Dépression sur les Glénan - Serge Le Gall - E-Book

Dépression sur les Glénan E-Book

Serge Le Gall

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Beschreibung

« Chantal, est-ce que tu as fait du mal à ta fille ? » Ces mots résonnent comme une condamnation.

La maman d'Élodie n'oubliera jamais ce mercredi de novembre. Trois jours après la Toussaint, elle a trouvé sa fille allongée sur son lit. Morte.
Afin d'essayer de comprendre ce geste désespéré, Chantal consulte Lanza Garan, psychothérapeute aux pratiques étranges, récemment installé sur les bords de l'Odet.
Pour répondre aux inquiétudes de son amie Stéphanie, Lorraine Bouchet délaisse un temps sa fonction de magistrate pour mener l'enquête. De son côté, le commissaire Landowski, chargé d'une mission d'investigation sur les dérives sectaires, s'intéresse lui aussi aux agissements du nouveau gourou.
Entre la Pointe de Trévignon, Concarneau, Port-La-Forêt, Beg-Meil et Loctudy se nouent les fils de cette toile d'araignée dont l'archipel des Glénan est le centre stratégique.
Quatre quadragénaires, apparemment sans histoires, sont pris dans la nasse.
Pour le pire.
Il ne faut pas écouter les oiseaux de mauvais augure !

Dans ce thriller plein de suspense, chaque détail a son importance... Laissez-vous emporter par le 13e tome des enquêtes palpitantes du commissaire Landowski !

EXTRAIT

Lorraine s’éveilla.
À deux pas de ses fenêtres, les arbres du jardin du Luxembourg bruissaient sous la brise d’automne. Il y avait quelque chose d’irréel dans cette rumeur un peu métallique, aiguë et foisonnante, des feuilles moribondes résistant à l’assaut du vent. Les unes s’accrochaient aux ramures tandis que le zéphyr jouait pleinement son rôle pour les en détacher. Ensuite, il pousserait peu à peu les feuilles mortes vers les bordures et les recoins, les rassemblerait en tas éphémères pour faciliter le nettoyage avant l’hiver. Le souffleur avait son ménage à faire.
Lorraine n’aimait guère cette saison qui commençait. Paris allait se parer de grisaille poisseuse et les sourires disparaître du visage radieux des femmes vêtues plus légèrement grâce à l’été indien. Les hommes aussi seraient plus bougons, voire renfrognés, d’avoir moins de belles images à emporter avec eux pour passer le temps dans les trains de banlieue. Ils ne seraient plus aussi séduisants, charmeurs, disponibles. Triste période en somme.
Quand elle rentrait de bonne heure du Palais de Justice de Paris où elle avait son cabinet de juge, elle faisait souvent le chemin à pied. Elle ne détestait pas les regards qui se posaient sur elle. Elle ne marchait pas non plus tête baissée pour ne rien voir. Elle aimait bien cet exercice fugace de la séduction partagée qu’elle interdisait farouchement à son homme. Elle avait tellement peur qu’il se laisse emporter ailleurs !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Serge Le Gall vit et écrit à Pont-Aven. Côté Enquêtes, il s’appuie sur son expérience professionnelle dans le milieu judiciaire. Côté Suspense, il aime bien jouer à cache-cache avec son lecteur. Le commissaire divisionnaire Landowski est son personnage fétiche..

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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« Depuis des jours et des nuits,

Il marchait vers le nord.

La pierre de la Grande Muraille Écorchait ses mains.

Il cherchait la Porte de Jade Que jamais il ne trouva.

Son esprit s’était envolé

Tel l’oiseau de Wu. »

Uchen Yang,Infatigable voyageur chinois(Période des Cinq Dynasties - Xe siècle)

REMERCIEMENTS

- À Viktor Bydzovsky, chirurgien suisse et ami de l’auteur, pour avoir prêté à ce dernier sa biographie afin d’apparaître dans cette histoire aux côtés du commissaire Landowski.

- À Pierrot Ayer, pour avoir accepté d’accueillir virtuellement le commissaire Landowski dans son restaurant Le Pérolles à Fribourg. (Suisse).

- À Michel Jollivet, Président de la station de sauvetage de Trévignon-Concarneau pour son accueil et ses informations sur le sauvetage en mer.

- À Pierre-Yves Sellin, Daniel Signour, Anthony Signour, Alain Dervout, Arsène Furic et Patricia Jollivet, membres du sympathique équipage de la vedette Ar Beg pour avoir offert à l’auteur une superbe visite de l’archipel par la mer.

- À Marylène, membre de l’association Trégunc Aviron, pour son cours d’initiation à la pratique de l’aviron.

