Nature morte à Pont-Aven - Serge Le Gall - E-Book

Nature morte à Pont-Aven E-Book

Serge Le Gall

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Beschreibung

 Un tireur fou nargue la police et sème la terreur.

Un promeneur en chemise blanche s’est accoudé pour contempler la rivière. Un homme qui se cache le voit parfaitement dans son viseur. Belle cible !
C’est ainsi que commence la nouvelle affaire qui va ramener le commissaire Landowski à Pont-Aven, petite ville charmante appréciée des touristes comme de ses habitants.
Un tireur fou a décidé d’en faire le théâtre de ses pulsions criminelles. Il a choisi de se mesurer à l’un des plus grands flics de France, dans une joute mortelle où il ne peut y avoir qu’un gagnant.
Le radiesthésiste au masque vaudou, l’épouse délaissée et le témoin capital entrent en scène. Un peu comme des anges du destin.
À Landowski de trouver la lumière dans ce spectacle d’ombres chinoises où se déroule le plan machiavélique d’un criminel prêt à tout.
Et si on jouait à qui perd gagne ?

Découvrez le 25e tome des enquêtes palpitantes du commissaire Landowski, avec cette nouvelle intrigue au coeur de Pont-Aven !

EXTRAIT

Landowski entra immédiatement le critère géographique Bretagne pour écrémer le déroulant et il trouva rapidement quelque chose qui pouvait éventuellement se rapprocher des documents reçus : « Meurtre par balle(s).1-sm. Pont-Aven. Finistère. GEN—-040516—-1601. »
La ligne ne mentionnait que l’assassinat d’un seul coup de feu, le sexe de la victime, le lieu où s’étaient déroulés les faits, le service de référence ou l’expéditeur, la date et l’heure de la transmission. Il s’agissait d’une information basique. À charge pour le lecteur d’affiner sa recherche. C’était un peu maigre pour vérifier s’il avait vu juste. Le réflexe premier aurait été de se mettre en contact avec la gendarmerie, comme le code d’émetteur du message l’indiquait. C’était un peu mal connaître la façon de fonctionner du grand flic. Pas le genre à s’embarquer sans bis cuit pour une course lointaine. Ce qui apparaît comme une évidence ne reste parfois qu’une banale coïncidence.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

 Serge Le Gall vit et écrit à Pont-Aven. Côté Enquêtes, il s’appuie sur son expérience professionnelle dans le milieu judiciaire. Côté Suspense, il aime bien jouer à cache-cache avec son lecteur. Le commissaire divisionnaire Landowski est son personnage fétiche.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Ce roman se déroule en 1979, dans l’ancien Centre Hospitalier de Saint-Nazaire, désormais désaffecté. Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsique les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de prèsni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute res-semblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« La main posée sur sa fine lame,Le guerrier observe l’horizon.La nuit coule dans la valléeVers le royaume des ombres.Derrière le paravent,Hua peigne ses cheveux.

Il ne partira pas ce soir. »

Uchen Yang,Infatigable voyageur chinois(Période des Cinq Dynasties Xe siècle)

PROLOGUE

L’homme vient de s’arrêter au croisement.

Apparemment, il n’y a personne à proximité. Pas un mouvement, pas un son. Le silence approché en catimini. Il entend juste un bruit de moteur au loin. Une machine agricole en action. Un tracteur dans un champ peut-être. Des cris joyeux sur sa droite, qui jaillissent par vagues. Des enfants qui jouent probablement. Ailleurs, des volutes de fumée qui s’insinuent entre les arbres d’un boqueteau et qui s’effilochent rapidement. On se dépêche de brûler des déchets de jardin. Discrètement, la pratique est interdite.

À gauche, on rejoint Kergoadic, un hameau sur l’ancienne route qui mène à Rosporden. À droite, on descend vers la salle polyvalente de Pont-Aven. Au bas du chemin que l’inconnu vient d’emprunter, on a installé le vaste bâtiment des services techniques. Il l’a vu en passant tout à l’heure. Les lieux sont déserts le week-end. Il a bien choisi son jour.

Devant lui, il y a un panneau de bois fixé sur un poteau de section carrée. Il lit l’inscription en creux :

Allée Mademoiselle de La Villemarqué de Cornouaille, bienfaitrice de la région de Pont-Aven (1855-1945).

