Retour coupable à Pont-l'Abbé - Serge Le Gall - E-Book

Retour coupable à Pont-l'Abbé E-Book

Serge Le Gall

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Beschreibung

Comment démêler le vrai du faux ?

Pont-l’Abbé, Fête des Brodeuses. Il fait beau. La famille Chatilec au grand complet déjeune en terrasse. Paul vient de terminer son dessert, une pêche melba gourmande à souhait. Soudain, il ne se sent pas bien. Il se lève, titube et s’écroule sans un mot dans les massifs de lavande. C’est méchant, une pêche melba !
Ainsi commence la nouvelle enquête du commissaire divisionnaire Landowski au cœur du Pays Bigouden. Samia la belle métisse, Manuel le dandy, Justine l’héritière et Simon le beau ténébreux vont croiser son chemin. Le docteur Darossau, original et énigmatique, traîne ses guêtres quai Saint-Laurent. Tout comme Tina qui attend son heure. Bien d’autres coupables en puissance avancent masqués pour s’affronter dans l’arène jusqu’à la fin du spectacle. On se cache, on se dérobe et on cultive le mensonge comme une vertu. Qui donc sera assez fort pour mettre un terme à ce lourd secret qui les hante tous ?

Tout a commencé avec un dessert à la pêche... Plongez-vous dans le 20e tome des enquêtes policières du commissaire Landowski sur les côtes bretonnes !

EXTRAIT

Il court.
À s’en faire péter les poumons comme un asthmatique proche de l’asphyxie.
L’air commence à lui faire mal.
À cette heure, il est peut-être un peu plus fluide qu’en plein jour mais il est aussi plus frais. À chaque aspiration, le coureur amateur et contraint perçoit très bien cette différence qui chuinte en musique désagréable à ses narines dilatées.
C’est comme une intrusion qui se transforme en douleur à force. Un passage obligé qui crée une souffrance que le corps, peu habitué à cet effort intense, non programmé, repousse et refuse tout en essayant de l’absorber.
Pourtant, il n’a pas le choix. Il en va de sa vie.
Si l’air vient à lui manquer et qu’il se mette à suffoquer, au point d’abdiquer en rase campagne comme un véhicule sans carburant, il n’aura plus aucune issue que de lever les bras au ciel, si celui-ci veut bien l’entendre…
Sinon, ils se rueront sur lui, le jetteront à terre, lui saisiront les mains et les pieds et, en riant, ils en feront leur chose, l’objet même de leur jeu. De leur plan funeste.
Rien ne dit qu’ils le tueront proprement.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Serge Le Gall vit et écrit à Pont-Aven. Côté Enquêtes, il s’appuie sur son expérience professionnelle dans le milieu judiciaire. Côté Suspense, il aime bien jouer à cache-cache avec son lecteur. Le commissaire divisionnaire Landowski est son personnage fétiche...

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« La lumière du matin,

Couronnait les cimes.

Le cheval et l’armure

Attendaient l’empereur.

La concubine sommeillait

Derrière le paravent.

De la lame à la soie,

L’homme avait à choisir. »

Uchen Yang,Infatigable voyageur chinois(Période des Cinq Dynasties - Xe siècle)

PROLOGUE

Il court.

À s’en faire péter les poumons comme un asthmatique proche de l’asphyxie.

L’air commence à lui faire mal.

À cette heure, il est peut-être un peu plus fluide qu’en plein jour mais il est aussi plus frais. À chaque aspiration, le coureur amateur et contraint perçoit très bien cette différence qui chuinte en musique désagréable à ses narines dilatées.

C’est comme une intrusion qui se transforme en douleur à force. Un passage obligé qui crée une souffrance que le corps, peu habitué à cet effort intense, non programmé, repousse et refuse tout en essayant de l’absorber.

Pourtant, il n’a pas le choix. Il en va de sa vie.

Si l’air vient à lui manquer et qu’il se mette à suffoquer, au point d’abdiquer en rase campagne comme un véhicule sans carburant, il n’aura plus aucune issue que de lever les bras au ciel, si celui-ci veut bien l’entendre…

Sinon, ils se rueront sur lui, le jetteront à terre, lui saisiront les mains et les pieds et, en riant, ils en feront leur chose, l’objet même de leur jeu. De leur plan funeste.

