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Un tueur en série frappe dans une petite ville paisible. Qui pourra l'arrêter ?
1er juillet 2006. La fièvre monte à Locquirec, petite station balnéaire du Finistère. Depuis avril, les accidents tragiques se multiplient et les notables tombent comme des mouches. La gendarmerie a conclu à des accidents, mais un mystérieux couple en Clio grise sait bien qu'il s'agit de meurtres. Soigneusement prémédités.
L'été promet d'être chaud à Locquirec. Et pas seulement à cause de la canicule… Ouvrez les portes. Et surtout celle du cimetière…
Plongez-vous dans le premier tome des enquêtes de Laure Saint-Donge, avec cette intrigue passionnante sur le bord des côtes bretonnes !
EXTRAIT
Pour l’inspecteur Kader, l’heure n’est pas à la rigolade. Boulot-boulot, telle est sa devise. Et aujourd’hui, boulot rime avec métro… Sans dodo à l’horizon immédiat.
— Elle avait un sac à main ? Vous avez retrouvé quelque chose ? Y’a des témoins ?
— Non, Inspecteur ! Comme d’habitude… Quand les gens ont vu que tout était bloqué pour un bout de temps, ils se sont tous barrés. Pas un témoin. À part le conducteur de la rame. Il vient juste de réaliser, et… il est sous le choc. C’est son premier suicide !
— Suicide, suicide… S’il n’y a pas de témoin, on ne peut pas exclure que quelqu’un l’ait poussée…
Les deux gardiens de la paix se regardent en silence. Un silence gêné qui vaut toutes les réponses pour l’inspecteur Kader. D’une voix sèche, il leur lance :
— Vous vous démerdez comme vous voulez ! Soit vous me trouvez des témoins, soit vous vérifiez les bandes vidéo de surveillance, mais cette affaire, ce n’est pas l’affaire Grégory ! Alors, vous avez une demi-heure pour me dire si c’est un suicide ou non ! C’est clair ?
— Très clair, Inspecteur…
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Éditions Bargain, le succès du polar breton. -
Ouest France
À PROPOS DE L'AUTEUR
Si, pour des raisons professionnelles,
Michel Courat vit actuellement en Belgique, après 9 ans passés en Angleterre, ce vétérinaire a laissé son cœur dans le Trégor. Amoureux de Locquirec depuis toujours, il y a exercé pendant des années avant de partir s’occuper de protection animale à l’étranger. Mais il revient dans “sa” Bretagne aussi souvent que possible, et c’est là qu’il a écrit
Ça meurt sec à Locquirec, son premier roman policier. Auparavant, il a déjà publié trois ouvrages humoristiques :
Gare aux Morilles (1998),
La Brise de la Pastille (2000), et
Mots pour rire (2001).
À PROPOS DE L'ÉDITEUR
"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." -
Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute res-semblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
À Véronique, sans qui ce livre n’aurait jamais existé.
À Audren et Irwyn, mes amours.
À ma mère, Sylviane.
À tous ceux que j’aime et qui sauront se reconnaître.
- À Charles Broyer, mon grand-père.
- À Élisabeth et Hervé, mes premiers fans.
- Aux lecteurs de Gare aux Morilles, qui m’ont donné l’envie de continuer à écrire.
- À Locquirec, à tous ses habitants, et en particulier au “Père Roland”.
Pas la foule ce midi, à la station Montparnasse-Bienvenüe, ligne 6 du métro parisien. Les usagers se font rares en ce milieu de journée. Et, en février, la gare SNCF n’attire pas beaucoup les pêcheurs de crevettes, destination Bretagne. Sur le quai direction Nation, un groupe de touristes japonais, guide de Paris à la main, appareil photo digital autour du cou, essaient de trouver la sortie vers la Tour, chère aux amoureux de vertige ou d’amiante. Une brave ménagère, visiblement moins de cinquante ans, attend son métro, un sac C&A à ses pieds, le programme de TF1 sous les yeux.
Un peu en retrait, un couple de retraités – pardon ! – un couple de seniors professionnellement inactifs, SPIs comme on dit à l’INSEE, se tient tendrement par la main. Posé sur le quai à côté d’eux, un lampadaire halogène acheté aux Galeries Far-fouillettes, qu’une stagiaire maladroite a tenté, sans succès, d’emballer correctement.
Les oreilles saturées par son baladeur, une confortable mama antillaise jette un regard indifférent aux panneaux publicitaires de l’autre côté des voies. À quelques mètres d’elle, un clochard s’enquille doucettement son kil de Kiravi millésimé, juste récompense d’une matinée à faire la manche.
Un métro entre en gare, direction Étoile. Charles de Gaulle-Étoile, pour être exact… Quand la rame repart, la plupart des passagers se pressent vers les sorties ou les correspondances. Quelques autres, vraisemblablement touristes ou visiteurs d’un jour, semblent chercher leur chemin, l’air un peu perdu, voire hagard. À Montparnasse, ça n’étonnera personne… Sur le quai Nation, c’est toujours l’attente. Tout le monde flotte dans une douce torpeur “R.A.T.Pesque”, gentiment amplifiée par la nonchalance propre à la mi-journée.
Personne ne s’intéresse à cette jeune femme, au pas hésitant, qui arrive des correspondances. Avec son jean washstone élimé un peu partout et son blouson assorti, rien ne la différencie du prototype amodé de la femme tendance de la fin du XXe siècle.
