L'étrange femme nue de Beg-Meil - Michel Courat - E-Book

L'étrange femme nue de Beg-Meil E-Book

Michel Courat

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Beschreibung

Une femme nue, la cinquantaine, très honorablement connue dans sa commune, est retrouvée chez elle, au pied de l’escalier, rouée de coups. Elle n’est pas morte dans sa chute puisqu’elle a essayé de ramper et même de parler au témoin qui l’a découverte ainsi au matin. Détails troublants : elle laissait toujours sa porte ouverte, sa chambre est sens dessus dessous, et ses proches connaissaient son fort penchant pour… le libertinage.
Cette affaire, tirée d’un fait divers, aurait pu être classée sans suite. C’était sans compter sur LSD…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Michel Courat - Amoureux de la Bretagne depuis toujours, il y a exercé comme vétérinaire – dans le Trégor – durant une quinzaine d’années avant de partir s’occuper de la protection des animaux dans les Cornouailles anglaises pendant 9 ans. De 2008 à 2016 il a travaillé à Bruxelles comme expert en bien-être animal pour une ONG européenne. Ensuite, il a apporté son expérience au sein de l’OABA (Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoir) pendant 6 ans, avant de couler maintenant une paisible retraite à Locquirec.

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Couverture

Page de titre

À mes trois petits amours :

– Ayleen, 7 ans, mon intrépide et adorable princesse, douée dans tous les domaines,

– Elouan, 5 ans, mon infatigable diablotin, si affectueux, si intelligent and so Cornish,

– Ayden, 3 ans, concentré de tendresse, d’énergie et d’optimisme contagieux, qui, plus tard, découvriront à travers ces livres, leur grand-père sous un nouveau jour.

« La seule vraie désobéissance est celle qui permet d’inventer. »

Michel Serres

« La vie mettra des pierres sur ta route. À toi de décider d’en faire des murs ou des ponts. »

Michel Colucci, dit Coluche

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

Remerciements

REMERCIEMENT SPÉCIAL

Un grand merci à A. D-M, qui m’a raconté l’histoire authentique de la mort de cette étrange femme. Le livre, lui, n’est évidemment qu’une pure fiction.

REMERCIEMENTS

Bar La Cabane, Beg-Meil.

Boulangerie-pâtisserie-chocolaterie Les Glénan, Fouesnant.

Café Chez Tilly, Locquirec, « 100 ans en 2023 ! »

Camping de la Piscine, Fouesnant.

Distillerie des Menhirs, Plomelin.

Gendarmerie de Fouesnant.

Hôtel de la Cale, Beg-Meil.

Hôtel de la Pointe de Mousterlin.

Office de tourisme de Fouesnant-Les Glénan.

Mairie de Fouesnant-Les Glénan.

AVANT-PROPOS

Le point de départ de ce récit fictif est inspiré d’un fait divers qui s’est produit en Bretagne il y a quelques années. Pourtant, malgré leurs multiples aspects surprenants, les conditions bizarres de la mort de cette étrange femme n’ont jamais fait l’objet de la moindre enquête, que ce soit de gendarmerie ou de police.

Le mystère reste donc entier. L’imagination de l’auteur a fait le reste.

I

Elle laissait toujours la porte de derrière ouverte. Une vieille habitude qui lui venait de sa mère et qu’elle avait perpétuée après sa disparition, sans se poser la moindre question. Tous ceux qui la connaissaient bien le savaient, et ne perdaient jamais leur temps à essayer d’entrer par-devant. Elle habitait une maison plutôt simple qui pourtant ne dépareillait pas dans le chemin de Goz Forn, un des quartiers les plus recherchés de Beg-Meil, où les résidences secondaires ne manquaient pas. Elle laissait toujours la porte de derrière ouverte. Elle n’aurait pas dû.

*

Beg-Meil, Finistère sud, samedi, 12 h 35

Avachi dans le canapé, Frédéric Le Berre a remonté ses pieds sur le bord du coussin, enserré ses jambes avec ses bras, et il pleure, la tête posée sur ses genoux, tel un gamin boudeur.

— Vous ne voulez pas que j’appelle un médecin ? Vous êtes en état de choc, et c’est on ne peut plus compréhensible, commente le major Gaillec, venu avec un de ses MDC – maréchaux des logischefs – dès que la brigade de gendarmerie de Fouesnant eut reçu le coup de fil. Vous n’êtes pas marié je crois, mais vous voudriez peut-être passer un coup de fil à un ou une amie ou un parent ?

Une voix tremblotante, à peine audible, lui répond. Le jeune homme lève la tête, mais ne regarde même pas son interlocuteur ; ses yeux perdus dans de vagues nuages laissent à penser qu’il n’arrive toujours pas à réaliser ce qui s’est déroulé à quelques mètres à peine de lui.

— Non merci, je vis tout seul, et je ne crois pas que quelqu’un puisse m’aider.

— Vous n’avez pas de famille ?

