Course-poursuite sur l'Aven - Serge Le Gall - E-Book

Course-poursuite sur l'Aven E-Book

Serge Le Gall

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Beschreibung

Le Finistère-Sud était si tranquille, avant l'enlèvement de deux jeunes filles, Béatrice et Bénédicte...

Béatrice et Bénédicte ont peur. L'une a été enlevée à Névez, l'autre à Riec-sur-Bélon. Depuis trois jours, elles sont séquestrées dans une maison lugubre, gardée par des chiens. Pourtant, leur ravisseur est gentil avec elles...
À Concarneau, les vacances du commissaire Landowski s'interrompent car les missions vont se succéder. Après l'interception d'un convoyage de drogue entre Brest et Quimper, il doit retrouver au plus vite les deux jeunes filles détenues par un criminel sans le moindre état d'âme. Dans le même temps, un braquage à Quimperlé a été suivi d'un meurtre à Rosporden. Y aurait-il un lien entre toutes ces affaires qui viennent perturber la douceur de vivre en Finistère-Sud si chère au commissaire ? Aidé de Lorraine Bouchet, sa compagne magistrats et de ses amis policiers, Ange P et Jim Sablon, qu'il a sollicités, il lance la chasse à l'homme sur les rives de l'Aven. L'homme traqué est cruel et retors, mais n'est pas Landowski qui veut...

Retrouvez le commissaire Landowski dans le 16e volet de ses enquêtes, avec une intrigue aux multiples rebondissements !

EXTRAIT

C’est un pavillon comme tant d’autres, construit dans un quartier tranquille, à deux pas d’un château d’eau hérissé d’antennes de téléphonie. C’est une petite agglomération du Sud-Finistère dont l’image pourrait brutalement changer. Pour ça, il faudrait qu’il s’y passe quelque chose qui bouscule les habitudes et mérite la une des journaux, locaux pour commencer puis de la presse nationale, avant que l’information passe en boucle sur des chaînes de télévision spécialisées. Question de remplissage de la grille des programmes.
Pour cela, il faudrait des faits insolites. Ou graves. Pour l’instant, l’histoire peut rester d’une banalité affligeante. Il n’y a que l’espièglerie du destin qui pourrait en décider autrement. Il sait si bien balayer le calme d’une bonne grosse tempête…

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton. – Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Serge Le Gall vit et écrit à Pont-Aven. Dans la collection Pol'Art, il vous a invité à suivre quatre aventures du détective Samuel Pinkerton. Dans la collection Enquêtes et Suspense, il vous propose ici de participer à la treizième enquête du désormais célèbre commissaire divisionnaire Landowski.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

NOTE DE L’AUTEUR

Pour cette douzième enquête du commissaire Landowski, j’ai voulu qu’il soit épaulé par des personnages qui font partie de sa vie depuis le début de son parcours.

En particulier, Jim Sablon et Ange P. qui sont bien plus que des collègues policiers pour lui et, bien sûr, Lorraine Bouchet, magistrate émérite au parquet de Paris, qui n’a d’yeux que pour le grand flic.

Il n’est cependant pas nécessaire d’avoir lu les précédents ouvrages pour découvrir avec plaisir la maestria avec laquelle le commissaire divisionnaire Landowski, un personnage atypique mais très attachant, sait éclaircir une affaire, aussi ténébreuse soitelle…

À Benjamin et Iris.

« Il a cru qu’il y avait la mer.Ce n’était que le ventDans les roseaux d’hiver.Il a cru qu’il y avait le feu.Ce n’était que l’étendardMalmené par les chiens.Il a cru qu’il y avait la femme.Ce n’était qu’un espritQui se jouait de lui. »

Uchen Yang,Infatigable voyageur chinois(Période des Cinq Dynasties - Xe siècle)

PROLOGUE

— Je vais aussi prendre deux sachets de fraises Tagada…

La jeune employée du petit commerce du bourg relève la tête. Machinalement, elle rajuste son chemisier à petits carreaux tombant sur un jean serré. Elle ne glisse jamais le tissu dans la ceinture et elle ne boutonne pas jusqu’en bas. Elle aime bien que le vêtement soit libre. Comme elle.

Quand elle doit vider un sac de pommes de terre nouvelles produites par exemple sur une île, Batz ou Noirmoutier, elle a toujours un effort associé à un mouvement à faire. Elle veut que son corps ne soit pas contraint. Jamais d’ailleurs. Elle y veille. C’est un capital qu’elle protège jalousement.

