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Un voyage mouvementé à travers la Bretagne...
Un train passant sur le viaduc, quoi de plus banal pour les Morlaisiens. Mais, ce soir-là, des passagers inattendus et très mal intentionnés se sont invités à bord, transformant un paisible voyage en un cauchemar ferroviaire. Morlaix ! Terminus ! Ou plutôt T.E.R.minus ! Une dramatique à suspense va se jouer sur le viaduc, une pièce en deux actes avec le RAID et le GIGN dans les rôles principaux. Avec aussi, bien sûr, Laure Saint-Donge, la “belle” LSD, au cœur d’une aventure qui va l’emmener de Lanmeur à Carantec, en passant par Plouigneau et Locquénolé…
Dans ce 12e tome des enquêtes de Laure Saint-Donge, la célèbre enquêtrice devra faire face à une intrigue pleine de rebondissements !
EXTRAIT
— Qui est là ?
— Gendarmerie Nationale. Est-ce que nous pouvons entrer ? C’est à propos de votre mari.
La première réaction devrait être d’ouvrir immédiatement et de dire d’une voix angoissée :
— Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ?
Chantal Martin, elle, montre moins d’empressement. Non qu’elle ne s’intéresse pas à son mari, loin de là, mais son assiduité à regarder les histoires policières à la télévision l’incite à la méfiance. « Peut-être s’agit-il d’un stratagème pour entrer dans la maison… », pense-t-elle. « Et si ce n’était pas des gendarmes ? » Deux interrogations d’importance qui la poussent à demander :
— Qu’est-ce qui me prouve que vous êtes vraiment gendarmes ? Vous avez une carte ?
Bonne question qui entraîne une réponse on ne peut plus logique :
— Bien sûr que nous sommes gendarmes ! Dès que vous aurez ouvert la porte, vous verrez nos uniformes et nous vous montrerons notre carte.
Malgré cette phrase a priori rassurante, la jeune femme s’est glissée sans bruit vers la fenêtre du salon plongé dans une quasi-obscurité, avec seulement l’écran du poste comme source de lumière. Ce qu’elle voit à travers le voilage ne l’avance pas beaucoup. Impossible de visualiser qui se tient derrière la porte. Impossible aussi d’apercevoir une voiture ou une camionnette de la gendarmerie.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Editions Bargain, le succès du polar breton. -
Ouest France
À PROPOS DE L'AUTEUR
Si, pour des raisons professionnelles,
Michel Courat vit actuellement en Belgique, après 9 ans passés en Angleterre, ce vétérinaire a laissé son cœur dans le Trégor. Amoureux de Locquirec depuis toujours, il y a exercé pendant des années avant de partir s'occuper de protection animale à l'étranger. Mais il revient dans "sa" Bretagne aussi souvent que possible, et c'est là qu'il a écrit
Ça meurt sec à Locquirec, son premier roman policier.
Auparavant, il a déjà publié trois ouvrages humoristiques :
Gare aux Morilles (1998),
La Brise de la Pastille (2000), et
Mots pour rire (2001).
À PROPOS DE L'ÉDITEUR
"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." -
Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
À la mémoire des victimes de la rafle du 26 décembre 1943.
« Il vaut mieux se taire et passer pour un con plutôt que de parler et de ne laisser aucun doute sur le sujet. »
Pierre Desproges
« Les êtres humains sont les seuls animaux dont j’ai réellement peur. »
Georges Bernard Shaw
- La Dame de Nage à Locquirec
- La Selle Pub à Morlaix
- Le Tempo à Morlaix
- L’Office du Tourisme de Morlaix
- Olivia et Patrick Morisse
Une soirée comme les autres chez les Martin. Chantal, la mère, rigole devant Scènes de ménages sur M6, en attendant de regarder un épisode de série américaine sur TF1. Ses enfants, sitôt le dîner avalé, sont montés dans leurs chambres respectives et ont maintenant les yeux scotchés sur d’autres écrans. Kevin, 12 ans, joue sur sa console vidéo, pendant que Mélanie, sa jeune sœur, de deux ans sa cadette, regarde un DVD de dessins animés. Tout semble bien tranquille dans cette maison de plain-pied bâtie au bord de la D712, entre Plouigneau et le Ponthou, tout près de Morlaix. L’idée de passer sa soirée devant un spectacle de violence et d’horreur n’émeut pas le moins du monde la jeune femme qui profite avec bonheur de ces quelques dizaines de minutes de repos, loin des soucis du quotidien. Avachie sur le canapé, elle savoure cette paisible soirée d’automne, sans se douter de ce qui l’attend… Quelques coups frappés à la porte la sortent vite de sa douce torpeur. Une certaine inquiétude perce dans sa voix, quand elle demande :
— Qui est là ?
— Gendarmerie Nationale. Est-ce que nous pouvons entrer ? C’est à propos de votre mari.
La première réaction devrait être d’ouvrir immédiatement et de dire d’une voix angoissée :
— Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ?
Chantal Martin, elle, montre moins d’empressement. Non qu’elle ne s’intéresse pas à son mari, loin de là, mais son assiduité à regarder les histoires policières à la télévision l’incite à la méfiance. « Peut-être s’agit-il d’un stratagème pour entrer dans la maison… », pense-t-elle. « Et si ce n’était pas des gendarmes ? » Deux interrogations d’importance qui la poussent à demander :
— Qu’est-ce qui me prouve que vous êtes vraiment gendarmes ? Vous avez une carte ?
