Fausses notes à Larmor Plage - Serge Le Gall - E-Book

Fausses notes à Larmor Plage E-Book

Serge Le Gall

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Beschreibung

Le jeu du chat et de la souris a commencé, mais lequel piègera l'autre ?

Sur la pelouse du Fort de Locqueltas, à Larmor-Plage, on retrouve un homme sans vie. Curieux, l’accoutrement de ce dernier… Curieux plus encore quand, du livre posé à côté de lui, s’échappe une carte de visite adressée au commissaire Landowski… Il n’en faut pas davantage pour que celui-ci, toujours à l’étroit dans les bureaux parisiens, en profite pour filer vers la Bretagne.

C’est de victime en victime que l’adversaire insaisissable l’invite à participer à un jeu de piste tordu, où l’argent et la haine s’accordent pour faire le grand ménage. Sur cette hécatombe de corps en costume de fête flotte un parfum entêtant d’huiles essentielles et les ombres du passé rajoutent encore quelques pièces au puzzle que le divisionnaire doit résoudre…

Mais Landowski est de retour, n’en doutez pas !

Laissez-vous emporter dans ce polar noir rythmé par un compte à rebours haletant, découvrez le tome 23 des enquêtes du commissaire Landowski !


EXTRAIT

C’est mercredi matin à Larmor-Plage. Un matin comme beaucoup d’autres qui témoigne des aléas climatiques. Dans une heure ou deux, le soleil aura réussi à percer. Pour le moment, il somnole en hauteur comme s’il voulait se faire désirer.
Une sorte de brume de mer s’est formée sur la rade de Lorient sans crier gare. Le ciel et l’eau se fondent délicatement dans un gris ouaté qui atténue les sons et délave les moindres repères. Pudeur du matin d’une nature qui se joue des regards. Comme une femme au saut du lit qui n’a rien oublié.
Le navire assurant le service régulier entre l’île de Groix et le continent s’embouque lentement dans la Passe de l’Ouest. Il faut être très attentif quand il fait ce temps bâché. Les passagers ont quand même confiance. Même si l’équipage a de l’expérience à revendre, il ne faut pas les décevoir par une manœuvre hasardeuse. Ni les mettre en danger.


CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton. -  Ouest France


À PROPOS DE L’AUTEUR

Serge Le Gall est né à Concarneau en 1951, il vit et écrit à Pont-Aven. Après la rédaction d'ouvrages d'histoire locale, il s'est tourné vers le roman policier. Côté enquêtes, il s'appuie sur son expérience professionnelle dans le milieu judiciaire. Côté suspense, il aime bien jouer à cache-cache avec son lecteur. Le commissaire divisionnaire Landowski est son personnage fétiche... Dans la collection Enquêtes et Suspense, il vous propose de participer ici à la dix-huitième enquête du désormais célèbre commissaire.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« Mei avait fui

Au-delà des montagnes

Et jeté son passé

Au vent de la steppe.

Les oracles avaient prédit

Qu’elle reviendrait. »

Uchen Yang,Infatigable voyageur chinois(Période des Cinq Dynasties - Xe siècle)

I

C’est mercredi matin à Larmor-Plage. Un matin comme beaucoup d’autres qui témoigne des aléas climatiques. Dans une heure ou deux, le soleil aura réussi à percer. Pour le moment, il somnole en hauteur comme s’il voulait se faire désirer.

Une sorte de brume de mer s’est formée sur la rade de Lorient sans crier gare. Le ciel et l’eau se fondent délicatement dans un gris ouaté qui atténue les sons et délave les moindres repères. Pudeur du matin d’une nature qui se joue des regards. Comme une femme au saut du lit qui n’a rien oublié.

Le navire assurant le service régulier entre l’île de Groix et le continent s’embouque lentement dans la Passe de l’Ouest. Il faut être très attentif quand il fait ce temps bâché. Les passagers ont quand même confiance. Même si l’équipage a de l’expérience à revendre, il ne faut pas les décevoir par une manœuvre hasardeuse. Ni les mettre en danger.

On dirait un vaisseau fantôme sortant du brouillard pour tourmenter les vivants, le Hollandais Volant et sa légende un peu glacée. Plus prosaïquement, le navire sera à quai à Lorient dans un moment, pour débarquer sur le continent des Groisillons à l’année ou des îliens d’une nuit ou deux. Comme tous les jours.