Elle a peur de paraître trop grosse. Ce n’est qu’une coquetterie féminine parce qu’elle est bien loin d’arborer des formes opulentes comme certaines de ses copines qui se goinfrent de sucreries et de chocolat.

Quand elles passent au magasin, c’est plus à cause d’une addiction au glucose ou au cacao que pour rendre visite à leur amie. Elles repartent la bouche et les poches pleines et elles ne s’offusquent pas des bourrelets qui tentent une sortie au-dessus de la ceinture. Que ça déborde, elles s’en fichent bien, pourvu que quelqu’un s’intéresse à elles. Quand même.

Probablement que ces jeunes filles ne sont pas préoccupées par leur avenir d’épouse et de mère. Elles espèrent davantage pouvoir s’abandonner dans les bras d’un beau mec, le temps d’un plaisir furtif, fort, unique et partagé si possible. Porteur d’espoir parce que c’est déjà arrivé à d’autres. Alors…

Pour l’employée de ce petit commerce de proximité, c’est différent. Elle est plutôt mince de nature même si, quand elle se plante devant une glace, elle se trouve des ondulations disgracieuses côté hanches. C’est le propre des jeunes filles de s’inquiéter de leur ligne, comme s’il n’y avait que cela pour attirer le regard des garçons… De quoi produire une génération d’anorexiques maladives et suicidaires.

Il n’y a que sur sa poitrine qu’elle n’a rien à dire. Elle s’enorgueillit de ne pas l’enfermer dans des bonnets serrés pour se créer un buste qui tient du rêve. Elle n’a besoin d’aucun artifice pour réussir ça et elle est heureuse de cette liberté que lui offre la nature. Elle sait que c’est son point fort.

Justement ! Elle défait toujours un bouton de plus dans le haut de son chemisier pour ne pas paraître trop prude, même si le tissu a tendance à prendre des libertés et à dévoiler un peu trop ses charmes. Il faut raison garder. Il ne s’agit quand même pas de s’offrir au premier venu sans rien recevoir en retour ! Elle ne connaît que trop ces débordements nocturnes qui ne conduisent qu’à l’amertume des matins brumeux.

Mais il y a de la femme en elle et elle n’a absolument pas l’intention de laisser passer sa chance si elle se trouve face à son destin. Elle espère déceler à temps l’étincelle, celle qui… Mais bon, elle verra, le moment venu. Un coup de pouce du destin est d’avance accepté !

Elle aime bien ça aussi, cette liberté vestimentaire. Elle prend plaisir à saisir le regard qui s’égare parce qu’elle se sent plus femme dans les yeux des hommes. C’est plus qu’un jeu, qu’une invitation au voyage. Elle ne laisse pas le rêve de midinette lui envahir l’esprit comme cela arrive à certaines de ses copines. Elle n’attend pas forcément le prince charmant. Surtout que dans son petit bourg, il n’y aura bientôt plus que des personnes âgées à vaquer à leurs occupations. Les jeunes hommes sont en études ou partis ailleurs pour le travail.

Probablement non plus qu’elle ne serait pas très regardante sur l’âge du partenaire, pourvu qu’il ne soit ni trop moche ni trop pauvre. Les occasions ne sont pas nombreuses, on va dire, mais il ne faut quand même pas se méprendre sur ses intentions. Elle s’attache à être une jeune fille d’aujourd’hui. Tout simplement.

Elle observe le client qui lui fait face. Même si son allure un peu particulière peut induire en erreur et le rajeunir d’une manière très insolente, l’homme doit se situer dans la quarantaine. Il arbore une chevelure fournie, façon crinière, sous un chapeau assorti aux vêtements, et une barbe de trois jours bien entretenue, pour se donner un genre. Il est vêtu à la manière d’un gentleman-farmer, pantalon de velours à fines côtes et veston pied-de-poule. Manque plus que le petit foulard en soie pour parfaire la panoplie !

À bien le regarder et l’observer une minute ou deux, il y a quelque chose de fabriqué dans son allure, un je-ne-sais-quoi de pas naturel. À croire qu’il cherche à se donner une image ne correspondant pas précisément à ce qu’il est réellement. Un peu de cinoche pour se cacher derrière un paravent. À espérer que ce ne soit pas celui des larmes…

Mais dans le fond, la jeune employée aime ça, le mystère. C’est une occasion comme une autre de se raconter de belles histoires. Dans son lit, le soir, elle s’endort plus calmement quand elle a exploré son rêve jusqu’au bout.