Bonne question qui entraîne une réponse on ne peut plus logique :
— Bien sûr que nous sommes gendarmes ! Dès que vous aurez ouvert la porte, vous verrez nos uniformes et nous vous montrerons notre carte.
Malgré cette phrase a priori rassurante, la jeune femme s’est glissée sans bruit vers la fenêtre du salon plongé dans une quasi-obscurité, avec seulement l’écran du poste comme source de lumière. Ce qu’elle voit à travers le voilage ne l’avance pas beaucoup. Impossible de visualiser qui se tient derrière la porte. Impossible aussi d’apercevoir une voiture ou une camionnette de la gendarmerie. Elle a beau scruter toute l’allée qui mène à son domicile, pas de véhicule à l’horizon. Elle regarde la haie d’arbustes qui borde la clôture à l’avant de la propriété, dans l’espoir de détecter la lueur d’un gyrophare. En vain. Il lui faut pourtant prendre une décision. Et vite. Téléphoner aux gendarmes ? S’ils sont déjà derrière la porte, elle passera pour une imbécile, pour ne pas dire plus. Téléphoner à son mari ? Encore une fois, s’il lui est arrivé quelque chose, comme le laisse prévoir la voix qui vient de lui parler, ce serait stupide. Alors, que faire ? Elle n’hésite pas longtemps et, d’un geste plus réflexe que réfléchi, elle entrouvre le battant, en se maudissant de ne pas avoir fait installer une chaîne, pour simplement l’entrebâiller. Un geste imprudent, qu’elle va amèrement regretter…
*
20 heures 54. Le chef de bord du Train Express Régional TER 855859 vient de remonter dans sa rame, après avoir surveillé le départ de la gare de Plouaret-Trégor. Trois nouveaux voyageurs à contrôler, ce qui lui prend à peine deux minutes, et il peut s’asseoir sur le siège le plus proche de la cabine du conducteur et profiter du court répit dont il dispose avant d’atteindre la prochaine gare, Morlaix. Son esprit oublie vite la quinzaine de passagers répartis dans l’autorail et commence à faire des projets pour le week-end à venir. À 21 heures 45, le train sera arrivé à Brest, son terminus, et il lui faudra trois gros quarts d’heure pour rentrer chez lui. Cela lui laissera un bout de soirée avec sa femme, ce qui n’est pas si fréquent avec ses horaires décalés. Et après, deux grands jours d’affilée à se reposer, un vrai week-end, un plaisir loin d’être la norme quand on est contrôleur à la SNCF. « SeNeCeFe » pour les intimes. Bien sûr, logiquement, il n’aurait pas dû finir après 19 heures 30 – c’est la règle avant une journée de congé – mais il a accepté de dépanner un collègue qui avait des soucis personnels. Peu importe, les prévisions météo sont a priori bonnes, cela lui permettra d’aller au marché de Morlaix le samedi matin et d’aller se balader avec sa famille, sans doute sur le sentier côtier du côté de Térénez, l’après-midi. Dimanche, son programme se résume à un seul objectif : continuer à construire la cabane en bois dans le chêne au fond du jardin. Une promesse qu’il a faite à ses enfants et qu’il entend bien tenir avant Noël. Tout est calme dans le wagon et d’où il est, il peut, en se levant, embrasser d’un seul regard l’ensemble des occupants de la « baleine bleue », l’un des surnoms affectueux donnés à ce train original. RAS, il se rassoit tranquillement, sans prêter la moindre attention à ce jeune homme aux cheveux châtains qui vient d’entrer dans les toilettes. Dans l’espace “famille” (quatre sièges face à face avec chacun une tablette repliable) à côté de lui, une étudiante, lunettes à monture bleue sur le nez, l’air plus sérieux qu’un président de la République un 11 novembre, écrit nerveusement sur un bloc-notes, tout en se référant régulièrement à un manuel d’histoire posé juste devant elle. Un silence de cathédrale règne dans la rame, dépourvue des enquiquineurs habituels qui racontent leur vie au téléphone. En essayant de parler le plus fort possible pour être bien sûrs que personne ne rate un mot de leur conversation intime. Un silence de cathédrale peut-être, mais qui ne va pas durer.
*
— Allez, Bruxelles ! Fais le beau si tu veux avoir un bout de crêpe !
Le petit chien, curieux mélange de Jack Russell et de Cavalier King Charles, regarde Laure Saint-Donge, la “belle” LSD, avec des yeux implorants. Tout être normalement constitué et ayant un tant soit peu d’affection pour les animaux craquerait immédiatement devant l’air malheureux du canidé semblant porter sur sa face toute la misère du monde. Mais la journaliste connaît trop bien son toutou pour se laisser avoir par une telle manœuvre. Elle ne cède pas et réitère sa demande. Le dénommé Bruxelles n’hésite pas longtemps. Il choisit vite entre son amour-propre et son estomac, et se met dans la posture de cirque requise par sa maîtresse. Le tout sous l’air goguenard du compagnon de Laure, Hugues Demaître, pharmacien à Trémel (Côtes d’Armor) de son état.