Rien, sauf cette étrange et soudaine détermination qui la pousse à marcher jusqu’au début du quai… Qui la pousse à mettre son sac à main, un pur Denim délavé j’tedipas, en bandoulière, et à s’arrêter à un mètre du bord. Qui lui fait tendre l’oreille, tandis que son visage reflète un mélange d’angoisse et de froide certitude.
Une vague rumeur sur la gauche. Un vague bruit qui ne suscite même pas l’intérêt des autres voyageurs en attente. Un grondement feutré. La rame s’annonce à grands pneus. Banals frottements de pneumatiques pour le voyageur lambda, sinistres roulements de tambours pour la jeune femme au regard étrange.
Tout va si vite. Elle fait juste un pas en avant. Un petit pas pour l’humanité, mais un grand pas pour elle. Maintenant ses pieds sont au bord du quai. Tout au bord. Comme un plongeur de haut vol avant le grand saut. Le grand plongeon… Le train bleu et jaune surgit du tunnel et elle se jette en avant. Réflexe dérisoire, elle se protège le visage de son sac à main. Le choc est violent, sourd, mat… terrible ! Projetée une dizaine de mètres en avant, elle retombe lourdement sur les rails, telle une poupée de chiffon abandonnée par une fillette déçue. Suit un horrible floufff… Quelques dizaines de tonnes de ferraille à semelles caoutchoutées roulant sur quelques dizaines de kilos de chair tendre et fragile. Un choc inégal dont la RATP sort vainqueur. Sans aucune gloire…
Sur le quai, personne n’a bronché. En fait, personne n’a vraiment réalisé ce qui s’est passé. Ni les voyageurs à moitié endormis, ni le conducteur de la rame, le cerveau encore en week-end. Du côté Étoile par contre, les hurlements ne se font pas attendre, le corps sans vie, disloqué, de la jeune femme reposant au milieu des voies, à quelques mètres des voyageurs en partance.
*
Moins de dix minutes plus tard, un mélodieux message se fait entendre dans toutes les stations de la ligne n° 6. « En raison d’un accident corporel, le trafic est momentanément interrompu entre les stations Pasteur et Denfert-Rochereau, dans les deux sens, veuillez-nous excuser de cet incident indépendant de notre volonté. »
— Putain, ils nous font chier, y’a pas d’autre endroit pour se foutre en l’air ?
— Y-z-ont qu’à faire ça chez eux ! Nous, on bosse, merde !
— Tu ne crois pas qu’ils pourraient faire ça un dimanche ; au moins, ils emmerderaient personne !
Les réactions des voyageurs sont vives, leur compassion pour la victime pas évidente… Mais tous les Parisiens ne voient pas la vie, ni la mort, du même œil… Comme disait ma grand-mère, chacun voit midi à sa porte, surtout à l’heure du déjeuner ! Police-Secours est prévenue et, en moins de temps qu’il n’en faut à Miss France pour avoir l’air intelligent, deux gardiens de la paix arrivent sur les lieux du drame, les brancardiers du Samu à leurs trousses.
— Eh ! Te presse pas, Ernest, elle a pas le feu aux miches ! En tout cas, elle l’a plus !
C’est sur ces paroles d’encouragement dont le bon goût n’échappera à personne, que les infirmiers font leur macabre travail, sous la riante surveillance des représentants de l’ordre public qui en ont vu d’autres.
— Dis donc, celle-là, elle a eu du pot ! Elle est toujours entière… Celle de Raspail la semaine dernière, on a retrouvé son bras gauche dans le kiosque à journaux !
— Putain ! Les clients, ça a dû leur foutre la trouille…
— Tu parles… Y’en a un, il croyait que c’était le premier numéro de la dernière collection Atlas. « Assemblez vous-même la femme idéale, le livret et la première pièce, dix francs seulement ! »
— Oooh, ehhh ! Tu déconnes ?
— Évidemment que j’déconne. T’es vraiment trop con, Régis !
*
Pour l’inspecteur Kader, l’heure n’est pas à la rigolade. Boulot-boulot, telle est sa devise. Et aujourd’hui, boulot rime avec métro… Sans dodo à l’horizon immédiat.
— Elle avait un sac à main ? Vous avez retrouvé quelque chose ? Y’a des témoins ?
— Non, Inspecteur ! Comme d’habitude… Quand les gens ont vu que tout était bloqué pour un bout de temps, ils se sont tous barrés. Pas un témoin. À part le conducteur de la rame. Il vient juste de réaliser, et… il est sous le choc. C’est son premier suicide !
— Suicide, suicide… S’il n’y a pas de témoin, on ne peut pas exclure que quelqu’un l’ait poussée…
Les deux gardiens de la paix se regardent en silence. Un silence gêné qui vaut toutes les réponses pour l’inspecteur Kader.
D’une voix sèche, il leur lance :
— Vous vous démerdez comme vous voulez ! Soit vous me trouvez des témoins, soit vous vérifiez les bandes vidéo de surveillance, mais cette affaire, ce n’est pas l’affaire Grégory ! Alors, vous avez une demi-heure pour me dire si c’est un suicide ou non ! C’est clair ?
— Très clair, Inspecteur…
Et, en maugréant, les deux hommes s’éloignent.
Le policier, faisant volte-face, cherche des yeux le conducteur de la rame. Le pauvre homme attend à l’écart, assis la tête entre ses mains, l’air complètement effondré.
À la demande de l’inspecteur, il s’avance et dit d’une voix tremblante d’émotion :
— Non ! J’le crois pas, Inspecteur. À deux mois de la retraite… Me faire ça à moi. À deux mois de la retraite !