Rien ne dit qu’ils le tueront proprement.

Les tortionnaires, même en herbe, n’en ont rien à faire de la délivrance ultime du supplicié. Qu’il souffre, qu’il ait mal fait en somme partie de son cursus mortel. Difficile de se passer du sang, même pour des mammifères qui se croient évolués.

Il allonge la foulée, essaie de caler son mouvement pour le rendre bien régulier mais, en ce moment précis, il n’est pas sur un terrain de sport à tenter de réaliser la performance du siècle. Il est plus simplement en train de courir de nuit sur le chemin de halage qui longe la rivière de Pont-l’Abbé pour tenter de continuer à faire partie du monde des vivants.

Il se trouve encore dans la partie sombre du chemin où la courbe de la rivière interdit aux lumières de la ville de donner des contours plus précis au paysage. C’est un no man’s land de gris et de noir qui crée des ombres folles et des fantômes immobiles.

Il est encore bien loin de la civilisation, celle qui lui permettrait de s’extraire de son cauchemar, de balayer sa peur et de croire à nouveau à l’humanité. Si elle existe. Au milieu de la ligne droite, il est obligé de ralentir, puis il s’arrête parce que ce n’est plus possible. Son cœur bat à tout rompre. Ses jambes ne le portent plus. Il n’a presque plus envie de résister parce que la machine ne suit pas. Et puis il doit reprendre son souffle et retrouver son calme. Il ne peut surgir sur l’esplanade au bord du quai où il y a encore des gens, sans attirer l’attention par son affolement.

Alors, que répondrait-il aux questions ? Pour l’instant, il ne s’est rien passé. On ne l’a pas agressé, ni violenté, ni blessé. Ni même menacé de mort. Personne ne le croirait. Seul le passage à l’acte peut apporter une preuve tangible. Il faut si souvent que le drame survienne…

C’est difficile aussi de courir à l’aveuglette et un accident est si vite arrivé. Une chute le condamnerait à coup sûr. Il suffirait d’une blessure, d’une entorse pour rendre vain le moindre de ses espoirs. Il se trouverait vite livré à la merci de ses poursuivants. Allongé sur le chemin, geignant sous la douleur et implorant ses bourreaux de l’épargner, il perdrait sa dignité sous les rires sarcastiques et les quolibets.

Avant qu’ils en finissent avec lui, puisque telle est leur volonté.

Non, il n’en sera pas ainsi parce qu’il lui reste encore des ressources que le désir de vivre mobilise entièrement. Il se remet à marcher en se tenant les côtes, respirant plus calmement pour tenter de reprendre son souffle avant de se remettre à fuir comme une bête traquée.

Puisqu’il n’a pas le choix.

Quand il se retourne, il ne distingue aucune silhouette agressive au bout de chemin. Il n’entend pas non plus d’éclats de voix d’un groupe en mouvement vers lui pour l’attaquer. Rien. Comme s’ils avaient soudainement abandonné leur plan macabre. Après tout, ils ont pu s’apercevoir de l’énormité de leur projet et changer d’avis. Peut-être même que Justine a su les convaincre…

Mais dans le fond de lui-même, Simon sait très bien qu’il n’en est rien.

Tout à l’heure, alors qu’il était au milieu d’eux, il n’aurait pas pu imaginer que, derrière ces sourires de façade, ces effusions exagérées, se cachait leur entreprise criminelle. Ils se sont joués de lui. À jouir même de son insouciance.

Des copains…

Ils viennent d’obtenir leur baccalauréat ensemble. Lui, Simon, et ses quatre camarades de classe. Et Justine, bien sûr. Celle que les autres convoitent mais qui n’a d’yeux que pour lui.

Leur idylle dure depuis un peu plus d’un an, mais ils n’ont pas fait l’amour aussi souvent qu’il l’aurait souhaité. Au début, elle ne voulait pas. Il respectait ses états d’âme. Mais ils ont fini par se prendre la main pour aller plus loin sur leur histoire commune.

