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À la demande d’une amie, Laure se retrouve à Saint-Malo pour protéger une jeune femme agressée sauvagement par son compagnon, trois semaines plus tôt. Une mission délicate qui va l’obliger très vite à mener de front plusieurs enquêtes. Viol, agression, appartement hanté, chantage, drogue, meurtre, LSD va devoir résoudre une série d’énigmes imbriquées les unes dans les autres. Saura-t-elle démêler le vrai du faux ?
Á PROPOS DE L'AUTEUR
Amoureux de la Bretagne depuis toujours, il y a exercé comme vétérinaire – dans le Trégor – durant une quinzaine d’années avant de partir s’occuper de la protection des animaux dans les Cornouailles anglaises pendant 9 ans. De 2008 à 2016 il a travaillé à Bruxelles comme expert en bien-être animal pour une ONG européenne. Ensuite, il a apporté son expérience au sein de l’OABA (OEuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoir) pendant 6 ans, avant de couler maintenant une paisible retraite à Locquirec.
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Seitenzahl: 344
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À Fanny, qui a choisi d’en finir avec la vie à seulement vingt-cinq ans, avec son arme de service, après quatre ans passés à la BAC de Paris et des études à l’École nationale de police de Saint-Malo. Une pensée pour sa famille.
« On ne peut comprendre la vie qu’en regardant en arrière ; on ne peut la vivre qu’en regardant en avant. »
Sören Kierkegaard, philosophe danois
« Mieux vaut allumer une chandelle que de maudire l’obscurité. »
Proverbe chinois
« Il n’y avait que ce cercueil, froid et odieux, pour marquer la distance du bonheur au chagrin. »
Jean-Baptiste Seigneuric, La Conjuration des glaces
Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
Café-Bar Chez Tilly, Locquirec.
Café L’Alambic, Saint-Malo.
Capitainerie du port, Saint-Malo.
Commissariat de police, Saint-Malo.
Distillerie Warenghem, Lannion.
Magasin Kamam, Saint-Malo.
Office de tourisme, Saint-Malo.
Police municipale, Saint-Malo.
Restaurant La Cale-Solidor, Saint-Malo.
Une vingtaine de mètres à peine séparent la salle des délibérés de la salle d’audience. Le président de la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine marche dans le couloir d’un pas tranquille et assuré, échangeant quelques banalités avec ses deux assesseurs. Deux pas derrière, les six jurés avancent à pas lents, le regard fixe. Sans s’adresser la parole. Chacun semble s’interroger sur le poids de la décision qu’il vient d’exprimer, ou plus exactement sur la force de l’intime conviction qui l’a mené à glisser son bulletin dans l’urne qui a circulé autour de la table à la fin des débats. Un simple geste, porteur d’espoirs ou d’illusions dans un isoloir, porteur d’une lourde responsabilité dans le cas présent. La majorité du jury, extrêmement claire, a estimé l’accusé coupable, et l’a condamné à la peine maximum. Huit êtres humains sur neuf qui devaient se prononcer sur des faits immondes : un résultat indiscutable, et pourtant… Dans la tête de chacun de ces six citoyens comme les autres, devenus jurés le temps d’un procès, et certainement aussi dans celle des juges, se mêlent deux sentiments : celui d’envoyer en prison un être malfaisant, nuisible pour la société, et en même temps une intense compassion pour la victime. Bien sûr, celle-ci reste libre dans son corps, mais le risque de garder des séquelles psychiques indélébiles pour le restant de ses jours ne fait aucun doute dans leur esprit. De multiples études ou témoignages en attestent : après avoir subi un viol, aucune réduction de peine n’existe pour celle ou celui qui l’a vécu.
Les membres du petit groupe regagnent la salle d’audience ensemble, accueillis par un silence pesant. Le procès s’étant déroulé à huis clos, à la demande de la partie civile, seuls sont présents les avocats, le procureur général et le greffier. Dans son box, surveillé par un policier, l’accusé se tient debout, les mains fermement posées sur la cloison de bois qui le sépare, au moins pour quelques minutes encore, du monde des gens libres. Son défenseur a vainement scruté les visages des neuf jurés, et s’est tourné vers lui, exprimant d’une moue interrogative son incapacité à anticiper si leur décision pouvait être favorable ou non. Le jeune homme attend la sentence en lui lançant un regard vide de toute expression. Le silence à l’entrée du jury ne dure qu’une infime poignée de secondes, une éternité pour la victime. Même si elle a juste vingt ans, ses yeux envahis de larmes et son maquillage dévasté lui donnent l’impression d’en avoir dix de plus. Le président de la cour d’assises, un homme dans la force de l’âge, le bas du visage dissimulé sous une barbe poivre et sel, taillée impeccablement, ne sait que trop que ces quelques instants précédant le prononcé du verdict figurent parmi les plus difficiles de l’ensemble du procès. Il ne fait pas durer le suspense, et énonce le jugement. Le seul à sourire, mais avec la discrétion propre à sa charge, est l’avocat général. La peine étant conforme à ses réquisitions, sur le plan professionnel il ne peut que s’en réjouir. Tous les autres magistrats ou avocats jouent leur rôle avec conviction, et avec professionnalisme. Même s’ils savent que personne ne sort jamais indemne d’un procès d’assises.