Tout droit s’ouvre une route de campagne empier rée marquée d’ornières. Il y a même encore une flaque ou deux témoignant d’une fin de printemps arrosée. Le temps est devenu tellement bizarre avec ses changements imprévisibles. Il n’y a plus de saisons, comme on dit.

Il y a une ancienne ferme sur la gauche, des arbres assez hauts en bordure. Il s’engage à l’allure d’un promeneur qui a tout son temps. Pourtant, il a un horaire à respecter pour faire ce qu’il a à faire. Aujourd’hui, il semble être seul sur le parcours. Ce n’est pas toujours le cas. Il l’a vérifié en fin d’hiver. On y promène les enfants, les chiens. On s’y promène seul aussi pour un moment de marche nécessaire au minimum d’effort physique pour maintenir un semblant de forme. Ou pour se retrouver avec soi-même.

Lui, il n’est pas forcément venu en ces lieux pour entretenir son souffle ou pour réveiller des articulations somnolentes. Ni pour se payer une tranche d’in trospection. Il n’est pas de ceux qui en ont besoin. S’il se parle à lui-même, et ce n’est pas rare, c’est pour jubiler intérieurement de ce qu’il sait faire si bien. Non, il n’a pas à se morfondre ni à se morigéner. Il est en forme et il a d’autres projets. Mûris, réfléchis. Arrivés à maturité.

Il porte une sorte de manteau léger de mi-saison, assez ample et long, d’une couleur marron verdâtre, indéfinissable en fait, se fondant parfaitement dans le décor ambiant. Dans le dos, Il a un sac de randonnée d’où émerge un étui cylindrique au décor écossais. Une canne à pêche télescopique peut-être. De grosses chaussures de marche aussi, comme s’il allait sortir des sentiers battus. Réellement, il y a un peu de ça.

Il cache ses cheveux courts sous un Stetson dont la couleur est assortie au manteau. Pas une pâle copie du couvre-chef américain dupliquée à l’envie dans des usines chinoises. Non, un objet unique, ou qu’il prend comme tel, qu’il a acquis lors d’un voyage. Le rêve américain.

Curieusement, il marche sans bouger les bras dans un geste qui serait tout à fait naturel. Il les garde croisés sur sa poitrine comme si les boutons du vêtement n’étaient plus en mesure d’assurer leur office. Ainsi, il paraît engoncé, fagoté comme un as de pique. Le bas du vêtement s’écarte un peu à chaque enjambée. L’extrémité tubulaire d’un instrument apparaît alors furtivement sur le côté gauche.

Il suit tranquillement la route qui descend un peu avant d’obliquer légèrement à gauche pour remonter. Elle serpente avec nonchalance. En s’engageant deux minutes plus tard dans l’allée de hêtres, il aperçoit en fond de décor le toit de la chapelle de Trémalo. Il en connaît le nom. Il l’a vue sur le déplianttouristique. Il a appris que Paul Gauguin aimait s’y ressourcer. En s’avançant encore, il consta te qu’il n’y a pas de véhicule sur le petit parvis. C’est mieux.

Il ricane.

Il s’en fout quand même de rencontrer quelqu’un ou pas. Ici, personne ne le connaît et il n’y a pas une chance sur mille qu’il croise un camarade de boulot ou un ami d’enfance. D’ailleurs, qui le reconnaîtrait aujourd’hui ?

Mais si, il y a quelqu’un. Quelqu’un qui vient. Il entend une carrosserie qui souffre et renâcle sur l’empierrement défoncé de l’allée ombragée. Qui va par conséquent dans la même direction que lui. Pour laisser passer la camionnette, il se rapproche des massifs d’hortensias qui agrémentent le talus en face du chevet de l’édifice religieux.

Au lieu de le dépasser, le véhicule blanc s’arrête à sa hauteur et il entend :

— Monsieur, Monsieur !

Il n’avait pas l’intention de rester bavasser avec quiconque en pleine campagne. Néanmoins, il tourne la tête vers la vitre ouverte. C’est une femme qui conduit. Un visage rond et hâlé. Elle a même esquissé un mouvement de retrait quand elle a vu le look particulier du promeneur solitaire. Il fait peur et il aime ça.

— Vous n’avez pas vu un chien en venant ? dit-elle d’une voix tremblante.

— Un chien ? Quel chien ?