Le vicaire les a tous emmenés au printemps de cette année dix-neuf cent soixante-dix passer quelques jours dans une colonie de vacances, à côté de Mûrde-Bretagne dans les Côtes-d’Armor. Pour réfléchir, il a dit. Pour une fois qu’ils avaient l’occasion de quitter la maison avec la bénédiction des parents, ils ne se sont pas fait prier. C’est le cas de le dire !

C’est au cours de la bataille aux polochons du premier jour qu’il a effleuré puis caressé les seins de Justine alors que les autres continuaient à batailler dans les cris et les plumes. C’est le soir qu’il a glissé ses doigts sous l’élastique du pantalon de son pyjama rouge alors qu’ils étaient allongés ensemble dans un sac de couchage pour ne pas avoir froid. C’est juste après qu’il l’a prise sans se soucier des regards posés sur eux.

À y repenser maintenant, peut-être qu’il n’aurait pas dû.

Dans cette course éperdue, un temps stoppée par manque de jus, il a fait un break bien utile. Il sait maintenant. Ses traits se sont durcis. Il a peur de comprendre.

Il marche vite pour atteindre le virage. La ville se découvre dans le fond du décor. Sur la rive d’en face, il aperçoit l’ombre du moulin de Pors Moro. Sous les arbres de la rive droite, il y a de la lumière. Des flonflons et des gens qui s’amusent.

Un chapiteau de cirque aussi.

Ils l’ont vu cet après-midi, ce Barnum Circus multicolore, entouré de caravanes rutilantes et de roulottes à l’ancienne occupant le quai Saint-Laurent. Ils ont jeté de la verdure aux animaux indifférents à ces gens qui, d’une ville à l’autre, passent devant les grilles et les reluquent comme des bêtes sauvages qu’ils ne sont plus depuis bien longtemps.

Justine a ri quand le lama a donné des coups de tête dans tous les sens pour qu’on lui lance quelque chose. Simon l’a prise lentement par la taille et il l’a attirée délicatement vers lui. Sous le tissu très fin de sa robe, il a senti sa peau douce et souple se creuser lentement sous ses doigts. En se penchant un peu vers son cou, il a humé ce parfum de femme s’échappant du col légèrement ouvert et il a souri.

L’amour présent et le plaisir à venir. De quoi rêver à des choses, à demain et plus tard. Ou tout simplement à rien d’autre que le moment dans ce qu’il a de si intime. Comme s’il ne pouvait rien y avoir d’autre, ici et maintenant.

En cet instant précis, il était le plus heureux du monde.

Plus tard, le petit groupe s’est écarté de la fête. Ils ont marché tous ensemble en aval de la rivière sur le chemin de halage, pendant un bon moment, puis ils se sont arrêtés sur une étendue herbeuse éclairée par une lune paresseuse.

Simon n’a pas résisté. Il n’avait pas souvent ce genre d’occasion. Et tant pis pour l’unité du groupe fissurée par un sentiment dépassant l’amitié.

Il a enlacé Justine, s’est collé à elle pour lui annoncer ses intentions. Elle a aussitôt répondu à ses gestes pour lui faire part délicatement de son accord total. Il l’a rapidement entraînée à l’écart, sans se soucier des phrases imagées lancées à tout vent par les autres garçons un peu jaloux de voir leur échapper l’égérie du groupe. Probablement qu’ils attendaient une sorte de partage, voire une osmose sans tabou pour faire de cette soirée un inoubliable souvenir.

Simon et Justine ont marché un moment, collés l’un à l’autre, avant de s’étendre au hasard dans l’herbe. Puis le désir les a emportés ailleurs. Les amants inexpérimentés découvrent avec délice ces rivages inconnus et il n’est pas besoin de lieu formaté pour laisser libre cours à leur apprentissage.

Tout a été merveilleux jusqu’au moment où la jeune fille s’est rhabillée sous la lumière blafarde de la lune. Elle s’est collée à son jeune amant en hésitant un peu à cause du peu de clarté, le cherchant en tâtonnant de ses doigts souples. Ensuite, elle l’a serré très fort. À lui faire mal. Avec un peu plus d’expérience, il aurait compris que c’était un signe d’adieu qu’elle souhaitant lui transmettre.

— Ne retourne pas là-bas avec moi, Simon !

Elle a dit ça, les lèvres si chaudes posées contre son oreille. Il l’a écartée de lui un peu brutalement.