— Ma grand-mère est morte il y a cinq ans, et je suis fils unique. Ma mère a perdu son frère quand celui-ci était adolescent, et je n’ai plus aucun contact avec la famille de mon père. J’ai juste une marraine à Concarneau, qui est un peu comme ma tante, et un parrain à Kerity, à Penmarc’h.

— Et votre père ?

— Mort, quelques mois après ma grand-mère.

— Je vois. Donc vous n’avez personne autour de vous qui pourrait vous soutenir, vous aider ? Je ne peux rien décider à votre place. Mais si vous préférez que je vous laisse tranquille, rien ne presse, j’ai juste besoin de quelques précisions qui peuvent attendre jusqu’à ce soir ou même demain. Vous êtes vraiment sûr de vouloir rester dans ce canapé ? Si près de…

— Il n’y a pas d’autre pièce au rez-de-chaussée. À part la cuisine, une chambre, une salle de bain et ce salon-salle à manger. Ce canapé, c’est l’endroit où je me réfugiais quand je me faisais gronder, ou quand je boudais. Il n’y a que là que je me sente en sécurité, ça a toujours été comme ça depuis que je suis tout petit. La chambre, c’était celle de mes parents avant que mon père ne se suicide en se pendant à une des poutres du plafond. Plus personne n’y entre, ma mère préfère… préférait coucher au premier étage.

— Je comprends très bien ; malheureusement, je vais devoir vous demander de changer de place d’ici quelques minutes. Mes collègues de la gendarmerie scientifique vont bientôt arriver de Châteaulin, le médecin légiste et mes collègues de la brigade de recherches de Quimper aussi. Ils vont devoir passer la maison au peigne fin, relever des empreintes, chercher le moindre indice qui puisse expliquer ce qui s’est passé…

Une voix passablement énervée l’interrompt. Le jeune homme s’est mis debout et toise le gendarme assis sur le bord du fauteuil juste en face de lui.

— Ce qui s’est passé, il n’y a vraiment pas besoin d’être toubib ou expert pour le deviner !

Il tourne la tête d’un quart de tour et regarde la silhouette allongée sur le sol avant de diriger ses yeux gris-bleu, vides de toute expression, vers le plafonnier du hall d’entrée.

Ses larmes ont séché, et la colère monte brusquement en lui.

— Vous voyez bien qu’elle est tombée dans l’escalier ! Elle a dû vouloir aller aux toilettes sans allumer la pièce, et elle a sans doute raté une marche. Je me fous de ce que vous pourrez trouver, moi je ne sais qu’une chose : ma mère est morte ! Le reste n’a pas d’importance.

Frédéric Le Berre ne semble pas spécialement troublé de voir sa mère étendue sur le carrelage du salon, complètement nue, avec une toison aussi brune que touffue offerte à tous les regards. Il ne semble pas remarquer ce qui a pourtant attiré l’attention du gendarme dès son arrivée sur les lieux. Outre la nudité du cadavre, allongé sur le dos, dans une position indécente, cuisses ouvertes, le corps présente de multiples hématomes aussi bien au niveau de la tête, que du thorax, des seins bien sûr et de l’abdomen. Les traces suspectes ne s’arrêtent pas là. Des marques de coups sur le bas-ventre permettent d’éliminer la possibilité d’une mort accidentelle. Jambes et pieds n’ont pas été épargnés, et le major Gaillec s’attend à des trouvailles tout aussi explicites dans le dos de la quinquagénaire. Mais, procédure oblige, il a préféré ne pas déplacer le cadavre ni le couvrir, tout comme le médecin des pompiers arrivé en premier sur les lieux. Il laisse ce soin au légiste qui arrivera bientôt. Autre constatation troublante : le corps ne gît pas vraiment au pied de l’escalier, mais à un bon mètre de là, à l’entrée de la pièce de vie. Une position qui ne peut s’expliquer que de deux façons. Soit la chute n’a pas été mortelle et la victime a pu se traîner vers le salon, peut-être pour rejoindre le téléphone, soit quelqu’un l’a traînée pour la laisser dans sa position actuelle. Pour une raison que le militaire ne saisit pas. En tout cas pour lui, il ne fait aucun doute, si la chute pouvait être involontaire, qu’un tel nombre de contusions et de bleus, répartis sur tout le corps, ne peut lui avoir été infligé que par une ou deux personnes, au moins. Quant au fait qu’elle soit allongée sur le dos, comment est-ce possible, là encore, sans envisager une intervention extérieure ? Dans l’état où la pauvre victime se trouvait, comment aurait-elle eu la force de pivoter sur elle-même ? Et pourquoi l’aurait-elle fait ? Des questions qu’il laisse à ses collègues le soin de résoudre. En les attendant, sa priorité reste d’essayer de réconforter le jeune homme. Il décide donc de rentrer dans son jeu, ou plutôt dans son déni.

