Masques de terreur à Lanmeur - Michel Courat - E-Book

Masques de terreur à Lanmeur E-Book

Michel Courat

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Beschreibung

Entre manipulations et faux-semblants, où la vérité se cache-t-elle ?

À Lanmeur, petit bourg de Bretagne-Nord, la Terreur règne depuis une série de meurtres sauvages commis le soir d’Halloween. Grâce aux nombreux témoins, les assassins, bien connus du commandant Roche chargé de l’enquête, sont vite identifiés. Pourtant, malgré la multiplication des barrages et des contrôles, rien n’y fait, les suspects restent introuvables, alors que la liste des victimes s’allonge. Dans les rues, les gens n’ont maintenant plus qu’une peur : rencontrer Laure Saint-Donge, la “belle” LSD, et ses deux amis, Tanguy et Isabelle.
Et si le “Diable” manipulait tout ce beau monde ? Et si la Terreur portait un masque…

Dans le tome 7 des enquêtes de Laure Saint-Donge, Michel Courat donne une nouvelle énigme complexe à élucider à son personnage fétiche !

EXTRAIT

Monsieur Lestoc ouvre le battant, tandis que sa femme arrive juste dans le hall d’entrée. Surprise, ce n’est pas un groupe d’enfants qui se tient sur le seuil, mais une sorcière avec son chapeau pointu, sa cape et ses cheveux raides et noirs. Malgré son visage barbouillé de suie, un détail frappe le directeur de la banque, un détail qu’il attribue bien vite aux déguisements d’épouvante d’Halloween. Mais il n’a pas le temps de s’en étonner davantage, la sorcière, d’une voix ouvertement outrancière, lui demande d’un ton ferme :
— Monsieur Lestoc ?
— Oui !
La réponse est brève, le geste de la sorcière n’en est que plus rapide. Sa main droite se dégage prestement de sa cape et plante, d’un coup sec, une longue lame de poignard entre les côtes du dénommé Jean-Émile qui n’ajoute rien à ce dialogue très bref, si ce n’est un «Wouf ! » de surprise et de souffrance bien compréhensible.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Editions Bargain, le succès du polar breton. – Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Si, pour des raisons professionnelles, Michel Courat vit actuellement en Belgique, après 9 ans passés en Angleterre, ce vétérinaire a laissé son cœur dans le Trégor. Amoureux de Locquirec depuis toujours, il y a exercé pendant des années avant de partir s'occuper de protection animale à l'étranger. Mais il revient dans "sa" Bretagne aussi souvent que possible, et c'est là qu'il a écrit Ça meurt sec à Locquirec, son premier roman policier.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

- Au professeur Gébrine El-Khoury, à qui je dois cette nouvelle vie.

- À tous ceux qui m’ont soutenu après mon opération, à commencer par mes Amours et leurs conjoints.

« Le plus important dans une opération à cœur ouvert c’est de ne pas oublier de fermer l’aorte. »

Jules l’Église, spécialiste espagnol en cœurs brisés

« Méfiez-vous, les apparences peuvent être vraies. »

Eugène Guillevic

I

Lanmeur, Finistère-nord, rue de Tyrien Glas.

Bien vautrés dans leurs fauteuils respectifs, Jean-Émile Lestoc, directeur du Crédit Mutuel Maritime Équitable de Lanleya et sa femme, Anne-Yvonne, jettent un regard distrait au journal du soir de France 3. En cette soirée d’Halloween, leur attention ne semble pas attirée du tout par les dernières catastrophes de l’actualité. Ni par le feu qui crépite gentiment dans la cheminée, histoire de chasser un peu l’humidité du jour, qui succède à celle des 364 jours précédents. À part les éclairs de lumière dispensés par l’écran, la pièce est plongée dans une demi-obscurité qu’égayent parcimonieusement quelques bougies disséminées sur les meubles du salon. Dehors, un fort vent d’ouest secoue les cyprès qui les séparent de la campagne voisine, déclenchant au passage un sifflement répétitif et strident dans le tuyau de cheminée. Mais rien ne semble perturber les deux époux qui profitent d’un reportage on ne peut plus passionnant sur le tatouage auriculaire des escargots en Suisse, pour se lancer un petit regard espiègle. Fruit de près de trente ans de complicité conjugale sans autres nuages que ceux qui font que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Anne-Yvonne Lestoc, la cinquantaine sportive mais bien entamée, profite de ce court échange pupillaire pour demander d’un ton enjoué :

— T’as bien allumé les citrouilles devant les fenêtres du haut ?

— Ne t’en fais pas, chérie, tout est prêt et j’ai mis tous les bonbons et tous les chocolats sur les marches de l’escalier. Comme ça, quand des enfants frapperont à la porte, on n’aura qu’à se retourner pour attraper les friandises.