La jeune femme est en pleurs, et personne n’aura le culot ou l’indécence d’affirmer que ce sont des larmes de soulagement. Les trois jours de débats ont ravivé des plaies profondes qu’aucun psychologue n’a réussi à atténuer jusqu’alors. Elle essaie de trouver la force de tourner les yeux vers son bourreau, espérant pouvoir, à distance, lui exprimer sa haine. Elle n’en a pas le courage. Quant à son tortionnaire, il s’efforce de garder un visage impassible, tout en échangeant quelques mots avec son défenseur. Mais derrière la façade visible, apparemment indifférente, se cache un mental anéanti. Il vient d’être condamné à quinze ans d’emprisonnement. Son avocat l’a prévenu : en cas de condamnation à la peine maximum, sauf miracle, il ne peut espérer au mieux qu’une libération après dix ans de détention. Dix ans ! Il en a bientôt vingt, et il va gâcher toute sa jeunesse derrière des barreaux. Inimaginable ! Surtout quand on est né avec une cuillère en argent dans la bouche.
*
Un peu plus de 2 heures du matin. Le hurlement des sirènes des voitures de police et de l’ambulance ne risque pas de passer inaperçu dans la partie sud de la ville close. Compte tenu de l’étroitesse des rues et de la configuration de la cité, avec tous ses immeubles ou hôtels particuliers, les bruits se répercutent de mur en mur, sortant de leur sommeil résidents et vacanciers. Nous sommes rue de Toulouse, dans une ruelle relativement peu commerçante, où les soirées sont plutôt tranquilles. Un cordon de police a rapidement été mis en place pour éloigner les badauds et il leur est donc difficile d’en savoir plus. Quelques voix, manifestement des habitants du coin, parviennent quand même à se faire entendre au milieu du brouhaha.
— Apparemment c’est l’immeuble des Livernec. J’espère que ce n’est pas un début d’incendie ?
— Ça m’étonnerait, on ne voit pas de camion de pompiers. Juste les flics et une ambulance.
— Ce doit quand même être sérieux. Regarde ! D’autres voitures de flics arrivent.
— Livernec est chez lui ?
— Au mois d’août ? Ça m’étonnerait. On m’a dit qu’à cette époque de l’année, il part en croisière du côté de la Corse ou de la Sardaigne, sur son yacht. Et de toute façon, il n’habite plus intra*, il n’y a que ses fils qui sont ici.
— Comment tu sais ça ?
— Je connais un peu le gardien de leur hôtel particulier, il me donne quelques infos de temps en temps…
— Eh bien ! Quand tu le reverras, tu pourrais lui demander de dire aux fistons d’arrêter de faire hurler leur moteur quand ils sortent de la cour en pleine nuit ?
— T’as raison, mais attends ! Regarde ! Ils ont ouvert la porte de l’ambulance. Mais je ne vois rien de plus.
Moins de deux minutes plus tard, la sirène reprend de plus belle et se fraie un chemin vers la rue de Dinan, et la porte du même nom. Direction l’hôpital. Les badauds rentrent chez eux dépités de n’avoir aucune information saignante à se mettre sous la dent, tandis que les multiples gyrophares continuent à faire danser leurs lumières bleues sur les murs de granite environnants.
*
Dans le parloir de la “prison de l’Espérance”, le curieux nom de l’établissement pénitentiaire malouin, maître Berger s’entretient avec son client.
— Monsieur Livernec, vous vous rendez compte de la gravité de vos aveux ? Vous allez comparaître à nouveau devant la cour d’assises de Rennes. Mais cette fois, vous serez accusé de tentative d’homicide volontaire, et si la préméditation était retenue la juge d’instruction requalifierait votre motif de mise en examen en tentative d’assassinat, et là, vous risqueriez le maximum. Je vous connais bien, et vous savez comme moi que votre condamnation pour viol pèsera dans la balance, même si vous avez été acquitté en appel. Autrement dit, vous encourez une peine de réclusion de trente ans… Vous êtes encore très jeune, réfléchissez bien ! Vous allez sans doute être transféré au centre pénitentiaire de Rennes dans les jours prochains, et vous êtes bien placé pour savoir que les conditions de détention là-bas seront pires qu’ici. Je vais être clair : votre père a beaucoup insisté pour que je fasse une demande de mise en liberté conditionnelle dès que possible auprès du JLDX*, mais pour qu’elle ait une chance d’aboutir, il nous faudra plusieurs semaines, et certainement plusieurs expertises médicales, notamment psychiatriques. Si vous avez des déclarations à faire qui me permettraient de vous faire comparaître libre devant la cour, vous auriez plusieurs mois devant vous avant le jugement pour profiter d’une vie presque “normale”, sous bracelet électronique, avec évidemment une mesure d’éloignement pour que vous ne puissiez pas approcher votre ex-conjointe. Vous avez bénéficié de cette liberté “surveillée” précédemment, vous en connaissez l’intérêt.
— Maître ! Je connais votre dévouement, et je connais aussi très bien mon père. J’imagine que financièrement, il a mis le paquet pour vous inciter à déployer un maximum d’efforts pour me défendre ! Mais je ne veux pas me battre. Pas cette fois-ci. Ce que j’ai fait est impardonnable, je ne cherche pas la moindre excuse, et je payerai le prix de mes conneries. Quel qu’il soit.
