Le raisin coule à Lesneven - Michel Courat - E-Book

Le raisin coule à Lesneven E-Book

Michel Courat

0,0

Beschreibung

Plusieurs morts et une énigme pour un polar breton décapant !

De Ploudamézeau à Plouguerneau, de Lesneven à Landéda, les morts se succèdent. Trois personnes mortes étranglées, en trois jours.
En plein mois de juillet, cela fait désordre, et la panique s’installe. Les gendarmes pataugent, c’est donc à Laure Saint-Donge, dite LSD, en week-end sur la Côte des Légendes, que revient la lourde charge de résoudre l’énigme.

Une affaire éprouvante pour Laure qui va voir resurgir les fantômes de son passé... Plongez-vous sans tarder dans le 9e tome captivant des enquêtes de Laure Saint-Donge !

EXTRAIT

Monsieur Delmas, avec peine, fait taire sa chienne et s’approche de la masse recroquevillée sur elle-même, tel un foetus dans le ventre de sa mère.
Sa première réaction c’est de penser que l’homme gisant sur le sol est simplement sérieusement “coinché”, comme on dit en Bretagne. Autrement dit qu’il peut faire exploser un éthylomètre à quinze pas. Une impression partagée par sa femme. Ils ont beau s’adresser d’une voix forte à l’ivrogne en phase de récupération – pensent-ils – rien n’y fait. Alors, courageusement, mais d’un geste hésitant quand même, Julien se penche sur le poivrot inerte et essaye de sentir son pouls en tâtant la carotide, comme dans tout bon feuilleton policier qui se respecte. Les deux côtés du cou y passent avant qu’il se relève, le visage aussi blanc qu’un clown du même nom ayant passé ses vacances dans le métro. Il se tourne vers sa femme et murmure à son intention :
— Merde, je crois bien qu’il est mort !
Une nouvelle qui remplit de joie Angela, ravie qu’on ait prêté attention à sa découverte et donc rendu hommage à son flair. Du coup, elle lance deux jappements pour marquer son contentement.
Le faux poivrot, mais le vrai mort, ne s’en offusque pas.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Si, pour des raisons professionnelles, Michel Courat vit actuellement en Belgique, après 9 ans passés en Angleterre, ce vétérinaire a laissé son cœur dans le Trégor. Amoureux de Locquirec depuis toujours, il y a exercé pendant des années avant de partir s'occuper de protection animale à l'étranger. Mais il revient dans "sa" Bretagne aussi souvent que possible, et c'est là qu'il a écrit Ça meurt sec à Locquirec, son premier roman policier.
Auparavant, il a déjà publié trois ouvrages humoristiques : Gare aux Morilles (1998), La Brise de la Pastille (2000), et Mots pour rire (2001).

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 333

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À Roland Mahieu et ses enfants.

« Exige beaucoup de toi-même et attends peudes autres. Ainsi beaucoup d’ennuis teseront épargnés. »Confucius

« Je vais lui montrer qui c’est Raoul. Aux quatrecoins de Paris qu’on va le retrouver, éparpillé parpetits bouts, façon puzzle. Moi, quand on m’en faittrop, j’correctionne plus : j’dynamite, j’disperse,j’ventile ! »Michel Audiard - Réplique de Bernard Blier,Les Tontons Flingueurs.

REMERCIEMENTS

- L’Hôtel Castel Ac’h à Plouguerneau,

- La Crêperie de la route du Phare à Plouguerneau,

- Le Café du Port à Landéda,

- La Crêperie panoramique du Château d’eau à Ploudalmézeau,

- La Brasserie des Abers à Ploudalmézeau,

- Le Coq en Pâte à Lesneven,

- Le Café Breton à Lesneven,

- Loisirs Nautiques à Morlaix,

- Restaurant Les Tisons à Lesneven.

I

9 juillet.