Est-ce le mot magique ? À peine a-t-il été prononcé que des bruits feutrés, des rires étouffés, se font entendre dans le jardin. Les époux Lestoc sourient. Ils imaginent la bouille des nouveaux arrivants qui, sous leur déguisement, doivent éprouver une émotion toute particulière, mélange d’excitation de l’enfance, de peur de l’inconnu et d’angoisse de la pénombre. Une lueur tremblotante, sans doute une lanterne, se balance maintenant devant leur fenêtre. Le signal pour eux. Ils se lèvent, sourire aux lèvres, et se dirigent vers la porte, leur esprit vagabondant au pays des contes qu’ils racontaient à leurs deux fils quand ils étaient petits. Un « toc-toc-toc » plutôt timide vient s’ajouter au bruit du vent et du feu de cheminée. Monsieur ouvre et se retrouve face à une demi-douzaine de sorcières, pirates et autres monstres hideux, dont l’âge doit s’étaler de cinq à dix ans. Encadrant le groupe, une femme d’une quarantaine d’années, sans doute une des mères de famille garante de la sécurité de la jeune classe, lui sourit, dévoilant ainsi ses fausses dents de vampire.

— Trick or treats ! lance une petite voix fluette, d’un ton qui se voudrait menaçant.

Madame Lestoc, jouant à merveille la surprise et la peur, lève les bras au ciel et crie :

— Treats ! Treats ! Attendez, les enfants ! Moins d’une minute plus tard, les jeunes monstres, les mains chargées de bonbons et chocolats divers entonnent une petite comptine, avant de disparaître, dans la lumière dansante de la lampe-tempête tenue par le chaperon du groupe. Prochain objectif pour eux, la maison voisine, où une énorme citrouille trône dans le jardin.

Porte refermée, Jean-Émile et Anne-Yvonne s’apprêtent à se rasseoir quand de nouveaux bruits feutrés, sur lesquels tangue une loupiote chancelante, se manifestent dans le jardin. Suivis bientôt de quelques discrets coups frappés sur l’huis en chêne massif. Monsieur Lestoc ouvre le battant, tandis que sa femme arrive juste dans le hall d’entrée. Surprise, ce n’est pas un groupe d’enfants qui se tient sur le seuil, mais une sorcière avec son chapeau pointu, sa cape et ses cheveux raides et noirs. Malgré son visage barbouillé de suie, un détail frappe le directeur de la banque, un détail qu’il attribue bien vite aux déguisements d’épouvante d’Halloween. Mais il n’a pas le temps de s’en étonner davantage, la sorcière, d’une voix ouvertement outrancière, lui demande d’un ton ferme :

— Monsieur Lestoc ?

— Oui !

La réponse est brève, le geste de la sorcière n’en est que plus rapide. Sa main droite se dégage prestement de sa cape et plante, d’un coup sec, une longue lame de poignard entre les côtes du dénommé Jean-Émile qui n’ajoute rien à ce dialogue très bref, si ce n’est un « Wouf ! » de surprise et de souffrance bien compréhensible. Tandis que l’homme, on ne peut l’en blâmer, s’écroule, et rend son dernier souffle, la sorcière se penche sur lui, et inscrit quelque chose, au crayon-feutre, sur sa joue gauche. Tout cela n’a pris que quelques secondes. La silhouette, tout de noir vêtue, ressort de la maison d’un pas tranquille, après avoir jeté un bref regard à la femme du nouveau défunt, qui vient juste d’arriver dans le hall d’entrée, une corbeille de bonbons à la main. Il se passe à peine quelques instants avant qu’elle se rende compte, dans la pénombre, que son mari est allongé sur le carrelage. Alors elle crie. Un cri d’angoisse et de surprise. Un cri bien banal, un soir d’Halloween…

La sorcière s’éloigne doucement, en ricanant. Il est 19 heures 12.

*

À la même heure, Valentine Merrec, une jolie trentenaire dont les cheveux roux étincellent sous un ciel généreusement étoilé, directrice du cinéma local, promène son teckel à poil dur le long du mur sud de la chapelle Notre-Dame de Kernitron. Toujours à Lanmeur. Dans l’espace-loisirs de l’autre côté de la rue, deux adolescents, qui ont passé l’âge de réclamer des friandises sous la menace, se livrent à une course endiablée de BMX, profitant de l’éclairage des lampadaires municipaux. Sur le même trottoir, une ombre aux allures de moine, la tête cachée sous sa capuche, s’approche d’un pas rapide de la promeneuse de hotdog sur pattes. À ses lèvres, une cigarette éteinte. C’est juste à hauteur de la porte d’entrée latérale du placître de l’église qu’a lieu leur rencontre, d’une banalité affligeante. La fumeuse en manque de nicotine lève la tête vers la maîtresse du chien et lui demande :

— Excusez-moi… Vous auriez du feu, s’il vous plaît ?

Valentine Merrec s’arrête un instant, jette un coup d’œil plus furtif qu’un drone en opération sur ce curieux moine et répond laconiquement :

— Non, désolée, je ne fume pas.