Il a craché plus que parlé. La conductrice ajoute timidement :

— Un épagneul breton !

— C’est quoi ?

— Une sorte de chien de chasse si vous voulez !

Il a une furieuse envie de se marrer. On dirait une saynète écrite. En l’occurrence, le mot chasse est particulièrement bien choisi.

— Non, je n’ai rien vu. Ni animal, ni humain d’ailleurs !

— Il s’est échappé de chez moi, hier après-midi. Il est dans le coin !

— C’est grand par ici ! Des champs, des bois…

— C’est le pendule qui l’a dit !

L’homme fronce les sourcils.

— C’est quoi cette histoire de pendule ?

— Dans la campagne, pas loin, il y a un radiesthésiste qui recherche les disparus sur photo, objet ou carte d’état-major. Le pendule a réagi le long de cette route. Mon chien est donc passé par là. Il doit y être encore, quelque part.

Le regard de la femme se voile. Elle avait déjà les yeux rouges. Elle aime son animal. Lui, il trouve qu’elle joue bien.

Elle insiste :

— C’est sûr ? Vous n’avez rien vu ?

— Non, rien.

— Je vous laisse mes coordonnées. On ne sait jamais. Appelez à n’importe quelle heure !

Elle lui tend un petit carton façon carte de visite, qu’il met du temps à saisir comme à regret. Elle le regarde, mais lui, il la fixe. Elle baisse les yeux puis passe brutalement en première. Le fourgon relève le nez d’un coup et s’éloigne. L’inconnu le suit machinalement du regard. Machinalement ? Il a pourtant noté le numéro dans un coin de sa tête.

Il fourre le bristol dans sa poche et reprend sa marche. Il passe devant une ferme qui paraît abandonnée. Un vieux tracteur rouille sous un auvent de fortune prêt à s’écrouler. Le lierre grimpe sur les montants et habille le bord du toit. La végétation reprend petit à petit ses droits.

Plus loin, il y a encore un croisement, en T celuilà. Tout droit, on va vers Quistillo et Le Plessis. Des lieux-dits sans doute. C’est marqué sur la pancarte. En tournant à droite, on redescend vers Pont-Aven.

L’inconnu repart vers la ville et accélère le pas. Au premier virage en bas, il sort de la route et marche vers le réémetteur de télévision qu’il a déjà vu. Les lieux, il les connaît. Un ronronnement électrique se cache derrière une porte métallique. Cet équipement ne l’intéresse pas du tout. Il n’est pas venu pour ça. Surtout que les programmes actuels le gonflent vite. Il marche sur la partie herbeuse et s’avance au maximum pour obtenir une vision panoramique de la ville.

Quand il est venu au même endroit, l’hiver dernier, il distinguait bien les toits et les maisons. Descubes sous des pincées d’ardoises. Le viaduc enjambant la rivière également. Aujourd’hui, le feuillage plutôt fourni brouille l’image. Il a tout prévu pour que ce ne soit pas un problème. Nerveusement, il frappe le sol de ses godillots. S’il continuait encore, on pourrait l’associer à ces mouettes effectuant la même danse sur les multiples ronds-points du département. Mais ce serait prendre un sacré risque ! Monsieur n’est pas franchement du genre comique !

Quelque chose le chiffonne et c’est peu dire quand on remarque sa mine sombre et le tremblement nerveux de sa lèvre inférieure. Il tourne les talons et rejoint le sentier qui longe la crête. Il marche vite, il s’active. Probablement qu’il vient de s’apercevoir qu’il est en retard sur l’horaire prévu. Prévu pour quoi faire d’ailleurs ?

Plus loin, il descend vers l’ancienne pisciculture dont on a bouché les bassins, puis il passe le petit pont, remonte sur la route venant de Bannalec et longe les murs de la conserverie désaffectée. Ensuite, il descend dans la rue de Kerandistro, continue jusqu’à un ensemble de logements donnant sur la rivière. Il se glisse le long d’un immeuble puis il s’adosse à un pan de mur, probablement le vestige d’une construction démolie. Il se déplace encore un peu. Il grimace. Quelque chose ne lui plaît pas. Il remonte vers la route, longe les arches du pont et chemine encore dans une sorte de délaissé en triangle. À côté des poteaux à linge qui se trouvent là, ilse retourne. Devant lui, il a le viaduc qui barre l’es-pace. À droite, un tronc d’arbre qui porte deux panneaux : l’un annonce que la pêche est interdite et l’autre demande qu’on laisse tranquille un jars et ses oies. Dans son accoutrement, on pourrait justement le prendre pour un pêcheur du dimanche. Il esquisse une sorte de grimace.