PROLOGUE

Jamais je n’oublierai ce mercredi de novembre.

Je n’étais pas rentrée déjeuner. Pour une fois. Jamais ça ne m’arrivait. J’avais eu un impératif au bureau. Incontournable et surtout pénible. J’avais décroché un très beau contrat, un de ces trucs dont on peut être fière mais le hic c’était qu’il fallait le faire signer par le client, un personnage gras et repoussant, odieux dans ses attitudes. Mais il était notre plus gros acheteur, au propre comme au figuré, et il n’ignorait pas que son départ pour une autre agence aurait sonné le glas de nos ambitions. Voire de notre lendemain tout court.

Je craignais d’avance. D’autres, jeunes et jolies ou mères de famille épanouies, étaient passées par là avant moi. Avec plus ou moins de bonheur. Quand on en croisait une dans le couloir, on savait bien si elle faisait partie de celles qui avaient eu des scrupules ou non. Le plus difficile était pour celles qui avaient cédé sous la pression. Il y a des traces qui ne s’effacent jamais.

L’homme n’avait que faire de sa réputation. Je crois même qu’il en jouait avec une jubilation à peine feinte. L’argent qui suintait de tous ses pores lui donnait, croyait-il, le droit de dire, de faire, de prendre. Et il payait pour ça. Grassement.

Ce jour-là, il avait manifestement des vues sur moi.

Ce n’était pas le premier. Pour bien des hommes, ce genre d’attitude relève du sport ou de la chasse. C’est selon. Pour certaines femmes, c’est un bon moyen d’y arriver. À savoir où on place son propre curseur.

Il me tenait par son accord définitif subordonné à un petit plus que vous avez facilement deviné. Je n’avais pas pu éviter l’invitation au restaurant. Par crainte de perdre le contrat puis ma place, j’avais accepté. Il y a des choix douloureux quand vous n’êtes pas libre.

J’étais bien décidée à résister pied à pied et conclure le dossier. Pas de la manière qu’il espérait. J’avais concocté un plan permettant de différer en lui laissant croire à des lendemains chantants. En espérant qu’il passerait à une autre.

Il était encore de la vieille école, reposant lentement son verre de poire réchauffé au creux de la main sur la nappe un peu froissée pour sortir son stylo-plume en or et parapher le contrat de gestes de pur pouvoir. En me reluquant comme la cerise sur le gâteau. Et son regard sur moi me salissait davantage encore que le contact programmé de sa peau sur la mienne.

Le serveur me regardait à la dérobée quand il passait non loin de la table. Pour lui, l’issue était affichée. Le client nous faisait lanterner chaque mois.

Le personnel avait eu le temps de s’apercevoir du manège. Et d’en jouer avec la cruauté de ceux qui ne savaient pas qu’il ne s’agissait pas d’un jeu où tout le monde trouvait son compte.

De ma place, j’imaginais la scène. Chaque serveur revenant de la salle apportait les nouvelles fraîches. Des bribes de conversation étaient rapportées avec le ton employé, suprême indication pour juger de l’issue. Les paris flambaient à l’office. Ma cote était en chute libre. Moi, je n’avais pas envie de l’entendre de cette oreille.

Élodie était restée à la maison. Seule.

Je ne sais plus comment j’ai pu m’extirper du traquenard. Et je ne veux même pas m’en souvenir. Toujours est-il qu’après m’être débarrassée de l’importun, non sans mal parce qu’il aurait bien voulu finir l’après-midi dans cette auberge de charme où il avait ses habitudes, je suis repassée au bureau pour déposer le dossier définitivement ficelé. Avec la signature apposée sans la moindre hésitation. Amère victoire pour quelqu’un qui avait dû consentir quelques concessions pour décrocher la timbale.

Élodie ne répondait pas au téléphone.

Dès que j’ai pu, juste avant dix-sept heures, j’ai pris mon sac et mes clés et j’ai dévalé l’escalier comme une folle au point d’accrocher un présentoir dans l’entrée. En conduisant vite, je mêlais la satisfaction de ma belle réussite du jour et l’inquiétude de n’avoir aucune nouvelle de ma fille. Le reste n’avait pas la moindre importance. Cela n’appartenait qu’à moi.

Certes, ce n’était plus une enfant. Elle pouvait être chez une copine. Ou en ville à lécher ces vitrines de fringues dont elle était si friande comme beaucoup d’ados. Ou bien tout simplement endormie dans le canapé, la télé allumée, avec une peluche dans les bras.