— Qu’est-ce que vous avez vu exactement ? demande l’inspecteur.
— Rien. Je n’ai pas vraiment eu le temps de voir. J’ai entendu un bruit, vu une masse sombre s’écraser contre le pare-brise, j’ai senti une grosse secousse et j’ai arrêté la rame immédiatement. Ce n’est que quand j’ai entendu les gens crier, que j’ai compris que quelque chose s’était passé. Mais, ce n’est pas vrai ! Putain, j’ai tué quelqu’un !
Et il s’enfouit la tête dans le creux de ses mains.
— Vous inquiétez pas, ce n’est pas de votre faute !
Les yeux dans le vague, le conducteur répond :
— Peut-être, mais j’ai quand même tué quelqu’un ! Et je vais garder ça dans ma tête jusqu’à la fin de mes jours ! Je ne sais même pas qui j’ai tué. Vous, vous savez ?
— Pas encore. On sait seulement que c’est une jeune femme. Mais, vu son état… difficile d’en dire plus pour le moment. Il est interrompu par l’un des gardiens de la paix qui semble tout excité :
— Inspecteur ! Inspecteur ! On a retrouvé le sac à main !
— Parfait ! Vous me ramenez tout ça au commissariat. On fera le tri là-bas !
Et voici comment, à 12 heures 23, ce 18 février 1998, s’écrit la fin de l’histoire pour Morgane Le Saux, 24 ans, native de Morlaix, Finistère. Fin de l’histoire… ?
*
Locquirec - Finistère. Samedi 22 avril 2006.
Comme tous les week-ends, Philippe Bellec se réveille de bonne heure. Une caresse nonchalante, presque automatique, sur la cuisse alanguie de Mariette, sa femme, et il se lève. Sans regret. Dans la salle de séjour, il enfile son cuissard et son paletot de cycliste. Aux couleurs du Crédit Agricole. Un comble pour un avocat dont le compte professionnel est ouvert au Crédit Mutuel… Un regard à travers la baie vitrée qui surplombe la plage de Pors ar Villiec et la baie de Lannion, et il passe dans le garage pour y chercher son vélo. Le soleil pointe juste son nez rond au-dessus des falaises de Trédrez quand il enfourche son VTT. Acheté près de 400 euros au Décathlon de Morlaix. Poussant lentement sa bicyclette dans la cour gravillonnée, il prend le temps d’admirer sa maison flambant neuf, mélange de béton cellulaire et de verre. À l’architecture très tendance. Faux airs de paquebot avec fenêtres-hublots et toit-terrasse, bordé d’un parapet aux allures de bastingage. Et, bien sûr, panneaux solaires sur le toit. Une maison qui correspond parfaitement à son côté écolo baba cool. Dans le silence du matin, il jette un bref regard sur l’Île-Verte, l’îlot rocheux qui ponctue l’extrémité de la presqu’île de Locquirec, encore enrobée de pénombre. Et le voilà parti, pour son triathlon hebdomadaire. Pas trop d’efforts à faire au départ, juste une portion de la Nouvelle Côte. Il passe devant le cimetière avant de tourner vers la plage des Sables Blancs. L’air est un peu frisqueton, mais le ciel est bleu, le vent inexistant, les soucis… oubliés. Un petit goût de bonheur en quelque sorte. Il pédale tranquille, attentif à sa vitesse, gardant un œil sur son cardio-fréquencemètre. Quand on approche de la cinquantaine, mieux vaut être prudent… Keraël, la descente du Moulin de la Rive et il vire à droite pour entamer une partie plus difficile. La longue montée de la route de la Corniche, comme on l’appelle ici. Les cuisses lui font mal, son souffle est court. Cœur à 135 pulsations/minute, faut ménager le bonhomme. Il ralentit un peu la cadence. C’est le début de saison pour lui aussi… Le soleil se fait plus ardent au-dessus de Saint-Michel-en-Grève, son esprit se met à vagabonder. Il repense à sa semaine, à sa dernière plaidoirie au Palais de Justice de Guingamp. À l’audience de mardi. Celle que tout le monde ici appelle l’audience muscadet… Allez savoir pourquoi… Le client : un Anglais installé à Plestin depuis trois ans. James Winch.
Son problème : un jour où il s’était vautré dans le fossé avec sa vieille Golf GTI, il a eu droit au contrôle biniou, à un retrait immédiat de son permis vu sa performance hors norme… et à un séjour prolongé en cellule de dégrisement. Au petit matin, gentiment raccompagné chez lui par les gendarmes, il n’a rien trouvé de mieux que de se taper une bouteille de whisky avant de prendre sa deuxième voiture, une Land Rover, et de redescendre à la brigade locale. Après avoir embouti le mur de la gendarmerie, tenant à peine debout, il a quand même eu le cran d’aller voir le gendarme de permanence pour réclamer son permis…
Philippe Bellec se marre encore quand il revoit la tête de cet Anglais planté au milieu de son cabinet qui clamait : « Jeu pas coupabe, jeu souis pas coupabe ! Jeu avais pas bou ! »
Comment voulez-vous défendre un cas pareillement désespéré ? Heureusement que la juge était une copine, elle a réussi à ne pas rire pendant sa plaidoirie… Et lui, il a encaissé un beau chèque car l’Anglais avait payé d’avance.