— Quel sacré hypocrite ! dit-il. Pour une crêpe d’Yvette, il est prêt à tout faire. Même les exercices les plus dégradants. Tu ne trouves pas que tu exagères un peu en lui demandant ce genre de truc ? Avant, tu lui donnais des bouts de gâteaux ou des biscuits sans rien lui réclamer en retour…
— C’est vrai ! Je suis d’accord avec toi, je trouve cela stupide, répond Laure. C’est juste qu’il a pris au moins deux kilos depuis la fin de l’été, et je n’ai pas envie qu’il devienne obèse. Il fait de moins en moins d’exercice et, malgré tout, il continue à manger autant, voire plus, puisqu’on lui donne à table. Il faut qu’on réagisse. Alors, en lui faisant faire ce genre de conneries, cela nous culpabilise, et j’espère que cela nous incitera à réfléchir avant de lui donner quelque chose.
— Je suis tout à fait de ton avis, il ne se dépense plus assez. Pourtant, il est en liberté dans le jardin toute la journée…
— Ça ne remplace pas une bonne promenade ! Quand je ne suis pas là, tu le sors ?
Un silence gêné, puis Hugues enchaîne :
— Avec les horaires de l’officine, ce n’est pas vraiment facile, d’autant que, ces dernières semaines, tu as été beaucoup en reportage. Le midi, j’ai à peine le temps de manger, et le soir…
— Le soir, l’interrompt sa compagne, tu n’as pas vraiment envie de sortir, surtout que tu es bien crevé par ta journée passée derrière le comptoir, c’est ça ?
Avec le sourire penaud d’un collégien impubère, surpris à regarder des photos de truie, ou en tout cas cochonnes, Hugues répond laconiquement :
— Oui.
— Décidément, tu t’encroûtes de plus en plus.
Elle marque une pause, semble chercher ses mots et finit par lâcher :
— Bon ! Je sais ce qu’il me reste à faire…
L’air vraiment inquiet, le pharmacien demande :
— Tu ne vas quand même pas me quitter pour ça ?
— Pour ça ? Bien sûr que non ! Je vais balader le chien. Imbécile !
*
Allongés dans la partie coffre d’un Berlingo Citroën, les membres de la famille Martin n’en mènent pas large. Les yeux terrorisés, la mère se contorsionne comme elle peut pour essayer de communiquer avec ses enfants. Un exercice hautement fatigant quand vous avez les pieds et les mains liés et qu’un bâillon très serré vous empêche d’émettre le moindre son. À sa gauche, Kevin fait le même effort et finit par se retrouver, au sens littéral du terme, nez à nez avec sa maman. Un geste important, qui ne sert pas à grand-chose en fait, puisque l’obscurité ambiante ne permet pas de distinguer quoi que ce soit. La mère se contente donc d’un bisou esquimau en frottant son nez contre celui de son rejeton, sans être convaincue qu’il connaisse la signification de ce rituel. Sa fille réussit enfin, elle aussi, à se retourner et bénéficie du même réconfort. Si l’on peut dire. Difficile de savoir depuis quand l’utilitaire roule. Cinq minutes ? Dix ? Les événements sont allés tellement vite depuis que madame Martin a ouvert cette fichue porte, qu’elle en a perdu toute notion du temps. Il n’en est pas de même de celle de la réalité. Dès que l’homme cagoulé est entré violemment dans la maison et a appuyé la lame de son couteau sur sa gorge, tout en l’empêchant de crier en plaquant sa main gauche sur sa bouche, elle a compris. Compris que son destin venait de basculer vers un avenir on ne peut plus incertain et où la mort pourrait lui faire les yeux doux. Pourtant, l’inquiétude pour son destin personnel a cédé très vite le pas à une angoisse encore plus profonde, celle de savoir la vie de ses enfants menacée. Comment se sont-ils emparés d’eux ? Elle n’en sait rien. Elle n’a rien vu, car le deuxième homme, au visage dissimulé lui aussi, caché derrière le premier, l’a très vite bâillonnée, a entravé ses poignets et ses chevilles avec du fil électrique, et l’a portée sur ses épaules jusqu’au coffre de la fourgonnette. Là, il l’a déposée sans ménagement, la laissant à moitié assommée après que sa tête a heurté violemment le sol métallique. Ses enfants n’ont pas tardé à la rejoindre dans la même inconfortable position. C’est la dernière fois qu’elle a pu les voir, plus exactement les entrevoir, à la faible lueur d’une pleine lune occultée par quelques nuages. Depuis que les portières arrière ont été refermées, ils ont roulé sans s’arrêter et à bonne allure, sur une route à l’évidence très cahoteuse. Il ne se passe pas cinq secondes pendant lesquelles les corps des trois prisonniers ne sont pas brinquebalés de gauche à droite ou de haut en bas, leur occasionnant chaque fois des douleurs de plus en plus insupportables. Chantal Martin se prend à maudire les services en charge de l’entretien de la chaussée, une courte digression mentale qui lui permet, brièvement, d’oublier la dangerosité de leur situation. Leurs ravisseurs auraient-ils réalisé la souffrance qu’ils occasionnent à leurs victimes ? Peu probable, mais en tout cas, la voiture vient de ralentir. Et de tourner à droite, à en croire le ballottement de leurs trois corps vers la gauche du véhicule. Maintenant, ils roulent à vitesse réduite sur quelques centaines de mètres, avant de retourner à droite. Le bruit des roues, nettement perceptible jusque-là, devient beaucoup plus feutré. Il semble qu’ils aient quitté une route bitumée pour s’engager dans un chemin ou une allée recouverte de sable ou de terre. Un nouveau bout de trajet qui, s’il est moins bruyant, n’en est pas moins douloureux pour leur tête et pour leur dos, soumis à d’incessants va-et-vient dans tous les sens, à chaque fois que le Berlingo plonge un pneu dans un trou. Compte tenu du nombre de nids-de-poule qu’ils rencontrent, ce n’est même plus un chemin, mais plutôt un poulailler, en pleine période de ponte… Le supplice ne continue qu’environ une minute et l’infernal voyage s’arrête. Les deux portes avant claquent. Les trois victimes ont compris que leur destin va se jouer dans les prochains instants. Leur panique redouble d’intensité, aussi bien chez la jeune femme que chez ses enfants. Dans leurs yeux terrifiés se lisent les deux questions qui les hantent : « Qu’est-ce qu’ils vont nous faire ? » et « Est-ce qu’ils vont nous tuer ? » Les réponses arrivent aussitôt, le temps pour les ravisseurs d’ouvrir les portes du coffre d’un mouvement brusque. Et de leur bander les yeux.