Mais je dois à la vérité de préciser que ses réelles paroles sont plutôt :

— Non, désolée, je… glurp… glurp… gl…

Il est en effet très difficile d’articuler correctement quand on vient de vous planter une lame de poignard de vingt-cinq centimètres dans l’abdomen. Malgré les protestations de Globule, le petit teckel au nom prédestiné, sa maîtresse ne se sent plus très en forme pour continuer la promenade et agonise, dans un horrible gargouillis, allongée sur le sol. Alors, il se contente, instinct canin de mauvais goût mais bien pardonnable, de venir lécher le liquide tout chaud qui s’échappe à gros bouillons de la plaie béante. Quant à la fumeuse en mal de nicotine, après avoir tranquillement écrit quelque chose au crayon-feutre sur la joue gauche de sa victime, elle se relève sans précipitation, allume sa cigarette avec un briquet sorti de sa poche et reprend sa route vers le bourg de Lanmeur. En prononçant une sinistre épitaphe :

— Au moins, tu ne mourras pas d’une tumeur des poumons !

De l’autre côté de la route, les deux ados se tirent toujours la bourre avec leur bécane, indifférents au drame qui vient de se jouer. La fumeuse regarde sa montre : 19 heures 12. L’heure prévue…

*

C’est aussi l’heure, pour cette silhouette masculine un peu rondouillarde, pommettes légèrement saillantes, petites lunettes à monture fine sur le nez, de se diriger vers la porte d’un des deux supermarchés locaux. À Plougasnou cette fois, à quelques kilomètres de Lanmeur. L’homme n’est plus qu’à quelques mètres de l’entrée du “Super Priba”, route de Primel, quand une mère de famille, chariot bourré jusqu’à la gueule, l’interpelle d’une voix frisottant de malice :

— Mon pauvre monsieur, je crois que ce n’est pas la peine, ils fermaient la porte derrière moi, vous allez vous casser le nez…

Stoppé net dans son élan, le pousseur de caddie, à voir son visage, semble décontenancé par la nouvelle.

— Vous êtes sûre ?

— Absolument ! Je viens très souvent à cette heure-là, juste après mon travail, et j’ai toujours un mal fou à finir mes courses avant qu’ils éteignent la lumière…

Autour d’eux, le parking se vide peu à peu, et l’on voit l’éclairage du magasin baisser d’intensité.

L’homme, épaules basses, soupirant lourdement, lâche :

— Mais j’ai des invités ce soir, j’ai été retenu sur la route, si je ne peux pas faire de courses, qu’est-ce que je vais leur faire à manger ?

La ménagère, que nous qualifierons de moins de cinquante ans, au cas où ce roman serait adapté pour la télévision, se trouve maintenant face à l’homme au caddie vide, à moins d’un mètre de lui. Une distance qu’il n’a aucune peine à franchir en une fraction de seconde, avant de sortir le poignard à longue lame, caché sous son anorak, et de le planter, sans la moindre hésitation, entre les côtes de la malheureuse cliente, côté cœur. Pas le temps de regretter d’avoir fait autant d’achats pour aussi peu d’usage, la femme poignardée ne tombe pas, mais s’écroule sur son chariot, donnant presque l’impression qu’elle cherche à retrouver un article en particulier. Tout est calme alentour, une autre cliente attardée passe à quelques mètres, l’air pressé de celle qui est déjà à la bourre et qui, en plus, n’a pas chaud avec ce petit vent glacial d’automne. Belle opportunité pour le “poignardeur” qui prend tout son temps pour écrire quelque chose au feutre sur la joue gauche de sa victime, avant de rebrousser chemin et de retourner, sans se presser, à sa voiture, garée à l’autre bout du parking. Seul au milieu du bitume, le caddie supportant le cadavre tout frais de la jeune ménagère, reste immobile, telle une statue impromptue érigée par les opposants à la société de consommation.

Émelyne Thomas s’en fiche.

*

31 octobre, 19 heures 12. À Plougasnou et Lanmeur, la Terreur, avec un grand T, ne fait que commencer…

Trois victimes attaquées à coups de poignard, à la même heure, à quelques kilomètres ou centaines de mètres de distance, dans un coin aussi tranquille que cette partie du Trégor finistérien, voilà qui détonne dans ce territoire au passé si riche, niché entre le Douron et la rivière de Morlaix ! Trois agressions sauvages dans un pays où, d’ordinaire, l’on descend plus de verres de gwin-ru que de concitoyens, voilà qui sème quelque peu la panique dans les troupes de gendarmerie locale. La toute nouvelle brigade de Lanmeur, fraîchement déménagée de Plouégat-Guérand1 pour des raisons de réorganisation des Brigades de Proximité du secteur, ne sait plus où donner de la tête. Les coups de téléphone s’abattent, comme un samedi à Tel-Aviv, sur la caserne de la route de Pont Menou, tandis que des renforts arrivés de la Brigade de Plouigneau et surtout de la Communauté de Brigade de Plourin-lès-Morlaix sont venus épauler les hommes et femmes de l’adjudant-chef Kermouster. La brigade de recherches, BR en version courte, s’est bien évidemment immédiatement déployée sur les trois scènes de crime. Les TIC, les techniciens en Identification criminelle, vêtus de leur traditionnelle combinaison blanche de “cosmonaute”, ont investi les différents lieux et entreprennent, à la lumière de puissantes torches halogènes, de chasser le moindre indice.