So far so good. Jusqu’ici tout va bien. C’est en tout cas ce que se disent Julien et Gisèle Delmas en ce début d’été breton. Après un excellent repas pris à la Crêperie panoramique du Château d’eau de Ploudalmézeau, et y avoir admiré la vue exceptionnelle sur les centaines d’îles et îlots qui parsèment la mer d’Iroise et l’entrée de la Manche, les voilà de retour à leur camp de base, à Plouguerneau, à une “vingt-cinquaine” de kilomètres de là. C’est au Camping de La Grève Blanche qu’ils ont pris leurs quartiers d’été, pour la dixième année consécutive. Une soirée douce et peu ventée, le soleil encore haut dans le ciel, pour le couple de vacanciers, c’est l’occasion idéale de se faire une promenade digestive, histoire de profiter encore plus du panorama incomparable de cette région de Bretagne, qui a su éviter le piège du béton et garder son authenticité. Après avoir longé la longue plage de sable immaculé qui donne son nom au camping, ils marchent doucement, bras dessus bras dessous, appréciant à sa juste valeur, le plaisir d’être seuls, sans enfants, pour une balade en amoureux. Ils ont laissé leur progéniture, de grands ados, s’amuser avec des copains, arrivés le jour même de Strasbourg et qui vont sans doute bien faire la fête pour célébrer leurs retrouvailles. Eux sont arrivés au camping depuis trois jours et, habitués des lieux, savourent sans retenue l’exceptionnelle quiétude et le côté familial de cette station balnéaire. Un endroit idéal pour profiter des plaisirs de la mer et respirer un bon air iodé, garanti pur Breizh. Une station balnéaire qui, pour le plus grand plaisir de certains, ne jouit pas de la même notoriété que ses concurrentes plus huppées de la Bretagne-Nord, de Carantec à Perros-Guirec en passant par Saint-Malo ou Paimpol. Et pourtant. Et pourtant… que de richesses à découvrir dans ce paysage invraisemblable, ce tourbillon d’îles, ces abers uniques au monde et riches de tant de secrets et de légendes. Depuis dix ans, ils s’efforcent de découvrir quelques-uns des mystères que recèle ce pays entre terre et mer. Et chaque fois, ils doivent s’avouer vaincus et réaliser que toute une vie ne suffirait pas à percer les secrets ancestraux de cette région à nulle autre pareille. Leur promenade vespérale vient clôturer une journée de vacances bien remplie, et pas seulement par les crêpes : grasse matinée, farniente, baignade, barbecue, plage, baignade, promenade sur les rives de l’Aber Benoît, Château d’eau et maintenant sentier des douaniers, après avoir passé la presqu’île de Beg ar Spins. Main dans la main, parlant à peine, ils avancent d’un pas nonchalant vers la pointe de Roc’h Pelguent, balayant des yeux le paysage de landes herbues et de mer qui les entoure. Arrivés au bout du chemin, ils obliqueront à l’ouest pour revenir vers l’île Venan et admirer au passage la vue fantastique sur le phare de la Vierge (ou de l’Île Vierge, vous choisissez) et ses 84 mètres de hauteur. Le phare, pas la Vierge ! Se fichant du tiers comme du quart du paysage, devant eux, trottine, en liberté surveillée, leur bergère allemande, malicieusement prénommée Angela. Tantôt elle précède ses maîtres d’une dizaine de mètres, tantôt elle les attend pour gambader à côté d’eux. En attendant de repartir en exploration. Pour elle, la vue alentour importe peu, ce qui compte avant tout c’est renifler ces bonnes odeurs, ces effluves laissés au ras du sol par ses congénères ou par d’autres représentants de la faune sauvage. Même sans être considérée comme un chien de chasse, elle se régale à suivre ces pistes de lapins de garenne et autres habitants à quatre pattes de cet endroit paradisiaque. Angela, en bon pâtre allemand, obéit toujours au moindre commandement de ses maîtres. Aussi ne comprennent-ils pas pourquoi, d’un seul coup, elle part en trombe, passe entre deux touffes de hautes herbes et disparaît de leur champ visuel. Un comportement totalement inédit, qui déroute quelque peu le couple de promeneurs.

— Mais qu’est-ce qui lui prend ? Elle ne nous fait jamais ça ! s’étonne Gisèle.

— Elle a dû sentir une odeur de gibier ou d’un autre animal plus en moins en décomposition. Allez ! C’est les vacances pour elle aussi, on peut bien la laisser quelques instants s’amuser !

Surprise, sa femme répond d’une voix non dénuée de perfidie :

— Et c’est toi qui me dis ça ! Toi qui dis toujours qu’un chien, c’est fait pour obéir, point barre. Et qui dit aussi qu’on ne doit jamais la perdre de vue, car si jamais elle se trouve face à des enfants et qu’ils paniquent, même si elle est très gentille, on ne sait jamais ce qui peut arriver !

— T’as raison, je la rappelle.

Il n’a même pas le temps de le faire. Avant même qu’il ouvre la bouche, Angela a ouvert la sienne et s’est mise à aboyer fort, très fort. Mais pas un aboiement ordinaire, plutôt celui d’un animal excité par une découverte et qui alerte ses maîtres pour qu’ils viennent partager au plus vite son enthousiasme. Malgré le jour qui commence à s’estomper, les deux époux Delmas n’ont pas trop de peine à slalomer au milieu des herbes hautes et de la flore locale particulièrement riche. Je ne vous dirai pas qu’ils ont le temps d’admirer les cristes marines, les inules perce-pierre, les spergulaires marines ou autres fétuques des moutons, car ils se pressent pour retrouver leur chienne. Campée sur ses pattes antérieures, elle aboie pour tenir en respect une forme sombre étendue au milieu des buissons, une forme sombre qui semble dormir, et pour cause. Monsieur Delmas, avec peine, fait taire sa chienne et s’approche de la masse recroquevillée sur elle-même, tel un fœtus dans le ventre de sa mère.

Sa première réaction c’est de penser que l’homme gisant sur le sol est simplement sérieusement “coinché”, comme on dit en Bretagne. Autrement dit qu’il peut faire exploser un éthylomètre à quinze pas. Une impression partagée par sa femme. Ils ont beau s’adresser d’une voix forte à l’ivrogne en phase de récupération – pensent-ils – rien n’y fait. Alors, courageusement, mais d’un geste hésitant quand même, Julien se penche sur le poivrot inerte et essaye de sentir son pouls en tâtant la carotide, comme dans tout bon feuilleton policier qui se respecte. Les deux côtés du cou y passent avant qu’il se relève, le visage aussi blanc qu’un clown du même nom ayant passé ses vacances dans le métro. Il se tourne vers sa femme et murmure à son intention :

— Merde, je crois bien qu’il est mort !

Une nouvelle qui remplit de joie Angela, ravie qu’on ait prêté attention à sa découverte et donc rendu hommage à son flair. Du coup, elle lance deux jappements pour marquer son contentement. Le faux poivrot, mais le vrai mort, ne s’en offusque pas.

*

Tandis que la famille Delmas se remet de ses émotions en buvant un café dans la minuscule salle d’attente de la brigade territoriale autonome de Lesneven, chargée de l’enquête, on s’active sur la scène du crime. Les TIC, Techniciens en Identification Criminelle, s’affairent à la lueur des torches, cherchant le moindre indice au milieu de la flore, si drue à cet endroit-là de la pointe du Roc’h Pelguent. À part quelques rares papiers gras et autres emballages laissés par des imbéciles de passage, ils ne trouvent rien à se mettre sous la dent. Seule certitude, ou presque, le corps n’a pas été traîné jusqu’à l’endroit de sa découverte. Quant aux causes du décès, peu évidentes de prime abord, c’est au médecin légiste que revient la tâche de les détailler à Adeline Pontcroix, l’adjudante-chef responsable de la brigade.

