Requiem à Paimpol - Bernard Enjolras - E-Book

Requiem à Paimpol E-Book

Bernard Enjolras

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Beschreibung

Les enquêtes captivantes de Bernie Andrew

Jade, magnifique jeune femme de 22 ans, s’est évanouie dans la nature, un beau soir d’octobre.
Cela ne peut être un enlèvement car elle est repassée chez sa mère, quelques jours plus tard, pour prendre quelques vêtements et récupérer son petit chien, Cacahuète. Et pourtant...
Et quel rapport y-a-t-il entre cette disparition et ces deux loubards de banlieue en cavale ?
Quand le polar croise la route du road-movie, les événements se précipitent et le suspense devient haletant.
Bernie Andrew, appelé à Paimpol par son ami Jean-Jacques Bordier, parviendra-t-il à éclaircir cette affaire ténébreuse ?

Plongez-vous dans le 8e tome des enquêtes de Bernie Andrew, avec ce thriller mystérieux qui prend pour cadre les côtes bretonnes !

EXTRAIT

Les deux amoureux, seulement préoccupés par leurs ébats, s’enlacent à nouveau et les mains du jeune homme partent à la découverte du corps de sa compagne. Elle fait de même et ils commencent à se déboutonner mutuellement.
Forcés de se décoller l’un de l’autre pour se dévêtir, la jeune femme recule d’un pas et vient buter contre un obstacle qui manque de la faire chuter.
Elle se retient de justesse contre la paroi en planches du wagon.
— Il y a quelque chose là, s’inquiète-t-elle.
— Mais non, il n’y a rien.
— Je t’assure…
Elle s’empare de son portable et, l’utilisant comme une lampe de poche, le braque devant elle.
Ce qu’elle voit alors la saisit de stupeur et lui coupe instantanément tous ses moyens. Elle reste hébétée pendant plusieurs secondes, la bouche ouverte, les yeux écarquillés, incapable de proférer le moindre son…
Et puis… elle se met à hurler comme une démente.
À ses pieds gît un corps sans vie, ensanglanté, la face défoncée horriblement, qui la fixe de ses globes oculaires éteints de poisson mort.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Editions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Enjolras est né en 1952 à Lyon. Après une carrière professionnelle effectuée à France Télécom, il vit aujourd'hui à Trégastel au cœur même de la côte de Granit Rose. C'est ce cadre magique qui sert de décor aux premières enquêtes de son personnage fétiche : Bernie Andrew. Bernard Enjolras a reçu le prix du Goéland masqué en 2011 avec Îlot mortel à Trégastel.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À Boris, Jordan et Slahédine dont j’ai emprunté le prénom mais qui, à part cela, n’ont strictement rien à voir avec les personnages de ce roman.

REMERCIEMENTS

- À Michèle Jacques, Marc Reveillère.

- À toute l’équipe des Éditions Alain Bargain.

Fin octobre. Dimanche en début de soirée…

La nuit est tombée depuis plus d’une heure. Il ne pleut pas et la température est plutôt clémente pour la saison.

Le parking de la gare, quoique bien éclairé par les lampadaires qui diffusent leur lumière déprimante sur le goudron, semble une île abandonnée cernée par la pénombre.

Quelques jeunes squattent l’abribus qui fait face à la station. Une ou deux autres silhouettes discrètes, comme égarées dans la nuit, attendent le car. En effet, depuis un certain temps déjà, le train ne circule plus en raison de l’entretien des voies.

Il va décharger, comme chaque semaine à la même heure, son lot d’adolescents finistériens qui fréquentent le Lycée Maritime de la ville.

L’imposant véhicule apparaît enfin à l’heure prévue. Il stoppe à l’emplacement habituel et ses portes glissent lentement sur son flanc dans un sifflement hydraulique.

Les jeunes descendent et s’égaillent aussitôt dans la ville comme des moineaux. Les derniers ne sont pas encore sortis du bus que les premiers ont déjà traversé l’avenue du général de Gaulle.

Erwan laisse filer le flot de ses camarades et prend la direction de la tour ronde qui semble monter-le guet près de la gare.

C’est là qu’elle doit l’attendre, fidèle à son habitude. Il la distingue là-bas dans l’ombre et se dirige vers elle, le cœur battant.

Il ne l’a pas vue depuis le vendredi précédent et n’a cessé de penser à elle durant tout le week-end.

Elle l’a aperçu également et lui sourit. Il la trouve belle avec ses cheveux soyeux qui tombent en cascade sur ses épaules. Elle est vêtue d’un jean qui met en valeur ses formes juvéniles et porte un caban dont les boutons sont défaits.

Il jette son sac à terre et l’enlace tendrement, à même la peau, les mains glissées sous son pull.

Ils s’embrassent comme des morts de faim et se susurrent des mots tendres.

Erwan n’a aucune envie de retrouver le lycée, son dortoir et les relous qui partagent sa chambre. Les deux amoureux, main dans la main, font quelques pas sur le parking.

Ils n’ont à l’instant qu’un seul désir, évidemment partagé, être seuls au monde, se cajoler, s’aimer…

Le jeune homme aperçoit la section de grillage défoncée.

— Viens, dit-il simplement.

La jeune fille le suit sans hésitation.

Ils basculent de l’autre côté, foulent une pelouse où poussent de hautes graminées, derrière les haies, où il fait plus sombre, et s’embrassent à nouveau, encore et encore…

Le garçon se fait plus entreprenant. Sa compagne le laisse faire. Consentante, elle éprouve les mêmes sentiments et les mêmes envies que lui.

