement, je corrige encore, mais c’est la dernière fois. Comme une boxeuse allongée sur le ring, quand l’arbitre commence à jalonner de sa voix le chemin qui la sépare du KO.

— Un ! croit-elle entendre.

Laure n’attend pas que l’on compte jusqu’à deux. Elle se reprend bien vite, et ses esprits en même temps. La phrase précédente sonne un peu bizarrement, je sais, mais je n’y peux rien si Laure est bien secouée. L’émotion a déjà quitté son visage quand elle lance :

— Écoutez, ça suffit ! On reparlera de tout cela plus tard. Si vous m’avez fait venir, ce n’est pas pour me répéter les mêmes inepties que la dernière fois ! Je suis venue parce que vous aviez l’air véritablement affolé, et j’avais peur qu’il vous soit arrivé quelque chose. Que se passe-t-il de si dramatique ?

Le regard qu’il lui propose exprime un profond soulagement. Savoir qu’elle a accouru à son secours sans se poser trop de questions représente pour lui, à l’évidence, un grand pas dans la bonne direction. En tout cas dans celle qu’il souhaite.

— Merci d’être arrivée si vite. Je me suis embarqué dans une histoire foireuse, et je ne sais plus comment m’en sortir Mais ce serait trop long à t’expliquer… à vous expliquer, tout se passe dans une maison à cinq minutes d’ici. Tout deviendra plus clair une fois sur place. Vous pourriez m’accompagner, et me dire ce que je dois faire ?

Une question dont il devine déjà la réponse. La visite guidée des halles devra attendre un peu…

*  Voir Granite écarlate, même auteur, même éditeur.

II

Quelques minutes à peine pour la Mégane et la Mini. Même pas un regard du côté de la mer et de la baie du Kernic. Pas plus sur le trait de côte au loin et la station balnéaire de Plounéour-Brignogan-Plages. Laure reste concentrée sur son objectif premier. Se dépatouiller de cette histoire au plus vite, et aller retrouver Hugues pour passer quelques moments avec lui. Rue de Porz Guen. Toussaint Larivière, appelons-le comme cela, se gare devant la maison du fils de Mimsy. Se “regare” serait plus précis. Laure fait de même, avant de jeter un bref coup d’œil alentour. Pas de voisin immédiat. Ni de passant qui passe.

— Alors ! Pourquoi m’avez-vous fait venir ici ?

— J’étais chez une vieille amie à moi, à Fouesnant, qui a des soucis de santé, des problèmes de hanches. Je passais quelques jours chez elle, et hier soir, nous attendions son fils et sa belle-fille pour le dîner. Ils ne sont pas venus, et n’ont même pas téléphoné. Elle a essayé de les joindre à leurs différents numéros. Aucune réponse. Ce matin, elle a appelé au bureau : personne ! Elle est tombée sans cesse sur le répondeur. Elle commençait à vraiment s’inquiéter. Et comme elle ne peut pas se déplacer facilement, elle m’a demandé de “monter” jusqu’ici, pour essayer d’en savoir plus. Ça, c’est le premier épisode…

— Pourquoi elle n’a pas appelé des voisins, des amis, ou même la gendarmerie ?

— Parce qu’elle ne connaît personne par ici. Elle n’est jamais venue, et Bertrand, son fils, ne lui a jamais parlé d’amis dans le secteur, encore moins de voisins.

— Quant aux gendarmes, continue Laure, je pense qu’ils n’auraient même pas voulu se déranger. Un couple d’adultes qui ne donne pas signe de vie pendant une demi-journée, il n’y a pas de quoi déranger le GIGN.