L’homme qui observe la scène sous un angle de vue tout à fait particulier est étendu sur le côté, juste devant les vestiges bien conservés d’une batterie allemande de la dernière guerre, du fort de Locqueltas.

Il porte une ample veste à longues basques, du type de vêtement que l’on ne porte plus qu’aux enterrements et encore. Sauf que celui-ci prêterait à sourire. En fait, c’est une redingote à gros boutons, qui ne se fait plus depuis longtemps. Ou alors portée par les comiques dans les cirques pour faire rire les enfants. Son pantalon à fines rayures est bien repassé si l’on en juge les plis impeccables qui s’arrêtent bien au-dessus des chaussures bicolores. À une époque, le pantalon dit « feu de plancher » se portait couramment. Une manière élégante alors de montrer ses belles chaussures. Et ses chaussettes montantes ! On le voit un peu comme s’il avait revêtu un costume de cérémonie de l’ancien temps. Quelque chose de suranné qui n’a plus cours et qui surprend. Mais de cérémonie, pas des plus gaies, il va en être vraiment question.

L’homme est couché sur le flanc, le corps étendu sur l’herbe verte, encore grasse, d’un printemps qui s’étire et résiste contre l’été qui vient. Il a les pieds tournés vers l’est. Comme il est allongé dans la courbure de la butte de terre remontant vers l’ouverture maçonnée qui accueillait naguère les pièces d’artillerie, il a le loisir d’apercevoir la mer si elle se montre et de la deviner si elle reste discrète.

Le loisir…

Il n’aura guère le temps d’en profiter puisque son parcours va s’arrêter ici. C’est écrit. Décidé ainsi. Accepté après en avoir soupesé le pour et le contre. Après avoir plaidé sa cause. Après avoir pleurniché comme un enfant. Après…

« Mais il n’y a pas d’après.

Tu sais que je ne peux accepter.

Mais que je le dois.

Tu m’en demandes trop, même si tu en as le droit.

Ma fille en aura besoin. Elle est si fragile.

Je ne veux pas souffrir.

Je ne veux pas qu’elle souffre, elle non plus.

Elle n’a plus que moi.

Et je vais m’en aller.

Si j’avais su… »

Il est en train de s’engourdir petit à petit. Il le sent très bien à ses articulations qui grinceraient si elles étaient métalliques. Il n’y a plus d’huile dans les rouages et tout se bloque. Il est allongé, certes. S’il le voulait, il ne pourrait même plus se mouvoir. Pas question de se mettre debout. Il n’en aurait ni la force ni la possibilité. Il va se transformer lentement en gisant des nécropoles. Ou presque.

La température de l’air n’a rien à voir en cela. Il se sent partir ad patres à la manière d’une baudruche dont on laisse s’échapper l’air entre les doigts. Mais ici, il n’y a pas de musique aiguë vrillant les tympans. Même pas un son funèbre pour l’accompagner. Normal. Il est bien le seul à savoir qu’il est en train de vivre ses derniers instants. Mais la mort est si solitaire, dit-on. On ne va pas battre les peaux des tambourins pour annoncer sa fin imminente. S’il en est ici comme d’une exécution, il n’y pas de bourreau, ni de tribun, ni de spectateurs. Il est seul. Bien seul.

Il est venu s’échouer ici sans trop savoir pourquoi. Il a eu le choix de l’endroit à la manière d’une ultime faveur. Pour d’autres, ce fut la cigarette et le verre de rhum. Autres temps, autres mœurs.

Mais il s’aperçoit maintenant que cela n’avait pas beaucoup d’importance. Tout compte fait, d’ailleurs, c’est bien de cela qu’il s’agit, il aurait préféré basculer brusquement dans un trou noir, pour disparaître d’un coup et ne rien regretter.