Pendant ce temps, le chef de la brigade locale, aidé de son adjoint, le maréchal des logis-chef Beaupont, essaie d’interroger madame Lestoc, Anne-Yvonne de son prénom. En état de choc, elle a été transférée, par l’ambulance des pompiers, aux urgences de l’hôpital de Morlaix. Après une bonne heure d’attente, le temps nécessaire aux médecins, non seulement pour l’examiner, mais aussi et surtout pour la calmer un peu, les deux hommes peuvent enfin approcher du lit de la toute jeune veuve. Pas joyeuse du tout. L’interne de garde les a bien prévenus :

— Vous savez, elle est encore très choquée, je ne peux vous la confier que deux minutes maximum. Allez-y mollo, parce qu’elle a été bien secouée !

Les deux sous-officiers entrent avec précaution dans la salle de soins intensifs où madame Lestoc, pratiquement assise dans son lit, avec son oreiller en guise de dossier, et des perfusions à chaque bras, fixe le plafond d’un regard morne, embué de grosses larmes qui coulent lentement sur ses joues blêmes. Bernard Kermouster, visiblement conscient de la détresse de son interlocutrice, après s’être présenté, se met à parler d’une voix douce, empreinte de compassion.

— Bonjour, madame Lestoc ! Je vous présente toutes mes condoléances. Quel drame terrible ! Pensez-vous quand même pouvoir répondre à quelques questions ? Ce ne sera pas long…

La réponse n’est qu’une litanie de sanglots, dans laquelle les quelques mots prononcés se noient, devenant incompréhensibles.

Les deux gendarmes échangent un regard bref, mais explicite, à la signification claire : « On ne peut rien espérer ce soir… » Un jugement hâtif puisque les balbutiements font bientôt place à un discours plus audible :

— Allez-y, mais je ne pourrais sans doute pas vous aider beaucoup, je n’ai rien vu, rien compris.

La voix faible, atone, pour ne pas dire éteinte, continue :

— Quand j’ai vu mon mari allongé sur le sol, je me suis mise à hurler, avant de me dire qu’il me faisait sûrement une farce. Il était assez blagueur, alors j’ai d’abord pensé qu’il faisait semblant, comme c’était la nuit d’Halloween ! Mais quand la sorcière est repartie en ricanant, sans un mot, et que j’ai vu que Jean-M ne bougeait pas…

— Jean-M ?

— Oh pardon ! C’est comme ça que j’appelais Jean-Émile… Comme j’ai vu qu’il ne me répondait pas quand je lui disais qu’il n’était pas drôle, j’ai allumé la lumière de l’entrée et j’ai tout de suite vu la mare de sang qui l’entourait. Je me suis penchée sur lui, j’ai pris son pouls et j’ai compris qu’il était mort. Après, je ne me souviens plus de rien. J’ai dû m’évanouir pendant quelques minutes et, quand je me suis réveillée… je n’avais même plus la force de me relever. J’ai essayé de le secouer, de lui parler…

Les sanglots interrompent quelques secondes son récit. Le temps de s’essuyer les yeux avec un mouchoir en papier, de respirer un grand coup, et elle reprend :

— Je me suis traînée jusqu’au téléphone, j’ai appelé les pompiers. Ils vous ont appelé, et la suite, vous la connaissez. Je ne peux malheureusement pas vous en dire plus.

— Dans votre état, enchaîne le chef de brigade de Lanmeur, c’est déjà très courageux de nous avoir dit tout ça. Nous allons vous laisser, et nous reviendrons vous voir dès que vous vous sentirez un peu mieux. Peut-être vous rappellerez-vous d’autres détails ?

— Vous savez, je viens de perdre l’amour de ma vie, 26 ans de bonheur sans nuage, deux beaux enfants… Alors ce n’est pas demain que je pourrais aller mieux, ajoute-t-elle d’une voix lourde de désespoir.

— Puis-je quand même vous poser une toute dernière question ? Est-ce vous pourriez me donner l’adresse de vos enfants ? Qu’on puisse les prévenir…

— Je ne me souviens jamais de leurs numéros, mais vous les trouverez dans un petit calepin près du téléphone, ils s’appellent Charles-Édouard et Pierre-Marie.

*

Dans les bourgs de Lanmeur et Plougasnou, c’est l’effervescence. Mais pas celle des grands soirs de fête… Devant le défilé des véhicules de pompiers, de gendarmerie, et des ambulances, la nouvelle des assassinats a vite fait boule de neige. Comme les sites de Tyrien Glas et de Kernitron sont envahis d’uniformes divers, et balisés par les fameux rubans jaune et noir « Gendarmerie Nationale - Zone Interdite », la foule s’est retrouvée quasi naturellement sur les places, mais surtout dans les bars des deux villages. Et comme certains ont profité de cette nuit d’Halloween pour se déguiser, c’est une foule pour le moins bigarrée qui se retrouve autour des zincs. Que ce soit à “L’Armorique” de Plougasnou, ou au “Bar des Sports”, sur la place de Lanmeur, les conversations vont bon train, agrémentées de consommations diverses, qui pourraient bien alourdir l’haleine d’un souffleur de biniou éventuel. Mais comme le dit avec une certaine justesse André Manchec, supporter assidu de la production viticole nationale, et dont les jours de sobriété doivent se compter sur les doigts d’une moufle :

— De toute façon, on est peinards ce soir. Ils sont bien trop occupés pour s’intéresser à nous.