— Mais pourquoi ? Pourtant, tout à l’heure…

— Je t’aime et je veux te sauver.

— Me sauver ? Mais de quoi donc ?

— Des autres…

— Ben quoi, les autres ?

— Ils ont décidé de te tuer ce soir.

Il l’a secouée assez violemment.

— Me tuer ? Mais tu es folle ! Tu dis n’importe quoi !

— Non, Simon ! Quelque part, tu le sais déjà.

Il n’a rien dit. Devant son silence, Justine a constaté :

— Tu vois !

Effectivement, il avait peur de comprendre.

— Je vais me défendre et on verra qui… Justine a soupiré.

— On ne verra rien, Simon ! Il faut que tu t’en ailles maintenant. Il ne se passera rien tant que je serai avec toi. Je vais attendre ici pour te donner un peu d’avance. Un moment seulement, sinon, ils vont s’en prendre à moi.

Elle l’a embrassé, puis elle l’a gentiment repoussé. Il a hésité, puis il s’est mis à fuir devant la meute qui allait manifestement se lancer à sa poursuite. Il ne comprenait pas bien ce qui lui arrivait d’une façon si soudaine, mais l’instinct le jetait en avant.

Maintenant, il pense avoir compris.

Le chemin de halage dessine une grande courbe indolente avant de venir s’ancrer aux abords de la ville. En appuyant encore un peu sur ses jambes, le fuyard va pouvoir apparaître en pleine lumière et tout cela ne sera plus qu’un mauvais cauchemar.

Mais ce n’est qu’un rêve.

On ne lui pardonnera pas et la chasse reprendra.

Demain ou un autre jour.

Justine a affirmé qu’ils allaient le tuer. Il la croit puisqu’il l’aime. Il vient de lui faire l’amour et il ne pourra pas oublier ce moment de bonheur intense mais il doit protéger sa vie si tel est l’enjeu de cette soirée magnifique se muant en cauchemar.

Ils vont le suivre à la trace. Il a un peu d’avance, celle que Justine lui a donnée, mais l’avantage ne peut-être que de courte durée. S’ils le rejoignent, il sera livré à leurs jeux indécents, puis ils le mettront à mort comme ils l’ont décidé.

Mais lui, il a choisi de se battre, de résister. Il n’a envie de se laisser prendre comme une bête attendant au bout d’une longe qu’on la mène à l’abattoir.

En ce moment précis, cela consiste à fuir. Comme un lâche.

Il n’a pas le choix. Ils sont quatre, déterminés, plus musclés que lui et capables de le terrasser. Ils vont l’humilier avant de se débarrasser de lui comme d’une chose insignifiante qui mérite de disparaître complètement, un point c’est tout.

Justine a fait ce qu’elle a pu. Sauf qu’il ne comprend pas.

Les autres ne perdent rien pour attendre. Le contentieux sait patienter. Le jour venu, ils paieront pour ça. Il en fait le serment. Un à un pour qu’ils comprennent bien ce qui leur arrive. Avec une sorte de crescendo pour hiérarchiser la responsabilité. Et finir par le plus cruel.

Car il y aura une justice. Ou alors une vengeance parce que les comptes très personnels se règlent discrètement en dehors des prétoires. Le linge sale ne s’accroche pas aux fenêtres. Lui, Simon, il sera à la manœuvre et il détiendra le pouvoir de vie ou de mort.

S’il en réchappe.

Sur l’esplanade s’ouvrant devant le théâtre de verdure, la fête touche à sa fin. La lourde toile du chapiteau s’affaisse dans un bruit sourd, comme s’il s’agissait du dernier souffle d’un dieu du cirque, et l’épais tissu se love lentement dans une remorque tirée au centre de la piste à la manière d’un ruban de caramel à fabriquer des bonbons.

Simon s’approche.

— Qu’est-ce que tu fais là, toi ?

La question a claqué dans le noir juste avant qu’apparaisse, sous un lampion, un grand clown dans son costume de scène qu’il n’a pas encore ôté.

Le jeune homme a répondu avec conviction :

— Je veux partir avec vous !

La bouche cernée de maquillage blanc outrancier s’est ouverte sur les dents un peu jaunes d’un fumeur invétéré.