Peut-être un peu plus prude, elle murmure :

— Non pas ici, on pourrait nous voir.

Erwan regarde autour de lui. Le désir est si intense, le moment si propice… Il voit les wagons abandonnés et l’idée jaillit dans sa tête.

— Suis-moi…

Ils traversent les voies et se retrouvent de l’autre côté des voitures.

Le jeune homme, après un rapide examen à la lumière de son portable, repère assez facilement le cadenas fracturé sur la barre de fermeture.

Il s’en approche et, de toutes ses forces, parvient tant bien que mal à faire coulisser la lourde porte.

Il grimpe ensuite sur la plate-forme et tend la main à son amie pour l’aider à y accéder à son tour.

À l’abri des lumières du parking, l’obscurité est quasiment totale.

Les deux amoureux, seulement préoccupés par leurs ébats, s’enlacent à nouveau et les mains du jeune homme partent à la découverte du corps de sa compagne. Elle fait de même et ils commencent à se déboutonner mutuellement.

Forcés de se décoller l’un de l’autre pour se dévêtir, la jeune femme recule d’un pas et vient buter contre un obstacle qui manque de la faire chuter.

Elle se retient de justesse contre la paroi en planches du wagon.

— Il y a quelque chose là, s’inquiète-t-elle.

— Mais non, il n’y a rien.

— Je t’assure…

Elle s’empare de son portable et, l’utilisant comme une lampe de poche, le braque devant elle.

Ce qu’elle voit alors la saisit de stupeur et lui coupe instantanément tous ses moyens. Elle reste hébétée pendant plusieurs secondes, la bouche ouverte, les yeux écarquillés, incapable de proférer le moindre son…

Et puis… elle se met à hurler comme une démente.

À ses pieds gît un corps sans vie, ensanglanté, la face défoncée horriblement, qui la fixe de ses globes oculaires éteints de poisson mort.

I

Neuf jours plus tôt…

Armelle ressentait douloureusement le sang épais qui battait sourdement contre sa tempe droite. Le tsunami de chaleur qui avait envahi son visage était à deux doigts de la faire tourner de l’œil.

C’en était vraiment trop, elle allait exploser. Elle ne supportait plus cette compétition larvée avec cette petite intrigante. Cette gamine qui venait à peine d’être embauchée comme simple stagiaire se pavanait, faisant mine de ne pas se rendre compte de l’effet qu’elle faisait sur les hommes.

Elle parvint à grand-peine à renvoyer un sourire figé à son client. Le pauvre petit vieux n’y était pour rien. Il était venu comme chaque vendredi soir retirer ses cent euros hebdomadaires.

— Et vingt qui font cent, lui dit-elle. Il vous faudra autre chose ?

Simple réflexe commercial, car elle connaissait pertinemment la réponse. Non, il ne voudrait rien d’autre, rien d’autre que ce misérable retrait de petit pensionné vivant chichement, telle la fourmi de la fable.

— Merci, ça ira comme ça, confirma-t-il.

Il s’empara avec précaution des billets posés devant lui et les rangea dans son portefeuille avec une maniaquerie et une lenteur insupportables, faisant trépigner d’impatience la jeune femme.

La voix de Jean-Claude parvenait jusqu’à elle depuis le fond de son bureau, entrecoupée de gloussements et de chuchotements. La garce avait dû aller le trouver sous un prétexte futile, peut-être un dossier qu’elle ne comprenait pas. Tu parles ! Qu’est-ce qu’une fille comme elle pouvait bien comprendre à un dossier de prêt ? Une transaction informatique qui ne passait pas… Facile, trop facile !

Elle était l’archétype de la blonde ravageuse que les autres femmes, les femmes normales quoi, ne peuvent pas encadrer.

Le papy du vendredi avait enfin rangé ses billets dans son portefeuille. Il quitta l’agence en souhaitant un bon week-end à tous.

Dès qu’il fut parti, Armelle se dressa avec véhémence. Elle n’allait pas se laisser doubler par cette allumeuse. Jean-Claude était sa chasse gardée, elle y travaillait depuis des mois, elle ne tolérerait pas qu’une rivale vienne piétiner ses plates-bandes.

Elle se saisit du listing qu’elle avait pointé dans l’après-midi, défroissa sa jupe d’un revers de main, défit un bouton de son corsage révélant la peau satinée de sa gorge, tapota rapidement sa coiffure pour la remettre en place et se précipita.

Depuis combien de temps ces deux-là étaient-ils enfermés dans ce bureau ?

Un bon moment certainement.

La teigne devait chercher à se faire inviter quelque part, au restau, en boîte… Elle n’avait donc pas de mec… C’était bien la peine de s’habiller aussi court du haut que du bas…

Arrivée devant la porte de Jean-Claude, Armelle hésita. Allait-elle frapper ou s’imposer sans y avoir été invitée ? C’était quand même le chef d’agence. Elle toqua à la porte.

— Oui ?

Elle glissa la tête dans l’entrebâillement.

— Jean-Claude, j’ai fini de pointer le listing des crédits. Il y a deux ou trois comptes dont j’aimerais te parler. Ah mais… pardon… tu n’es pas seul… Ah, c’est toi, Jade… Désolée, je ne voulais pas vous déranger.