Il est presque minuit et les nouvelles qu’il lui annonce s’avèrent étonnantes. Pour le docteur Legras, si les causes de la mort sont criminelles, sans le moindre doute possible, le mode opératoire, lui, reste empreint de mystère.

— J’ai d’abord cru qu’il pouvait s’agir d’une crise cardiaque, car il n’y a aucune trace de blessure sur le corps. Mais en regardant plus attentivement, j’ai remarqué quelque chose de surprenant. L’homme portait un blouson dont le col était relevé. Mais il n’avait pas refermé la fermeture Éclair, et donc la partie antérieure de son cou restait exposée. Et là, juste à la hauteur de la pomme d’Adam, on remarque nettement une zone de peau bleutée et écrasée sur environ deux centimètres de longueur et cinq millimètres de largeur. Cette zone est marquée aussi par des traces de griffures, sans doute faites par la victime elle-même, car j’ai retrouvé sous ses ongles des petits lambeaux de peau et de sang qui lui appartiennent vraisemblablement.

— Et vous en concluez ? Ce n’est quand même pas un suicide !

Un petit rire salue cette supposition, avant que le médecin enchaîne :

— Non, ça c’est une absolue certitude ! L’homme ne s’est pas suicidé, on l’a étranglé, mais certainement pas avec les mains. Il y a une nette trace de striction cutanée tout autour du cou, sur la partie couverte par le blouson, elle aussi d’environ cinq millimètres de large, qui laisse à penser que l’étrangleur, ou l’étrangleuse, ajoute-t-il avec un petit sourire en coin à l’attention de l’adjudante-chef, était doué d’une force exceptionnelle. Je ne peux malheureusement pas me prononcer davantage, car il faut attendre l’autopsie. Le corps a été transféré à l’IML de Brest, on devrait avoir les résultats demain en fin d’après-midi.

— Et vous pensez que la mort remonte à quand ?

— Le corps était encore chaud, donc je dirai, compte tenu de la température extérieure et de la rigidité cadavérique, qu’il était mort depuis moins d’une heure quand on l’a découvert.

— Bon, merci Docteur, vous me tenez au courant si vous découvrez d’autres détails…

— Bien sûr, vous aurez mon rapport sur votre bureau en tout début de matinée.

Tandis que le médecin prend congé, l’adjudante-chef interroge son second, le maréchal des logischef Tréduder.

— Alors, tant que notre nouvel adjudant n’est pas arrivé, vous voilà promu mon second…

— Et j’en suis très fier, mon adjudante-chef !

— Allez, je suis sûre que nous allons faire du bon travail ensemble. La victime alors, vous avez pu l’identifier ?

— Absolument ! Erwan Lochrist, 29 ans, ostréiculteur à Landéda. Inconnu des services de gendarmerie ou de police. Il était marié depuis environ trois ans et avait une petite gamine de 20 mois.

— C’est moche ! Mourir si jeune quand on vient juste de fonder une famille… Vous avez pu interroger la veuve ?

— Non, mon adjudante-chef ! Elle est bien trop choquée. Son médecin lui a donné des sédatifs, je ne pense pas qu’on puisse l’interroger avant demain fin de matinée.

— Bon, mais d’ici là, vous me mettez deux hommes sur l’enquête de voisinage, je veux tout savoir sur ses amis, ses ennemis, ses autres activités s’il en avait etc. etc. Il faut élucider cette affaire au plus vite, on ne peut pas se permettre d’avoir un tueur en liberté entre Lesneven, Plouguerneau et les Abers en début de saison. Sinon, je vais avoir le maire et le conseil municipal sur le dos, toute la journée !

— Un peu comme le shérif du village dans Les Dents de la mer.

Un léger sourire éclaire le visage harmonieux de la chef de brigade, jolie trentenaire aux cheveux bruns et courts, aux yeux gris bleu, à la silhouette élancée et aux pommettes légèrement rebondies. Sans doute un souvenir de ses origines normandes.

— On n’est pas en Amérique, Tréduder, mais en plein cœur d’un des plus jolis coins de Bretagne, mais ceci dit, vous n’avez pas tout à fait tort… En tout cas, je veux tout savoir sur cet Erwan Lochrist, le plus tôt possible !

*

— Eh bien dites donc, Monsieur le pharmacien, je vous ai trouvé très en forme pour un samedi matin ! Vous avez vidé votre stock de pilules bleues ? plaisante LSD en reprenant sa respiration.

Encore allongé, nu, sur le lit dévasté par leurs ébats, Hugues se tourne vers Laure, lui caresse tendrement les seins avant de répondre très sérieusement :

— Chère mademoiselle Laure, c’est vous mon Viagra, mon aphrodisiaque préféré. Avec tes petites fesses bien musclées, tes hanches dessinées au crayon de “douceur”, tes petits, pas si petits que ça d’ailleurs, tétons dessinés pour la paume de mes mains, et… et ta petite frimousse souriante, il me suffit de t’imaginer pour avoir envie de te faire l’amour.

Flattée par autant de compliments venant d’un homme dont elle partage la vie, entre deux reportages, depuis plusieurs années, elle ne peut néanmoins s’empêcher de lancer avec une pointe de tendresse enrobée de colère :

— Tu n’as pas l’impression d’oublier quelque chose, mon amour ?