— Mais aller où ça, bon Dieu ?

— ’Sais pas !

L’artiste a brassé l’air de ses grands bras.

— L’gamin, il sait pas ! Ah ah !

— Dans une autre ville !

— Tu as une idée qui trotte dans ta p’tite tête ?

— Non.

L’échalas déguisé a insisté :

— Non ?

Simon a abdiqué :

— Si. Loin !

— Tout à coup, tu veux voyager ?

— Oui, c’est ça. J’ai envie d’aller voir ailleurs.

— Envie de partir ou plutôt…

— Besoin…

— Chagrin d’amour ? Elle est si mignonne pourtant !

Simon s’est étonné :

— Vous nous avez vus ensemble ?

— Oui, tout à l’heure !

Le clown lui a tapé sur l’épaule.

— Elle est belle, tu sais !

— Je sais.

— Tu veux l’abandonner ?

— C’est décidé !

Les gants blancs ont valsé dans l’espace.

— Laisse tomber, ça va passer ! Demain, tu n’y penseras plus.

— C’est trop tard !

Le clown a agité sa main droite.

— Tout le monde en fait, des bêtises !

— Je n’ai rien fait, moi. Mais eux…

— C’est grave ?

— Pas pour l’instant, mais si je reste…

— Il va t’arriver des bricoles, c’est ça ?

— Pire !

— Comment ça, “pire” ?

— Ils vont me tuer !

I

Le beau temps de cet été-là favorisait les sorties champêtres, les déjeuners sous les frondaisons et les siestes délicieuses à l’ombre des jeunes filles en fleurs.

Les belles journées apaisaient les esprits chagrins toujours prompts à critiquer le climat de Bretagne et les images de familles se promenant au bord de mer sous la grisaille ne faisaient plus florès au journal télévisé de la mi-journée.

Le conducteur de la Mercedes sortit de son mutisme habituel.

— Tiens, tiens ! Ta mère s’est enfin décidée à ouvrir le portail avant notre arrivée ! C’est à noter dans les annales !

La passagère serra les dents avant de contrer sèchement :

— Elle n’a pas oublié que tu râles toujours si la porte close t’a obligé à descendre de ta voiture. Tu commences même par ta petite colère d’enfant gâté au lieu de lui dire bonjour !

— Elle sait bien qu’on va venir puisque tu la préviens à chaque fois. Elle pourrait quand même anticiper ! Quand il flotte bien, je prends une douche à manœuvrer cette foutue grille digne d’un château du quinzième !

— Plains-toi !

Il haussa les sourcils.

— Qu’est-ce que tu veux insinuer ?

— Si ma mère logeait dans un appartement de banlieue au douzième étage d’une tour affreuse, tu préférerais peut-être ?

Justine jeta un regard noir à son mari qui secouait la tête en soupirant. L’usure des couples engendre parfois de ces haines larvées qui font les choux gras des rubriques de faits divers.

— Tu le sais bien que non, a-t-il répondu. Toi-même…

— J’aime le Pays Bigouden. Je suis née ici et…

— Tu souhaites y mourir. Oui, on sait. Il se laissa aller à un effet de manche.

— Tout le monde le sait !

— C’est mon coin ! Le tien aussi, d’ailleurs.

— Pas tout à fait ! J’y ai habité pendant toute ma jeunesse mais je ne suis pas né ici de parents bigoudens, comme toi. Je logeais chez ma tante à cause du bahut.

— Nous t’avons adopté, à force. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs.

— Peut-être l’école, le foot…

Le conducteur ralentit juste avant de passer entre les piliers ouvragés de l’entrée.

— D’autres n’ont pas eu cette chance…

Paul ne releva pas, même s’il savait très bien à quoi sa femme faisait allusion.

— Tu me bassines tout l’hiver, avec ton Pont-l’Abbé ! reprit-il avec une évidente mauvaise foi.

— C’est une manière de patienter en attendant l’été et les vacances.

— Ah oui, les vacances qu’on ne peut passer qu’ici et surtout pas ailleurs !

— C’est bien toi qui y as acheté une maison ! Et pas loin de celle de tes parents encore ! Les Chatilec résident tous non loin de la rivière ! Sauf qu’aujourd’hui, tu m’as fait faire un sacré détour pour prendre le pain !