Les deux femmes échangèrent un regard. Armelle reçut comme un coup de poignard en plein cœur le sourire narquois de sa rivale.

— Mais tu ne nous déranges pas, n’est-ce pas, Jean-Claude ? répondit cette dernière qui décroisa avec grâce ses jambes fuselées et s’arracha à son fauteuil. J’ai terminé, j’allais partir. Je te laisse la place. À plus tard, Jean-Claude.

L’interpellé lui adressa un geste vague, traduisant une certaine gêne, et se tourna vers la nouvelle arrivante.

— Montre-moi ça, lui dit-il.

Elle contourna le bureau et posa le listing devant son chef. Son parfum constituait une de ses meilleures armes. Elle se pencha en avant, espérant que sa poitrine accrocherait son regard, et ils se mirent au travail. Ils passèrent en revue les comptes sensibles. La jeune femme sentit qu’une distance s’était instaurée entre eux. L’offensive de séduction qu’elle avait entreprise depuis plusieurs semaines était à reprendre à zéro.

Une fois leur travail effectué, elle quitta rapidement la pièce pour regagner son guichet.

La situation ne pouvait perdurer, elle devait réagir. Elle ruminait depuis quelque temps des représailles et le moment de l’action était arrivé.

Jade, une liste de documents à la main, s’affairait près du photocopieur. Un conseiller commercial lui en expliquait le fonctionnement, collé à elle, beaucoup plus près que nécessaire.

Armelle s’approcha.

— Un problème ?

— Oh non ! Mais tu sais, moi, ces machines compliquées… Heureusement que Richard est là. Je serais perdue sans lui. Elle gloussa. Tu es trop chou, Richard. Je crois que j’ai compris. Je t’appelle si ça se bloque encore. Bisous !

Armelle haussa les épaules, cette vipère l’exaspérait.

— Tu vas à ton club de fitness, ce soir ?

— Oui, pourquoi ? Tu voudrais venir ? Tu sais, tu devrais. À ton âge, il faut commencer à faire des efforts, sinon tout risque de devenir flasque et bonjour les bourrelets !

Elle souriait avec l’insolente fraîcheur de son jeune âge et une envie de la claquer s’empara d’Armelle. Elle prit sur elle, mais la blondasse ne perdait rien pour attendre et plus tôt qu’elle ne croyait. Cette évocation fit naître un sourire sur son visage.

— Pas le temps, dit-elle, j’ai des courses à faire. Passe un bon week-end.

— Merci, toi aussi. Bisous bisous !

*

La nuit était tombée. Les éclairages de la salle de sport se répandaient à l’extérieur, inondant d’une pâle clarté une bonne partie du minuscule parking encore encombré en ce début de soirée.

Puis il se vida peu à peu, au fur et à mesure des départs des abonnés du club qui rentraient chez eux.

— Alors, elle vient ou pas, ta pétasse ?

— Oui, elle arrive. Tu vois, c’est celle qui se pavane devant le gars de l’accueil. Elle ne va pas tarder à sortir. On va se mettre là-bas dans l’ombre, elle ne comprendra pas ce qui lui arrive.

Les deux silhouettes en tenue de motard se faufilèrent sans bruit sur le côté du bâtiment. Combinaisons de cuir noir, casques intégraux… L’une d’elles tenait une espèce de longue cravache à la main, un nerf de bœuf en fait, arme redoutable s’il en est.

Des portières de voitures claquèrent, des moteurs démarrèrent, ronflèrent, des pneus crissèrent… et quelques minutes plus tard, les lumières s’éteignirent.

— Merde, on ne voit plus rien !

— Tant mieux, personne ne nous remarquera. Tiens-toi prêt, elle ne va pas tarder…

Un bruit de pas fit couiner le gravier, une forme à peine entrevue se dessina en contre-jour dans l’obscurité.

— C’est le moment, allons-y !

Deux bras robustes emprisonnèrent la silhouette et l’entraînèrent vers l’arrière de la salle. Jade se débattit.

— Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous voulez ?

— Ta gueule, salope ! Si tu dis un mot, je t’assomme !

Un premier coup siffla dans la nuit. Un cri de douleur lui répondit, déchirant le silence.

— Ta gueule, je t’ai dit…

Les coups redoublèrent. La jeune femme s’écroula sur le sol et, dans un geste réflexe, se recroquevilla sur elle-même. Son bourreau modifia la trajectoire de ses assauts en conséquence et s’acharna avec fureur jusqu’à ce que la forme effondrée à ses pieds ne soit plus qu’une masse inerte et sans réaction.

Le bruit d’un moteur troubla le silence.

— Chut, souffla Armelle. C’est le gérant du club qui s’en va. Ne fais pas de bruit !

— C’est bon, de toute façon, elle a son compte. Allez, viens, on se tire.

Les deux ombres s’évanouirent dans l’obscurité comme des spectres. L’écho de leur course sur le gravier s’étouffa en quelques secondes. Peu après, une moto se mit à rugir dans le lointain, puis ce fut le silence. Un calme oppressant enveloppa lentement les ténèbres, semblable à celui recouvrant un champ de bataille jonché de cadavres après une défaite.

Plusieurs minutes s’écoulèrent dans le black-out le plus complet.

Silence de fin du monde, ténèbres, temps arrêté…

Puis un faible geignement se fit entendre et la forme avachie sur le sol commença à remuer faiblement. Lenteur douloureuse au début, mouvements plus affirmés ensuite… Une plainte d’animal blessé s’éleva doucement.