Tout à l’heure, en longeant le bord de mer par la promenade refaite à neuf récemment, il a salué des ouvriers remplaçant un morceau de grillage endommagé pour une raison quelconque. Le vandalisme est monnaie courante dans notre société qui se laisse aller à tous les excès. Ils ont ri sous cape de le voir affublé ainsi. Ils ne pouvaient pas savoir ce qui était en train de se tramer contre ce quidam endimanché. Même s’il avait un mauvais pressentiment légitime, il ne voulait pas imaginer qu’il n’allait plus faire partie de ces vivants vaquant naturellement à leurs activités avant que ne soit sonné midi au clocher. Il avait tout simplement rendez-vous et il croyait encore au Père Noël. Comme un imbécile.

Pour que la mort lui aille bien, au cas où, il avait sorti ses beaux habits d’un placard oublié au bout du couloir. De ces choses anciennes dont il s’était souvent paré. Il n’avait pas été bateleur ou montreur d’ours mais s’il avait enchanté un peu, ce n’était pas si mal. En les étendant au salon sur la grande table qui ne voyait plus guère de convives, il avait pesé le blanc et le noir du costume et de l’homme qui se coulait à l’intérieur. Ce qui avait été bien. Ce qui ne l’avait pas été. Du tout.

À midi, les ouvriers rejoindraient leur fourgon, en ouvriraient toute grande la porte arrière pour s’y asseoir un moment et déguster un banal jambon-beurre et une salade un peu relevée, en poussant le tout d’une bière blonde mousseuse à souhait. Ensuite, l’un d’entre eux dévisserait le bouchon de la thermos fatiguée par des années de bons et loyaux services, verserait du café chaud dans des tasses en plastique rigide et ils siroteraient leur breuvage bien noir en contemplant la mer sans trop parler parce qu’ils se sont déjà tout dit.

Lui, le quidam de passage, il serait mort bien avant le déjeuner et froid pour midi.

Bien sûr, cet homme au bord du gouffre sans fond, il pourrait crier, appeler au secours. Essayer du moins d’une voix qui s’est perdue dans une gorge serrée. Ameuter et attendre que l’on vienne le sortir de ce mauvais pas. Mais toute cette agitation ultime ne servirait à rien. Son billet destination nuages est déjà poinçonné. On ne rembourse pas. Quand c’est l’heure, c’est l’heure !

À cette heure-là du matin, surtout si le temps est un peu brumeux, les joggeuses en figures de mode ne se montrent guère, faute de public pour admirer leur élégant trot de petit poney à crinière flottante. Il n’y a que des joggeurs stakhanovistes de l’effort dont le fil des écouteurs se balance au gré de l’allure soutenue. Ils sont enfermés dans leur trip, peu disponibles à ce qui se passe à l’extérieur. Et puis, il faudrait qu’ils tournent la tête et qu’ils aperçoivent l’homme à terre subissant de guerre lasse sa propre agonie.

Trop d’aléas pour un sauvetage tant espéré. Et ce sauvetage ne serait que de courte durée. Sa fin est programmée et inéluctable. Peut-être peut-il encore user de quelques reptations pour que son corps se mette à rouler sur la pente et s’offre davantage aux regards. Quelle triste image à donner de lui-même. Même cette action ultime ne pourrait endiguer la mort qui le gagne peu à peu et sûrement.

Mais, dans le fond, n’est-ce pas mieux ainsi ?

II

— Il y a quelque chose là-bas !

— Où ça ?

— Mais là ! Sur la pelouse, il y a quelqu’un !

Le retraité à casquette grise secoua la tête.

— Voilà qu’elle a des visions maintenant !

— Toujours à me rabaisser, hein, sale macho !

— Pourquoi t’es restée avec moi tout ce temps ?

La petite dame sourit.

— Ah, les bonshommes ! Tu ne comprendras jamais rien !

— Et je partirai comme ça !

— Tu arrives toujours à me faire perdre pied. N’empêche qu’il y a bien quelqu’un qui est allongé là-bas ! Il est habillé comme Fred Astaire ! Tu sais avec ce costume sombre des films muets…

— Alors c’est un noceur ! La nuit a dû être difficile pour lui ! Il se repose là où le sommeil l’a cueilli !

— Ah, toi, forcément !

— Quoi, moi ?

— Tu m’agaces à la fin avec tes phrases à l’emporte-pièce ! Je ne rêve pas. Il y a bien un corps allongé juste devant l’ouverture où les boches avaient placé leurs canons !

— Et tu te souviens de ça, toi ?