Depuis le début du printemps, on voit régulièrement le quidam traverser le bourg dans une Volvo break ancien modèle. Il roule lentement comme un taxi en maraude, ce qui ne manque pas d’intriguer les rares passants qui, à pied, accompagnent aisément le déplacement du véhicule en ricanant.

On dit qu’il habite au bord de la rivière dans une grande maison bourgeoise dont l’entretien a été négligé depuis des lustres par des propriétaires occupés à bien autre chose. Il y a des arbres, un jardin de curé et des plantations non maîtrisées qui font qu’il est bien difficile d’apercevoir de la route un pignon, un pan de toit ou une fenêtre de la bâtisse.

Il a loué la propriété à une vieille bigote décatie, partie au soleil soigner ses vieux os avec l’argent d’un industriel, son époux décédé tragiquement il y a peu de temps.

La rumeur, il y a toujours quelques ragots dans les bourgades pour alimenter les discussions sur le parvis de l’église, la rumeur dit qu’on l’a retrouvé écroulé sur son piano, une blessure mortelle à la tempe. Se serait suicidé le grossium de la conserve, un soir de spleen, après quelques notes mélancoliques plaquées sur le clavier… Sauf que l’enquête a mis en évidence quelques incohérences. Dont celle-ci qui est assez gratinée : un droitier se tire une balle dans la tempe droite et non dans la gauche, comme cet industriel envoyé à la casse comme une guimbarde usée. Essayez vous-même, le geste seulement, pas de blague, hein ? et vous verrez que ce n’est ni naturel ni facile.

Ensuite, on a découvert qu’en fait de fer-blanc, il sévissait plutôt dans l’acier dont on fait les armes, véhicules blindés et autres instruments de mort. De quoi bien sûr être un splendide suicidé quand on passe du statut de fournisseur à celui de gêneur.

Elle, la veuve, elle n’a pas investi dans des vêtements de deuil. Une petite voilette pour l’enterrement a suffi pour afficher sa profonde douleur puis, après le passage chez le notaire en compagnie d’un bellâtre gominé, elle s’en est allée sur la côte pour se refaire une santé.

— Vous aimez ?

L’homme relève la tête dans un geste étudié pour ne pas déranger l’ondulation de ses cheveux épais.

À la place de son chapeau d’opérette, il porterait un casque véritable qu’il ne bougerait pas différemment.

Avec une infinie douceur qui semble héritée d’une éducation bourgeoise, il veut indiquer qu’il n’a pas saisi la question.

— Pardon ? dit-il d’une voix soyeuse qui caresse les mots mieux qu’une peau de chamois.

L’employée explique :

— Je vous demandais si vous aimiez ça, les fraises Tagada…

Il esquisse un sourire. Pas question de s’esclaffer, il tente de rester dans le ton de son personnage.

— Parce que vous, oui ? dit-il en appuyant ses mots d’un geste de la main.

La jeune fille accorte se sent en confiance. Les hommes, ça la branche. Toujours. Elle les aime, un point c’est tout ! Pas forcément pour s’abandonner à des débordements qu’elle regretterait ensuite, mais simplement pour se laisser porter par le regard de velours de cet homme qui a beaucoup de charme. Un peu de douceur que diable !

— Faut pas m’en promettre ! dit-elle un peu à l’emporte-pièce, avec une voix qui joue les faubourgs sans y avoir jamais habité. Si je pioche dans le pochon, tout y passe !

Elle a dit pochon et non pas sachet. Lui se penche, avance une main vers un banal paquet de pâtes qu’il caresse machinalement. Machinalement, vraiment ?

— Je crois bien que vous êtes une gourmande… dit-il en plissant les yeux.

— Vous ne vous trompez pas ! en convient-elle sans détour.

À ce moment précis, il se passe quelque chose. Le nuage d’un génie sorti de sa lampe à huile sur une simple caresse. Une sorte de jeu de la séduction à touches discrètes qui n’a pas de raison de les entraîner vers un lit dès que possible mais qui tisse quand même un lien sur lequel l’un ou l’autre pourra tirer le moment venu. Il y a là-dedans la promesse de l’aube comme la certitude de l’acte manqué. À choisir !

Il se redresse et la regarde franchement dans les yeux.

— Prenez un paquet pour vous, dit-il. Je vous l’offre !

Elle joue la mijaurée pour ne pas le froisser.

— Merci, mais je ne peux pas accepter, dit-elle avec un sourire désarmant.

Un ange passe, les ailes basses. Les affaires sont dures en ce moment pour les figures célestes.

