Week-end de folie à Begard - Michel Courat - E-Book

Week-end de folie à Begard E-Book

Michel Courat

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Beschreibung

8 personnes sont enfermées et torturées et elles ne seront liberées que si le coupable se dénonce... Coupable de quoi ?

Imaginez Laure Saint-Donge, Hugues et six autres “invités” dans un endroit clos, isolé, dont ils ne peuvent s’échapper. Personne ne sait où ils se trouvent. Figurez-vous ces huit personnes soumises à de mauvais traitements continus et insupportables, destinés à les faire craquer. Une voix inquiétante a prévenu : « Vous ne sortirez d’ici que quand le coupable se sera dénoncé… » Et si aucun d’eux n’était coupable ? LSD va passer un week-end de folie, qu’elle n’est pas près d’oublier. Vous non plus.

Découvrez cette nouvelle aventure de Laure Saint-Donge dans le tome 19 de ce polar breton !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Michel Courat - Amoureux de la Bretagne et du Trégor depuis toujours, il y a exercé comme vétérinaire pendant une quinzaine d’années avant de partir s’occuper de la protection des animaux dans les Cornouailles anglaises pendant neuf ans. De 2008 à 2016, il a travaillé à Bruxelles en tant qu’expert en bien-être animal pour une ONG européenne. Même s’il est maintenant en retraite à Locquirec, il apporte son expérience au sein de l’OABA (OEuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir).

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Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

— À tous ceux qui aiment les surprises et qui veulent oublier pendant quelques heures les événements qui maltraitent notre monde.

— À Yvan et Catherine Tilly, pour leur support logistique appréciable et apprécié.

« Gouverner, c’est prévoir, et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte. »

Émile de Girardin, philosophe et homme politique français, 1852

« L’histoire se souviendra de l’ironie de cette époque où un pays a été mis à l’arrêt par un gouvernement nommé “En marche”. »

Gaétan Sondure, philosophe belge, 11 mars 2020

REMERCIEMENTS

– Armoripark, Bégard

– Bar Le Central, Bégard

– Gendarmerie de Bégard

– Golf de Bégard

– Mairie de Bégard

– Office du tourisme de Bégard

– Restaurant La Piazza, Bégard

– RTW Informatique, Guingamp

I

Une lueur rouge qui s’estompe très vite. Voilà tout ce dont elle se souvient. Ah ! Si ! Elle était avec Claudius. Le reste, on ne peut que l’imaginer. Un petit rocher saillant entre deux souches d’arbre, juste au bord de la mare, un choc violent contre la tempe, et un visage qui plonge dans l’eau glacée de cette froide soirée de début avril. En guise d’oraison funèbre, les canards, réveillés en sursaut, protestent en cancanant, imités très vite par les oies du Canada. Une nuit douce, idéale pour promener son chien. Pas pour mourir, surtout quand on n’a que 14 ans.

*

Hugues regarde l’enveloppe avec curiosité. Il l’ouvre sans ménagement, pour découvrir un carton d’invitation magnifiquement illustré qui le laisse perplexe. Une perplexité qu’il ne peut partager puisque aujourd’hui est une soirée sans. Sans Laure évidemment. Faut-il lui téléphoner, aller la voir dans sa belle maison des hauts de Locquirec ? En d’autres temps, il l’aurait peut-être fait, mais les événements récents qui ont “secoué” LSD l’incitent à la laisser se reposer. Alors il attendra demain pour lui annoncer cette surprenante nouvelle. Assis dans son fauteuil, avec Pomponnette à côté de lui sur le canapé, il se contente de relire le bristol. Un texte sibyllin :

« Nous avons le plaisir de vous annoncer que les lecteurs du magazine À l’ouest du Couesnon vous ont élu parmi les quatre personnalités des Côtes-d’Armor de l’année, dans la catégorie Professionnels de santé.

Vous êtes donc invité, avec votre conjointe ou une personne de votre choix à participer à notre week-end de Pâques surprise qui se déroulera dans la région de Guingamp-Bégard.

Merci de nous confirmer votre participation ainsi que les nom et prénom de votre accompagnateur/accompagnatrice (rayer la mention inutile) avant le 15 mars courant, à l’adresse mail [email protected]

Dès réception de votre confirmation, vous recevrez de plus amples informations sur l’organisation du week-end. »

Suivent la signature du rédacteur en chef, un certain Frédéric Le Cornec, et tout en bas un logo formé de multiples ballons colorés, qui indique le nom de la société organisatrice : « À fond la Breizh ! (AFLB) »

*

Quelques semaines plus tard

Vendredi de Pâques. L’impressionnante limousine ne passe pas inaperçue dans les rues de Guingamp qu’elle traverse. Ses dimensions de douze mètres de long, deux mètres de large et deux mètres quarante de haut auraient suffi pour faire se retourner les Guingampais en vadrouille malgré le léger vent réfrigérant. Mais en ajoutant sa calandre de véhicule tout-terrain militaire, type grosse Jeep, et sa couleur rose flashy qui ferait vomir un vendeur de glaces aux fraises Tagada, aucun Guingampais présent sur l’itinéraire emprunté par ce monstre automobile ne peut rester indifférent. Cris de surprise, d’admiration, d’horreur, les réactions ne peuvent que faire sourire voire éclater de rire les huit passagers de l’engin, bien à l’abri des regards derrière les vitres teintées. Huit passagers très particuliers avec qui nous ferons connaissance prochainement. Cela fait maintenant cinq minutes que la Hummer 2, H2 pour les connaisseurs, a quitté la gare où elle attendait ses futurs occupants. Tous avaient reçu le même message avec leurs instructions de route : « En arrivant à la gare de Guingamp à 17 heures précises, rangez votre voiture sur la bande d’arrêt minute. Un membre de l’équipe d’AFLB viendra immédiatement s’en occuper et la rangera en lieu sûr jusqu’à lundi soir. Ensuite, rejoignez notre animatrice, qui vous attendra dans un véhicule… que vous remarquerez immédiatement. »