— Vous avez tout à fait raison. Le plus plausible, c’est une chute, une chute dramatique. Mais il n’y a pas de toilettes au premier étage ?

— Si ! Dans la salle de bains, mais la chasse d’eau est cassée, et elle attendait le plombier depuis des semaines.

— Je comprends. Et savez-vous si cela lui arrivait souvent de descendre la nuit comme ça, surtout sans le moindre vêtement ?

— Je n’en sais rien ! Je ne dormais que très rarement ici, seulement le jour de mon anniversaire ou pour les fêtes, quand je ne voulais pas rentrer à Combrit, ou plutôt quand j’avais un peu trop bu. Et les soirs où je restais, je ne l’ai jamais entendue aller au rez-de-chaussée.

— Excusez-moi, mais nous avons retrouvé les papiers de votre mère dans son sac à main, elle s’appelait Pauline Le Berre, née Le Bris, c’est bien ça ?

— Oui.

— Parfait ! Maintenant, je crois qu’il va être temps de libérer les lieux, les collègues arrivent ; ils vont devoir fouiller toute la maison. Nous devons partir, vous voulez sans doute dire au revoir à votre maman ?

Des yeux étonnés se tournent vers le major :

— Elle est morte, à quoi ça servirait de lui parler ? Et puis je la reverrai tout à l’heure, non ?

— Vous la reverrez bien sûr, mais vous devez comprendre qu’il y a une procédure spéciale à suivre. Le procureur de la République a été prévenu, et face à une telle situation, ce qu’on appelle, même si vous n’êtes pas tout à fait d’accord, une mort suspecte, il demandera très certainement une autopsie. Il va falloir transporter votre mère… – le militaire marque un temps, conscient de la fragilité mentale du fils de la victime, et de la nécessité d’utiliser les mots adéquats dans un hôpital – Des spécialistes vont l’examiner, pour essayer de comprendre ce qui a pu se passer.

Le jeune homme a bondi de son canapé pour se camper devant le major Gaillec, l’air menaçant.

— Je vous l’ai déjà dit : elle est tombée dans l’escalier ! Point final ! Alors vous n’allez pas la charcuter, c’est compris ?

Le ton s’est durci autant que le regard. Frédéric Le Berre empoigne les revers de la veste d’uniforme du major, et l’attire contre lui violemment. Il n’y a plus que quelques centimètres entre les deux visages quand le maréchal des logis-chef, témoin silencieux de toute la scène, intervient pour bloquer les bras du fils de la victime.

— Allez ! On se calme ! Asseyez-vous un instant !

Quelques secondes d’hésitation, et le canapé retrouve son occupant. Avec son visage empourpré et grimaçant, ses yeux injectés de sang, ses pieds qui s’agitent, la sueur qui perle sur son front, difficile de dire qu’il a retrouvé la sérénité. Le major, lui, récupère de cette légère poussée d’adrénaline et en profite pour remercier Gautier, son MDC, avant de se retourner vers son “agresseur”, au moment où des portes de voiture claquent en série devant la maison. Après une crise d’une telle violence, comment le jeune homme va-t-il réagir en voyant apparaître les TIC, les techniciens en identification criminelle, dans leur combinaison blanche qui leur donne l’air de cosmonautes ? Quelle va être son attitude en découvrant la maison de sa mère, encore gisant dans cette posture invraisemblable à quelques mètres de lui, soudainement envahie par une cohorte d’étrangers ? Une intervention d’urgence s’impose. Le major se tourne vers son subordonné :

— Gautier ! Dépêchez-vous de sortir et de bloquer toute l’équipe à l’extérieur. Expliquez-leur la situation, sinon, on court à la catastrophe.

— Je m’en occupe, ne vous en faites pas !

L’esprit un peu tranquillisé, le sous-officier se tourne vers la carcasse imposante du jeune homme, toujours aussi choqué. Trouver les mots adéquats devient une tâche particulièrement mal aisée.

— Monsieur Le Berre ! Je vous assure que je comprends votre abattement, mais vous devez accepter l’évidence. Au cours de votre vie, êtes-vous déjà tombé au moins une fois dans un escalier ?

La réponse ne vient pas sur le champ. Dehors, des éclats de voix laissent à penser que les collègues ont du mal à accepter l’idée de devoir attendre…

— Moi non, mais ma grand-mère oui, il y a longtemps.

— Vous étiez là ?

— Oui, c’était le jour de Noël.

— Oh ! Vous avez vu si elle était blessée, et si elle avait des bleus, autant de bleus que votre mère sur le corps ?

— Ma grand-mère était habillée…

— Bien sûr, mais vous avez dû l’entendre parler de ses blessures, ou avoir entendu votre mère ou le médecin en parler ?

Un silence. Le temps de se remémorer les faits sans doute.