L’important pour ce qu’il a à faire, c’est d’être seul, discret, invisible. Il a bien choisi l’heure. Il a bien choisi l’endroit. De cette rive gauche où il se trouve, personne ne peut le remarquer. De la rive droite où il n’y a essentiellement que des arbres et un sentier, non plus. L’homme déboutonne son manteau. Dessous, apparaît une sorte de baudrier court qui soutient le canon d’un fusil. La pièce est en partie enveloppée dans un morceau de plastique vert. Elle est plaquée sur le côté droit du corps et dépasse sur le bas de la cuisse sans que cela ne se remarque vraiment.

L’inconnu enlève le sac à dos qu’il dépose à ses pieds et quitte son manteau qu’il place à cheval sur l’un des poteaux à linge. Ensuite, il passe la lanière du baudrier par-dessus sa tête, défait l’emballage de l’arme et l’appuie contre le mur. Du sac, il sort un sachet plastique un peu rebondi comme un coussin. On dirait un truc anti-pluie de couleur bleu marine. Puis il extrait l’étui écossais qui s’évase vers le bas pour pouvoir accueillir l’affût du fusil et la lunette de visée. Il assemble soigneusement le tout puis, soigneusement, il range dans le sac à dos l’emballage et le manteau fin replié comme à l’armée.

Maintenant, il a en main une arme de tireur d’élite. Il se met à observer les lieux. Il y a une passerelle de bois sur sa droite, la rivière qui s’écoule devant lui et, en hauteur, le pont de chemin de fer devenu viaduc depuis la fermeture de la ligne avant la dernière guerre. Il sait tout ça. Il a lu, compulsé et retenu avant de venir. Il lève l’arme, vise le parapet métallique par un large trou dans la ramure et règle la lunette.

Il a de la chance. Un promeneur s’est arrêté et s’est accoudé pour regarder la rivière. Il le voit parfaitement dans son viseur. Ça le fait sourire de son rictus de carnassier. Belle cible !

Il sort de sa poche un chargeur de six cartouches. Il vérifie qu’elles ne sont pas bloquées dans l’étui puis il l’engage dans le boîtier situé en avant du pontet. Il se cale contre le muret, relève le canon en direction du pont. Le garde-corps du viaduc est ajouré au-dessus de quatre arches sur six. Il vise juste au-dessus de celle qui surplombe en plein la rivière puis il abaisse le fusil.

Quelques véhicules passent dans un sens puis dans l’autre. L’homme semble attendre quelque chose. Comme le feu vert d’un supérieur qui serait planqué près du pont mais sur l’autre rive. Ou d’un tireur de secours. D’ailleurs, il jette très souvent des regards furtifs dans cette direction.

Tout à coup, il s’anime. Un homme en chemise blanche vient de s’engager sur le pont par la droite. Le tireur prend position puis appuie sur la détente aussitôt. La silhouette sur le viaduc se fige. La balle ne l’a pourtant pas frappée. Peut-être que c’est la détonation qui a intrigué le passant. Le son a roulé dans la vallée. D’ailleurs, il regarde un peu partout comme pour tenter d’identifier la provenance de ce qu’il a pris pour un coup de feu.

En bas, l’axe du fusil se déplace lentement vers la droite. La chemise blanche entre alors dans le viseur. Sans trembler, l’index se pose sur la détente et se plie légèrement.

Un geste sec.

Une détonation.

Du sang sur la chemise blanche.

La victime s’écroule.

Touchée en plein cœur.

Game over.

I

Le commissaire divisionnaire Landowski ouvrit un œil puis deux. Il y avait un court instant, le télé-phone-fax s’était mis à bourdonner pour indiquer qu’il passait de la veille à la phase active. Parfaitement agaçant. Maintenant, l’appareil ronronnait. Pas comme un chat béat rêvant d’une belle brochette de petits rongeurs tendres à souhait. Plutôt, comme pour annoncer l’arrivée imminente d’un joli paquet d’embrouilles !