La voix, jusque-là désabusée, quasiment résignée, prend une tournure marquée d’une évidente et sincère inquiétude quand Lucas Livernec demande :
— Je ne sais absolument rien de l’état d’Audrey ? Elle va s’en sortir sans séquelles ?
*
Laure Saint-Donge a colonisé la terrasse du premier étage de sa maison, profitant de l’absence de son père, reparti voir quelques amis au Québec. Le soleil généreux et l’isolement visuel lui permettent de bronzer entièrement nue, allongée sur son bain de soleil, savourant les rayons ultraviolets sans modération grâce à sa crème protectrice. Devant elle, la baie de Locquirec, ses reflets irisés, et une noria de voiliers qui bénéficient d’une légère brise pour profiter pleinement de cette belle journée d’été. Seule ombre au tableau, et le terme ne peut être plus approprié, Laure a mis un chapeau de paille à larges bords, et installé une petite ombrelle au-dessus de sa tête, afin de protéger sa récente et fragile cicatrice des assauts potentiellement assassins de maître Phœbus. Elle somnole à moitié, jetant un coup d’œil intermittent au magazine féminin qui lui propose pourtant des articles passionnants. « Rester bronzée après les vacances : découvrez les vertus de la gelée de topinambours » ; « Comment savoir si c’est juste un coup d’un soir, ou l’homme de votre vie ? Les cinq questions à vous poser. » Mais le seul article qu’elle a dévoré, si j’ose écrire, c’est celui-ci : « Choucroute, couscous, cassoulet, burgers, pizzas ! Mangez-en à volonté sans grossir grâce aux conseils de notre diététicienne. » Vous aimeriez bien que Laure vous révèle le secret, mais elle ne le fera pas. Le bruit d’une voiture vient de se faire entendre dans la venelle qui conduit à la propriété, avec pour effet secondaire immédiat le déclenchement d’une série d’aboiements de Bruxelles. Son étonnant croisement d’un jack russell et d’un cavalier king-charles (mais avec de plus petites oreilles).
LSD a juste le temps d’enfiler un kimono turquoise, qui met si bien en valeur ses cheveux blonds, bouclés et méchés, et elle s’approche de la balustrade pour saluer la nouvelle arrivante, ou plutôt ses deux visiteuses.
— Annef*, Monia ! Vous êtes déjà là ! Tu m’avais dit « pas avant 6 heures » !
— Je sais ! Mais l’anniversaire du copain de Monia à Plestin s’est terminé plus tôt que prévu. Ils étaient en train de s’amuser dans l’eau à la plage des Curés, et Jérémy, son “amoureux”, s’est fait piquer par une vive… Après, il avait trop mal pour continuer à faire la foire.
— Bon, j’arrive ! On va s’installer près de la piscine. Comme ça, Monia, tu pourras t’amuser ! L’eau est à 26 °C.
Moins de cinq minutes plus tard, Laure et Annef se boivent une bière sur la terrasse en bois qui entoure le bassin ovale. Monia, après avoir fait un énorme poutou à sa “tata”, s’est vite jetée à l’eau et s’amuse avec les nombreux jouets gonflables disponibles, le tout sous la surveillance attentive de Bruxelles.
— Tu peux l’emmener en bateau, ou sur le matelas si tu veux, il adore ça !
Aussitôt dit, aussitôt fait…
— Dis donc ! Elle nage vachement bien pour à peine cinq ans !
— C’est la première chose que j’ai faite quand j’ai décidé de rester : l’inscrire à un stage de natation. Avec ce qui est arrivé à son frère, je voulais qu’elle ait une chance de s’en sortir s’il lui arrivait la même chose…
— Pauvre Léo*. Tu as eu raison d’être prudente. Bon ! Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? Puisque tu n’as rien voulu me dire au téléphone…
— Je préférais t’en parler de vive voix, c’est un peu compliqué.
— Je t’écoute.
— Tu connais Saint-Malo ?
— Un peu comme tout le monde par ici ; on y a passé deux ou trois week-ends avec Hugues. Le temps d’explorer la vieille ville, de se balader sur les quais, et d’explorer les alentours, du cap Fréhel au Mont-Saint-Michel, en passant par Dinard, Le Grand Bé, Cancale, et j’en passe. On s’est fait aussi une fois le départ de la Route du rhum. C’était génial, mais putain quel monde ! Et l’année dernière on est allés aux Étonnants Voyageurs. J’aime beaucoup Saint-Malo, même si je garde un petit faible pour Concarneau et sa ville close…
— Le principal, c’est que tu connaisses l’endroit, parce que ce matin j’ai reçu un message surprenant, et j’ai immédiatement pensé à toi en le lisant.
Le visage de Laure, toujours à moitié caché par son ombrelle et son chapeau, se transforme. Ses yeux se plissent et ses lèvres forment une moue expressive.
— C’est gentil de ta part ; j’étais peinarde, je me reposais de l’histoire de Beg-Meil en me laissant vivre et en chouchoutant mon pharmacien préféré, et soudain, j’ai comme une odeur d’emmerdes qui m’envahit les narines…
— N’exagère pas ! En fait, je voulais surtout avoir ton avis sur l’info que m’a transmise une copine de mon ancienne ONG.