Cette évocation fugace du corps d’élite de la gendarmerie nationale déclenche en elle une vision tout aussi fugitive : un bel homme nu sortant de sa douche et qui lui sourit. Avant de la prendre dans ses bras pour un gros câlin, et plus, car affinités. Évidemment, je comprends l’inquiétude de certains nouveaux lecteurs s’interrogeant sur le bien-fondé d’un rapprochement même onirique entre le GIGN et une scène d’amour torride au sortir d’une douche ? Alors que l’action ne se déroule pas dans un Sofitel new-yorkais, et que LSD n’est pas en train de passer l’aspirateur. Je compatis. Je vous précise donc brièvement, afin de dissiper dans votre esprit toute volute de doute sur l’état mental de l’auteur : remettez un uniforme au bel amant de Laure, et vous reconnaîtrez aussitôt Jean-Philippe Roche, Lieutenant-Colonel dans la gendarmerie de son état. Lequel officier a sauvé la vie de notre héroïne dans plusieurs aventures précédentes, avec l’appui du GIGN, avant de tomber dans ses bras, et dans ses draps. Fin de la parenthèse, et mes plus plates excuses aux fidèles lectrices et lecteurs.

— De toute façon, il était hors de question de prévenir les flics… Parce que le fiston a trempé et trempe sans doute encore, dans des affaires louches, si tu, si vous voyez, ce que je veux dire.

— OK ! Je n’ai pas besoin d’en savoir plus à ce stade ! Donc, qu’est-ce qui vous a foutu dans un état pareil ?

— Personne ne m’a répondu, les deux premières fois où je suis venu. Cet après-midi, j’ai fini par faire le tour de la maison, et au travers d’une porte-fenêtre, j’ai vu un désordre indescriptible dans la pièce, comme s’il y avait eu une bagarre. Je n’ai pas voulu rentrer… Je me suis dit que si quelqu’un m’avait vu, non seulement je devenais le suspect numéro 1 aux yeux des gendarmes, mais en plus je risquais de foutre le fils de mon amie dans la merde.

— Je ne comprends pas ! Vous me dites ça, et pourtant, vous revenez avec moi ! S’il s’est passé quelque chose à l’intérieur de cette baraque, on va bien être obligés de prévenir la brigade locale, et vous passerez encore plus pour le suspect numéro un !

— Non ! Laure, vous oubliez quelque chose. Vous, vous connaissez bien les gendarmes, vous avez l’habitude de collaborer avec eux. Ils vous apprécient, et vous vivez avec un lieutenant-colonel… L’évocation de l’officier a, sur lui, un effet beaucoup moins érotogène que sur LSD. Elle provoque même une réaction étonnante. Sans raison apparente, il se masse vigoureusement le poignet droit, visiblement toujours douloureux, souvenir de sa dernière rencontre avec le susnommé. Sur un bateau au large de la Côte de granit presque rose. Si c’est vous qui les contactez, vous pourrez témoigner en ma faveur, et ça m’épargnerait de revivre une période de ma vie que je voudrais oublier.

— Bon ! Admettons ! Je peux comprendre. Maintenant, assez tergiversé, on y va !

Toute la conversation qui précède s’est déroulée sur le bord de la route, bercée par le tendre mais bruyant évanouissement des vagues sur les plages de Porz Meur et Porz Guen, entrecoupé régulièrement par le bruit des véhicules à moteur. Quelques pas à peine. Toussaint, alias Vince pour sa copine Mimsy, et Laure arrivent à hauteur du portail. Jusque-là, à cause de la clôture et des troènes qui forment une haie opaque, ils ne voyaient que le haut de la façade de la maison. Maintenant ils découvrent aussi l’allée d’accès au garage. Surprise. Aucun véhicule stationné sur l’enrobé devant la porte de la dépendance. Plus de Peugeot Partner. Louis de Funès en aurait fait des tonnes devant une telle disparition.

Le pseudo-père de Laure se contente d’un sobre mais sonore :

— La… la voiture ! Ce n’est pas possible… Je n’ai pas rêvé ! Je n’ai pas rêvé… Elle était là ! Et son doigt montre avec une conviction indiscutable, la porte du garage. Libre de tout obstacle visuel. Il est donc revenu ?