Le petit grelot fixé en haut de la porte d’entrée tinte. Il indique la fin de l’acte. Pour le final de la pièce, on attendra encore un peu. Pour l’ovation aux acteurs, on verra ce qu’il reste d’effusion en magasin.

Une personne âgée, engoncée dans un lourd manteau de deuil, entre, un cabas fatigué à la main.

— Bonjour madame Vatrin, lance l’employée avant de baisser les yeux vers l’amoncellement de produits que l’homme vient de déverser en vrac sur le plateau de la caisse.

La jeune employée fait mine de s’étonner.

— Tout ça pour vous ?

Puis elle marque un temps d’arrêt qui lui permet de comprendre que, dans le fond, ça ne la regarde pas. Mais quand même…

— Excusez-moi, ajoute-t-elle, peut-être que vous ne vivez pas seul… Mais comme je ne vous vois jamais accompagné… vous comprenez…

La jeune employée est intriguée par le personnage. Il y a suffisamment d’ombre et de mystère pour l’attirer.

Ici, il ne se passe pas grand-chose. La semaine est d’une banalité affligeante. Le week-end ne sert qu’à se jeter au cou des célibataires du coin pour s’amouracher un peu dans l’espoir de fonder une famille. Avant la déception de s’apercevoir amèrement que les hommes sont tous les mêmes.

L’homme ne s’en offusque pas.

— Ce n’est rien, dit-il simplement.

Il désigne de la main les courses qu’il a faites dans les deux ou trois rayons de la supérette.

— J’ai des chiens à nourrir ! explique-t-il en soupirant.

L’employée le regarde incrédule. De quoi interroger l’autre en quelque sorte. S’il va plus avant dans la conversation, ce sera toujours ça de gagné. Tant pis pour madame Vatrin, elle attendra ! De toute façon, c’est une veuve acariâtre qui n’a pas eu la chance d’avoir un mari riche à millions pour lui donner les moyens de partir vivre au soleil.

L’employée n’a pas envie que l’inconnu s’en aille trop vite. Les journées sont un peu longues. Elle le trouve amusant. Et plein de charme !

— Ils mangent comme moi ! ajoute l’homme comme pour justifier la quantité de nourriture qu’il est en train d’acheter.

Elle secoue la tête. Le buste généreux suit le mouvement.

— Ben dites donc ! Vous les chouchoutez, vos p’tites bêtes !

Il prend un ton sérieux.

— Faut pas avoir des chiens si c’est pour les maltraiter ! dit-il avec une pointe d’émotion dans la voix.

Elle acquiesce :

— Vous avez bien raison !

Elle revient à ses moutons :

— Au total, ça fait…

Elle jette un œil à son écran.

— Quatre-vingt-deux euros soixante-quinze !

D’un geste maniéré, le client sort un porte-chéquier de sa poche intérieure. L’employée avance un stylobille, pensant qu’il va régler par chèque. Au contraire, il pêche un billet de cent euros dans le compartiment à fermeture Éclair de la pochette en cuir. La jeune femme a eu le temps d’apercevoir une épaisse liasse de billets de la même valeur.

Elle fait machinalement craquer le billet, les grosses coupures étonnent toujours un peu, puis elle puise dans sa caisse pour rendre la monnaie qu’elle étale sur le tapis en comptant à haute voix. Pendant ce temps, le client dispose soigneusement ses emplettes dans une petite caisse en carton ayant servi à la livraison de fruits ou de légumes du jour.

Cela fait et la monnaie empochée, l’inconnu saisit la caissette à deux mains, salue de la tête la jeune femme et la vieille dame qui s’est tranquillement approchée du duo, au cas où il y aurait quelque ragot à glaner, puis il fait tinter la clochette en sortant.

L’employée, les mains posées bien à plat sur le bord en métal gris de son poste de travail, le regarde passer devant la vitrine pour rejoindre son véhicule garé de l’autre côté de la rue. À bien faire attention, on pourrait s’apercevoir que ses phalanges blanchissent sous la pression.

Elle se retourne vers madame Vatrin, l’autre cliente, qui ronge son frein en attendant qu’on lui serve de quoi remplir son estomac de moineau avare. Les yeux sont noirs de réprobation envers cette jeune femme qui se jetterait si facilement au cou de ces diables d’hommes juste bons à engrosser leur femme et à lutiner la bonne. Pouah !