Jade parvint à ouvrir les yeux mais elle les referma aussitôt. Elle pensa que son crâne allait exploser et renonça à se redresser. Elle n’en avait pas la force. Chaque respiration transperçait sa poitrine comme l’eût fait un poignard. Il fallait se calmer, inspirer légèrement, garder les yeux fermés, éviter de penser à ce mal de tête qui labourait l’intérieur de son cerveau.

Douleur intense, souffrance absolue, mais que s’était-il donc passé ?

Dans le vague de son esprit hagard, elle tenta de se souvenir, mais l’effort était trop violent, la peine trop intense…

Son instinct animal lui commandait de ne rien faire, d’essayer simplement de récupérer un peu de force.

De longues minutes s’écoulèrent, des heures peut-être…

Dans un moment de lucidité, elle pensa que sa mère allait s’inquiéter si elle ne rentrait pas et cela déclencha des larmes qu’elle sentit couler sur ses joues.

Attendre, recouvrer des forces…

Ce fut alors qu’elle perçut un bruit. C’était le moment de crier, d’appeler à l’aide. Aucun son ne sortit de sa bouche. Le craquement qu’elle avait entendu se rapprocha. Quelqu’un marchait dans sa direction.

Au prix d’un violent effort, elle parvint à geindre pour attirer l’attention de cette présence providentielle.

Le gravier crissa dans sa tête, une forme se pencha sur elle. Une lumière l’aveugla.

— Ça ne va pas ? Ne bouge pas, je vais t’aider…

Des bras la soulevèrent, ses pieds établirent un contact avec le sol. Elle flageola et faillit tomber.

— Appuie-toi sur moi, je vais te soutenir…

Elle ne le savait pas encore, mais dès cet instant, elle avait rendez-vous en enfer.

II

Quand elle ouvrit les yeux, allongée sur le dos, dans un noir absolu, elle crut tout naturellement qu’elle se trouvait dans son lit.

Quoi de plus normal, ce devait être l’heure de se lever. Elle voulut se tourner sur le côté pour jeter un coup d’œil à son réveil, mais une douleur fulgurante lui transperça le torse et la renvoya violemment dans sa position initiale.

Une nouvelle tentative n’eut pour seul résultat que de raviver sa souffrance.

Elle essaya d’ordonner ses idées, mais son esprit errait dans une espèce de brouillard cotonneux et dense, qui interdisait toute pensée. Ses yeux se révulsèrent soudain et elle retourna dans le néant.

Quand elle revint à elle, le noir infini avait cédé la place à un clair-obscur malodorant et humide. Son corps avait gardé la mémoire de la torture qu’elle avait précédemment subie sur cette couche et elle resta prudemment immobile.

Ses yeux s’accoutumèrent au maigre éclairage ambiant et s’attardèrent malgré elle au-dessus de sa tête, sur un plafond qu’elle ne connaissait pas. De grosses poutres mal équarries, tapissées de toiles d’araignées, soutenaient un plancher noirci par les ans. Mais tout semblait biscornu, le plafond se tordait, se dressait tel un tipi avant de s’évanouir dans le noir.

Elle tourna prudemment la tête et devina dans la semi-obscurité un mur de pierres grossières.

Elle ne se demanda même pas ce qu’elle faisait là, dans ce local immonde. Son cerveau acceptait ce décor comme un fait acquis.

Elle gisait dans un lieu inconnu, le corps douloureux, point barre.

Elle chavira à nouveau et s’envola dans un univers confus pour une durée incertaine.

Quand elle refit surface, la lumière lui parut un peu plus forte qu’auparavant. Le plafond obscur surplombait toujours sa tête, plus effrayant encore, plus proche… Les toiles d’araignées hideuses pendaient comme des loques, une poussière ancienne tapissait les murs de pierre qui l’encerclaient.

Elle se demanda pour la première fois où elle se trouvait. Une certitude, ce n’était pas sa chambre. Le souvenir du mal qui lui avait transpercé le corps s’imposa à elle. Elle essaya pourtant de se tourner et le coup d’épée qui la frappa alors lui arracha un gémissement de bête blessée.

Elle voulut palper son torse pour comprendre ce qui lui était arrivé, mais sa main droite était entravée. Elle découvrit à tâtons qu’un bracelet métallique attaché à une chaîne lui enserrait le poignet. Elle tira dessus violemment, ce qui lui meurtrit les chairs et lui arracha un cri.

Elle fut prise de panique et se mit à suffoquer. Elle hurla et tenta de se débattre en tirant sur ce lien qui la maintenait prisonnière. Cela eut pour effet de raviver le mal et la cloua immédiatement sur le dos, pantelante, les yeux dégoulinant de larmes sur son visage.

Hoquetant, sanglotant, elle se força à respirer plus lentement, à retrouver un rythme cardiaque normal.

Que faisait-elle dans cette cave sordide ?

Qui l’avait enfermée dans ce local infect ?

Peu à peu, ses pensées s’ordonnèrent. Le voile qui embrumait son cerveau s’entrouvrit. La mémoire commença doucement à lui revenir.

La salle de sport… Quand cela s’était-il passé ? La veille, il y avait plusieurs jours ? Les coups sur son corps… c’est pour cela qu’elle avait si mal… tous ces coups… pourquoi ?