Je me souviens très bien d’avoir failli emboutir le bus tant j’avais l’esprit ailleurs. Je prenais des risques. Je le voyais bien dans les yeux des passants mais j’étais prête à davantage encore pour la retrouver vite. Plus j’approchais de la maison, plus l’angoisse me serrait la gorge. Je pestais contre ce gros porc qui m’avait contrainte à déroger à ma sacro-sainte habitude. Pour des envies bien éloignées du résultat final.

Le mercredi, je déjeunais avec ma fille.

Bêtement, je me suis sentie rassurée quand l’une des copines d’Élodie m’a fait un signe du trottoir d’en face. J’ai tout de suite pensé qu’elle venait de quitter ma fille. J’ai même cru qu’elle portait l’un de ses foulards.

Elle souriait. Tout allait bien.

J’ai planté la voiture au milieu de l’allée et j’ai couru, échevelée et livide, vers la porte. Elle était fermée à clef. C’était la règle. J’ai pesté contre ce principe tandis que j’essayais d’introduire cette foutue clef dans la serrure. Tout se liguait contre moi.

Une fois rentrée, j’ai jeté mon sac sur le fauteuil qui trône dans le vestibule. Un souvenir de mon père. Le seul objet ou presque que j’ai pu garder. J’ai tout de suite appelé Élodie. D’abord au rez-de-chaussée, au salon, dans la cuisine puis dans l’escalier, main crispée sur la rampe. Sans réponse. Je n’en ai pas été très surprise. Ma fille ne répondait jamais. Elle attendait toujours que j’arrive dans sa chambre pour obtempérer. Avec un sourire désarmant.

Je suis montée.

En faisant irruption chez elle, j’ai tout de suite compris. Élodie était allongée en chien de fusil sur le lit. Elle était vêtue d’un tee-shirt blanc à peine sorti de l’armoire et d’un jean tout neuf qu’elle n’avait même pas boutonné à la taille. Elle avait les pieds nus. Le bras gauche était caché par son corps. L’autre, paume de la main ouverte vers le ciel, était posé sur sa jambe droite repliée.

Elle avait bavé sur l’oreiller. Un liquide jaunâtre avec un peu de sang. Sur la moquette, il y avait des boîtes de médicaments déchirées avec une extrême violence vu l’éparpillement des morceaux de carton. Elle avait jeté plus loin sa foutue boîte à musique et les écouteurs qu’elle ne quittait presque jamais. Il y avait aussi une bouteille d’eau qui achevait de se vider en hoquetant. Détail cruel qui m’a fait comprendre que le drame venait juste de se passer.

Elle était belle, les cheveux peignés étalés en corolle autour de sa tête posée sur le tissu brodé. On aurait pu croire qu’elle dormait.

Mais elle ne respirait plus.

J’ai appelé les secours qui n’ont pas tardé. Ils ont tout tenté dans la chambre puis dans l’ambulance. Ils ont eu un petit espoir puisqu’ils ont réussi à faire repartir le cœur. Si faiblement qu’on aurait pu croire au sursaut mécanique d’une machine hoquetant avant de s’arrêter d’une manière définitive.

Mais moi, je sentais au fond de mon être qu’ils ne la sauveraient pas. Son désir de mourir était trop fort.

Sur le parcours jusqu’aux urgences, je me suis dit :

« Ma fille va mourir et je ne sais pas pourquoi. Je n’ai même pas vu qu’elle allait si mal ! »

Pourtant, je ne voulais pas croire qu’elle était déjà partie. Une mère ne peut admettre une chose pareille. Aujourd’hui encore et pour toujours, je ne peux pas concevoir qu’Élodie ne soit plus là. Elle est avec moi. Je suis avec elle. Pour toujours.

Depuis quelque temps, elle n’était plus la même. Elle parlait moins, ne riait plus et filait dans sa chambre au premier mot de trop. Elle était plus renfermée. Elle ne se confiait plus. Ses amies venaient moins souvent. Elle-même n’allait plus les voir.

J’ai mis ça sur le compte d’une crise d’adolescence. Les filles sont très sensibles quand elles constatent physiquement qu’elles deviennent des femmes à part entière. C’est une responsabilité qui naît quelque part et c’est parfois un peu lourd pour de jeunes épaules.

Élodie ne pouvait échapper à ce passage beau et douloureux à la fois. Je n’ai pas pensé un seul instant qu’il pouvait être déclencheur d’une envie de quitter la vie sans l’avoir vraiment connue.

Elle a dû se sentir mal, malheureuse comme les pierres. Ne pas vouloir m’en parler. Et choisir de partir.

Moi, sa maman, je ne m’en étais pas rendu compte. Je n’ai rien vu venir.