— Mais encore ? demande une Laure un tantinet énervée.
— Je te la fais courte. J’avais une collègue que je ne connaissais pas beaucoup parce qu’elle était arrivée après moi et qu’elle travaillait au siège, alors que moi j’étais sur le terrain. Mais on discutait par Skype ou lors des visioconférences. Et on avait sympathisé, malgré la différence d’âge et la distance. Elle me considérait un peu comme la “marraine” de sa fille parce que je l’avais emmenée en stage en Afrique avec moi, et elle savait que j’avais été flic…
— Heureusement que tu me la fais courte… Et que Monia s’éclate dans la piscine !
— OK ! J’abrège. Donc Audrey, la fille de cette copine, a interrompu ses études et est rentrée, il y a plusieurs mois, dans une compagnie de ferries, basée à Saint-Malo.
— Passionnant ! Et alors ?
— J’ai appris ce matin, par sa mère, qu’elle a été poignardée par son petit copain.
— Oh, merde ! Elle est morte ?
— Non ! Mais gravement blessée à l’abdomen. Le mec a avoué tout de suite à la police et est en préventive à la prison de Saint-Malo.
— Elle va s’en sortir ?
— Excuse-moi, j’aurais dû commencer par là… L’agression a eu lieu il y a près d’un mois. Elle semble avoir bien récupéré, et vient juste de sortir de l’hôpital. Voilà à peu près tout ce que je peux te dire. J’ai quelques détails supplémentaires, mais tout dépend de ta décision.
À ces mots, Laure a bondi de son siège. Si elle avait été une porte elle serait sortie de ses gonds.
Ses yeux lancent des éclairs en direction de son ancien binôme, du temps où elles travaillaient ensemble à la BRB de Paris, la brigade de répression du banditisme.
— Mais tu délires, Annef ? Bien sûr je suis contente de te revoir avec la puce, sauf que je pensais te revoir juste pour le plaisir et, là, non seulement ta visite est intéressée, mais tu me parles d’une affaire déjà résolue ! Un cold case… Qu’est-ce que tu veux que ça me foute ?
Ann Fitzpatrick ne s’attendait pas à une réaction aussi violente. La première surprise passée, elle revient à l’attaque sous un autre angle, plus propice, espère-t-elle, à amadouer LSD.
— Désolée, j’ai été maladroite, et quand je t’ai appelée, je n’avais pas du tout l’intention de venir te parler boulot. Mais j’ai eu ce coup de fil imprévu… J’ai réfléchi et je me suis décidée à t’en parler, parce que j’ai pensé que c’était peut-être l’affaire idéale !
— Idéale ! T’as pas peur des mots ! La fille de ta copine ne doit pas partager ton avis !
— Écoute-moi deux secondes. Avant de te contacter, j’ai appelé Hugues et Isabelle. Et tous deux étaient d’accord sur un point : l’échec de ta greffe t’a foutu le moral à zéro, et comme tu n’as plus rien à faire, tu gamberges… Ils m’ont dit qu’il te faudrait une enquête bien peinarde, à ton rythme, et en plus, sans gendarmes ni flics. Une affaire comme celle-là, ils m’ont tous les deux affirmé que c’était pile-poil ce dont tu avais besoin.
Un semblant de sourire éclaire les yeux vert d’eau de la journaliste. Son ton manifeste nettement plus d’enthousiasme quand elle reprend.
— Je comprends mieux… En fait c’est une machination, et c’est toi qui te charges des manœuvres d’approche ? Je te signale quand même que j’ai des articles en préparation ! Donc, ne dis pas que je n’ai rien à faire.
— Tu comprends très bien ce que je veux dire. On se connaît assez, Lolo ! On nous appelait les jumelles à la brigade, non ?
— Lolo ! Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas entendu ce surnom ! réagit Laure, avec un embryon de sourire dans la voix.
— On t’appelait bien comme ça, non ?
— Exact ! Oui, mais il y a une éternité ! Il ne colle plus avec ma nouvelle vie, celle que j’ai choisie en quittant la police. Mais peu importe ! Qu’est-ce que vous avez décidé à ma place ? demande une voix où la colère se devine maintenant derrière un ton sec.
Ann a compris le message. Seule stratégie restante pour convaincre son amie : marcher sur des œufs, à la coquille très fine. Alors elle ruse.
— En fait, contrairement à ce qui paraît, l’affaire n’est pas résolue. L’instruction suit son cours, mais d’après sa mère, Audrey est très inquiète et se sent toujours menacée. Elle aimerait…
— Je t’arrête tout de suite : soit tu me caches quelque chose, soit ton Audrey est hypocondriaque. Si son mec dort en taule elle n’a aucune raison d’avoir peur, non ?