Elle tourne la tête, de façon à lui montrer son horrible cicatrice sur la joue droite, souvenir douloureux d’une balle perdue dans un désert afghan. Du temps où elle était journaliste de guerre. Le ton est beaucoup moins doucereux maintenant quand elle lui demande :

— Et cette belle balafre, Hugues, elle te fait bander ?

Une phrase provocante qu’elle accompagne d’un geste de sa main droite destiné à confirmer ou infirmer l’état “opérationnel” de la virilité de son compagnon.

— T’es bête, ma Chérinette. Cette marque c’est une partie de toi, et j’aime tout en toi depuis le premier jour. Cette cicatrice, je ne la vois pas, tu le sais bien, je ne vois que la douceur de ton visage, de ton regard…

— Moi je la vois, Hugues, je la vois, l’interrompt-elle. Et j’ai décidé de suivre les conseils de Charlène, la copine de ton fils. Elle m’a confirmé, la dernière fois que je l’ai vue avec Adrien, que dans l’hôpital où elle travaille, il y a un nouveau chirurgien plasticien venu du Canada. Elle lui a montré des photos de mon visage, et il lui a certifié qu’il peut faire disparaître la cicatrice à 80 et peut-être à 100 %.

— Tu veux te faire opérer ?

— Oui ! dit-elle d’un ton aussi ferme qu’un camembert sorti d’un congélateur.

— Mais où sera ma LSD ? Tu ne seras plus pareille !

— Tu me fais rire ! Ce n’est pas toi qui vis avec cette marque d’infamie tous les jours ! Ce n’est pas toi qui te regardes dans ton miroir en te disant « Je ne suis pas trop mal pour mon âge » en regardant ton profil gauche, et qui fais une moue d’horreur quand tu regardes ton profil droit ! De toute façon, ma décision est prise et j’ai déjà convenu d’un rendez-vous avec le docteur, ou plutôt le professeur, Léveillé.

Abasourdi par l’annonce de Laure, le pharmacien ne sait pas comment réagir. Évidemment, il comprend sa réaction et ne peut que se réjouir de récupérer, peut-être, une Laure dans la plénitude de sa beauté. Mais en même temps, il éprouve quelque inquiétude à l’idée que ce bouleversement esthétique puisse avoir des conséquences sur leur vie de couple. Laure, si séduisante, attire déjà beaucoup les regards des hommes, mais la plupart sont plutôt… rebutés par son visage digne de celui de Robert Hossein dans Angélique. Qu’en sera-t-il après ? La bataille avec les autres mâles avides de séduction promet d’être rude. Mais peut-il s’opposer à la décision de sa compagne ?

— De toute façon, c’est toi qui décides, mon amour. Comme tu le dis si bien, c’est ton visage, pas le mien. Et quand est ton rendez-vous ? Et où ?

— Le professeur exerce à l’hôpital de Rennes, mais il a aussi une consultation le samedi à Brest, à l’Hôpital de la Cavale Blanche. Il a accepté de me recevoir la semaine prochaine, entre deux rendez-vous, en fin de matinée.

— Mais attends, samedi en huit c’est le début du week-end du 14 juillet. Je peux me faire remplacer le samedi, et l’officine est fermée le dimanche 13 et le lundi 14. On pourrait fêter ça en se faisant un petit week-end en amoureux ! On pourrait se trouver un petit hôtel du côté de Plouguerneau ou Ploudalmézeau, au bord de la mer, il doit bien y en avoir qui ont encore des chambres de libres… On arrive le samedi soir, et ça nous fait deux jours de dépaysement, sans rien d’autre à penser qu’à nous.

— C’est une très bonne idée, mon “nounet” ! Surtout que je ne connais absolument pas cette zone autour de Lesneven et des Abers. On aura tout le week-end pour explorer.

— Pas de problèmes, mon amour de balafrée, je m’occupe de tout. J’ai un client qui a séjourné à l’hôtel Castel Ac’h à Plouguerneau et qui m’en a dit le plus grand bien. T’inquiète, je vais nous arranger un week-end aux petits oignons dont tu te souviendras !

— En tout cas, dépêche-toi de m’appeler ta balafrée, bientôt, tu ne pourras plus m’appeler comme cela, répond-elle avec un sourire épanoui, mais, évidemment, asymétrique.

*

2e jour. Gendarmerie de Lesneven, Bureau de la chef de brigade.

— Alors Yann, cette enquête de proximité, qu’est-ce que ça donne ?

Assis de l’autre côté du bureau, le maréchal des logis-chef Tréduder, ravi d’être appelé par son prénom, ouvre la chemise cartonnée où il a classé toutes les informations sur le dénommé Lochrist Erwan.

— La victime avait 29 ans…

— Bon ça, je sais déjà, marié depuis trois ans, une petite fille de 20 mois. Venez-en aux faits mon petit Tréduder, dites-moi ce que je ne sais pas encore !

— Bien sûr, mon adjudante-chef ! J’y viens. Donc il était ostréiculteur, installé à Landéda depuis un peu plus de trois ans, mais en fait, il a repris la concession de son père quand celui-ci est parti en retraite.

— Vous m’avez dit qu’il n’avait pas de casier, mais avez-vous pu discuter avec ses employés et les autres ostréiculteurs ?

— J’ai eu le témoignage de ses trois employés. Ils me l’ont tous décrit comme un patron un peu renfermé, un peu dur, mais juste. Il gueulait facilement mais apparemment jamais sans raison. Par contre, ses ouvriers sont très inquiets pour leur boulot. Ils espèrent que sa femme pourra reprendre l’entreprise…

— Et avec ses concurrents ? Il s’entendait bien ?