Avec le fric, il va pouvoir s’acheter ce génois à enrouleur qui lui fait tant envie. Il se voit déjà doubler les Triagoz, le plateau rocheux au large de Trébeurden, dans son petit 22 pieds, savourant le plaisir d’une croisière avec femme et enfants. Il songe, il songe, et du même coup, il en oublie la montée, sa fréquence cardiaque et les douleurs dans les jambes. C’est donc avec plaisir qu’il constate que son calvaire touche à sa fin Allez, c’est bon ! Plus que cent mètres, allez ! s’encourage-t-il, avant de passer la table d’orientation qui marque la fin de la montée et de commencer sa descente vers le hameau de Poul Rodou.
En pleine décompression après ses efforts “alpestres”, il ne prête pas la moindre attention à ce cyclomotoriste qui prend des photos de la mer.
Curieusement, sans enlever son casque intégral.
*
LUI esquisse un sourire, range son appareil photo dans une poche zippée de sa parka grise et referme la visière de son casque. Il est plutôt satisfait par le déroulement des opérations. À cinq minutes près, il est à l’heure. « Tout se passe comme prévu. Com-me pré-vu ! À nous deux, Maître Bellec de mes couilles ! » pense-t-il en regardant la silhouette de l’avocat s’éloigner. Trois coups de pédale, et sa 103 Peugeot pétarade joyeusement malgré ses vingt-cinq ans au compteur. LUI roule au ralenti, laissant une confortable avance au maître du barreau. Pas besoin de se presser de toute façon, puisqu’il connaît par cœur son itinéraire. Toujours le même, chaque samedi matin, du 15 mars au 30 septembre, depuis plus de deux ans que LUI l’épie à distance. Au Caplan, le café-librairie qui est à Guimaëc ce que Poivre est à d’Arvor, il va tourner à droite, prendre la portion de route qui descend jusqu’à la plage, laisser son vélo contre un rocher, prendre le sac plastique sur le porte-bagages et marcher sur le sable jusqu’à la falaise ouest, côté Pointe Beg an Fry, tout en faisant des grands moulinets avec les bras et des mouvements d’assouplissement avec les jambes. Là, il va enfiler son pantalon et son top en Lycra, trottiner jusqu’à la mer et la regarder pendant au moins deux minutes. Après, en fonction de la houle ou de la hauteur de la marée, il va prendre un long bain de vagues ou se faire quatre longueurs de plage à la nage. En tout cas, il va passer au moins quinze minutes dans l’eau. Puis après, pour se sécher, six autres longueurs de plage en footing. Et vingt minutes de plus à être loin de son VTT. Comme en plus, aujourd’hui, c’est marée basse, LUI aura plus de temps qu’il n’en faut pour ses petits travaux de bricolage. Sa bécane roulant toujours à petite vitesse, LUI arrive maintenant en vue de la place Léo Ferré et du Caplan. Peu probable que Lan ou Caprini, les maîtres du lieu, soient dans les parages à cette heure-là… Soulagement pour LUI, ils n’y sont pas. Du côté du camping, un gros chien aboie, mais LUI sait qu’il ne va pas sortir. Il est 8 heures 25. Ce n’est pas son heure… Au moins, en principe.
Philippe Bellec, fidèle à sa routine, n’est plus très loin du bas d’eau. À des centaines de mètres de l’homme au casque. Qui vient d’arrêter sa mobylette à hauteur du vélo délicatement appuyé contre un bloc de granit. Qui vient de relever sa visière et de sortir son appareil photo. Et qui, pour la énième fois se repasse le film des événements à venir : « Dans moins de cinq minutes, la dame de Guimaëc va débarquer avec son Espace toute pourrie, et ses six chiens. Les cinq croisés épagneul-caniche à poil dur et la grosse labrador noire. Le temps que tout ce beau monde soit sur la plage en train de s’amuser, il s’écoulera bien dix minutes. Il sera 8 heures 40. Le chien de la maison aux volets verts n’arrive avec son maître qu’à 9 heures 05. Restent donc vingt bonnes minutes pour préparer ma surprise pour ce salaud ! » À l’heure dite, la ménagerie guimaëcoise envahit la plage de ses joyeux aboiements. Ni les chiens ni leur maîtresse n’ont semblé surpris de voir un photographe casqué prendre des photos de Poul Rodou à marée basse. Alors que la plage est toujours dans l’ombre… Un regard sur le triathlète qui nage tranquillement, un autre en direction de la route et LUI sort de son manteau une petite trousse à outils. À l’intérieur, une paire de gants en latex, une pince universelle en titane, pour ne pas laisser de traces, et une clé de 10. Exactement la taille des écrous de serrage des freins du VTT. Qu’il avait eu la bonne idée de vérifier lors d’un petit tour exploratoire dans le magasin de sport morlaisien. Et en même temps, il en avait profité pour étudier à fond le système de freinage. Il suffit de desserrer d’un demi-tour les écrous du frein avant et du frein arrière et, à la première utilisation violente, le câble sort de son logement. Alors, pour t’arrêter, tu ne peux plus compter que sur une réduction drastique de ta vitesse grâce à un relief favorable, sur un choc avec un obstacle, ou sur une rencontre hypothétique avec Mimie Mathy dans le rôle de Joséphine…
En moins d’une minute, l’affaire est réglée, la trousse rangée et la 103 démarrée. Sans un regard pour la plage et le baigneur qui sort de l’eau, LUI a repris la route, direction…
*
Quittant d’un pas alerte l’élément marin, Philippe Bellec, consulte son chronomètre. « 18 minutes 32, pas mal du tout pour un début de saison ! » Et il se met à trottiner pour ses six longueurs de plage réglementaires. « 21 minutes 10, la forme revient. Va quand même falloir que je diminue le Glenfiddich… » Le temps de se changer, de marcher relax jusqu’à son vélo, et le voilà ragaillardi, prêt pour son Galibier personnel, l’ascension de la Côte de Poul Rodou jusqu’à Lézingard. Deux kilomètres tout en montée, avec juste un petit faux plat. Concentré sur son effort, il répond à peine au salut amical de Lan qui revient de sa visite matinale à ses ânes. Maintenant, il sue à grosses gouttes, essayant, à chaque changement de pente, de trouver le meilleur braquet. « Ah, enfin ! Le lavoir. Je tiens le bon bout ! » Encore quelques minutes de suée et il atteint le sommet, le plateau de Lézingard. Un gros soupir de satisfaction vient saluer ce petit exploit personnel. Le hameau s’éveille à peine en ce samedi matin. La première tondeuse démarre juste, brisant le silence de la campagne. Il pédale à bonne allure, tout content que ses muscles aient retrouvé un peu de souplesse après les efforts de l’ascension. Il rêve déjà de la bonne douche, bien méritée, qu’il va prendre en rentrant. Et maintenant le grand frisson, la descente de Lézingard et ses 15 % de dénivelé.