*
— Gendarmerie de Lanmeur, bonsoir.
— Bonsoir ! Monsieur Primelin à l’appareil ! Je vous appelle parce que je voudrais déposer plainte. On a volé deux véhicules dans mon entrepôt !
— Monsieur Primelin ? Des transports Primelin, rue de la Madeleine ?
— Absolument ! Pas loin du Magasin Vert, et à cinq cent mètres de chez vous !
— Je ne peux pas enregistrer votre plainte par téléphone, il faut que vous passiez à la brigade. C’est possible demain matin ?
— C’est possible. Mais vous ne pensez pas qu’il y a plus de chances de les retrouver si on lance les recherches de suite ? reprend l’homme, d’un ton agacé.
— Je vais tout de suite prévenir les collègues qui sont de permanence cette nuit, ne vous inquiétez pas, il me faudrait juste le descriptif des véhicules volés…
— Il s’agit d’un fourgon Renault Trafic 2 modèle 2.0 DCI 90 et d’une fourgonnette Citroën Berlingo 1.9 diesel. Tous les deux sont aux couleurs de l’entreprise : caisse bleu marine et sur chaque côté la raison sociale de la société « Transports Primelin » écrite en jaune. Et, bien sûr, pas de vitres à l’arrière.
— Merci ! Il me faudrait aussi leur numéro d’immatriculation et que vous m’expliquiez très brièvement comment vous avez découvert le vol…
Le chef d’entreprise, après avoir donné les numéros de plaques explique :
— J’avais oublié un dossier au bureau ; et comme je voulais le regarder pendant le week-end, je suis revenu le chercher. Je me suis tout de suite douté de quelque chose quand j’ai vu que les grilles étaient grandes ouvertes, alors que je les avais fermées moi-même vers 19 heures 30 avec une chaîne cadenassée. J’ai vu tout de suite que les deux véhicules manquaient. Ils sont toujours rangés à la même place, sur la droite de l’entrepôt.
— Et vous avez une idée de qui aurait pu faire ça ? Vous auriez des soupçons ?
— Pas le moindre ! Par contre, je peux vous dire que c’est quelqu’un qui doit connaître l’entreprise, parce que les clés de contact étaient dans un placard à l’entrée du bureau. Ils ont fracturé la porte et se sont servis.
— Ils n’ont rien pris d’autre : du matériel, des documents ?
— J’ai juste donné un coup d’œil express. Apparemment, à part les deux fourgonnettes, il semble qu’ils n’aient touché à rien.
— Bien ! Donc essayez de voir si rien n’a disparu et passez à la brigade demain à partir de 10 heures. On prendra votre plainte et on fera un tour sur place dans la journée. En attendant, je préviens mes collègues. Ah ! Une dernière précision : à votre avis, le vol a eu lieu vers quelle heure ?
— Je n’en sais rien, mais j’ai quitté mes locaux à 19 heures 30 et suis revenu un peu après 20 heures 30. Le temps d’une rapide inspection, et je vous ai appelé.
*
Le Renault Trafic des transports Primelin fait le plein de ses passagers. Nous sommes quelque part entre Taulé et Locquénolé, dans une ferme abandonnée. Six individus, tous vêtus de noir, les mains gantées, le visage caché par un cache-face comme on dit au Québec, par une cagoule comme on dit de l’autre côté de l’Atlantique, s’engouffrent d’un pas décidé à l’arrière du véhicule. Après avoir surveillé la montée de ses troupes, celui qui semble être le chef du groupe, lui aussi les traits dissimulés par un passe-montagne, prend la parole :
— Bon, ça y est ! C’est le grand soir ! Vous savez tous ce que vous avez à faire ?
Un brouhaha lui répond, dans lequel il reconnaît à l’évidence un oui, puisqu’il poursuit, d’un air légèrement ironique :
— Vous avez bien vérifié vos armes ? Vos rations ? Boisson, nourriture ? Tout est OK ?