*

Dix minutes plus tôt

Les quatre couples étaient ponctuels au rendez-vous et s’étaient garés pratiquement en même temps le long du trottoir le plus proche de la voie ferrée. Et c’est sans hésitation que, après s’être fait un signe de la main ou échangé un discret bonjour, ils avaient traversé la petite esplanade élégamment arborée pour rejoindre cet énorme bonbon rose à quatre roues motrices qui attirait irrésistiblement leurs pupilles. Une charmante jeune femme en fourreau noir les accueillit, en leur précisant bien :

— Bonjour à toutes et à tous, je m’appelle Nathalie, et je serai votre hôtesse, votre animatrice, votre guide pendant ces trois jours, que je vous souhaite inoubliables. Je travaille pour AFLB, À fond la Breizh, la société d’événementiel qui vous a préparé un week-end de Pâques plus qu’inattendu. Et puisque je vais vous accompagner tout au long de vos activités, surtout n’hésitez pas à me demander quoi que ce soit. Je suis là pour répondre à toutes vos questions, et, dans la mesure du possible bien sûr, pour vous aider à résoudre tous vos problèmes éventuels. En ce qui vous concerne, je crois que vous ne vous connaissez pas les uns les autres – un rapide échange de regards entre les membres du groupe le confirme vite –, ne vous inquiétez pas, nous aurons tout le temps de faire les présentations dans la limousine. Avant toute chose, je tiens à vous présenter Pinky, qu’on surnomme entre nous la “panthère rose” et qui a la particularité, hormis sa couleur, d’être l’une des voitures les plus longues de France, douze mètres de long. Vous allez bientôt découvrir cette merveille, née aux États-Unis, que nous réservons aux VIP que vous êtes ; et pendant notre voyage à venir, vous pourrez, si vous le désirez, avoir de plus amples détails sur notre superbe et déroutant palace roulant.

— Excusez-moi, Mademoiselle…

— Monsieur, je vous en prie, appelez-moi Nathalie, ou Nat’, mais pas mademoiselle… répond la jeune femme, très élégante dans cette robe qui met en valeur sa silhouette et ses cheveux blonds et courts, plus bouclés que les poils d’un caniche non tondu, après une averse.

“La voix” reprend donc d’un ton affable :

— Eh bien, Nathalie, je souhaiterais juste avoir une idée du programme, au moins pour ce soir.

Un large sourire et la réponse arrive avec une pointe d’espièglerie :

— Vous êtes trop curieux, monsieur Vignol ! dit-elle après avoir très discrètement consulté les quelques fiches qu’elle a en main. Je vous en dirai, un peu, plus dans notre somptueuse voiture. Maintenant, j’en arrive à un moment difficile pour moi, et, j’en ai peur, encore plus difficile pour vous. Je vais vous demander, c’est une première surprise – rassurez-vous, c’est la seule qui sera mauvaise –, de bien vouloir confier vos smartphones, tablettes ou ordinateurs à James, notre chauffeur, qui va nous rejoindre immédiatement. Y compris ceux qui sont dans vos valises ou sacs à main. Je vous préviens, si certains d’entre vous voulaient ruser, tous vos bagages seront passés au détecteur de métaux, et vous-même allez devoir vous soumettre à cette petite contrainte préalable avant de monter dans notre “carrosse”.

La porte conducteur s’ouvre et une imposante silhouette, qui n’est pas sans rappeler celle de Lino Ventura première époque, surgit sur la petite esplanade de terre battue où est garée la voiture.

Imperturbable, Nathalie continue son annonce :

— Il va emballer soigneusement vos “trésors” dans du papier bulle, et les placer délicatement dans la malle qui attend tout spécialement dans le coffre, et qui sera maintenue en lieu sûr pendant ces trois jours de fête pour vous. Trois jours sans appel parasite, ou de posts Facebook sans intérêt. Trois jours sans visionner des séries loin d’être toujours passionnantes. Trois jours sans musique casse-tympans dans vos oreilles. Un avant-goût de paradis, non ?

Un murmure révélateur de leur mécontentement parcourt le groupe d’arrivants, visiblement réticents à l’idée de se débarrasser de leur cordon ombilical informatique. Et en prime, d’être passés au “détecteur”. Drôle d’accueil…

— C’est vraiment nécessaire ? rétorque une voix féminine dont la sécheresse de ton laisse augurer un tempérament peu amène.

Un autre coup d’œil à ses fiches, et Nathalie reprend, avec un sourire désarmant :

— Madame… madame Carpentier…

Pas le temps de finir sa phrase, la madame Carpentier en question continue, comme si elle n’avait pas été interrompue :

— On peut avoir à m’appeler pendant le weekend, il peut y avoir une urgence au bureau, dans la famille ou je ne sais où, j’ai absolument besoin de garder mon téléphone ! J’ai aussi besoin de mon ordinateur. Je suis journaliste, et aussi scénariste et dessinatrice ; si une idée me vient, j’ai besoin de la noter immédiatement !

Nathalie sourit toujours, mais ses proches vous diraient que, là, elle est passée, très discrètement, du mode “sourire spontané” au mode “sourire professionnel, valeur 2,95 euros”.