— C’est vraiment pas le moment de ne pas avoir de freins ! se dit-il à voix haute.
En rigolant. Et en pressant doucement les manettes qui répondent normalement. Apparemment, en tout cas. Trop concentré sur son guidon, il n’a pas remarqué que les câbles s’étaient distendus et qu’ils n’attendaient plus qu’une nouvelle utilisation pour lâcher. « Il descend de la montagne à cheval ! Il descend de la montagne à cheval ! Il descend de la montagne, il descend de la montagne, il descend de la montagne à… » La voix nouée par une grosse poussée d’adrénaline, il arrête brutalement de chanter cette chanson pourtant de circonstance.
— Putain, c’est pas vrai, qu’est-ce qui se passe ? J’ai plus de frein arrière, c’est pas vrai ! crie-t-il en essayant de ralentir le VTT en frottant ses pieds sur le bitume. Peine perdue, il ralentit à peine.
« Le frein avant ! Le frein avant ! Surtout, y aller doucement, sinon je bloque mes roues et c’est le saut de l’ange assuré… »
Le plus délicatement possible, sa main gauche presse la manette de frein. Les yeux rivés sur la route qui défile, il ne peut voir le câble sortir de sa mâchoire et se mettre aux abonnés absents. Mais son cerveau a déjà compris qu’il est temps d’appliquer le plan B. S’il y en a un. Pris de panique, les avant-bras malmenés par les trépidations du guidon, l’avocat cherche désespérément quelle serait la moins mauvaise solution. Il dévale maintenant la pente à près de 70 kilomètres/heure. Et dans moins de cinq secondes, il avoisinera les 90 à l’heure. Quoi qu’il décide, il va se faire mal, très, très mal. Sauter du vélo ? Se jeter dans le fossé ? Avec les murets des maisons et les poteaux téléphoniques, ce serait de la folie ! Se laisser tomber ? Non ! Trop dangereux…
Sa seule, minime, chance, c’est d’arriver jusqu’au carrefour du bas et tenter de négocier le virage à droite qui le ramènerait vers la route de Morlaix. Essayer de tourner à gauche pour reprendre la route de la Corniche est impossible, compte tenu de l’angulation des routes.
Les bras tétanisés, la bouche grande ouverte pour essayer de respirer, terrorisé par la peur, le cycliste fou n’est plus qu’à cinquante mètres de l’intersection.
« Pourvu qu’il n’y ait personne en face, pourvu qu’il… » Les mots se figent dans sa bouche. Devant lui, la benne à ordures, en plein ramassage. Le chauffeur, le regard sur son rétroviseur, n’a pas le temps de réaliser. Philippe Bellec, d’un dernier coup de guidon désespéré, tente de passer entre le camion et les maisons. Lancé à près de 100 kilomètres/heure, le VTT n’est plus manœuvrable et s’écrase avec une violence inouïe contre l’imposante calandre orange.
La tête de l’avocat explose littéralement contre le pare-brise, et c’est un corps désarticulé qui se retrouve projeté à plus de cinq mètres et qui retombe en porte-à-faux sur le muret d’une maison aux volets roses, pour un ultime et posthume coup du lapin.
*
Maître Bellec n’a vraisemblablement pas eu le temps d’une dernière plaidoirie pour recommander son âme à Dieu. C’est en tout cas ce que, là-haut, semble penser LUI qui, de son poste d’observation, lance à mi-voix une épitaphe sans ambiguïté :
— Va au diable, salaud ! Tu n’as que ce que tu mérites : une benne à ordures en guise de corbillard !
Puis il range ses jumelles dans sa parka et prend son téléphone portable.
— Allô !
Une voix féminine, visiblement anxieuse, lui répond.
— Alors ?
— C’est fait.
— Est-ce qu’il a bien souffert ?
— T’en fais pas, ma chérie, il a eu toute la descente pour se voir crever.
— Je suis contente, si tu savais comme je suis contente !
— Allez, je raccroche, les flics ne vont pas tarder.
Reposant son mobile sur le lit, ELLE sourit.