Ce jour-là, un mercredi maudit entre tous, trois jours après les fêtes de la Toussaint pour ne jamais oublier, j’ai vu ma fille sur son lit.

Morte.

I

Lorraine s’éveilla.

À deux pas de ses fenêtres, les arbres du jardin du Luxembourg bruissaient sous la brise d’automne. Il y avait quelque chose d’irréel dans cette rumeur un peu métallique, aiguë et foisonnante, des feuilles moribondes résistant à l’assaut du vent. Les unes s’accrochaient aux ramures tandis que le zéphyr jouait pleinement son rôle pour les en détacher. Ensuite, il pousserait peu à peu les feuilles mortes vers les bordures et les recoins, les rassemblerait en tas éphémères pour faciliter le nettoyage avant l’hiver. Le souffleur avait son ménage à faire.

Lorraine n’aimait guère cette saison qui commençait. Paris allait se parer de grisaille poisseuse et les sourires disparaître du visage radieux des femmes vêtues plus légèrement grâce à l’été indien. Les hommes aussi seraient plus bougons, voire renfrognés, d’avoir moins de belles images à emporter avec eux pour passer le temps dans les trains de banlieue. Ils ne seraient plus aussi séduisants, charmeurs, disponibles. Triste période en somme.

Quand elle rentrait de bonne heure du Palais de Justice de Paris où elle avait son cabinet de juge, elle faisait souvent le chemin à pied. Elle ne détestait pas les regards qui se posaient sur elle. Elle ne marchait pas non plus tête baissée pour ne rien voir. Elle aimait bien cet exercice fugace de la séduction partagée qu’elle interdisait farouchement à son homme. Elle avait tellement peur qu’il se laisse emporter ailleurs !

Elle allait devoir ranger ses tenues de jeune femme libérée pour s’engoncer dans du sombre, du cuir, du chaud et du confortable. Elle allait jouer à la femme de tête stricte et froide, comportement qu’elle réservait à l’exercice de ses fonctions. Elle attendrait les beaux jours pour s’échapper en Bretagne ou ailleurs pour vivre incognito, un simple voile sur le corps. Accompagnée si possible.

Pour cette saison, elle n’avait guère envie de frivolités. Rien de bon pour les justiciables qui passe-raient entre ses mains. Elle serait ainsi plus incisive, plus exigeante et surtout moins encline à la clémence. Il ne faut pas croire à la justice objective. Elle ne peut être qu’honnête tout au plus. Ce sont des humains qui jugent leurs semblables et qui usent parfois de la sévérité comme d’une punition qu’ils s’infligent à eux-mêmes.

Mais si son apparence allait se modifier, elle n’en resterait pas moins accessible. Tout au moins pour l’homme qu’elle aimait. Il ne tenait qu’à elle de ne pas casser l’ambiance, comme elle l’avait fait bien maladroitement un jour d’été à La Rochelle.

Cette journée-là, il faisait beau. Elle était seule avec Lando dans un appartement vide. Le bonheur le plus total lui ouvrait les bras. Il l’avait testée de main de maître. Elle n’avait pas su abdiquer un peu. La magistrate l’avait emporté sur l’amoureuse. Elle s’en était voulu. Autant côté tactique que côté sentiment. Pour la suite, il avait fallu un week-end à Rome…1

Lorraine Bouchet, juge au Parquet de Paris, major et benjamine de sa promotion, avait bien dépassé la trentaine. Elle jouissait d’une position enviée, confortée par les dernières affaires passées entre ses mains. Son poste la mettait à l’abri des affaires de voleurs de poules. Elle traitait du lourd et elle adorait ça.

Elle était heureuse. Elle aimait Landowski, un commissaire divisionnaire de la DCRI2 connu autant pour ses méthodes peu orthodoxes que pour ses réussites éclatantes. Il inspirait autant la jalousie que l’admiration et elle ne s’en lassait pas.

Mais derrière le grand flic, l’homme restait insaisissable. Quelque part, c’était ce côté obscur qui la séduisait. Elle était attirée par cette force incroyable mais pourtant discrète qui émanait de lui. Ils étaient deux caractères forts. Les heurts ne pouvaient donc pas être évités, mais ils avaient des moments fabuleux qui faisaient des pieds de nez à ceux qui pariaient sur leur séparation prochaine. Elle espérait l’amener à vivre avec elle mais elle était bien consciente du chemin qui restait à parcourir. Il faudrait probablement passer par des appartements contigus avant de voir les deux brosses à dents se côtoyer dans le même verre… Elle avait la ténacité, la force et l’amour pour réussir. Comme lui. À vérifier pour l’amour.