— Pas sûr ! réplique Christian Biziat, ancien professeur d’EPS au collège local des Quatre-Vents, et solide pilier du Bar des Sports. Pas sûr du tout… Ils peuvent tout aussi bien ceinturer la zone et mettre des barrages partout, pour essayer de choper les gens qui ont fait ça. Et là, ils pourraient bien leur prendre l’envie de vérifier tes talents de musicien…

— T’as raison ! Il vaut quand même mieux être prudent. Allez, Gwen, tu me mets juste un panache, mais léger en limonade. Les bulles, ça me donne des gaz.

D’autres clients, eux, s’intéressent plus aux faits qui se sont déroulés qu’à l’alcool. Ils assaillent de questions les patrons et les personnels des différents établissements, qui ne savent plus où donner de la tête.

— La seule chose que je sache, répond la patronne du Bar des Sports, c’est que deux personnes ont été retrouvées mortes à Lanmeur dans des conditions bizarres, et une autre, à Plougasnou. C’est tout !

La jeune femme est visiblement ravie, comme ses confrères et consœurs, de voir son établissement déborder de clients, un soir de semaine. Mais personne, pour l’instant, ne sait vraiment ce qui s’est passé…

Comme aucun élément nouveau, venu des autorités “gendarmiques”, ne vient éclairer la population sur ces terribles événements de la nuit d’Halloween, c’est dans un état d’esprit étrange que Lanmeuriens et Plouganistes finissent par regagner leurs pénates aux alentours de minuit. Certains, bien sûr, rentrent au radar, compte tenu de leur imbibition alcoolique, tandis que d’autres, plus sobres, retrouvent leur maison, rongés d’inquiétude, une énorme boule au ventre. Car si personne ne connaît encore la version officielle, la rumeur n’a cessé d’enfler durant toute la soirée, une rumeur qui pourrait causer bien des troubles du sommeil, cette nuit : « Il paraît que les trois victimes ont été sauvagement assassinées, sans raison apparente. » Même si après, les versions divergent sur les modalités des assassinats : étranglement par ci, coup de batte de base-ball par là, rien n’est de nature à rassurer les habitants du secteur. Et ce n’est pas le vent d’ouest, qui ne fait que se renforcer, qui va contribuer à les aider à trouver le sommeil. Une tempête d’automne, c’est bien la dernière chose dont ils avaient envie, cette nuit. Insomnies ou cauchemars, voici le triste programme de cette nuit d’Halloween. Une nuit où l’horreur n’est plus fictive.

*

Trémel, Côtes-d’Armor, à 14 kilomètres de là, le même soir.

Pendant que les enquêteurs finistériens travaillent d’arrache-pied pour faire avancer l’enquête, Hugues Demaître, pharmacien de son état, médite, un verre à la main, dans sa maison, attenante à son officine trémelloise. Presque 21 heures 30. Deux heures maintenant qu’il est assis ou plutôt à moitié allongé dans son fauteuil relax au dossier incliné, les jambes posées sur un pouf assorti, essayant désespérément de comprendre. Dans une telle position, il représente une cible idéale pour Pomponnette, la chatte de la maison, qui n’est pas longue à investir l’un des espaces les plus confortables qui soit pour un félin aussi porté sur le farniente et la “ronflette” qu’elle. Et cet espace c’est bien évidemment le creux de ces cuisses et de ces jambes, chaudes, et tendres. Un espace dans lequel elle peut se glisser et s’allonger de tout son long, ronronnant de plaisir, après avoir longuement papouillé en enfonçant, avec une délicatesse toute relative, ses griffes dans les cuisses du pauvre pharmacien. Une forme d’acupuncture très spéciale qui ne ravive pas l’humeur morose du buveur. Quand la Pomponnette prend enfin sa position favorite, étalée au maximum, la tête entre ses pattes, elle n’est pas longue à s’endormir, ses ronflements remplaçant bien vite les ronronnements du début. Caressant machinalement la chatte, Hugues, donc, médite, à grands coups d’Eddu, son nouveau whisky préféré, qui a le bon goût d’avoir bon goût et d’être breton. Malgré la grande horloge du salon qui égrène son apaisant tic-tac, malgré la semi-obscurité qui règne dans la pièce apportant une note apaisante au tableau, monsieur Demaître a le spleen. Un état d’esprit qu’il n’éprouve que rarement, étant d’un naturel plutôt jovial et optimiste.

Plus exactement, il est redevenu d’un naturel plutôt jovial et optimiste depuis qu’il l’a rencontrée. Elle, la femme de sa vie : Laure Saint-Donge, sa petite LSD, son héroïne personnelle. Peu importe la cicatrice, ou plutôt l’horrible balafre qui zèbre de laideur sa joue droite, souvenir cruel laissé par une balle perdue lors d’un reportage en Irak. Laure a tout pour elle, elle est magnifique, a toujours des formes superbes malgré sa petite quarantaine, et surtout elle et lui se comprennent à merveille, souvent sans parler, une complicité amoureuse qu’il n’a jamais connue avec sa première femme, partie avec le véto du coin… Comme, en plus leur entente s’étend jusqu’aux rives du Kama-sutra, que peut demander d’autre un homme en bonne santé, qui n’a aucun problème financier, avec une officine trémelloise qui tourne à plein régime et qui a deux beaux et grands enfants ? Une chose, une seule chose. Que sa belle soit là !