— C’est plus compliqué que cela. Son petit ami…
— Qui a quand même essayé de la tuer…
— Laisse-moi continuer… Son… “ex-copain” se trouve être le fils d’un très gros industriel, Bernard-Ivan Livernec, surnommé BIL à cause de ses initiales, ou Bélier, sans doute en raison de sa manière de se comporter avec les autres. Je me suis renseignée. C’est un “tueur” en affaires, qui ne semble pas avoir le mot “scrupule” dans son vocabulaire. Une des plus grosses fortunes de Bretagne et même de France : une quinzaine d’abattoirs, et autant d’ateliers de découpe, qui fournissent en viande la quasi-totalité des supermarchés à l’ouest d’une ligne qui relierait Le Havre à Biarritz. Tu rajoutes une douzaine de sites agroalimentaires qui font aussi bien des plats préparés que des conserves, une flotte d’au moins cent cinquante camions, un patrimoine immobilier conséquent et diversifié, et tu imagines le profil du bonhomme. Et son poids économique !
— D’accord ! Le père est un requin, pété de tunes, mais je ne vois pas ce que cela change pour ta copine ?
— Elle vivait chez son jules, celui qui l’a agressée, dans un grand appartement intra-muros. Elle a quitté l’hôpital il y a quelques jours et réintégré le logement de son mec, faute de mieux ; elle n’a pas d’autre endroit où aller, puisqu’elle a rendu les clés de son studio, et que l’hôtel, ça coûte bonbon. Mais elle aurait la trouille de rester toute seule, peur de représailles de la part de “beau-papa”… Il est capable de tout apparemment. En plus, elle ne sait pas combien de temps elle va pouvoir rester là, puisqu’il peut la virer à tout moment.
— Elle se fait agresser, et c’est elle qui aurait peur ? Tu m’excuses, je trouve ça aberrant.
— Moi aussi ! Mais je n’en sais pas plus. Le père Livernec lui en veut peut-être pour quelque chose ? In any case, mon ancienne collègue m’a demandé si je pouvais l’aider…
— Pourquoi elle ne retourne pas chez ses parents ?
— Parce qu’ils vivent toujours à Bruxelles, et qu’elle n’a pas envie de lâcher son travail !
— Tu pourrais l’héberger chez toi ? Tu as assez de place dans ta nouvelle maison, non ?
— Je pourrais lui proposer un canapé-lit dans le salon, mais qu’est-ce que tu veux qu’elle en foute ? Elle travaille au terminal ferry du Naye à Saint-Malo. Si elle vient à Saint-Pol-de-Léon, elle va devoir se taper deux heures et quart de bagnole deux fois par jour pour aller au boulot ! Ce n’est pas jouable, alors que là, elle habite intra-muros, à dix minutes à pied de son taf…
— Tu as raison. Donc je reviens au point de départ. Pourquoi a-t-elle les jetons de rester dans l’appart’ et qu’est-ce que je viens foutre dans cette histoire ?
Pour le savoir, rejoignons la cité surnommée la perle de la Côte d’Émeraude…
*
Où nous retrouvons une Laure enthousiaste. Enfin presque, puisqu’elle se demande vraiment si elle a eu raison de rendre ce service à son amie. Après avoir garé, difficilement, sa Mini jaune et noire sur le parking près de la porte de Dinan, LSD a passé l’enceinte des remparts, pris la rue éponyme avant de rejoindre la rue de Toulouse et l’immeuble où réside Audrey Lebrun qui, paraît-il, l’attend avec impatience. La jeune femme affiche un grand sourire en la faisant entrer dans son superbe appartement en duplex situé au troisième étage d’une de ces résidences d’armateurs qui donnent en partie ce cachet si particulier à la cité malouine. Laure s’attendait à un décor vintage ou tout au moins classique, elle a tout faux. Mobilier de style contemporain, aux couleurs vives parfois même criardes et aux formes surprenantes, un décorateur d’intérieur d’origine suédoise a dû passer par là. Et même si les meubles étaient en kit, la facture totale a dû être salée. Le propriétaire a de l’argent, sans le moindre doute. Les yeux admiratifs de LSD balaient lentement l’immense pièce de vie, dotée de deux canapés en cuir en forme d’arcs de cercle qui se font face. Leur couleur grenat tranche avec celle des longs rideaux moutarde bordant les deux grandes fenêtres qui éclairent étonnamment la pièce aux murs peints de différentes couleurs, allant du blanc au taupe. Intra-muros, la luminosité varie beaucoup suivant les logements, leur situation en hauteur, la largeur de la rue où ils sont implantés, la présence de bâtiments ou de remparts en vis-à-vis, leur orientation et bien sûr la conception des pièces et des ouvertures. Ici le living-room donne plein est et profite d’un soleil éclatant le matin, et sa fenêtre à l’ouest doit lui offrir un éclairage somptueux le soir. Sa curiosité féminine pousserait bien Laure à une visite détaillée, mais son instinct professionnel réfrène ses ardeurs. Alors elle accepte bien volontiers un cappuccino, et va s’installer sur l’un des sofas, admirant au passage la vue sur les immeubles en vis-à-vis, à l’architecture si caractéristique. Audrey s’est assise face à elle, après avoir disposé sur la table basse qui les sépare une corbeille en osier d’où se dégage une odeur de croissants et de pains au chocolat à faire se damner un top model anorexique.