L’employée ne prend pas ombrage de cette once de jalousie qu’elle lit dans ce regard. Elle connaît la tristesse de ceux qui constatent amèrement ne plus être ce qu’ils ont été. Leur méchanceté aussi.

D’une voix espiègle, elle lui demande :

— Vous aimez ça, vous, madame Vatrin, les fraises Tagada ?

I

C’est un pavillon comme tant d’autres, construit dans un quartier tranquille, à deux pas d’un château d’eau hérissé d’antennes de téléphonie. C’est une petite agglomération du Sud-Finistère dont l’image pourrait brutalement changer. Pour ça, il faudrait qu’il s’y passe quelque chose qui bouscule les habitudes et mérite la une des journaux, locaux pour commencer puis de la presse nationale, avant que l’information passe en boucle sur des chaînes de télévision spécialisées. Question de remplissage de la grille des programmes.

Pour cela, il faudrait des faits insolites. Ou graves. Pour l’instant, l’histoire peut rester d’une banalité affligeante. Il n’y a que l’espièglerie du destin qui pourrait en décider autrement. Il sait si bien balayer le calme d’une bonne grosse tempête…

La maison a un étage sur un rez-de-chaussée légèrement rehaussé, une descente de garage avec des pavés autobloquants couleur terre brûlée, un jardin avec des bordures en ciment peint et un muret de clôture qui matérialise la limite de la propriété, sans jouer le rôle de repoussoir pour les gens malintentionnés.

C’est un quartier calme. Il ne s’y passe rien. Le samedi, le bruit de quelques tondeuses à gazon. Le dimanche, de rares fumées de barbecues avec quelques éclats de voix à l’heure de l’apéritif, si le ciel est clément. Dans la semaine, le matin, il n’y a guère que le va-et-vient des familles qui vivent leur quotidien, le passage du livreur de journaux au petit matin et celui de l’utilitaire de la poste pour le courrier.

L’après-midi est encore plus mortelle avant que les enfants ne rentrent de l’école. C’est un peu comme partout, ici et ailleurs. Après Les Feux de l’Amour, c’est sieste ou mots croisés. Ensuite, on sort le chien, histoire de trouver une voisine pour casser un peu de sucre sur les absents. Et si on ne possède pas de canidé soi-même, on se rapproche de ceux qui en ont. Histoire de se faire les crocs sur quelque voisine un peu leste qu’on a vue en mauvaise posture. Tout cela fait partie de la vie et il n’y a pas forcément de méchanceté dans ces échanges. C’est pour parler. C’est pour briser la monotonie des journées. C’est humain.

La matinée d’aujourd’hui restera gravée dans les mémoires. Les choses ne seront plus jamais pareilles. Il y a toujours un avant et un après. Surtout quand le destin s’amuse avec la vie des gens.

À côté du pavillon en question vivent un retraité de l’armée et sa femme. Un jeune retraité, les militaires ont gardé quelques privilèges malgré tous ces bouleversements dans les acquis sociaux. Ce sont des gens discrets et bien élevés. Lui conserve son arsenal à la cave. Il bichonne barillets et culasses. Il caresse l’acier, fait claquer les mécanismes et range ses munitions dans des boîtes de collection.

Parfois, il exhibe quelques belles pièces pour ceux qui aiment les armes, histoire de se rappeler le bon temps. Les rizières et le djebel sont gravés dans certaines mémoires. Il sort les photos, les articles de journaux et d’aucuns croient sentir l’odeur si particulière du napalm au petit matin.

Aujourd’hui, il est parti conduire son épouse chez un spécialiste, pour une mammographie. Ce n’est rien d’autre qu’un contrôle de routine, mais il exige qu’elle se soumette à ce genre d’exercice régulier. Jugulaire, jugulaire !

Il n’y a que le petit caniche qui jappe dans la véranda. Il sautille, puis grimpe sur le sofa pour tenter de voir ce qui se passe à l’extérieur. Il a horreur d’être seul. Il voit tout ce qui se passe. C’est un témoin muet.

L’autre voisin est une voisine. Son mari partait le lundi et revenait le vendredi, du temps où il était directeur commercial dans le textile. Elle ne travaillait pas. Elle l’attendait.

Un week-end, Le VRP n’est pas rentré. Ni le lundi suivant, pas plus que les autres jours. Définitivement. Une histoire d’essayages qui a fini à l’horizontale, on a dit. Toujours est-il qu’il a tout bonnement disparu et que les autorités ne se sont pas mobilisées pour le retrouver, selon le sacro-saint principe de l’adulte qui dispose de sa vie comme il l’entend.