— C’était pas hier, je devais avoir 12 ou 13 ans. Je crois me rappeler que ma grand-mère disait quelque chose comme : « Je m’en suis bien sortie, j’aurais pu me casser le col du fémur ! Et là, à part une grosse frousse, j’ai juste un bleu à la hanche et une grosse bosse au front ! »

— Vous voyez ! Votre grand-mère, qui avait sans doute un certain âge à l’époque, s’en est sortie avec presque rien. Donc, vous croyez vraiment que votre maman aurait pu se faire autant d’hématomes juste en glissant dans l’escalier ? Un simple accident reste l’hypothèse la plus probable – même si le major n’en pense pas un mot –, mais nous devons quand même vérifier que personne n’a agressé votre mère. Si c’était le cas, accepteriez-vous de laisser courir en liberté celui ou celle qui l’a tuée ? Même s’il n’en avait pas l’intention au départ ? N’avez-vous pas envie, si c’est le cas, que le responsable de sa mort soit jugé, et éventuellement condamné ?

— Si quelqu’un a tué “Mampol”, je le tuerai moi-même ! répond le jeune homme sur le ton d’un enfant qui ferait un caprice.

Une réaction qui n’étonne qu’à moitié le major, malheureusement habitué à ce genre de comportement quand des gens perdent un être cher dans des conditions dramatiques. Et d’autant moins surprenante que le fils de la victime semble légèrement immature. Un doux euphémisme.

— “Mampol”, c’est le surnom que vous lui donniez ?

— Oui ! Ma grand-mère l’appelait toujours Paule, pas Pauline, et après ma naissance, tout le monde a commencé à dire Mam-Paule, et c’est vite devenu “Mampol”.

— OK ! Quoi qu’il en soit, vous comprendrez que je ne peux pas vous laisser dire ça, rétorque une voix calme – celle d’un gendarme visiblement aguerri à s’adapter au niveau intellectuel ou émotionnel de ses interlocuteurs. Vous savez qu’on ne peut pas se faire justice soi-même. C’est notre devoir, à nous gendarmes, de découvrir la vérité : pour éviter de laisser courir un meurtrier potentiel, et pour vous aider à faire votre deuil. Je suis persuadé qu’au fond de vous-même, vous ne croyez pas à un accident…

Un visage menaçant, des poings serrés, et un silence qui en dit long, voici la seule réponse que lui apporte l’orphelin de fraîche date.

Alors le major enchaîne :

— Je vous propose, pendant que mes collègues spécialistes cherchent des indices, de venir avec moi à la brigade, et si vous vous sentez le courage, vous pourrez peut-être répondre à quelques questions. Cela nous ferait gagner du temps, et nous permettrait de retrouver plus vite celui ou ceux qui ont certainement causé la mort de votre mère. Volontairement ou non. Et rien ne dit que mes collègues n’aboutiront pas à la même conclusion que vous ! Il faut simplement leur laisser le temps de faire leur travail, d’accord ? Vous ne voulez pas prévenir votre marraine ? Elle est plus près, et elle pourrait peut-être vous accueillir quelques heures ou quelques jours, pour que vous ne restiez pas seul ?

— Et maman, qu’est-ce que vous allez en faire ?

— Ne vous inquiétez pas, on va s’en occuper du mieux possible. Et vous la reverrez très bientôt. Alors on y va ? Je ne vous embêterai pas longtemps.

— D’accord. Mais vous me promettez de ne pas faire de mal à ma mère ?

— On s’occupera bien d’elle, ne vous en faites pas !

Et le jeune homme redevenu plus calme, accompagné du maréchal des logis-chef passe près du corps allongé, sans même un regard. Derrière, le major, étonné de ce comportement atypique, ne peut s’empêcher de penser : « Pas de doute, je crois qu’il lui manque quelques neurones… »

*

Du côté de Locquirec, sur la côte nord du Finistère, Laure Saint-Donge ressasse sa mauvaise humeur. À vrai dire, depuis son retour de Montréal, à part la gueule elle ne fait plus grand-chose d’autre. Elle passe le plus clair de son temps devant la glace située au-dessus du lavabo ou devant celle du dressing qui fait face à son lit. Ou plutôt à leur lit.

Son compagnon, avec qui elle fait normalement maison à part, se tient près d’elle. Hugues, comme à chaque fois qu’il le peut, prend une partie de son samedi, et passe la nuit ici, délaissant Pomponnette, sa chatte si fidèle, et la maison qui jouxte son officine à Trémel.

— Presque midi ! Si on veut avoir de la place chez Tilly, il faut se dépêcher un peu.

Laure ne répond pas. Elle quitte la chambre, vêtue d’un simple bikini qui ne cache que quelques centimètres de sa peau, pour se réfugier dans la salle de bains attenante.

— Laurinette, tu en as pour longtemps ?

Le silence en écho. Porte fermée à clé. Il frappe.

Aucune réaction.

— Laure ! Lau-aure ! Amour, réponds-moi ! Si tu préfères, on reste ici, on ne va pas prendre l’apéro ! On ira ce soir.

Nul bruit ne parvient à ses oreilles, même pas celui de l’eau de la douche.