Un ange passa devant les yeux de la retraitée.

— Mon père m’avait confectionné un tricycle avec des roues de patinette et des tubes en fer ramenés en douce des chantiers. Il les cachait le long de sa jambe. Comme il boitait un peu, on ne lui a jamais rien demandé. Il en a sorti des choses grâce à son handicap ! Les Allemands n’y ont vu que du feu.

Elle sembla rassembler un peu plus ses souvenirs et se mit à parler comme à elle-même, en traînant les phrases en longueur :

— Il avait peint le cadre en noir. Moi, je n’aimais pas le noir. Il avait fait comme il avait pu pour m’offrir un jouet. Les soldats me laissaient pédaler le long de la grève. Au pays, ils avaient peut-être des enfants, eux aussi…

— Ceux des autres, ils les ont exterminés sans état d’âme !

La vieille dame soupira.

— C’étaient pas des SS, ceux-là. Ils étaient de l’armée régulière. Ils n’étaient pas méchants.

— J’fais pas de différence, moi ! Ils ont tous suivi tonton Adolf !

— J’espère qu’ils n’ont pas eu le temps de souffrir…

— Qu’est-ce que tu marmonnes ?

— Je pense à ces enfants dans les camps. Moi, j’ai eu de la chance.

— Tu n’étais pas de ceux…

Elle coupa court.

— Je les voyais, ces gros tubes noirs orientés vers la mer. Je ne savais même pas ce que c’était. Parfois, les sentinelles me criaient « Raus, schnell ! » Je comprenais alors que je devais déguerpir. Je pédalais vite en baissant la tête. Ça les faisait rire.

Le couple de personnes âgées s’était approché de la clôture grillagée.

Leur petit chien bicolore qui n’avait l’air de rien tirait sur la laisse.

— Tu as raison ! avoua l’homme. C’est bien un corps qu’il y a là. Il est endormi, non ?

— On ne dort pas dans cette position, voyons ! C’est inconfortable et ce n’est pas le lieu !

— Sauf si on en a pris une bonne la veille ! Vu le costume, c’était la fiesta où il est allé traîner ses guêtres !

— Je crois plutôt qu’il est mort !

Le vieil homme tira machinalement sur la laisse tendue par l’animal pressé d’aller sentir plus loin le marquage urinaire de ses congénères.

— Avec ces romans qui viennent du froid, que tu lis la nuit, tu vois le drame partout, dit-il. On s’en va ?

La vieille dame s’offusqua.

— On ne va pas s’en aller comme ça !

— Parce que tu crois que je vais enjamber le grillage pour y aller voir ? J’ai pas envie de passer pour un assassin en laissant mes empreintes partout ! Facile de fabriquer un coupable de nos jours quand on ne trouve pas le bon !

— Tu vois bien que tu y crois quand même à ce cadavre !

— Sauf que si j’essaie d’y aller r’garder, il faudra les pompiers pour me décrocher de la clôture ! Avec le risque de…

— À vingt ans, tu étais si svelte…

Nostalgie.

— Le dur labeur des ouvriers est passé par là, expliqua-t-il.

— Et aussi le bœuf en daube !

— Pourquoi je m’en priverais ? Tu le fais à merveille !

Ils sourirent, complices.

— Alors faut téléphoner ! décida la dame.

— Fais-le, toi ! Ton fils t’a offert un téléphone portable dernier cri, de peur que tu te perdes dans la nature ! C’est le moment de faire moderne, Mamie !

— Tu n’es vraiment qu’un bourru de chez bourru !

Le retraité rit sous cape.

— Si tu t’aperçois de ça un demi-siècle après, c’est pas trop grave, tu vois !

— Mais je ne connais pas le numéro pour alerter, moi !

— Y’a l’appel d’urgence sur ton truc. J’ai vu ça à la télé. Enfin, je crois…

— Je ferais mieux de demander à ton chien ! Dans la pub à la télé, il est plus intelligent que son maître !

— Le mien, il regarde le feuilleton mais il ne parle pas encore ! Dommage, il pourrait me raconter la fin quand je m’endors devant !

— J’ai assez d’un moulin à paroles à la maison ! Deux, ce serait abuser !