Et elle n’y est pas ! N’y est plus. Non, elle n’est pas partie en reportage, en dédicace ou en mission pour une association de protection animale. Non, elle n’est pas retournée chez elle, dans son appartement de l’avenue de Gravelle à Charenton. Non, elle n’a pas rompu. Alors pourquoi le pharmacien fait-il cette tête d’enterrement ? Peut-être, vous direz-vous, connaissait-il les victimes de Lanmeur et Plougasnou ? Réponse, simple : il ignore complètement les drames qui se sont déroulés de l’autre côté du Douron. Par contre, ce qu’il sait, et qu’il rumine telle une vache paissant du chewing-gum à la chlorophylle, ce qu’il sait, c’est ce que lui a dit Laure pas plus tard qu’hier soir :

— Tu sais, Amour, j’ai bien réfléchi, et je crois que ce serait mieux si je me trouvais une petite maison ou un appart’ quand je suis en Bretagne. On s’entend bien, tout va bien entre nous, mais j’ai peur de l’usure du quotidien et je ne voudrais pas qu’on en arrive à ne plus se parler que pour discuter du repas du soir ou du programme de télé qu’on veut regarder.

— Mais écoute, Chérinette, on en est loin ! Tu n’es pas là très souvent et, à chaque fois que tu viens, c’est une fête, non ? Tu ne peux pas dire qu’on est tombés dans la routine quand même ?

LSD sourit de son sourire si spécial, avant d’ajouter, quelque peu mutine :

— Tu oublies le barbecue… Depuis que tu as acheté celui en pierre, il me semble que, chaque fois qu’on veut faire un barbecue, il y a un petit rituel au préalable… non ?

Hugues aussi ne put s’empêcher de sourire quand il répondit :

— Alors là, Laure, tu exagères ! Il me semble que ce petit rituel n’est pas pour te déplaire ?

— C’est vrai, ce n’est pas désagréable, Monsieur le pharmacien. Tant que je n’ai pas mal au dos, que je mets un coussin et que tu n’allumes pas le charbon de bois…

Et elle éclata de rire, avant de serrer Hugues très fort dans ses bras et de l’embrasser si goulûment qu’elle en manqua de se luxer l’hyoïde. Qui est, comme chacun sait, l’os qui soutient la langue.

— Non, sérieusement, Hugues, toi comme moi, on a dépassé la quarantaine, on a vécu seuls pas mal de temps et pris pas mal de petites habitudes. Alors au lieu d’essayer de s’imposer ces habitudes l’un à l’autre, je pense qu’il vaut mieux vivre très près l’un de l’autre, mais pas ensemble. Comme cela, on ne se voit que quand on en a envie tous les deux, et on partage tous les bons moments, ou les mauvais, mais surtout, on ne se laisse pas ronger par les scories du quotidien. Je pourrais me trouver un petit appart’ pas loin, à Plestin ou à Locquirec, ou mieux encore me trouver une chambre d’hôtes que j’occuperais quand je suis en Bretagne, sauf, bien sûr, quand on passera nos journées et nos nuits ensemble. Je suis sûr que cela nous donnera plus de liberté à chacun, que ça boostera encore plus notre amour !

La moue explicite de monsieur Demaître témoigna de son manque d’enthousiasme immédiat. La maîtresse l’aurait envoyé au coin avec un bonnet d’âne, il n’aurait pas eu l’air plus abattu. Message à l’attention des jeunes générations : ce genre de sévice à la fois corporel et moral a existé, il y a quelques décennies, et les milliers de têtes blondes qui en ont été victimes ont survécu sans tomber dans la déprime, la délinquance ou la déchéance. Maintenant, le progrès social est passé par là : une professeure des écoles infligerait la même punition, elle serait immédiatement tabassée par l’élève puni, puis poignardée (ou vitriolée) par les parents, puis suspendue par l’Éducation nationale à sa sortie de l’hôpital, ce qui lui donnerait le temps de méditer ce proverbe latin, en attendant son procès : « O tempora, O mores ! » Le reste de la classe, bien entendu, recevrait le secours immédiat d’une cellule d’aide psychologique. Monsieur Demaître faisait donc la gueule, la veille au soir. L’air contrit de son Hugonounet n’apitoya pas Laure pour autant. Elle sembla même se faire un plaisir d’en repasser une couche :

— Regarde Tanguy et Isabelle ! Ça fait plus de deux ans qu’ils sont ensemble, mais ils vivent chacun de leur côté. Et ça semble leur réussir, ils respirent le bonheur quand ils se retrouvent.