— Si tu n’en mangeais pas des kilos, je comprendrais. Et avec cette maison à nous, c’était plus rentable que de louer chaque année. Surtout quand on avait les enfants !

— Tu as raison, comme toujours !

— Ben voyons !

— Des coins agréables, y en a plein ! En France ou ailleurs ! Mais Madame ne sait venir qu’ici pour se morfondre des semaines entre la tante Noémie et le cousin Gaston !

La passagère regarda le perron désert tandis que la voiture avançait à un train de sénateur, comme s’il fallait le temps d’épuiser la conversation.

— Je ne connais pas de Noémie ni de Gaston !

— C’est un exemple !

— Parle de gens que je connais !

— Bientôt, tu pourras rester ici tout le temps.

— En retraite, tu veux dire ?

— Quoi d’autre, à ton avis ?

— Il faut que je patiente encore un peu. Je n’ai pas mon compte de trimestres.

— Milite pour l’égalité des sexes !

— Facile à dire quand ce sont les hommes qui décident tout !

— Surtout que chaque gouvernement y va de sa réforme, histoire de brouiller les pistes ! Ils n’y touchent pas à leur propre régime taillé sur mesure !

— Fallait faire comme eux ! Te présenter devant les électeurs !

— Si j’avais été élu, tu ne m’aurais pas souvent vu à la maison…

— Ben justement !

D’un air de ne pas y toucher, il dit :

— Je t’avais proposé de prendre une bonniche pour s’occuper des enfants, mais tu as préféré arrêter.

— Tu as apprécié d’avoir une bonniche gratuite à la maison, comme tu dis !

— Mais après, tu aurais pu reprendre une activité…

— Je ne suis pas trop conne, c’est ça que tu veux dire ?

— Tu me cherches là !

— Tu gagnes bien assez pour m’entretenir !

— L’argent, l’argent !

— Comme ça, tu as prise sur moi. Je suis certaine que ça te plaît d’avoir une femme à ta botte. Pour l’image du couple normal.

— Couple ? “Duo” serait plus juste. “Groupement d’intérêt économique” irait encore mieux.

— Toi, tu compenses ailleurs…

Il préféra parler d’autre chose.

— Si je partais, tu n’arriverais pas à t’en sortir seule…

Il a laissé traîner sa phrase comme pour la rendre plus vénéneuse, puis il a continué sur le même ton :

— Les enfants sont installés. Ils sont loin. Sans pension alimentaire, je ne te vois pas…

— Ma mère m’aiderait…

— Elle préfère tout laisser à la banque.

Il ricana.

— Tu ne pourrais pas te passer de moi !

— Ah ! Il est beau, l’homme fort, le protecteur de la pauvre femme ! J’aurais une laisse à Noël ? Tu me fais un cadeau en restant avec moi, c’est ça ?

— Sans me vanter, oui. Tu aimes avoir tes aises. Pour l’instant, c’est moi qui assure.

La voiture était arrêtée, moteur tournant. Justine soupira bruyamment.

— Et ça t’autorise à tout faire…

— Si je veux, oui !

— Si tu imagines que tu peux encore plaire…

— Moi, oui ! D’ailleurs, il le faut bien si je ne veux pas mourir idiot et sourd !

— Je les plains, tes pétasses de comptoir !

— Et moi, je te plains !

— Il y a aussi de beaux inconnus qui passent…

Il rit bêtement.

— Faut encore pouvoir les arrêter !

— Je suis encore séduisante pour mon âge.

— Tout dépend de ce qu’on cherche !

— J’ai encore des amis d’avant, tu sais. Il y en a quelques-uns qui auraient bien aimé coucher avec moi.

— Coucher ! Pas vivre !

— C’est toi qui as voulu, souviens-toi ! Je ne t’ai pas forcé. Je t’en ai même dissuadé. Seulement, tu voulais t’afficher avec une ex-demoiselle d’honneur de la Fête des Brodeuses ! Pour montrer ton grand pouvoir de séduction ! C’est drôle ce besoin de propriété qu’ont les hommes vis-à-vis des femmes !