La magistrate Lorraine Bouchet, compagne du commissaire et propriétaire de cette maison de vacan ces sise à Trévignon dans le Finistère, avait insisté pour installer ce foutu engin de transmission de documents dans son séjour. Une sorte de cordon ombilical branché sur leurs ministères respectifs. Lui, il avait regimbé en disant qu’il n’avait pas envie d’avoir ce truc posé sur un bureau face à la mer pour, justement, ne pas avoir le loisir de la contempler en silence.

C’était un peu hypocrite de sa part dans la mesure où il s’ennuyait ferme au bout de trois jours decongé et qu’il aspirait très vite à s’embarquer dans des imbroglios judiciaires. Pour deux hauts fonctionnaires comme eux, la possibilité de réception de docu ments officiels était indispensable. Il en conviendrait facilement. L’État passe avant tout, exige une disponibilité de tous les instants et se fout complètement du lait oublié sur le feu comme de la rage de dents du petit dernier.

Ainsi commissaire et magistrate pouvaient prendre connaissance des signalements, ordonnances, procès-verbaux et autres gracieusetés en provenance des hautes sphères de la capitale. De quoi pimenter des siestes parfois plus fatigantes que le travail en lui-même.

On n’était pas encore en plein été mais on s’en approchait tranquillement. Déjà, les touristes étrangers fleurissaient les terrasses de leurs incompréhensibles dialogues. On voyait, çà et là, les volets s’ouvrir sur les façades, les bateaux de plaisance s’offrir une douche de printemps sur les descentes de garage et les marins de lande étrenner leurs cuissardes un peu grandes sur la cale du port.

Depuis le mois de janvier, Landowski avait été placé, pour user d’un euphémisme, en réserve de la République. On lui avait confié une mission un peu fumeuse auprès du Directeur Général de la DGSI en attendant une nouvelle affectation. Les événements dramatiques récents avaient bousculé les fonctionnaires de la sécurité intérieure et mis en évidencedes failles dangereuses. On allait certainement entendre parler de restructuration.

Lorraine Bouchet, magistrate au parquet de Paris était, elle aussi, en partance. Pour où et quand, elle n’en savait rien. Le changement de ministre en début d’année avait chamboulé les agendas et mis le souk dans les piles de dossiers. Si bien que le standby était devenu la règle en attendant mieux.

De quoi donner de l’air au couple qui en avait profité pour poser une semaine de congés dès les premiers beaux jours et débarrasser le plancher en s’enfuyant discrètement vers l’Ouest avant la saison touristique. S’il devenait urgent voire indispensable d’utiliser leurs capacités comme leur expérience professionnelle, on trouverait bien un porteur de pli pour venir frapper à leur porte et sonner la fin de la récréation.

Lorraine était partie en fin de matinée pour le port. C’est là qu’elle s’achetait des araignées énormes et des langoustines de belle taille aux étals des vendeurs. Une presque voisine lui avait proposé de l’accompagner aux îles Glénan pour suivre un stage de plongée bouteille dans l’archipel. Les fonds commençaient à être bien clairs et l’océan un peu plus calme. D’emblée, elle avait accepté. Elle aurait eu bien des regrets de refuser une dizaine de jours offshore, sans audiences interminables, sans avocats assommants, sans détenus menteurs. Rien qu’à ces vocables, elle avait bien senti que la fatigue et lestress étaient là. Retrouver l’ambiance d’un groupe, vivre simplement et sportivement, ça lui plaisait bien comme programme.

Le commissaire avait laissé sa compagne s’embarquer sans le moindre désir de l’accompagner. Et sans remords. La plongée, ça ne lui disait pas. Il préférait l’air à l’eau. Et puis, dans un couple, chacun doit pouvoir vivre ses passions, s’en aller seul pour retrouver l’autre plus tard avec bonheur. Il se voyait mal sur l’île Saint-Nicolas, assis devant un café à la table de la cuisine, un peu transi et mal réveillé. Avec les années, on prend ses aises. On apprécie le confort et ce n’est pas le passage aux cunégondes1 de l’île qui lui aurait fait penser le contraire…

Après un brin de sieste, il avait envisagé d’aller faire un tour à la Pointe, histoire de se poser en terrasse devant un verre et ne penser à rien. Tout simplement. Il s’achèterait une poignée de palourdes roses à ouvrir sur un feu vif et peut-être une belle sole qu’il noierait dans un beurre noisette. Du beurre salé bien sûr, pour ne pas offusquer les gens du cru qui ne savent même pas ce que c’est le beurre doux. Plutôt, qui ne veulent pas le savoir !