Quelques banalités, et les deux femmes se présentent brièvement. Je ne vous dirai pas grand-chose sur Laure, surtout si vous avez lu ses vingt-deux aventures précédentes, mais je m’attarderai plus sur Audrey. Un petit bout de femme qui doit faire un mètre soixante maximum (sans ses talons), au visage fin, triangulaire, avec des traits à peine marqués et une peau aussi pâle que celle d’un spéléologue venant de passer deux mois dans un gouffre à trois cent mètres sous terre. Cheveux bruns et raides, retombant sur les épaules, il se dégage de son visage un charme indéfinissable mais presque “froid”, comme celui d’une poupée de porcelaine. Pour quiconque la rencontre la première fois, elle dégage une impression d’intense fragilité. Pourtant, en y regardant de plus près, on est frappé par la force de son regard. Ses yeux légèrement en amande semblent pouvoir vous pénétrer, deviner les secrets cachés au-delà des apparences. Il y a de la détermination, voire plus, derrière cette apparente vulnérabilité. Une caractéristique qui n’échappe pas au sens aigu de la psychomorphologie de Laure.
— Avant toute chose, je voulais vous remercier d’être venue ! Comme ma mère a dû le dire à votre amie : elle n’est pas très rassurée de me savoir seule dans cet appartement, et j’avoue qu’elle n’a pas complètement tort. Mais je n’avais nulle part où aller, et comme, en plus, toutes mes affaires étaient restées ici après… J’ai juste besoin de quelques jours pour réfléchir, pour m’organiser. Et trouver où me poser…
— Excusez-moi de vous interrompre, j’aimerais juste remettre les choses dans l’ordre. Je ne sais pas ce qu’on vous a dit sur moi, mais de mon côté je n’ai aucun détail sur vous, et sur ce qui vous est arrivé. Je sais juste que vous avez été agressée par votre compagnon, un fils de “bonne famille” comme on dit, et que vous êtes la fille d’une ancienne collègue d’Ann Fitzpatrick qui bossait dans la même ONG qu’elle. Pour le reste…
— OK, je comprends. Je vous préviens, c’est une histoire un peu longue et compliquée.
— Peu importe, Audrey. Vous permettez que je vous appelle Audrey ?
— Bien sûr ! Et on pourrait aussi se tutoyer, je crois que ce serait plus simple ?
— Ça marche ! Donc, Audrey, je ne suis pas là pour… te protéger, je ne suis pas un garde du corps, mais je voudrais simplement, et Ann, ta “marraine”, y tient beaucoup, je voudrais t’aider à passer ce cap difficile et te remettre dans le bon sens, parce que j’imagine – elle lui tapote doucement le dessus des cheveux avec le bout de sa main – qu’on doit se poser bien des questions dans cette tête ? Et pour y voir plus clair, tu dois me raconter toute l’histoire.
— Bien sûr ! Cet appartement appartenait à Bernard-Ivan Livernec, un gros homme d’affaires de la région. Il a offert cet appartement à un de ses fils, Lucas, pour ses 18 ans. J’ai fait sa connaissance et celle de son frère jumeau Quentin sur le ferry où j’étais hôtesse. J’étais à la réception et ils sont souvent venus me voir pour me demander des tas de renseignements, plus ou moins farfelus. Je travaillais et j’avoue qu’ils me gonflaient un peu, mais il fallait bien que je leur réponde. Après notre arrivée au port, juste avant de débarquer, ils m’ont donné leurs cartes de visite, je les ai mises dans mon sac à main, et je les ai oubliées totalement. Plusieurs semaines plus tard, j’ai arrêté de naviguer pour travailler au terminal. Il y a environ six mois j’ai contrôlé, par hasard, l’embarquement de Lucas ; il m’a reconnue tout de suite, il a été hyper sympa et m’a bien fait marrer, surtout que je n’étais pas débordée… Je lui ai donné mon 06, et à son retour, il m’a appelée et on a bu un pot ensemble “intra”. On s’est revus plusieurs fois après… et on a décidé de vivre ensemble ici, c’était en avril. Tout roulait. Lucas était vraiment gentil, tendre, il n’étalait pas son fric… On vivait cool, peinards.
Laure a du mal à ne pas réagir devant ce portrait surprenant, mais arrive à reprendre :
— Et l’agression alors ?
— Lui travaillait pour son père et avait des horaires de bureau. Régulièrement, quand mon emploi du temps le permettait, on se passait des soirées chez mes copains ou chez les siens. Il buvait, disons normalement, et n’a jamais montré le moindre signe de violence. Avant ce soir-là… Il y a un peu moins d’un mois, on avait fait une petite teuf sur son bateau, celui qu’il partage avec Quentin, son frère. Vers minuit on est revenus ici, il y avait seulement deux copines, et Quentin. Lucas a rebu un peu, s’est fumé un joint avec les autres, et là, brusquement, il a commencé à m’insulter, à me traiter de tous les noms. Il m’a accusé d’avoir essayé de “chauffer” son frangin pendant la soirée, ce qui était complètement faux. Plus j’essayais de le calmer, plus il montait dans les tours. Alors je lui ai dit que j’en avais marre, que j’allais coucher chez une amie, et là, il est devenu comme fou furieux, il est parti dans la cuisine, est revenu avec un couteau, l’air menaçant. Je lui ai demandé d’arrêter de faire le con, de poser le couteau. Je n’ai pas eu le temps de finir ma phrase… Il s’est jeté sur moi, avec un regard de haine que je n’oublierai jamais. Heureusement j’ai fait un peu de judo et de self-défense quand j’étais étudiante, j’ai pu dévier son bras et le faire tomber. Après j’ai pris la première bouteille qui me tombait sous la main et je l’ai frappé. Mais il avait eu le temps de m’enfoncer la lame dans le ventre. Curieusement je n’avais pas mal, mais quand j’ai vu le sang couler de mon débardeur, j’ai compris et je suis tombée dans les pommes.