— Laure ! Ouvre-moi ! Je sais ce que tu ressens, mais on doit en parler tous les deux. Allez ! Laisse-moi entrer. Je te l’ai déjà dit mille fois, cela ne change strictement rien entre nous. Et puis…

La porte s’ouvre d’un coup et deux yeux vert d’eau, aux contours magnifiques, le défient du regard. Hugues s’attendait plus ou moins à trouver sa compagne en larmes. Il n’en est que plus surpris. Il s’avance vers elle, prêt à la serrer dans ses bras. Les prunelles qui le fixent l’en dissuadent aussitôt. Le visage affiche une dureté qu’il ne se rappelle pas avoir déjà vue chez sa journaliste préférée. Il essaie de l’embrasser, sa bouche se dérobe.

— Je n’ai pas envie de parler ni d’aller chez Catherine et Yvan. Regarde-moi ça !

Et elle montre son reflet dans la glace au-dessus de la vasque.

— Regarde cette horreur ! Je me demande si tous ces derniers mois ont été un rêve ou un cauchemar. Avoir retrouvé un visage normal, pour se retrouver de nouveau face à cette monstruosité !

Hugues n’a pas besoin de visualiser ce dont elle parle. Il ne le sait que trop bien. Pour la énième fois, il se repasse le film des dernières semaines. Leur retour de Binic et Étables avec une LSD qui était loin d’être au top de sa forme, physique et mentale. Les jours suivants où elle a récupéré étonnamment bien malgré l’ampleur des dégâts* subis lors de son aventure dans le Goëlo. Son départ à Montréal, le diagnostic irrévocable, et son opération…

— Tu sais très bien que ce n’est que pour quelques semaines…

— Ou quelques mois… Ou…

Elle n’achève pas sa phrase, les yeux au bord des larmes.

— Attends ! J’ai parlé au professeur Léveillé, et j’ai parlé à ton père aussi, qui le connaît très bien, tu le sais. Il m’a confirmé qu’il ne fallait pas perdre espoir. Les circonstances ont voulu que le greffon soit rejeté, pourtant il est raisonnablement optimiste, il faudra du temps, indéterminable pour l’instant, mais une nouvelle greffe devrait être possible. La situation doit d’abord se stabiliser, l’évolution des tissus doit être surveillée, et après il faudra retrouver une donneuse compatible. Il m’a dit qu’il ferait tout pour que tu retrouves ton visage “d’avant”.

— Je te connais trop pour savoir que tu me caches quelque chose. Je le ressens à ton intonation, à ton regard fuyant. Alors, dis-moi la vérité, merde ! Tout plutôt que l’incertitude !

Hugues hésite, les mots se bousculent dans sa bouche et s’arrêtent au bord des lèvres. La peur de faire de la peine à sa chérie ? Non ! Il sait trop bien que Laure est le genre de femme qui ne supporte pas les mensonges, sauf si c’est elle qui les profère. Alors, il se lance.

— OK ! Il m’a dit que la première greffe avait été une belle réussite, qu’il en était très fier. Mais une greffe, même partielle du visage, ce n’est pas une opération de l’appendicite… Il reste beaucoup plus réservé sur la réussite d’une deuxième intervention. Lui et ses confrères chirurgiens en ont réussi plusieurs, même s’il ne m’a pas caché que le risque d’échec était plus important. De toute façon, il ne peut absolument pas se prononcer tant que la cicatrisation postopératoire n’est pas complète.

— Si j’ai bien compris ce que tu me dis, cela signifie que je devrais supporter cette balafre pour un temps allant de plusieurs semaines jusqu’à ma mort ?

— Laurinette, tu as vécu avec pendant plus de dix ans, tu en as fait, si j’ose dire, ta “marque de fabrique”, tu ne vas pas prétendre que tu ne peux pas la supporter quelques mois de plus ? Je t’ai connue comme ça, je t’ai aimée comme ça, et je t’aimerai comme ça. Même si Francis Cabrel l’a dit avant moi, je le pense vraiment, tu le sais bien.

— C’est vrai, Amour, mais tu ne vis pas le regard des autres comme je le vis. Pendant toutes ces semaines, les gens me voyaient comme une femme normale…

— Et très mignonne !

Laure semble ne pas avoir entendu, et reprend :

— On ne me regardait plus comme une bête curieuse, tu comprends ? Tu comprends ce que cela représentait pour moi cette période de “normalité” ? Maintenant, tout est à refaire. Dès que je serai au contact des autres, je sentirai leurs yeux pleins de dégoût en voyant ma joue droite. As-tu déjà imaginé quelle serait ta réaction si tu étais à ma place ? Avec une balafre bien creusée, qui va pratiquement de la commissure des lèvres jusqu’au lobe de l’oreille… Joffrey de Peyrac version XXXL, avec Robert Hossein dans le rôle d’Angélique…

— Tu es injuste. Tu oublies que tous tes amis, et moi encore plus, nous avons occulté cette cicatrice. Laure nous l’aimons tous, simplement parce qu’elle est Laure, avec son caractère bien trempé, son charisme, son intelligence, son courage, sa beauté – eh oui, sa beauté – et tu ne peux nier que tu en as fait tourner des têtes malgré cette balafre, et pas à cause d’elle ! Arrête de te flageller, redeviens la LSD que tout le monde apprécie comme elle est. Et dis-toi que ce n’est que temporaire.