— C’est un milieu rude ! Et l’huître n’est pas au mieux depuis plusieurs années avec les problèmes de surmortalité. Alors la concurrence est âpre, même si tous défendent leur terroir et le renom international de leur production. Les Abers représentent une zone de production très réputée sur le marché. Ceci dit, s’il semble qu’il n’y ait pas eu de problème majeur, on m’a quand même signalé une violente dispute entre Lochrist et Stéphane Hengoat, celui qui a la concession voisine. Lochrist l’a accusé d’avoir tenté de lui voler des huîtres dans ses bassins de “trompage”, les bassins utilisés en fin d’élevage pour augmenter la résistance de l’huître en renforçant le muscle qui relie ses deux valves, en incitant l’huître à rester fermée quand la mer se retire.

— Quel genre de dispute ?

— D’après ce qu’on m’a raconté, ça a commencé par des sous-entendus dans les bars du front de mer. Après, ça a été des échanges de noms d’oiseaux. Puis un beau soir, Lochrist a attendu Hengoat devant son hangar et a voulu lui casser la figure. Heureusement, on a pu les séparer tout de suite ; les autorités de surveillance et les Affaires Maritimes sont intervenues le lendemain. Il y a sans doute eu un arrangement de trouvé entre les différentes parties, car après, même si les relations étaient glaciales entre les deux hommes, il n’y a plus jamais eu, d’après ce qu’on m’a dit, d’histoires entre eux.

— Et c’était quand tout ça ?

— Il y a dix-huit mois environ, ils commençaient à préparer Noël, leur période la plus chargée.

— Bon, vous me convoquez ce Stéphane Hengoat, je veux tout savoir sur cette dispute et s’il avait encore des raisons d’en vouloir à Lochrist. Vous me convoquez aussi les employés. Je veux être sûre à 100 % qu’aucun d’entre eux n’avait de raison d’en vouloir à son patron. Et à part les huîtres, il avait bien une vie sociale cet homme ?

— Pour l’instant, je n’ai que des éléments de réponse. J’en saurai plus quand j’aurai interrogé Catherine, sa veuve. J’ai quand même pu interroger quelques voisins et la patronne du café où il semblait avoir ses habitudes : le Café du Port, chez Marielle. Et là tout le monde m’a confirmé qu’il était un peu renfermé, qu’il ne parlait pas beaucoup. Il arrivait, buvait un ou deux coups de muscadet cul sec, ou un demi de bière s’il faisait chaud, et il repartait. C’est à peine s’il adressait la parole aux autres clients ou aux patrons.

— Si je comprends bien, il ne sortait pas de sa coquille, un comble pour un producteur d’huîtres, enchaîne l’adjudante-chef, visiblement contente de son trait d’humour.

— On peut le dire comme cela, répond avec un grand sourire son adjoint.

— Bon ! Redevenons sérieux, avez-vous appris quelque chose d’autre ?

— D’après la patronne du Café du Port, il n’avait pas toujours été comme ça. C’était plutôt un jeune homme enjoué, rigolant facilement et pas le dernier à faire la bringue.

— Et qu’est-ce qu’il s’est passé pour qu’il change comme cela ?

— Personne n’a pu vraiment me répondre. Il semblerait que cela coïncide avec la rencontre avec sa femme, il y a trois ans, alors qu’il venait juste de reprendre l’exploitation de son père. Le poids de ses nouvelles responsabilités, l’enterrement de sa vie de garçon… c’est sans doute ça… Comme en plus, sa femme est tombée rapidement enceinte…

— On ne peut rien négliger, Yann, ce changement d’habitude peut avoir un rapport avec le meurtre. Vous me creusez ça aussi. Prenez Andel avec vous, et surtout, essayez d’en savoir plus sur d’éventuels ennemis que ce monsieur Lochrist aurait pu avoir.

*

Hôpital de la Cavale Blanche, Brest, 12 juillet, 9 heures.

Assis dans la salle d’attente des consultations, Hugues Demaître se rongerait les ongles s’il ne les avait pas coupés à ras, la veille. Bientôt vingt-cinq minutes que Laure est dans le cabinet du Professeur Léveillé. Jusqu’à présent, la décision de sa compagne, si elle paraissait longuement mûrie, restait encore dans le domaine de l’irréel, encore potentiellement réversible. Mais là, dans cette salle d’attente, il n’en est plus de même, et ce sentiment mitigé qu’il avait éprouvé à l’annonce de l’intention de “sa” LSD, revient de plus belle. Joie et crainte à la fois. Encore dix minutes de plus, et la porte du couloir menant au cabinet du chirurgien s’ouvre. Une Laure Saint-Donge radieuse passe le seuil, suivie de près par le praticien. Fin de quarantaine, cheveux drus mais déjà blancs, une silhouette longiligne que domine un visage hâlé ; le regard franc, cet homme a tout pour inspirer la confiance. Souriant, il s’approche d’Hugues et lui serre la main. Avant de lancer :

— Mademoiselle Saint-Donge m’a beaucoup parlé de vous et de l’importance du soutien psychologique que vous lui avez apporté en “occultant” sa cicatrice. Cela l’a beaucoup aidée dans sa démarche actuelle. Prendre une telle décision n’est pas facile et sans vous, elle ne l’aurait sans doute jamais prise.

Après avoir tendrement pris les mains de Laure dans les siennes, le pharmacien savoure à sa juste valeur les compliments du praticien. Un regard langoureux à sa chérinette qui semble tutoyer les anges, et il demande :

— Mais Professeur, vous pensez réellement réparer complètement la… balafre, elle est si profonde ! Et les chirurgiens que Laure avait vus jusque-là avaient parlé de risques de paralysie faciale, de destruction des glandes salivaires, de danger pour la mâchoire…

— Vous avez raison, monsieur Demaître, mais la chirurgie faciale a fait d’énormes progrès depuis quelques années, et notamment grâce aux Français. Vous vous rappelez de cette femme qui a reçu une “greffe de visage” après avoir été défigurée par un chien. Nous avons beaucoup fait de progrès, et dans mon hôpital au Québec, nous avons commencé à intervenir sur des cas jusque-là inopérables et avec un taux de succès excellent, supérieur à 80 %.