Elle n’avait pas occulté sa fenêtre pour la nuit. Tant que le jour naissant pouvait taquiner encore un peu son drap avant qu’elle ne se lève, elle se refusait à s’enfermer dans le noir.

Elle ne l’avouerait jamais, surtout pas devant Lando, qu’elle souffrait d’une sorte de claustrophobie. Douce, se disait-elle, comme si elle pouvait négocier favorablement avec son corps pour refuser d’être enfermée dans un lieu exigu.

Peut-être qu’elle gardait de mauvais souvenirs des établissements pénitentiaires où son père avait été en poste pendant sa longue carrière… Elle l’avait suffisamment entendu parler d’incarcération, d’enfermement, de sous-sol et de mitard pour imaginer la solitude du détenu, le cerveau pris dans un étau, et le piège fermé comme un tombeau.

Pourtant, dans son métier, elle n’hésitait pas à signer des mandats de dépôt contre des prévenus dangereux pour la société comme pour eux-mêmes. Mais là, elle le faisait au nom de l’État. Ce n’était pas tout à fait le même registre.

Elle avait joué ici ou là à l’ombre du mur d’enceinte, sous le mirador occupé nuit et jour par un surveillant armé et, même si le jardinet entretenu le plus souvent par un détenu en fin de peine, ressemblait à tous les autres jardins, il restait la propriété de l’administration. Il n’était donc pas le sien et elle avait toujours évité d’inviter ses copines de peur d’entendre fuser des traits d’ironie contre ceux qui enfermaient les autres.

Il n’y avait certainement aucune honte à avoir. Ce n’était pas son père qui était responsable de l’incarcération de ces hommes, même s’il assumait sans état d’âme sa fonction, mais parfois elle aurait préféré ne pas voir de sa fenêtre cette succession de petites ouvertures donnant sur un haut mur, ces sacs plastique suspendus à un fil et ces mains crispées parfois sur les barreaux à la fin du jour.

Il lui avait fallu du temps pour comprendre la nécessité qui n’avait rien à voir avec le hasard et elle avait choisi la magistrature. Lors de la signature de son premier mandat de dépôt, elle avait songé à celui qui allait le subir. Un court instant. Ensuite, elle était passée définitivement du côté du droit.

Lando restait du côté de la force et cela lui avait plutôt bien réussi jusqu’à présent. Mais il prenait des risques, nouait des inimitiés et agaçait les autorités. S’il subissait une série d’échecs, il n’y aurait plus personne à le défendre. Lorraine tremblait pour lui.

Elle oubliait tout quand ils se retrouvaient, comme la première fois à Bénodet, parce qu’il était pré-sent, sensuel et protecteur. Exactement tout ce qu’elle s’interdisait de lui avouer. Elle préférait donner du caractère et affirmer son indépendance avant de fondre dans ses bras pour mieux se l’attacher. Stratégie bien connue de la femme amoureuse.

Lorraine se leva d’un bond comme en sortie de roulade, pour éprouver sa souplesse. Certes, elle n’était plus l’étudiante qui avait joué au club des Cinq pour confondre la secte de l’Aven au début du nouveau siècle mais elle avait gardé son côté sportif tout en devenant une femme dans sa plénitude.

Elle fit quelques mouvements de musculation sur la moquette avant se passer les mains ouvertes dans les cheveux un peu emmêlés à cause de son agitation nocturne.

Lando le lui disait le matin quand ils dormaient ensemble à Noirmoutier ou Port Haliguen3. Il ne lui reprochait pas de s’accrocher à lui mais plutôt de s’éloigner, un peu plus tard, en emportant la couette ou le drap. Si lui dormait nu, elle, affectionnait de porter une petite nuisette ; les petits matins sont souvent frais.

Elle se versa un café distillé par une cafetière à la capacité suffisante pour abreuver un régiment et elle s’assit dans un coin de la cuisine, les pieds nus posés sur le premier barreau de la chaise. Elle avait l’habitude d’être perchée pour son petit-déjeuner. Elle noya dans son bol en faïence de Quimper ébréché une pierre de sucre roux et elle remua machinalement, l’esprit ailleurs.

Elle but une gorgée du breuvage s’apparentant davantage à un jus de goudron, pêcha une biscotte dans le paquet éventré qui ne quittait pas la table minuscule avant de l’engloutir tout entière, comme une gamine qui veut faire crier sa mère. Elle se mit à mastiquer lentement, le regard ailleurs. Nulle part.

Stéphanie l’avait appelée la veille. Tard. Très tard.