— Je comprends tout à fait et je vous assure que, là où nous allons, vous aurez tout le papier et tous les stylos, feutres ou crayons dont vous pourriez avoir besoin. Pour les autres, soyez tranquilles, vous ne serez pas coupés du monde moderne : vous serez logés dans un endroit très particulier mais qui dispose, dans chaque chambre, d’une télévision HD avec tous les bouquets de chaînes possibles, d’un lecteur DVD avec une sélection de nombreux films, d’une radio et d’un lecteur de vinyles, autrement dit un électrophone, comme on disait il y a quelques années.

Je sais que ce que je vous demande est une forme de sacrifice difficile pour certains d’entre vous mais je vous rappellerais que vous avez tous signé, et que vous nous avez renvoyé, un formulaire en bonne et due forme, dans lequel vous acceptiez sans réserve les éventuelles contraintes “raisonnables” – c’est le mot exact employé dans le texte – que nous serions susceptibles de vous imposer dans l’intérêt de l’organisation des animations.

J’ajoute que, dans la même décharge, il vous était demandé de laisser un message sur vos smartphones, qui renvoyait à un numéro à appeler en cas d’urgence, à compter de ce vendredi, 17 heures. C’est exact ? Vous l’avez bien tous fait ?

Un brouhaha d’approbation se fait entendre. Nathalie continue :

— Afin de calmer vos éventuelles inquiétudes, bien compréhensibles, je vous confirme donc que, à compter de cet instant, quiconque vous appellerait pour un motif urgent serait mis en contact avec l’un de nos permanents, et que vous seriez immédiatement prévenus si nécessaire, où que nous soyons. Vous êtes rassurés ? Et je vous précise enfin que votre hôte, dont je vous dirai un mot dans un instant, est quelqu’un d’extrêmement discret qui ne veut pas que la moindre image sorte de son “domaine”.

La petite tension qui régnait après l’annonce de la confiscation des objets électroniques s’estompe lentement, telles les volutes d’un rond de fumée se fondant dans l’air ambiant. Les visages jusque-là un peu contractés commencent à se dérider, et quelques sourires discrets font même leur apparition. Pendant que le chauffeur en livrée s’occupe des bagages, Nathalie manipule avec dextérité autour de chaque invité une espèce de raquette de ping-pong, un détecteur de métaux ultrasensible, qui lui permet de faire quelques trouvailles intéressantes, immédiatement rangées dans la malle dédiée aux divers autres objets électroniques… Mais peu de personnes ayant “triché”, chaque couple s’engouffre vite, avec des yeux de gamin découvrant le sapin de Noël garni de tous ses cadeaux, dans ce véhicule hors normes, à l’esthétique discutable. Et qui, pourtant, représente le summum du luxe et du confort. J’en connais qui ajouteront « et du gaspillage, et de la pollution », mais ceci est un autre débat. Cinq immenses canapés en cuir grège attendent à l’intérieur, deux de chaque côté, disposés en quinconce, tandis que le cinquième, adossé au siège du chauffeur, semble réservé, à première vue, aux conversations plus intimes. Quant au décor, il rappelle celui du carré VIP d’une boîte de nuit, avec son faux plafond chatoyant, tapissé de lamelles dorées, et ses éclairages indirects ou tamisés. Une console diffuse en sourdine I Will Always Love You de Whitney Houston, pendant que tous s’extasient devant les multiples seaux à champagne, évidemment garnis de glaçons, et autres rafraîchissements encastrés élégamment entre les sièges. Chaque couple a, sans surprise, choisi une banquette différente, et chacun y va de son superlatif pour décrire cet environnement digne d’un milliardaire texan. Une fois tout le monde installé confortablement, Nathalie reprend la parole, debout tout à l’avant de cet espace luxuriant :

— Bienvenue à toutes et à tous ! Bienvenue pour ce week-end mystère qui a un seul but : vous offrir des émotions nouvelles, des plaisirs particuliers et des moments originaux qui marqueront votre vie à tout jamais. Je ne vous en dirai pas plus si ce n’est que notre destination finale est, comme cette voiture, un endroit de rêve, et que ce n’est qu’une fois arrivés que vous rencontrerez vos hôtes, monsieur Frédéric Le Cornec, rédacteur en chef d’À l’ouest du Couesnon, et monsieur Patrick Charrier, le directeur du journal. Allez ! Maintenant, j’appuie sur ce micro soigneusement dissimulé dans la cloison, et je prononce la formule magique : « James, je vous en prie, démarrez et emmenez-nous pour ces trois jours de rêve ! »

*

Retour dans le présent. La “panthère rose” continue son périple dans les rues guingampaises. Après avoir descendu le boulevard Clemenceau et la rue Yves-Riou, elle se retrouve bien vite dans la rue de la Trinité, toujours devant les regards éberlués des passantes et des passants, nombreux à faire leurs achats en cette fin d’après-midi de week-end pascal. À l’invitation de Nathalie, les passagers de Pinky ont commencé à déboucher les bouteilles de champagne, et à faire honneur aux divers sandwichs et petits-fours, salés et sucrés, soigneusement disséminés sur de petites tablettes. Visages qui se décrispent de plus en plus, verres qui s’entrechoquent entre les mains de ces étonnants voyageurs… Même si les présentations n’ont pas encore été officiellement faites, nul doute que le voile de timidité qui entourait le groupe d’invités il y a encore cinq minutes se lève inexorablement. Comme une guide digne de ce nom, Nathalie continue à commenter le paysage pittoresque de cette « petite cité de caractère », au charme incontestable.