Moue de désaccord chez Hugues quand il rétorqua :

— Excuse-moi, j’adore Isabelle, elle a toujours été là pour moi dans les moments difficiles, mais elle a un caractère de cochon ! Elle a passé le demi-siècle et, avant Tanguy, le plus longtemps qu’elle ait pu supporter un mec c’est six jours. Et encore cela aurait dû être quatre jours, mais il y avait trop de neige pour que le gars reparte…

— Bon, écoute, gros bêta, dit-elle en lui faisant un petit bécot sur la bouche, rien n’est décidé, mais en tout cas, demain, Isabelle ne travaille pas l’après-midi, on va aller explorer un peu, voir si je ne peux pas trouver quelque chose pas trop loin.

D’un ton rabougri et en la repoussant sans grande tendresse, Hugues répondit, amer :

— Donc, en fait, tu me demandes mon avis, mais tu as déjà pris ta décision si je comprends bien…

Le regard langoureux qu’elle lui lança, les deux douces mains qui se tendirent pour prendre les siennes ne furent pas longues à le faire craquer. Et oublier. Comme à chaque fois que Laure se faisait séductrice. Malgré sa balafre, elle dégageait une telle sensualité que la conversation se poursuivit de manière beaucoup plus tactile sur le sofa du salon. Et le sujet ne revint plus sur le tapis.

Ce n’est qu’en prenant le petit-déj’ ensemble, ce matin, que Laure repassa à l’attaque :

— Ne t’en fais pas, ce soir, je risque de rentrer tard. Je dînerai sans doute avec Isabelle, elle m’a demandé de passer voir avec elle des enfants qui ont gagné un concours pour Halloween. Ne t’occupe pas de moi pour le dîner !

Effectivement, il ne s’occupe pas d’elle et entame son quatrième whisky apéritif. La main posée sur le portable. Des fois que…

*

Gendarmerie de Lanmeur, Bureau du chef de brigade.

21 heures 30. Avec ses collègues de la Brigade de Recherches de Plourin, et la substitut du procureur, Marie Rénier de Blansec, arrivée en urgence, l’adjudant-chef Kermouster fait le point. Un point bien décevant au premier abord.

— Alors Bernard, où on en est ? demande la proc.

— Les hommes fouillent toujours les alentours, mais pour l’instant on n’a aucun indice probant, à part, bien sûr, ces inscriptions sur les joues, répond d’un ton très professionnel le major Deligne, responsable de la BR.

— C’est quoi exactement ces marques ? s’enquiert le sous-officier lanmeurien.

— Apparemment, ce sont des signes cabalistiques, ou plutôt UN signe, toujours le même, quelque chose qui ressemble au Pi (π) de l’alphabet grec, suivi d’un petit chiffre. Pour Lestoc, la victime de Tyrien Glas, on a le chiffre 1, pour Valentine Merrec, le chiffre 2, et pour la troisième victime, Émelyne Le Bras, le chiffre 3.

la substitut demande :

— Vous avez une idée de ce que signifie ce symbole ? Pi c’est 3.1416 bien sûr, le chiffre qu’on utilise pour calculer la circonférence d’un cercle, mais là, ce doit avoir une autre signification… Et ces chiffres ? Vous avez pu peut-être tirer des conclusions de la manière dont ils ont été tracés…

— Une étude graphologique, vous voulez dire ? Pour l’instant, non ! Mais j’ai pris des photos et je les ai envoyées à l’IRCGN de Rosny-sous-Bois. Là-bas, ils ont des spécialistes du décodage et de graphologie…

Un hochement de tête accompagné d’un discret « Hum ! » sert de réponse. Le major Deligne enchaîne donc :

— Les corps sont maintenant partis à l’IML de Brest et devraient être autopsiés demain matin à la première heure… On en saura peut-être plus…

— C’est Lesage qui s’en occupe ? interrompt la substitut.

— Absolument !

— Eh bien, espérons que ce ne sont pas des grandes marées… Il est incorrigible. J’ai eu beau me plaindre officiellement, vous savez ce qu’il m’a dit, un jour où j’avais attendu en vain les résultats d’une autopsie ?

— Non ! répondent en chœur, et en se retenant de sourire, les deux sous-officiers.

— Il m’a dit : « Qui dit grande marée, dit travail différé, c’est un proverbe breton, vous, vous êtes bourguignonne, vous ne pouvez pas comprendre ! » C’est fort, non ? En tout cas, il a l’air d’avoir des sacrés soutiens, parce qu’il est toujours en place.

— À sa décharge, Madame la substitut, il faut reconnaître que c’est un bon ! intervient le chef de brigade locale.

— Ah ça oui ! Vous lui donnez un os de cuisse de poulet, il peut vous dire le sexe, la race, l’endroit où il a été élevé, l’endroit où il a été abattu et le nom de l’éleveur… ajoute presque sérieusement le chef de la BR de Plourin.

— Bon, Messieurs, ça suffit ! Un peu de sérieux maintenant. Donc ce signe, ces chiffres, c’est la même écriture ?

— Comme les trois victimes étaient à des endroits différents, on n’a pas pu vraiment les comparer, mais si vous voulez voir les photos… Sinon, il faudra attendre l’autopsie. On devrait en savoir beaucoup plus en fin de matinée ou début d’après-midi.