La dame âgée fit quelques pas. C’est fou les kilomètres que l’on peut faire quand on a un portable vissé à l’oreille. Son conjoint s’assit sur le muretin côté mer et s’amusa avec le chien qui ne demandait pas mieux.

Le calme du matin fut tout à coup envahi par le son caractéristique des sirènes. Tons différents entre police et pompiers.

— Ils ont fait vite, pour une fois ! ricana le vieil homme. Comme pour casser du gréviste !

— Dis, Victor, tu ne vas pas encore nous bassiner avec tes histoires d’anarchiste pur et dur !

— Je constate l’efficacité des moyens techniques de l’État, un point c’est tout !

— Je n’ai même pas eu le temps de les avoir au téléphone qu’ils sont déjà là !

— Fallait pas t’affoler, ma belle ! Suis pas pour la collaboration avec les forces de l’ordre, moi ! Parole de métallo ! Les camarades ont trop souffert en 34 ! Et nous ensuite !

— Dis tout de suite que tu y étais sur les barricades !

— J’y s’rais allé, ah oui. J’y s’rais allé !

Le vieil ouvrier en avait les larmes aux yeux. Sa femme s’approcha et elle prit place à côté de lui sur le petit mur. Ils tournaient le dos à l’océan.

À quelques dizaines de mètres, sur la butte de terre, on commençait à s’animer. Des policiers en uniforme s’approchèrent du corps immobile. L’un d’eux mit un genou à terre puis il se pencha vers l’homme étendu. Il posa deux doigts de sa main droite gantée sur la carotide de l’inconnu, attendit quelques secondes puis se releva en soupirant. Une fois debout, il secoua la tête.

— Tu vois, il est bien mort ! dit la vieille dame d’une voix hésitante.

— Ils vont profiter pour l’enterrer, c’est sûr !

— Oh, toi, tu ne respectes rien !

— Je le connaissais pas moi ! Et même ! Quand tu as fermé ton parapluie, tu t’en fous un peu de la suite ! Ça te regarde même plus ! On te colle dans le plumier et en route !

La vieille dame baissa les yeux comme si les perspectives annoncées la renvoyaient à leur inéluctable destin.

— On rentre ? demanda-t-elle d’une voix blanche.

— Tu as raison. Prends-moi le bras, si tu veux bien.

Un policier les regarda cheminer lentement en direction de la rue du Fort. Un collègue allait les intercepter au bout de la promenade de l’Océan pour savoir s’ils avaient vu quelque chose.

— Il y a des blessures apparentes ? demanda le chef de patrouille.

— Je ne vois rien !

— On a prévenu l’identification. Le médecin est en route. On ferme le périmètre. On ne touche à rien.

Il toussota.

— Il est drôlement fringué, non ? Y’a même le chapeau-claque là-bas. Il a roulé dans la pente.

— Un fêtard qui se sera perdu après un bal costumé… L’alcool et la fraîcheur de la nuit, ça ne pardonne pas. On n’est pas à Ibiza ici !

— Et c’est quoi ce truc-là, plus loin ? demanda-t-il en montrant du doigt un objet en papier.

— On dirait un carnet ou un livre…

Les deux policiers s’approchèrent.

— Un peu bizarre comme bouquin, dit le gradé sans grande conviction.

— Sorti d’une poubelle plutôt ! À peine bon pour caler le lit-clos de Mémé !

— C’est quoi le titre ?

— Carré, euh, j’ai du mal à lire. Carré tragique !

— On dirait qu’il y a une carte de visite. Une extrémité du carton dépasse sur le côté. Tu l’ouvres délicatement, hein ! Pas le moment de se faire incendier par les spécialistes qui vont arriver !

Le policier utilisa un stick métallique télescopique et souleva délicatement la couverture abîmée de l’ouvrage.

— Il y a juste quelques mots tracés lettre à lettre, à l’encre noire.

— Et ça dit quoi ?

Le policier tenta de déchiffrer à l’envers.

— À l’attention de Monsieur, Monsieur…

— Monsieur qui ?

— …le commissaire divisionnaire Landowski !

III

— Salut Ange !1

— Lando ! T’es où ? Tu fais les caves en banlieue à la recherche d’une planque à terroristes ?

— Je suis à Larmor-Plage !

— Quésaco ?

— Si je te dis Lorient, tu vois mieux ?