Une pointe d’inquiétude dans la voix, le pharmacien s’enquiert :

— Et pour les 20 % qui restent ?

— L’aspect esthétique est amélioré, mais on n’a pas obtenu de guérison complète, en tout cas pour l’instant. Pour votre compagne, c’est différent, j’ai déjà opéré une demi-douzaine de cas similaires avec un taux de récupération esthétique et fonctionnelle presque parfait.

— Et vous avez fixé une date pour l’opération ?

Laure reprend alors la parole :

— En fait, il y a plusieurs opérations à une quinzaine de jours d’intervalle.

Le professeur Léveillé enchaîne :

— Je ne veux pas rentrer dans des détails trop techniques, mais on ne peut réparer une plaie si profonde en une seule intervention. Il y a des étapes intermédiaires, pour “préparer le terrain”. L’opération se fera en trois fois, et comme je reprends mes cours au Canada le 20 octobre, nous avons prévu la première intervention la semaine après le 15 août, la deuxième mi-septembre et la dernière début octobre. Après, on laissera passer quelques mois et, suivant l’aspect final de la cicatrice, s’il y a encore des inégalités, des boursouflures, alors on aura recours aux techniques de chirurgie réparatrice fine pour rendre quasiment invisible cette fichue balafre.

Les yeux éclairés de bonheur, Laure ne peut s’empêcher de plaquer une paire de Breizhous sur les joues du chirurgien. Un geste que, visiblement, il apprécie, avant de prendre congé de ses visiteurs. Mais si elle semble au septième ciel, son pharmacien, lui, est resté bloqué dans l’ascenseur.

*

Deux jours et trois nuits maintenant que la brigade de Lesneven est en effervescence. Le maire et le procureur ont beau prendre des nouvelles auprès de l’adjudante-chef matin et soir, voire trois fois par jour, peu d’éléments nouveaux sont venus éclairer l’enquête. C’est donc avec une humeur “proche de l’Ohio” qu’elle accueille ses visiteurs, en visite dans le secteur. Le lieutenant Marc Guillerm et Léa Mattéi, technicienne en investigation criminelle de la brigade de recherche de Brest1, la connaissent bien pour l’avoir rencontrée au gré de ses affectations précédentes. Devant l’air maussade d’Adeline Pontcroix, Marc prend le premier la parole :

— Je ne sais pas où tu en es dans ton enquête, mais, vu ta tête, ça n’a pas l’air d’être la joie… Tu sais, tu peux tout me dire, nous sommes venus à titre tout à fait amical.

Un court moment d’hésitation, un regard investigateur aux deux arrivants, et l’adjudante-chef se lance :

— Avant de vous parler de mon enquête, je voudrais juste vous dire que vous formez un beau couple tous les deux. Je sais par où vous êtes passés et je ne peux que vous souhaiter enfin tout le bonheur que vous méritez.

— C’est gentil de nous dire ça, répond avec un grand sourire Léa, avant de lancer une œillade sans équivoque à son nouveau compagnon.

— Et toi alors ? demande Marc.

— Eh bien moi, je me serais bien passée d’une enquête sur un tel meurtre en pleine saison touristique… Je peux vous le dire…

— J’imagine, reprend Marc. Tu peux nous résumer ? On n’a pas tout suivi, on était nous-même sur une sale histoire.

— Voilà : il y a trois jours, on a retrouvé étranglé sur le sentier des douaniers devant le phare de l’Île Vierge, un ostréiculteur apparemment sans histoire. Enfin des petits conflits professionnels, mais a priori, rien qui ne puisse justifier un assassinat. Là où cela se gâte, c’est avec le rapport d’autopsie. Il y a bien eu étranglement, mais les lésions autour du cou sont tellement régulières et tellement peu larges, cinq millimètres de diamètre, qu’aucun être humain n’aurait pu faire cela à moins d’être doué d’une force herculéenne tout en ayant des doigts de la taille de ceux d’un nourrisson… Invraisemblable ! D’après l’autopsie, l’hypothèse la plus vraisemblable est celle d’un fil métallique raccordé à deux poignées, je sais que ce type d’instrument est encore utilisé par des vétérinaires, notamment lors d’amputation, pour couper les os. Une scie-fil je crois qu’ils appellent ça. On l’utilise pour l’élagage des arbres, quand on ne veut pas utiliser d’engin mécanique.

— Eh bien voilà, tu as l’arme du crime, non ?

— C’est possible, mais je n’y crois pas. La victime mesurait un mètre quatre-vingt-huit, et l’homme était costaud, il faisait même un peu de musculation. À moins d’un colosse, je ne vois pas quelqu’un arriver par-derrière, lui passer la boucle autour du cou et serrer le câble si vite qu’il ait eu à peine le temps de se débattre. En essayant de dégager sa gorge, en même temps, il aurait certainement secoué son agresseur, donné des coups de pied et des coups de coude. On aurait retrouvé des traces de végétation écrasée, et là tout était nickel, pas un bout d’herbe ou de bruyère d’écrasé, sauf évidemment à l’endroit où il est tombé mort.

— Effectivement, c’est loin d’être évident… Tu veux qu’on intervienne ?