Elle se souvint.

Cet homme qui l’avait aidée à se relever. Que s’était-il passé ensuite ? Elle avait marché, il la soutenait, il lui parlait d’une voix douce. Elle avait marché encore, il lui avait donné un verre d’eau et maintenant, elle était prisonnière, enchaînée sur un lit, depuis combien de temps ?

— Au secours ! Aidez-moi, je vous en supplie !

Elle éclata en sanglots.

Ce n’est qu’après de longues minutes qu’elle admit enfin qu’elle n’adoptait certainement pas la bonne attitude. Elle rassembla ses esprits et fit le point sur la situation.

Victime d’un maniaque, elle se trouvait seule, enchaînée sur un lit, dans un lieu inconnu, manifestement isolé, où ses pleurs et ses cris n’étaient d’aucune utilité.

Elle tendit l’oreille à la recherche du moindre indice susceptible de lui donner une indication sur sa localisation. Elle ne perçut aucun bruit de circulation, n’entendit aucune voix, même lointaine…

Avait-elle quitté Paimpol ? Était-elle séquestrée en pleine campagne ? L’avait-on enlevée pour la vendre à un réseau de traite des blanches ?

Elle était assez sexy pour cela. Elle le savait bien.

Malgré ses bonnes résolutions, elle se remit à pleurer comme une petite fille. Des larmes brûlantes traçaient leurs sillons humides sur ses joues déjà maculées.

Redevenir une enfant, retrouver la chaleur et la protection de ses parents… Cela la ramena chez sa mère, dans sa chambre douillette, où le chuintement lointain des voitures roulant sur l’asphalte la réveillait tous les matins à la même heure, à l’odeur du café qui passe, au ronronnement de la télévision allumée dès le lever…

Elle dut à nouveau faire un effort sur elle-même pour se calmer et réfléchir posément.

Son corps se rappela à elle. Son estomac se mit à gargouiller, elle avait faim, envie d’aller aux toilettes aussi…

Le besoin se fit plus pressant, elle ne pouvait quand même pas faire sous elle.

Elle essaya de bouger les jambes, tout doucement au début, et s’aperçut qu’elle pouvait le faire.

Et sa main gauche ? Libre également.

Seule sa main droite la maintenait prisonnière dans cette geôle hideuse. Cette découverte la réconforta. De sa main gauche, elle palpa son torse. La mémoire des coups reçus la veille lui revint. Elle ne décela aucune coupure, aucune plaie. Elle comprit que sa seule chance de se redresser était de basculer sur la droite. Cela lui arracha des cris de douleur, mais elle y parvint. Au prix d’efforts quasiment surhumains, elle se retrouva assise sur le matelas. Ses pieds pendaient dans le vide. Elle était habillée.

Il lui fallut un temps de récupération assez long avant de pouvoir procéder à un examen rationnel de son environnement.

Ses yeux s’accoutumaient à l’obscurité et elle y voyait de mieux en mieux. Elle devait être dans la cave d’une maison ancienne car une infime clarté perçait difficilement à travers un vieux plancher grossier. Elle distingua une masse sombre sur sa droite, pas très imposante, qui ressemblait à une table de chevet. Elle se laissa glisser, se retrouva debout et se décala prudemment sur la droite pour s’en approcher. Dans son mouvement, ses pieds heurtèrent un obstacle. Elle arrêta sa progression. Elle s’accroupit en grimaçant de douleur et saisit l’objet de la main gauche. Elle se redressa et, moitié assise, moitié debout, essaya de deviner de quoi il s’agissait.

Après une lente exploration manuelle, elle comprit ce qu’elle avait déniché. Cela lui arracha un soupir de soulagement. Elle n’avait vu un tel ustensile qu’à de très rares occasions, une ou deux fois dans des vide-greniers, mais la trouvaille était providentielle.

Un pot de chambre qui tombait à pic.

Elle soulagea sa vessie et reposa le vase de nuit au sol le plus loin possible pour éviter de le renverser accidentellement plus tard.

Elle se rapprocha de la table de nuit. Celle-ci sentait le vieux. Cela lui rappela les meubles de sa grand-mère dont il avait fallu se débarrasser à son décès. La même odeur de bois ancien vernissé. La froideur du dessus du meuble la fit frissonner. Du marbre peut-être… Elle passa une main prudente sur la surface minérale et rencontra un nouvel obstacle qu’elle faillit renverser. Elle rattrapa de justesse une bouteille… pleine. Elle s’en saisit avec précaution et la ramena vers elle. Format classique en plastique, qui craque légèrement quand on la manipule, munie d’un bouchon que Jade dévissa. Pas d’odeur, peut-être de l’eau. La jeune femme versa quelques gouttes de liquide sur sa main et la goûta, pleine d’appréhension.

De l’eau !

Un deuxième test par sécurité avant de porter le goulot à ses lèvres pour étancher la soif qui la tenaillait.

Elle se désaltéra longuement et reboucha soigneusement la bouteille. Pas question de risquer de la renverser et de perdre le précieux liquide. Si son ravisseur avait pris la précaution de lui laisser à boire et de quoi satisfaire ses besoins élémentaires, c’est qu’il ne voulait pas se débarrasser d’elle dans l’immédiat. Elle bénéficiait certainement d’un répit, oui mais de quelle durée ?

Elle recommença à paniquer.