— Ne me prends pas pour une truffe non plus, hein !

— Larmor-Plage c’est en face de l’ancienne base des sous-marins de Keroman devenue Cité de la voile. Donc commune balnéaire, comme le nom l’indique. Un peu calme en ce moment. L’été arrive, mais il n’est pas encore tout à fait là.

— Et qu’est-ce que tu fabriques au bord de la mer ? Tu cherches des coquillages pour ta collection ?

— Figure-toi qu’il y a un macchab’ ici.

— Oh m… En même temps, c’est pas le premier !

— Sauf que celui-ci avait près de lui un bouquin avec une carte de visite à mon nom. Comme un envoi d’auteur, tu vois ?

— À peu près. Du coup, t’en as profité pour te tirer une fois encore en Bretagne. C’est Lorraine2 qui va être contente !

— Vu qu’on parlait de moi, les locaux m’ont mis sur le coup aussitôt…

— Ah, l’incontournable commissaire Landowski !

— Ton patron3 qui est aussi le mien est d’origine bretonne. Il n’a pas rechigné à m’y envoyer voir. Tout est possible de nos jours et rien n’est à négliger.

— Et donc tu m’appelles pour me dire que tu vas encore te la jouer solo !

— Si on parle bizness, passe la communication en double cryptage, si tu veux bien ! Principe de précaution !

— Quand tu dis ça, on n’est jamais loin de l’embrouille ! Y’a à craindre !

Le téléphone portable du commissaire grésilla en points-tirets comme s’il cherchait du réseau puis l’écran devint noir avant de se rallumer. L’affichage avait diamétralement changé.

— Que puis-je faire pour vous, Monsieur le divisionnaire ? demanda ironiquement Ange.

— J’te raconte. L’homme était étendu sur la pelouse face à la mer. Je suis sur place pour me faire une idée. Il était habillé propre comme pour sortir. Mieux que ça. Queue-de-pie, chapeau hautde-forme, pompes deux couleurs.

— Encore un qui a abusé du biberon à la fête de son quartier !

— Quand les archers sont arrivés, il était mort depuis moins d’une heure, selon le légiste.

— Arme blanche ou arme à feu ?

— Aucune des deux ! C’est là que ça se complique.

— Le mec en avait marre de la vie. Il s’est foutu en l’air, point barre. C’est bien une excuse bidon pour que tu files encore à l’Ouest. Me dis que tu vas faire un détour par Concarneau…

— Tu te souviens ?

— Œuf corse !

— Tu te moquerais pas de tes origines, des fois ?

— Moi, j’ai le droit ! On était en train de manger des langoustines quand l’hélico est venu te chercher4 ! Bonjour la tranquillité et la poussière ! Ce sont les voisins qui ont dû être contents !

— Quand t’es flic, c’est vingt-quatre sur vingt-quatre ! Tu le sais bien !

— Tu veux quoi finalement ?

— Ici, je ne peux pas me connecter aux bases de données du siège. Comme tu es à Levallois, tu vas pouvoir faire un petit boulot pour moi.

— Vas-y, accouche !

— L’auteur du bouquin c’est Stole Columbus. Moi qui lis du polar américain, ça ne me dit rien. Mais des auteurs, y’en a ! Le fil rouge, c’est pas forcément lui. Il a pu être choisi pour le lieu de l’action, un personnage, une référence particulière. Dans le crime aujourd’hui, on trouve tout et n’importe quoi. Y’en a des qui jouent avec les flics pour les faire réfléchir.

— On a le droit de penser, quand même !

— Je n’aime pas ces affaires qui ne sont que des jeux de piste. Au final, ça pue la mort !

— Oh, Lando, t’es grave d’un coup !

— Y’a des jours où le coin de ciel bleu n’est qu’un souvenir et ça fait ch… !

— Comme tu y vas aujourd’hui !

— J’ai mal au cou. J’ai dû me coincer un nerf. J’ai des fourmis dans le bras droit. Je ne sais même pas si je peux encore tenir un flingue ! Du coup, je suis moins, je suis plus… enfin, j’me comprends !

— Je fais quoi, moi, maintenant ?

— Tu vérifies s’il existe, Stole Machin, ce qu’il a fait et écrit.