En se levant du canapé, il commença à craindre que, pour le farniente, il devrait repasser. Les vacances, pour rester délicieuses, ne doivent pas être perturbées par le moindre message officiel. Et quand c’est tricolore, ça sonne forcément la fin de la sies te. Il se voyait déjà en route pour Paris avant le coucher du soleil, convocation à l’appui. À moins que ce ne soit le tour de Lorraine à peine sortie de l’eau pour sa première plongée du jour.

Le fax peinait devant la densité du document. En fait de commandement, c’étaient plutôt des images. De quoi l’intriguer puisqu’il voyait apparaître un paysage en noir et blanc et non pas la mine patibulaire d’un méchant en fuite à rechercher dare-dare.

La première feuille était l’agrandissement d’une carte postale ancienne. On y voyait un petit train à vapeur sur un pont de chemin de fer. Au premier plan, il y avait quelques Bretonnes en costume traditionnel. Celle qui était le plus à gauche tenait un enfant dans les bras. Au fond, sur la colline, trônait une imposante maison de maître. L’image avait été légèrement recadrée afin de faire disparaître la légende et le nom de l’éditeur. Il y avait une pliure ombrée sur la gauche avouant qu’il s’agissait de la photocopie d’une page d’un livre.

Il y avait une seconde image. Celle-ci prise dans la même direction mais du côté gauche du pont. On y voyait un groupe de personnes en contrebas, rassemblées à quelques mètres de la première arche du viaduc. On distinguait les deux rails coupant le ballast, mais il n’y avait pas de train à traverser l’ouvrage d’art. Juste un personnage accoudé au garde-corpset se penchant vers la rivière. Même époque que la première.

La dernière page livrée ne montrait pas de paysage. Juste un trait noir de quelques centimètres remontant en oblique de la gauche vers la droite. À l’extrémité du trait, un espace puis quatre petits tirets tracés comme les rayons du soleil autour d’un cercle invisible.

Landowski posa les feuilles sur le bureau. L’expéditeur n’avait pas joint le moindre texte explicatif. Perplexe, il grimaça. Il se demandait ce que ça voulait dire. Un peu machinalement, il superposa la page presque blanche sur la première image. Il se laissa aller à un bruit de bouche enfantin pour avouer que ça ne signifiait rien. Il fit de même avec l’autre photo et, cette fois, il plissa les yeux. Il gambergeait déjà. Y avait comme un truc. Un peu comme un jeu de construction où la clé est dans l’assemblage. Il fourragea dans un ou deux tiroirs du meuble avant de mettre la main sur du papier calque. Il le posa sur la feuille aux traits de crayon et décalqua les signes. Ensuite, il rapprocha photo et calque.

La tête du personnage accoudé au garde-corps entrait très précisément entre l’extrémité du trait de crayon et les quatre rayons.

On aurait dit une cible.

Peut-être même aussi une trajectoire.

Il groupa les feuilles puis il les posa dans lapremière case d’un trieur en plastique coloré. Il saisit son portable de boulot et choisit une application barrée de tricolore, réservée aux seuls fonctionnaires habilités et dont l’accès ne peut pas être décrit ici. Il bascula son téléphone en lecture horizontale et attendit. Une minute plus tard, une liste se mit à défiler lentement. Il patienta, le temps que le chargement soit terminé avant de la reprendre par le début. Il s’agissait d’une sorte de main courante répertoriant succinctement tous les faits divers qui avaient eu lieu en France métropolitaine sur une période glissante de trente jours, le dernier en date et en heure étant le premier de la liste2.