1 Lire Fugue mortelle en Ré, même auteur, même collection.

2 Direction Centrale du Renseignement Intérieur née de la fusion de la DST et des RG.

3 Lire La Sirène de Port Haliguen, même auteur, même collection.

II

Chantal s’approcha du portail. La grille en fer forgé avait été occultée par des panneaux de métal soudés derrière les barreaux. En haut du pilier en pierres meulières situé à gauche de l’entrée, une caméra de la forme d’un paquet de biscuits balayait la scène. À droite, il y avait un système de portier électronique scellé dans le mur.

La visiteuse s’approcha. Un bouton rouge clignotait dans la partie haute du boîtier juste au-dessus d’un écran rectangulaire qui semblait inactif.

Il y avait aussi un bouton nacré signalé par une indication inscrite sur une étiquette : « Appuyez ici. » La police de caractères qui semblait d’origine saxonne était calligraphiée à la main.

Chantal pressa le bouton.

Quelques notes de musique précédèrent l’allumage de l’écran qui s’éclaira en blanc laiteux avant de laisser apparaître un écusson baroque se donnant des allures d’un empire germanique.

Puis un texte s’inscrivit, mot à mot et ligne par ligne, dans le rectangle :

« Énoncez distinctement votre nom et votre prénom.

Indiquez le motif de votre visite,

Puis tournez-vous vers la caméra

Et attendez. »

Chantal soupira. L’adrénaline lui montait au cœur. Elle n’aimait guère se confier à une machine. Néanmoins, elle s’exécuta :

— Tarquin Chantal. J’ai rendez-vous aujourd’hui.

Elle se tourna vers la caméra, releva la tête et s’immobilisa quelques secondes. L’appareil grésilla derrière elle, puis un claquement métallique annonça que le portail se libérait. La partie gauche s’ouvrit et un buste apparut dans le passage étroit.

— Reculez de deux pas ! ordonna le cerbère.

Elle obtempéra. La grille s’ouvrit davantage. Un homme vêtu de noir, assez grand et plutôt musclé, s’avança. Il regarda à droite, à gauche, puis encore à droite.

— Vous êtes venue seule ? demanda-t-il sans la moindre aménité.

— Oui, répondit-elle, laconique.

— Elle est où votre voiture ?

— Je l’ai laissée au bord de la route.

L’homme hocha la tête comme pour donner une conclusion au protocole d’accueil et, du geste, il invita Chantal à passer le portail.

Elle savait que la propriété, récemment achetée, faisait plus de dix hectares de superficie et qu’elle s’approchait de l’Odet dans sa partie la plus éloignée de la route. Elle s’attendait à une allée majestueuse bordée de statues encadrées de massifs taillés. Il n’en était rien Il n’y avait ici qu’un chemin carrossable qui partait en courbe dès le passage de la grille.

Le portier ne s’engagea pas sur cette voie. Sans un mot, il prit aussitôt une allée pavée de pierres plates qui filait sur la droite. Chantal le suivit. La promenade dura une bonne centaine de mètres avant de déboucher sur une cour fermée sur trois côtés par des bâtiments anciens rénovés.

Le duo, en file indienne, longea l’un des corps de ferme avant d’arriver à une entrée monumentale en ogive qui, elle, semblait avoir été arrachée à un autre édifice pour venir agrémenter celui-ci.

S’ensuivit une montée à l’étage par un escalier en pierres usées pour déboucher à l’entrée d’une pièce au parquet à points de Hongrie.

— Attendez ici, dit l’homme en noir, avant de disparaître.

Chantal pénétra dans la pièce. Elle n’avait pas l’intention de poireauter sur le palier comme une mendiante. La salle était vaste, rectangulaire et totalement vide. Ou presque.

Au centre, il y avait deux coussins rectangulaires bien rembourrés, un noir et un blanc, qui se faisaient face comme s’ils attendaient d’augustes postérieurs pour être utilisés. Dans chaque angle, se dressait un projecteur puissant, ressemblant à du matériel de cinéma. Toutes les fenêtres étaient occultées par des toiles blanches tendues comme des voiles de navire mais d’une si faible épaisseur que la lumière du dehors inondait la pièce surtout côté sud. Il n’y avait pas de mobilier ni de décoration. Pas de signe distinctif d’une quelconque obédience. Un lieu dépouillé, propre à la plus pure des méditations.

— L’endroit vous plaît ?

Une voix d’homme venait de s’élever dans son dos. Un ton doux, chaud et presque incantatoire.

Chantal se retourna brusquement.

— N’ayez pas peur, rassura l’homme qui se tenait sur le seuil de la salle.

Il portait un foulard blanc qui tombait sur une sorte de kimono pourpre à boutons aussi décoratifs qu’inutiles avec des manches si longues qu’elle ne lui voyait pas les mains.