— Tu vas sur Internet et tu cherches !

Landowski négligea l’ironie mais en profita pour enfoncer le clou. Autorité oblige.

— Tu vas sur CRISTINA5 et tu cherches si on a quelque chose sur un certain Léo, Léopold peut-être, Névi.

— Je suppose qu’il s’agit du mort. Notre base de données ne recense quand même pas les voleurs de poules ! Ni les nostalgiques du cinéma muet ! On fait dans le renseignement et la sécurité, nous ! Faudrait quelque chose de sérieux pour que ton cadavre soit fiché chez nous !

— Il suffit d’une mention marginale et on trouve un lien. Il y a forcément un truc qui me lie à ce mec, de près ou de loin. C’est peut-être quelque part dans le fichier…

— Je vais consulter puisque c’est toi.

— Consulte, mon gars, consulte ! Parfois, on a des surprises…

— T’as raison ! Je vais procéder à des recoupements par association pour vérifier si tu entres quelque part dans le tableau avec ce Léo Névi. Mince affaire avec un pedigree comme le tien.

— Le sien doit être un brin plus court. Ça va aider !

— Et tu attends quoi ?

— Que le magicien que tu es, sorte un lapin de son chapeau !

— La sécurité nationale n’est quand même pas en danger avec ton gus. Surtout qu’il va définitivement loger boulevard des allongés, dans deux ou trois jours…

— Si le légiste en a terminé !

— Je vois ça comme ça ! Il était à une soirée et il a picolé grave. Il a voulu prendre l’air. Il s’est perdu. Le froid l’a saisi. Trois grammes et tu fais claquer le jackpot !

— Pas sûr que ce soit si simple. On dirait peut-être, mais…

— Au commissaire Landowski, on ne la fait pas ! C’est ça ?

— C’est quand même bizarre de m’envoyer ce faire-part, tu vois. Un, il faut connaître mon nom. Deux, il faut savoir que je tire quelques bords en Bretagne. Ensuite, il faut aller jusqu’à imaginer que je vais bien être contacté si quelqu’un retrouve la carte.

— Et tu en déduis ?

— Que j’ai affaire à quelqu’un d’intelligent !

— Tu parles du mort ?

— Il n’y est pour rien, le pauvre.

— Ah bon ?

— Il serait juste venu de bon matin, son polar sous le bras, pour clamser face à la mer, en laissant le bouquin fatigué à mon intention ? Je n’y crois pas une seconde !

— Intention ou attention ?

— Attention aussi, parce que ce ne peut pas être une coïncidence.

— Quelqu’un a voulu que tu prennes à nouveau l’air de Bretagne ?

— Probable. Ça m’arrange.

— D’autres aussi peut-être…

— Tu sais bien qu’il y a une explication à tout. À part peut-être au sexe des anges !

— Dis plutôt que tu n’avais pas bien envie de te coltiner la mise en place des nouvelles mesures de surveillance. Une sorte de Patriot Act6 à la française concocté par nos édiles !

— Tout juste ! Je n’aime pas bien la paperasse, tu le sais bien !

— Ton Léo, il est mort comment ?

— Ben, on n’en sait fichtrement rien à l’heure d’aujourd’hui. Il faudra quelques jours pour en savoir davantage. On a juste un résultat d’alcoolémie.

— Alors ?

— Tolérance zéro !

— Bizarre. Je le voyais bourré, moi ! Peut-être accident, suicide ou crime. Ou mort naturelle…

— Il est bien passé par-dessus la clôture sans encombre. Il n’a pas déchiré ses vêtements et il ne porte aucune blessure apparente. Il n’a pas subi de sévices. Il n’y a pas de traces de lutte. La pelouse est nickel. Il s’est juste allongé ou écroulé. Il n’a pas vomi. Pas de réactions sphinctériennes inhabituelles.

— Il dit quoi, le légiste ?

— Il reste perplexe. Ce qu’il arrive à dire c’est juste détresse majeure dans le triangle CCP, sigle de médicastre !

— C’est quoi, ça ?

— L’ignorance crée la dépendance, voire même la soumission !

— Arrête donc de brasser, Lando ! C’est fatigant à la fin ! Explique à un pauvre flic ce qu’il en est !