L’adjudant-chef reprend, perplexe :

— Le même symbole, ou la même lettre grecque, p, et trois chiffres. 1,2,3 ! Sont-ils morts dans cet ordre-là ? Connaît-on l’heure exacte de leur mort ?

— C’est une bonne question, mais faute de témoin direct fiable, les heures des agressions sont très approximatives. On y verra sans doute plus clair quand on aura fini d’interroger les voisins et les témoins qui se présenteront spontanément.

L’adjudant-chef Kermouster sort une sous-chemise beige d’une boîte à archives, y prélève deux comptes rendus d’audition et se tourne vers la procureure :

— Voilà tout ce que l’on sait jusqu’à présent : pour monsieur Lestoc, sa femme n’était pas vraiment en état de nous répondre, et on n’a pas pu l’interroger sur l’heure du meurtre. Au supermarché de Plougasnou, il n’y a eu aucun témoin. Restent les deux adolescents qui faisaient du vélo dans le parc devant la chapelle de Kernitron, au moment de l’agression de madame Merrec, celle qui portait le numéro deux sur sa joue. Ils étaient très occupés à faire la course, et ne se sont arrêtés qu’à vingt heures. Et c’est là qu’ils l’ont découverte. Comme la victime était vêtue de sombre et étendue dans une zone peu éclairée, ils n’ont rien remarqué avant. Il y avait bien son chien, mais il était couché sagement à côté d’elle. D’après eux, ils ne l’ont pas entendu aboyer.

— Mais, s’étonne la substitut, cela veut dire que personne n’est passé avant vingt heures ! On est quand même près du centre-ville, il y avait Halloween, des enfants auraient pu venir par là ! Il y a sûrement des voitures qui sont passées, et les conducteurs ont forcément vu la forme allongée sur le trottoir, non ?

— Lanmeur n’est pas un gros bourg, vous savez, souligne l’adjudant-chef. Alors, à cette heure-là, à cette époque de l’année, les gens sont déjà calfeutrés chez eux, à regarder la télé, d’autant plus qu’Halloween n’est pas très répandu ici. En tout cas, le médecin des pompiers, qui a examiné la victime vers 20 heures 20, estime d’après l’état de rigidité cadavérique, que la mort a dû survenir entre 19 heures et 19 heures 45. Quant à la morte de Plougasnou, elle nous a été signalée par un client qui venait de faire la fermeture du magasin. Comme il ferme à 19 heures 15, on peut conclure que l’agression a dû survenir peu de temps avant, sinon d’autres clients l’auraient remarquée et nous auraient prévenus.

— Bon, Messieurs, vous avez fait du bon travail, mais maintenant, il va falloir nourrir la presse, parce que demain matin, ça va être la panique dans le secteur. Je vais nommer un juge d’instruction, et j’ai d’ores et déjà demandé à la Section de Recherches de Rennes de reprendre le dossier. Cette histoire de numéros ne me plaît pas du tout et j’ai peur que nous ne soyons qu’au début d’une sale histoire. Vous faites de l’excellent boulot mais, si l’affaire prend de l’ampleur, il nous faut une plus grande structure. Le commandant Roche, de la SR, devrait arriver aux aurores. Je compte sur vous, Messieurs, pour l’épauler au maximum.

À voir la tête de ses interlocuteurs, voir arriver quelqu’un d’autre, même très compétent, sur “leur” affaire, ne les enthousiasme guère. Mais en même temps, ils sont bien obligés de se rendre à l’évidence : il semble peu probable que l’histoire puisse s’arrêter à ces trois meurtres. Et si d’autres morts surviennent, ils n’auront pas assez de moyens pour faire face, alors plutôt bien jouer les seconds rôles que mal les premiers. C’est en tout cas ce qui paraît être leur conclusion quand le major Deligne, le chef de la BR de Plourin lance :

— Très bien, Madame la substitut, ne vous inquiétez pas, je connais bien le commandant, surtout depuis l’histoire de l’enlèvement de PAPI, alors nous collaborerons du mieux possible.

*

Lanvellec, chez Isabelle Lebech, 22 heures, même soir.

Autour de la grande table en chêne qui trône dans la longère d’Isabelle, l’humeur est au beau fixe. Presque tout le G5, formé après des aventures paimpolaises bien agitées, se trouve réuni, faisant honneur au bon cidre fermier, brut, breton et artisanal apporté par Tanguy. Bruxelles, le chien, se contente de faire du porte-à-porte, à savoir quémander un peu de nourriture, à tour de rôle, auprès des trois convives : Isabelle bien sûr, Tanguy, son copain, et Laure. Seul membre manquant du G5 : Hugues qui, à la même heure, se morfond dans sa solitude, tout en sirotant son quatrième Eddu de la soirée.

Entre deux éclats de rire, LSD retrouve un brin de sérieux, après avoir reposé son verre, vide, sur la nappe basque qui recouvre la table.

— Je m’en veux d’avoir laissé Hugues tout seul ce soir…

Tanguy prend sur lui pour trouver quelques mots de consolation :