Même réponse.
— Parfait ! Je n’ai pas grand-chose à ajouter, si ce n’est un gros « Merde ! » Et je tiens aussi à vous rappeler que si les prochaines heures vont être difficiles, au bout de l’effort, il y a quand même un beau paquet de fric pour chacun d’entre vous. Alors n’oubliez pas, si vous avez la trouille par moments ou si vous avez envie de dormir, pensez à la tune, et ce que vous en ferez une fois rentrés chez vous.
Un murmure de plaisir se répand parmi les hommes masqués, qui pensent déjà aux jours futurs.
— Bon ! Il est l’heure d’y aller, vous n’avez pas de question ?
Le petit silence qui s’ensuit est interrompu par une voix forte, à l’accent africain prononcé. Je vous le fais une fois parce que c’est vous, mais une fois seulement, parce qu’après cela deviendrait vite un peu lassant.
— “Et tu c’ois que ça va du’er longtemps ?”
— On se le demande tous… répond le chef du gang. Je pense que c’est l’affaire d’un jour ou deux, peut-être plus. C’est pour cela qu’il est très important de bien gérer votre sommeil. C’est même primordial.
— “Un jou’ ou deux ? Ça dev’ait aller sans p’oblème. Me’ci chef.”
Les hochements de tête de ses cinq compagnons attestent que le sentiment est partagé.
— Un dernier point : à partir de cet instant, vous ne m’appelez plus « chef », mais Robin, dit-il en montrant à tous ce qu’il tient dans la main, à savoir un masque en plastique figurant la tête du héros de la forêt de Sherwood, immortalisé dans tant de films. Puis il ajoute : Quant à Nadine – il désigne la silhouette noire légèrement en retrait – elle devient Cendrillon.
Une affirmation que confirme celle qui se tient à ses côtés et qui exhibe à son tour un déguisement de Mardi Gras à l’effigie du personnage du conte pour enfants.
— C’est bien clair pour tout le monde ? Entre vous, même si vous avez l’impression d’être seuls, vous ne prononcez JAMAIS vos prénoms. Vous vous adressez la parole le moins possible, compte tenu de vos accents. Si vous avez à parler à quelqu’un, vous utilisez le nom de son personnage, et uniquement celui de son personnage. C’est ab-solument essentiel si vous voulez donner le minimum de chances aux flics de vous retrouver. Allez ! En route ! Asseyez-vous et tenez-vous les uns aux autres parce que ça va secouer…
Il referme les portes et prend le volant, tandis que Cendrillon prend place côté passager, dans ce carrosse un peu spécial, élaboré par Renault et pourvu de quatre “chevals”. Je sais, cela fait mal aux oreilles, mais il faut bien s’habituer à la réforme de l’orthographe. Merci au ministère de l’Éducation Nationale ! Le vrai carrosse de l’héroïne de Charles Perrault n’en avait qu’un de cheval ! Et en plus, il n’est mentionné nulle part qu’elle couchait avec Robin des bois… Passons. La fourgonnette démarre, laissant échapper une fumée plus grise que l’éminence d’un homme politique briguant l’Élysée. Direction…
*
Bruxelles ayant décidé de prendre son temps et d’arroser systématiquement toutes les devantures de vitrines de la rue principale de Trémel, Laure a tout le loisir de réfléchir à la fin de sa conversation avec Hugues. « Bizarre qu’il ait cru que je voulais le quitter » pense-t-elle. Tout en se disant qu’elle avait dû employer un ton hypersérieux pour qu’il envisage, apparemment sérieusement, cette hypothèse. « Peut-être que c’est mon subconscient qui a parlé, après tout ? C’est vrai qu’on est en train de s’encroûter, non ? Il n’y a que quand on est sur une enquête que notre vie retrouve un peu de piment. Et encore… Sur plusieurs aventures récentes, il ne m’a pas aidée. Avant, on sortait deux ou trois fois par semaine : restaurant, balades, copains… Maintenant, la tendance serait plutôt aux soirées dédiées à la télévision ou aux DVD. Quant au lit, à part pour lire ou dormir… Avant, on faisait l’amour plusieurs fois par semaine et à peu près n’importe où. De la pelouse au barbecue, en pierre, de la table de la cuisine à la chaise de la salle à manger, en passant par beaucoup d’autres endroits saugrenus. Depuis des mois, j’ai l’impression qu’il a de moins en moins envie. Si ce n’est pas encore tous les samedis soir, cela en prend le chemin. » Elle a beau essayer de s’intéresser à la vitrine du bijoutier ou du marchand de chaussures, au gré des inspirations vésicales de Sa Majesté le chien, rien n’y fait, sa vie de couple et son évolution récente la laissent dubitative.
Pourtant, son pharmacien continue à être tendre avec elle comme une mie de pain chaud, à être attentif à son confort, à lui dire « Je t’aime ! » trois fois par jour… Alors ? Alors, il suffirait de lui parler franchement pour remettre les choses au point et tout redeviendrait comme avant. Non ! Mieux qu’avant. C’est avec cette idée en tête qu’elle revient d’un pas décidé et en empêchant son Bruxelles de réarroser les magasins trémellois. Objectif : parler à son Hugonounet le lendemain, au moment le plus adéquat. Si Laure pouvait lire dans l’avenir, elle ne ferait pas ce genre de projet.