— Voilà, nous arrivons à un carrefour très célèbre à Guingamp, et vous avez sur votre droite le monastère des augustines, un superbe monument construit avec les pierres d’un ancien château, qui abrite, depuis plusieurs décennies, l’hôtel de ville. La grande avenue que vous apercevez et qui mène à un immense jardin public porte en fait le curieux nom de « place du Champ au Roy ». Attention à vos verres, James va devoir maintenant entreprendre une manœuvre difficile pour s’engager dans la principale rue commerçante de Gwengamp, le nom breton de la ville. Ouvrez grand vos yeux, parce que dans les cinq minutes à venir vous allez avoir beaucoup de surprises architecturales à découvrir.

Avec un tel engin, s’engager dans la rue Notre-Dame demande une précision de conduite impeccable, mais James connaît son métier, et l’énorme voiture descend à très petite vitesse une voie étroite où les véhicules stationnés ont intérêt à replier leur rétroviseur s’ils ne veulent pas retrouver du verre cassé au retour de leurs courses. À l’intérieur de l’immense habitacle, l’atmosphère devient de plus en plus dissipée, et les rires se multiplient.

— Sur votre gauche, la magnifique basilique Notre-Dame-de-Bon-Secours, avec sa porte Renaissance, et soyez attentifs, tout de suite après, cette étrange maison de granite dotée d’une tourelle d’angle, une maison appelée ici « l’hôtel de la duchesse Anne ».

Si les passagers se détendent de plus en plus, montrant un intérêt limité pour ces monuments pourtant chargés d’histoire et de beauté, à l’avant de Pinky, Nathalie ne parle plus. Elle se met à toussoter, genre La Dame aux camélias dernier chapitre, et entre deux quintes qu’elle essaie en vain de contrôler, elle arrive à bredouiller :

— Ex… kof-kof… excusez-moi… kof… je vais… kof-kof-kof… vous laisser quelques… kof-kof… instants…

Difficile pour les occupants des divers canapés de voir la suite des événements. Nathalie se tenait tout près de la banquette adossée à l’habitacle du chauffeur, avec un éclairage qui ne laissait voir que sa tête. Et Nathalie a disparu. Comme par enchantement. Tour de magie inclus dans le spectacle ? « Sans doute ! » pensent Hugues et Laure, qui occupent le siège le plus proche de leur guide mystérieusement volatilisée. Du côté des autres invités, le silence ne revient pas instantanément, surtout chez ceux qui entament leur deuxième coupe de champagne. Il revient beaucoup plus vite quand les vitres teintées se mettent à s’obscurcir progressivement, occultées par un rideau métallique qui descend inexorablement le long de leur surface, les rendant totalement imperméables à la lumière. D’un coup, bruits de verre et de conversation ont cessé. Une voix dépourvue de la moindre inquiétude s’élève pour dire, d’un ton mi-figue mi-raisin :

— Tu parles d’une balade touristique ! « Mesdames et Messieurs, sur votre gauche, la tour Eiffel. Attention ! N’oubliez pas de fermer les yeux pour mieux la voir ! »

Une voix féminine lui répond d’un ton ferme :

— Tais-toi, Laurent ! Tu as bien vu que la petite avait un problème de toux… Elle va boire un verre d’eau pour se remettre, et elle va vite revenir pour reprendre la visite !

Le temps pour Marine Vignol de finir sa phrase, les diverses lumières de l’habitacle se mettent soudain à baisser d’intensité. Lentement. Sûrement. Une demi-minute à peine s’est écoulée depuis la disparition de Nathalie. Huit personnages en quête de surprises se retrouvent plongés dans l’obscurité la plus complète. Le noir absolu.

*

La voiture roule toujours, et semble changer de direction très souvent. Même si les bruits extérieurs restent très atténués par le capitonnage des parois extérieures et les rideaux métalliques, d’occasionnels bruits de voitures ou d’avertisseurs se font entendre. Les passagers ne sont pas longs à réagir : briquets et allumettes ont déjà jailli de certaines poches, et leur lumière ténue ne fait que mettre en scène des ombres fantomatiques qui cherchent désespérément une source de lumière plus importante. Heureusement, Laure, toujours prévoyante, finit après quelques secondes de recherche par trouver au fond de son sac à main une mini-lampe torche à LED, sœur jumelle de celle qui est accrochée à son porte-clés de voiture. Et qui a échappé au contrôle de Nathalie puisqu’elle ne comporte pas de partie métallique. Ce retour à un éclairage plus vif, même s’il reste très focalisé, apporte un soulagement certain aux compagnons d’infortune du pharmacien et de notre héroïne. Un tsunami de soupirs déferle dans l’habitacle.

— Enfin, un peu de clarté, merci ! lance avec un soupçon d’optimisme une voix féminine, bien posée, que la situation semble amuser.

Pas la même chanson chez tous les autres invités :

— Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ?

— Un week-end mystère, je veux bien, mais je ne comprends pas l’intérêt de cette sinistre plaisanterie !

Deux voix masculines quelque peu irritées, que Laure s’empresse de rassurer, avec sa torche dans la main. Sa voix a d’abord du mal à se faire entendre dans la cacophonie ambiante, mais quelques bruits de couteau, frappés contre un verre par Hugues, rétablissent bien vite silence et attention.

— Écoutez tous ! S’il vous plaît ! Je sais que nous n’avons pas été présentés avant de monter dans la voiture et que, a priori, nous ne nous connaissons pas, mais puisque j’ai la chance d’avoir cette lampe, vous me permettrez de commencer les présentations moi-même, parce que je n’ai nullement l’intention de me laisser balader aveuglément dans cette prison roulante, même de luxe, sans réagir. Je m’appelle Laure Saint-Donge, je suis journaliste et auteur de polars, comme on dit.