— Tes soupirants, ils ont quelques heures de vol depuis, j’te signale. Et pas toujours dans les meilleures compagnies !

— Comme toi. Ni plus ni moins.

— Ils se sont recasés.

— Ou ils sont libres aujourd’hui, ça va, ça vient…

— Ils ne t’ont pas attendue !

— J’en trouverais bien un qui veuille se lancer dans une belle aventure…

— Tu regardes trop de séries à la télé ! Elle fit mine de rêver.

— On passera le temps…

— Un couple plan-plan quoi !

— Un peu d’apaisement me ferait du bien, tu vois !

— Mais qu’est-ce que tu attends alors ?

Justine eut un petit rire sarcastique, puis elle balança :

— Mais que tu claques, mon chéri !

L’échange à fleurets mouchetés s’interrompit, la porte d’entrée venant de s’ouvrir lentement sur la maîtresse de maison, une petite bonne femme au physique idéal pour l’étiquette d’un yaourt à l’ancienne.

Elle avait dû attendre patiemment derrière la vitre que l’échange un peu musclé s’achevât. Elle n’était pas sans savoir où ils en étaient. Chacun allait reprendre son air de façade et donner l’image d’un couple tranquille. Avec le fer rouge caché sous la cendre.

Justine sortit prestement, embrassa sa mère puis Tina et Alfred, ses deux grands enfants qui avaient suivi leur grand-mère. Son mari avait contourné le capot sans se presser. Il s’approcha de sa belle-mère, le sourire conquérant aux lèvres.

— Bonjour, Paul ! Cette fois, vous n’allez pas me disputer ! J’ai ouvert le portail ce matin pour vous éviter de pester contre moi, dès votre arrivée !

Les enfants embrassèrent leur père comme on se débarrasse d’une formalité et ils retournèrent lentement vers la maison en emportant les baguettes fraîches. Paul fourragea dans le coffre de la voiture et leur emboîta le pas, une bouteille de champagne dans chaque main.

— Je suis contente que vous veniez tous en vacances par ici. L’hiver est si long quand on est une vieille dame comme moi…

— Ne dis pas ça, Maman ! Nous sommes là, c’est ce qui compte, non ?

— Tina est arrivée hier soir, dit madame Chatilec. Elle voulait loger ici. Elle aime tellement cette maison ! Comme ton père.

La vieille dame serra les lèvres puis ajouta :

— Elle a pris ta chambre.

— Et Alfred ?

— Il est arrivé juste avant toi, avec sa femme et leurs deux filles. Ils logent à Loctudy. Tu sais, chez les parents de Manuel.

Un instant, Justine pensa à lui. Manuel avait redoublé sa terminale parce qu’il ne pensait qu’à jouer au dandy en redingote et canne à pommeau d’argent, au lieu de s’intéresser à ses études. Et aux femmes.

— Leur pension de famille est un vrai petit bijou. Ils ont fait quelque chose de bien d’une maison qui n’avait pour elle que la vue sur mer.

Madame Chatilec reprit son souffle, la main posée à plat sur sa poitrine.

— Mais ils sont bien embêtés avec leur mur. Une grande marée finira par le faire s’écrouler sur la grève. Enfin, une partie seulement, j’espère. Le coût des travaux risque de les mettre sur la paille. Tout est si cher aujourd’hui !

— Manuel vit toujours avec eux ?

— Pas pendant l’été. Il laisse la place aux clients mais c’est lui qui gère l’affaire. Ses parents sont âgés. Avant de s’installer à Loctudy, ils avaient une autre maison du côté de la gare routière. Tu sais, à côté de chez Jeanne qui brodait à merveille. Manuel y a aménagé un grand appartement sous les toits. Il fait l’aller-retour tous les jours.

— Tu en sais des choses !

— Je les sais parce qu’on me les dit !

La vieille dame plissa les yeux.

— C’est drôle ! Vos enfants ne logent plus chez vous pour les vacances. Vous avez de la place pourtant…

— C’était bon quand ils étaient jeunes. Ils ont leur vie maintenant.

— Tu as raison. C’est ça sûrement…

— Et Michel ?

— Ton frère est sur la terrasse, dit madame Chatilec d’une voix douce. Un peu triste même.

— Il est venu seul ?