Depuis, sa femme élève seule leurs deux enfants. Elle a utilisé les économies gracieusement laissées à sa disposition par le joli cœur parti conter fleurette sur un autre gazon, puis elle s’est mise sur le marché du travail. Après des mois de galère, elle a trouvé un bon job, même si les horaires sont élastiques. On dit qu’elle aurait trouvé une épaule accueillante pour poser sa tête. Son chef direct. Un divorcé aussi, ça crée des liens.

Ce matin, elle n’est pas chez elle. Elle est partie travailler et elle ne rentrera pas à midi. Les enfants sont au collège. Elle a un déjeuner de travail qui pourrait se prolonger par un café du pauvre.

La porte du garage est grande ouverte et la voiture grise a été sortie en marche arrière. Le coffre est relevé. Un câble électrique orange serpente le long du mur de soutènement du jardin. À la hauteur de la portière avant gauche, ouverte elle aussi, il aboutit à un aspirateur.

L’appareil domestique est rutilant. Il est neuf. C’est sa grande première. Il est en marche. Il fait un bruit d’enfer. Il en profite. On n’entend que lui.

Le visiteur s’approche discrètement en essayant de ne pas attirer l’attention par une attitude équivoque. Tant qu’il est sur le trottoir, il n’y a rien à lui reprocher. Sauf à lui trouver un comportement particulier. Justement, il se garde la possibilité d’interrompre l’opération si quelque chose, quelqu’un, le met en danger.

Il jette un coup d’œil en direction des fenêtres de la maison. Il guette le mouvement d’un rideau que l’on écarte quand on regarde à l’extérieur. Il se retourne légèrement afin de vérifier qu’il n’y a personne dans la rue. Dans un instant, le retour en arrière deviendra difficile. La décision lui appartient.

Tout paraît calme. Alors il s’enhardit et commence à descendre vers le garage. C’est un moment extrêmement délicat, une sorte de coup de poker. S’il est repéré, il ne lui restera que la solution d’une fuite honteuse sans espoir de retour. Avec le risque d’avoir les gendarmes du coin aux fesses.

Il reste confiant. Il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Du moins, pour l’instant.

Il avait espéré que Béatrice serait seule à la maison. Des jours d’observation lui avaient fourni des indications précieuses sur les mouvements des uns et des autres. Le couple habitant à cette adresse était le plus souvent absent à cette heure du matin. D’où son choix pour intervenir. Un coup de sonnette aurait suffi pour que la jeune fille ouvre la porte sans méfiance. Il l’aurait alors persuadée de le suivre. Il l’aurait menacée si cela s’était avéré nécessaire. Elle aurait pu crier sans que personne ne l’entende. Action idéale.

De son affût, il a constaté que le couple était au gîte. Ses projets ont été bousculés d’un coup. Il a hésité, pensant même faire demi-tour pour revenir une autre fois. Comme sa décision était arrêtée, il a choisi d’aller jusqu’au bout. Quoi qu’il lui en coûte !

Les choses se présentent quand même assez bien. Il décide de passer dans le dos du propriétaire qui est penché vers l’intérieur de son véhicule. Il doit être en train d’insister sur le tapis de sol où s’incrustent si facilement boue et gravillons importés par les semelles des chaussures.

Le visiteur fait usage de toute sa souplesse pour se déplacer sans bruit. Il est prêt à se figer à tout moment puis à fuir si besoin. Mais le conducteur frotte. Il est méticuleux. Il veut avoir une voiture propre. Il s’est même allongé sur les sièges pour atteindre la portion de tapis réservée aux chaussures du passager avant. Ainsi positionné, il ne peut s’apercevoir que quelqu’un passe derrière lui avant de disparaître dans la pénombre du garage. Surtout que l’aspirateur ronfle à plaisir.

L’intrus temporise. Il se demande s’il va avoir le loisir de faire ce qu’il souhaite sans anicroche. L’épouse du conducteur affairé doit être au rez-de-chaussée. Il les a observés pendant quelques jours. L’un ne va pas sans l’autre. À cette heure, on peut espérer la ménagère debout devant la gazinière à faire revenir oignons et lardons pour rajouter dans un ragoût. À l’odeur qui flotte dans l’air, on peut parier sur cette hypothèse. La nourriture roborative sied aux jeunes retraités comme s’ils voulaient en profiter avant de passer par la case sans sel, sans sucre et sans beurre.