— Facile à dire !

— Je sais, murmure le pharmacien de Trémel en la prenant dans ses bras ; mais tout est de la faute de ce foutu reportage à Binic et Étables, comment aurais-tu pu deviner la tournure qu’ont pris les événements ?

Un simple soupir en guise de réponse, et un chaste baiser, peu dans les habitudes de Laure… Hugues semble hésiter quelques instants.

— Et si on prenait quelques jours, histoire de se changer les idées, de changer d’air, d’atmosphère ?

— Ton idée serait excellente, mais tu sais très bien qu’en saison tu ne peux pas te libérer vraiment. Et de toute façon, cela ne marcherait pas. J’ai surtout besoin de m’occuper l’esprit. Le seul élément susceptible de me faire oublier un peu cette saloperie – sa main caresse lentement sa joue meurtrie – n’est plus d’actualité. Il m’aurait fallu une bonne enquête bien tordue à mener, mais je t’ai promis d’arrêter, et je tiendrai ma promesse.

Ton ferme, voix nette, regard fixe. Laure ne reviendra pas sur sa décision.

— Mais j’ai plusieurs sujets de reportages en vue, je vais me plonger dedans et les étudier de plus près. Et à défaut d’éviter les regards des autres, je vais éviter les miroirs.

— Sauf pour te maquiller… Allez ! Ce soir, que tu le veuilles ou non, je t’emmène au restaurant, mais d’abord, chez Tilly !

*

Retour à Fouesnant, dont Beg-Meil constitue l’un des principaux quartiers – ou plutôt l’un des pôles, selon l’administration. Nous sommes route de Bénodet, dans la spacieuse BTA, brigade territoriale autonome de gendarmerie, où règne une atmosphère tendue. Frédéric Le Berre a eu bien du mal à quitter la maison de sa mère, et à laisser son corps aux mains d’inconnus aux allures de cosmonautes. Il a fallu toute l’empathie et la diplomatie du major Gaillec pour que le jeune homme “abandonne” sa mère aux TIC et aux hommes de la brigade de recherches de Quimper, venus relever le maximum de traces ou d’indices sur le lieu du drame, et sur la victime. Le sous-officier a accueilli le fils désemparé dans son bureau, plus chaleureux et moins stressant que la salle d’audition qu’il aurait pu utiliser.

Un troisième personnage se tient à ses côtés, en tenue de ville, jean et blouson de cuir. Fin de trentaine, visage fin orné de cette sempiternelle barbe de trois jours propre aux jeunes mâles en quête de virilité face à l’ascension inéluctable du pouvoir des représentantes du sexe anciennement dit faible, le capitaine Dufour ne manque pas de charme, et son bronzage prononcé ne fait que le souligner. Il a posé, nonchalamment, une fesse sur le bureau de l’adjoint du chef de brigade. Désormais, à la demande du parquet, il est chargé de mener officiellement cette enquête sur les recherches de la cause de cette mort suspecte. Ceci bien évidemment, comme toujours, avec la pleine collaboration de ses collègues fouesnantais. Un bref entretien préalable avec le major lui a permis de cerner les contours psychologiques de celui qui se retrouve soudainement orphelin. Le recueil de la déposition de ce témoin clé se fait donc avec le maximum de délicatesse possible.

— Monsieur Le Berre, je tiens à vous présenter toutes mes condoléances, et je vous assure que nous ne vous retiendrons pas longtemps. Je viens de la BR, la brigade de recherches de Quimper, et je peux vous certifier, qu’avec tous mes collègues, nous déploierons un maximum d’efforts pour découvrir la vérité au plus vite.

Il aurait mieux fait de ne rien dire, car son intervention, tout à fait compréhensible et banale pour un individu lambda, déclenche une violente réaction chez le fragile Frédéric.

— Bon Dieu ! Mais il va falloir vous le répéter combien de fois ? Ma mère est tombée dans l’escalier en allant aux toilettes au milieu de la nuit. Pourquoi vous faites autant d’histoires pour un simple accident ?