Il avança de quelques pas et dit :

— Je me nomme Lanza Garan, psychothérapeute et maître de ces lieux pour vous aider comme je puis…

Il esquissa une sorte de courbette, ce qui fit remonter son pantalon. C’est à ce moment qu’elle constata qu’il était pieds nus.

— La règle ici, dans cette pièce, c’est d’y séjourner sans chaussettes, sans chaussures. Seule, la traversée rapide est dérogatoire. Vous verrez, la chaleur vivante du bois ciré sur la plante des pieds produit une tout autre vibration que le bitume ou le ciment. Les fibres ont une histoire qui s’allie à la nôtre, au-delà de la réalité sans âme d’un matériau industriel.

La visiteuse, visiblement impressionnée, autant par le ton que le décorum, se déchaussa et alla déposer ses chaussures à l’extérieur de la salle, puis elle revint vers son hôte qui n’avait pas bougé d’un millimètre. Elle fut donc obligée de le contourner pour lui faire face.

— Chantal, je vous invite à prendre place, dit-il de sa voix si particulière.

Il désigna les coussins.

— Nous allons échanger pendant quelques minutes, vous et moi, seuls, pour établir le contact essentiel entre nous, ajouta-t-il sans sourire.

Elle fit mine de se diriger vers le coussin blanc. Le maître le lui interdit de l’index gauche levé et lui indiqua le coussin noir.

— Chantal, expliqua-t-il, vous êtes ici pour vous délivrer de la noirceur et avancer vers la lumière. Quand nous aurons mis ensemble un point final à votre parcours, vous pourrez vous asseoir sur le coussin blanc. Ce sera la preuve de notre victoire commune. Vous verrez combien il est moelleux et agréable comme la béatitude. Il sera alors le vôtre pour l’éternité.

Ils prirent place. Le maître, naturellement rompu à l’exercice, le fit sans difficulté. Pour Chantal, ce fut plus laborieux. La position du lotus n’était pas sa tasse de thé. Elle se contenta de s’asseoir en tailleur.

Le maître joignit les mains comme pour se mettre en prière. Il ferma les yeux, inspira fortement. Expira de même en formant un cercle parfait avec ses lèvres et rouvrit les yeux. Elle constata qu’ils étaient très bleus mais avec des pupilles dilatées comme pour capter davantage de lumière. Le charme opérait.

— Je suis très heureux de vous voir ici, Chantal. Vous avez fait le bon choix.

Il sourit enfin. Des dents très blanches parfaitement alignées. Probablement traitées par un spécialiste.

— Vous avez suivi le conseil avisé d’une bonne amie à nous. Une personne qui ne vous veut que du bien, sachez-le. Elle vous a désigné la porte. À vous, maintenant, d’en trouver la clef…

Il inspira fortement en faisant remonter son diaphragme et souffla en se vidant complètement les poumons avant de reprendre une respiration normale.

— Sachez que nous ne cherchons pas à remplir cette salle avec des personnes dans le désarroi. L’argent n’est pas le moteur de notre action. Nous ne pourrions pas d’ailleurs répondre à toutes les sollicitations. J’opère donc une sélection dans les demandes. Pour être certain de la nécessité et pour être certain du résultat. Parce que j’ai cette certitude, je vous accueille parmi nous.

Il se releva sans s’aider de ses mains et marcha vers la porte qu’il referma lentement. Il revint vers Chantal et il se plaça derrière elle.

— N’ayez pas peur. Je ne vous ferai aucun mal. Tout ce que je vais pratiquer aujourd’hui, demain et les jours qui suivront c’est dans le but de libérer la parole et de faire sortir de vous toutes ces choses qui vous enchaînent. Et je les obligerai à s’en aller ailleurs. Définitivement.

Il ajouta :

— Confiance, Chantal. Ayez pleine confiance en moi !

Il s’assit sur le plancher derrière elle, les genoux à toucher son dos.

Le contact la surprit. Elle frissonna.

— Ainsi votre fille s’est en allée…

— Elle est décédée.

— Quel était son prénom ?

Chantal était décontenancée de converser avec quelqu’un qu’elle ne voyait pas. Elle déglutit. Sa langue avait pris la consistance du carton.

Elle parvint quand même à répondre :

— Élodie.

— Elle est partie, partie, Élodie ?

Elle protesta :

— Non, non ! Elle est avec moi pour toujours.

Chantal sentit l’émotion l’envahir. Ce contact chaud contre les lombaires et cette curieuse pulsation qui en émanait la troublait. Elle sentait la sueur perler à ses aisselles et plus bas encore.