— CCP égale cerveau-cœur-poumons ! Tu classes dans l’ordre que tu veux, le résultat est le même. Genre œdème foudroyant ou anévrisme. Décompensation puis arrêt cardiaque. C’est le schéma classique.

— Alors mort naturelle.

— Mais on n’a pas constaté l’un de ces trucs. Comme s’il s’était endormi.

— De battre, son cœur s’est arrêté !

— Très drôle !

— Et côté analyses sanguines ?

— Les premiers examens n’ont rien donné. Niveau sérologie, on cherche. De même, côté tissus adipeux et organes filtreurs. Des fois qu’il y aurait des substances planquées quelque part dans le gras, les membranes. Le gars avait des problèmes de santé mais pas plus que d’autres. Comme beaucoup de gens, il prenait régulièrement des cachets. Tension, cholestérol. Il utilisait aussi des décoctions de plantes. Du genre médecines douces. Tu ouvres une revue, tu tombes sur le remède miracle !

— De quoi l’empoisonner ?

— Non, je ne crois pas.

— Des témoins ?

— Un couple de retraités arrivé sur zone, une demi-heure après le décès en gros. Ils n’ont vu qu’un corps allongé dans l’herbe.

— C’est maigre !

— Comme tu dis !

— Il en avait assez de la vie. Il est venu regarder la mer une dernière fois et il s’est suicidé…

— Mais avec quoi puisqu’il n’y a rien !

— Il a décidé de ne plus respirer. Y’avait un truc comme ça dans Astérix !

— Et il me lègue un bouquin qui ne vaut pas un euro ? Un exemplaire défraîchi, genre puces de Saint-Ouen, alors que la carte de visite est neuve. Là, je ne pige pas, tu vois.

— C’est lui qui a écrit ton nom sur le bristol ?

— On n’en sait rien justement. C’est de l’encre noire, genre écriture chinoise.

— Au pinceau ?

— Non, au normographe.

— C’est quoi ça encore ?

— C’est une sorte de gabarit avec des évidements. Le crayon, le stylet, n’importe, est guidé par l’épaisseur de la plaque et tu traces des lettres ou des formes parfaites.

— C’est pas mieux d’y aller franco avec le bon Bic des familles ?

— Sauf qu’ici, l’expert en graphologie peut aller se faire voir ! Le résultat est le même pour tous les calligraphes !

— Donc tu ne peux pas savoir si c’est Léo qui a écrit ton nom ou quelqu’un d’autre…

— Eh !

— Il te fait peut-être un signe !

— Lui ou quelqu’un d’autre ! Désolé de me répéter !

— Mais dans quel but ?

— M’attirer sur les lieux !

— Pour te convier aux obsèques ?

— Ou pour jouer avec moi !

— Tu es allé chez lui ?

— Tu penses bien que j’ai voulu voir son intérieur. Une maison cossue mais sans en jeter à la figure, située dans une impasse discrète. Pas de vis-à-vis. Intérieur superbement meublé et rangé au cordeau. Quelques tableaux. Des souvenirs. Des lits faits au carré.

— Pas d’âme, quoi !

— C’est ce que je me suis dit. Un peu comme s’il n’habitait plus là.

— Tu as ouvert le frigo ?

— Tu penses ! Il y avait les articles habituels, lait, beurre, fromage. Du jambon en sachet plastique. De l’eau pétillante. Mais rien d’entamé et pas de restes.

— Et côté poubelle ?

— Vide.

— Des trucs chinois ?

— Sur le mur du salon, une sorte d’estampe japonaise avec des personnages autour d’une charrette chargée de tiges de bambous. Je n’ai pas trouvé de nécessaire à peinture ni d’encre de Chine. Ni de normographe. Des cartes de visite toutes pré-imprimées à son nom.

— Si c’est lui qui a tracé ton blaze sur le papier, il s’est arrangé pour qu’on ne soit pas en mesure de le prouver. Normal !

— Pourquoi se cacher quand on va mourir ?

— Pour protéger quelqu’un.

— Si le rédacteur est quelqu’un d’autre, cet autre a voulu rester anonyme.

— Tu vois que tu t’intéresses !

— Il était marié ?

— Avait été, paraît-il ! Mais pas longtemps.

— Des enfants ?