Elle devait sortir de cet endroit, échapper à son kidnappeur… Elle se ressaisit et scruta à nouveau les ténèbres qui l’entouraient. Elle se mit debout et entreprit, le bras gauche dressé devant elle, de faire le tour de son lit. La chaîne qui la maintenait prisonnière lui interdit cette manœuvre. Tout au plus pouvait-elle se déplacer de la table de chevet jusqu’au pied de sa couche. Elle ne dénicha aucun objet qui aurait pu tenir lieu d’arme.

Elle s’interrogea soudain.

Où étaient passés son sac à main, son téléphone, ses objets personnels ?

Sa mère l’avait certainement appelée. Elle avait certainement signalé sa disparition, les gendarmes la recherchaient peut-être déjà…

Elle se sentit fatiguée et se rassit sur le vieux matelas dépourvu de draps qui, elle s’en rendait compte maintenant, dégageait une odeur nauséabonde de moisi mêlé de vieille poussière.

Ses yeux se fermaient malgré elle. Elle pensa que l’eau dont elle s’était régalée était peut-être droguée. Le sommeil la gagna en douceur et elle parvint à s’allonger sur le côté sans déclencher de trop grandes douleurs. Elle eut l’impression d’ouvrir plusieurs fois les yeux, dans un noir total et un silence absolu.

Elle sursauta subitement.

Un bruit l’avait éveillée. Combien de temps avait-elle dormi ? Des heures peut-être ? Le noir intense avait cédé la place à une faible clarté qui lui permettait de distinguer la table de chevet. Elle tendit l’oreille et entendit distinctement un raclement. Quelqu’un venait d’ouvrir une porte quelque part. Le son semblait venir d’en haut. Elle se redressa et silencieusement réussit à s’asseoir sur le rebord du lit.

Elle se sentait vaseuse mais comprit qu’il s’agissait peut-être de son ravisseur. Elle rassembla toute son énergie mentale pour lui faire face.

Un bruit de pas.

Quelqu’un descendait un escalier, à pas lents, sans chercher à se faire discret. Sans réfléchir, elle compta machinalement le nombre de marches : quinze, seize, dix-sept…

Silence à nouveau.

Puis ce fut le grincement d’une porte que l’on ouvre ou d’une trappe que l’on soulève. Le faisceau d’une lampe torche balaya le sol, là-bas, au fond de la pièce. Les yeux écarquillés, elle se mit à fixer le cercle de lumière qui s’élargissait sur le sol.

III

Catherine Lampaul se rongeait les sangs depuis plusieurs heures. Elle ne s’était pas réellement inquiétée que sa fille ait découché un vendredi soir, cela lui était déjà arrivé à plusieurs reprises, mais qu’elle n’ait donné aucune nouvelle n’était pas dans ses habitudes.

Elle avait espéré un coup de fil dans la matinée, accordant à Jade des circonstances atténuantes, lui laissant le temps de se lever, de se préparer…

Elle avait prolongé ce délai bien au-delà de midi, puis avait essayé sans succès de joindre sa fille sur son portable. Le temps avait passé et l’après-midi touchait à sa fin sans qu’elle n’ait eu aucune nouvelle.

Angoissée, elle empoigna une nouvelle fois le téléphone et, tout en tournant dans son salon comme une possédée, composa le numéro de sa sœur.

Quand, à l’autre bout du fil, cette dernière décrocha, elle s’efforça de cacher son trouble.

— Allô, Anne, c’est Catherine. Je ne te dérange pas ?

— Non, pas du tout. Tu vas bien ?

— Oui, ça va. Figure-toi que je suis sans nouvelle de Jade. Vous ne l’auriez pas vue par hasard ?

— Ah non, elle n’est pas là. Depuis combien de temps es-tu sans nouvelle ?

— Depuis hier soir. Elle est partie à sa salle de sport et depuis, rien.

Sa sœur se mit à rire.

— Tu connais ta fille. C’est ça les blondes irrésistibles. Elle aura rencontré un beau soupirant. Ne t’inquiète pas, elle va rentrer. Ce ne sera pas la première fois qu’elle te fait le coup…

— Oui mais, d’habitude, elle me téléphone. Ce n’est pas normal.

— Tu veux que je demande à Marion si elle est au courant de quelque chose ?

Avant même qu’elle ait répondu, Catherine entendit sa sœur appeler sa fille.

— Marion, tu es là ? Tu as eu des nouvelles de ta cousine ? Tu as une idée où elle pourrait être ?

La jeune femme dut faire une réponse négative car Anne dit aussitôt à sa sœur :

— Non, elle ne l’a pas vue. Je te la passe si tu veux…

Le téléphone changea de main.

— Allô ma tante, c’est Marion. Jade n’est pas rentrée ?

— Non, et je commence à me faire du souci. Tu es au courant de quelque chose pour hier soir ?

— Non, rien du tout.

— Je suis très inquiète. Tu ne sais vraiment rien ? Elle sort avec quelqu’un en ce moment ?

Il y eut un silence gêné. Catherine insista :

— Marion, si tu sais quelque chose, tu dois me le dire. Je commence vraiment à me tracasser. Tu sais si elle avait un rendez-vous hier soir ?

La jeune femme hésita.

— Je ne sais pas vraiment. Non, je ne crois pas. En tout cas, elle ne m’a rien dit.

— Tu l’as vue hier ? Elle t’a parlé de quelque chose ?