LSD écoute, effarée, le récit de la jeune femme, dont la voix tremblote encore en se remémorant ces instants terribles.
— Et… après ?
— Je crois que j’ai ouvert les yeux dans l’ambulance, quelques instants. Je n’ai vraiment repris conscience que dans la salle de réa de l’hôpital. Je voyais passer des infirmières, on me demandait si ça allait, on me prenait ma tension, on surveillait mes perfusions. Je ne me souviens de rien de précis, et personne ne m’expliquait ce qui s’était passé. Moi, je me souvenais juste des yeux fous de Lucas.
Son visage s’est décomposé d’un coup. Son regard scrute un écran invisible où des images imperceptibles pour Laure semblent la terroriser.
* Habiter intra : expression malouine pour dire intra-muros, dans la ville close.
* JLD : Juge des libertés et de la détention.
* Voir Semaine noire en pays léonard, même collection ; Annef est un surnom.
* Voir Semaine noire en Pays léonard, même collection.
Il faut plusieurs minutes avant que la jeune femme se remette. LSD aborde alors, avec d’infinies précautions, les conséquences physiques de l’agression.
— Tes blessures étaient graves ?
— J’ai eu de la chance dans mon malheur m’a dit la chirurgienne. Le couteau n’était pas trop long et surtout il avait une lame étroite. Il m’a quand même perforé la rate, provoquant une importante hémorragie. À quelques centimètres près, cela aurait pu être le cœur, le pancréas ou le rein gauche qui trinquait. Là, je m’en sors juste, si j’ose dire, avec une rate en moins.
— Si je me rappelle bien, on appelle cette opération une splénectomie ; une vieille réminiscence du temps où je sortais avec un étudiant en médecine.
Un maigre sourire accompagne la réaction d’Audrey.
— Il me semble que c’est ça, mais avec leurs termes médicaux tordus, j’avoue ne pas avoir retenu le nom exact, surtout moi qui ai une formation littéraire.
— Les toubibs ont un jargon bien étudié. Si tu dis : « Je me suis fait brûler une verrue sous le pied », tout le monde s’en fout. Mais si tu affirmes : « J’ai subi une exérèse cryothérapique en regard de l’arche longitudinale médiale de la voûte plantaire », ça veut dire la même chose, mais comme ça en jette ils peuvent te prendre le double d’honoraires, voire plus.
Un aparté qui permet à Audrey de rigoler un peu, même si Laure la sent toujours tendue.
— L’avantage c’est que maintenant je dois pouvoir rire sans problème puisqu’on dit “rire comme une dératée” !
Au tour de Laure de s’esclaffer, avant de redevenir sérieuse.
— Tu dois quand même avoir un suivi médical important ? Antibios, vaccins, certains aliments à éviter, prises de sang de contrôle…
— Exact ! Et ce n’est pas tout. Je te passe le reste.
— Je crois que c’est plus sage. Revenons au but de ma visite. À mon avis, on a deux points essentiels à clarifier. Le premier, c’est le risque que tu cours : j’imagine que la famille ne doit pas être contente de voir un de leurs fils en prison. Et comme le papa a un empire industriel, si j’ai bien compris, on peut s’attendre à ce qu’il fasse tout pour faire sortir son fils de taule, et j’imagine aussi qu’il t’en veut un max. Tu penses qu’il pourrait s’en prendre à toi ?
— Lui ? Certainement pas. Il doit savoir que je n’y suis pour rien, et de toute façon, il ne se salirait pas les mains en personne, il connaît beaucoup de monde si tu vois ce que je veux dire. Je suis persuadée que je n’ai rien à craindre de lui. Ce serait un très mauvais calcul pour l’avenir judiciaire de Lucas. Pour les jurés cela aggraverait son cas. Pourtant tu as raison, je ne peux m’empêcher d’avoir peur. Mais pas de Livernec, de son autre fils, Quentin…
— Quentin ? Le jumeau ?
— Comment t’expliquer ? Ils sont peut-être issus du même ovule, pourtant ils sont très différents l’un de l’autre. Autant Lucas est calme et plutôt introverti, voire timide…
Les beaux yeux de LSD s’écarquillent en entendant ces mots :
— Calme ! Introverti ! Un mec qui essaie de te tuer avec un couteau ! Tu as le sens du paradoxe, ou alors on ne parle pas le même français !
— Attends ! Laisse-moi finir, tu vas comprendre : son frère, contrairement à ce qu’on pourrait penser pour des jumeaux, a un comportement social totalement différent. Il est hâbleur, frimeur, méprisant, arrogant à l’égard des autres. Il veut toujours avoir raison, et il peut être limite violent… Je dirais qu’à mon avis il est…
— Sociopathe ou psychopathe ! Je ne suis pas sûre qu’il y ait une si grosse différence entre les deux ! Tu es certaine que c’est Lucas qui t’a attaquée ?