Enfin…
*
Le dimanche matin, Le Télégramme fait ses choux gras de la disparition de l’avocat guingampais. Manchette en première page, trente lignes en régionale et près d’une demi-page en locale :
« TRAGIQUE ACCIDENT DE VÉLO À LOCQUIREC, le bâtonnier de l’ordre des avocats guingampais a trouvé la mort samedi matin vers 9 heures 45. Âgé de 49 ans, Philippe BELLEC, avocat de renom dans la sous-préfecture des Côtes d’Armor, était une figure bien connue des Locquirécois. Fils de l’ancien maire, il participait activement à la vie locale. Viceprésident de l’Office de Tourisme Locquirec-Guimaëc, trésorier du tout nouveau club nautique, secrétaire de la société de chasse, il était estimé de tous. On lui prêtait même des ambitions politiques. Il tenait la corde pour la désignation du prochain candidat socialiste aux élections municipales de 2008. Né dans la région vannetaise en 1957, il a passé son enfance à Rennes, mais ne manquait jamais de revenir dans le Trégor finistérien, berceau de sa famille, pour les vacances scolaires. Après des études de droit à l’UBO de Brest, il s’installe comme avocat à Guingamp en 1981. Très vite… »
Dégoûté devant cette avalanche de compliments, LUI jette le journal sur la table basse du salon.
— Les enfoirés ! Ils ont oublié quelque chose sur son CV… Mais moi, pas !
Et il reprend sa lecture, s’intéressant uniquement aux progrès de l’enquête. Bien vite le voilà rassuré, les gendarmes de Plouégat ont d’ores et déjà conclu à un accident dû à une défaillance du système de freinage ou à un malaise. Pas d’autopsie, pas d’expertise de la bicyclette, LUI peut dormir tranquille.
Dormir tranquille, pas si sûr ! Une autre tâche le préoccupe… Ce soir, l’Île-Verte va changer de couleur.
*
Guimaëc, quelques jours plus tard.
Assis dans sa Clio grise, LUI observe attentivement la devanture verte et blanche du cabinet vétérinaire du docteur Lepinson. En principe, le mercredi matin, il est très rare qu’il y ait des clients entre 8 heures 30 et 9 heures. Et d’autant plus que les clients savent tous maintenant que c’est le jour de la remplaçante venue de Plouigneau, Ghislaine. Donc, pas de chirurgie ni d’assistante…
Il est à peine neuf heures moins le quart quand LUI pousse la porte vitrée du cabinet en faisant joyeusement tintinnabuler les clochettes.
— Bonjour ! lance-t-il d’un ton faussement enjoué. Un bonjour qui sonne creux dans la salle d’attente encore déserte à cette heure matinale. D’un regard sur la gauche, il a le temps d’identifier les différents sacs de nourriture pour chiens et chats disponibles.
Reposant sans se presser sa mug de Nescafé, Ghislaine sort de l’arrière-salle.
— Bonjour Monsieur, vous désirez ?
— J’aurais voulu un sac de Croissance Plus, pour mon petit chat.
— En 2 ou en 5 kilos ?
— C’est un tel goinfre… Donnez-moi du 5 kilos, s’il vous plaît.
— Mais bien sûr.
D’un geste assuré, elle se tourne vers les étagères qui ornent les murs de la salle d’attente.
— Je suis désolée, Monsieur, mais je n’en ai plus qu’en 2 kilos…
— Non, non ! Je préférerais en 5 kilos. Vous êtes sûre que vous n’en avez pas ?
— Attendez deux minutes, je vais aller voir en réserve, lance-t-elle avant de disparaître par une porte.
Deux minutes… C’est plus qu’il n’en faut à LUI pour faire ce qu’il a à faire.
D’une main déterminée, il pousse la porte de la salle de consultation, fait le tour de la table d’examen et ouvre le tiroir “secret”, celui qui abrite les flacons de produit euthanasiant. Cinq flacons de T61 lui tendent les bras. Deux lui suffisent. Il les glisse très vite dans la poche intérieure de sa parka grise. De même que deux seringues de vingt centimètres cubes et quelques aiguilles qui traînent sur l’évier. Moins d’une minute s’est écoulé avant qu’il ne se retrouve dans la salle d’attente.
C’est une Ghislaine déçue qui revient de la réserve.
— Je suis vraiment désolée, Monsieur, mais nous n’en avons plus. Vous voulez que je vous en commande ? Nous l’aurons demain en milieu de matinée.
— Oh oui ! S’il vous plaît !
— Et c’est à quel nom ?
Après avoir donné un nom d’emprunt, complètement fantaisiste, LUI s’en va, particulièrement heureux du déroulement des opérations.
Tout se passe comme prévu ! jubile-t-il.
Locquirec, vendredi 5 mai 2006.
23 heures 40. L’impasse du Corbeau a un faux air de Champs-Élysées, un soir de couvre-feu ou de coupure d’électricité. La lune est réduite à sa plus simple expression et, comme les lampadaires municipaux sont aux abonnés absents depuis 23 heures 30, il vaut mieux avoir son D.E.I., si l’on veut voir quelque chose. D.E.I., mot d’énarque pour torche électrique, ou Dispositif d’Éclairage Individuel… Bref, on ne voit pas grand-chose… Le dernier chien a fini son tour d’après-film voilà plus de trois quarts d’heure quand une Clio grise fait son apparition dans l’impasse. Seuls, ses feux de position sont allumés.
Pas besoin de paroles entre LUI et ELLE, ils ont répété la scène tant de fois qu’ils savent parfaitement leur rôle. La voiture va faire demi-tour au bout de l’impasse. ELLE descend, son téléphone mobile à la main. Vêtue de noir des pieds à la tête, seul un lapin nyctalope ayant avalé trois kilos de carottes aurait des chances de la voir. LUI sort précautionneusement un étrange attirail du coffre de la voiture, coffre qu’il ne referme même pas, pour éviter tout bruit intempestif. Perché quelque part sur la Pointe du Corbeau, un hibou y va de son noctambule hululement. Un duo de chiens, du côté du Moguérou, semble, curieusement, lui faire écho. LUI n’en a cure.