— Bien voilà, tout s’arrange ! Le fils prodigue est revenu, a repris sa voiture et est parti à son boulot ou en balade. Fin de cette histoire qui n’a jamais commencé… Merci monsieur Larivière de m’avoir fait perdre mon temps. Je ne vous dis pas au revoir !

Et elle tourne les talons, ceux de ses sandales en toile blanche, aux semelles de corde. Histoire de faire ressortir le hâle, non de Plouescat, mais de ses pieds et de ses jambes plus bronzés que la colonne Vendôme. Lui reste à l’entrée de l’allée, figé par la surprise. Il met quelques secondes à réagir, et a tout juste le temps de la rejoindre avant qu’elle ne s’engouffre dans son “abeille”. Direction Perharidy, deuxième !

— Attends, le coup de la voiture est incompréhensible ! On doit aller vérifier la maison, je t’en prie ! L’exaspération se voit sur le faciès de Laure plus nettement qu’une lueur d’intelligence sur l’opercule d’un bulot. Je t’en prie ! Viens avec moi vérifier la maison !

Intérieurement, Laure ne peut refréner cette envie de pester contre cet empêcheur de tourner en rond, qui lui pourrit bien son temps. Elle néglige ce tutoiement intempestif et lâche, avec une acrimonie non feinte :

— On va frapper à la porte… Le dénommé Bertrand, si j’ai bien compris son prénom, va nous ouvrir, à moins que ce ne soit sa femme, et on va passer pour des couillons ! C’est ce que vous voulez ? Ou alors, il n’y aura personne, parce qu’ils sont ailleurs, ce qui est leur droit le plus strict. Ses beaux yeux verts d’eau virent au noir quand elle ajoute. Eh bien ! Soit ! Allons-y et qu’on en finisse. Vous commencez à me courir sévèrement sur le haricot !

Le curieux couple fait marche arrière, arrive à la porte. Frappe. Attend. “Re-frappe”. “Re-attend”. Pas de bruissement à l’intérieur, encore moins de bruit.

Un rictus, comment pourrait-il en être autrement, défigure un peu plus le visage de Laure quand elle murmure entre ses lèvres.

— Ma deuxième hypothèse était la bonne. Ils se sont retaillés… Si vous voulez passer la journée à les attendre, c’est votre problème ? Moi j’y vais !

— Je ne comprends rien ! Rien de rien, mais laisse, laissez-moi, une dernière chance ! Allons voir derrière ! S’ils sont repassés, ils ont dû ranger le bordel !

— Attendez… Réfléchissez deux secondes, ça ne vous fera pas de mal. Vous m’aviez donné rendez-vous aux halles, au centre-ville…

— Oui ! Comme vous m’aviez dit que vous n’aviez pas de GPS, j’ai pensé que ce serait plus simple à trouver pour vous. La topographie de la ville de Plouescat n’est pas forcément facile à comprendre.

— Je m’en fous ! Ce qui m’intéresse, c’est combien de temps êtes-vous parti ? Combien de temps au maximum avez-vous laissé cette maison sans surveillance ? Dix minutes, vingt, trente ?

Un haussement de sourcils plus tard, monsieur Larivière répond, avec un manque de certitude évident. Ou un manque de certitude certain, si vous préférez.

— Vous m’aviez dit que vous en aviez pour une petite demi-heure de trajet, alors j’ai attendu quelques minutes ici avant de rejoindre le bourg. Le temps de discuter ensemble près des Halles, le trajet pour revenir ici, je dirais que je suis parti vingt-cinq minutes à tout casser.

— Très bien ! Et vous pensez que tout le fouillis que vous avez vu derrière a pu être rangé en moins de vingt-cinq minutes ?

— Non ! Impossible. En tout cas, pas par une seule personne, ni même deux.

— On va donc aller voir ! Comme ça, on en aura le cœur net.