*
— Vous pouvez toujours crier, ici, on est en pleine campagne, dans une zone où il n’y a pas de chasseur. Alors si ça vous amuse, essayez ! Vous serez aphones bien avant que quelqu’un vous entende. Vous avez aussi la possibilité de vous échapper par les fenêtres, mais comme vous le voyez, il y a un panneau de contreplaqué qui protège les vitres. En prime, les volets extérieurs sont fermés, et il y a une barre à l’extérieur, en travers, qui empêche de les ouvrir. Il vous reste la porte, bien sûr, mais manque de chance pour vous, non seulement elle est fermée à clé, mais en plus, il y a aussi une barre côté couloir, fixée dans le mur. Conclusion, si j’étais vous, je resterai bien peinard et je laisserai le temps passer. Ce ne devrait pas être très long et, en principe, on ne vous fera aucun mal. En principe…
Des éclairs de feu meurtriers, zébrés d’angoisse, jaillissent des yeux de Chantal Martin, libérés de leur masque. Seule petite éclaircie dans ce ciel d’orage, elle peut constater, grâce à la lumière du plafonnier, que ses enfants ne sont pas blessés, au moins physiquement. Ce qui ne l’empêche pas de mesurer, à l’aune de leurs regards apeurés, quelle doit être leur détresse. À dix et douze ans, comment digèreront-ils le stress de cet enlèvement complètement inexplicable ? La pauvre femme cherche désespérément pourquoi on s’en prend à eux, une famille paisible, sans histoires, et sans argent. Même si elle et son mari travaillent, même s’ils gagnent correctement leur vie, ils sont loin de rouler sur l’or. Et personne parmi leurs proches n’a de fortune personnelle. Donc quelle est la raison de cet enlèvement si aucune rançon ne peut être réclamée ? Elle en est là de ses interrogations quand l’homme cagoulé qui se tient face à eux… Eh oui ! Au pluriel quand il y a des noms masculins et féminins c’est toujours le masculin qui l’emporte. Ah, quelle belle langue que le français ! Mais comme je ne veux pas me fâcher avec mes lectrices, je vais vous faire une fleur, à défaut de pouvoir vous l’offrir. Je reprends donc… Elle en est là de ses interrogations quand l’homme cagoulé qui se tient face à elles, fait un geste plutôt inattendu : il sort son téléphone, un Nokia Galaxipode, et commence à les prendre en photo, après les avoir forcés à se mettre à genoux.
— Allez, faites-moi un joli sourire ! ajoute-t-il, mêlant une ironie sadique à sa cruauté mentale.
La bouche obstruée par leur bâillon, les trois prisonniers ne peuvent exprimer leur mépris que par le regard, et ils ne s’en privent pas. La séance photo terminée, leur bourreau reprend, sur un ton toujours narquois :
— J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. Vous préférez laquelle en premier ? Ah, c’est vrai que vous n’êtes pas en mesure de me répondre. Mais ça va s’arranger. Je commence par la mauvaise : je vous ai confisqué vos téléphones portables.
Et exhibant le portable qu’il vient d’utiliser devant les yeux de madame Martin, il ajoute :
— Il est super le mien et il prend des clichés d’excellente qualité, regardez !
Chantal, ayant tout de suite reconnu son propre mobile, détourne aussitôt les yeux pour ne pas donner le plaisir à son geôlier de lire le désespoir et la colère dans son regard.
— Tu ne veux pas regarder ? Après tout, je te comprends. Et puisque tu réagis comme cela, je te montre aussi ceux des enfants.
Il joint le geste à la parole avant de remettre les trois appareils dans les poches de son jean.
— Maintenant, la bonne nouvelle : je vais vous enlever vos bâillons. À une condition seulement : que vous restiez calmes. Si un seul d’entre vous se rebiffe, je remets le bâillon à tout le monde, c’est bien compris ? Vous avez chacun votre matelas, alors je vous enlève le foulard, et la première chose que je veux vous voir faire, c’est vous allonger dessus. C’est clair ? On va commencer par la jeune fille.
Sitôt sa bouche libérée, Mélanie, en larmes, voudrait se précipiter vers sa mère. Mais avec ses chevilles entravées, parcourir le mètre qui les sépare n’est pas si simple.
— Maman ! Maman ! J’ai peur ! gémit-elle de sa voix fluette, noyée de sanglots.
Trente secondes plus tard, c’est au tour de son frère d’accomplir les mêmes gestes en prononçant les mêmes paroles. Les deux enfants n’ont qu’une envie : se sentir serrés dans les bras maternels pour un gros câlin. Les pieds et les mains liés, ils doivent se contenter de blottir leur tête dans le creux de l’épaule de leur maman, répétant en boucle les mêmes mots. L’homme à la face dissimulée s’approche de madame Martin, passe derrière elle pour enlever le bout de tissu qui la rend muette, s’apprête à défaire le nœud… Il s’arrête un instant, et lui murmure à l’oreille :
— N’oublie pas ce que je viens de dire… Tu restes calme ou alors… retour à la case départ.