Sauf que, parfois, la cuisinière baisse le feu sous la cocotte et s’en va faire autre chose. C’est suffisant pour faire capoter une mécanique bien huilée. C’est avec ce type de hasard que l’on prend dix ans de placard. D’autres, un coup de fusil à changer définitivement de physionomie.

En même temps, il n’a guère le choix. S’il se pointe avant le déjeuner, c’est bien pour trouver les habitants au gîte. Béatrice en l’occurrence. Il n’est pas pour l’effraction, il n’est pas pour l’enlèvement. Il est pour la paix des ménages, autant que faire se peut. Cela dit, il a une idée derrière la tête, un projet et un objectif. Se mettre en travers de sa route serait présomptueux, voire dangereux.

L’inconnu saisit un couteau de sa main gantée de latex beige, un couteau de cuisine banal – mais aussi une arme – il l’a emporté avec lui et l’assure dans sa paume. C’est avec ça qu’il va menacer, s’il en est besoin… Entendons-nous ! Il envisage de s’aider de cette lame pour obtenir ce qu’il veut, pour peu qu’on lui résiste, mais il préférerait qu’on lui obéisse d’emblée pour ne pas être contraint d’être désagréable. Avant de devenir très con.

Béatrice est dans la maison. Il l’a vue revenir tout à l’heure sur son scooter bleu et blanc, d’ailleurs garé bien en vue sur le trottoir. Position stratégique idéale parce qu’elle va pouvoir enfourcher son bolide pour le suivre hors de la ville. C’est alors qu’il lui demandera d’abandonner la machine pour qu’on ne puisse pas les pister à la trace.

Il va devoir la persuader, en quelques secondes seulement, de le suivre au bout du monde. Pari audacieux mais risqué. Il compte sur elle pour comprendre et décider vite. Et si elle n’adhère pas à son projet, qu’au moins elle le laisse repartir sans être inquiété. Il n’imagine pas qu’elle puisse refuser. Le sentiment devrait l’emporter…

Béatrice a seize ans. Elle a de longs cheveux châtain qui lui coulent sur les épaules dans un mouvement très naturel. Elle est au lycée. Le jeudi, elle rentre un peu après onze heures. Elle a le temps de déjeuner tranquillement à la maison puisqu’elle ne reprend qu’à quinze heures.

Il compte sur ce laps de temps pour brouiller les pistes et disparaître avec elle. Pourvu que le couple ne se mette pas en travers de ses projets. Il n’aura pas le temps de parlementer ni de négocier. Il n’a pas envie d’entendre la voiture de police progresser inexorablement vers le pavillon où il se trouverait en mauvaise posture, une pétoire braquée sur sa poitrine. Ça passe ou ça casse !

Il entrouvre la porte de l’escalier qui monte du garage au rez-de-chaussée. Tout de suite, il entend de la musique. Un générique d’émission de jeux lui donne un coup de main. Mais ces quelques notes jouent un air de traîtrise. Sans le savoir.

En bas, dans la descente de garage, il y a eu un déclic. Le propriétaire de la voiture a dû voir ou entendre quelque chose de suspect. Il a interrompu son activité de nettoyage, mais il n’a pas arrêté l’aspirateur pour, lui aussi, profiter de l’effet de surprise et il est rentré sans bruit dans le garage. Lentement, il s’est approché de la porte ouverte sur l’escalier jusqu’à se trouver à deux pas de l’intrus lui tournant le dos.

Il tient une manivelle de cric dans la main. Il a pris la précaution de s’en munir avant de laisser le véhicule et l’aspirateur faire bon ménage. Il comprend ce que le visiteur est en train de faire. Celui-ci écoute les bruits venant d’en haut de l’escalier, avant de s’engager plus avant dans la maison.

Il s’approche encore. Il est silencieux avec ses chaussons à semelle de feutre. Il lève la manivelle assez haut. Il veut faire mal tout de suite.

Et il l’abat.

Dans le vide.

Il a suffi d’un cliquetis ou d’un frottement pour prévenir l’autre du danger. Il a esquivé en se penchant vers la gauche, mais il s’est retourné et son couteau frappe instinctivement le retraité à quelques centimètres en dessous du cœur. Il répète le geste à plusieurs reprises. Le brave homme laisse tomber la manivelle qui ne fait presque pas de bruit à cause du revêtement en plastique des marches. Dans un geste pathétique, il comprime la plaie de ses mains serrées, espérant arrêter la vie qui s’en va. Le sang sourd entre ses doigts, poisse ses phalanges et macule son pull pourtant très épais. La stupeur se lit sur son visage. Il comprend qu’il va bientôt manquer à l’appel. Il voudrait crier. Crier pour qu’on l’aide, crier pour dire que c’est trop injuste, crier sa haine contre le destin qui l’accable, crier son amour pour qu’on ne l’oublie pas. Il est de ces moments qui ne laissent aucun choix. Il s’en aperçoit amèrement.