— Le major Gaillec m’a déjà exposé votre point de vue, et rien ne dit que vous n’ayez pas raison. Il vous a également exprimé ses doutes concernant la position du corps. Mais il faut que vous compreniez que, maintenant, nous avons une demande officielle d’enquête de la part du procureur de la République, et nous n’avons pas d’autre choix que de mener toutes les recherches nécessaires pour éclaircir les conditions exactes de la mort de votre mère. Comme je vous le disais, votre hypothèse est peut-être la bonne, mais certains éléments ne “collent” pas tout à fait avec un simple accident. Le major vous l’a déjà expliqué : la position du corps ne paraît pas compatible avec une chute accidentelle. Dans ce cas, on l’aurait trouvée dans l’axe de l’escalier, et non pas à l’entrée du salon. Si elle avait essayé de ramper vers la salle à manger, on l’aurait découverte allongée sur le ventre, pas sur le dos. Et il y a aussi tous ces hématomes, dont certains sont situés à des endroits très particuliers, qui ne peuvent faire penser qu’à des coups donnés volontairement…

En face de lui, le fils de la victime ne cesse de secouer la tête exprimant clairement sa totale désapprobation. Quelques haussements d’épaules ne font que le confirmer, sans pour autant déconcentrer le capitaine Dufour qui continue sa démonstration, aussi imperturbable qu’un horse-guard à qui on chatouillerait les narines avec une plume d’oie saupoudrée de poil à gratter.

— Nos collègues de la “scientifique” nous en diront certainement plus d’ici quelques heures, mais pour l’instant nous nous devons de recueillir les faits, et en tout premier lieu, votre témoignage, puisque vous avez vécu cette terrible épreuve de découvrir votre mère ainsi. Est-ce que vous pourriez nous raconter ce qui s’est passé exactement ?

Un énorme soupir, et, comme à regret, Frédéric répond, d’un ton désabusé.

— Quelle perte de temps ! Enfin, si vous n’avez que ça à faire…

Après un silence, il commence son récit :

— Tous les samedis midi ou presque, je viens déjeuner chez ma mère. J’achète des palourdes des Glénan chez le poissonnier. Après, on mange un rosbif avec des frites, et elle me fait un far en dessert. C’est un peu comme un rituel. Pour entrer dans la maison, je ne frappe jamais, je passe toujours par la porte de derrière ; elle est toujours ouverte…

— Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

— Celle de devant est toujours fermée, tous les amis ou les voisins qui connaissent la maison passent toujours par l’arrière. C’est aussi un moyen de savoir si le visiteur est un emmerdeur potentiel ou non.

— Et cette porte est fermée la nuit ?

— J’en sais rien. Ça m’étonnerait. Tout ce que je peux vous dire, c’est que cette foutue porte fait un de ces bruits ! Elle a un gros battant en chêne et l’huisserie est tellement déformée avec le temps et l’humidité qu’il grince et frotte sur le sol, vous imaginez ? En voyant l’état du bois, à chaque fois je disais à ma mère qu’il était plus que temps de mettre du PVC ou de l’alu à la place. Mais c’était toujours la même réponse : « Tu m’énerves avec tes idées de changement. Ta grand-mère tenait à cette porte en bois, pour je ne sais quelle raison, et tant qu’elle tiendra debout je ne la changerai pas. Alors n’insiste pas ! » En tout cas, avec ce boucan, même au premier étage, on sait tout de suite quand quelqu’un arrive. En plus, il y a un éclairage avec un détecteur, donc l’éclairage s’allume dès qu’on passe le pignon de la maison, et la nuit, même à travers les rideaux, on ne peut pas ne pas la voir. Je sais que ma mère en avait marre, et voulait le débrancher, parce qu’il se déclenchait pour un oui ou pour un non, avec le vent, avec un chat… Quand elle regardait la télé ça l’emmerdait.

— Intéressant ! On vérifiera s’il est bien en état de marche. Donc, pour vous, personne n’a pu passer, de nuit, par l’arrière de la maison, sans que votre mère ne le sache aussitôt ?

— Je dirais non. Mais parfois ma mère avait le sommeil lourd…

— Est-ce que je peux vous demander s’il lui arrivait de… boire ?

La question qu’il ne fallait pas poser ! Frédéric Le Berre se dresse d’un coup et toise le capitaine, regard haineux à l’appui.

— Qu’est-ce que vous sous-entendez ? Que ma mère était une ivrogne ! Je vous interdis de dire des mensonges pareils. Si pour chercher “votre” vérité vous salissez sa mémoire, je me barre tout de suite.

Les yeux lanceurs de flèches n’épargnent pas le major, et le capitaine Dufour doit ramer à contrecourant pour essayer de regagner la confiance du jeune homme.

— Je vous en prie, monsieur Le Berre, excusez-moi. Je me suis mal exprimé. Je voulais simplement savoir, s’il pouvait arriver, certains soirs, dans certaines occasions, des fêtes par exemple, qu’elle boive un peu plus et dorme plus profondément ?

Qu’en termes délicats ces choses-là sont dites ! Cependant, le fils de la victime retrouve petit à petit son calme, et se rassoit.

— Maman ne buvait pas spécialement. Je ne l’ai jamais vue saoule, si c’est ce que vous espériez que je dise. Même les jours de fête, on ne buvait jamais plus de cinq ou six verres de vin ou de champagne au total. Dans ces cas-là, je restais coucher ici, et je n’ai jamais, jamais, remarqué que ma mère était “bourrée” comme on dit.