— On a pris un café ensemble à midi, mais il n’y avait rien de particulier. Elle ne m’a rien raconté de spécial, genre sortie en boîte ou fiesta quelque part.

— Tu sais si elle a quelqu’un en ce moment ? Nouvelle hésitation.

— Euh, pas vraiment… Tu sais, elle est un peu volage et je m’y perds dans ses relations. Elle marqua un temps. En tout cas, elle ne m’a pas annoncé une nouvelle rencontre ou un coup de foudre extraordinaire, si ça peut répondre à ta question…

— Merci Marion. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Tu embrasses ta mère et si Jade t’appelle, tu lui demandes de me passer un petit coup de fil.

— Oui ma tante, bisous, à bientôt.

Catherine raccrocha et se sentit plus seule que jamais.

*

— Allô, Tom, c’est Marion. Tu es où, là ?

— Qu’est-ce que ça peut te foutre ? T’es de la police ?

— Arrête tes conneries, c’est sérieux. Tu es chez toi ?

— Non, je suis en ville avec des potes. Qu’est-ce que tu veux ?

Marion alla droit au but.

— Jade ne serait pas avec vous des fois ?

— Ah, c’est ça ! Je comprends mieux. Mademoiselle ne supporte pas que je m’intéresse à sa cousine. Désolé de te décevoir, ma vieille, mais elle n’est pas avec nous.

— Mince, tant pis.

La jeune femme s’interrompit, préoccupée. Son interlocuteur perçut aussitôt sa gêne.

— Il y a un problème ? interrogea-t-il aussitôt. Qu’est-ce qui se passe avec Jade ?

Marion eut une hésitation.

— Euh, en fait, elle n’est pas rentrée chez elle hier soir. Sa mère s’inquiète… C’est pour ça que je t’ai appelé, pour voir si elle n’était pas avec toi.

— Non, elle n’est pas avec moi. Attends, je vais demander à mes potes s’ils ne l’auraient pas vue. Ils sont sortis en boîte hier soir, ils vont me dire…

La jeune femme discerna parfaitement l’échange qui se déroula entre les jeunes gens. Elle connaissait la réponse avant que Tom ne reprenne son téléphone.

— Allô, Marion ? Elle n’était pas en boîte hier soir, les copains ne l’ont pas vue. C’est sérieux, cette histoire ? Elle est vraiment partie ? Si tu veux, je peux essayer de me renseigner pour savoir si quelqu’un l’aurait vue… Tu sais ce qu’elle a fait en début de soirée ?

— Écoute, elle était à sa salle de fitness et normalement, elle aurait dû rentrer directement chez sa mère après, mais manifestement, elle ne l’a pas fait. Sa mère flippe comme une malade, c’est normal. Déjà qu’elle stresse pour pas grand-chose… Tu peux m’appeler si tu apprends quelque chose ?

— Promis, je vois ce que je peux faire et je t’appelle.

*

Catherine Lampaul ne supportait plus de tourner comme un ours en cage dans sa petite maison de ville. Il fallait qu’elle bouge, qu’elle fasse quelque chose. Son anxiété n’avait cessé de croître depuis l’appel à sa sœur et elle se rongeait les sangs. Elle avait composé le numéro de sa fille au moins vingt fois depuis le début de l’après-midi et était systématiquement tombée sur cette messagerie qui ressassait en boucle :

— « Bonjour, vous êtes bien sur le portable de Jade. Je ne peux pas vous parler pour le moment, mais je vous appellerai dès que possible. Bisous. »

Elle s’habilla rapidement et fit claquer la porte derrière elle. Elle tenait son portable en main pour être sûre de l’entendre au cas où sa fille chercherait enfin à la joindre.

Après plusieurs minutes de marche, elle déboucha sur le port. Une météo très clémente et un ciel sans nuage avaient attiré de nombreux flâneurs sur les quais. Des centaines d’embarcations dressaient leurs mâts aériens qui s’élançaient comme des flèches de cathédrale à l’assaut du ciel. Le magnifique spectacle des bateaux se balançant doucement sur la mer ne la détourna pas de ses préoccupations. Elle n’y prêta aucune attention et se dirigea sans hésiter vers les terrasses bondées des cafés que Jade fréquentait, avec l’espoir secret, si ce n’est de la trouver, au moins de pouvoir interroger quelques-unes de ses amies.

Elle en rencontra deux ou trois qui ne lui furent d’aucun secours. Personne ne savait où se trouvait Jade.

Désemparée, plus inquiète que jamais, Catherine fut à deux doigts de fondre en larmes.

Plus rien n’allait depuis le départ de son mari. Elle avait déménagé pour se rapprocher de sa sœur et avait dû assumer en catastrophe, en plus de son absence, toutes ces choses dont il s’occupait : les impôts, les assurances, les factures de gaz, d’électricité… Seule avec sa fille, sans l’autorité d’un père, cela n’était pas toujours simple.

La vision de Jade, petite fille, s’imposa à elle. Ses yeux s’embuèrent à cette évocation.

— Ma petite chérie, murmura-t-elle.

Elle se ressaisit. Ce n’était pas le moment de flancher. Il lui vint l’idée de se rendre à la salle de sport où sa fille avait en principe passé le début de soirée. Ils sauraient lui dire, là-bas, si elle était partie avec quelqu’un.

Le gérant du club qui avait assisté à son entrée considéra avec étonnement cette femme qui détonnait avec sa clientèle. Non pas en raison de son âge, certaines de ses abonnées étaient largement quinquagénaires pour ne pas dire plus, mais de son aspect.