— OK ! reprend une des deux voix mâles qu’elle a interrompues. Je vais me présenter aussi : Gilles Forgeront, avec un « t » au bout, dentiste à Pléven. Entre Lamballe et Plancoët. Et maintenant, je peux vous dire que j’ai compris votre petit jeu, que vous me permettrez de qualifier de stupide. Vous avez organisé tout ça en vue de votre prochain roman, c’est ça ? Juste une répétition générale, pour voir comment de vrais êtres humains réagiraient dans une situation pareille ? C’est peut-être très intéressant pour votre métier, mais, en attendant, vous êtes en train de nous gâcher ce week-end qui s’annonçait original et qui va s’avérer n’être qu’une vaste perte de temps. Permettez-moi de vous dire que je trouve votre idée scandaleuse ! J’ai déjà entendu votre nom mais je n’ai jamais lu un de vos bouquins, et ce n’est pas votre lamentable blague qui me donnera l’envie d’en lire un.

Au milieu d’autres murmures, apparemment moins vindicatifs à son égard, Laure reprend la parole, avec une pointe d’ironie dans le ton, non dissimulée.

— Monsieur Forgeront, avec un « t » à la fin – à moins que vous ne préfériez Docteur ? –, merci pour votre intervention qui va me permettre de tout remettre à plat ! J’écris des polars, c’est vrai, mais je n’ai pas besoin de monter ce genre de scénario pour avoir des idées de roman. C’est le premier point. Deuxièmement, et j’espère que cela va vous rassurer, j’ai été flic pendant des années à la BRB, la brigade de répression du banditisme. Des situations inattendues, j’en ai connu plusieurs fois et je peux vous dire que quand vous avez de vrais malfrats en face de vous votre taux d’adrénaline monte en flèche. Nous ne sommes pas du tout dans le même cas en ce moment. Vous avez accepté, nous avons accepté, mon compagnon Hugues et moi, de jouer le jeu pendant trois jours. Moi, je trouve que depuis le début on a quand même de quoi remplir notre valise à souvenirs. Donc, ce que je vous propose, c’est de prendre tout ça du bon côté, de continuer à vous amuser et de vous resservir du champagne. Personnellement, je reprendrais bien une flûte, mon chaton – dit-elle en se tournant vers son pharmacien. Par contre, je suis d’accord avec monsieur Forgeront sur un point : cette balade dans le noir nous empêche de profiter des merveilles de cette ville, c’est dommage. Je vais donc profiter de ma lampe pour essayer de trouver le moyen d’ouvrir cette porte mystérieuse, et pour rejoindre Nathalie, qui doit en ce moment bien rigoler avec le chauffeur. Je lui dirai que la plaisanterie a assez duré à notre goût, si vous êtes d’accord ?

Un flot d’approbations diverses envahit la partie arrière de Pinky, encourageant Laure à partir immédiatement à la recherche du système qui lui permettra d’ouvrir ce passage caché entre le canapé adossé au siège du conducteur et le côté avant droit de la voiture. Cinq bonnes minutes de tâtonnements à essayer de dénicher une hypothétique poignée, ou un bouton quelconque. Le mini-rayon de sa torche explore chaque recoin, espérant au moins entrevoir un filet de lumière ou quelque chose qui pourrait ressembler à une charnière ou à des gonds. Elle scrute même la moquette, centimètre par centimètre, s’accrochant à l’espoir ténu d’apercevoir de discrètes traces de chaussures qui lui indiqueraient la piste à suivre. Quand elle se relève, bredouille et déçue, le silence qui régnait pendant ses investigations à la Sherlock Holmes fait place à un tohubohu duquel émergent quelques cris d’hystérie ou de colère. Dans l’espace clos réservé aux passagers, la lumière déjà faiblarde s’estompe de nouveau. Le stock d’allumettes détenu par un des invités à cette drôle de fête vient de s’épuiser, et le seul briquet encore valide donne des signes annonciateurs d’une agonie imminente. Et comme les autres briquets sont dans les valises…

Une nouvelle voix mâle se fait entendre, dégageant une impression de puissance et de franche indignation. Ses mots sans ambiguïté reçoivent aussitôt un soutien vigoureux et général.

— Y en a marre ! On ne va pas se laisser trimbaler comme des pantins dans cette voiture fantôme. J’ai bien évidemment essayé d’ouvrir la portière arrière mais elle est verrouillée, alors je vous propose que nous nous mettions par groupes, et que nous tambourinions sur cette cloison jusqu’à ce qu’ils nous ouvrent !

Laure reste muette, sans doute consciente de l’inutilité de la démarche, mais en même temps, elle comprend qu’il faut bien essayer quelque chose.

Elle se contente de braquer le faisceau faiblissant de sa torche sur l’homme qui vient de prendre les choses en main, et qui s’avance vers l’avant du véhicule, d’un pas décidé.

À hauteur de LSD, il se tourne vers elle, et son visage étrangement déformé par la lumière artificielle apparaît sans qu’on puisse vraiment détailler ses traits.

— Ah ! Désolé ! J’ai oublié de me présenter. Fabrice Gélin, principal du collège des Quatre-Vents à Trémuson. Allez ! Qui vient m’aider ? Je ne me rendais pas compte, vu de l’arrière, mais je crois qu’on peut taper à quatre à la fois !