— Non, t’es gentil, Marc, je vais trouver, tu sais, j’ai une bonne équipe pour me seconder. Merci d’être passé en tout cas ! Et bonne chance à tous les deux !

*

Toute fière au volant de sa Mini Cooper cabriolet 1,6 l, toit et portes jaunes, avec des coffres noirs, Laure se laisse guider par son compagnon, au sortir de Brest. Métropole Océane, ne l’oublions pas.

— Alors qu’en penses-tu ? lance-t-elle à son compagnon, tandis que la capote étant baissée, leurs cheveux volent au vent.

— Écoute, on en a discuté plusieurs fois. C’est “TA” décision, et même si je la trouve un peu précipitée, je l’approuve complètement. Et en plus, ce chirurgien m’inspire confiance.

Détournant quelques instants ses yeux de la route, LSD lorgne vers son compagnon avec un drôle de regard.

— Mais qu’est-ce que tu me racontes ? Je te parle de ma voiture, et toi tu me parles de l’opération ! Je te demande si tu la préfères à ma “guêpe”…

— Tu m’excuses, chérinette, mais tu sembles oublier que ta guêpe m’a laissé des souvenirs douloureux. Une zone entière où mes cheveux ont repoussé dans tous les sens, je mets dix minutes à me coiffer le matin, et avec du gel encore, et en prime des maux de tête réguliers, lors desquels j’ai l’impression que tous les gravillons de la chaussée ont décidé de me traverser le cerveau2.

— Je sais, mon poussinet, mais je voulais te demander quelque chose : ma Smart roadster ressemblait vraiment à une guêpe, celle-ci est plus ventrue. Tu ne trouves pas qu’elle ressemble plutôt à une abeille ?

— Elle en a déjà les couleurs, alors si tu veux l’appeler ton abeille, pourquoi pas…

— Adopté ! Ce sera mon abeille et je vais l’appeler… Maya ! dit-elle du ton enjoué d’une petite fille qui vient de battre son grand frère à la console.

— Décidément, tu as bien gardé ton âme d’enfant malgré toutes tes misères !

— C’est un des secrets de la vie, Monsieur le pharmacien. Garder toujours une âme fraîche et positive, comme celle de la petite fille que j’étais…

— Bon, on arrive au Conquet, reprend-il en souriant, je te propose d’explorer un peu la Pointe Saint-Mathieu et après, je t’emmène à mon hôtel surprise, en prenant la route buissonnière et en longeant les Abers, l’Aber Ildut, l’Aber Benoît et l’Aber Wrac’h, ça te va ?

— Ça me paraît parfait, Amour !

*

Gendarmerie de Lesneven, bureau d’Adeline Pontcroix.

— Entrez ! Couvrant le micro du téléphone avec sa main gauche, elle ajoute : Asseyez-vous, Yann, je suis avec le proc’, j’ai bientôt fini.

Et elle reprend sa conversation :

— Mais bien sûr, Monsieur le procureur, c’était mon intention ! Le maréchal des logis-chef Tréduder s’apprêtait à le faire partir. Et je vais réinterroger les employés de Lochrist, ils ne m’ont peut-être pas tout dit. Mes hommages, Monsieur le procureur.

Le téléphone est raccroché avec douceur, une douceur qui contraste avec le ton peu amène qui accompagne la phrase suivante :

— Ça y est, les emmerdements commencent. Yann, vous me faites passer un nouvel appel à témoin. Si, à l’heure du meurtre, quelqu’un a vu passer un ver de terre sur les lieux du crime, je veux qu’il se manifeste. Il faut qu’on avance, bon Dieu, il faut qu’on avance !

*

Lesneven, le même jour.

Peu de temps après le mini-coup de gueule de l’adjudante-chef, une Lesnevienne descend la rue des Récollets et jette un coup d’œil aux bâtiments de l’école Diwan.

Après avoir passé la venelle des Ursulines et aperçu une drôle de silhouette courir vers le centre-ville, elle continue sur le Chemin des Dames et regarde, comme à son habitude, la façade arrière de l’ancien couvent des Ursulines, son superbe cloître et son jardin paysager.

Un ensemble architectural remarquable qu’elle ne peut s’empêcher d’admirer à chaque fois qu’elle passe dans le secteur.

Mais cette fois, le spectacle s’avère un peu moins réjouissant pour les yeux.

Elle voit une autre forme humaine, avec un curieux bonnet, qui détale par la venelle, mais surtout, accrochée à la haute grille verte en fer forgé, qui sépare le jardin de la rue, elle aperçoit une silhouette de femme, inerte, visiblement accrochée à la partie haute du portail, ses mains pendant le long des barreaux.

À ses côtés, un jeune homme, sac de tennis sur l’épaule, qui semble ne pas savoir que faire. Quant à Coralie Bréhand, du haut de sa grille, elle ne s’occupera plus de son agence immobilière située tout près, derrière le collège-lycée Saint-François-Notre-Dame de Lourdes, dans l’Allée des Soupirs. Elle vient juste de pousser son dernier.