Sa victime hochant la tête en signe d’affirmation, il lui rend la parole, ce dont la jeune femme profite aussitôt, avec des mots choisis :
— Salaud ! Enfoiré, Connard !
D’autres adjectifs tout aussi aimables suivent, mais le ravisseur n’en a cure. D’un pas tranquille, il regagne la porte et sort de la pièce. Un bruit de clé qui tourne, une barre qu’on remet en place. Le silence revient. Un silence très relatif, interrompu par les pleurs des enfants et les propos rassurants de leur maman.
— Ne craignez rien, mes chéris, je suis là. Tout cela va s’arranger, il ne nous arrivera rien, je vous le promets.
Une méthode Coué qu’elle essaye d’appliquer à sa propre personne, en vain. Elle tente de reprendre confiance, mais au fond d’elle-même, elle sait que tout peut arriver, même le pire. Elle ne veut surtout pas que Kévin et Mélanie s’en rendent compte, alors elle continue à leur parler calmement, tout en ravalant les larmes qui coulent, lentement, sur son visage défait.
*
Le Trafic traverse Locquénolé, ce si mignon petit village, le plus petit du Finistère, et rejoint la route de la corniche, qui longe la rivière. Un peu moins de sept kilomètres et il traverse Morlaix. Le rond-point du commissariat de police, la place Charles de Gaulle et celle des Otages, et le voilà rue de Paris. Encore une poignée de minutes, et la fourgonnette arrive au carrefour de la Croix-Rouge. Quelques mètres à peine, et il tourne à droite, direction Saint-Didy. Une route étroite et peu fréquentée, qui conduit au petit hameau situé sur la commune de Plouigneau, célèbre entre autres pour sa course à pied qui se déroule en février. Un virage à gauche, et devant les yeux du conducteur et de sa compagne, un passage à niveau surélevé. Les barrières sont ouvertes, la voie ferrée vite franchie, et dans la lumière des phares apparaît une minuscule chapelle, entourée d’un espace engazonné et de quelques maisons. C’est la fin du voyage pour les occupants de la camionnette. Le chauffeur manœuvre en douceur et se range en marche arrière, juste devant la porte de l’édifice dédié autrefois à saint Idy, et désormais honorant Notre-Dame de la Clarté. Il ouvre sa vitre, coupe le moteur, allume une cigarette, avant de regarder sa compagne et de consulter sa montre. Il est 20 heures 47. Si tout se déroule comme prévu, et à ses yeux, tout doit forcément se dérouler comme prévu, Pinocchio ne devrait plus tarder. Le temps d’une chanson dans l’autoradio, et des lumières apparaissent. Derrière les phares, un Berlingo Citroën, qui vient se garer, sans faire de bruit, le long du Trafic. Un homme en descend, sourire aux lèvres, et rejoint la vitre d’où sortent des volutes de fumée.
— Alors, demande Robin des bois. Comment ça s’est passé ?
— Nickel ! La mère n’est pas contente, les enfants chialent, on s’y attendait. Mais je suis sûr qu’ils se tiendront tranquilles. Et de toute façon, Didier garde un œil sur la petite famille.
— Bien ! Tu as pris les photos ?
— Évidemment ! J’en ai pris six, je pense que cela suffit… ajoute-t-il d’un ton interrogatif.
— Parfait ! C’est plus que nécessaire. On ne va en envoyer que deux. Celle-ci ! Et celle-là ! La première et la troisième. Tu as préparé le message ?
— Je n’attends plus que le feu vert pour l’envoyer.
Un coup d’œil à sa montre. 20 heures 50.
— On est dans les temps. J’enverrai mon message à 20 heures 56 à Peter Pan.
— Peter Pan ? Je croyais que c’était Alex qui devait s’en occuper…
— Eh bien maintenant, et jusque tout cela soit fini, Alex, tu l’appelles Peter Pan. Je lui envoie mon message à 20 heures 56 et il lancera les opérations deux minutes plus tard : à 20 heures 58. Au même moment, je passerai mon coup de fil. Attache les deux photos à ton message et après, tu me refiles le portable. Merci. Et n’oublie pas que toi tu t’appelles Pinocchio, et nous, Robin et Cendrillon !