Son matériel soigneusement enroulé autour du cou, il revient en arrière, direction Route des Sables Blancs. Moins de deux cents mètres à marcher et le voilà à l’endroit fatidique. Au pied d’un pylône électrique. LUI dépose délicatement son chargement dans le fossé et retourne à sa voiture dont il sort, sans un bruit, une grosse branche de pin parasol récupérée depuis plus de six mois, un soir de tempête, dans le Camping des Pins, au Fond de la Baie. La branche rejoint le reste du matériel hors de la vue de promeneurs éventuels et LUI retrouve sa voiture pour un démarrage aussi silencieux que possible. Deux minutes de route, et il gare sa voiture dans la Nouvelle Côte, juste au-dessous du cimetière. Peu de temps après, passant par la rue du Moguérou et le chemin des douaniers il se retrouve aux côtés d’ELLE. Miracle de la topographie locquirécoise…
— Rien de nouveau ? chuchote-t-il.
— RAS, répond-elle, usant d’un vocabulaire militaire de circonstance.
— OK. Bon, je vais tout installer. On est bien dans les temps. Tu me préviens comme convenu.
— No problemo. Et… merde !
Sans répondre, et sans se retourner, LUI retourne au pied du poteau EDF près de son matériel. D’une poche de sa parka, il extrait une lampe de mineur qu’il allume aussitôt et fixe sur son front. Elle éclaire à peine, car il a pris soin de recouvrir l’optique de papier crépon, pour être sûr que le halo lumineux ne puisse pas être aperçu, même à travers les clôtures ou arbustes des jardins environnants. Puis, d’un geste bien assuré, il attrape un bout de l’écoute de marine, couleur bleu nuit, déposée il y a cinq minutes et s’agenouille près du pylône. D’une autre poche de son inépuisable vêtement, il sort un mètre ruban, repère quatre-vingt centimètres de hauteur et fait un tour mort autour du béton. Deux demi-clés pour faire le nœud et il repose le cordage au sol.
Minuit moins cinq à sa montre. Bientôt minuit, l’heure du crime… pense-t-il en souriant. Maintenant, plus rien d’autre à faire qu’attendre. Et d’espérer qu’une bande d’ados motorisés n’aura pas l’idée malencontreuse de venir visiter la Pointe du Corbeau by night. Ou qu’un chien-chien à sa mémère n’aura pas une envie pressante après avoir vu Julien Courbet à la télé.
Avec précaution, il s’allonge dans le fossé, remerciant Dame Météo de ne pas avoir fait pleuvoir depuis deux jours…
*
Patricia Le Guen habite une petite maison douillette, non loin du lavoir de Pors ar Villiec, côté Sables Blancs. Il ne fait pas froid ce soir et pourtant, un grand feu de bois crépite dans sa cheminée. Il aurait sans doute besoin d’être ravivé avec un grand coup de tisonnier et quelques bûches. Lesquelles attendent sagement sur le côté de l’âtre… Mais Patricia a les mains trop occupées. Allongée, nue, sur le canapé, elle caresse tendrement le visage de son amant. À genoux à côté d’elle, François Lebault embrasse doucement ses petits seins pointus, pendant que sa main droite remonte malicieusement le long de ses cuisses…
— Non, sois raisonnable, François. On n’a plus le temps.
— Juste un petit câlin… insiste-t-il, tel un gamin implorant un dernier tour de manège.
— Non ! dit-elle d’un ton un peu plus sec en se remettant assise. Mon mari rentre vers une heure moins le quart. J’ai juste le temps de remettre un peu d’ordre et de prendre ma douche !
— Allez… ma petite Patoune à son Fanfan… réinsiste-t-il d’une voix enfantine, accompagnant ses paroles d’une caresse… beaucoup plus adulte.
Repoussant vivement sa main inquisitrice, Patricia sourit :
— Écoute, j’en ai aussi envie que toi, mais faut que tu y ailles maintenant. Sois gentil… j’t’en prie…
Le feu expire, François Lebault soupire. Un dernier baiser, et, à contrecœur, il enfile ses vêtements éparpillés aux quatre coins du salon, témoignage d’une épique séance de jambes en l’air.
— Et vendredi prochain, je peux venir ? demandet-il sur le pas de la porte.
— Je ne sais pas encore. Hervé ne m’a pas dit s’il travaillait.
— Tu me téléphones ?
— Dès que je sais, promet-elle. Un rapide baiser, et elle ajoute :
— Surtout, ne fais pas trop de bruit en repartant…
C’est évidemment le moment choisi par le chat de la maison pour surgir de l’ombre et venir se coller en plein milieu de l’allée. Juste quand l’amant éconduit se met à avancer. Bousculé violemment, le chat pousse un miaulement de douleur qui déchire la nuit, et s’enfuit, la queue entre les jambes.
— Eh bien comme ça, on est deux ! marmonne François, arborant un petit sourire.
Sa moto d’enduro attend gentiment entre deux arbres, tout près du portail.
Pas un bruit aux alentours, à part ce lancinant hululement venant du cœur des arbres, du côté de la Pointe.
Aussi silencieusement que possible, il pousse sa KTM sur le chemin cahoteux qui sépare la maison de sa maîtresse de la route bitumée.