Comme s’il s’adressait à une cohorte d’esprits invisibles, le thérapeute psalmodia :

— Nous savons maintenant qu’Élodie, fille de Chantal, est avec nous, ici, dans cette pièce et qu’elle va nous accompagner pour nous aider à comprendre, pour aider sa maman à guérir. À se guérir.

Garan posa ses mains ouvertes sur les épaules de sa nouvelle protégée. Lentement, il les referma, accentuant ainsi le contact. Elle sentit son souffle tout près de son oreille gauche, puis elle entendit cette question à laquelle elle ne s’attendait pas :

— Chantal, est-ce que tu as fait du mal à Élodie ?

Ce fut plus qu’un cri, une plainte d’animal blessé.

— Non, non !

Le récitant serra légèrement les doigts pour accentuer sa prise. Chantal ressentit la pression. L’homme reprit en amplifiant sa voix. Le passage soudain au tutoiement n’était pas innocent.

— Élodie est ici, avec nous.

Il temporisa et poursuivit :

— Je répète, Chantal, et j’attends une réponse franche. Est-ce que tu as fait du mal à ta fille ?

III

Lorraine Bouchet était arrivée à Quimper tard le soir par le train. Elle voulait être à pied d’œuvre aux aurores. Le trajet avait été calme, un peu long peut-être, mais elle avait mis à profit cette solitude momentanée pour travailler.

Le hasard, ou le destin, appelons ça comme on veut, lui donnait la possibilité de mener personnellement l’enquête. Non pas qu’elle en rêvait mais plutôt parce qu’elle avait encore des choses à se prouver à elle-même. Elle avait déjà goûté à l’exercice du côté de Pont-Aven. Elle n’était alors qu’une étudiante à l’École Nationale de la Magistrature de Bordeaux en vacances chez sa copine Stéphanie. Son action ne serait ici qu’officieuse et, si cela tournait mal, elle userait de la loi. Et de son pouvoir.

Stéphanie, justement.

Quelques années avaient passé et les deux camarades s’étaient un peu perdues de vue. L’opportunité avait donné un bon prétexte pour que Stéphanie s’embarque, avec un enfant, dans une incroyable affaire sautant d’île en île en Charente-Maritime.1

La jeune femme avait gardé un souvenir douloureux de sa rencontre avec Franck Nérac, braqueur notoire, et elle en avait profité pour tenter de lui faire payer la facture.

Mais enlever un enfant n’a jamais été un jeu de patronage. Il a souvent été un jeu de massacre broyant les êtres dans leur corps et dans leur cœur pour le reste de leur vie.

La chance avait mis son grain de sel dans l’histoire afin d’éviter une issue fatale sur la plage de Trousse-Chemise à l’île de Ré.

La chance ? Et Landowski !

Le commissaire avait mis un terme à cette cavale insensée. Plus tard, le temps de la responsabilité pénale était arrivé. Même si Stéphanie avait agi sans fraude ni violence, selon les termes même du droit pénal spécial, elle n’en relevait pas moins d’une sanction judiciaire.

Lorraine avait joué un rôle dans cette affaire en tenant sa copine au courant des frasques de Nérac. Elle avait avoué plus tard à Landowski qu’elle n’imaginait pas que Stéphanie pousserait le bouchon si loin.

En conséquence, il avait bien fallu qu’elle vienne à la barre pour donner sa version des faits. La magistrate avait mis tout son poids dans la balance de la justice pour tenter d’atténuer la sanction. Elle lui devait bien ça à sa copine ! Après tout, elle ne pouvait pas supposer que celle-ci se lancerait dans une telle aventure mais elle en avait été le déclencheur.

Les membres du tribunal avaient bien compris la motivation de Stéphanie puis ils avaient craqué, sans être prêts à l’avouer, quand le jeune Luke était venu défendre avec force celle qui lui avait offert une cavale digne d’un roman de cape et d’épée.

Verdict : cinq ans d’emprisonnement dont deux avec sursis, une amende réduite par l’obligation d’effectuer deux cents heures de TIG2.

Avec la détention provisoire et les réductions de peine, Stéphanie avait écourté son séjour à la Maison d’Arrêt des Femmes de Rennes. Une fois sortie, elle avait été accueillie à Quimper par une nouvelle association œuvrant contre les violences faites aux femmes pour effectuer l’autre volet de sa peine.

C’est là qu’elle avait découvert une piste pouvant intéresser la magistrate.

Ce mardi matin, Lorraine se fit déposer par le taxi au carrefour du Chapeau Rouge. Il n’était guère possible d’approcher en voiture le parking de La Tour d’Auvergne en passant devant le collège de La Sablière. Un important dispositif policier en contrôlait les accès.