— Évidemment ! Je le connais suffisamment depuis qu’on est ensemble. Il a sérieusement disjoncté le soir où il m’a agressée, mais tout le reste du temps, il a été adorable, doux, attentionné. Au quotidien, je t’assure que lui et son frère sont aux antipodes l’un de l’autre.
— Tu m’inquiètes. Quand je t’entends parler comme ça, tu me donnes l’impression que tu es prête à pardonner. Ne me dis pas que j’ai raison ?
Le silence qui lui répond constitue un indice perturbant pour Laure. Elle commence sérieusement à se demander dans quel nid de frelons asiatiques elle a fourré son nez.
— J’aime Lucas, je n’y peux rien, je l’aime.
Interloquée, LSD met plusieurs secondes à réagir à cette déclaration.
— J’ai du mal à te comprendre, mais admettons. Ne me dis pas que tu es prête à retirer ta plainte ? À faire ta vie avec un mec capable du pire ? Comment pourrais-tu lui faire confiance à l’avenir ?
— Je n’ai pas eu à porter plainte, puisque d’après ce que je sais, Lucas s’est livré spontanément à la police dès son arrivée. La justice suit son cours, une juge d’instruction est chargée du dossier.
— Il est où en ce moment ?
— Autant que je sache, toujours à la prison de Saint-Malo. Et il me manque… si tu savais ! Mais tu me parlais de deux points qui t’inquiétaient tout à l’heure. Quel est le deuxième ?
— En fait, on en a déjà parlé. Je me posais des questions à propos de Quentin, et tu y as en partie répondu.
Un coup d’œil rapide à sa montre, et Audrey pousse un cri.
— Oh, merde ! J’ai ma prise de service dans vingt-cinq minutes, il faudrait que je mette le turbo : c’est mon premier jour. Jusque-là, j’étais en arrêt de travail, et j’allais oublier !
— Tu veux que je t’accompagne ?
— Tu rigoles ! Je suis sortie de l’hôpital ça fait cinq jours, si on avait voulu m’attaquer dans la rue ou dans un bar, on l’aurait déjà fait. Par contre, j’aimerais quand même bien que tu dormes ici, parce qu’il y a quelque chose qui m’inquiète un peu, que je n’ai pas eu le temps de te dire. Tu peux prendre une des chambres d’amis, elles sont au bout du couloir. Tu m’excuses, je prends ma douche et j’y vais. Tu trouveras un double des clés à droite de la porte. Je serai là vers huit heures un quart. On pourrait se faire un petit resto ?
*
— Allô, Ann ? Laure… Je t’appelle parce que je viens de rencontrer ta “filleule”.
— Elle est sympa, non ?
— Sympa, peut-être, givrée sûrement ! Il y a presque un mois, son bonhomme essayait de la planter, et pourtant elle est visiblement prête à attendre qu’il sorte de taule, dans au moins dix ans, pour faire sa vie avec lui ! Gâcher toutes ces belles années pour risquer de se faire trucider dès qu’il reviendra, t’avoueras que c’est quand même un spécimen, la fille de ta collègue ?
— Ex-collègue… Bon ! Si je comprends bien, tu veux laisser tomber ?
— Essaie de comprendre ! Elle dit à sa mère qu’elle n’est pas rassurée seule ici et cela ne l’empêche pas, depuis qu’elle est sortie de l’hôpital, de vivre comme si rien ne s’était passé ! Tu m’excuses, mais intra-muros, même s’il y a un système de vidéosurveillance, il y a des venelles et des recoins où je ne m’aventurerais pas en pleine nuit sans une certaine appréhension. Elle, elle s’en fout ! Pour quelqu’un qui est censé avoir la trouille, trouve-moi la logique ! Alors qu’est-ce que je viens foutre ici ? Comme je le lui ai dit, je ne suis pas son garde du corps et, sincèrement, je ne vois pas à quoi je sers. Si elle a besoin qu’on lui remonte le moral, elle peut se faire suivre par un psy, et moi je serais aussi bien à Locquirec ou à Trémel, avec Hugues ! Tant pis pour la fille de ton ex-collègue !
Une voix manifestement déçue lui répond :
— Je ne suis pas sur place, je ne connais pas la situation et je n’ai pas parlé avec Audrey depuis la fin de son stage. Donc je n’ai aucun moyen de t’aider à prendre la décision, mais je me fie entièrement à ton jugement, je ne peux rien te dire de plus.
— OK ! Voilà ce que je te propose : je vais attendre jusqu’à demain, parce que juste avant de partir bosser elle m’a foutu un doute. Elle voudrait que je dorme chez elle sous prétexte qu’elle a oublié de me dire un truc manifestement d’une certaine importance. Alors je passe la nuit ici, et demain j’avise. Et cet après-midi, j’aimerais vérifier une petite chose, mais avant j’ai quelques coups de fil à donner. Après ça, je crois que je vais me faire un tour des remparts suivi d’un petit shopping dans l’intra, comme disent les gens du coin. Et il n’est pas impossible que j’aille faire un tour au casino… J’en ai deux à ma disposition : un tout près de la vieille ville et un à Dinard.
*