Hugues et monsieur Forgeront, accompagnés d’une invitée, encore inconnue, joignent leurs efforts à ceux du directeur d’établissement. Laure, restée en retrait, regarde ces quatre ombres s’acharner avec leurs poings sur la cloison, se retenant, difficilement, de rire. Attitude peu charitable seulement en apparence, car en fait, LSD a tout de suite remarqué que toute la cloison est capitonnée, et vraisemblablement insonorisée. Donc, ils ne doivent rien entendre à l’avant, seulement ressentir de vagues vibrations, et encore. Sans pitié, elle laisse son Hugounet s’escrimer sans répit, tout en tendant l’oreille. Les bruits perceptibles de là où elle se trouve n’ont pas plus d’ampleur que celui que l’on fait en tapant sur un oreiller le matin pour lui redonner sa forme originelle. Dix minutes se passent et les tambourineurs de l’impossible, épuisés et déçus, s’apprêtent à passer le relais. Les passagers n’ont plus la force de parler, éreintés par l’effort ou la peur et ne s’échangent plus que des murmures. Un demi-silence que fait exploser d’un coup un air de musique classique, à la fois envoûtant et terrorisant, un passage de l’œuvre de Carl Orff, Carmina Burana, intitulé « O Fortuna », diffusée par une sono poussée au maximum. Pour les non-mélomanes ou pour ceux qui ont rejeté Carl Orff de leur discothèque pour des raisons liées à ses rapports avec le national-socialisme, disons que c’est un chœur très puissant qui commence pratiquement en chuchotant et qui va crescendo jusqu’à un final époustouflant à ne pas mettre entre toutes les oreilles sans les prévenir. Un air impressionnant, d’autant plus dans le noir absolu, qui ne laisse pas indifférent, surtout les quelques invités qui n’ont jamais entendu l’œuvre. Heureusement, la divine torture ne dure que deux minutes trente. Et le silence qui s’installe ensuite est toujours de Carl Orff. Un silence de courte durée.

Sur le même ton enjoué qu’avant son départ, la voix douce de Nathalie retentit de nouveau à travers les haut-parleurs dissimulés çà et là :

— Alors ? Comment vont mes invités préférés ? J’ai cru entendre depuis mon départ précipité que vous n’avez pas tous apprécié cet obscur intermède…

Avant que les huées de protestation ne prennent de l’ampleur, elle enchaîne.

— Ne vous en faites pas, la visite de la ville de Guingamp aura bien lieu, et vous en saurez beaucoup plus très prochainement. Je peux seulement vous dire pour l’instant que le programme qui vous attend pour les jours à venir vous fera nous pardonner très vite ces quelques minutes inattendues et désagréables. En fait, je dois vous avouer que le metteur en scène de votre week-end, celui qui vous a concocté toutes les surprises passées et à venir, a un sens de l’humour très particulier, et qu’il lui arrive parfois d’avoir des idées étranges. Mais rassurez-vous, c’est un homme qui a beaucoup de talent et vous vous en rendrez compte très vite. Je sais que vous aimeriez bien retrouver la lumière, d’autant plus que j’ai l’impression que la torche de mademoiselle Saint-Donge est en train de rendre l’âme, mais cette période ténébreuse fait partie du jeu. Elle n’a qu’un but, vous mettre dans l’ambiance, vous préparer à découvrir la splendeur d’un endroit extraordinaire, et je peux vous certifier que vous ne serez pas déçus. Pour votre information, sachez que nous venons de quitter Guingamp et que nous nous dirigeons vers notre destination finale. Il faut compter une grosse vingtaine de minutes, et comme je suis certaine que vous avez tous envie de vous remettre de vos émotions, je vous conseille de prendre un petit remontant, vous n’avez pas que du champagne à votre disposition, ne l’oubliez pas… Vous me direz que ce n’est pas facile de se servir dans le noir, ce qui est vrai, vous allez donc retrouver un peu de lumière.

Les différents spots éclairant l’immense salon roulant de la limousine reprennent progressivement leur luminosité initiale, accompagnés d’un immense soupir de soulagement poussé en chœur par les passagers.

— Au moins maintenant, vous pourrez vous servir sans en mettre partout… Par contre, je suis au regret de vous confirmer que, pour des raisons de discrétion et bien sûr pour préserver le secret de notre destination, les fenêtres garderont leur rideau opaque. Allez ! Récupérez bien de vos émotions, et dites-vous que votre supplice, entre guillemets, n’a pas été si pénible… Pensez à tout ce qui vous attend ce soir et durant les trois jours à venir !

Un message reçu très différemment par les huit compagnons de ce mystérieux voyage. Du côté du docteur Forgeront, le dentiste, la réaction est sans ambiguïté.

Dans la lumière revenue, il se lève, se tourne vers les autres, la mine déconfite, et lâche :

— Quel que soit le beau discours que l’on vient d’entendre, je trouve inadmissible ce que l’on nous a fait subir et ce voyage en aveugle qui n’avait rien d’agréable ni d’amusant. J’étais venu pour passer de bons moments, inattendus, dans une ambiance sympathique et avec des animations dignes de ce nom. En prime j’étais évidemment impatient de voir les récompenses qui nous ont été décernées. Personnellement – il se tourne vers sa femme –, je pense que, sauf miracle, dès que nous serons arrivés, je demanderai à récupérer ma voiture et je vous abandonnerai. Tu es d’accord, chérie ?

La “chérie” en question opine du chef, et s’empresse d’ajouter son commentaire, sur un ton plutôt enjoué – sans doute la conséquence de sa quatrième flûte de champagne.

— Je suis totalement d’accord avec Gilles. Si le week-end commence dans un tel état d’esprit, même si ce qu’a dit Nathalie est plutôt rassurant, moi, je n’ai pas envie de perdre mon temps avec leurs délires.

Et la silhouette longiligne se rassied, se versant au passage une nouvelle flûte.