— Merci pour cette précision. Mais continuez votre récit, je vous en prie.

— J’arrive donc à la porte – il devait être midi – je frappe juste pour dire et je rentre dans la petite véranda puis dans la cuisine. Il n’y avait personne. Pas le moindre plat à chauffer sur la cuisinière ou dans le four. J’ai trouvé cela étrange. D’ordinaire, tout est prêt à cette heure-là. On prend juste un petit apéro et on mange. Non seulement il n’y avait rien en cuisson, mais en plus j’ai vu que dans l’évier il y avait une casserole, trois assiettes sales et les couverts qui vont avec. D’habitude, la cuisine est toujours nickel et, là, je trouvais un désordre inattendu, complètement inhabituel chez ma mère qui était très à cheval sur la propreté de sa maison. Avec son métier de femme de ménage, ça n’avait rien d’étonnant. Sur la table de la cuisine, il y avait une bouteille de merlot rouge et une de chardonnay blanc, toutes deux vides, trois verres et quelques canettes de bière. Je n’ai pas compris ce que ça faisait là, puisque ma mère ne boit que de l’eau dans la semaine et ne reçoit que rarement des invités. Et dans ces cas-là, elle utilise toujours la salle à manger. Le plus surprenant, c’était le silence : à part le ronronnement du frigo, et le tictac de l’horloge murale, je n’entendais rien. En général, maman me sautait presque dessus, avant même que j’aie fait un pas dans la pièce. Alors j’ai appelé : « Maman ! Maman ! » Je n’avais toujours aucune réponse, j’ai donc appelé de plus en plus fort. Je commençais vraiment à être inquiet. J’ai continué à avancer, je suis passé le long de l’escalier pour aller vers le salon et c’est à cet endroit que je l’ai découverte, à l’entrée de la salle à manger. J’ai commencé à paniquer, je ne savais pas quoi faire, et j’ai fini par la toucher. Elle était toute froide… J’ai compris qu’elle était morte, que je ne pouvais plus rien faire. Alors j’ai pleuré. Longtemps. Et j’ai fini par vous appeler.

— Cela a dû être une terrible épreuve. Merci d’avoir eu le courage de nous raconter ce qui s’était passé.

— Et à part le désordre dans la cuisine, vous n’avez rien remarqué d’anormal ? Des bruits bizarres, des objets déplacés ? Autre chose ? demande le major.

Frédéric n’entend pas. N’entend plus. La simple évocation de ces moments terribles a ravivé toutes ses plaies encore si fraîches. La tête plongée dans les paumes de ses mains, il pleure, à chaudes larmes, comme le grand bébé qu’il semble être resté malgré ses 30 ans révolus. Les deux gendarmes, face à lui, observent un silence respectueux, tout en échangeant des regards qui en disent long sur leur appréciation de l’immaturité du jeune homme. La source lacrymale finit par se tarir, permettant au capitaine Dufour de reprendre la parole.

— Vous êtes sûr que ça va aller ? Vous ne voulez pas que j’appelle un médecin, qu’il vous donne un sédatif, ou quelque chose pour dormir ?

Frédéric le Berre se redresse, ses yeux rougis fixent tour à tour les visages des deux militaires, ignorant la question.

— Qu’est-ce que je vais devenir ? Je…

Le major Gaillec l’interrompt aussitôt :

— J’ai pris sur moi de prévenir vos proches. Votre marraine va venir vous chercher, elle devrait arriver d’ici très bientôt.

Une phrase qui ramène un semblant de sourire de soulagement sur sa face.

— En attendant que votre parente arrive, reprend le capitaine, est-ce que je peux vous poser encore une ou deux questions ?

Son interlocuteur paraissant nager dans un flou cérébral, l’officier de la BR tente sa chance, sans vraiment espérer de réponse.

— Monsieur Le Berre, à votre connaissance, votre mère avait-elle des amis proches, voire des amis intimes, avec qui elle aurait pu passer la soirée du vendredi ?

Manifestement, il ne fait pas bon toucher à la réputation de sa mère… Les joues du jeune homme s’empourprent à nouveau. Avant l’explosion, le capitaine a juste le temps de faire descendre, en catastrophe, la pression.

— Je vous demande juste si vous lui connaissiez des amis ; est-ce qu’elle vous en aurait parlé ?

— Ma mère travaillait beaucoup, et il lui arrivait, quand on mangeait ensemble de me raconter des anecdotes à propos de ses clients, mais c’est tout. Je n’ai jamais vu personne chez elle, et jamais je ne l’ai entendue dire qu’elle avait eu des visiteurs.

— Je vois, donc vous n’avez aucune explication pour les trois verres dans la cuisine et les bouteilles d’alcool ? Ni pour les assiettes sales ?

La réponse vient sans la moindre hésitation :