Aussitôt reçu le message de Robin, le dénommé Alex abandonne discrètement la dame d’un certain âge qui lui fait face et se dirige vers les toilettes. Personne ne fait attention à lui. Pourquoi le ferait-on d’ailleurs ? Le jeune homme, pas loin de la trentaine, est habillé comme tout le monde, porte des vêtements sans la moindre excentricité et présente un visage sans aucune particularité. Monté dans le train à Plouaret, cela fait moins de cinq minutes qu’il voyage dans cette “saucisse”, laissant peu de chance à quiconque d’avoir pu le détailler et de pouvoir décrire son physique ultérieurement. Il pénètre dans les toilettes avec son petit sac de sport. Le temps d’enfiler sa cagoule qui ne laisse voir que sa bouche et ses yeux, de revêtir le masque de Peter Pan, son nouveau nom, et il ressort, sans susciter plus d’intérêt de la part de ses compagnons de voyage que lors de son entrée. Cela ne saurait durer, compte tenu de son accoutrement et de ce qu’il tient dans la main droite…
*
Xavier Martin n’en croit pas ses yeux. S’il s’efforce de conduire son Train Express Régional avec la même attention qu’auparavant, ce qu’il vient de voir sur l’écran de son portable l’a anéanti. Le cœur en surrégime, la sueur au front, il regarde encore le MMS qu’il vient de recevoir : deux photos abominables où sa femme est agenouillée au milieu des enfants, tous avec les mains retenues derrière le dos. Le visage de ses trois amours est déformé par la peur et les larmes. Et par ce bâillon qui leur cisaille la commissure des lèvres. Il sait bien que l’usage du portable lui est interdit pendant le service, sauf en cas d’urgence, mais quand la tonalité de réception d’un message a retenti, son sixième sens lui a tout de suite soufflé que quelque chose de grave venait d’arriver. Un sentiment qui s’est amplifié quand le nom de l’expéditeur est apparu sur l’écran. Sa femme connaît parfaitement les règles de son travail et ne l’appelle jamais durant ses heures de conduite – sauf en cas de problème très grave, ce qui n’est jamais arrivé jusqu’alors. Mille idées, toutes plus dramatiques les unes que les autres trottent dans son cerveau. Il lui faut toute son expérience et sa conscience professionnelles pour continuer à se concentrer sur sa conduite. Il le fait avec courage car il sait que son rôle est d’assurer la sécurité de ses passagers, et, bien évidemment, la sienne aussi. Au mépris des consignes, il s’apprête à appeler son épouse avec son kit mains libres, quand la sonnerie de son mobile résonne. Le visage de Chantal, souriante, s’affiche sur l’écran. Un mélange d’espoir et de crainte l’envahit d’un coup. Toujours appliqué à appuyer et relâcher régulièrement les “boutons de l’homme mort”, ce dispositif de contrôle de la vigilance du conducteur, il décroche son téléphone. Une voix monocorde, sans émotion, lui parle. L’infime espoir qu’il entretenait que sa femme puisse être au bout du fil, pour lui avouer qu’il s’agissait d’une mauvaise blague, s’envole vite.
— Monsieur Martin ? Xavier Martin ?
— Oui… répond-il d’une voix craintive.
— Tu as bien reçu mes photos ?
— Oui ! Mais…
— Écoute-moi sans dire un mot. Pour l’instant, on n’a fait aucun mal ni à ta meuf ni à tes enfants. Ils sont tous les trois dans un endroit où les flics n’ont aucune chance de les retrouver. On ne leur a pas fait de mal pour l’instant… mais cela pourrait changer si tu ne te montres pas coopératif. À compter de cet instant précis, tu vas faire ce que l’on te demande, sans tenter de prévenir qui que ce soit, et sans la moindre résistance. Si tu essayes de t’enfuir, les conséquences seront immédiates pour tes chérubins. Dans quelques instants, un de mes hommes viendra frapper à la porte de la cabine, trois coups courts et trois coups longs. Tu lui ouvriras et tu feras très exactement ce qu’il te demandera. Tu as bien compris ?
Abasourdi par ce qu’il vient d’entendre, rongé par son impuissance à défendre les siens, autrement qu’en obéissant aux ordres de cette horrible voix, le conducteur du TER, tout en continuant ses activités aussi normalement que possible, lâche dans un soupir :
— Oui…
— C’est bien, Xavier ! répond son interlocuteur sur un ton un peu plus détendu. Première chose, tu vas immédiatement ralentir, vitesse 70 km/h. Compris ?
— Compris, mais…
— Mais quoi ? Je t’ai dit d’obéir sans discuter.
— Si je ralentis sans explication, le centre de régulation va réagir. Ils vont m’appeler pour me demander ce qui se passe !
— Eh bien, tu ne leur répondras pas ! Tu obéis à mes ordres et à ceux de mon copain, c’est tout !
Les yeux envahis par des images de sa femme, tantôt rayonnante de bonheur, tantôt terrorisée, le pauvre ignacien – habitant de Plouigneau comme chacun sait – s’exécute et réduit l’allure de son train. Attendant anxieusement la suite des événements.
*
De l’autre côté de la porte, un autre drame se joue. Sitôt sorti des toilettes, le jeune homme au visage de Peter Pan se dirige vers l’avant du train. Assis sur un strapontin, juste à côté de la double porte d’accès au wagon, un passager somnole, sa casquette noire rabattue sur les yeux, et n’esquisse même pas un mouvement à son passage. Pourtant, avec son masque de carnaval et son pistolet Beretta dans la main droite, il aurait de quoi effrayer… Encore deux pas, et il arrive à hauteur de l’étudiante et du contrôleur. C’est à la jeune femme qu’il s’adresse en premier avec une intonation si douce qu’on pourrait douter de ses intentions malveillantes :
— Mademoiselle !
L’historienne en herbe, plongée dans son manuel, met quelques dixièmes de secondes à réagir et à lever son visage vers celui qui vient perturber sa concentration. Elle amorce néanmoins un sourire avant de percuter et de se rendre compte qu’elle fait face à un individu armé et masqué. Le pistolet du malfaisant, comme disait Michel Audiard, n’est plus qu’à quelques centimètres de son front quand elle arrive à balbutier :
— Ne… ne me faites pas de mal, je vous en prie…
Elle voudrait crier, mais les mots se bloquent dans sa gorge.