Au tour de Fabrice Gélin de faire son petit speech, qui va pratiquement dans le même sens que celui des Forgeront. Pourtant, son discours est vite interrompu par l’intervention de Laure, dans laquelle on sent toute l’expérience d’une femme qui a connu bon nombre de situations hors du commun :

— Merci, monsieur Gélin, je comprends très bien votre réaction. Je voudrais juste clarifier quelques points avant que vous ne preniez toutes et tous votre décision. J’ai été invitée à participer à cet événement non pas à titre personnel, mais comme compagne de mon voisin – qui se lève aussitôt – Hugues Demaître, pharmacien de son état à Trémel, à côté de Plestin-les-Grèves. Monsieur Forgeront a sous-entendu tout à l’heure qu’en tant qu’autrice, ou auteure comme vous préférez, de romans policiers, je pourrais être à l’origine des curieuses aventures que nous venons de vivre. Je vous avouerais juste que les derniers événements constituent, c’est vrai, un départ parfait pour un polar, mais je n’y suis vraiment pour rien. Cela dit, pour aller à l’encontre des réactions que nous venons d’entendre, moi, je serais d’avis de laisser une chance aux organisateurs de ce week-end. Personne ne sait ce que nous réservent les heures qui viennent et, à titre tout à fait personnel, je dirais, comme on le fait dans les télécrochets, que je suis d’accord pour continuer l’aventure. On est en France, au XXIe siècle, et je ne pense pas qu’on ait beaucoup souffert des minutes qui viennent de s’écouler. On ne va pas nous torturer ni nous assassiner après avoir montré tant de détermination à se faire remarquer dans les rues de Guingamp. Alors, voici ce que je vous propose, et je prononce ces mots en sachant bien que Nathalie nous écoute forcément grâce aux divers micros qui doivent être dissimulés un peu partout. En arrivant, nous jouons le jeu pendant une heure, maximum deux. Et si, à l’issue de ces premières heures, on sent que quelque chose ne tourne pas rond, alors on demande, tous ensemble, à partir. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Le râleur de service, Gilles Forgeront, répond en premier avec une aigreur certaine :

— Votre raisonnement ne tient pas debout. Puisque vous savez que Nathalie a entendu ce que vous venez de nous proposer, je devine qu’ils vont s’arranger pour que nous soyons gâtés pendant les deux premières heures, et après, les emmerdements commenceront ou plutôt recommenceront !

— Je ne tenais pas à vous mentir, rétorque Laure avec une certaine ironie, car elle a cerné le caractère du dentiste. Il est évident que nous sommes écoutés, mais il est évident aussi que nous ne serons pas seuls là où nous allons. Il y aura peut-être d’autres invités et surtout, surtout, la presse sera là. On ne risque pas grand-chose, si ce n’est une bonne surprise. Je suis partante pour rester, si j’ose employer cette expression. – Ah ! La richesse de la langue française.

— Personnellement, continue Hugues, je pense que ces trois jours peuvent être une excellente occasion de faire connaissance entre nous, c’est le premier point, et ensuite nous allons peut-être faire des découvertes passionnantes. Ce serait dommage de ne pas rester tous ensemble pour en profiter. Si on votait pour connaître les opinions des uns et des autres ?

Gilles Forgeront reste coi, se contentant de faire la moue, grimace qui passe inaperçue, sous le faisceau discret des lumières tamisées. Plus d’enthousiasme chez sa femme, qui lance :

— Moi, je suis d’accord pour voter.

Une succession de « Moi aussi ! » ne fait que conforter la proposition d’Hugues. Même le principal du collège de Trémuson, Fabrice Gélin s’est joint aux partisans du scrutin.

Moins de deux minutes plus tard, le vote à main levée révèle son verdict.

Par sept voix pour et une abstention, la décision de « continuer le voyage » est adoptée. Ce qui s’arrose, bien évidemment.

Cinq minutes plus tard, la limousine a sérieusement ralenti. Elle est pratiquement arrêtée quand la silhouette de Nathalie réapparaît dans l’habitacle tout aussi mystérieusement qu’elle en avait disparu.

— Nous sommes arrivés à destination ! Votre vrai week-end va commencer…

Dans les yeux de Laure passe une étrange lueur.

II

Saint-Pol-de-Léon, Finistère

Atmosphère plus tranquille rue de Kerivarch à Saint-Pol-de-Léon. Assise confortablement dans le salon, Ann Fitzpatrick joue à la dînette avec Monia, sa nièce. Qui est devenue plus que la fille de sa sœur au fil des mois. Les yeux de la jeune femme, ancienne collègue de Laure du temps de la BRB, n’ont plus ces reflets de tristesse qui envahissaient en permanence son regard, il y a encore quelques semaines. Elle répète pour la énième fois des gestes identiques, faisant semblant de boire un thé imaginaire, versé d’une théière en plastique dans une tasse tout aussi factice, après en avoir soigneusement touillé le contenu, directement venu du robinet de l’évier. Le temps de déguster, pour de faux, une part de gâteau en bois surmontée d’une cerise, et elle sourit au petit angelot qui fait le service.

La gamine aux boucles d’or joue son rôle avec le plus grand sérieux, s’empressant de débarrasser la tasse avant même qu’Annef, le surnom de la jeune femme, n’ait eu le temps de tremper ses lèvres dans le breuvage servi avec tant de zèle.

Pendant que la petite s’affaire à remplir de nouveau sa simili bouilloire, l’amie de Laure pense avec un mélange d’émotion et de joie à sa nouvelle vie, à son nouveau rôle, celui de “tata-maman”. Un emploi inattendu que LSD a réussi à lui faire accepter avec un art de la psychologie hautement développé.