1 Voir Le Cobra de Brest, de Martine Le Pensec, même collection, même éditeur.

2 Voir Été meurtrier à Tréguier, même auteur, même collection.

II

Moins de cinq minutes plus tard, trois véhicules sortent en trombe de la gendarmerie avec, au volant de l’un d’eux, l’adjudante-chef, manifestement peu enchantée à l’idée d’avoir un nouvel homicide sur son secteur. Dans la deuxième voiture, son adjoint, lui, ressent plutôt une poussée d’adrénaline positive. Depuis à peine dix-huit mois qu’il est arrivé à la brigade, il a appris à apprécier la région et les richesses qu’elle recèle, tant naturelles que patrimoniales. Sans oublier les légendes, cet héritage fantastique dont s’enorgueillit le pays pagan. Par contre, en tant que célibataire d’à peine 28 ans, il est plus réservé sur les animations offertes aux jeunes générations. Hors saison, malgré tous les efforts des organisateurs des diverses associations, des membres du Comité des fêtes et de l’animation culturelle, il a bien peu de chose qui le branche à se mettre sous la dent. En septembre, ce sont les fêtes publiques de la ville, avec feux d’artifice, course cycliste et fête foraine. Mi-septembre, c’est “La foire aux poneys”, et en octobre, “Les rencontres historiques du Léon”. Et quand arrive l’été, à part le pardon du Folgoët en juin et les activités sportives de bord de mer, les réjouissances estivales lesneviennes se limiteraient plutôt à quelques soirées, souvent de qualité, à “L’Arvorik”, la salle de spectacles, à des expositions, des randonnées commentées, des visites d’églises et autres réjouissances culturelles. Autant d’occupations louables, mais qui ne suffisent pas à remplir la vie sociale, et sexuelle d’un jeune gendarme en pleine possession de ses facultés viriles, mises au repos forcé depuis quelque temps. Pourtant, sans avoir le physique d’un play-boy, il a de quoi séduire avec son visage non dénué de charme, son bronzage naturel et sa musculature déconseillée aux diabétiques, à cause des tablettes de chocolat qui vallonnent son abdomen. Alors là, un vrai meurtre en pleine saison, le deuxième en trois jours, cela l’excite au plus haut point. Voilà qui va mettre un peu de piment, rouge de sang, certes, mais du piment quand même dans le bourg. Le trajet est court de la rue Roudaut au Chemin des Dames. À peine deux minutes, le temps de prendre la rue de la Marne, et les gendarmes arrivent devant la grille où est toujours suspendue la victime. Le Master Renault avec les techniciens, les TIC, n’est pas long à arriver, et tout ce beau monde a vite fait de fendre la foule agglutinée, tels des Dupont-Lajoie, derrière la tresse de gel des lieux déjà en place.

Les premiers mots de l’adjudante-chef ne sont pas tendres à l’attention des badauds reluquant le cadavre comme un groupe de vautours suivant un car de touristes du troisième âge dans la vallée de la Mort.

— Bon sang ! Vous ne pouvez pas nous laisser travailler ! Vous ne voyez pas assez de crimes à la télévision, il vous en faut des vrais avec du sang bien frais ? Maintenant, vous allez rentrer chez vous bien sagement. Morvan, Berger, vous me repoussez le cordon de sécurité jusqu’aux prochains carrefours. Les seuls qui peuvent rester pour laisser leur nom sont ceux qui ont vu quelque chose de suspect ou qui croient connaître la victime. Allez ! Maintenant, on se bouge, on a une enquête à mener !

Dans un brouhaha où la colère domine, la foule recule peu à peu, et seuls trois potentiels témoins semblent décider à rester. Une jeune femme, pas loin de la trentaine, un homme d’une quarantaine d’années, l’air plus revêche qu’un CRS qui vient d’apprendre qu’il n’y a plus de bière dans le car de sa compagnie, et un jeune homme d’une “vingt-cinquaine” d’années, qui tient à la main un sac de sport d’où dépasse une raquette de tennis bien enveloppée dans son étui.

— Yann, vous voyez ce que ces témoins ont à dire et, si c’est intéressant, vous me les convoquez dans une heure à la brigade.

— Bien, mon adjudante-chef !

Le médecin légiste s’affaire déjà sur la victime, quand Adeline Pontcroix peut enfin s’approcher de la pauvre femme accrochée aux barreaux vert pâle de la porte d’entrée du jardin du cloître.

— On ne peut la laisser comme ça. Gilbert, trouvez-moi une bâche plastique pour la protéger des regards et éviter toute photo de journaliste. Le temps que les premières constatations soient finies.

— Vous avez parfaitement raison, Adjudante-chef, ce spectacle est dégradant ! En pleine ville !

L’arrivant n’est autre que le procureur, Jean-Sébastien Perrot, arrivé subrepticement dès qu’il a appris la nouvelle, de la voix de la chef de brigade.

— Alors Docteur, quels sont les premiers éléments de l’enquête ?

— J’arrive à peine, Monsieur le procureur, mais je peux déjà vous dire deux choses : son nom, elle s’appelait Coralie Bréhand, 30 ans, habitait Lesneven et tenait une agence immobilière Allée des Soupirs, à deux pas d’ici. On a retrouvé son sac à main à ses pieds, avec ses cartes de visite professionnelles et ses papiers d’identité. Elle habitait rue Barbier de Lescoat et devait rentrer chez elle pour déjeuner. Passer par les Ursulines était le chemin le plus court. Quant aux causes de la mort, elles ne sont pas dues à la corde qu’elle a autour du cou et qui est attachée aux barreaux du portail. C’est une certitude. Le nœud n’est absolument pas serré et la partie de la corde attachée à la porte formait un nœud très lâche. Il aurait suffi qu’elle se débatte un peu pour se détacher. Donc, c’est une certitude, elle était déjà morte quand on l’a suspendue aux barreaux.

— Mais Docteur, s’enquiert l’adjudante-chef, je ne comprends pas, si elle n’a pas été étranglée par ce qui ressemble à une écoute de marine, comment est-elle morte ? Il n’y a que quelques petites traces de sang visibles autour des narines et de la bouche. Pas de traces de coups de couteau ou de coups violents…

Un homme essoufflé malgré son allure sportive arrive à ce moment précis dans un costume blanc, trois-pièces, très élégant, et sa réaction d’impatience ne se cache pas.

— Oui ! Alors, de quoi est-elle morte ?