Maintenant que son oreille s’est réhabituée au silence, il entend distinctement les vagues se briser sur la plage.
Bien à l’abri derrière un arbre, ELLE a entendu le chat miauler. Même si le bruit est encore faible, elle entend à présent des pas qui remontent le sentier des douaniers. L’heure du signal ! Son mobile n’a pas quitté ses mains depuis sa descente de voiture. Elle a tellement attendu ce moment ! Une pression sur la touche du dernier numéro appelé, et LUI est aussitôt prévenu par les vibrations de son téléphone que le motard ne va pas tarder.
D’un geste leste malgré son demi-siècle, il sort de son fossé, empoigne au pied du pylône le bout du cordage resté libre et part de l’autre côté de la route. En ayant soin de le tendre au maximum.
Un trou dans le grillage, soigneusement préparé quelques nuits auparavant, lui permet d’enrouler l’écoute autour du tronc d’un vénérable pin parasol. Là aussi un petit réglage de hauteur, pour que la corde soit au bon niveau, puis il tend l’écoute au maximum, fait un tour mort autour de l’arbre, deux demi-boucles…
« La catapulte à enfoirés » comme il l’appelle, est prête…
LUI peut retrouver son fossé…
*
Pour l’instant, l’enfoiré pousse. Pousse et rêvasse. Baignant encore dans le tendre souvenir de ses chaudes étreintes, François Lebault réalise péniblement qu’il a rejoint la route et qu’il peut enfourcher sa moto. « Allez hop, pas de casque, il me faut de l’air frais ! » Un petit coup de kick et la KTM ronronne. Pas de plaisir, mais de puissance cachée.
— Vas-y, Cocotte, ramène-moi à la maison ! lance-t-il à sa bécane en démarrant.
Après le premier virage à angle droit, abordé à vitesse raisonnable, arrive une petite ligne droite. Trop courte pour monter ses vitesses quand on est un pilote sensé et en pleine possession de ses moyens. Mais quand on a bu quelques verres de vin, trois cognacs et qu’on se prend pour Rocco Sifredi, rien n’est impossible. Alors, on pousse sa seconde puis sa troisième. Les 80 kilomètres/heure sont vite atteints…
Et, à cette vitesse-là, une corde bleu nuit, tendue en travers de la route, on ne la voit pas… La fourche de la moto bloquée d’un seul coup, le corps du pilote se trouve propulsé dans les airs avec une violence extrême. Plus de dix mètres en avant.
François Lebault n’a pas le temps de comprendre. Son saut de l’ange se termine par un bruit flasque mais horrible, celui de la chair qui s’écrase au sol. Comme s’il était tombé du quatrième étage d’un immeuble. Un bruit affreux, mais discret.
Pas un chien n’a bronché aux alentours. Et même la moto, devenue orpheline, ne fait pas plus de bruit en tombant qu’une poubelle métallique renversée par le vent.
LUI a déjà bondi de sa cachette. En quelques secondes, le cordage est soigneusement enroulé autour de son bras. Puis il récupère la grosse branche de pin parasol dans le fossé et la place une cinquantaine de centimètres devant la roue avant de la moto. Légèrement en biais.
Maintenant LUI hésite. S’attarder sur les lieux serait très imprudent, mais en même temps, il aimerait bien savoir si sa victime est morte ou pas… Trop avide de savoir, LUI s’avance d’un pas rapide vers la masse informe qui s’étale sur le macadam. À michemin, il s’arrête net et fait demi-tour, s’en prenant à lui-même : « T’es trop con ! Non vraiment… t’es trop con ! Risquer de tout faire rater pour un détail ! Tu t’en fous qu’il soit mort sur le coup. Après une gamelle pareille, c’est minimum traumatisme crânien, multiples fractures invalidantes et, sans doute, paralysie… De toute façon, sa vie est foutue. Bien foutue… C’est le principal ! Non ? »
Moins de trois minutes plus tard, ELLE et LUI se retrouvent au bout de l’impasse toujours endormie. Comme LUI reste silencieux, ELLE ne peut s’empêcher de le questionner :
— Et alors ?
— Alors, c’est bon.
— Il est mort ?
— Écoute… je n’en suis pas sûr. Je n’ai pas eu le temps de vérifier… Mais faut pas traîner ici. Allez viens, on s’en va.
*
Au volant de sa Twingo, Hervé Le Guen ne se doute de rien. Il ne se doute déjà pas qu’il est cocu depuis près d’un an, alors comment voulez-vous qu’il imagine qu’il puisse trouver un cadavre au milieu de l’Impasse du Corbeau ? Et au milieu de la nuit, 0 heure 40 pour être précis. Quand il voit la tache sombre étalée sur la route, il pense d’abord qu’il s’agit d’une bâche que le vent aura emportée et déposée là. Alors, il se contente de ralentir avant de rouler dessus. Ce n’est qu’à quelques mètres de l’obstacle qu’il aperçoit dans la lumière des phares ce qui semble bien…
— Putain, mais c’est un mec !
Il écrase les freins et bondit de sa voiture, une torche électrique à la main. Avec précaution, on ne sait jamais, il s’avance. Bien qu’endurci par quelques années d’armée et vingt ans comme contrôleur à la SNCF, il n’en mène pas large quand il arrive près du corps allongé. « Si c’est un simulateur et s’il a des complices, dans cinq secondes, mon compte est bon », pense-t-il. Et comme pour se donner du courage, il rajoute à voix basse :
— Et mon mot le plus long sera OUYOUYOUILLE, en douze lettres…