Pas maquillée, vêtue sans recherche, elle ne ressemblait en rien à ces femmes sophistiquées, fardées, élégantes, qui, à l’aide de tapis roulants, de rameurs et autres appareils de torture, recherchaient, peut-être sans trop y croire, leur jeunesse et leurs formes d’antan à jamais révolues.

— Je peux vous aider, Madame ?

— Oui, peut-être… Pardon de vous déranger. Voilà, je suis sans nouvelle de ma fille et comme elle était ici hier soir, je pensais que, peut-être, vous auriez pu me renseigner…

— On va voir ce que l’on peut faire. Votre fille s’appelle…

— Jade, Jade Lampaul…

— Ah, Jade, bien sûr ! Je la connais très bien. Elle était là hier soir, effectivement.

Il regarda la visiteuse avec attention. Il n’aurait jamais imaginé qu’une fille aussi sexy que Jade ait une mère aussi quelconque. Il demanda :

— Comment puis-je vous aider ?

Catherine bredouilla :

— Je ne sais pas… À quelle heure est-elle partie, avec qui, vous voyez, ce genre de chose…

— Je vois très bien.

Il réfléchit un instant.

— Je me souviens très bien de son heure de départ car, si je puis dire, elle a fait la fermeture. Elle a discuté avec moi ici même, alors que tout le monde avait déjà quitté le club. J’ai fermé la porte à clé juste derrière elle.

— Et elle était seule ?

— Toute seule. Elle a vraiment été la dernière à partir. Le parking était vide quand elle est sortie, alors je ne pense pas que quelqu’un l’attendait.

Le visage défait de cette pauvre mère éplorée incita le sportif à faire preuve d’un peu d’empathie.

— Il ne faut pas vous inquiéter comme ça, elle va revenir…

Catherine ne put retenir un sanglot.

— D’habitude, elle me téléphone toujours. Vous ne savez pas si elle a parlé à quelqu’un hier soir ? Quelqu’un avec qui elle aurait pu avoir une liaison ?

Le moniteur se garda bien de lui répondre que la moitié de ses adhérents auraient bien voulu avoir une liaison avec sa fille. Il essaya de se rappeler du parcours sportif de Jade la veille, les appareils qu’elle avait pu utiliser, les personnes qu’elle avait pu côtoyer.

Il tapota sur le clavier d’ordinateur situé devant lui.

— Je peux vous joindre sur le fixe de votre fille ? Ils vérifièrent ensemble que le numéro qu’il détenait était le bon.

Le gérant reprit :

— Écoutez, je vais me renseigner auprès de mes clients qui étaient là hier soir et je vous rappelle. On fait comme ça ?

— Merci. Vous êtes vraiment gentil.

Elle quitta la salle, touchée par la sollicitude de cet homme. Mais une peur insidieuse s’était insinuée en elle.

Cela faisait des années qu’elle redoutait les instants qu’elle était en train de vivre. Le moment était peut-être venu pour elle de payer ?

Et son mari qui n’était plus là pour l’aider !

Malgré ses efforts intenses, elle ne put contenir sa peine, et ce fut en pleine rue que les larmes la submergèrent et rompirent les digues de sa résistance nerveuse.

IV

Le cercle de lumière qui balayait le sol se projeta soudain sur son visage et l’aveugla. Elle baissa machinalement les paupières et, dans un geste réflexe, tendit la main gauche devant elle.

Elle rouvrit les yeux au bout de quelques secondes et essaya d’apercevoir qui se trouvait en face d’elle. Elle ne discerna qu’une forme vague qui dessinait, au fond de la pièce, une ombre chinoise imprécise.

— Qui êtes-vous ? cria-t-elle. Qu’est-ce que vous me voulez ?

La silhouette se rapprocha et s’arrêta à deux mètres d’elle.

— Ne hurle pas comme ça, tu vas nous faire repérer. Ils sont là, tu sais, ils nous observent… depuis longtemps… Tu le sais aussi bien que moi.

L’homme tira vers lui une chaise que la jeune femme n’avait pas remarquée dans l’obscurité, et s’y installa.

— Mais qui êtes-vous ? réitéra-t-elle.

— Calme-toi, Jade. Je t’ai emmenée pour te protéger, mais tu sais qu’il y a des choses qu’on n’a pas le droit de dire. Tu es sauvée maintenant.

Elle fut interloquée. Son ravisseur connaissait son nom. Elle le connaissait peut-être aussi ? Mais vu son discours, ce devait être un malade mental.

— Je ne comprends rien à ce que vous racontez. Qu’est-ce que vous voulez ? Et d’abord, détachez-moi si vous voulez vraiment me protéger !

L’homme avait posé sa lampe sur le sol et elle le distinguait un peu mieux désormais. Il paraissait assez jeune, peut-être même à peine sorti de l’adolescence, complètement inoffensif. Elle pensa qu’elle l’avait peut-être déjà croisé, mais sans en être totalement sûre.

De nombreux garçons se retournaient sur son passage, plongeaient sans vergogne leur regard dans le sien… Elle n’y faisait pas vraiment attention.

Il n’y avait pas que des avantages à être jolie fille et ce genre d’attitude auquel elle était accoutumée faisait partie des quelques inconvénients que son physique lui attirait. Son vis-à-vis soupira :