Après la rage silencieuse, il est tenté de se résigner pour pouvoir s’économiser, le temps d’un geste salvateur. Mais il n’a rien à attendre de son agresseur. Les choses sont allées bien trop loin pour qu’on puisse encore effacer le tableau noir et réécrire l’histoire. Son destin est scellé. Il ne lui reste qu’une poignée de secondes. Il le sent. Il le sait. Il doit y avoir un moment où le corps lâche la rampe. Alors, en désespoir de cause, parce que ses jambes ne le portent plus, il se laisse tomber à genoux, puis il s’affaisse sur lui-même comme un sac de son. Il meurt sans un mot.

Maintenant, tout doit nécessairement s’accélérer. Le drame est là, bien présent. L’auteur des faits n’a pas voulu ça, mais il ne peut plus reculer. Il vient de tuer quelqu’un. Légitime défense, pourrait-il invoquer comme circonstance atténuante, mais sa présence dans cet escalier, elle, n’était pas légitime. On vient de passer du simple au compliqué, du délit au crime en un rien de temps. La visite discrète qui n’avait pour seul motif que de favoriser une fugue, s’est muée en affaire criminelle.

Il essuie le sang qui a maculé le couteau et les gants de latex qu’il avait soigneusement enfilés avant l’opération, puis il se lance dans l’escalier. Il faut que Béatrice le suive immédiatement et sans résister, sinon il devra être très désagréable. Au point où il en est, il ne faiblira pas. Il en va de sa liberté. Ils doivent partir vite. Fuir ensemble.

La femme a instinctivement perçu du bruit. C’est comme ça quand on vit régulièrement dans un espace. Il y a la réminiscence du genre animal. La tanière et son territoire. Tout à coup, les sons ont été différents, voire absents. Peut-être celui de l’aspirateur tout à coup anormalement constant et régulier…

Elle a coupé le gaz sous la poêle et baissé le feu sous la cocotte, puis elle est sortie de la cuisine. Une fois dans le couloir, elle a levé le nez comme un animal inquiet sentant l’orage approcher. Puis elle a attendu.

Quand le tueur arrive sur le palier, elle est là entre lui et la volée de marches qui monte à l’étage. Vers Béatrice qui n’entend rien avec sa musique à fond. Il constate que la maîtresse des lieux est beaucoup plus jeune que son mari qui refroidit déjà à l’entrée de la cave.

La femme ne crie pas. Aucun son ne parvient à sortir de sa bouche. Il relève le couteau et il la menace. Elle voit la lame rougie de sang. Elle est comme statufiée. Elle comprend que c’est celui de son mari qui souille la lame et ça la paralyse. L’homme est obligé de lui prendre le bras.

Il l’entraîne vers la cuisine où il monte le son de la télévision. C’est quand il fait ce geste que la femme se rebiffe. Elle se saisit de la poêle où attendent les champignons et les lardons qu’elle vient de faire revenir, mais elle n’a pas le temps de se servir de l’ustensile comme arme. L’homme la pousse d’une forte bourrade, mains posées à plat sur sa poitrine. Elle part en déséquilibre arrière et heurte violemment le porte-serviettes apposé sur le mur, à côté du bac à vaisselle.

L’objet a été offert par Béatrice, il n’y a pas si longtemps. Les deux pitons colorés en forme de queue d’animal, un bleu et un jaune, ne feront plus sourire personne. D’un coup incisif, ils ont percé la base du crâne de la ménagère, juste au-dessous du cervelet, lui ôtant ainsi tout avenir ici-bas.

Il n’a pas un regard pour le gâchis qu’il vient de créer. Il n’a pas envie de croiser le regard mort du cadavre accroché au porte-serviettes comme à un croc de boucher. Il aura beau dire qu’il n’a pas voulu ça, le résultat est là. En attendant, le sang coule sur le mur recouvert de toile de verre peinte de couleur gaie.

Il passe le couteau sous l’eau, essuie ses gants mouillés à un torchon de cuisine, dépose le couteau dans l’égouttoir, puis il retourne dans le couloir après avoir éteint le gaz sous la cocotte et fermé la porte derrière lui.