— Ben non, tu penses bien. Sa nouvelle femme est là. Elle a déjà deux enfants. Les petits jouent sous les pommiers.

— Elle est comment ?

— Elle est belle ! Même trop, mais…

— Mais quoi ?

— Elle est jeune. Elle a à peine vingt-cinq ans. Lui cinquante-trois quand même !

— L’amour ne se commande pas, Maman !

— Je sais. Mais j’aimais bien celle d’avant. Elle est parfois venue seule. Enfin, quand ça n’allait plus trop bien entre eux. Elle était triste. Très amoureuse mais malheureuse comme une pierre. Dommage qu’ils n’ont pas eu d’enfant.

Un voile passa dans ses yeux.

— Je suis contente qu’il ait pu venir.

— On ne rate jamais le repas de famille de la Fête des Brodeuses, tu le sais bien !

Le visage de la vieille dame s’éclaira.

— Oh, je me souviens quand tu es arrivée ici en costume breton sur l’heure de midi. Tu étais si belle ! Tu portais les couleurs de la famille sur une boucle en argent ! Tu l’as toujours ?

— Je l’ai gardée comme elle était ce jour-là. La couleur du ruban ne passe même pas !

— Ton père était très fier. Il n’a pas cessé de parler de toi, après ton départ.

— C’est la seule fois où je n’ai pas déjeuné avec la famille, le jour de la fête !

Anne-Marie Chatilec prit sa fille par le bras.

— Viens ! On va passer à table dans un moment. Si on tarde, c’est Germaine qui va nous gronder…

La mère et la fille marchèrent en silence, comme si la connivence familiale remplaçait avantageusement un dialogue banal.

Dans l’ombre du couloir carrelé de blanc et de noir, les deux femmes s’arrêtèrent et s’embrassèrent affectueusement, puis elles s’avancèrent vers la double porte ouverte sur un jardin fleuri.

Justine laissa sa mère franchir le seuil la première. L’un des enfants de la femme de Michel s’approcha, un bouquet de fleurs à la main. La vieille dame ferma un instant les yeux. Elle était très heureuse.

Elle ne voulut pas gâcher la fête par des larmes, même de joie. Anne-Marie accepta le bouquet en souriant, puis elle invita tout le monde à s’approcher de la table.

Espiègle, elle cria :

— Alors, Paul, le champagne, ça vient ?

Le gendre se confondit en excuses. Soi-disant qu’il venait de rencontrer un bouchon récalcitrant…

— Je suis ravie que nous soyons tous réunis encore une fois ! dit la vieille dame, tout sourire. Cela ne durera pas éternellement.

Elle plissa les yeux. Peut-être qu’elle regardait tourner le compteur à rebours. Pour elle comme pour les autres.

— Eh bien, buvons à notre santé à toutes et à tous ! ajouta-t-elle solennellement.

Les invités levèrent leur verre et attendirent que l’hôtesse trempât ses lèvres dans le sien, puis le moment perdit rapidement de sa solennité. On se mit à parler fort, à se disputer gentiment les morceaux de melon et à tirer à la fourchette sur les tranches de jambon sec collées entre elles.

Très vite, on tomba la veste parce que les rayons du soleil dardaient sur la tablée, malgré la vigne vierge de la tonnelle. On entendit le concert des couverts et des assiettes. On se passa les bouteilles en commençant à refaire le monde.

Paul s’intéressa du regard à la nouvelle femme de Michel. Celle-ci s’en aperçut aussitôt et elle s’en amusa, traversant la terrasse, la poitrine jouant librement sous le tissu de la robe. De quoi bien émoustiller le cousin en mal de conquêtes.

Justine remarqua aussitôt l’attitude de son mari et le peu d’intérêt manifesté en retour par la jeune femme. Encore une qui le ferait marcher. Courir même. Elle n’avait probablement rien à faire d’un sexagénaire adipeux aux yeux mangés par l’abus d’alcools forts…

Vraiment, Justine s’en foutait royalement. Elle et lui s’étaient probablement trompés d’histoire d’amour, si celle-ci avait existé un seul jour d’ailleurs, et ils s’étaient bercés d’illusions pendant toutes ces années, pour afficher l’image d’un couple sans histoires.