Landowski entra immédiatement le critère géographique Bretagne pour écrémer le déroulant et il trou va rapidement quelque chose qui pouvait éventuellement se rapprocher des documents reçus : « Meurtre par balle(s).1-sm. Pont-Aven. Finistère. GEN—-040516—-1601. »

La ligne ne mentionnait que l’assassinat d’un seul coup de feu, le sexe de la victime, le lieu où s’étaient déroulés les faits, le service de référence ou l’expéditeur, la date et l’heure de la transmission. Il s’agissait d’une information basique. À charge pour lelecteur d’affiner sa recherche. C’était un peu maigre pour vérifier s’il avait vu juste. Le réflexe premier aurait été de se mettre en contact avec la gendarmerie, comme le code d’émetteur du message l’indiquait. C’était un peu mal connaître la façon de fonctionner du grand flic. Pas le genre à s’embarquer sans biscuit pour une course lointaine. Ce qui apparaît comme une évidence ne reste parfois qu’une banale coïncidence. Il y avait anguille sous roche, ça c’était clair dans son esprit. Ce n’était pas une simple information. Quelqu’un cherchait à l’intéresser. À quoi, il n’en savait encore rien. S’il était directement interpellé, il y avait quand même une raison. Bonne ou mauvaise, fallait voir. Donc pas question d’ameuter le ban et l’arrière-ban des autorités locales pour risquer de faire s’envoler le moineau effarouché. Il serait toujours assez tôt pour informer si cela devenait nécessaire, voire réglementaire.

Il y avait bien un si. Lui, il faisait un lien entre les documents qu’il venait de recevoir et le fait divers signalé. Rien ne lui donnait raison pour l’instant. Il espérait simplement le retour de l’adversité. Et pour tout vous dire, il jubilait déjà, notre Lando !

En face, on voulait donc jouer. Eh bien, on allait donc s’amuser un brin ! Cette façon de voir les choses convenait parfaitement au commissaire. Partir à la chasse, c’était vraiment son truc ! Il était prêt à lever le pied, comme d’hab’.

Il sortit sur la terrasse. La silhouette d’un navirese traînait au-delà de l’îlot appelé Men-Du, la Roche Noire pour certains, qu’on aurait pris pour la tourelle émergée d’un sous-marin ancien naviguant en surface pour recharger ses batteries. De quoi nour rir l’imagination des rêveurs. Et des enfants.

Il pressa une touche dans le dossier « contact » de son portable. La communication s’établit aussitôt.

— Salut Ange !3

— Ah, te v’là, Commissaire… Tu aurais peur ?

— Peur ? Mais de qui et de quoi ?

— On dit que t’es aux abonnés absents depuis ton enquête à Larmor-Plage.

— On ne tire pas un feu d’artifice parce qu’on prend quelques jours ! Mais j’aurais quelque chose à me reprocher, tu penses ?

— On t’a presque mis sur la touche, non ? Tu sais qu’en haut lieu, on a moyennement apprécié ta maniè re de résoudre le problème ? Même si tu as réussi, au final.

— J’aurais bien voulu t’y voir, toi !

— T’as joué avec le feu… !4

— Mais j’ai gagné, mec ! Du coup, j’ai pris un peu de vacances…

— Pour enchaîner sur une enquête solo à Douarnenez !5

Le regard de Landowski s’éclaira.

— Je n’ai pas pu m’empêcher ! dit-il à la manière d’un aveu de gamin.

— Elle était belle au moins ?

— Secret défense !

— Toujours ton petit jardin perso, hein ! Dans le fond, ça ne me regarde pas. Et là, tu me sonnes pourquoi ?

— Un truc de ouf !

— Je m’attends au pire. Accouche !

— J’étais en train de faire une petite sieste…

— Crapuleuse ?

— Pas du tout ! Lorraine est partie faire de la plongée !

— Pour le week-end ?

— Non, elle en a pour toute la semaine prochaine. Et plus, si affinités !

— Elle va t’en ramener, du poiscaille !

— Plongée, j’ai dit, pas apnée !

— T’énerve pas ! Moi, je nage qu’en eaux troubles !

— Je continue, tu permets ?

Il n’attendit pas la réponse et reprit sa narration :

— …et le fax s’est mis en route. Elle a fait installer ce truc pour être en direct live avec nos ministères. Pas de risque qu’on nous oublie !

— Et c’est quoi qu’il a craché, ton bélino ?6

— Trois feuillets. Deux photos et un gribouillis.

— Des photos de…

— Arrête, tu veux ! C’est sérieux ce que j’te dis !

— ’Scuse !

— Les photos, c’est comme un dossier technique. Deux clichés du même lieu sous deux angles diffé-rents mais dans la même direction. Un peu façon cartes postales anciennes, tu vois ?

— C’est un collectionneur, ton correspondant ?