À moins d’un mètre d’elle, son ordinateur portable l’attend, elle le sait, mais pour l’instant, rien ne mérite plus d’attention que cette adorable bouille légèrement rondouillarde, parsemée de discrètes taches de rousseur. L’espace d’une infime seconde, l’envie de rouvrir son ordi la titille, mais déjà Monia revient de la cuisine, portant un petit plateau et deux tasses.

De sa voix fluette, et du haut de ses presque 5 ans, elle lance :

— Voici votre thé, Madame ! Et je vous ai apporté aussi une part de gâteau.

Et Ann, imperturbable, joue encore une fois les étonnées… consciente que de la justesse de son interprétation dépend le bonheur immédiat de sa nièce.

*

Le retour au soleil des huit passagers se fait après une courte période d’accoutumance. Le temps pour leurs yeux de s’adapter à cette luminosité qui contraste tant avec l’ambiance tamisée de Pinky, la somptueuse, et curieuse à la fois, limousine rose. Ce que leurs regards découvrent alors justifie pleinement les remarques de Nathalie, juste avant leur arrivée. Devant eux un vieux manoir, en forme de L, avec une impressionnante tourelle circulaire d’au moins sept mètres de diamètre qui en estompe l’angle. Le tout en vieilles pierres du pays avec des embrasures de fenêtres d’époque, ornées de parements et de linteaux de granite. Le bâtiment se dresse sur trois niveaux avec un toit en lauzes et des chiens-assis minuscules qui ajoutent un charme indéfinissable à la demeure. Au premier coup d’œil, le manoir paraît dater du XVIe ou XVIIe siècle mais il est évident qu’une restauration astucieuse y a été menée récemment, dans le respect complet de l’histoire de ce vestige des temps anciens. Les nouveaux arrivants n’ont pas le temps de s’appesantir devant la beauté indéniable de ces vieilles pierres, car Nathalie se fait un devoir de les rassembler autour d’elle pour leur tenir un nouveau discours. Devant l’animatrice, au milieu de la cour, les divers participants à cette excursion impromptue affichent un calme surprenant, surtout après leurs échanges peu amènes qui remontent à quelques minutes à peine.

— Bienvenue dans cette demeure ancestrale, au charme certain vous en conviendrez, qui sera votre résidence officielle pendant ces trois jours. Je serai brève et évoquerai juste en quelques mots l’histoire très riche de cet édifice. Nous sommes à Bégard, une cité pleine de caractère, que vous connaissez forcément tous de nom, et où les manoirs sont nombreux. Vous êtes ici devant celui de Coat-Guidel, qui fut tout d’abord un simple pavillon de chasse bâti par le chevalier de Gwenezhan, du nom d’un des cinq villages qui contribuèrent en 1793 à la création de la ville qui s’appelait alors Bear. Le manoir s’est agrandi au fil des générations mais est resté la propriété de la famille de Gwenezhan jusqu’à la Révolution. Au début du XIXe siècle, le bâtiment fut acquis par un armateur malouin qui le transmit à ses enfants. Ils en firent une propriété de famille jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Depuis 1949, le manoir a connu trois propriétaires, dont le dernier en date, qui en a pris possession en 2004, a apporté de multiples arrangements intérieurs, et n’est autre que votre hôte du week-end, j’ai nommé – son bras montre la porte du manoir – : monsieur Patrick Charrier, directeur du journal À l’ouest du Couesnon.

Un jeune quinquagénaire apparaît dans l’embrasure de la porte de granite percée entre la tour centrale et l’aile droite du bâtiment. De taille moyenne, silhouette légèrement voûtée, calvitie avancée, une petite bedaine en prime, l’homme qui s’avance vers eux dans une tenue décontractée, pantalon de toile bleu et veste de tweed, n’a rien du patron de presse à l’américaine. Et pour cause, son journal ne doit tirer qu’à 40 000 exemplaires chaque semaine. Le pas de l’homme est ferme, ses chaussures crissent sur les graviers qui recouvrent toute la cour intérieure, et dont les couleurs sont assorties à celles des pierres du manoir. Il marche une cinquantaine de mètres et se plante derrière un pupitre visiblement disposé là à son intention, tout près de ses hôtes.

Dans la cour ceinturée de hauts murs, l’atmosphère reste étrangement tendue. Comme si cette sombre virée, c’est le cas de le dire, dans les rues de Gwengamp, avait laissé derrière elle un relent de tension et d’énervement. Pourtant, personne ne bronche quand Patrick Charrier commence son petit discours.

— Bienvenue à toutes, bienvenue à tous – la voix est assurée, cet homme a l’habitude de parler en public et de donner des ordres, cela se sent à ses intonations. Je suis très heureux de vous accueillir, vous qui êtes les tout premiers lauréats, choisis par nos lecteurs, c’est une précision importante, pour recevoir notre trophée de personnalité costarmoricaine de l’année. Nous procéderons à la remise des trophées ce soir lors d’une petite cérémonie très simple, suivie d’un buffet apéritif et d’un dîner aux chandelles préparés par un des meilleurs traiteurs de la région.

Je salue bien évidemment vos conjoints et conjointes, tout en regrettant un peu que, pour la première édition de ce “concours” amené à se reproduire chaque année, une seule femme ait été choisie. La parité n’est pas encore là, mais ce n’est que partie remise. J’aurai l’occasion de discuter, longuement je l’espère, avec chacune et chacun d’entre vous un peu plus tard dans la soirée, mais pour l’instant je vous laisse avec la malicieuse Nathalie, qui, je le devine, vous a concocté un programme inoubliable pour ces trois jours de fête.